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mercredi 11 novembre 2020

1789 : L’année où les grenouilles montrèrent les dents !

 

Que disent les grenouilles ?

    C’était ainsi que les Princes s’enquéraient de l’opinion publique parisienne, à la cour de Louis XVI. C’est ce que nous rapporte Louis Sébastien Mercier dans son ouvrage « Le tableau de Paris ». Je vous ai déjà parlé de lui le 1er octobre dernier, lorsqu’il a fondé un journal avec le journaliste Jean-Louis Carra.

    Je vous recommande vraiment la lecture de son livre, le tableau de Paris. Il y décrit le Paris populaire avec une particulière acuité. C’est un bon complément à la lecture des « Nuits de Paris » de Restif de la Bretonne dont je vous ai raconté l’arrestation par le police, le 29 octobre dernier.

    Louis Sébastien Mercier, lui aussi, eut des ennuis avec la police. A peine ses deux premiers volumes furent-ils publiés en 1781, que bien sûr, ils furent interdits. Mercier décrivait avec un peu trop de précision les inégalités sociales et il ne se privait pas de critiquer l’injustice du système fiscal. Il continua néanmoins à publier depuis la Suisse jusqu’en 1788.

Découvrez son œuvre sur cette page du site Gallica 
                                    


    🐸Je vous propose de lire ce court extrait évoquant les grenouilles parisiennes, vues par les "grands".

« La cour est très attentive aux discours des Parisiens : elle les appelle, les grenouilles : que disent les grenouilles, se demandent souvent les Princes entre eux ? Et quand les grenouilles frappent des mains à leur apparition, ou au spectacle, ou sur le chemin de Sainte Geneviève, ils sont très contents. On les punit quelques fois par le silence : en effet, ils peuvent lire dans le maintien du peuple les idées qu’on a sur leur compte : l’allégresse ou l’indifférence publique ont un caractère bien marqué. On prétend qu’ils sont sensibles à la réception de la capitale, parce qu’ils sentent confusément que dans cette multitude, il y a du bon sens, de l’esprit, & des hommes en état de les apprécier, eux & leurs actions : or ces hommes, on ne sait pas trop comment, déterminent le jugement de la populace.

La police a soin dans certaines circonstances de payer de fortes gueules, qui se répandent dans différents quartiers, afin de mettre les autres en train, ainsi qu’elle soudoie des chianlis pendant les jours gras : mais les vrais témoignages de l’allégresse publique, ainsi que du consentement du peuple, ont un caractère que rien n’imite, »

 

    Ne vous y trompez pas, la comparaison avec les grenouilles est bien méprisante. Cette image peu flatteuse du peuple remonte à la plus haute antiquité, puisque Esope, l’écrivain Grec du 6ème siècle avant notre ère, l’utilisait déjà dans une fable destinée à se moquer du peuple d’Athènes.

    On a également attribué à Homère, un poème narrant une guerre des grenouilles contre les rats, la "Batrachomyomachie" !


Voici, inspirée de celle d’Esope, la fable de Jean de la Fontaine, intitulée :

"Les grenouilles qui demandent un roi". 🐸

"Les Grenouilles, se lassant

De l'état Démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.

Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :

Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant

Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,

S'alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

Sans oser de longtemps regarder au visage

Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;

Or c'était un Soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première

Qui de le voir s'aventurant

Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant,

Il en vint une fourmilière ;

Et leur troupe à la fin se rendit familière

Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.

Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.

Jupin en a bientôt la cervelle rompue.

Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.

Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,

Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir,

Et Grenouilles de se plaindre ;

Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir

A ses lois croit-il nous astreindre ?

Vous avez dû premièrement

Garder votre Gouvernement ;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire

Que votre premier roi fût débonnaire et doux :

De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire."


    Ne sommes-nous donc pour nos maîtres, que des grenouilles coassant dans notre marécage, dont l’opinion est facile à manipuler, grâce à quelques agitateurs, payés autrefois par la police, et maintenant… ?


    Néanmoins, il arrive encore parfois, que les grenouilles montrent les dents, comme en 1789. Est-ce un hasard ou un clin d'œil de Clio, la muse de l'histoire, si une grenouille dénommée "Pepe la grenouille" est devenue la mascotte des manifestants du mouvement prodémocratie à Hong Kong en 2019 ?

Pepe la grenouille, Hong Kong 2019



dimanche 8 novembre 2020

Les Parlements contre le Roi. 30 ans d'une lutte de l'aristocratie contre l'absolutisme royal

    Je me suis rendu compte qu'il était vraiment nécessaire de consacrer un article aux trois décennies qui avaient précédé la Révolution, afin de mieux comprendre l'origine de celle-ci.

    Cela nous permettra de mieux comprendre, par exemple, pourquoi, le 3 novembre 1789, l'Assemblée nationale s'était trouvée dans l'obligation de mettre tous les parlements en vacance, c'est-à-dire de les supprimer ; ce que Louis XVI avait déjà été obligé de faire en 1788, mais pour une autre raison, bien sûr.

    Pendant presque trente ans en effet, l'aristocratie s'est mesurée au pouvoir royal, dans le but de préserver ses privilèges, voir même de les étendre. Ce faisant elle a non seulement réussi à empêcher toutes les tentatives de réformes qui auraient pu redresser la situation du royaume, mais elle a aussi très largement contribué à affaiblir le pouvoir du roi, ce qui, paradoxalement, a contribué à l'effondrement de la monarchie.

    Attention, cet article constitue un résume, un rapide survol ! Je ne suis pas rentré dans le détail de chaque fait évoqué pour le vérifier, comme je le fais pour mes articles sur la Révolution.😉

La cour de Louis XIV
L'absolutisme royal 

   L'absolutisme royal s'est établi progressivement dans le royaume de France, jusqu’à ce qu’il trouve sa forme la plus aboutie sous le règne de Louis XIV. Ses successeurs Louis XV et Louis XVI s’efforceront de le maintenir, mais ils se trouveront peu à peu confrontés à une réaction nobiliaire de l’aristocratie.

    L'absolutisme royal consacre les pleins pouvoirs du roi, puisque celui-ci considère qu'il les tient de Dieu. Sa personne est sacrée. Le roi dispose de la totalité des pouvoirs : exécutif, législatif, judiciaire. Il peut faire la paix ou la guerre, anoblir, battre monnaie, lever des impôts. Il peut faire emprisonner qui il veut sans jugement.

    L'absolutisme reposait sur un contrôle des nobles, que Louis XIV avait su attirer à Versailles pour en faire des courtisans dépendants de son bon vouloir.

    L'absolutisme se manifestait également par un contrôle de l’Etat dans tous les domaines y compris celui de l’économie.

La seule limite rencontrée par le pouvoir royal était les parlements (Nous allons y venir).

La réaction nobiliaire

    La réaction nobiliaire du XVIIIe siècle consista en une tentative de la noblesse de retrouver ses pouvoirs d'antan, c’est-à-dire occuper les plus hautes fonctions de la monarchie, voire la contrôler. De plus, la noblesse s’inquiétait du pouvoir grandissant de la haute bourgeoisie qui lui faisait concurrence. L’accession d’un roturier comme Necker à un poste ministériel en était un exemple flagrant. (Notons que Necker s'opposera en juin 1790 à l'abolition de la noblesse).

L'anti-absolutisme

    Cette réaction nobiliaire finit par constituer une sorte de grand mouvement anti-absolutiste dirigé contre ce qu’elle appelait le « despotisme ministériel ». La noblesse préférait bien sûr attaquer les ministres plutôt que le roi. Néanmoins ce sont bien des aristocrates qui les premiers ont présenté le pouvoir royal comme une tyrannie, et par conséquence le roi comme un tyran, pas le peuple. Peu à peu, mais pour d'autres motifs bien sûr, la bourgeoisie a finit par rejoindre elle aussi ce mouvement anti-absolutiste.

C'est principalement par au sein des parlements que l'anti-absolutisme s'opposa au roi.

Les Parlements

    Sous l’Ancien Régime, en dépit de leur nom, les Parlements n’avaient pas de vocation politique. Il ne s’agissait que de simples chambres de justice. S’étant vu confier la mission d’enregistrer les lois, ils s’étaient progressivement autorisés à adresser au roi des remontrances concernant celles qui leur paraissaient contraires aux lois fondamentales du royaume. S’il voulait obtenir à tout prix l’enregistrement d’une loi, le roi devait tenir « un lit de justice » devant les magistrats.

Lit de justice tenu par le roi en 1651 au Parlement de Paris
Source Paris Musées

    Afin d’affirmer son autorité, Louis XIV avait retiré le « droit de remontrance » aux Parlements en 1673. Mais à sa mort, en 1715, le Régent Philippe d’Orléans l’avait rétabli, probablement pour tenter de gagner les bonnes grâces des magistrats.

Lire cet article sur la lutte de Louis XIV contre les parlements

Quelques dates

    Cette liste n'est pas exhaustive, bien sûr. Si j'en ai le temps, je la complèterai par la suite. Son but est de vous décrire sommairement quelques étapes clés de cette étonnante lutte de l'aristocratie contre le pouvoir royal.

1764

    De 1764 à 1771, eu lieu ce que l’on appela « L’affaire de Bretagne », un conflit qui opposa, sous le règne de Louis XV, le procureur général du parlement de Rennes, La Chalotais, au duc d'Aiguillon, commandant en chef de la province de Bretagne. Le parlement de Bretagne refusait d’enregistrer de nouveaux impôts destinés à financer la de Sept Ans (mais pas seulement). Cette affaire eu un retentissement national.

Je vous conseille la lecture de l'ouvrage ci-dessous (en cliquant sur l'image) :

En marge ou au cœur de "L'affaire de Bretagne"?

1770

    En 1770, le Parlement de Rennes s’en prend au « triumvirat » ministériel, le chancelier Maupeou, le contrôleur général Terray et le secrétaire d'État d'Aiguillon. Louis XV casse la procédure intentée par les parlementaires rennais mais ceux de Paris leur viennent en aide en émettant un avis de remontrance au roi. Celui-ci est obligé de tenir un lit de justice, mais le Parlement de Paris riposte en énonçant de nouvelles remontrances reprises par les chambres de province.

1771

Maupeou


    Le 20 janvier 1771, le garde des sceaux Maupeou réussit à convaincre le roi de briser le Parlement de Paris en faisant arrêter et exiler les cent trente magistrats du Parlement de Paris.

    Le 13 avril 1771, malgré les protestations, Louis XV installe un nouveau parlement qui lui est acquis et qui entérine les réformes.

    Le 1er octobre 1771, le parlement de Provence situé à Aix est supprimé, ses membres exilés et remplacés par un nouveau corps de magistrature composé des officiers de la cour des comptes, qui réunissent toutes les attributions de l'une et de l'autre cour. C'est ce qu'on appela le Parlement Maupeou, du nom du chancelier de Louis XV qui opéra cette révolution. Cette nouvelle cour fut supprimée à son tour par Louis XVI, peu après son avènement au trône. L'ancien parlement et l'ancienne cour des comptes furent rétablis tels qu'ils existaient auparavant et reprirent leurs fonctions le 12 janvier 1775.

1772

Chrétien-François de Lamoignon de Bâville (Magistrat au Parlement de Paris en 1755, Président à mortier en 1758, exilé en janvier 1771 dans le Beaujolais), anime la résistance du Parlement contre la réforme du chancelier Maupeou en 1772.

1774

Maurepas

    À la mort de Louis XV, en 1774, son petit-fils et successeur, le jeune Louis XVI (20 ans), nomme ministre d'État Maurepas, qui avait été disgracié par Louis XV. Celui-ci fait renvoyer les trois ministres de Louis XV, Aiguillon, Terray et Maupéou qui, depuis trois ans, travaillaient, non sans un certain succès, au rétablissement des finances, et du pouvoir royal. Maurepas fait nommer Turgot aux finances, Malesherbes à la Maison du Roi et Vergennes, aux Affaires étrangères.

    Maurepas commet l’erreur de rappeler les Parlementaires, qui avaient été suspendus par Maupeou en 1771. Le Parlement reprend alors très vite sa politique d'obstruction, et entreprend de bloquer toutes les réformes tentées par Louis XVI.

1776

Turgot

    Le 12 mai 1776, le roi se sépare de Turgot et annule ses réformes sous la pression des privilégiés et de la Cour. Ces privilégiés (essentiellement les parlementaires et la haute aristocratie) rejettent tout changement. Ils dénoncent dans la volonté de réforme du roi une manifestation de tyrannie...

    Turgot est remplacé par le contrôleur général Clugny de Nuits. Mais le décès de celui-ci donne l’occasion à Necker d’obtenir son premier ministère. Il est nommé conseiller des Finances et « directeur général du Trésor royal ». Necker recevra le titre de « directeur général des Finances » le 29 juin 1777

1781

Necker

    À la fin du mois d’avril 1781, le Parlement de Paris refuser d’enregistrer l’édit de création d’une nouvelle assemblée provinciale en Bourbonnais. La création de ces assemblées répond notamment à l’objectif de priver les parlements d’une partie de leurs prérogatives extra-judiciaires. Necker a exposé son projet dans un mémoire manuscrit remis confidentiellement au Roi. Un pamphlet, adressé le 20 avril 1781 à six membres du Parlement de Paris, révèle les intentions de Necker en citant ce mémoire. Les parlementaires se révoltent. Convoqué au château de Marly, le Premier président d’Aligre se voit intimer par Louis XVI, sur un ton sec, d’interdire toute discussion du mémoire. Néanmoins, Louis XVI est ébranlé par le retournement de l’opinion, et son ministre Maurepas préconise le renvoi de Necker.

1786

Calonne

    Le 20 août 1786, Charles Alexandre de Calonne, contrôleur général des finances et de fait premier ministre, remet à Louis XVI un mémoire sur le déficit financier ; il préconise comme indispensable une réforme de l'Etat sur un triple plan :

 - Plan fiscal : tendance à l'égalité devant l'impôt et à l'unification ;

 - Plan économique : liberté du commerce des grains, suppression des douanes intérieures ;

 - Plan administratif : création d'assemblées municipales (élues par tous les propriétaires ayant au moins 600 livres de revenu), qui éliraient des assemblées de district, lesquelles éliraient à leur tour des assemblées provinciales ; toutes ces assemblées demeurant d'ailleurs purement consultatives.

    Au lieu de soutenir Calonne et d'imposer son plan de réformes, Louis XVI tergiverse et cherche, pour vaincre la résistance prévisible des parlements, à obtenir le soutien de la Noblesse.

    Nous verrons que ces trois mesures feront partie des toutes premières prises par l'Assemblée nationale en 1789.

    Calonne dira au roi : « Ce qui est nécessaire pour le salut de l’État serait impossible par des opérations partielles, il est indispensable de reprendre en sous-œuvre l’édifice entier pour en prévenir la ruine… Il est impossible d’imposer plus, ruineux d’emprunter toujours ; non suffisant de se borner aux réformes économiques. Le seul parti qu’il reste à prendre, le seul moyen de parvenir enfin à mettre véritablement de l’ordre dans les finances doit consister à vivifier l’État tout entier par la refonte de tout ce qu’il y a de vicieux dans sa constitution. »

Calonne ajoutera en trois ans 653 nouveaux millions aux emprunts précédents.

1787

22 Février 1787

    Sachant que son projet va se heurter à l’opposition du Parlement, Calonne convoque une assemblée de notables qui se tiendra jusqu’au 25 mai. Cette assemblée sera composée de 114 membres désignés par le roi, dont 7 princes de sang, 36 ducs et pairs ou maréchaux de France, 33 présidents ou procureurs généraux de parlements, 11 prélats, 12 conseillers d'Etat, 12 députés des "pays d'Etat", 25 maires ou échevins des principales villes, etc. 

Assemblée des notables du 22 février 1787
Estampe vendue chez Basset, à Paris,
rue Saint Jacques, au coin de celle des Mathurins !
Calonne face aux notables...

    Dès son ouverture, l’Assemblée des notables s’écarte des vues du ministère. Seul le comte d’Artois et certains grands seigneurs libéraux comme La Fayette, d’Estaing, La Rochefoucauld le soutiennent ainsi que quelques aristocrates réformistes.
    Les parlementaires, rangés derrière le premier président du Parlement de Paris, Etienne François d’Aligre, qui déteste Calonne, mènent l’opposition, appuyés par le clergé. Les discussions difficiles qui s’engagent prennent des allures inquiétantes. L’un des parlementaires les plus véhéments, le procureur général de Castillon, déclare que seuls les états généraux peuvent admettre le bouleversement qu’entraînerait le nouvel impôt proposé par le ministère : la « subvention territoriale ». Le lieutenant civil Angran d’Alleray renchérit, disant que cette subvention est une « vexation » à l’égard des ordres supérieurs, car elle porte atteinte à leurs privilèges.

    Les notables rejetteront en bloc toutes les réformes de Calonne (un programme calqué sur celui de Turgot). Cet échec conduira au renvoi de Calonne.

Plan d'aménagement de l'Assemblée des Notables


    De 1787 à 1788, Brienne reprendra à son compte les édits de Calonne. Il renverra les notables, mais se retrouvera en conflit avec le Parlement, qui l’empêchera de faire passer sa réforme

2 Juillet 1787

Loménie de Brienne

    Le Parlement de Paris suivi de la Cour des aides et de la Cour des comptes refuse à Brienne l’enregistrement de l’édit qui assujettissait au timbre les pétitions, quittances, lettres de faire-part, journaux, affiches, etc. Ce refus d’un nouvel impôt les rend populaires auprès du peuple.

16 Juillet 1787

    Le Parlement de Paris déclare que seule la Nation réunie dans ses Etats Généraux peut consentir un impôt perpétuel. Son véritable objectif est de prendre en charge cette fonction (Les Etats Généraux ne formant pas une assemblée régulière ne pouvant l’assumer). Le Tiers-état s’est lui aussi déclaré favorable à cette convocation des États Généraux car il espère que les réformes iront dans son sens.

6 Août 1787

Lit de justice de Louis XVI imposant l’enregistrement de l’impôt sur le timbre.

Lit de justice du 6 aout 1787
Source BNF Gallica

7 Août 1787

    Le Parlement déclare nul le Lit de Justice. Calonne redoute que le Parlement ordonne son arrestation pour informer contre lui au sujet de la réforme monétaire de 1785, dans laquelle il est accusé de malversations et il quitte la France pour l’Angleterre où il est fort bien accueilli.

14 Août 1787

    Louis XVI, par l'intermédiaire de Brienne, fait exiler les parlementaires parisiens à Troyes pendant la nuit du 14 au 15. La ville de Troyes leur fait un accueil triomphal et les Parlements provinciaux se solidarisent avec le Parlement de Paris.

15 au 18 Août 1787

    Des émeutes populaires éclatent à Paris pour soutenir les Parlements. La négociation entre Loménie de Brienne et les parlements aboutit à un compromis : le gouvernement envisage de convoquer les États Généraux, mais demande du temps et des moyens financiers pour présenter en 1792 un bilan satisfaisant (novembre).

18 Août 1787

Lit de justice de Louis XVI imposant l'exil du Parlement de Bordeaux à Libourne.

4 Septembre 1787

    Brienne suggère un compromis financier, comportant l'abandon de la subvention territoriale ; le Parlement l'accepte et est rappelé : mais la banqueroute menace de plus belle.

19 Septembre 1787

    Séance royale du Parlement pour l'enregistrement de l'édit (prorogation de l’impôt des deux vingtièmes) et du lancement d'un emprunt. Le Parlement réclame les Etats Généraux pour 1789. Le roi répond par l'ordre pur et simple d'enregistrer. Le Duc d'Orléans proteste ; Louis XVI lui répond : "C'est légal parce que je le veux". Le Parlement annule l'enregistrement comme illégal. Brienne fait arrêter deux conseillers (Fréteau et Sabatier) par lettre de cachet. (Fréteau deviendra l'un des présidents de l'Assemblée constituante). Le duc d'Orléans que la foule avait porté en triomphe, est exilé à Villers-Cotterêts.

19 Novembre 1787

    Louis XVI impose au Parlement l’enregistrement par lit de justice un emprunt de quatre cent vingt millions. Le duc d'Orléans et deux conseillers du parlement qui s'opposent à cet emprunt sont exilés, mais bientôt après rappelés.

1788

4 Janvier 1788

    Sur la proposition d'Adrien Duport, (un des premiers nobles à rejoindre le Tiers Etat le 27 juin 1789), le Parlement vote un réquisitoire contre les lettres de cachet et réclame la liberté individuelle comme un droit naturel.

3 Mai 1788

    Le Parlement de Paris se sent menacé de suppression par le gouvernement. Il promulgue pour se protéger un arrêt qui expose les lois fondamentales de la monarchie et fait des corps intermédiaires liés à la société d’ordre, le caractère essentiel de la constitution monarchique. Le Parlement publie une « déclaration des droits de la Nation » et réclame à nouveau la convocation des états généraux en espérant qu'ils contraindront le roi à respecter les exemptions fiscales des privilégiés.

Tous les privilégiés, y compris le haut clergé, se solidarisent avec le Parlement de Paris.

5 Mai 1788

    Début de la réunion de l’assemblée du clergé. L’assemblée du clergé refuse d’entériner les reformes du 8 mai et condamne l’octroi de droits civils aux non-catholiques.

Le capitaine des gardes arrêter en pleine séance les conseillers au Parlement de Paris, Duval d’Eprémesnil et Goislard de Montsabert.

Arrestation de Goislard de Monsabert et D'Eprémesnil

8 Mai 1788

    Le garde des sceaux Chrétien-François de Lamoignon et le contrôleur général des finances Étienne Charles Loménie de Brienne tentent une ambitieuse tentative de réforme de la justice. À leur initiative, le Parlement se réunit en séance plénière en présence du roi. Au cours de ce lit de justice, Louis XVI enlève aux parlementaires leur droit de remontrance et confie le droit d'enregistrement à une cour plénière.

    Quarante-sept tribunaux de grand bailliage, vont remplacer les Parlements. Ils devront appliquer un nouveau code d’instruction criminelle qui supprimera la « question préalable », c’est-à-dire la torture. L’enregistrement des lois reviendra à une cour plénière dont les membres seront choisis par le roi (Réforme de Lamoignon).

9 Mai 1788

    La cour plénière se réunit le 9 mai, mais de nombreuses personnalités refusent d’y siéger. Les Parlements résistent à leur mise en vacance et sont soutenus par des émeutes populaires à Paris (19 juin), Toulouse et Rennes.

20 Mai 1788

    Le Parlement de Grenoble ayant protesté contre les édits de Lamoignon, il est mis en vacances mais se réunit néanmoins le 20 mai 1788 chez son président, Bérulle, lequel proclame que, si les édits de Lamoignon étaient maintenus, « le Parlement du Dauphiné se regarderait comme entièrement dégagé de sa fidélité envers son souverain ».

7 Juin 1788 « Journée des Tuiles » 

    Le lieutenant général de la province confie à des patrouilles de soldats des lettres de cachet à remettre aux parlementaires pour leur signifier un exil sur leurs terres. Mais le tocsin sonne. La population est rameutée par les auxiliaires de justice, particulièrement fâchés de perdre le Parlement, qui est leur gagne-pain. Des Grenoblois s'emparent des portes de la ville. D'autres, montés sur les toits, jettent des tuiles et divers objets sur les soldats. Vers la fin de l'après-midi, les émeutiers, maîtres de la ville, réinstallent les parlementaires dans le palais de justice.

La journée des tuiles

     A noter que depuis, le Dauphiné se glorifie de cette émeute qu’il considère comme une des prémices de la Révolution. Lire l'article du 7 juin 1788.

11 Juin 1788

A Dijon, l'installation des nouvelles juridictions provoque une insurrection.

12 (ou 13) Juin 1788

Exil du Parlement du Dauphiné.

    A noter que selon cette source, le peuple dauphinois aurait été parfaitement insensible à la déchéance de ce parlement aristocratique. Il n'aurait pas répondu pas à l’appel de Vizille : 194 paroisses seulement étaient représentées sur les 1212 que comptait le Dauphiné.

Source : Un parlement de province (page 343)

14 Juin 1788

    Les notables grenoblois des trois ordres se réunissent à l'Hôtel de Lesdiguières et demandent le rappel des magistrats et la convocation des États de la province et des États généraux du Dauphiné.

19 Juin 1788

    A Pau, le peuple, manipulé par les nobles réunis ce jour-là en assemblée, réclame au cours d’une émeute la réouverture du Parlement.

Source : Internet Archive

21 Juillet 1788, L'Assemblée de Vizille

Claude Perier


    À l'initiative des avocats Barnave et Mounier, les représentants du Dauphiné, au nombre d'environ 540, se réunissent au château de Vizille, propriété du riche industriel Claude Perier. Ils appellent à refuser le paiement de l'impôt et demandent aux autres assemblées provinciales d'en faire autant. C'est la première manifestation de révolte contre l'autorité royale.
Lire l'article 21 juillet 1788


8 Août 1788

Louis XVI décide de convoquer les Etats généraux, assemblée extraordinaire réunissant les trois ordres de la société (noblesse, clergé, tiers état), pour résoudre la crise financière due aux dettes du Royaume.

21 Septembre 1788

Le Parlement de Paris réclame les procédures de 1614 aux États généraux.

23 septembre 1788

    Rappelé par le roi en remplacement de Calonne dont la politique est un échec, Necker est nommé « directeur général des finances » le 25 août 1788, puis ministre d’état le 27. Le 23 septembre, Necker fait rappeler le Parlement de Paris, dont les membres avaient été exilés.

25 Septembre 1788

    Le Parlement de Paris prend un arrêt aux termes duquel les états généraux doivent être « régulièrement convoqués et composés suivant la forme observée en 1614 » (vote par ordre) autrement dit avec trois ordres très inégalement représentés. Ce n'est pas précisément ce que souhaite le Tiers Etat !

6 Novembre 1788

    Le roi convoque la seconde Assemblée des notables pour traiter quelques questions préliminaires sur l'organisation des États. L'Assemblée refuse le doublement du tiers état.

27 Novembre 1788

    Passant outre le refus de l'assemblée du 6 novembre, Louis XVI décide doublement du tiers état. Le tiers état aura autant de députés que les deux autres ensemble (noblesse et clergé).

5 Décembre 1788

Le Parlement accepte le principe du doublement de la représentation du Tiers-État.

12 Décembre 1788

La seconde Assemblée des notables est congédiée par le roi, sans avoir rien accompli.


1789

1er Janvier 1789

    La dette de la France se monte à 4 milliards et demi. Elle a triplé pendant les quinze du règne de Louis XVI. (Les dépenses pour la guerre américaine ont été évaluées à 2 milliards).

Les élections aux Etats généraux débutent pour s’achever en Mai.

    Les sujets du roi ayant le droit de voter doivent être inscrits au registre des contributions (3 à 4 millions de Français sont donc exclus). Ils doivent payer une somme d’impôts équivalente à 3 journées de travail. Les municipalités ayant liberté de fixer le plafond, celui-ci est 6 journées de travail à Paris.

Pour être éligible, il faut payer 10 journées de travail.

    En Provence, en Béarn, en Bourgogne, en Artois, en Franche-Comté, les ordres privilégiés soutenus par les parlements locaux profitent de la session des états pour se livrer à des manifestations violentes contre les exigences du Tiers Etat.

7 Janvier 1789

La noblesse de Bretagne se fait menaçante.

    Le comte de Thiard porte à l’assemblée de Bretagne un ordre du roi qui en suspend les opérations jusqu’au 5 février suivant : « afin de mettre messieurs du tiers en mesure de réclamer une modification à leur mandat impératif, si leurs commettans jugeaient à propos de l’accorder. Le troisième ordre quitta immédiatement la salle, aux applaudissemens du peuple, qui venait de s’introduire dans la tribune réservée au public ; il sortit le front serein et parfaitement assuré du sens des délibérations qu’on allait provoquer. La noblesse continua de siéger malgré l’invitation de quitter la salle qui lui fut adressée par le commandant, et le chevalier de Guer commit l’impardonnable faute de lui faire consacrer par un serment l’engagement de maintenir intégralement la constitution bretonne et de n’accepter, sous peine d’infamie, aucun mandat pour siéger au sein des états-généraux du royaume, s’il n’était délivré par les états de la province dans la forme traditionnelle. »

Source : Les Etats de Bretagne (page 179)

26 janvier 1789

    Les nobles excitent leurs valets et affidés. "des avis nombreux convoquèrent au champ Montmorin ce qu’on nommait alors les réclamans de la constitution noble. Plusieurs centaines de personnes s’y rassemblèrent, et les témoignages contemporains sont unanimes pour constater que la plus grande partie de l’assistance était formée par les porteurs de chaises et les domestiques des maisons nobles, qui avaient dépouillé leur livrée pour exercer avec une indépendance moins contestable leurs droits de citoyens"

    Ce qui risquait d'arriver arrive : " Sur la place du palais se trouvait un café, qui, dans ces jours agités, formait pour la bourgeoisie le centre habituel de ses réunions politiques. Une vingtaine d’étudians postés en curieux à la porte, ayant pris en présence de la manifestation une attitude peu sympathique, reçurent une volée de coups de poing et de coups de bâton, déplorables violences qui furent le prélude de scènes plus sanglantes. Ces jeunes gens étaient sans armes, mais ils ne tardèrent pas à s’en procurer, car deux heures après il n’existait plus un seul fusil de chasse chez les armuriers, et le dépôt des compagnies bourgeoises ne tardait pas à être forcé."

Source : Les Etats de Bretagne (Page 180)

    Par la suite, de toutes les villes de Bretagne, d’Angers, de Saint-Malo, de Nantes, des jeunes bourgeois accoururent pour défendre les étudiants rennais, qui étaient commandés par Moreau, le futur général. Les gentilshommes attaqués et poursuivis dans les rues, assiégés dans la salle des états, doivent quitter la ville et rentrer dans leurs manoirs. Ils jurent de dépit de ne pas se faire représenter aux états généraux.

Mallet du Pan


    Mallet du Pan écrit en janvier : « Le débat public a changé de face. Il ne s’agit plus que très secondairement du roi, du despotisme et de la Constitution ; c’est une guerre entre le tiers état et les deux autres ordres. » 



30 mars 1789

    A Besançon, le parlement ayant pris parti pour les privilégiés qui avaient voté une protestation virulente contre le règlement de Necker, la foule s’ameute et pille les maisons de plusieurs conseillers sans que la troupe n’intervienne pour les défendre. Son commandant, un noble libéral, le marquis de Langeron, déclara que l’armée était faite pour marcher contre les ennemis de l’état et non contre les citoyens.

Source : Révolution aristocratique en Franche Comté (page 268)


    La suite, vous la connaissez. La bourgeoisie n'avait plus qu'à s'emparer de ce pouvoir affaibli par tant d'années de conflit avec l'aristocratie.

    Cet article est imparfait et incomplet, mais l'idée était de vous donner un aperçu de "l'ambiance" avant 1789 ! 😉

    Ce sujet est également en partie abordé dans l'article concernant la préparation des Etats-Généraux en date du 1er Janvier 1789.

 



                                 





dimanche 16 août 2020

A propos de la terrible misère au 18ème siècle


Article mis à jour le 8 août 2023

"La pauvre famille"
Dessin (pinceau, encre et lavis)
de Jean-Baptiste Greuze (1763)

Prendre conscience de la misère.

    On ne peut vraiment comprendre la Révolution française que si l’on arrive à se faire une idée juste de la misère accablant les paysans du royaume de France au 18ème siècle ; paysans qui je vous le rappelle, représentaient plus de 80% de la population. La Révolution, comme nous l'avons vu, fut d'abord une initiative de la bourgeoisie, cette nouvelle classe sociale, riche et instruite, qui réclamait des droits politiques. Le peuple fut utilisé comme un instrument dans sa prise de pouvoir. Des armes lui furent distribuées, des émeutes furent provoquées. Une fois l'Assemblée nationale constituée, la majorité des députés pensaient la Révolution terminées et tous désiraient sincèrement, mais aussi naïvement, se réconcilier avec le roi. Mais c'était sans compter sans la misère du peuple. Lorsque la nouvelle de la prise de la Bastille se répandit dans le pays, nombre de miséreux voulurent eux-aussi mettre à bas leurs Bastilles. 

La misère était partout en France...

    Ne tombons pas en effet, dans le piège de croire que les paysans français vivaient aussi plaisamment que les gentils pâtres et bergères représentés sur les toiles de Jouy de la manufacture de Monsieur Oberkampf fondée en 1760, comme sur celle que vous pouvez admirer ci-dessous ! Ou comme dans le monde enchanté créé par Marie-Antoinette dans le petit Trianon à Versailles (où elle n'a cependant jamais joué à la fermière contrairement à ce que dit la légende). La réalité dans les campagnes était fort différente.

Scène champêtre idyllique sur une toile de Jouy
  
Comment décrire la misère ?

    Vous étonnerais-je si je vous dis que l'on ne trouve guère de représentations graphiques de la misère de cette époque ? La misère n’est pas un sujet artistique très prisé et c’est bien normal puisque, du moins à cette époque, les artistes se préoccupaient avant tout de représenter le beau et que la misère n'est guère jolie, pas vraiment esthétique.

    Je ne suis pas expert en histoire de l'art, aussi il m'a fallu un certain temps avant de trouver le dessin de Jean-Baptiste Greuze en tête de cet article. 

    Il existe quelques représentations plus connues, comme celle de Louis XVI distribuant l'aumône aux pauvres durant le terrible hiver 1788. Mais ce tableau a été réalisé au 19ème siècle, en 1817, durant la seconde restauration des Bourbons. Il s'agissait de redorer l'image de Louis XVI. C'est donc en quelque sorte une image de propagande...

Commandé en 1816 par Louis XVIII au peintre Louis Hersent,
pour la galerie de Diane au palais des Tuileries à Paris.
(Actuellement exposé à Versailles)


    La gravure ci-dessous, elle aussi, date du 19ème siècle. Elle figure en dernière page du numéro du 24 janvier 1891 (N°9) du Journal "L'illustration". Elle relate la mort de deux enfants de 9 et 11 ans retrouvés morts de froid dans leur petite charrette près du Bourg de Saint-Ouen-la-Rouërie, après qu'une fermière leur ait refusé l'asile pour une nuit. Bien qu'elle soit du 19ème siècle, elle donne une meilleure idée de ce que fut la misère au 18ème siècle. 


    Un lecteur de cet article, que je remercie vivement, m'a signalé les tableaux des frères Le Nain au 17ème siècle, où la misère des paysans est effectivement montrée. Mais il me semble que c'est plutôt la pauvreté qui est représentée, plutôt que la misère. J'espère qu'il ne m'en voudra pas d'apporter cette nuance. Mais la pauvreté peut être digne, voire belle, alors que la misère est la plupart du temps horrible à voir.

Lisez une très bonne analyse de ce tableau ici : https://histoire-image.org/de/etudes/monde-paysan-xviie-siecle
et ici : http://hbdd.fr/files/visites/Expo%20Le%20Nain.pdf

    On ne commence en effet à voir des images réalistes de la misère qu'au 19ème siècle, avec l'apparition de la photographie. Regardez les images de ses enfants travaillant dans des mines et des manufactures. De semblables enfants accablés de misère travaillaient déjà dans les ateliers au 18ème siècle. En 1790, la filature à vapeur du duc d’Orléans, créée par Foxlow à Orléans en 1787, employait 45 % d’enfants de 5 à 16 ans sur les 400 salariés y travaillaient.

Minerai humain
 
    L'économie libérale qui s'est répandue après l'échec de la Révolution n'a pas inventé la misère. Celle-ci existait déjà sous l'ancien régime. Elle en a juste fait une ressource de plus, les pauvres sont devenues une matière première à exploiter, du "minerai humain".

1890



Trouver des témoignages.

    Pour vous décrire cette France miséreuse du 18ème siècle, je devais donc vous donner à lire des témoignages de l'époque. J’aurais pu vous citer des extraits édifiants des voyages d’Arthur Young, ce sympathique agronome anglais qui sillonna la France en long en large et en travers de 1787 à 1792. Mais vous auriez pu dire que le tableau effarant qu’il dressait de la misère du pays tenait à son chauvinisme anglais.

    Vous trouverez les passionnants récits de ses voyages en France, en cliquant sur son portrait, ci-dessous :

Arthur Young

    Lisez également l'article que je lui ai consacré : "Les voyages en France d'Arthur Young, à lire absolument".

    J'ai continué de chercher. Puis j’ai repensé aux terribles témoignages du comte d’Argenson que j’avais lus dans un livre oublié, un ouvrage publié en 1906 par un dénommé Marius Roustan, un professeur, historien, journaliste, ministre puis sénateur sous la 3ème République. Ce livre s’intitule « Les philosophes et la société française au XVIIIe siècle »

Vous le trouverez en cliquant sur le portrait de ce sympathique écrivain oublié de la 3ème République :

Marius Roustan

    Dans son travail d'historien, Marius Roustan a collecté les témoignages de grands personnages du 18ème siècle, qui aussi nobles qu’ils aient été, n’en n’étaient pas moins des honnêtes hommes sensibles à la misère du peuple.

    Je vous ai choisi des passages extraits de l’édition de 1906 et j’y ai ajouté des variantes trouvées dans la réédition de 1970.

    Oui, je sais, ça fait beaucoup de lecture. Mais je ne doute pas un instant que vous serez étonnés par ce que vous découvrirez.

N'hésitez pas à cliquer sur les quelques images. Elles renvoient à des biographies et même à des livres téléchargeables !

Les Parisiens

Page 339 :

"Le général Thiébault, qui a vu Paris en 1784, après avoir exprimé son admiration enthousiaste pour les magnificences inouïes de la capitale, met à nu « la misère qui dévorait le peuple » de cette ville ; en face de ces « rues étroites et de ces réduits où il croupissait entassé et où jamais ne pénétrait un rayon de soleil », de ces « caves infectes où vivaient, le long des quais, cent mille de ces misérables, qui, dix fois l'an, étaient submergés par des pluies ou par les crues de la Seine, et souvent, de nuit, étaient forcés de porter leurs paillasses à la pluie ou dans la boue, pour ne pas être noyés », Thiébault s'explique ce fait que les femmes du peuple sont horribles, que le peuple est «hideux », « difforme », et se détruit rapidement, dès la quatrième génération « qui, lorsqu'elle se reproduit encore, ne le fait que par des culs-de-jatte (1) . » 

Qu'il y ait quelque exagération, cela est fort possible ; que le passé semble plus affreux aux yeux du général, lorsqu'il constate, après un demi-siècle environ, que les caves ne sont plus habitées, que les rues sont élargies, que l'air y circule, qu'on a établi des fontaines et des égouts, institué des abattoirs, de sorte que les ruisseaux de sang n'empoisonnent pas les rues, cela est probable. Mais de pareils témoignages nous permettent de considérer que, sauf exceptions (2), l'ouvrier des villes menait une existence lamentable.

(1) Mémoires du général Thiébault, I, 138, 139.
(2) En Normandie, Hainaut, Alsace, Lorraine, Languedoc, surtout, selon le général Thiébault (Mémoires, I, 139).

Les paysans

Page 340 :

"Avant de parler du paysan au XVIIIe siècle, je répéterai avec beaucoup plus d'à-propos ce que j'avançais déjà pour l'ouvrier. Je crains que, sous prétexte d'éviter la déclamation ou l'exagération de certains historiens, on tende à s'éloigner de la vérité historique. On nous demande, il est vrai, d'établir une distinction. De 1690 à 1750 on est bien forcé de reconnaître que le travailleur des champs a été plus misérable qu'à aucune autre époque de notre histoire. 

Jean de la Bruyère
    Le tableau vigoureux que nous a laissé la Bruyère est même au-dessous de la vérité. Vauban est là pour faire évanouir les scrupules de ceux qui hésiteraient à parler comme les détracteurs les plus passionnés de l'ancien régime.

La correspondance des contrôleurs généraux de 1683 à 1698 nous apporte à son tour une vérification qui nous enlève le moindre doute.

 Au milieu du siècle les témoignages irréfutables abondent. Massillon écrit à Fleury une lettre où il dépeint : « ce peuple de nos campagnes qui vit dans une misère affreuse, sans lits, sans meubles »et après un exposé douloureux de ces abominables souffrances, il compare le sort des nègres de nos colonies à celui des cultivateurs de notre France, et il conclut que les plus infortunés, ce sont ces derniers.


Mme Roland dira plus tard que les paysans français sont 
« misérables cent fois plus que les Caraïbes, les Groenlandais ou les Esquimaux. » 


    En 1739, d'Argenson nous fait voir : « en pleine paix, avec les apparences d'une récolte, sinon abondante, du moins passable, les hommes mourants, dru comme mouches, de pauvreté et broutant l'herbe... Le duc d'Orléans, ajoute-t-il, porta dernièrement au Conseil un morceau de pain de fougères que nous lui avions procuré. A l'ouverture de la séance, il le posa sur la table du roi disant : Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent ! » C’était du « pain sans farine ». 

    En temps normal, le pain noir du paysan n’est pas meilleur que celui de l’ouvrier, et il est plus dur ; à la ville, on chauffe le four au moins une fois par mois : à la campagne, on le chauffe parfois beaucoup moins souvent : le montagnard du Dauphiné fait au mois d’octobre du pain pour tout son hiver ; on nous dit qu’il était obligé d’entamer son pain à coups de hache. 

    D’Argenson raconte qu’un dimanche, le roi allant à Choisy par Issy pour y visiter le cardinal, le peuple s'amasse dans le faubourg Saint-Victor et crie non plus : Vive le roi ! mais : « Misère ! famine ! du pain ! « Les mêmes sanglots sont entendus dans les villages : « Il est positif, remarque d'Argenson, qu'il est mort plus de Français de misère depuis deux ans que n'en ont tué toutes les guerres depuis Louis XIV. » La détresse croît durant les années suivantes. En 1760, les victimes tombent de plus belle ; on affirme à d'Argenson, alors en Touraine, que : "la diminution des habitants va à plus d'un tiers." "Je n'y vois qu'une misère effroyable, déclare-t-il ; ce n'est plus le sentiment triste de la misère, c'est le désespoir qui possède les pauvres habitants : ils ne souhaitent que la mort et évitent de peupler." Quand, dans la paroisse où se trouve le marquis, on excite garçons et filles à se marier, "ils répondent tous la même chose, que ce n'est pas la peine de faire des malheureux comme eux". 
En vain d'Argenson leur promet de les assister ; il constate toujours le même raisonnement "comme si tous s'étaient donné le mot". Les désertions se multiplient, les émeutes sont fréquentes, et les répressions sont inutiles ; la faim est plus forte que tout.

    Cela est juste, nous dit-on ; mais après 1750, le prix de toutes les denrées augmente, sous l'influence d'une production considérable des mines d'argent du Mexique, et même de 1700 à la fin du XVIIIe siècle la valeur des propriétés a doublé. J'ignore à quel raisonnement économique on est conduit par cette constatation, mais il me semble que rien ne prévaudra contre le réquisitoire accablant dressé par Taine dans le cinquième Livre des Origines de la France Contemporaine (l'Ancien Régime) : réquisitoire composé avec des fragments de pièces authentiques, correspondances administratives des trente dernières années qui précèdent la Révolution, procès-verbaux des Assemblées provinciales, extraits des Archives nationales, lettres des intendants, comptes officiels, mémoires, journaux et correspondances des contemporains. J'y renverrai le lecteur.

Nota : Je vous conseille de lire ce chapitre du livre d'Hippolyte Taine traitant de la misère sous Louis XIV, Louis XV et Louis XXI. C'est terrible.

    Mais, puisqu'on nous propose cette date de 1750 comme point de division, il nous suffira de rappeler que les séditions et les émeutes pour le pain sont loin de diminuer dans la deuxième moitié du siècle. Dans la Normandie seulement, les séditions de 1752, 1764, 1765, 1766, 1767, 1768 sont restées célèbres ; le pays tout entier est désolé par ces révoltes, souvent sanglantes, et il n'est pas d'année qui ne soit marquée par plusieurs émeutes dans les provinces, en même temps qu'à Paris. 

    Qu'importait pour le pauvre de la campagne une amélioration dans la situation du gros propriétaire, et même du moyen propriétaire ? Déjà en 1739, on essayait de calmer de légitimes impatiences en disant que la saison était belle, et que la récolte promettait beaucoup : « Je demande, répliquait d'Argenson, ce que la récolte donnera aux pauvres. Les blés sont-ils à eux ? La récolte appartient aux riches fermiers qui, eux-mêmes, dès qu'ils recueillent, sont accablés de leurs maîtres, de leurs créanciers, des receveurs de deniers royaux, qui n'ont suspendu leurs poursuites que pour les reprendre avec plus de dureté. »

    Même quand le pain n'est pas en hausse, la journée étant de 19 sous en moyenne (chiffre approximatif), comment le travailleur peut-il se nourrir décemment ? Le pain de froment vaut, dans le temps normal, 3 à 4 sous la livre, et, suivant le calcul de Taine, le travail annuel de l'ouvrier rural pouvait lui procurer 959 litres de blé au lieu de 1851 comme aujourd'hui ; son bien-être se serait accru depuis, de 93 pour 100, celui d'un maître valet de 70 pour 100, celui d'un seigneur de 125 pour 100. 

    Ces chiffres nous donnent une idée du malaise de cette époque. Aussi la plupart des paysans ne mangent-ils que du maïs, de la mixture, de l'avoine, du sarrasin, des châtaignes (la pomme de terre est à peine connue). Ne parlons pas de viande de boucherie. La maison du paysan est un taudis en pisé, sans fenêtre, avec pour plancher la terre battue ; c'est là qu'ils se réfugient, « faibles, exténués, de petite stature, » ces campagnards du bon vieux temps, déguenillés, vêtus souvent de haillons de toile au gros de l'hiver, n'ayant parfois ni bas, ni souliers ou sabots, portant ailleurs des sandales, souliers de cordes ou courroies.

Variante du texte précédent dans la réédition Slatkine reprints, Genève 1970 :

Même quand le pain n'est pas en hausse, comment le travailleur peut-il se nourrir décemment ? Au temps de Louis XI, le salaire d’un journalier des champs était de 3 fr 60 par jour et celui d’une journalière de 2 fr 30 sans nourriture ; au temps de Colbert, il est pour le journalier de 1 fr 60 ; s’il remonte un instant sous le ministère de Fleury, il redescend de nouveau et devient de 1 fr 64, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il y a des journaliers qui gagnent avec la nourriture 63 centimes, d’autres 51, des journalières qui gagnent 28 centimes. Trop heureux encore sont ceux qui trouvent de la besogne ! Les chômages sont réguliers dans la morte saison, et très fréquent le reste de l’année. De plus, le paysan du moyen âge avait dans les « droits d’usage et de vaine pâture » des ressources précieuses qui lui permettaient d’échapper à la misère ; à mesure que la propriété collective rurale disparait, ces droits sont abolis et la détresse devient de plus en plus grande. Aussi peut-on s’imaginer quel est l’ordinaire du paysan du XVIIe siècle. Pas de viande ; depuis le moyen âge la viande a régulièrement renchéri, et c’est fête exceptionnelle que celle où l’on peut « manger chaire ». Pas de vin : « Sur 1000 habitants de mon village, déclare un curé de Picardie, je suis convaincu que 950 n’ont jamais bu de vin. » La pomme de terre ne se répand comme aliment pour l’homme qu’à la fin du siècle. Restent les pois, fèves, haricots, lentilles ; les légumes sont plus chers que de nos jours, le beurre et le lait aussi, le sel atteint des prix exorbitants. Quant à la maison du paysan, c’est un taudis en pisé, sans fenêtre, avec pour plancher de la terre battue ; c’est là qu’ils se réfugient, « faibles, exténués, de petite stature », ces campagnards du bon vieux temps, déguenillés, vêtus souvent de haillons de toile au gros de l’hiver, n’ayant parfois ni bas ni souliers ou sabots, portant ailleurs des sandales, souliers de cordes ou courroies.

    Ne nous fions pas à ces tableaux idylliques, peints par des gens intéressés à faire croire que tout est bien, ou décidés d'avance à nous représenter des pastels dignes de Virgile ou de Florian.

    Que de peintures, devons-nous dire : naïves ? de réjouissances populaires, de bourrées au son de la musette, de danses aux accords des hautbois, de rondes aux accords des violons ! 

    « Le Français, écrit l'auteur de l’Anti-Financier, se livre à la joie dans le sein de la misère. » (Il s'agit de Darigrand dont le livre fut condamné à être brûlé) 

    C'est entendu, mais le misérable qui a festoyé de nos jours lors de la fête nationale, se réveille le lendemain plus misérable encore : il a dépensé les quatre sous qui lui restaient pour acheter du pain, et il a mal à la tête. 

    A ces peintures arcadiennes opposez le tableau réaliste de la fête votive du Mont-Dore que nous présentent les Mémoires de Mirabeau :

« Les sauvages descendant en torrent de la montagne, le curé avec étole et surplis, la justice en perruque, la maréchaussée, le sabre à la main, gardant la place avant de permettre aux musettes de commencer la danse interrompue un quart d'heure après par la bataille, les cris et les sifflements des enfants, des débiles et autres assistants, les agaçant comme fait la canaille quand les chiens se battent, des hommes affreux, ou plutôt des bêtes fauves, couverts de sayons de grosse laine, avec de larges ceintures de cuir piquées de clous de cuivre, d'une taille gigantesque rehaussée par de hauts sabots, s'élevant encore pour regarder le combat, trépignant avec progression, se frottant les flancs avec les coudes, la figure hâve et couverte de leurs longs cheveux gras, le haut du visage pâlissant et le bas se déchirant pour ébaucher un rire cruel et une sorte d'impatience féroce... »

    Oh ! comme nous sommes loin du pâtre de Sicile qui chante Bombyca, la délicate enfant, blonde comme le miel, et du berger des rives du Mincio qui apprend aux forêts à redire le nom de la gracieuse Amaryllis ! Comme nous sommes près des animaux farouches, mâles et femelles, répandus par la campagne, dans les dernières années du XVIIe siècle, comme nous sommes dans la vivante et saisissante réalité !

    Je le sais, il y a plus d'un témoignage qui nous présente la France du XVIIIe siècle comme un pays de cocagne. Déjà en 1658, Melle de Montpensier nous affirmait que les paysans de la Dombe mangeaient de la viande quatre fois par jour. Ils avaient beau ne pas payer la taille, je ne me résous pas à croire les Mémoires sur parole. 

    En 1728, un écrivain nous dit : « On ne saurait croire combien les paysans sont heureux maintenant... qu'un chacun mange en repos sans crainte d'être maltraité de personne. » Ne pas craindre son voisin est, en effet, une condition pour bien digérer, mais encore faut-il avoir de quoi manger ! 

    Lady Montague déclare en 1739 : « Les villages sont peuplés de paysans forts et joufflus, vêtus de bons habits et de linge propre. On ne peut imaginer quel air d'abondance et de contentement est répandu dans tout le royaume ». En 1739 ! Lady Montague n'a pas de chance ! C'est précisément l'année où d'Argenson nous a exposé d'un bout à l'autre les misères de notre pays, peut-être plus terribles que durant le reste du siècle. 

    Walpole écrit en 1765, à propos d'un voyage dans l'Artois : « Les moindres villages ont un air de prospérité et les sabots ont disparu ». Il s'agit de savoir s'ils avaient été remplacés. Quand serons-nous moins crédules pour les impressions de voyage ? D'une façon plus générale, n'avons-nous pas le droit, en présence des documents de premier ordre que nous possédons, de refuser toute confiance à ceux qui s'évertuent à nous prouver que le paysan pouvait louer Dieu de toutes choses ? Quand tout le monde, même à la Cour, est ému, en 1730, de l'état des campagnes, pensez- vous qu'il n'y ait pas des gens pour trouver que tout ne va pas si mal ?

    « Cependant, écrit d'Argenson, M. Orry vante l'aisance où se trouve le royaume, la régularité des paiements, l'abondance de l'argent dans Paris, et qui assure, selon lui, le crédit royal. » Six ans plus tard, lorsque d'Argenson est apitoyé sur les pauvres gens qu'il voit « périr de misère » dans sa paroisse, il entend de ses propres oreilles « un élu qui est venu dans le village où est sa maison de campagne, et qui dit que cette paroisse devait être fort augmentée à la taille de cette année, qu'il y avait remarqué les paysans plus gras qu'ailleurs, qu'il avait vu sur le pas des portes des plumages de volaille, qu'on y faisait donc bonne chère, qu'on y était bien... ».

    On va dire que le paysan trompait son seigneur et le collecteur d'impôts, et qu'il s'évertuait à paraître plus dénué de tout qu'il ne l'était réellement. Mais d'Argenson n'avait pas été dupé lorsqu’il avait assisté à l'arrivée des huissiers et des collecteurs, suivis de serruriers, « ouvrant les portes, enlevant les meubles et vendant tout pour le quart de ce qu'il vaut », au départ des journaliers pour la corvée, à l'écroulement des maisons qu'on ne relève pas, à l'exode des manouvriers vers les petites villes ; il avait bien vu, de ses propres yeux vus, ces trente garçons et filles qui refusaient absolument de se marier, etc.... Méfiez-vous, dit-on encore, des cahiers des Etats généraux ! On avait demandé aux paysans de rédiger des doléances, ils rédigeaient des doléances ; ils cherchaient par tous les moyens à se rendre intéressants. D'abord, il y a dans un certain nombre de cahiers des plaintes si déchirantes que leur sincérité ne fait aucun doute, et puis nous avons encore une fois des vérifications faciles. Il semble même qu'à cette époque certains intendants devinent que leurs rapports seront taxés d'exagération. L'intendant d'Orléans expose qu’« en Sologne de pauvres veuves ont brûlé leurs bois de lit, d'autres leurs arbres de fruitiers » pour se préserver du froid, et il ajoute : « Rien n'est exagéré dans ce tableau, le cri du besoin ne peut se rendre, il faut voir de près la misère des campagnes pour s'en faire une idée. »

    Rien n’est exagéré, ce sont les intendants qui l'affirment, et si l'on veut que nous n'adoptions pas sans contrôle les rapports des intendants, je le veux aussi, et, quand j'ai contrôlé leurs affirmations, je suis bien forcé d'ajouter foi aux faits qu'ils consignent, si invraisemblables qu'ils soient au premier abord.

    Je ne suis pas non plus d'avis que la classe rurale était moins malheureuse au XVIIIe siècle qu'autrefois, parce que le nombre des petits propriétaires avait augmenté. Nous sommes revenus aujourd'hui des espérances illusoires que nos pères avaient placées dans le développement de la petite propriété paysanne. Le cultivateur qui a un lopin de terre trop petit pour vivre et qui doit travailler les champs des voisins, est-il vraiment plus fortuné que l'ouvrier ? Il a, en plus, des soucis et des dettes ; c'est le plus clair de ses avantages. Ajoutons que, pour qu'un champ devienne fertile, il faut avancer bien de l'argent ; cela sera d'autant plus vrai à mesure que l'agriculture sera forcée de s'organiser suivant le mode industriel. 

    Surtout, n'oublions pas qu'une des causes principales de la misère pour le paysan de l'ancienne France, c'est la multitude des impôts énormes, iniques, de toute nature, qui pèsent sur ses seules épaules. Or, le manouvrier peut encore ruser avec le fisc ; celui qui a des biens au soleil n'échappe pas aux exigences multiples des collecteurs. Un paysan arrive à dissimuler des vivres, comme celui dont nous parle Rousseau ; le sol qu'il travaille et qu'il arrose de ses sueurs ne saurait être soustrait aux charges. Taine calcule que la taille et la capitation passent de 66 millions en 1716, à 93 en 1759, à 110 en 1789, et que l'impôt passe de 283.156.000 livres en 1707, à 476.294.000 en 1789. Le petit propriétaire paie pour la plus grande partie la différence. Il lui eût mieux valu se donner moins de tracas, moins de peine pour arriver au même résultat : c'est-à-dire pour manquer de pain.

    La preuve indiscutable de la misère qui désole également la ville et la campagne, c'est l'accroissement formidable des mendiants. Certes, la mendicité est une des plaies constantes de l'ancien régime ; profession légalement reconnue au moyen âge, l'état de mendiant est un état comme un autre ; mais, à partir de la fin du XVIIe siècle, le corps social étant plus malade, ces parasites se développent et pullulent à qui mieux mieux. 

    En 1739, d'Argenson nous raconte qu'ils sont des milliers : "Un conseiller, qui vient de faire un séjour de deux mois dans le Perche, où sont situées ses terres, m'a dit n'y avoir vu qu'un tas de coquins qui ne veulent point travailler et que l'on perd en leur faisant l'aumône. Il a persuadé tout de bon au ministère, que c'est une habitude de paresse qui corrompt les mœurs des provinces. C'est ainsi que j'ai entendu accuser de pauvres enfants sur lesquels opérait un chirurgien, d'avoir la mauvaise habitude d'être criards."

    D'Argenson, du moins, ne se fait aucune illusion sur l'efficacité des mesures si nombreuses prises au XVIIIe siècle contre la mendicité. Malgré les édits les plus sévères, les rafles répétées, malgré les efforts de la charité officielle et privée, la quantité de mendiants valides devient de plus en plus considérable. Le mal est trop profond pour être même allégé par des moyens empiriques. La société a besoin d'un sang nouveau ; l'ancien est trop vicié pour que ces dartres disparaissent. 

Page 347.

    A Paris, le recensement de 1791 comptera 118.784 indigents sur 65o.ooo habitants ; à Lyon, où les institutions de bienfaisance ont toujours eu une floraison si remarquable, 3o.ooo ouvriers attendent leur subsistance de la charité publique, en 1787 ; sur 900 paroissiens à Saint-Malo, 225 sont des miséreux

    Mercier qui nous peint le peuple "mou, pâle, petit, rabougri", a vu les vagabonds, à la porte des couvents, présentant chacun leur écuelle au moine qui porte la soupe, et se jetant sur cette pitance comme des chiens affamés ; véritables chiens de ruisseau en effet, que les voitures écrasent, que les soldats du guet, les "tristes à patte", dispersent à coups de pied et à coups de poing-, et qui s'éloignent en hurlant pour se réunir au coin de la rue voisine. Il y a de tout dans ces fainéants dangereux, des repris de justice de toute marque et de tout calibre, prêts à se transformer en assassins et en émeutiers. 

    A la campagne, ils sont plus dangereux encore : là, les chiens deviennent loups. Contrebandiers à leurs heures ou faux-sauniers, ils tuent, pillent, rançonnent. La maréchaussée, avec ses 3756 hommes, est toujours sur les dents. Ils renouvellent les exploits des voleurs du moyen âge, et torturent leurs victimes pour leur faire avouer où elles ont caché leurs écus. Ils lèvent de nouveaux impôts sur le fermier, et se présentent après le collecteur pour s'emparer du morceau de pain qui peut rester. On en prend jusqu'à 5o.ooo en une fois (1767), et, quand il y a de la place dans les dépôts ou les maisons de force, on les y engloutit par centaines, quelquefois pêle-mêle avec de pauvres diables qui n'ont aucun droit à cet honneur. Mais le logement ne suffit pas ; il faut de l'argent pour nourrir cette engeance ; ils coûtent au roi cinq sous par tête et par jour, de quoi renouveler leur paille, leur eau, leur pain et leur graisse salée. L'opération achevée, c'est comme si on n'avait rien fait. La diminution du nombre des bandits n'est pas sensible. On lit dans la correspondance de Voltaire :

    « La mendicité vient d'être défendue en France ; les maréchaussées ont des ordres sévères à cet égard ; cependant je vois une foule de mendiants sous mes yeux mettre impunément à contribution les villes et les campagnes, et faire parade de leur oisiveté comme d'une vertu. Est-ce pour les favoriser qu'on enlève les véritables pauvres ? »

    Les mêmes plaintes sont sans cesse répétées. On finit par ne plus prendre au sérieux ni les édits ni les mesures qui les suivent, et, après l'expulsion des mendiants qui a lieu en 1764, un Monsieur Nogaret écrit une « Lettre d'un mendiant au Public », une plaisanterie qui a du succès. Le Parlement de Bretagne se plaindra que « les villes soient tellement peuplées de mendiants qu'il semble que tous les projets formés pour bannir la mendicité n'ont fait que l'accroître ». Tous ceux qu'on relâche, après leur avoir fait promettre de travailler, recommencent leur vie de fainéant. Le « mendiant de race », suivant le mot de Mercier, ne veut pas faire autre chose.

    Le voudrait-il que l'état de la société ne lui permettrait pas de se réhabiliter. La vérité est dans cette phrase des procès-verbaux d'une Assemblée provinciale '' : « Excessive en elle-même, la misère des campagnes l'est encore dans les désastres qu'elle entraîne ; il ne faut point chercher ailleurs la source effrayante de la mendicité et de tous les vices. » Dans ce beau pays d'Artois, où Walpole a admiré le spectacle de la félicité publique, « sur 130 maisons, 60 sont sur la table des pauvres » ; là où la moitié des habitants implorent la charité pour vivre, quel système pourrait venir à bout des mendiants de profession ? 

    Arrivent les bourrasques populaires, et ces meurt-de-faim précéderont les ouvriers et les paysans ; habitués aux rencontres avec les soldats du guet et la maréchaussée, moins soucieux d'une existence qu'ils ont exposée si souvent, les chiens et les loups se précipiteront sans quartier, sans merci, seront massacreurs ou massacrés. La faute en est à l'ancien régime : « Toutes les institutions, écrit Taine, semblent d'accord pour multiplier ou tolérer les fauteurs de désordre, et pour préparer, hors de l'enceinte sociale, les hommes d'exécution qui viendront la forcer. »

Marius Roustand


Mesures prises pour lutter contre la misère.

L'enfermement des pauvres !

    Une politique de l'enfermement des pauvres avait commencé en France au 16ème siècle lorsque François 1er avait décidé d'enfermer les pauvres "marauds, vagabonds, incorrigibles, belistres, ruffians, caymans et caymandeuses" dans de petites maisons.

    Sous le règne de Louis XIV, la Fronde ayant engendré une crise économique grave et un développement de la pauvreté, le 27 avril 1656, le pouvoir royal avait créé l'Hôpital général, qui avait pour objectif de rassembler les vieillards, les enfants orphelins et les malades et de mettre au travail les mendiants afin de « sauver leurs âmes ». Il fut presque immédiatement considéré comme une maison de correction et bientôt une « force », c'est-à-dire une prison dans laquelle on enferma également les femmes condamnées qui ne pouvaient être envoyées aux galères. Partout en France, commença une politique d'enfermement des mendiants, vagabonds et prostituées qui furent alors internés dans des asiles publics placés sous le contrôle de l'Hôpital général.

    En août 1670, une ordonnance criminelle avait énuméré quelques pénalités de l'ancien droit : amendes, blâme, châtiments corporels (essentiellement le fouet), bannissement, galères et mort. La prison demeurait un lieu de sûreté (pour qui ?), sans être une peine. De même, dans toute l'Europe, des institutions d'enfermement et de mise au travail des pauvres se multiplièrent.

    C'est ainsi qu'à Paris, les établissements de la Salpêtrière, la Pitié et Bicêtre, eurent à charge d'accueillir selon les termes mêmes de l'Édit de 1656 les pauvres « de tous sexes, lieux et âges, de quelques qualité et naissance, et en quelque état qu'ils puissent être, valides ou invalides, malades ou convalescents, curables ou incurables ».

Hôpital de la Salpêtrière

Ne nous méprenons pas sur le sens du mot hôpital

    Bien que l'Hôpital général comptât dès sa création un médecin, un chirurgien et un apothicaire, il n'était absolument pas un établissement médical. Il comprenait bien sûr, comme plus tard l'Hôtel des Invalides, un service de santé minimal pour ses « pensionnaires ». Il semblerait même qu'une infirmerie ait été construite en 1658.

    L’objectif de l’hôpital était avant tout de « regrouper » les miséreux, aucunement de les assister (sinon en les en leurs offrant charitablement les saints sacrements lors de leur mort.) Malgré tout, les malades « sérieux » devaient être envoyés à l'Hôtel-Dieu, dont la destination proprement médicale s'affirma progressivement à partir de 1656.


Au 18ème siècle, les pauvres deviennent des fainéants délinquants.

    Ce 8 août 2023, je me rends compte que ce paragraphe mérite de devenir un article à lui seul. Celui-ci est déjà si long ! Je traiterai donc ce thème lors d'un prochain article.

En attendant, vous pouvez lire les articles suivants :


Un rouage ignoré.

    Peut-être commencez-vous de mieux comprendre la fonction de ce rouage trop ignoré, que fut la misère, au sein de la machine infernale révolutionnaire ?

    En renversant l'ancien régime dans le but louable d'améliorer la société, les aimables nobles et bons bourgeois, ces "honnêtes hommes" éclairés par l'esprit des Lumières, ouvrirent les portes de l'arène à cette population de "meurt-de-faim". 

    Dans un premier temps, comme nous l'avons vu, ils utiliseront - manipuleront ces désespérés pour créer un désordre qu'ils espéreront momentané, le temps de renverser l'ancien monde. Mais très vite, ils en perdront le contrôle. Ce peuple délivré de ses chaînes, demandera vengeance et pour cela il lui faudra toujours plus de têtes, toujours plus de sang.     Nous le verrons d'ailleurs par la suite, les "grands hommes de la Révolution", contrairement à l'image qu'on nous en donne habituellement, tenteront bien souvent de canaliser ce raz de marée de violence. 

    C’est ce que tentera de faire Danton, lorsqu’à son instigation la Convention instituera un Tribunal criminel extraordinaire, plus tard appelé Tribunal révolutionnaire. Le but de cette cour de justice sera de lutter contre « toute entreprise contre-révolutionnaire, tout attentat contre la liberté, tout complot royaliste ». Mais en faisant allusion à la période de troubles et de massacres que vivait alors la France, Danton déclarera : « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être »Le 1er septembre 1793, Danton dira même : "Le tribunal révolutionnaire ne travaille pas assez, il n'y a pas assez de têtes qui tombent, JE DEMANDE UNE TÊTE PAR JOUR !"  Nous aborderons cette période terrible plus tard.

    En attendant, vous pouvez lire mon article qui traite précisément de la Violence sous la Révolution :"A propos de la violence de la tempête révolutionnaire".


Un mot sur la Révolution industrielle...

    Je vous conseille également de lire mon article évoquant l'achat par le Duc d'Orléans des droits sur leurs machines à tisser, dans lequel je traite de la Révolution industrielle. Le capitalisme, moteur de la révolution industrielle, n'a pas créé la misère, il a choisi de la considérer comme une ressource et de l'exploiter, comme toutes les autres ressources naturelles. Cela dit sans jugement de valeur, car l'humanité fonctionne ainsi. Cliquez sur l'image ci-dessous :


Merci de m'avoir lu.

Bertrand Tièche


Post Scriptum :
Les mémoires du Marquis René Louis de Paulmy d'Argenson sont consultables, via la fenêtre ci-dessous, sur le site de la BNF.


Google propose également nombre de ses volumes :