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jeudi 22 octobre 2020

22 Octobre 1789 : « Les machines de travail » sont interdites de vote (Il n'y aura pas de suffrage universel).


L'urne et le fusil (1848)
    Ce 22 octobre 1789, les députés débattent sur le projet électoral, plus particulièrement sur l'éligibilité aux assemblées municipales. La possibilité du suffrage universel est écartée. Seuls auront droit de voter les citoyens actifs payant une contribution directe minimum. Les « machines de travail » (1), comme les appelle l’abbé Sieyes, ne seront pas électeurs.
(1) Dire de l’Abbé Sieyès sur la question du Veto royal à la séance du 7 septembre 1789

Le fusil et/ou le vote...

    La gravure ci-contre est anachronique puisqu'elle fait référence aux élections de 1848, mais je la trouve très évocatrice. Sa légende dit : « Ça c’est pour l’ennemi du dehors, pour le dedans, voici comme l’on combat loyalement les adversaires… » (le fusil et le vote). Le suffrage censitaire fera que longtemps encore, le peuple ne disposera que de la violence pour faire valoir ses droits, hélas.


Le débat des députés de 1789

Abbé Grégoire

    Les seuls à s’opposer à ce projet seront (bien sûr), L’abbé Grégoire, Duport et (évidemment) Robespierre. Il faudra attendre la Convention montagnarde de Robespierre et la Constitution républicaine de juin 1793, pour que le suffrage universel soit instauré. En attendant, le peuple continuera de ne disposer que des émeutes, que l’on n’appelle pas encore des manifestations, pour pouvoir s’exprimer, et ce, dans les limites répressives de loi martiale promulguée ce jour même.

    Le résultat de cette discrimination par l'argent, fera que lors des élections de 1791, on comptera 4.298.360 citoyens actifs autorisés à voter, contre environ 3.000.000 de citoyens passifs, interdits de vote. Rappelons également l'absence des femmes, qui sous l’ancien régime votaient également dans les Assemblées populaires, ne pourront plus voter du tout. J'en reparle plus bas).

    Je vous engage à lire l’extrait ci-dessous, qui rapporte la discussion entre les députés de l’Assemblée. Une fois de plus on discerne la faille qui ne cessera de grandir, entre les monarchistes pour lesquelles seule la propriété définie le citoyen ; et les futurs républicains pour lesquels, comme la formule si joliment l’abbé Grégoire : "il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un cœur français" pour avoir le droit de voter.

Urne de vote datant de 1600, en Italie

Réfléchissons un peu

    Ce sujet donne effectivement à réfléchir. On peut éventuellement comprendre cette peur du peuple qui sommeille chez la plupart des députés. Le peuple était pour beaucoup d’entre eux un concept vague, voire une ressource ou une force de travail ; indispensable pour produire, mais inapte à la réflexion. Peut-être, en souvenir de la première tentative de démocratie athénienne, craignent-ils également le populisme et la démagogie, de certains politiciens qui sauraient habilement manipuler le peuple ? Il y en aura, bien sûr. Mais normalement, dans une société juste, où le peuple est satisfait, les démagogues ne font guère long feu.       L’expression « aristocratie des riches » apparait plusieurs fois lors des échanges, dans la bouche des opposants bien sûr ; et c’est bien une sorte de ploutocratie effectivement qui naîtra de cette première révolution française. 

   A noter que cette peur du peuple redouble lorsqu’il s’agit de la partie féminine dudit peuple ! Cette prudence à l'égard des femmes, perdurera même en période républicaine. La principale raison de cette mise à l’écart, évoquée dans de nombreux ouvrages, est que les femmes restèrent très longtemps sous l’emprise de l’Eglise, et que durant très longtemps, l’Eglise fut une ennemie avouée de la République. Le curé se faisait le truchement des condamnations du Pape et menaçait les malheureuses de la damnation éternelle si elles devenaient républicaines. Cette emprise dura fort longtemps. Je me souviens encore de l’époque où le dimanche matin dans certains villages, les hommes allaient au café discuter politique, tandis que les femmes allaient à la messe.


Mais revenons à nos députés de 1789 et lisons cet échange passionnant :

Discussion sur l'éligibilité aux assemblées municipales, lors de la séance du 22 octobre 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5218_t1_0478_0000_8

"La deuxième qualité proposée par le comité est d'être âgé de vingt-cinq ans accomplis.

M. Le Chapelier. Les circonstances présentes, les réformes qui seront faites dans l'éducation publique, peuvent faire espérer que bien avant l'âge de vingt-cinq ans les hommes seront capables de remplir des fonctions publiques, et je pense que la majorité devrait être fixée à vingt et un ans.

M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. La majorité diffère dans plusieurs provinces ; il faut que le droit d'éligibilité soit uniforme. Une loi ne doit jamais varier par des circonstances accidentelles. On doit donc déterminer l'âge de majorité, et je pense qu'il peut être fixé à vingt-cinq ans.

L'Assemblée décrète la seconde qualité d'éligibilité comme il suit :

«Être âgé de vingt-cinq ans. »

On passe à la troisième qualité :

«Être domicilié dans le canton, au moins depuis un an. »

M. Lanjuinais. Le mot domicilié est trop indéterminé ; il y a domicile de droit et domicile de fait ; il faut laisser l'alternative* et rédiger ainsi l'article, à moins d'être domicilié de fait ou de droit, et compris au rôle d'impositions personnelles dans le canton.

M. le duc de Mortemart. Il faut laisser la liberté du choix, et mettre simplement : d'avoir un domicile.

M. Dubois de Crancé. Il est important de rendre aux habitants des campagnes tous leurs droits, ou bien vous détruirez l'édifice qui vous a coûté tant de peines. Arrêtez donc qu'il faut avoir dans les campagnes un domicile de fait, au moins depuis un an pour y exercer les droits de citoyen actif.

M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, J'applaudis à ces réflexions ; mais je crois qu'il est nécessaire de maintenir entre les villes et les campagnes une certaine fraternité. Les campagnes alimentent les villes. ; les villes portent le numéraire dans les campagnes. Je propose en conséquence de rédiger ainsi l'article :

«Avoir déposé au registre de la municipalité, depuis un an, sa déclaration, qu'on est domicilié daus le canton, et y habiter au moins pendant quatre mois chaque année. »

M. Popuius expose à l'appui de la nécessité du domicile, que l'attachement au local et la connaissance du local sont indispensables pour exercer des droits dans le canton.

M. Malès. J'ajoute que le contraire ne pourrait que favoriser trois espèces d'hommes peu dignes de faveur : les courtisans, les agioteurs et les financiers.

M. Biauzat propose de retrancher le mot canton, et d'y substituer un terme générique.

Plusieurs amendements sont encore proposés.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur les amendements, et décrète la condition d'éligibilité en ces termes :

« La troisième qualité requise pour être éligible consiste à être domicilié de fait dans l'arrondissement des assemblées primaires, au moins depuis un an. »

Quatrième qualité d'éligibilité :« Payer une imposition directe de la valeur locale de trois journées de travail. »

M. l'abbé Grégoire attaque cet article ; il redoute l'aristocratie des riches, fait valoir les droits des pauvres, et pense que pour être électeur ou éligible dans une assemblée primaire, il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un cœur français.

Adrien Duport

M. Duport. Voici une des plus importantes questions que vous ayez à décider. Il faut savoir à qui vous accorderez, à qui vous refuserez la qualité de citoyen.

Cet article compte pour quelque chose la fortune qui n'est rien dans l'ordre de la nature. Il est contraire à la déclaration des droits. Vous exigez une imposition personnelle, mais ces sortes d'impositions existeront elles toujours ? Mais ne viendra-il pas un temps où les biens seuls seront imposés ? Une législature, ou une combinaison économique pourrait donc changer les conditions que vous aurez exigées.

M. Biauzat. Vous déterminez à la valeur d'un marc d'argent la quotité de l'imposition pour être député à l'Assemblée nationale. Pourquoi ne pas suivre le même mode pour les autres assemblées ? Indiquez donc pour les assemblées primaires une contribution équivalente à une ou deux onces d'argent.

Maximilien Robespierre

M. Robespierre. Tous les citoyens, quels qu'ils soient, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation. Rien n'est plus conforme à votre déclaration des droits, devant laquelle tout privilège, toute distinction, toute exception doivent disparaître. La Constitution établit que la souveraineté réside dans le peuple, dans tous les individus du peuple. Chaque individu a donc droit de concourir à la loi par laquelle il est obligé, et à l'administration de la chose publique, qui est la sienne. Sinon, il n'est pas vrai que tous les hommes sont égaux en droits, que tout homme est citoyen. Si celui qui ne paye qu'une imposition équivalente à une journée de travail a moins de droit que celui qui paye la valeur de trois journées de travail, celui qui paye celle de dix journées a plus de droit que celui dont l'imposition équivaut seulement à la valeur de trois ; dès lors celui qui a 100,000 livres de rente a cent fois autant de droit que celui qui n'a que 1,000 livres de revenu. Il résulte de tous vos décrets que chaque citoyen a le droit de concourir à la loi, et dès lors celui d'être électeur ou éligible, sans distinction de fortune.

M. Dupont (de Nemours). Le comité de Constitution a commis une erreur en établissant des distinctions entre les qualités nécessaires pour être électeur ou éligible.

Pour être éligible, la seule question est de savoir si l'on paraît avoir des qualités suffisantes aux yeux des électeurs. Pour être électeur il faut avoir une propriété, il faut avoir un manoir. Les affaires d'administration concernent les propriétés, les secours dus aux pauvres, etc. Nul n'y a intérêt que celui qui est propriétaire ; les propriétaires seuls peuvent être électeurs. Ceux qui n'ont pas de propriétés ne sont pas encore de la société, mais la société est à eux.

M. Defermon. La nécessité de payer une imposition détruirait en partie la clause de la majorité, car les fils de famille majeurs ne payent pas d'impositions. La société ne doit pas être soumise aux propriétaires, ou bien on donnerait naissance à l'aristocratie des riches qui sont moins nombreux que les pauvres. Comment d'ailleurs ceux-ci pourraient-ils se soumettre à des lois auxquelles ils n'auraient pas concouru ? Je demande la suppression de cette quatrième qualité.

M. Démeunier combat, au nom du comité, les diverses objections faites contre cette condition.

En n'exigeant aucune contribution, dit-il, on admettrait les mendiants aux assemblées primaires car ils ne payent pas de tribut à l'Etat ; pourrait-on d'ailleurs penser qu'ils fussent à l'abri de la corruption ? L'exclusion des pauvres, dont on a tant parlé n'est qu'accidentelle ; elle deviendra un objet d'émulation pour les artisans, et ce sera encore le moindre avantage que l'administration puisse en retirer. Je ne puis admettre l'évaluation de l'imposition par une ou deux onces d'argent. Celle qui serait faite d'après un nombre de journées deviendrait plus exacte pour les divers pays du royaume, ou le prix des journées varie avec la valeur des propriétés.

La rédaction du comité pour la quatrième condition est adoptée."


La motion de Duport.

En complément de ce déjà long article, je vous propose également de lire la motion de Duport, qui a été jointe au PV de la séance. Je me suis permis de surligner en rouge certains passages que je trouve fort beaux :

Motion de M. Duport sur l'organisation des assemblées provinciales et des municipalités

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6403_t1_0480_0000_5

 

M. Duport (1). Messieurs, j'avais proposé, il y a deux mois, de commencer notre travail par l'organisation des assemblées provinciales et des municipalités. Ma motion, qui a été imprimée et distribuée contient mes motifs à cet égard. L'Assemblée nationale a pensé différemment. Il faut, sans jeter d'inutiles regards sur le passé, partir du point où nous sommes, pour voir à ce qu'exigent les circonstances présentes et le temps qui doit les suivre.

(1) La motion de M. Duport, qui est comme une suite à celle qu'il a développée le 30 septembre précédent n'a pas été insérée au Moniteur.

Votre comité, Messieurs, vous a proposé un plan d'organisation des assemblées provinciales ; je ne m'explique point sur le mérite des combinaisons qu'il renferme, je le trouve impraticable, et dangereux dans quelques circonstances.

On ne sentira que trop aisément les difficultés des 80 divisions. Il serait à désirer sans doute que la France entière soit partagée, sans avoir égard aux anciennes divisions qui maintiennent l'esprit des provinces, et fortifient contre l'esprit public les intérêts particuliers et locaux. Il serait heureux que les habitants de l'empire oubliassent toutes ces dénominations qui les distinguent entre eux, pour ne plus se rappeler que celles qui les unissent. En un mot, qu'au lieu de Bretons et de Provençaux, il n'y ait plus que des Français.

Sans doute un gouvernement énergique (2), placé dans une Constitution libre et forte, un gouvernement, dont les peuples auraient déjà éprouvé la douceur et la bonne foi, pourrait se livrer à cette grande et brillante entreprise ; mais au moment où, dans la dissolution de tous les pouvoirs, les hommes sont, comme malgré eux, entraînés vers les anciennes liaisons, qu'ils s'y rattachent plus fortement que jamais ; lorsque le gouvernement n'a pas la force de les rallier à lui, et qu'il ne sait pas offrir à leurs yeux l'imposant spectacle d'une seule patrie, d'un seul intérêt, d'une grande et majestueuse association ; vouloir alors rompre les seuls liens qu'ils aient entre eux, ne serait-ce pas augmenter dans tout le royaume le trouble et la confusion, fournir aux mécontents des prétextes et des occasions, et aux malintentionnés des moyens pour empêcher l'ordre de se rétablir, et cette heureuse liberté après laquelle on soupire si fortement, et dont on ne jouit qu'en vivant sous des lois justes et populaires ?

(2) Je suis contraint de l'avouer, parce qu'un plus long silence serait criminel. Jamais l'Etat ne pourra se relever, ni reprendre aucune énergie avec la conduite faible et équivoque des ministres actuels, remplis des anciennes idées de ministère et d'autorité, occupés à en rassembler quelques parties, au lieu de la puiser tout entière dans la Constitution même. Cherchant à augmenter les fautes de l'Assemblée nationale, exécutant avec négligence ses décrets, au lieu de ramener sur elle-le respect et la vénération des peuples, voulant se faire une sorte d'autorité morale pour 1 opposer ensuite à l'Assemblée. D'autre part, ne prenant aucun parti sur les hommes et sur les choses, laissant ignorer en cela aux peuples s'ils approuvent qu'ils soient libres, ou plutôt n'attribuant leur consentement à la Constitution qu'aux circonstances qui les y obligent ; en un mot, laissant par faiblesse ou par calcul le gouvernement sans force et sans couleur, afin de le tenir près de toutes les circonstances qui peuvent arriver. Le royaume, je le répète, est prêt à se dissoudre et à périr par le relâchement de toutes les parties, si au plus tôt le ministère ne change pas de conduite, ou si on ne change pas de ministère.

On peut atteindre par des moyens plus simples à une partie des avantages que présente le plan qui est proposé. Pour rendre l'administration plus facile et la rapprocher davantage des peuples, il convient sans doute de diviser quelques provinces en plusieurs chefs-lieux d'administration. Il est des provinces où ces divisions sont indiquées par la différence du sol et de la culture ; plusieurs le désirent déjà, et dans un comité composé de membres de chaque généralité, il sera aisé d'en convenir. Ce plan est simple à concevoir et simple à exécuter ; il prévient également et le retour à d'anciens privilèges et l'aristocratie des grands corps. L'on verra par la suite qu'il a l'avantage d'être réalisé dans toute la France, en peu de temps.

Je passe aux véritables inconvénients du plan proposé, et aux dangers dont il menace notre liberté politique. Je les réduis à trois principaux.

Le premier et le plus grand de tous, est d'avoir établi trois degrés d'élection, soit pour l'Assemblée nationale, soit pour les assemblées provinciales.

Dans tous nos calculs politiques, revenons souvent, Messieurs, à l'humanité et à la morale. Elles sont aussi la base de toutes les combinaisons utiles à la société, que le fondement de toutes les affections bien ordonnées. Rappelons-nous ici le grand principe trop tôt oublié, que c'est pour le peuple, c'est-à-dire pour la classe la plus nombreuse de la société, que tout gouvernement est établi ; le bonheur du peuple en est le but, il faut donc qu'il influe, autant qu'il est possible, sur les moyens de l'opérer.

Il serait à désirer qu'en France, le peuple pût choisir lui-même ses représentants, c'est-à-dire les hommes qui n'ont d'autres devoirs que de stipuler ses intérêts, d'autre mérite que de les défendre avec énergie.

On calomnie le peuple en lui refusant les qualités nécessaires pour choisir les hommes publics. Les talents et les vertus qui embellissent l'humanité ne peuvent au contraire se développer, sans affecter le peuple ; il est comme le terme auquel aboutissent la justice, la générosité, l'humanité. Il est à portée d'apprécier ces rares qualités, non par des notions abstraites, mais par l'épreuve plus sûre de l'-expérience et d'un sentiment personnel.

Il est pourtant comme impossible, je l'avoue, de faire concourir tous les hommes d'un pays au choix de leurs représentants, et dans les pays où la représentation immédiate est en usage, comme en Angleterre et en Amérique, on a restreint, au moins en très-grande partie, aux seuls propriétaires, la faculté d'y concourir. Cette condition semble être une garantie de la bonté du choix. Nous ne sommes pas dans le cas de l'adopter pour nous, puisque l'on est généralement disposé à admettre un degré dans l’élection. Là les choix s'épurent, et les reproches que l'on fait aux élections tumultuaires n'ont plus lieu.

Mais vouloir établir trois degrés pour la représentation nationale ou administrative, c'est, à mon sens, dénaturer la Constitution qui va s'établir, en bannir tout l'esprit populaire, y substituer l'aristocratie des riches, favoriser les intrigues secrètes, les seules dangereuses, puisqu'elles ont pour base l'intérêt particulier. Les mandataires du peuple cessant d'être responsables de leurs choix au peuple, cessent aussi d'être mus par ces motifs d'espérance et de crainte qui les portent à le bien traiter, à être justes et bons, généreux et humains. Et pourtant, lorsqu'on considère que des hommes honnêtes et éclairés diffèrent entièrement dans leurs combinaisons politiques, on se sent quelquefois moins porté à s'y attacher, on en détourne comme involontairement ses idées ; mais il est un point où les âmes énergiques et sensibles se retrouvent, je veux dire la noble et sublime entreprise de restituer au peuple ses droits, et d'améliorer le sort des campagnes. Les peuples y seront plus heureux, si les hommes riches, qui y vivent avec eux, y sont plus humains, plus justes, plus généreux, s'ils sont forcés de leur plaire et d'en être considérés. Ils seront forcés de leur plaire et d'en être considérés, si leur existence politique, les places qui permettent de figurer dans la société sont données par le peuple, et sont le prix des soins que l'on aura pris pour s'en faire aimer. Que notre Constitution, Messieurs, ait une base populaire, que ses principaux éléments soient calculés sur l'intérêt constant du peuple ; assez tôt comme toutes les autres, elle tendra à favoriser les riches et les hommes puissants. Le peuple dans nos sociétés modernes n'a pas le temps de connaître ses droits, il s'en remet à des riches du soin de les défendre, et il continue à travailler pour les faire vivre. Si nous n'avions fait que changer d'aristocratie, si je voyais s'évanouir ces espérances auxquelles j'ai sacrifié mon repos, mon état, ma fortune, plus encore peut-être. . . .

Le second défaut du plan ne me paraît devoir être relevé que parce que quelques bons esprits m'ont semblé n'en être pas frappés. C'est à mon gré donner beaucoup de consistance à une plaisanterie, que d'obliger la nation entière d'élire nécessairement de nouveaux membres à chaque législature. Je ne parle pas ici des assemblées d'administration, car tout le monde convient qu'il est sans danger, qu'il est utile même qu'elles puissent se renouveler par tiers ou par moitié. Ainsi il n'est pas besoin de s'étendre sur cet article, je me borne à ce qui regarde les Assemblées législatives.

On s'exagère beaucoup le nombre d'hommes qui dorénavant se mettront sur les rangs pour être élus et jouir deux ans seulement de l'honorable mais pénible fonction de représentant. Avant tout, l'intérêt national exige qu'il se forme des hommes publics, de ces hommes disposés à sacrifier leur repos, leur fortune, leur réputation même ; qui sachent rester indépendants au milieu des séductions, préférer l'intérêt général non-seulement au leur propre, mais à celui de leur province et de leur canton. La législature autrement sera formée d'hommes indifférents, qui verront le choix qu'on a fait d'eux comme un moment heureux de leur vie, où ils quittent leur pays pour se mêler aux grands intérêts de l'empire. Cet instant ne se liera dans leur esprit ni avec leurs travaux passés, ni avec leurs occupations futures. Etrangers à la suite des affaires, n'en connaissant pas l'origine, n'en devant pas suivre les conséquences, ils ne se sentiront pas responsables du destin de la France, après avoir exercé une si courte, si faible influence ; et que peut-on attendre d'hommes pour lesquels il n'y a point de récompenses, ni de motifs de bien agir, sur lesquels l'opinion n'a pas le temps d'asseoir un jugement sain et dont les actions n'ont ni liaison, ni moralité ?

Dans une sage Constitution, le ministère est nécessairement uni (3). Quelle force n'aura-t-il pas contre des nouveaux individus qui viendront sans cesse s'essayer avec eux à une lutte aussi inégale que dangereuse sans être préparés à combattre, sans être prémunis contre les dangers de la séduction et les détours de l'intrigue, sans intérêt, sans motif de les approfondir, et privés de cette confiance que donne une longue estime, l'habitude de la résistance et l'appui de l'opinion qui seules peuvent faire entreprendre des travaux importants et s'opposer avec courage aux entreprises du despotisme : le ministère commencera ses entreprises au moment où une législature lui paraîtra favorable à ses projets par sa faiblesse, et il attendra d'être délivré de ces hommes rares qu'on trouve disposés toujours à défendre les droits des peuples, et qui n'ont d'autre ambition que celle de résister à l'autorité. Ces hommes ne peuvent jamais être dangereux, puisque le peuple reprend si souvent le pouvoir de les juger et de les élire, ou de les rejeter.

(3) L'espèce de liberté, dont on jouissait en France avant l'heureuse Révolution, était en grande partie fondée sur la division du ministère, comme le repos de la terre sur la guerre des tyrans entre eux. Dans une Constitution forte et libre, tout doit être ordonné pour un même but, tout doit concourir à former la même volonté. En Angleterre, les ministres sont tellement unis, que le roi est obligé de les renvoyer tous, quand il veut en renvoyer un : c'est une société d'hommes rassemblés par les mêmes vues et dans les mêmes principes. Il n'y a point d'accord, point d'énergie, point de liberté, point de responsabilité, surtout dans une monarchie où cette maxime n'est pas en vigueur,

Le plan de votre comité contre le vœu de plusieurs de ses membres et l'intention de tous fortifie ainsi le ministère contre la nation. Il ôte â celle-ci ses meilleurs défenseurs, il la prive encore de la faculté d'exprimer un vœu approbatif de la conduite de ses représentants, dans le cas du véto suspensif du monarque (4). Enfin, il tend à rabaisser la qualité de représentant, et en affaiblissant les motifs qui doivent la faire désirer, il détruit dans sa source l'esprit public. Ou je me trompe fort, ou si l'on est réélu alternativement, il s'établira entre tous les candidats une sorte d'arrangement et de convention tacite calculée d'après l'âge et les affaires personnelles, afin que chacun puisse à son tour, et une fois dans sa vie, être représentant, et l'on prendra des rangs comme pour une cérémonie.

(4) Cette observation mérite d'être méditée avec attention ; puisque la réélection des représentants paraît être un des principaux ressorts de la Constitution.

La législation, fruit de cette combinaison, sera continuellement variable, disparate, changeante, incapable de donner à la nation un caractère grave et posé, et de lui imprimer ces habitudes profondes qui seules dénotent un véritable esprit national et le vrai sentiment de la liberté.

L'aristocratie des hommes puissants, que l'on semble vouloir éviter par ce projet, n'est point à craindre lorsque la représentation sera égale et les élections fréquentes. Je vois au contraire avec plaisir des hommes considérables parmi les représentants de la nation, mais je veux que choisis par le peuple, ils en aient toujours les intérêts devant les yeux et les droits dans le cœur.

Je ne dirai qu'un mot sur le troisième défaut que je reproche au plan du comité de Constitution. C'est d'avoir attaché au payement d'un impôt direct une des conditions de l'éligibilité. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit plus haut. Je pense que si la représentation était immédiate, il faudrait, pour être électeur, non-seulement payer un impôt direct, mais jouir d'une propriété. Cela n'est pas nécessaire lorsqu'il y a deux degrés dans l'élection. Cette observation me paraît d'une grande importance. En voici une à laquelle je ne vois point de réponse. On exige pour être électeur et éligible de payer un impôt direct. La capitation est un impôt direct, chaque législature pouvant changer le mode de l'impôt, créer ou détruire la capitation, peut par conséquent donner ou ôter à son gré à une partie des citoyens le droit d'élire des représentants. Il est pourtant évident que ce droit étant constitutionnel ne peut être changé par une simple législature, et que d'ailleurs le droit politique le plus précieux, le seul qui appartienne vraiment au peuple, ne peut pas être remis aux hasards ou aux calculs des combinaisons économiques.

Au nombre des défauts du plan proposé, je n'ai point parlé de la difficulté, je dirais presque de l'impossibilité de le mettre à exécution. Il faut bien néanmoins s'y arrêter puisqu’inutilement le projet serait-il excellent, s'il ne pouvait pas être rempli. Je m'explique et je demande un moment d'attention.

Il faut établir promptement des assemblées provinciales ; il faut dans les distributions des cantons, des municipalités, se prêter à toutes les convenances qui ne gênent point la marche générale des affaires et l'esprit national. Pour arriver à ce double but, il faut, ce me semble, se borner aux divisions les plus simples et les plus faciles. Ainsi je propose, qu'après avoir réglé toutes les conditions de l'éligibilité, l'on nomme un grand comité composé de membres de toutes généralités, où l'on détermine les divisions qui se sont jugées possibles ; que l'on décrète l'établissement de ces divisions ; que chaque village ou paroisse soit chargé de nommer trois membres indistinctement, pour se rendre à un certain point d'arrondissement qui sera désigné; que là, on nomme un député sur quarante, pour composer l'assemblée provinciale que j'appellerai constituante, et qui sera effectivement divisée en deux sections; une première pour l'administration provisoire de la province, et l'autre pour constituer les municipalités et régler les districts, selon les règles que nous leur fournirons.

Le pouvoir exécutif serait chargé de ces dispositions provisoires, à peu près dans la forme par laquelle nous avons été nommés. Lorsque vous aurez, Messieurs, des assemblées provinciales, alors vos décrets pourront recevoir leur exécution, et l'organisation des municipalités pourra non-seulement s'opérer, mais encore recevoir toute la perfection possible. Les règles principales d'après lesquelles elles doivent être formées, me paraissent celles-ci :

Il convient, je pense, d'établir 240 districts, lesquels seront répartis inégalement entre les assemblées provinciales qui seront formées, et ce à raison de la population seulement ; chaque district enverrait 3 députés à l'Assemblée nationale et 15 à l'assemblée provinciale. Au-dessous de chaque district, il y aurait autant de municipalités formées qu'il y aurait de citoyens votants environ, de telle sorte qu'aucune municipalité ne pût être de moins de 800, ni de plus de 1,600 votants. En supposant, ainsi que les auteurs du plan de la Constitution, environ 4,400,000 votants, cela ferait 1,000 par municipalité, l'envoi d'un individu sur 25, ferait dans chaque district environ 800 votants, nombre qui me paraît convenable pour avoir une élection libre et populaire. Quant aux villes elles ne formeraient qu'une seule municipalité, quel que soit le nombre de leurs citoyens votants ; mais comme elles ne représentent jamais, relativement aux campagnes, qu'un seul et unique intérêt, il serait juste d'affaiblir un peu la proportion dans laquelle elles devraient fournir à la représentation du district.

J'omets les détails, parce que je n'ai pas le loisir de les développer, et parce que je ne veux m'occuper que de ce qui distingue ce projet de celui du comité. L'idée fondamentale, comme on le voit, la seule vraiment différentielle, est, qu'après avoir déterminé ici le nombre des assemblées provinciales, ainsi que le nombre des districts qu'elles doivent renfermer, suivant les tables exactes dépopulation que le ministère a rassemblées depuis longtemps, je laisse tout le reste à faire aux provinces, en leur prescrivant seulement les règles suivant lesquelles elles doivent se conduire. Par-là, j'abrège infiniment le travail, avantage précieux en ce moment ; je ne crains point de choquer des convenances topographiques ou morales ; enfin, j'use d'un moyen plus analogue à h disposition présente des esprits, qu'il faut subjuguer quand le salut public l'exige, mais auquel il faut savoir subordonner des vues qui ne tiennent qu'à l'idée abstraite de la perfection.

Vous réglerez ensuite, Messieurs, et j'ose dire à votre aise, les fonctions diverses et tes relations de toutes ces assemblées entre elles ; mais vous ne pouvez trop vous hâter, déjà des moments précieux sont perdus.


Merci d'avoir lu tout cela ! 

Pour vous récompenser, je vous propose de découvrir une belle surprise dans cet article : 23 octobre 1789 : 

mercredi 21 octobre 2020

21 Octobre 1789 : L’assassinat du boulanger François, donne prétexte à l’application de la loi martiale.

Article mis à jour le 11/11/2020

L'estampe porte la date du 22,
mais le drame eu lieu le 21.
Source Musée Carnavalet

    Mon titre peut paraître un peu réducteur, voire de parti pris. Mais vous comprendrez mieux pourquoi, en lisant cette recension détaillée des événements de cette journée du 21 octobre 1789, qui s’appuie sur de nombreuses sources.

    Je ne souhaite pas vous proposer quelque chose que vous lirez ailleurs et mon but n’est pas non-plus de faire du sensationnel. 

    Je ne vais donc pas m’attarder sur les détails sordides de cette énième émeute de la faim, dans ce Paris où continuent de courir les plus folles rumeurs de complots. Néanmoins, pour vous en donner une idée, vous trouverez dans l’article, le témoignage de notre ami Colson, cet avocat au barreau de Paris qui chaque semaine écrit plusieurs lettres décrivant les événements de 1789 à un ami de Province, ainsi que l’extrait du registre du Comité de District de Notre Dame que notre ami Google a scanné pour nous (fenêtre en bas de l’article).

    Avant de vous donner à lire ces témoignages d’époque, je préfèrerais que nous nous posions quelques questions sur la nature de cet événement tragique.

    J’ai en remarqué que parmi toutes les émeutes populaires dont il est fait mention durant cette année 1789, toutes ne sont pas meurtrières. Assez souvent cela se passe comme lors de l’attaque du convoi de blé à Lannion,le 18 octobre ; le peuple pille mais ne tue pas. A Lannion, les femmes ont extrait de l’échauffourée les commissaires brestois chargés du convoi. En revanche lorsqu’il y a un crime atroce, fort curieusement, on trouve souvent un ou plusieurs agitateurs. Ce fut par exemple le cas le 22 juillet, quand Mathieu Jouve Jourdan, dit Jordan Coupe Tête, décapita le malheureux Conseiller d’Etat Foullon. Le même Jordan Coupe Tête à qui était également attribuée la décapitation du Gouverneur de Launay, lors de la prise de la Bastille. A savoir que ce cabaretier parisien quelque peu psychopathe est désigné par certains historiens comme un sbire recruté par le Duc d’Orléans ! Sachant cela, peut-être lirez-vous autrement la relation du meurtre du boulanger François, avec l’histoire de cette femme qui venant régler ses comptes avec le boulanger, tombe à point nommé sur un providentiel attroupement en colère devant la boutique du malheureux.

    En effet, à peine la nouvelle du drame sera-t-elle connue, que la commune de Paris adressera dans la journée deux députations à l’Assemblée nationale pour demander une loi sur les attroupements. Sitôt dit sitôt fait, l’Assemblée nationale publiera le jour même un décret qui mettra en application la loi martiale !

Députation N°1 : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5211_t1_0472_0000_3

Députation N°2 : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5211_t1_0472_0000_7

Décret du 21 Octobre : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5213_t1_0475_0000_3

    On peut donc comprendre pourquoi certains attribueront l’organisation de cet événement à des intrigants bien étrangers au peuple.

    Marat, dans son numéro N°29 du 5 novembre 1789 de l'Ami du Peuple, explique que c’est la Municipalité de Paris qui avant l’assassinat du boulanger François, avait "jeté tout le blâme sur les boulangers, si on venait à manquer de pain" ; "comme si" précise-t-il "elle eût voulu amener ces scènes d’horreur". (N’oublions pas que Marat était en général bien informé).

    Robespierre en 1793, l’attribuera à Lafayette, qui en ce mois d’octobre 1789 ne désirait rien tant, avec son comparse Bailly, maire de Paris, que rétablir la loi et l’ordre. Lafayette appliquera d’ailleurs cette fameuse loi martiale en répondant à l’ordre de Bailly de réprimer le 17 juillet 1791 les pétitionnaires venus demander la destitution du roi. Lafayette fera tirer sur la foule par sa garde nationale et des dizaines de malheureux seront tués.

    Voilà pourquoi j’évite de céder à la facilité qui consiste à condamner trop vite la violence populaire. Vous pouvez, sur le même sujet, lire mon article "Peuple ou populace". 😉


Une thèse de doctorat.

    Me posant ces questions, j’ai eu la chance de découvrir une thèse de Doctorat de l’historienne Riho Hayakawa Nagashima, publiée en 2013, traitant précisément de la violence populaire durant la période révolutionnaire s’étalant entre 1788 et 1792.

Voici la présentation de sa thèse :

« Le caractère essentiel de la Révolution française, c'est la présence de révoltes populaires. En même temps, l'image principale que l'on garde du mouvement populaire spontané́ est celle de la violence. Cependant, pendant la période de l'élection censitaire, l'action directe a été le seul moyen politique dont disposaient les citoyens passifs. Nous retraçons ici l'évolution du peuple de Paris vers sa politisation, à la veille de la Révolution, en observant les émeutes causées par le problème de subsistances, et la justice populaire contenue dans les actes de violence, depuis 1788 jusqu'au 10 août 1792. Pour cela, nous présentons deux exemples des mouvements populaires parisiens : l'affaire de RÉVEILLON en avril 1789, l'assassinat du boulanger FRANÇOIS en octobre 1789 ; ainsi que deux exemples des réactions des Parisiens aux mouvements populaires hors de Paris : l'affaire de Nancy en août 1791 et l'émeute d'Etampes en mars 1792. »

Source : http://www.theses.fr/2013PA010511

Poursuivant mes recherches, j’ai trouvé le document qu’elle avait rédigée en 2003, à propos de l’assassinat du boulanger François.

En voici l’introduction :

« Un boulanger fut pendu et décapité par le peuple sur la place de Grève à Paris, le 21 Octobre 1789. Aussitôt après, l’Assemblée nationale constituante institua la loi martiale. A première vue, cette action nous apparaît comme un lynchage cruel de la part d’émeutiers, mais il s’agissait d’une sanction sociale contre eux. Les députés de la Constituante décidèrent de traiter la violence du peuple par la force, c’est-à-dire la loi martiale. Le peuple et les députés suspectèrent un complot caché derrière cet assassinat du boulanger. Cependant il y eut entre les deux une divergence de vue sur ce « complot », quant à ses instigateurs. »

Source : https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_2003_num_333_1_2672

    Je vous conseille vivement la lecture de son texte. Vous comprendrez alors que cette énième émeute de la faim servit fort probablement de prétexte à la mise en application de cette loi sur les attroupements qui était à l’ordre du jour depuis les événements du début du mois (journées des femmes des 5 et 6 octobre). Le 10 octobre, Custine avait proposé d'instituer une loi martiale pour éviter les rassemblements. Le 14, le comte de Mirabeau avait proposé un «projet de loi concernant les attroupements ». Il s'était référé au riot-act de l’Angleterre (Toujours cette manie anglophile de prendre des idées chez nos amis anglais, comme pour le fameux véto). Le 15, Target avait également proposé un projet de loi en ce sens, réalisé par le Comité de Constitution.

    Ce projet avait néanmoins posé deux questions de taille aux députés. La première était relative à la liberté individuelle, instituée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (surtout l'article II, la liberté de l'association politique) ; et la seconde concernait la justification de l'utilisation de la force en cas de problème d'approvisionnements alimentaires. En réponse à la première, on avait distingué la liberté de la licence, et on avait conclu que cette loi n'était pas contre la liberté. Cependant Robespierre s’était opposé à la loi martiale, car c'était selon lui « immoler » la liberté. Pour la seconde question, Barnave avait considéré que la crise ne provenait pas d'une disette effective, mais de complots. C'est pourquoi il s’était montré favorable à la loi martiale.

Cliquez sur l’image ci-dessous pour lire cette étude passionnante :


Source : https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_2003_num_333_1_2672


Extrait du débat entre les députés :

    Je vous propose de lire cet échange entre les députés, avant que le décret ne soit voté. Il est révélateur des dissentions qui apparaitrons par la suite au sein de l'Assemblée :

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5213_t1_0474_0000_3

M. Target, membre du comité de Constitution, fait lecture du projet de loi contre les attroupements, tel qu'il vient d'être rédigé par le comité.

M. de la Galissonnière propose de mander tous les ministres pour leur ordonner d'empêcher, par les mesures les plus efficaces, les accaparements dans les provinces, les exportations, et de favoriser la circulation intérieure. Il pense qu'il faut aussi mander MM. Bailly et de Lafayette, et leur enjoindre de se servir de tous leurs moyens pour réprimer les désordres de la capitale.

M. Ricard de Séalt. La loi martiale demandée ne sera pas suffisante ; les gens puissants trouveront moyeu d'y échapper. Saisissez ce moment pour créer un tribunal qui jugera les crimes de lèse-nation ; mais il faut qu'il soit nouveau pour inspirer le respect nécessaire à la tranquillité de ses fonctions, qu'il soit pris dans votre sein, et composé d'un membre de chaque généralité ; il aura un président, deux procureurs généraux ; jugera en dernier ressort, et ses arrêts seront signés par le Roi.

M. Glescen. La motion de M. Barnave est susceptible d'un amendement. Il faut dire qu'il est enjoint au comité de police de se concerter avec le comité des recherches, et non au comité des recherches de se concerter avec le comité de police.

M. Pétion de Villeneuve. Quelque affligés que nous soyons de l'état de la capitale, nous devons l'être aussi de notre position. On nous engage à veiller aux subsistances de Paris ; nos seuls moyens consistent à rendre les décrets nécessaires. On a rendu le comité de subsistances inutile ; nos décrets n'ont pas été exécutés. Il serait dangereux que le peuple crût que nous pouvons exercer une surveillance qui est hors de nos fonctions ; bientôt il nous rendrait responsables des événements. Faisons-lui connaître que nous avons rendu les décrets qui dépendaient de nous, et que c'est au pouvoir exécutif de veillera leur exécution. J'adopte la motion de M. Barnave amendée par M. Glezen.

M. Buzot. Il ne suffit pas d'effrayer le peuple par des lois sévères, il faut encore le calmer. Créons le tribunal demandé ; annonçons qu'ainsi que ses ennemis, des citoyens seront punis. Des promesses vaines aigrissent le peuple ; la loi martiale seule pourrait exciter une sédition. Ce tribunal augmentera nos forces et le zèle des bons Français à nous offrir les renseignements nécessaires à leur vengeance. Je demande que le comité de Constitution présente lundi un projet sur la formation de ce tribunal.

M. Duport propose, afin d'allier la tranquillité avec la liberté, et de prévenir la nécessité de ces mesures terribles, d'ajouter un autre article qu'il rédige ainsi :

«Au premier attroupement apparent il sera, par les officiers municipaux, demandé aux personnes attroupées la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement ; elles seront autorisées à nommer six personnes pour exposer leur réclamation et présenter leur pétition. Après cette nomination, les personnes attroupées seront tenues de se séparer sur-le-champ, et de se retirer paisiblement. »

M. Robespierre. Ne serait-il donc question dans cette discussion que d'un fait isolé, que d'une seule loi ?.... Si nous n'embrassons pas à la fois toutes les mesures, c'en est fait de la liberté ; les députés de la commune vous ont fait un récit affligeant ; ils ont demandé du pain et des soldats. Ceux qui ont suivi la Révolution ont prévu le point où vous êtes : ils ont prévu que les subsistances manqueraient ; qu'on vous montrerait au peuple comme sa seule ressource : ils ont prévu que des situations terribles engageraient à vous demander des mesures violentes, afin d'immoler à la fois, et vous et la liberté. On demande du pain et des soldats, c'est dire : le peuple attroupé veut du pain ; donnez-nous des soldats pour immoler le peuple. On vous dit que les soldats refusent de marcher... eh ! Peuvent-ils se jeter sur un peuple malheureux dont ils partagent le malheur ? Ce ne sont donc pas des mesures violentes qu'il faut prendre, mais des décrets sages, pour découvrir la source de nos maux, pour déconcerter la conspiration qui peut-être dans le moment où je parle ne nous laisse plus d'autres ressources qu'un dévouement illustre. Il faut nommer un tribunal vraiment national.

Nous sommes tombés dans une grande erreur, en croyant que les représentants de la nation ne peuvent juger les crimes commis envers la nation. Ces crimes, au contraire, ne peuvent être jugés que par la nation, ou par ses représentants, ou par des membres pris dans votre sein. Qu'on ne parle pas de Constitution quand tout se réunit pour l'écraser dans son berceau. Des mandements incendiaires sont publiés, les provinces s'agitent, les gouverneurs favorisent l'exportation sur les frontières... Il faut entendre le comité des rapports ; il faut entendre le comité des recherches, découvrir la conspiration, étouffer la conspiration. . . Alors nous ferons une Constitution digne de nous et de la nation qui l'attend.

M. de Cazalès. Je demande que le préopinant donne les notions qu'il a sur la Constitution ; sinon il est criminel envers le public et l'Assemblée.

M. le comte de Mirabeau. On demande une loi martiale et un tribunal. Ces deux choses sont nécessaires ; mais sont-elles les premières déterminations à prendre ?

Je ne sais rien de plus effrayant que des motions occasionnées par la disette ; tout se tait et tout doit se taire, tout succombe et doit succomber contre un peuple qui a faim ; que serait alors une loi martiale, si le peuple attroupé s'écrie : Il n'y a pas de pain chez le boulanger ? Quel monstre lui répondra par des coups de fusil ? Un tribunal national connaîtrait sans doute de l'état du moment et des délits qui l'ont occasionné ; mais il n'existe pas ; mais il faut du temps pour l'établir ; mais le glaive irrésistible de la nécessité est prêt à fondre sur vos têtes. La première mesure n'est donc, ni une loi martiale, ni un tribunal. J'en connais une. Le pouvoir exécutif se prévaut de sa propre annihilation ; demandons-lui qu'il dise de la manière la plus déterminée quels moyens, quelles ressources il lui faut pour assurer les subsistances de la capitale ; donnons-lui ces moyens, et qu'à l'instant il en soit responsable.

M. Duport. Le tribunal ne peut être composé de membres de cette Assemblée ; vous l'avez décidé, vous ne pouvez le former à demeure que quand vous aurez créé tous les tribunaux. Chargez provisoirement le Chatelet de juger les crimes de lèse-nation, avec les adjoints qui lui ont été donnés. Ce tribunal a déjà toute la dignité de la vertu, toute la force que donne la confiance du peuple. La loi martiale, publiée dans les provinces, influera sur les subsistances. Faites sanctionner ce soir et celte loi et l'attribution au Châtelet.

M. le duc de la Rochefoucauld. J'adopte la loi martiale et la proposition de M. de Mirabeau. Je ne pense pas que les crimes de lèse-nation puissent être jugés par le Châtelet, à raison de son organisation. Le comité de Constitution rendra compte incessamment de son travail sur le tribunal demandé.

M. Milscent. Avant de venger le peuple, il faut le faire subsister. Mandez tous les ministres pour qu'ils rendent compte de ce qu'ils ont fait pour prévenir la détresse de la capitale.

M. le Président. Voici, Messieurs, un fait relatif à l'opinion de M. Milscent. Informé des inquiétudes de tous les citoyens, je me suis rendu chez M. Necker, et j'ai appris que le comité de police des représentants de la commune avait cessé toute communication avec le ministère.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5213_t1_0474_0000_3


Texte du décret

Après mise aux voix par le Président, le texte adopté sera le suivant :

«L'Assemblée nationale, considérant que la liberté affermit les empires, mais que la licence les détruit ; que, loin d'être le droit de tout faire, la liberté n'existe que par l'obéissance aux lois ; que si, dans les temps calmes cette obéissance est suffisamment assurée par l'autorité publique ordinaire, il peut survenir des époques difficiles, où les peuples, agités par des causes souvent criminelles, deviennent l'instrument d'intrigues qu'ils ignorent ; que ces temps de crise nécessitent momentanément des moyens extraordinaires pour maintenir la tranquillité publique et conserver les droits de tous, a décrété la présente loi martiale.

«Art. 1er. Dans le cas où la tranquillité publique sera en péril, les officiers municipaux des lieux seront tenus, en vertu du pouvoir qu'ils ont reçu de la commune, de déclarer que la force militaire doit être déployée à l'instant, pour rétablir l'ordre public, à peine d'en répondre personnellement.

«Art. 2. Cette déclaration se fera en exposant à la principale fenêtre de la Maison-de-Ville, et en portant dans toutes les rues et carrefours un drapeau rouge ; et en même temps les officiers municipaux requerront les chefs des gardes nationales, des troupes réglées et des maréchaussées, de prêter main-forte.

«Art. 3. Au signal seul du drapeau, tous attroupements, avec ou sans armes, deviendront criminels, et devront être dissipés par la force.

«Art. 4. Les gardes nationales, troupes réglées et maréchaussées requises par les officiers municipaux, seront tenues de marcher sur-le-champ, commandées par leurs officiers, précédées d'un drapeau rouge, et accompagnées d'un officier municipal au moins.

«Art. 5. 11 sera demandé par un des officiers municipaux aux personnes attroupées, quelle est la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement ; elles seront autorisées à nommer six d'entre elles pour exposer leur réclamation et présenter leur pétition, et tenues de se séparer sur-le-champ et de se retirer paisiblement.

«Art. 6. Faute par les personnes attroupées de se retirer en ce moment, il leur sera fait, à haute voix, par les officiers municipaux, ou l'Un d'eux, trois sommations de se retirer tranquillement dans leurs domiciles. La première sommation sera exprimée en ces termes : Avis est donné que la loi martiale est proclamée, que tous attroupements sont criminels ; on va faire feu : que les bons citoyens se retirent. A la deuxième et troisième sommation, il suffira de répéter ces mots : On va faire feu : que les bons citoyens se retirent. L'officier municipal annoncera à chaque sommation que c'est la première, la seconde ou la dernière.

«Art. 7. Dans le cas où, soit avant, soit pendant le prononcé des sommations, l'attroupement commettrait quelques violences ; et pareillement, dans le cas où, après les sommations faites, les personnes ne se retireraient pas paisiblement, la force des armes sera à l'instant déployée contre les séditieux, sans que personne soit responsable des événements qui pourront en résulter.

«Art. 8. Dans le cas où le peuple attroupé, n'ayant fait aucune violence, se retirerait paisiblement, soit avant, soit immédiatement après la dernière sommation, les moteurs et instigateurs de la sédition, s'ils sont connus, pourront seuls être poursuivis extraordinairement, et condamnés, savoir : à une prison de trois ans, si l'attroupement n'était pas armé, et à la peine de mort, si l'attroupement était en armes. Il ne sera fait aucune poursuite contre les autres.

«Art. 9. Dans le cas où le peuple attroupé ferait quelques violences, et ne se retirerait pas après la dernière sommation, ceux qui échapperont aux coups de la force militaire, et qui pourront être arrêtés, seront punis d'un emprisonnement d'un an s'ils étaient sans armes, de trois ans s'ils étaient armés, et de la peine de mort s'ils étaient convaincus d'avoir commis des violences. Dans le cas du présent article, les moteurs et instigateurs de la sédition seront de même condamnés à mort.

«Art. 10. Tous chefs, officiers et soldats de la garde nationale, des troupes et des maréchaussées, qui exciteront ou fomenteront des attroupements, émeutes et séditions, seront déclarés rebelles à la nation, au Roi et à la loi, et punis de mort ; et ceux qui refuseront le service à la réquisition des officiers municipaux seront dégradés et punis de trois ans de prison.

& Art. 11. Il sera dressé, par les officiers municipaux, procès-verbal, qui contiendra le récit des faits.

«Art. 12. Lorsque le calme sera rétabli, les officiers municipaux rendront un décret qui fera cesser la loi martiale , et le drapeau rouge sera retiré et remplacé, pendant huit jours, par un drapeau blanc. »

L'Assemblée charge M. le Président de présenter incessamment et dans le jour le présent décret à la sanction royale.


La promulgation du décret de cette loi martiale aura lieu dès le lendemain 22 octobre 1789 sur les places publiques de la capitale.



La loi martial n'est pas bien accueillie partout.

    Le 28 Octobre, l’Assemblée nationale refusera de recevoir la délégation du district parisien de Saint-Germain-se-Champs qui souhaitait faire « connaître l'arrêté relatif à la loi martiale, et dénoncé dans une des précédentes séances. »

Le décret par lequel il a été statué qu'on ne recevrait que les députations de la commune (dirigée par le maire Bailly) a été rappelé, et l'Assemblée a décidé qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur une dérogation à ce décret.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5251_t1_0597_0000_2


Les émeutes de la faim continuent malgré la loi martiale.

Le 28 Octobre également, le maire de Paris, Bailly, sera introduit au sein de l’Assemblée pour rendre compte d’un événement arrivé le matin à Versailles.

"Le sieur Planter, habitant de cette ville, chargé des approvisionnements de Paris, a été saisi par le peuple, qui a voulu le pendre. La corde a cassé deux fois ; ce citoyen n'est pas mort, et l'on s'efforce en ce moment à le soustraire aux fureurs de la populace. Des troupes vont être envoyées à son secours ; mais elles ne peuvent arriver qu'à cinq heures. Une lettre de l'Assemblée pourrait rétablir le calme et sauver le sieur Planter. Il ne s'agit pas seulement de garantir la vie de ce citoyen, il faut encore ordonner une punition exemplaire pour réprimer des fureurs qui s'étendent sur tous les approvisionneurs."

L'Assemblée autorisera le juge de Vernon à informer, et décrètera que le président écrira à cette ville sur-le-champ, et qu'il se concertera avec le pouvoir exécutif pour l'exécution des lois.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5252_t1_0597_0000_9



Le témoignage de Colson.

    Voici le témoignage de notre ami Adrien Joseph Colson, dans son courrier du 25 Octobre, que j’ai retranscrit pour vous. On retrouve certains détails évoqués ailleurs. Mais il vaut surtout pour les considérations personnelles de cet aimable bourgeois :

(...) Plusieurs prisonniers, de la faction qui s'est formée pour égorger la garde nationale et brûler Paris, ont révélé des complices qui ont été arrêtés. Mais cela n'a nullement ralenti l'esprit de la sédition et cet esprit est au point que, le 20 ou le 21, une seule femme a mis Paris dans une émotion presque aussi forte que les plus fortes que nous ayons eu jusqu'ici.

Cette femme en voulait à un boulanger voisin du pont Notre-Dame, dont on voit presque la maison de mes croisées, auquel elle devait de l'argent. Elle fit esclandre chez lui le 19 ou le 20 et elle lui promit que le lendemain il lui paierait. Le lendemain, pour lui tenir parole, elle vint à 8 heures du matin à sa porte avec quelques femmes qu'elle avait ameutées et, comme il s'y trouvait une foule qui attendait du pain parce que le parti de la conspiration avait occasionné une nouvelle disette, elle dit à cette foule que le boulanger, de qui elle attendait du pain, en avait abondamment et plein sa maison mais que, par méchanceté et comme un coquin, il voulait contribuer à affamer Paris. Sur ce simple propos qui était très faux et d'autant plus faux que le boulanger était un très honnête homme qui, par un zèle en quelque sorte héroïque, ne gagnant rien et perdant même souvent sur la vente, ne laissait de pousser et engageait ses garçons à pousser avec lui le travail le plus qu'ils pouvaient pour fournir davantage aux besoins du public quoique ce jour-là en particulier il eut déjà vendu pour 50 écus de pain à 8 heures du matin, la foule enfonça la porte de sa boutique et, quoiqu'en visitant jusqu'à sa cave on n'y trouvât que trois pains, on se saisit de lui. Les femmes, pour l'empêcher de se justifier, lui fermèrent la bouche. À 9 heures du matin ce malheureux jeune homme, car il n'avait qu'environ 30 ans, était déjà expiré à la lanterne et ce fut, à ce que l'on dit, la femme qui avait ameuté contre lui qui lui passa la corde au cou. Le crime consommé, la barbarie ne fut pas satisfaite, ni même encore à son degré. On lui coupa la tête qu'on porta d'abord à sa femme laquelle on a d'abord dit en être morte de douleur, mais qui n'en a été qu'extrêmement mal et qui finira peut-être par en recevoir réellement le trait de la mort, puis on porta sa tête dans Paris au bout d'une pique et l'on traîna son corps nu dans les ruisseaux des rues.

On fut après cela chercher un autre boulanger, plus voisin encore de moi, rue Saint Jacques de la Boucherie, pour faire une pareille exécution, et ce ne fut pas sans beaucoup de bonheur qu'une fuite presque trop tardive le sauva. La fuite sauva également avec peine plusieurs voisins du premier boulanger qu'on voulait pendre comme lui pour avoir osé hasarder quelques remontrances à cette foule effrénée. La nouvelle de cette exécution cruelle fut portée en une demi-heure partout Paris. Elle fut fort applaudie et répandit beaucoup de joie parmi la populace qui se répandit jusqu'au soir dans les rues en presque aussi grand nombre que dans un soulèvement général. La populace du faubourg Saint-Marceau envoya avant midi un homme avec une simple note sur une carte pour avertir le faubourg Saint-Antoine qu'on n'attendait qu'un mot de sa part pour se mettre en mouvement, qu'on l’invitait à venir faire la réunion aux Filles Sainte Marie et que, s'il se réunissait, on était assuré d'avoir le pain à...  et la viande à 8 sols. Il est certain que, si la carte eût été rendue, les deux faubourgs, qui étaient déjà dans une grande fermentation et qui faisaient déjà grand bruit chez eux, se soulevaient et entraînaient un mouvement aussi général que le jour de la révolution. Heureusement que celui qui la portait, étant arrivé au faubourg Saint-Antoine et l'ayant donné à lire à un patriote, celui-ci l'arrêta.

Dès la matinée où le malheureux boulanger fut pendu, les représentants de la commune envoyèrent coup sur coup deux députations à l'Assemblée nationale pour représenter le danger imminent où l'on était des plus grandes séditions et pour supplier l'Assemblée de chercher les moyens de parer sur-le-champ au danger, proposant à cet effet la loi martiale qui jusque-là n'était encore connue en France que par d'anciens exemples d'Angleterre. L'Assemblée adopta cette idée : elle décréta le même jour cette loi. Elle ordonna que, demain lundi, le comité de constitution lui présenterait un plan pour l'érection d'un tribunal qui jugera les crimes de lèse-nation. En même temps, elle donna le pouvoir au Châtelet de juger en dernier ressort jusqu'à ce que ce tribunal fût érigé. Le même jour encore, le soir, les représentants de la commune donnèrent ordre d'illuminer toutes les nuits, jusqu'à nouvel ordre, le premier des maisons et l'on tient la main à l'exécution de cet ordre.

Le Châtelet, en vertu du pouvoir qui venait de lui être attribué, a, le lendemain du crime commis en la personne du boulanger, condamné celui qui l'avait pendu à être pendu lui-même, il a condamné à la même peine celui qui avait porté la carte au faubourg Saint-Antoine pour le soulever et ce jugement a été exécuté le même jour. On compte qu'il va aussi faire pendre demain la femme qui a occasionné l'émeute et la mort cruelle de l'infortuné boulanger et celui qui lui a coupé la tête. On dit que le roi et Ia reine ont fait une pension à la veuve de cet infortuné. Le roi a sanctionné et le parlement a enregistré en vacation la loi martiale qui, en conséquence, a d'abord été publiée dans tous les quartiers de Paris par des hérauts d'armes vêtus en noir, et les imprimés en ont été criés hier dans les rues. Ainsi, Monsieur, l'on va suspendre, à ce qu'il paraît, le drapeau rouge à une croisée de l'Hôtel de Ville, dans toutes les villes du royaume et, outre cela, plusieurs officiers municipaux ou au moins un d'entre eux, à la tête d'un corps de troupe, promènera le drapeau rouge dans toutes les rues et publiera la loi martiale. Et si après cela il vient à se former des attroupements, les officiers municipaux iront en force à la tête d'un pareil corps de troupe et de la maréchaussée s'ils la requièrent, sommer par trois fois ceux qui seront attroupés de se séparer, leur permettant de nommer entre eux, s'ils le jugent à propos, avant de se séparer, six commissaires pour exposer leurs griefs s'ils prétendent en avoir. Et si, à la troisième sommation, ils n'obéissent pas, on fera feu sur eux, et ceux qui échapperont seront punis de mort ou de la prison suivant les circonstances plus ou moins aggravantes de leurs attroupements ou de la part qu'ils auront prise.

Ceci n'est, comme vous voyez, que pour remédier à ces attroupements. Mais pour en extirper la cause et celle de la disette, lesquelles résident uniquement dans les conspirations, l'Assemblée nationale a formé un comité de recherches, et les représentants de la commune en ont formé un de leur côté pour correspondre ensemble, se réunir quand il en sera besoin et s’occuper de concert à découvrir les factions et leurs trames secrètes. En même temps, les représentants de la commune ont fait publier une proclamation par laquelle ils ont promis depuis cent écus jusqu’à mille louis de récompense, à proportion de l’importance de la dénonciation que l’on fera au sujet des trames et des factieux et le Roi, à la sollicitation des représentants de la commune, a accordé la grâce à ceux qui auraient trempé dans les complots lorsqu'ils viendront les dénoncer eux-mêmes, quand même ils en auraient été les auteurs. Il est à présumer qu'avec de pareilles mesures, bientôt, et peut-être avant 15 jours, on parviendra à connaitre le fond et les détails des mystères, d'horreurs et atrocités, des différentes conspirations. En tout cas, au point où en sont les choses, il n'y a guère que ce moyen et la loi martiale pour ramener la tranquillité. (…)


La version "officielle"

Et voici pour finir l’extrait du registre du Comité de District de Notre Dame, relatant « l'assassinat commis en la personne du Sieur François, Maître Boulanger ».