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mardi 20 octobre 2020

20 Octobre 1789 : L'Assemblée nationale vient rendre hommage à son roi adoré au palais des Tuileries

Vous comprendrez mieux en lisant cet article, le ton légèrement moqueur du titre...

L’Assemblée nationale a décidé qu’à l’issue de la séance de ce mardi 19 octobre qui se tient encore provisoirement à l’Archevêché de Paris, elle se rendra en délégation au palais des Tuileries pour rendre hommage à Louis XVI.

Monsieur Fréteau
A six heures et demie de l’après-midi, la délégation conduite par le président de l’Assemblée, Monsieur Emmanuel-Marie-Michel-Philippe Fréteau de Saint-Just, se présente dans le salon de l’œil de bœuf, qui comme à Versailles sert d’antichambre au roi. (Un chroniqueur fait remarquer qu’ils font une entorse à l’Etiquette du fait qu’ils ne sont pas en habits de cour comme cela doit être pour une audience royale). Les huissiers ouvrent les deux portes par lesquelles les députés pénètrent dans la chambre du Lit. Les officiers des cérémonies marchent à droite et à gauche du président de l’Assemblée.

N’ayant pas été prévenu de cette visite, (ce qui semble quelque peu étonnant), Louis XVI les reçoit assis dans un fauteuil. Il ôte, son chapeau, à l’entrée et pendant les révérences du président de l’Assemblée nationale.

M. le Président Fréteau s’avance et dit :

« Sire,

« L'Assemblée nationale a promis de s'unir inséparablement à Votre Majesté. Appelée près de vous par son amour, elle vient vous offrir l'hommage de son respect et de son immuable affection.

« L'affection du peuple français pour son monarque semblait ne pouvoir s'accroître depuis ce jour mémorable, où sa voix vous proclama le restaurateur de la liberté : il lui restait, Sire, un titre plus touchant à vous donner, celui du meilleur ami de la nation.

« Henri IV l'obtint des habitants d'une ville fameuse dans laquelle il avait passé une partie de sa jeunesse ; et les monuments de l'histoire nous apprennent qu'il signait de ces mots, votre meilleur ami, les lettres qu'il leur écrivait avec une affabilité incomparable. (Lettres de Henri IV aux Rochelois.)

« Ce titre, Sire, c'est la France entière qui vous le doit. On a vu Votre Majesté, ferme et tranquille au milieu des orages, prendre pour elle seule la chance de tous les hasards, essayer d'y soustraire, par sa présence et ses soins, ses peuples attendris. On vous a vu, Sire, renoncer à vos plaisirs, à vos délassements, à vos goûts, pour venir, au milieu d'une multitude inquiète, annoncer le retour des jours de la paix, pour faire renaître l'espoir du calme, resserrer les nœuds de la concorde et rallier les forces éparses de ce grand empire.

« Qu'il nous est doux, Sire, de recueillir les bénédictions dont vous environne un peuple immense pour vous en offrir l'honorable tribut ! Nous y joignons l'assurance d'un zèle toujours plus actif pour le maintien des lois et la défense de votre autorité tutélaire.

« Ces sentiments sont une dette de notre reconnaissance envers Votre Majesté ; ils peuvent seuls nous acquitter vis-à-vis de nos commettants, répondre à l'attente de l'Europe étonnée, et nous assurer les suffrages de la postérité. »

Sa Majesté lui répond :

« Je suis satisfait de l'attachement que vous m'exprimez ; j'y comptais, et j'en reçois les témoignages avec une grande sensibilité. »

Des acclamations répétées de : Vive le Roi ! Vive la Reine ! Ont confirmé l'expression des sentiments dont l'Assemblée venait, par l'organe de son président, d'offrir l'hommage à Sa Majesté ;

Suite à ce grand moment, la délégation de l’Assemblée nationale fait part au roi de son désir de présenter ses hommages à la Reine. Le roi le permet, et autorise les députés à traverser son grand cabinet, pour se rendre chez la Reine, par la galerie de Diane. Les huissiers ouvrent les deux battants qui conduisent de la Chambre du Lit au grand cabinet. Les députés passent, devant le Roi qui s’était placé près de cette porte, en faisant une profonde révérence.

A l’extrémité de la galerie de Diane se trouve l’appartement de la Reine qui était l’ancien appartement de la Reine Marie Thérèse. Il est adossé à la galerie de Diane, donne sur le jardin et se compose de cinq pièces.

Marie Antoinette n’a pas été avertie non-plus de cette visite et est à sa toilette. Ne souhaitant pas faire attendre les députés, elle leur accorde audience sans délai et elle s’assoit dans un fauteuil de son grand cabinet. Les députés sont alors introduits chez la reine par les officiers des cérémonies. Pour leur marquer une attention particulière, celle-ci se lève à leur entrée, alors qu’elle reste assise ordinairement.

M. le Président Fréteau dit :

« Madame,

« Le premier désir de l'Assemblée nationale, à son arrivée dans la capitale, a été de présenter au Roi le tribut de son respect et de son amour. Elle n'a pu se défendre de céder à une occasion si naturelle de vous offrir ses sentiments et ses vœux. Recevez-les, Madame ; permettez-moi de vous les exprimer tels que nous les formons, vifs, empressés et sincères. Ce serait, Madame, avec une véritable satisfaction, que l'Assemblée nationale contemplerait un moment dans vos bras cet illustre enfant, que les habitants de la capitale vont désormais regarder comme leur citoyen, le rejeton de tant de princes tendrement chéris de leurs peuples, l'héritier de Louis IX, de Henri IV, de celui dont les vertus font la gloire de la France. Il ne jouira jamais, non plus que les auteurs de ses jours, d'autant de gloire et de prospérité que nous leur en souhaitons. »

La reine ordonne alors au comte de Nantouillet, maître des cérémonies, d’aller chercher M. le Dauphin et elle répond au président :

« Je suis touchée au-delà de toute expression des sentiments de l'Assemblée nationale. Si j'eusse été prévenue de son intention, je l'aurais reçue d'une manière plus digne d'elle. Voici mon fils. »

La Reine prend M. le Dauphin dans ses bras, et le porte dans les diverses parties du salon de jeu où était l'Assemblée.

La réponse de la Reine a été suivie d'acclamations réitérées de Vive la Reine ! vive M. le Dauphin !

À son arrivée et à sa sortie, l'Assemblée nationale a été conduite et reconduite avec les honneurs accoutumés (dit le PV de l’Assemblée).




"Débriefing"...

Vous aurez remarqué, j’en suis sûr, que nos députés révolutionnaires sont toujours aussi épris de leur roi et de leur reine. Sont-ils naïfs à ce point, ou venons-nous d’assister à une parade bien calculée ? Je ne sais qu’en penser pour le moment. Peut-être en apprendrons-nous plus, plus tard ?

Rappelons en effet que ce roi compréhensif et avenant, est le même qui a adressé le 3 septembre une lettre à l’évêque de Tréguier pour se plaindre de ses malheurs et de prier pour lui ? le même qui le 12 octobre a envoyé une lettre à son cousin roi d’Espagne pour lui affirmer que tout ce qu’il disait et faisait depuis le 15 juillet, l’était contre son gré ?

Quant à la reine Marie-Antoinette, elle vient de prier Jacques-Mathieu Augeard, son secrétaire des commandements de la reine, d’examiner les modalités d’une fuite de la famille royale !


La famille royale se promenant dans le jardin des Tuileries
(en bonne compagnie)


Un des derniers portraits de la famille royale,
puisqu'il date de 1793.



lundi 19 octobre 2020

19 Octobre 1789 : Le Club Breton quitte Versailles pour le couvent des Jacobins à Paris

    Le club Breton, lui aussi quitte Versailles à la suite du Roi et de l'Assemblée, pour venir s’installer à Paris tout près des Tuileries, où se trouvent à présent le roi dans son palais et bientôt l’Assemblée nationale dans la salle de l’ancien  Manège. Le club tiendra dorénavant ses séances au convent des Jacobins de la rue Saint Honoré. Il changera également bientôt de nom pour devenir la « Société des Amis de la Constitution ».

    Le club Breton avait été fondé à Versailles le 30 avril 1789 par des députés bretons aux états généraux, notamment Isaak Le Chapelier qui en fut le premier président, Jean-Denis Lanjuinais et Jacques-Marie Glezen, avocats au barreau de Rennes. Son objet était d’y débattre entre députés du Tiers Etat sur les sujets traités à l’Assemblée, afin que les députés du Tiers puissent constituer un courant plus homogène au sein de l’Assemblée et voter tous dans le même sens.

    Le tableau ci-contre représente l’entrée du club Breton qui se situait dans l’arrière-salle du café Amaury. On voit devant l’entrée un sans-culotte vêtu de la carmagnole (veste courte), portant des sabots, coiffé d’un bicorne orné d’une cocarde révolutionnaire et armé d'une pique, prenant la main de Théroigne de Méricourt, (dite Lambertine). Vous remarquerez au passage le bonnet phrygien et la cocarde révolutionnaire qui ont été collés au-dessus du tableau. 

    Surtout notez bien que le bonnet phrygien ne comporte pas ces ridicules oreilles pendantes que des artistes ont ajouté plus tard en faisant l’amalgame avec les casques antiques et leurs paragnathides (protège joues).

    Composé d’environ 200 adhérents à sa création, le club en comptera plus d’un millier en décembre 1789. Réservé initialement aux députés, il s’ouvrira progressivement aux citoyens non-parlementaires. Mais il faudra néanmoins pouvoir s’acquitter d’une cotisation plutôt onéreuse de 24 Livres et être parrainé par cinq membres.

    La Société des Amis de la Constitution regroupera à ses débuts des députés de tendances diverses. En ce mois d’octobre 1789, on pouvait y remarquer Antoine Barnave, Adrien Duport et Alexandre de Lameth, le trio puissant du moment, que l’on surnomme le triumvirat ; mais aussi Mirabeau, Lafayette, Jérôme Pétion de Villeneuve et aussi un certain Maximilien Robespierre, qui en deviendra la président en 1792 lorsque le club deviendra la « Société des amis de la Liberté et de l’Égalité ».

    Le club ouvrira bientôt en province des filiales (près de 150, fin 1790). Un comité de correspondance contrôlé par Barnave et ses amis veillera aux relations entre la société-mère et les filiales. Le club des Jacobins éditera également le Journal des Sociétés des amis de la constitution, fondé par le militaire et écrivain Choderlos de Laclos.

Bien sûr, nous serons amenés à reparler de ce fameux club des Jacobins, le temps venu !

Voici néanmoins quelques estampes illustrant son histoire. Cliquez sur les dates figurant sous chacune, pour accéder à une analyse de l'image.

28 Février 1791

Janvier 1792

28 Juillet 1794 (mort de Robespierre)



19 Octobre 1789 : Marie-Antoinette complote déjà pour fuir

Jacques-Marie Augeard

    Marie-Antoinette prie Jacques-Mathieu Augeard, son secrétaire des commandements de la reine, d’examiner les modalités d’une fuite de la famille royale.

    Celui-ci lui aurait proposé de fuir avec le roi pour Metz, en passant par sa terre de Buzancy

    Augeard sera arrêté le 29 octobre, sur dénonciation du comité des recherches de la Commune. On trouvera parait-il sur lui, un plan d'enlèvement du roi. Il sera emprisonné puis traduit devant le tribunal du Châtelet, inculpé de crime de lèse-nation, après que le roi ait autorisé ce Tribunal le 24 octobre à juger ce nouveau crime...

    Malgré la gravité de cette accusation, le tribunal de la Commune de Paris sera plus clément envers ce comploteur en dentelles, qu’envers le dérangeant Marat régulièrement envoyé en prison, car Augeard sera finalement acquitté le .


    Il est intéressant de prendre connaissance de l'avis de Mounier, sur ce prétendu complot, dans son rapport lu à l'Assemblée le 26 octobre ; rapport rédigé depuis sa province du Dauphiné où il est parti se réfugier après les événements des 5 et 6 octobre.

Voici le lien : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3

version en PDF : https://www.persee.fr/docAsPDF/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3.pdf

    

    Durant les années à venir, la reine et le roi ne cesseront pas d’intriguer, comploter, voire trahir, (comme lorsque la reine indiquera en 1792 les mouvements de l’armée française à son amant Fersen pour qu’il informe « qui de droit »(1) ). Mais il faut admettre aussi qu'on leur a probablement attribué la responsabilité de complots dont ils ignoraient tout. Je vous en parlerai en temps voulu.

(1) Le 26 mars 1792, la reine écrivait à Mercy : « M. Dumouriez […] a le projet de commencer ici le premier par une attaque de la Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée de La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du Conseil d’hier. » Le 27 juin 1792, elle écrivait à Fersen : « Dumouriez part demain pour l’armée de Luckner ; il a promis d’insurger le Brabant. » (Baron de KLINCKOWSTRÖM, op. cit., T. II, p. 308.)

    En attendant, si vous le souhaitez, vous pouvez lire ci-dessous, les mémoires secrets de cet honorable gentilhomme, plus dévoué à la reine qu’à son pays. (Mais, bon, que ne ferait-on pas pour une femme ?)

Mémoires secrets du sieur Augeard : 





19 Octobre 1789 : 1ère séance de l’Assemblée nationale à Paris, Bailly fait un sage discours.

Salle du Manège des Tuileries, (d'après Chenavar)
Source : Paris Musées

Petit rappel des faits…

    Suite aux journées des 5 et 6 Octobre, le roi étant revenu bon gré mal gré vivre à Paris dans le palais des Tuileries, l’Assemblée nationale a répondu à son invitation de le rejoindre à Paris. Une commission de six membres a été désignée dans la séance du matin du 9 octobre 1789, afin de trouver un local pouvant recevoir les 1318 députés des États Généraux. Il fallait que ce local fut suffisamment grand, que les voix y portent et que l’on puisse le chauffer sans trop de mal. Etaient membres de cette commission  : Guillotin, député du Tiers-État de Paris et ses faubourgs, en tant que médecin et hygiéniste, Vignerot du Plessis, duc d'Aiguillon, député de la noblesse d'Agen, Colbert de Seigneley, évêque et député de Rodez, La Poule, député de Besançon, Gouy d'Arsy, député de Saint-Domingue, et Lepeletier de Saint-Fargeau, député de la noblesse de Paris.


Le choix de la salle du Manège des Tuileries

    Après avoir visité une vingtaine d’établissements, la commission a fixé son choix sur la salle du Manège des Tuileries, située à proximité immédiate de la nouvelle résidence du roi. Elle a désigné l'architecte Pierre-Adrien Pâris afin de procéder aux modifications et aménagements pour permettre l'installation des parlementaires. Les travaux seront conduits par Pierre-François Lardant pour la maçonnerie, Pierre Francastel pour la menuiserie et Jacques Marqueré pour la serrurerie, tous issus des Menus-plaisirs. Évaluées initialement à environ 150 000 livres, les dépenses relatives à l'aménagement de la salle du manège s'élèveront à 168 152 livres.

Plan de l'architecte pour les travaux du Manège


    Construit en 1720 pour les leçons d’équitation du jeune Louis XV, 
le Manège longeait sur 120 mètres la terrasse des Feuillants. Il fut démoli en 1802 lors du percement de la rue de Rivoli. La porte d’entrée au Manège donnait sur le passage des Feuillants (actuelle rue de Castiglione) reliant la terrasse des Feuillants et la rue Saint-Honoré. Une plaque commémorative sur la grille du jardin des Tuileries, face au n° 230 rue de Rivoli, rappelle la présence des différentes Assemblées au Manège et la proclamation de la République dans ses murs ; à ce niveau, on est à mi-longueur de la salle, à l’emplacement de la tribune, le fauteuil du Président se situant donc au côté opposé.
    
     De 1789 à 1798, toutes les assemblées parlementaires de la Révolution siégeront dans cette Salle des Manèges (la Constituante, la Législative, la Convention, les Cinq-Cents). La royauté y sera abolie et la République y sera proclamée en 1792, l’esclavage y sera aboli le 4 février 1794.

    Cet article sur Wikiwand décrit bien l'histoire de ce haut lieu de la Révolution : Salle du Manège.

La salle du Manège des Tuileries
(entourée d'un cercle rouge, au milieu en bas)


Archevêché de Paris

Lieu provisoire, la grande chapelle de l’Archevêché

    En attendant la fin des travaux d’aménagement de la salle du manège, les députés se sont installés provisoirement dans la grande chapelle de l'ordination du palais de l'Archevêché de Paris. Mais celle-ci est inadapté à la réception d’autant de députés et le 26 octobre, une des tribunes installées à l'archevêché s'écroulera même en blessant quatre députés.



La Commune de Paris présente ses hommages à l’Assemblée

    Aujourd’hui 19 octobre 1789, à 10h du matin, l'Assemblée nationale constituante se réunit pour la première fois à Paris.

    En l’honneur de ce grand événement, une députation de la Commune de Paris conduite par le maire de Paris, Bailly, accompagné de Lafayette vient apporter ses hommages à l’Assemblée.

Veuillez trouver, ci-dessous l’adresse lue par Bailly :

 Source :  https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5194_t1_0458_0000_10


Jean-Sylvain Bailly

"Messieurs, nous apportons à l'Assemblée nationale les hommages de la commune de Paris ; nous venons renouveler à cette auguste Assemblée et l'expression d'un respect profond et l'assurance d'une soumission entière. Nous avons toujours désiré l'honneur que nous recevons aujourd'hui, celui de voir les représentants de la nation réunis dans le sein de la capitale, et y délibérant sur les grands intérêts de l'Etat.

Nous osons dire, Messieurs, que nous sommes dignes de cet honneur ; nous le sommes par le respect et la soumission dont nous venons vous offrir l'assurance, mais nous le serons surtout par notre fidélité à maintenir la liberté de vos grandes et importantes délibérations. La ville de Paris n'a point d intérêt particulier ; tout Français ne connaît dans ce moment que celui de la patrie. Nous demandons, comme toutes les provinces, que vous donniez à cet empire une Constitution durable qui maintienne sa prospérité, et qui fasse le bonheur de tous. Voilà notre intérêt, ce sont nos vœux.

S'il nous est permis de le rappeler ici, la ville de Paris s'est armée la première contre les ennemis de l'Etat, et en faisant ce premier acte de liberté, elle a fait disparaître les soldats dont l'Assemblée nationale et la capitale étaient environnées ; elle a assuré sa liberté en assurant la vôtre. Sa gloire sera que la félicité de la France ait été opérée dans son sein. La Révolution qui a été commencée par le courage doit être achevée par la sagesse.

Votre sagesse, Messieurs, est de peser et de fixer la destinée de l'empire. Notre devoir, à nous, est de veiller pour vous, de vous entourer du repos et de la tranquillité. Tout citoyen sera soldat pour composer votre garde nationale ; et la commune que vous voyez devant vous, tous les habitants de celte capitale sont prêts à répandre jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour votre sûreté, pour l'inviolabilité de vos personnes et pour la liberté de vos délibérations. Si la capitale n'a pas encore joui de tout le calme que les bons citoyens désirent, c'est que les grandes agitations d'où la liberté doit éclore ne peuvent s'apaiser tout à coup. Le mouvement une fois imprimé ne cesse que par degrés, mais il est des circonstances heureuses qui accélèrent un repos nécessaire.

Nous pouvons dire à cette auguste Assemblée que le retour du Roi à Paris y a répandu le bonheur, que sa présence chérie y établit une paix durable. Il n'y a plus de mouvement que pour se porter autour de lui, et cette paix si désirable est aujourd'hui assurée par votre présence. La paix est le fruit de la sagesse ; si la paix n'existait point encore, elle naîtrait du respect que vous inspirez. Qu'apportez-vous ici ? La durée de cet empire par les lois, sa prospérité par les lois, et le bonheur de tous par les lois.

En considérant le Sénat imposant et vénérable auquel j'ai l'honneur de porter la parole, je crois voir les lois personnifiées et vivantes, ces lois simples et éternelles qui vont s'étendre dans toute la France et dans tout l'avenir, pour le bonheur universel. La paix sera dans tous les temps l'ouvrage de ces lois, la paix sera le fruit du respect et de l'amour. La loi et le Roi, voilà tout ce que nous devons respecter ; la loi et le Roi, voilà tout ce que nous devons aimer."

 

Un mot sur la « Commune » de Paris.

    Ne confondons pas la sage Commune bourgeoise de 1789 avec la turbulente Commune populaire de 1871 ! Nos députés révolutionnaires de 1789 sont anglophiles, raison pour laquelle ils ont choisi de remplacer l’expression "Tiers Etat", par "Commune", en référence à la chambre des communes des Anglais (House of Commons). N’oublions pas que nos amis Anglais avaient déjà deux révolutions d’avance sur nous. La dernière datant de 1689.



dimanche 18 octobre 2020

18 Octobre 1789 : Colson donne des nouvelles de Paris : Beaucoup de bruits et de rumeurs...


Notre Dame de Paris, vue depuis le quai des Tournelles

    Parallèlement aux ouvrages des historiens, j'aime bien lire les témoignages de contemporains. Non-pas qu'ils soient plus véridiques. C'est ce qu'ils ressentent qui est intéressant.

    Voici donc comment Joseph Adrien Colson, avocat au barreau de Paris, décrit la situation dans son courrier du 18 Octobre adressé à son ami en Province.

"À la seule inspection de cette lettre et avant de l'ouvrir vous avez vu que j'existais encore. Tout Paris existe de même : il n'a heureusement coulé de sang que dans les veines et les maisons se portent à peu près comme elles se portaient au départ du dernier courrier. On ne prend plus même la précaution d'éclairer la nuit le premier des maisons et l'on ne fait presque plus de patrouilles le jour. Cependant il s'en faut bien que nous soyons parfaitement rassurés et que nous regardions notre sécurité comme établie sur des fondements inébranlables.

    Le parti de la conspiration, suivant les indices qu'on en a, est très répandu et très dangereux et ce que les complices en ont révélé est si terrible (on ne dit pas si c'est par la qualité des complices ou par la noirceur de leurs trames, ni la force des moyens qu'ils étaient prêts à employer), que ceux qui sont dépositaires de ce secret en ont paru saisis et qu'ils n'ont osé en faire part au public de peur de l’effrayer.

Monsieur Marat

    Nous avons d'indignes papiers publics qui contribuent beaucoup à grossir cette conspiration en imputant à tous ceux qui, dans les districts et à l‘Hôtel de Ville, sont à la tête des bureaux et des affaires publiques, de conspirer eux-mêmes contre le bien et la liberté publique, et en excitant presque) sous prétexte de la liberté de Ia presse, à leur plonger le poignard dans le sein. Monsieur Marat entre autres, auteur de L'ami du peuple, a eu la plus grande part aux troubles du 5 et du 6 qui ont décidé la translation de la résidence du roi et de l'Assemblée nationale à Paris, et il a eu le front de s'en vanter dans deux feuilles. On a supprimé son grand « ennemi du peuple » et on l'a arrêté lui-même pendant quelques jours. Mais je crois qu'il continue son écrit incendiaire et qu'il le fait débiter secrètement. Les aristocrates qui, sans doute, soudoient les auteurs de ces papiers atroces, les soutiennent en même temps par une infinité de bruits analogues.


    Aujourd'hui, pendant que Paris est au dépourvu de la denrée pour le pain, les représentants de la commune refusent du pain tout fabriqué que lui offrent les municipalités voisines. Hier, ils refusaient 40 000 fusils que le Forez lui offrait en pur don, en reconnaissance de ce que lui seul, pour ainsi dire, a opéré Ia révolution qui rend à la France sa liberté opprimée ou anéantie depuis tant de siècles. Un autre jour, les officiers qu'on envoie en détachement chercher les farines s'entendent secrètement avec les représentants de la commune pour n'en pas amener et pour affamer exprès Paris, ou bien les uns s'amusent à la chasse au lieu de chercher des grains chez les fermiers et de les faire battre ; d'autres forcent les marchands de leur donner les farines à un quart au-dessous du prix courant puis, le lendemain ils les revendent à leur véritable prix pour s'en approprier le bénéfice. Et l'on veut que les représentants de la commune souffrent et voient avec une joie secrète, dont ils triomphent intérieurement, ces abus intolérables.

Duc d'Orléans

    Chaque jour il y a de nouveaux bruits qui supposent de nouveaux dangers ou de nouveaux obstacles très difficiles à surmonter. Hier, pour un seul jour, on disait que l'Artois et le Languedoc désavouaient tout ce qu'a fait l'Assemblée nationale et voulaient la nullité de tout ce qu'elle a décrété jusqu'ici, que monsieur le duc d'Orléans, qui est allé à Londres pour une négociation dont on ignore encore l'objet, y était allé pour trahir, que les grenadiers des gardes françaises s'étaient emparés de tous les postes d'honneur de la garde du roi et qu'ils en excluaient la bourgeoisie qui probablement, si cela était vrai, ne le souffrirait pas, qu'on avait arrêté la nuit précédente trois abbés déguisés en dragons pour trahir, et il y avait peut-être encore d'autres bruits qui ne me sont pas parvenus. L'effet de ces bruits est que beaucoup de personnes se laissent déconcerter, que beaucoup d'autres, enflammées de courroux, demandent hautement des coups de vengeance et d'éclat et, pendant ce temps-là, le parti secret use de toutes sortes d'artifices pour exciter et accroître ces sentiments, et il ne cesse d'attiser continuellement le feu.

    La seule lueur d'espérance que nous ayons jusqu'ici dans une position aussi critique, c'est que l'Assemblée nationale a décrété, et le roi vient de sanctionner, 28 articles de loi pour la procédure criminelle, que demain l'Assemblée nationale va ouvrir sa première séance à l'archevêché pour établir des municipalités qui jugeront les matières criminelles, et que les districts s'occupent d'avance depuis hier à élire ceux qui concourront au jugement de ces matières. Si une fois le tribunal, quand il sera établi, se met en activité et fait des exemples, il n'est pas douteux qu'en peu de jours le calme."

Archevêché de Paris

18 Octobre : Attaque d’un convoi de blé à Lannion.

Emeute frumentaire

    Pendant que les députés de l'Assemblée nationale continuent de discuter des meilleurs solutions économiques et administratives pour améliorer l'état du pays, de nouvelles émeutes de la faim continuent d'éclater ici et là dans le royaume.

    Hier c'était à Rouen, aujourd'hui c'est à Lannion, en Bretagne, une ville pourtant située au cœur d'une région fertile en blé !

    Ce 18 octobre 1789, des commissaires envoyés de Brest pour assurer le service des subsistances de cette ville, sont malmenés à Lannion, point central de leurs achats dans la région. Un convoi de blé vient d’arriver, expédié de Pontrieu et une rumeur persuade aussitôt la population pauvre, que les enlèvements de grains ont pour but de causer la famine. Ni la faible escorte qui accompagne le convoi, ni les protestations des commissaires, ni l’assistance de la municipalité, ne peuvent empêcher la foule en colère d’arrêter les voitures. L’officier municipal Rivoalan, manque d’être victime de l’émeute ; mais les femmes qui en faisaient partie l’arrachent des mains des plus furieux. Les commissaires brestois en sont réduits à signer l’abandon des grains !

    Quant à Paris, la situation y est devenue si alarmante, que la Commune va demander aux villes de Provinces de retenir les chômeurs et les mendiants que la misère fait affluer sur la capitale !


Maison XVI-XVIIe à Lannion

    J’ai trouvé sur le Web, un article détaillant l’événement, que je vous conseille de lire.

En voici le lien (non sécurisé) : http://infobretagne.com/lannion-revolution-emeute-1789.htm

Le même site évoque également le fameux « Mandement » de l’évêque de Tréguier, dont je vous ai parlé le 14 octobre. Voici le lien : http://www.infobretagne.com/lannion1789.htm

Je vous ai retranscrit ci-dessous un extrait de l’article relatant l’émeute frumentaire du 18 Octobre 1789 :

« La récolte de 1789, gâtée par des pluies continuelles, a été pire que la précédente. Le blé dont la pluie a empêché le battage se révèle d'un faible rendement et atteint le prix de dix à douze livres le boisseau, au lieu de six à sept au maximum en temps ordinaire (Pommeret, op. cit., p. 80). Pour calmer l'agitation populaire, le Bureau, le 4 septembre, propose la création d'un grenier public. Ce projet indispose encore davantage les gens de la cinquième compagnie, qui y voient une tentative d'accaparement et s'élèvent en menaces contre le Bureau qui charge l'un de ses membres, le deuxième juge Cadiou, de réunir le peuple et de lui donner tous les apaisements.

Au cours d'une réunion tumultueuse, l'Assemblée des communes repousse le projet, proteste contre les accapareurs de grains, attaque la municipalité, demande à être représentée dans le bureau par les juges, c'est-à-dire par Cadiou, qui a gagné sa confiance, et enfin arrête d'interdire provisoirement l'embarquement des grains au port de Lannion. Hantés par la crainte de la disette, les faubourgs, quelques semaines après, passent à l'action directe et mettent l'embargo sur le blé et le beurre vendus au marché, que l'alloué a le plus grand mal à les faire restituer. Pour leur complaire, la municipalité, malgré son respect religieux des moindres décisions de l'Assemblée constituante, élève une protestation contre la libre circulation des grains décrétée le 20 août. Dans celle atmosphère chargée d'électricité, l'apparition, le 17 octobre, d'étrangers accompagnant un imposant convoi de treize charrettes de blé ne pourra manquer de faire éclater l'orage [Note : Sur cette affaire Cf. A. C. Lannion, B B, 17 ff. 68 et suiv. A. C. Guingamp, B B 15 f. 125. Arch. de M. du Cleuziou. Lettres adressées à Couppé. A. N. DIII, 56. Procédure contre Cadiou, B. N. L. b. 39/2.500. Adresse des pauvres ouvriers et artisans de Lannion, Tréguier, etc... Saint-Brieuc, 1789. Archives du Cleuziou. Cadiou. Le juge jugé sans être entendu, s. d., Saint-Brieuc in-8° de 18 p. Voir aussi Duchâtellier. Histoire de la Révolution dans les départements de l'Ancienne Bretagne, Paris, 1836, 6 v., T. I, p. 184 et suivantes].

La ville de Brest, dépourvue d'approvisionnements, avait envoyé des commissaires dans l'évêché de Tréguier, et même au-delà, pour acheter du blé, notamment à Morlaix, Tréguier, Lannion, La Roche-Derrien, Guingamp, Pontrieux, etc... Prévenus, le Bureau patriotique et la municipalité, réunis le 16, accordent aux Brestois l'autorisation d'achat et de passage qu'ils demandent. Un convoi venant de Pontrieux passera le lendemain sous l'escorte d'un détachement de la milice de cette ville, commandé par son chef le major Chrétien.

Le convoi annoncé arriva à Lannion le 17, entre neuf et dix heures du soir, et grâce à l'heure tardive les treize charrettes traversèrent la ville sans encombre. Elles avaient déjà franchi le pont Sainte-Anne et les chevaux prenaient haleine au pied de la terrible côte qui en ligne droite conduit au sommet du plateau dominant la rive gauche du Léguer, quand les habitants de Kérampont, sans doute aux aguets, lui barrent la route et interdisent aux conducteurs de pousser plus avant. Devant leur nombre et leur attitude résolue, les gardes nationaux de Pontrieux n'osent pas recourir à la force.

Pendant qu'on parlemente et qu'on discute à la lueur discrète des lanternes, les avocats Le Bricquir du Meshir, premier lieutenant du maire, remplaçant le premier magistrat absent, et l'avocat Rivoallan, tous deux membres du Bureau, accourus en toute hâte, invoquent la loi et essaient de raisonner leurs compatriotes. Peine perdue : l'heure tardive, la présence parmi les commissaires brestois d'un marchand de grains connu dans le pays ont éveillé la méfiance du peuple qui se montre irréductible et tout prêt à la révolte. « Le convoi ne partira pas, nous ne laisserons pas les accapareurs nous réduire a la famine ». Rivoallan est insulté le major Chrétien qui s'est interposé est bouscule, frappé et menacé de la pendaison par quelques-uns des plus excités. En désespoir de cause. Le Bricquir ordonne à la milice lannionaise alertée et conduite sur les lieux de garder le blé et d'empêcher son pillage. Le deuxième juge Cadiou, président du peuple, tente aussi de calmer les esprits, il n'est pas plus heureux malgré sa popularité.

Les gars de Kérampont, que des malveillants, paraît-il, auraient fait boire, ne veulent rien démordre, ils tiennent le convoi et s'opposent de toutes leurs forces à son départ.

Tout ce que ses efforts, joints à ceux des membres présents de la municipalité et du Bureau, obtiennent est la remise de l'examen de l'affaire au jugement des Communes le lendemain.

L'Assemblée qui se tint le dimanche 18 à l'auditoire, plein au craquer, fut des plus agitées. Cadiou, du perron des Ursulines et ensuite dans le cloître des Capucins, avait auparavant exhorté le peuple à obéir aux lois, il n'eut pas plus de succès que la veille. A l'auditoire, il plaça sur le bureau la loi du 20 août sur la libre circulation des grains et s'apprêtait à en donner la lecture quand l'arrivée imprévue des commissaires brestois déchaîna un tumulte tel qu'il ne put se faire entendre.

Pour apaiser l'assistance, les Brestois déclarent abandonner gratuitement leur blé au peuple et renoncer à tout achat à Lannion, et demandent à passer dans la chambre du conseil pour rédiger l'acte de cession. L'alloué les suit et tentant de concilier la légalité avec l'opportunité y fait inscrire la cession du convoi à la municipalité, à charge pour elle de tenir compte du prix à la ville de Brest. La lecture de cette clause soulève une tempête de protestations, les communes exigent l'abandon gratuit et tournent leur fureur contre les commissaires. Traités de gueux, de coquins, de fraudeurs, menacés de la corde, ils durent signer tout ce qu'on leur demandait et n'eurent la vie sauve que grâce à l'intervention courageuse du lieutenant du maire Le Bricquir et de l'avocat Deminiac qui protégèrent leur fuite.

A la nouvelle du traitement subi par les envoyés brestois, l'indignation fut grande dans toutes les villes patriotes de Bretagne. Brest, menacée de la famine, lésée dans ses intérêts, insultée dans la personne de ses représentants, ressentit vivement l'injure et décida de reprendre de force son blé et de châtier l'insolence des Lannionais. Sans perdre un instant, elle mobilisait une petite armée de quinze cents volontaires nationaux ; avec plusieurs pièces d'artillerie, et la faisait marcher sur Lannion. Un certain nombre de villes se solidarisaient avec elle ; Rennes, Morlaix, Pontivy, Paimpol, Moncontour, Guingamp, Landerneau, Landivisiau, Quimperlé, Quimper, Carhaix, Lorient, etc... leur proposaient des renforts ou même lui en envoyaient, sans attendre son assentiment. Grossie par ces détachements, l'armée brestoise, à son passage à Morlaix, comptait déjà plus de deux mille hommes, et son chef le major général Daniel de Colloé, pour arrêter cet afflux de renforts dont il n'avait que faire, envoyait des courriers dans toutes les directions pour inviter les gardes-nationaux déjà en marche pour le rejoindre à faire demi-tour [Note : Le 24 octobre, le Comité permanent de Guingamp arrête que le détachement de cent hommes annoncé ne partira pas, invite Pontrieux à imiter son exemple et envoie des commissaires sur la route de Lorient, jusqu'à Corlay, pour arrêter les troupes venant du sud de la Bretagne. A. C. Guingamp, B B 15, f. 125].

Entrés le 25 à Lannion, au milieu d'un déploiement imposant de forces, les commissaires de Brest ne parlaient rien moins que de tirer une vengeance éclatante de la ville rebelle et ils commencèrent par obliger la municipalité à inscrire sur son registre de délibération un récit des événements rédigé par eux, qui accusait formellement la garde nationale et la municipalité, à l'exception de Le Bricquir et de Deminiac qui leur avaient sauvé la vie, de connivence avec les émeutiers. Ils parlèrent et agirent en maîtres, ils avaient le nombre et la force, car le lieutenant-gouverneur de la province, ne disposant d'aucune troupe dans les environs se trouvait dans l'impossibilité matérielle d'intervenir.

Les représentants des villes de Morlaix, Guingamp, Lorient, Pontrieux, Paimpol, Quimper, Moncontour, Tréguier, Pontivy qui les accompagnaient, ou les avaient rejoints le lendemain, s'interposèrent en conciliateurs. Se faisant les avocats des autorités lannionaises ils parvinrent à apaiser les Brestois et à les ramener à une appréciation plus exacte des événements. Grâce à leur médiation la paix fut signée et la municipalité ainsi que la milice déchargée de toute accusation. La réconciliation fut scellée par un pacte d'union entre les représentants des villes présentes. Comprenant tous combien le succès des idées patriotes, dont ils étaient les propagateurs et les défenseurs, dépendait étroitement de leur entente, ils prirent l'engagement « de travailler à resserrer les liens qui les unissaient et se promirent en même temps un attachement et une fidélité toujours inviolable ».

A la demande des Brestois, le deuxième juge Cadiou, inculpé de complicité, était décrété le prix de corps, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévôté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils étaient conduits par étapes. Le 29 les troupes quittaient enfin Lannion, mais elles y laissaient une garnison de cent cinquante hommes. Il restait à payer les frais de leur entretien pendant cinq jours et qui se montait à la somme assez coquette pour l'époque de 12.195 livres 3 sols 11 deniers. Il ne semble pas que le gouvernement, à qui la municipalité en demanda le remboursement, pétition que Brest appuya, y ait jamais répondu (A. N. H. 573, Reg. des pièces concernant l'administration de la Bretagne. Lettres patentes du 6 juin 1790). Quant aux émeutiers, après quelques mois de séjour dans les geôles briochines, ils furent relâchés en avril 1790. Cadiou, contre qui on ne put relever aucun fait précis, fut acquitté. Il semble avoir été dans la circonstance victime de l'hostilité de la bourgeoisie lannionaise qui lui reprochait de l'avoir trahie pour se mettre à la tête du peuple. Son emprisonnement ne nuira pas à sa popularité et il gardera la confiance de ses concitoyens. Malchanceux, il sera pendant la Terreur destitué, sous de futiles prétextes, de la présidence du district et condamné par le tribunal révolutionnaire de Brest à dix ans de fer ; le conventionnel Palasne de Champeaux, après le 9 thermidor, le fera sortir du bagne, mais il survivra peu à cette dernière épreuve. Le major Chrétien ne sera pas découragé par les mauvais traitements subis à Lannion, il fera une honnête carrière dans la gendarmerie où il verra bien d'autres bagarres, dont il se tirera avec autant de bonheur. Lieutenant au moment de la prise de Saint-Brieuc par les chouans, le 27 octobre 1799, il n'y perdra que sa tabatière et sauvera sa vie.

Quant aux robins lannionais, ils gardèrent un amer souvenir de la journée du 17 octobre et de ses suites : le retour menaçant des Brestois, la note à payer, l'humiliation de leur tribunal déshonoré par l'arrestation de l'alloué et par-dessus tout, la crainte que les villes voisines ne profitent de la circonstance pour obtenir une justice royale à leur détriment. S'ils avaient pu prévoir l'avenir, un certain orgueil les aurait consolés, au moins partiellement, de ces pénibles moments, car le grand mouvement qui devait aboutir, le 14 juillet 1790, à la célébration dans un enthousiasme délirant de la Fédération nationale du Champ-de-Mars, fête éphémère de la réconciliation des Français, tel un mince filet d'eau source d'un grand fleuve, venait de surgir dans leur ville natale.

Le pacte d'union contracté le 26 octobre entre Lannion et les villes bretonnes représentées par leurs délégués, sera imité dans toutes les provinces du royaume. En Bretagne où l'idée était, dans l'air depuis longtemps, il fut le point de départ de congrès patriotiques entre les cités que le voisinage ou la communauté d'intérêt rapprochaient particulièrement. Cherchant toutes les occasions de resserrer leur entente contre les adversaires du nouveau régime qui s'élabore, les patriotes bretons prennent l'habitude de compléter leur échange assidu de correspondance par des réunions de commissaires ou députés. C'est ainsi que le Comité permanent de Guingamp propose à celui de Lannion, le 30 novembre, d'inviter les principales villes des évêchés de Saint-Brieuc, Tréguier et Saint-Pol-de-Léon à une assemblée pour étudier les moyens de développer la culture du lin et de la filature, questions intéressant à titre divers une bonne partie de leurs populations : importateurs de graine de lin, cultivateurs du littoral, marchands et exportateurs de toile, tisserands et filandières du pays de la manufacture (sud de l'évêché de St-Brieuc), qui demandent au filage ou au tissage un salaire d'appoint compensant la pauvreté du sol dans leurs cantons [Note : Déjà, le 10 août, 6 paroisses du Cap Sizun s'étaient fédérées afin « de prévenir et d'arrêter toute personne suspecte, de prendre des résolutions uniformes... ». Dans le courant de novembre, la milice de Quimper demande aux volontaires nationaux de la Bretagne et de l'Anjou de se réunir pour renouveler le pacte d'union et d'alliance, rédigé à Rennes au début de l'année par les étudiants en droit et les députés, que plusieurs villes de la Province y avaient envoyés, à l'occasion des rixes entre nobles et étudiants qui avaient marqué la dernière réunion des Etats de Bretagne. E. Corgne. Pontivy et son district pendant la Révolution, de 1789 à germinal V. 1938, Rennes, in-8°. Thèse de doctorat, p. 55].


samedi 17 octobre 2020

17 Octobre 1789 : Luddites ou carabots, des ouvriers de Rouen poussés par la faim, saccagent 6 filatures.


    Depuis le mois de juillet, la famine pousse les ouvriers de Rouen à manifester violemment et à saccager des manufactures. 

De véritables combats de rues opposent ceux qu’on appelle les « carabots » à la nouvelle autorité bourgeoise, c'est-à-dire la Commune mise en place depuis le 18 juillet dernier. 

    La révolution industrielle qui a déjà commencé en Angleterre, se profile également à l’horizon de la France. Je traite plus en détail de ce grand changement de société dans l'article du 12 Novembre 1789.

Le luddisme ?

    Ces révoltes dans les filatures de Rouen font écho à celles qui ont déjà eu lieu en Angleterre, menées par ceux qu’on appelait les luddites, du nom d’un ouvrier anglais, John ou Ned Ludd qui aurait détruit deux métiers à tisser en 1780. 

    
Article sur le temps des ouvriers

    Le luddisme est un mouvement intéressant à étudier, car il réapparait régulièrement lorsqu’un nouveau progrès technique fait disparaître des emplois devenus obsolètes. Nos économistes arguent toujours de ce phénomène pour ridiculiser de tels mouvements.

    De nos jours, la plupart des gens continuent de penser que chaque nouvelle révolution industrielle ou sociétale entraînera un remplacement des emplois disparus par des nouveaux.
    Les employés des services ont effectivement remplacé en grande partie les ouvriers qui avaient remplacé les paysans. Mais comprenez-bien que les prochains remplaçants seront des robots et des Intelligences Artificielle, pas des employés ayant suivi des formations bidon sur Internet. Vous en doutez ? Lisez cet article du journal The Economist, publié en 2014, que j'ai traduit sur l'un de mes autres sites : "L’avenir des emplois – la déferlante en approche".

    Mais revenons en 1789...

    J’ai eu la chance de vous dénicher sur le formidable site Persée.fr, cette étude publiée en 1981 dans les Annales de Normandie, par J.P. Alline, qui vous explique dans le détail le pourquoi et le comment de ce mouvement des ouvriers normands durant l’été 1789.

    La voici retranscrite ci-dessous, avec bien sûr le lien qui vous renvoie sur le document original :


A propos des bris de machines textiles à Rouen pendant l’été 1789 : Emeutes anciennes ou émeutes nouvelles ?

Source : https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1981_num_31_1_5410

 

    Les violentes manifestations qui ont secoué Rouen entre juillet et octobre 1789, et qui ont été ponctuées de saccages de manufactures, posent la question du concours des structures industrielles à la « crise de l'Ancien Régime ». Lors de véritables combats de rue, les « carabots » (1) rouennais vont bousculer, trois ans avant les sans-culottes parisiens, l'ordre monarchique. Mais à cette occasion, ils se heurtent aussi à l'autorité montante de la nouvelle Commune insurrectionnelle bourgeoise, au pouvoir depuis le 18 juillet.

    Car les émeutes rouennaises n'ont pas seulement un caractère politique. Pour la première fois en France, des manifestants s'en prennent aux symboles haïs du progrès technique, les machines textiles implantées à Rouen pour contrer la concurrence anglaise. Ce sont aussi les retombées négatives d'un mode nouveau de production qui sont visées par les émeutiers. Le classique conflit social à trois pôles, Aristocratie - Bourgeoisie - Peuple des années 1790 est déjà présent à Rouen dès la première flambée révolutionnaire.

    Les fonds judiciaires (2) permettent à Rouen de lever partiellement le voile sur un épisode des troubles de l'été 1789, qui, on le sait depuis les travaux de G. Lefebvre (3), n'ont laissé que peu de traces écrites. Investie depuis la déclaration royale du 23 mai 1789 de pouvoirs exceptionnels pour réprimer les « émotions populaires, excès et violences », la Maréchaussée (4) a en effet laissé quelques témoignages sur la nature des troubles. Bien qu'incomplète, cette petite sous-série (5) permet au moins de dresser le profil approximatif des émeutiers, et de lancer des pistes explicatives. Les papiers des autres autorités répressives sont par comparaison décevants pour cette période. Le fonds du baillage criminel, si riche pour le XVIIIe siècle (6), perd ainsi de son intérêt à la veille de la Révolution (7). Les victimes des pillages ont manifestement hésité à porter plainte, soit par crainte des représailles, soit en raison du coût élevé de la procédure, encore que l'instauration des commissaires-enquêteurs (8) ait sans doute diminué ce dernier.

    Le discrédit politique dans lequel est tombé le Parlement de Normandie en 1789, par l'égoïsme qu'il a manifesté lors des discussions sur la fiscalité, a par ailleurs tari les archives de la Tournelle criminelle (9). La compétence traditionnelle de la cour souveraine en matière de police urbaine (10) n'est plus à cette date qu'une survivance formelle. Brèves indications, enfin, sur l'environnement économique et social des émeutes dans certaines séries administratives (11) et municipales (12).

    L'intérêt de ces documents est de mettre en relation la distorsion croissante à la veille de la Révolution entre structures sociales et structure industrielle. On sait aujourd'hui que la crise de l'Ancien Régime consiste en la conjonction de plusieurs crises liées entre elles : crise frumentaire et des prix ; d'où crise des revenus, qui a précipité la crise financière elle-même aggravée par la concurrence industrielle anglaise. Cette mauvaise conjoncture globale a servi de catalyseur à la crise sociale et politique (13).

    Mais il reste à approfondir les liens entre les différentes crises, à la suite de la voie tracée par Ernest Labrousse à propos de l'impact sur les revenus paysans de la crise conjoncturelle des prix (14). En particulier, quelles ont été les incidences sur le « terrain » révolutionnaire du progrès technique brutalement introduit dans une société paysanne et artisanale déjà soumise à une crise des subsistances ? L'exemple rouennais montre la précocité de la révolte contre la machine, alors que l'on croyait ces phénomènes limités pour l'époque au « luddisme » (15) anglais (16). D'une manière générale, l'histoire de la formation de la main-d'œuvre industrielle, des étapes de sa « mise en usine », reste à faire, particulièrement pour le début de l'industrialisation (17). L'analyse des événements rouennais implique sous cet angle un triple questionnement :

— La filiation sociale des émeutiers en premier lieu : dans quelle mesure les briseurs de machines sont-ils les héritiers de « l'Ancien Régime économique », et des familiers des émeutes de la faim ?

— Inversement, existe-t-il chez les émeutiers des mots d'ordre nouveaux, plus spécifiques au monde industriel ? C'est là le problème de la signification sociale des émeutes.

— Les modalités de la répression, en dernier lieu, portent un témoignage sur l'image que se font les autorités anciennes ou nouvelles des émeutiers, mais aussi sur le rapport de forces entre les différentes couches sociales au sein du conflit révolutionnaire.


I. — Bris de machines et émeutes de la misère

    Les manifestations de luddisme à Rouen en 1789 ne semblent pas le fruit d'une réaction concertée et organisée. Très largement, ces émeutes plongent leurs racines dans un régime biologique et démographique archaïque : trop de bouches à nourrir dans des campagnes et des faubourgs surpeuplés. Tandis que la hausse des prix et l'arrêt de nombreux métiers dans les fermes et les petits ateliers rendent l'achat du* pain, devenu rare, problématique. La montée des troubles frumentaires est particulièrement nette en Haute-Normandie (18), et ses liens avec la crise industrielle bien établis (19). Cette observation ressort déjà des documents sur le paupérisme en 1788 et 1789 (20) et surtout des cahiers de doléances (21), qui lient fréquemment crise de l'emploi, introduction des machines anglaises et crise alimentaire. ,

    Cette crise multiforme n'atteint toutefois pas là population de manière égale. Un fossé de plus en plus large sépare le petit peuple des tâcherons à domicile, principales victimes de là crise, et les fabricants indépendants qui ont pu adapter leur offre à la diminution de la demande.

    Parmi les 188 000 ouvriers fileurs et tisserands qui faisaient tourner dans la région de Rouen 20 000 métiers en 1787 (22), près du tiers est au chômage et sans ressources. Des bandes de mendiants se forment dans la campagne cauchoise, quêtant et chapardant des denrées. Devant l'importance du péril, les notables rouennais de l'Assemblée Provinciale doivent voter à la hâte le principe d'une aide financière à ces quelque 60 000 pauvres (23). Les documents relatifs à la mendicité sont nets : ce sont les villages cotonniers du Pays de Caux, les faubourgs et les quartiers ouvriers de la métropole normande qui rassemblent les trois quarts des personnes à assister. Une souscription charitable doit être organisée par la Chambre de Commerce de Rouen, qui affecte 40 000 livres à l'achat de denrées de première nécessité pour les chômeurs. Des ateliers de charité sont installés par l'Eglise dans les trois quartiers les plus déshérités de Rouen (24).

    Les fileurs et tisserands urbains ne bénéficient en effet pas de l'appoint d'un lopin de terre pour assurer la soudure des subsistances et constituent donc la majorité des miséreux assistés. A la fin de l'année 1789, les mendiants admis à l'Hôpital général de Rouen seront effectivement issus à près de 50 % de la ville même de Rouen. Bien qu'atteints moins vite que les femmes par le chômage, les hommes en constitueront néanmoins les deux tiers :

Origine géographique des mendiants entrés au dépôt de mendicité de Rouen pendant le mois de décembre 1789 (% du total)
Source : A.D. Seine-Maritime, L 1020 (Hôpital général).


    Les mêmes sources précisent que 31 % des 3 652 personnes à la charge de l'Hôpital général étaient « anciennement employés au textile» (25). La proportion passe à 69 % dans la bourgade industrielle voisine de Darnétal. Les assistés sont en majorité des hommes jeunes, donc des actifs potentiels :

Répartition par âge et par sexe des mendiants entrés au dépôt de Rouen le 1er décembre 1789 (% en total)
Source : A.D. Seine-Maritime, L 1369.

    Les chiffres de la capitation pour 1789 confirment la concentration des indigents, dispensés d'impôt, dans les quartiers cotonniers de l'est et du nord de la ville, particulièrement dans le faubourg Saint-Sever, et la forte proportion des indigents masculins, vraisemblablement au chômage :

La localisation et l'importance du paupérisme à Rouen en 1789 d'après la capitation.

La localisation et l'importance du paupérisme à Rouen en 1789 d'après la capitation
Source : A.D. Seine-Maritime, C 2273.

    La corrélation géographique entre la misère dans les centres cotonniers de l'agglomération et les émeutes frumentaires recensées par la Maréchaussée depuis le début de l'année 1789 (cf. carte) confirme l'origine alimentaire des manifestations violentes d'ouvriers du textile.

    L'existence dans le textile rouennais de couches, sociales inférieures regroupées dans certains quartiers constitue une donnée indispensable à la compréhension des émeutes à l'été 1789, et de leur violence : déjà en 1788, la Commission intermédiaire avait aperçu « le danger qu'il peut y avoir à laisser les hommes gagner de 12 à 14 sous à filer la livre de coton, alors que le prix de cet ouvrage était auparavant de 30 sous » (26).

    La situation des victimes de la crise textile est d'autant plus tendue que la grande masse n'a pas eu l'occasion de faire entendre ses desiderata, ni dans l'enquête sur le paupérisme de 1788, ni surtout dans les cahiers de doléances. M. Bouloiseau a montré en quoi les doléances du Tiers du baillage dé Rouen avaient pu être limitées à celles des maîtres des communautés et des « fabricants de toutes sortes de toiles en fil et en coton » (27), assujettis à un droit de réception de 200 livres au moins. Le grand bailli de Rouen a de plus convoqué les habitants aux séances de rédaction non par quartier, comme ailleurs en France, mais par corps et communautés, excluant les 50 % de Rouennais simples salariés (28).

Crise du coton et troubles révolutionnaires dans la région rouennaise en 1789

    Le profond malaise populaire transparaît à travers une brochure anonyme rédigée en avril 1789 pour protester contre l'élimination des cahiers de la moitié de la population (29). La persistance des troubles des subsistances après l'ouverture des cahiers en • février souligne également combien la consultation populaire est insuffisante pour ramener le calme, les plus démunis ne pouvant s'y exprimer.

    Les cahiers des paroisses à la fois rurales et cotonnières laissant cependant apercevoir l'omniprésence de la revendication alimentaire. A côté des classiques plaintes contre les tracasseries du régime féodal et l'injustice de la fiscalité, transparaît le désir diffus d'une société en quelque sorte stationnaire, où le pain, abondant, serait vendu à prix fixe, et l'ouvrage assuré à tous grâce au retour au travail manuel. Seules quelques paroisses en majorité rurales, où le chômage porte atteinte à la propriété par l'intermédiaire du banditisme, recommandent la multiplication de petites manufactures pour occuper les fileurs (30). Ailleurs, les communautés villageoises s'en prennent aux machines anglaises, à qui elles attribuent le chômage, de la même manière que les accapareurs sont seuls tenus pour responsables de la cherté du pain.

    Aussi, dès mars 1788, réclame-t-on en bloc à Saint-Jean-du-Cardonnay, à Val- de-la-Haye, à Hautôt, à Notre-Dame-de-Varengeville, à Renfeugères, « la taxation du pain et l'abolition des mécaniques anglaises » (31). A Petit-Quevilly, on fait valoir que « les machines ne profitent qu'aux fabricants », selon un calcul économique déjà plus élaboré. A Saint-Pierre-de-Varengeville, où les cahiers mentionnent que 60 familles parmi les 130 feux sont dans la famine (art. 3), et où les pauvres refusent de souscrire à ces cahiers « qui ne représentent pas assez leur misère » (art. 17), on exige au minimum « la destruction immédiate des machines anglaises ». Des communes vouées exclusivement à l'agriculture, comme Pont-Saint-Pierre, se plaignent de manière convergente que la mécanisation du filage, en attirant la main- d'œuvre, retire des bras à l'agriculture, et renchérit ainsi le coût de la main-d'œuvre agricole.

    Le parallélisme étroit entre le déroulement des émeutes dirigées contre les convois de céréales, contre les autorités d'Ancien Régime et contre les machines textiles révèle l'identité opérée dans l'esprit des manifestants entre « Pacte de la famine » et progrès technique : après s'en être pris le 12 juillet à la fois à un convoi de blé entreposé dans la forteresse royale du Vieux Palais et à l'hôtel du Procureur général du Roi, une foule de 300 à 400 personnes envahit le 14 la filature de velours de Debourges et Calonne au faubourg Saint-Sever, après avoir brisé la porte à coups de pierres (32). Trente métiers mécaniques sont brisés, et la corderie de la fabrique saccagée, bien que Debourges se soit fait autoriser à armer ses ouvriers contre l'émeute. A quelques pas de là, le directeur de la fabrique Holker fait donner le feu sur les manifestants, réussissant à les repousser, tandis qu'au cœur de la ville, sur l'autre rive de la Seine, le reste de la foule s'en prend aux sièges des administrations royales et au métier automatique de Brisout de Barneville dans le cloître Saint-Maclou.

    Le 20 juillet, nouvelle émeute où sont visées à la fois les anciennes autorités, le procureur général Godart de Belbeuf ou l'intendant Maussion, et les métiers anglais achetés en 1788 par le Bureau d'encouragement pour l'atelier de charité de la rue des Augustins. Les deux machines sont mises en pièces. Mêmes scènes de violence dans la nuit du 3 au 4 août où l'émeute s'en prend à nouveau aux symboles du despotisme, intendance, bureau des aides, octroi, et à une grosse machine à filer de la rue de Martain-ville. Cette fois encore, la foule tente de jeter les débris dans un bûcher expiatoire place de Saint-Ouen, mais les forces de l'ordre réussiront dans la soirée à mettre cette relique symbolique en sûreté dans la caserne Saint-Sever.

    La répression massive qu'engendre le mouvement du début août va décourager pour de longues semaines toute forme de violence, sans toutefois l'empêcher totalement. Les manifestations de luddisme notamment ne disparaissent pas. Le 19 septembre, la puissante machine à filer d'un filassier de la rue de l'Epée est démantelée, et sa boutique mise à sac, malgré les rondes incessantes de la milice bourgeoise, omniprésente depuis la déclaration d'autonomie de la Municipalité le 18 juillet. Bien plus, en octobre encore, une violente émeute rue de Grammont et rue Pavée à Sotteville ravage près d'une vingtaine de machines chez quatre fabricants de toile (33).

    Ces émeutes frappent par la rancœur accumulée, et donc aveugle, que révèle l'hétérogénéité des « mécaniques » détruites. A côté de la grande fabrique Debourges, qui préfigure l'usine moderne et ses contraintes, le métier détruit chez un artisan de Sotteville est qualifié par la Maréchaussée de « petite mécanique servant à retordre le coton » (34). Lors de ces émeutes d'octobre à Sotteville, le coût des dégâts sera d'ailleurs évalué à 300 livres par machine, soit le prix moyen d'une « jenny » (métier à tisser à navette volante de trame), machine qui, à cette époque, est déjà très répandue, y compris chez les tisserands à domicile.

    Dans chaque cas, les bris sont accompagnés de menaces et saccages un peu indifférenciés : comme le gros industriel Debourges, dont la maison a été pillée en juillet, le petit fileur Joseph Marie est menacé par un chômeur d'abattis de maison (35). Le feu, surtout, est ressenti par les émeutiers comme une vengeance symbolique contre la misère. Les machines ont le plus souvent été jetées par les fenêtres et brûlées dans un endroit bien en vue, comme un trophée.

    Il n'est dès lors pas étonnant de constater que l'essentiel de la masse des émeutiers provient des couches les plus déshéritées du Tiers (cf. tableau ci-après). La part importante des marginaux arrêtés, « sans profession », soldats, prostituées, ne tient pas seulement aux suspicions habituelles de la Maréchaussée à l'égard de ce type de population. La proportion d'ouvriers ou de journaliers jeunes qui n'ont pas de domicile fixe est frappante, et dénote au moins un niveau de vie particulièrement bas et une mobilité de la main-d'œuvre, chassée des campagnes par la crise. La proportion importante des cabaretiers et prostituées témoigne également de la misère en milieu urbain. Un des émeutiers exécutés à la suite des événements du 3-4 août a été accusé de « demander l'aumône avec insolence... pour boire avec un soldat » (36), et certains cahiers, comme celui de Boos, attribuent à la crise du coton la multiplication des débits de boisson.

    Vision moralisante des troubles sociaux fréquente à cette époque, ainsi en Angleterre chez Defoë. En réalité, on retrouve dans les émeutes de l'été 89 les composantes sociales des troubles frumentaires continuels depuis 1787. Dans les deux cas, les troubles sont spontanés, et liés à la misère engendrée par la crise du coton. Dans les villages filateurs ou tisserands, comme dans les faubourgs industriels de Rouen, les ouvriers-artisans sont souvent en tête des pillages, encore qu'à la campagne, les petits paysans ruinés fournissent une part non négligeable des feules en colère (37).

Professions des manifestants arrêtés à Rouen lors des émeutes luddites de l'été 1789.
Source A.D. 202 BP 12 à 20

    Lors de l'émeute frumentaire de Boisguillaume en février 89, dix des onze personnes arrêtées ont une relation professionnelle directe ou indirecte avec le textile (38). La localisation géographique des émeutes du blé de l'année 1789 révèle un net glissement par rapport aux émeutes du XVIIe siècle, et notamment à la révolte des Nu-pieds : ce ne sont plus seulement les petits paysans touchés par la disette qui prennent les chemins, mais aussi et surtout un salariat ou semi-salariat bien localisé dans les gros centres textiles, et qui passe à des formes plus systématiques d'action, dont les taxations d'office du grain sur les marchés, et les destructions de machines.

    On ne peut cependant parler à propos de ces manifestants d'un prolétariat, au sens de salariat à temps plein et doté d'une conscience de classe. Les briseurs de machine sont trop hétérogènes, l'élément paysan encore trop présent, pour que l'on puisse parler même de pré-prolétariat, ou, au moins, d'attitude idéologique commune.

    Ce qui paraît en revanche nouveau et original dans ces troubles, c'est qu'au-delà de l'ancestrale revendication du droit à la vie, surgissent aussi des objectifs, plus spécifiquement liés à l'organisation du travail. Et à travers cette crise de la main-d'œuvre transparaissent consécutivement les faiblesses structurelles de la première industrialisation en France.


II. — Bris de machines et crise des structures de production textile

    La mécanisation entreprise depuis les années 1750 n'a pas eu des effets positifs sur la production textile, et ce ne sont certainement pas le traité de 1786 et la concurrence anglaise qui suffisent à expliquer le recul de la production rouennaise. Les courbes ci-jointes montrent les conséquences désastreuses quant aux faillites du retournement de la tendance après 1765, malgré quelques hausses épisodiques. En 1786, la production n'a fait que rattraper le niveau de 1767, avant de retomber définitivement au niveau d'avant 1740 au début de la Révolution.

    L'ancienneté et la profondeur de la crise de la production, la chute des bénéfices de la majorité des artisans expliquent la vigueur du mécontentement dans le secteur. Parmi les premiers touchés figurent les marchands-fabricants. Ceux-ci ont dû soit investir dans des métiers mécaniques, soit porter le coton à filer jusqu'aux limites du Pays de Caux, grevant leurs coûts de transport et perdant le contrôle de la productivité. Conséquence de l'éparpillement de la production, la recrudescence des vols de matière première est maintes fois dénoncée par les fabricants dans les plaintes de la Maréchaussée, mais sans grande efficacité. Les ouvriers à domicile paraissent de leur côté considérer ces menus larcins comme un moyen de fait de compenser la modicité de leurs salaires.


La crise de l'industrie textile à Rouen dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
- Production. Indice du nombre de pièces de coton produites annuellement, base 100 = production de 1740.
- Faillites Nombre annuel de procès devant le juge consulaire.
- échelle semi-logarithmique.

    Toujours est-il que la faible productivité du travail à domicile est de plus en plus utilisée par les industriels libéraux comme argument en faveur des grosses unités de production génératrices de discipline salariale (39), mais à l'inverse par les petits fabricants en faveur d'une production réglementée de manière corporative. La crise a en effet éliminé les marchands-fabricants ayant la surface de crédit la plus restreinte. Quatre-vingt-huit d'entre eux sont ainsi obligés de déposer leur bilan en 1789, contre soixante-huit seulement lors de la précédente crise de 1767-1768. Les manufactures et les gros ateliers de textile, dont le nombre est passé à Rouen de 2 en 1763 à 50 en 1786, sont eux-mêmes touchés. Les lourds capitaux immobilisés et l'endettement ont eu raison de nombreuses trésoreries, en l'absence d'un système bancaire et d'un financement à long terme approprié. C'est ainsi que vingt-trois entreprises doivent déposer leurs comptes entre 1788 et 1789, avec un passif énorme pour l'époque, de près de deux millions de livres (40).

    Bien plus, ce sont souvent des fabricants équipés de métiers qui sont touchés. Ainsi le maître-toilier Louvigny, qui se plaint à la Chambre de Commerce de l'arrêt de ses quarante métiers, en juin 1789 (41). A Sahurs, près de Rouen, « les personnes menant auparavant une vie aisée, sont plongées dans la misère, et sont obligées d'avoir recours aux aumônes des gens de bien », affirme le cahier de doléance du Tiers. A Amfreville, un front unanime s'est formé entre les fabricants et les ouvriers fileurs pour dénoncer la nouvelle filature mécanique de Louviers, installée par de Fontenay avec le soutien royal, dans la mesure où l'usine « emploie 400 personnes, mais a retiré du pain à 1200 autres » (42).

    De là l'hétérogénéité des manifestations normandes de luddisme. Des petits patrons viennent parfois joindre leur voix, voire leur violence, au flot des mécontents. Pour la première fois figurent parmi les meneurs arrêtés des personnes représentatives d'une société artisanale traditionnelle, à côté des familiers des émeutes populaires, petits paysans ou journaliers ruinés, soldats démobilisés ou déserteurs, vagabonds, prostituées, et autres personnes marginalisées. Jean-Louis Duchesne, tenu pour l'incitateur des bris de machines du 17 octobre, et maître-toilier de la rue Pavée, n'est autre que le voisin d'une des victimes, Julien Auger, toilier propriétaire de deux machines anglaises à filer. Duchesne ne cessera, au cours de son interrogatoire, d'accuser Auger de « retirer le pain des bouches des membres de la corporation » (43). Ce cas n'est pas isolé. Figurent parmi les destructeurs des machines de Debourges à Saint-Sever : un « menuisier travaillant pour son compte », un tailleur, un « patron de métiers à filer », trois maîtres-toiliers, sur une trentaine de personnes arrêtées.

    De là aussi la persistance au sein des couches sociales inférieures d'un discours et d'une idéologie corporative inspirée par ces petits patrons et gens de métier. Ce discours se retrouve à la veille de la Révolution à propos de la traditionnelle exigence de qualité de la marchandise, mais aussi dans le refus des rythmes industriels de travail.

    La mécanisation est très souvent dénoncée dans les cahiers comme génératrice de mauvaise qualité, ainsi à Saint-Martin-de-Boscherville où les « filassiers » se plaignent que « les mécaniques anglaises font un si mauvais ouvrage qu'on ne peut les employer à faire des étoffes qu'avec peine, et ces étoffes étant faites, trompent le public qui en fait usage ». Critiques sans doute un peu forcées en raison du climat de chômage. Elles sont cependant partiellement confirmées par l'Administration royale dans des rapports sur la fragilité des filés produits par les « spinning Jennies » ou le métier de Brisout de Bar ne ville, sorte de rouet géant permettant à une seule fileuse de produire 194 aunes de fil en une heure (44). Lors de la destruction de la fabrique Debourges à Saint-Sever, c'est une machine anglaise à carder le coton, capable de produire soixante fois plus de fibres qu'une cardeuse à main, qui est particulièrement visée par les émeutiers, et traînée jusqu'à la Mare au Parc, où elle demeure exposée comme au pilori, symbole déchu de l'intolérable concurrence au tour de main ancestral (45).

    Et surtout, la machine est accusée d'imposer des rythmes de travail très mal supportés dans une société encore rurale et artisanale. Faisant baisser les prix de production, la machine augmente corrélativement les horaires de travail, dans un système de rémunération à l'ouvrage. Dès le printemps 1788, on dénonce dans de nombreux villages cotonniers du Pays de Caux le passage à une journée de travail de 17 à 18 heures pour les familles de fileurs les plus pauvres, les femmes et les enfants ayant dû apprendre aussi à manier la pédale des rouets mécaniques pendant de longues journées (46).

    Surcroît de travail et de fatigue qui permet au mieux un maintien du niveau de vie, et à quoi vient s'ajouter pour les travailleurs en atelier la perte de liberté au niveau de l'aménagement du temps de travail. A Rouen, les représentants les plus radicaux du Tiers dénoncent la filature mécanique de Louviers, non seulement pour son effet déprimant sur l'emploi, mais aussi pour son rythme inhumain, puisqu'elle « marche comme un moulin » (47). A l'inverse le promoteur de la filature, de Fontenay, s'émerveille de ce que ses machines ont diminué les vols de coton, traditionnels dans le travail à domicile, en même temps que les prétentions salariales des fileurs (48).

    Autre indice du refus des règlements d'atelier et de leurs contraintes, l'absentéisme, qui paraît se développer dans les manufactures rouennaises avec l'implantation des « mécaniques ». Les plaintes de patrons contre leurs ouvriers, voire les rixes consécutives à des indisciplines, se multiplient parmi les affaires jugées par les échevins à partir des années 1780. En période de baisse des rémunérations, les horaires fixes et la semaine de six jours sont considérés comme un carcan intolérable. Le lundi notamment, le « Saint Lundi » de la tradition corporative et ouvrière, est souvent revendiqué comme un privilège coutumier, destiné notamment à se requinquer d'éventuelles festivités dominicales. Au point que les patrons doivent réclamer en août 1784 des peines plus sévères contre leurs salariés qui « quittent l'ouvrage à leur gré », ou qui profèrent « de furieuses injures » quand on leur refuse des augmentations ou du temps libre (49). Les quelque 15 000 causes disciplinaires jugées entre 1750 et 1790 (50) concernent en majorité les filateurs et toiliers en coton, c'est-à-dire les métiers à la fois les plus nombreux et les plus mécanisés, parmi les passementiers, les drapiers, les badestamiers (fabricants de bas), les teinturiers et les tanneurs.

    La guerre contre la machine n'est donc pas seulement une guerre contre la misère. Elle exprime aussi le refus plus ou moins conscient de l'enfermement en usine et de son cortège de règlements. A défaut de contrôler le débouché du produit, le fileur ou le tisserand semble sentir confusément que son rythme personnel de travail est la seule chose qui lui appartienne encore en propre. Par cet aspect qualitatif, les aspirations des ouvriers normands rejoignent celles des luddites anglais, bien que ne présentant pas le même degré d'explicitation. Dès l'automne 1779, les bris de machines dans le Lancashire prennent en effet l'allure d'un front organisé contre les grandes fabriques et les restrictions qu'elles imposent aux libertés héritées du « domestic system ». Mais le luddisme anglais, mieux organisé, trouvera après 1811 un écho à l'intérieur même de ces fabriques, ainsi dans le Yorkshire (51), tandis que son homologue français demeurera au long du XIXe s. sporadique et désespéré.

    Parce qu'elles joignent, pour la première fois, à la foule traditionnelle des mal nourris, des artisans appauvris et blessés dans leur dignité de producteurs par le travail mécanisé, les émeutes rouennaises de 1789 présentent un aspect nouveau et préfigurent les foules parisiennes de l'An I et de l'An II. Par le minimum de calcul économique qu'elles supposent, ces émeutes ne sont plus seulement des révoltes biologiques contre la « force des choses » (52) comme au siècle précédent, encore que les phénomènes d'errance demeurent très nombreux en Normandie en cette période. En 1789, on ne vole plus seulement du grain ou du pain. On vole aussi des matières premières, et symboliquement, on brûle l'hôtel de l'intendance, en même temps que les machines encouragées par l'administration royale. Il y a, comme l'avait relevé Georges Lefebvre, « politisation » des émeutes, au sens d'un passage d'une revendication du droit à l'existence à la revendication d'un mode d'existence qualitativement déterminé.

    Le vœu social que les tisserands rouennais dessinent en filigrane à travers les bris de machines, maintien de la production individuelle, égalitarisme, garantie de la stabilité des prix et des revenus, est à rapprocher de ce que seront plus tard les revendications sociales de la Sans-culotterie parisienne (53). Les deux mouvements ont d'ailleurs au plan sociologique des points communs, par l'union qu'ils réalisent entre la « populace » et des artisans éventuellement aisés, encore qu'à Rouen, aucun programme et aucun meneur ne soient réellement apparus. Comme le mouvement sectionnaire parisien cependant, le luddisme normand est avant tout l'affirmation du droit à « l'égalité de jouissance » et au travail protégé dans une société de petits producteurs indépendants, l'artisanat suppléant aux disettes de l'agriculture, et vice-versa. L'idée séculaire du droit au travail et au juste salaire se perçoit bien dans le cahier du Tiers du bourg cotonnier de Salmonville, où l'on affirme que «le travail doit fournir une subsistance honnête » (54). Les Carabots briseurs de machines sont accusés, comme plus tard les Enragés parisiens, d'avoir crié « mort aux riches », ou encore cet ouvrier tisserand de Dàrnétal qui aurait déclaré à la Maréchaussée qu'il ne « connaissait ni dieu ni maître en dehors de lui-même » (55).


III. — L'efficacité de la répression

    Cette société « partageuse » et malthusienne voulue par les petits artisans est évidemment éloignée de la société industrielle à l'anglaise que souhaitent les notables libéraux. C'est pourquoi la priorité accordée à la formation d'une main-d'œuvre d'un type nouveau a exacerbé les conflits sociaux à Rouen depuis les années 1750. La répression exemplaire des émeutes de 1789 va mettre fin définitivement aux convulsions violentes de la société artisanale traditionnelle dans la métropole normande.

    On peut relever dans l'attitude des autorités rouennaises une nette tendance à criminaliser les conflits du travail depuis le milieu du siècle. Au fur et à mesure de la montée des difficultés économiques, les revendications nées du chômage ou du travail industriel sont de plus en plus assimilées à de la délinquance pure et simple.

    Cette remarque est évidente en ce qui concerne le mécontentement alimentaire. L'image que se fait le Parlement de Rouen, autorité de police dans la ville, des manifestants depuis la guerre des farines de 1775 est celle de « mauvais sujets », « d'esprits séditieux », voire « d'alcooliques et de fainéants qui n'ont qu'à travailler sur les mécaniques » (56). Vision fréquente chez les nantis et les privilégiés à l'époque (57), les chômeurs sont responsables de leur pauvreté. Celle-ci doit d'ailleurs engendrer l'humilité et non la révolte : « Les séditieux méritent la sévérité des juges, mais les indigents qui se plaignent sont dignes de leurs regards souverains » (58). Les expressions « séditions » ou « émotions » sont d'ailleurs employées par les magistrats pour désigner de simples mouvements de mauvaise humeur face à la montée des prix.

    Même valorisation de la discipline et du travail et même vision réductrice des couches sociales inférieures chez les échevins. Le ressort de la justice échevinale englobe les trente communes de la banlieue cotonnier e de Rouen, conférant ainsi aux juges consulaires un droit de regard sur la grande majorité de la main-d'œuvre ouvrière. Ce pouvoir est d'autant plus efficace qu'il est appuyé de manière constante par le procureur du roi, celui-ci pouvant exercer une « vindicte publique », c'est-à-dire des poursuites d'office contre les fauteurs de troubles dans les manufactures. Le caractère dissuasif de ces mesures est particulièrement net. Dès le 6 juillet 1751, l'ouvrier Mouchard, qui a menacé son maître de sévices en cas de refus d'augmentation de salaire, s'est vu infliger une amende de 62 livres et un mois de prison (59). Tandis que deux ans plus tard, lors des grandes grèves de juin à Saint-Sever, « défense est faite aux filassiers de quitter leur ouvrage sous peine de prison » (60). Les juges sont peu à peu devenus les auxiliaires des maîtres pour l'application des règlements d'atelier, ainsi en 1784, à la veille de la Révolution, où l'échevinage inflige encore de lourdes peines aux « séditieux qui osent refuser les commandements de leurs maîtres » (61).

    Comme en Angleterre (62), la bourgeoisie de négoce souhaite à Rouen contrer les prétentions des artisans et l'indiscipline des ouvriers fileurs et tisserands. Les six corps qui forment l'échevinage expriment clairement dans leurs cahiers leur hostilité à l'esprit communautaire et à la revendication de hauts salaires rémunérant un savoir-faire habile. Autant que le souci d'ordre social, cette attitude exprime le désir de sauvegarder l'autorité des maîtres lors de la mise en usine. Le machinisme sert ainsi de révélateur au gouffre qui sépare les conceptions sociales du petit peuple, routinier par réflexe de survie, et la bourgeoisie de négoce, qui entend faire aussi de la machine une arme de guerre contre l'esprit corporatif et la protection du travail qu'il suppose.

    On comprend mieux, dès lors, l'aspect exemplaire des condamnations d'émeutiers pendant l'été 1789. La déclaration royale du 23 mai incite d'ailleurs les prévôts des maréchaux à « faire des exemples devenus nécessaires pour arrêter le mal sans délai » (63). Les interrogatoires et les jugements des émeutiers arrêtés lors du pillage de la manufacture de Saint-Sever sont de fait menés en dehors des formes habituelles, sans ordonnance de comparaître, sans procès-verbal d'arrestation, sans réquisitoire (64). A l'apogée des violences, ;" les 3 et 4 août, la machine répressive d'Ancien Régime manifeste un dernier sursaut d'énergie, avec l'appui de la milice bourgeoise maîtresse de la rue. Près de cent personnes sont arrêtées, y compris à titre préventif dans les cabarets. Six émeutiers sont pendus entre le 6 et le 21 sur le pont enjambant la Seine face au quartier ouvrier de Saint-Sever, tandis que les canons de la milice et des troupes royales sont braqués sur cette rive du fleuve en présence de tous les Corps constitués de la ville.

    Le cas du journalier Jacques Castel, pendu peu avant les meneurs Bordier et Jourdan, montre la légèreté des chefs d'accusation : arrêté le 4 août « pour avoir demandé l'aumône avec insolence », Castel est interrogé le 5, et le « jugement souverain et en dernier ressors » le condamne le 6 à la peine capitale (65). Dans tous les cas, les corps des suppliciés ont été exposés pendant cinq jours avec une mise en scène calculée à l'entrée des faubourgs populaires de la rive gauche. Même caractère brutal de la sentence au mois d'octobre à rencontre de Duchesne, accusé seulement d'avoir brisé les deux métiers mécaniques de son voisin. Arrêté le 18, le maître-toilier est pendu le 20, et son corps exposé en face de Saint-Sever, selon un scénario désormais bien rodé (66).

    Les termes employés par la nouvelle municipalité bourgeoise pour désigner les émeutiers, « mutins », esprits séditieux », « bandits » (67), sont à rapprocher des qualificatifs semblables figurant dans les procès-verbaux de la Maréchaussée, dans lesquels le lieutenant Flambart n'hésite pas, lui aussi, à assimiler misère et délinquance. De nombreux suspects, arrêtés pour « attroupements », « injures » ou « menaces », ne sont en fait accusés par les témoins que de tentatives de menus larcins, notamment de pièces de tissu. Le 7 septembre 1789, le soldat Etienne Levasseur sera même inquiété pour sa seule allure débraillée ; il sera accusé par Flambart de « paraître un mauvais sujet »(68).

    Pour les autorités d'Ancien Régime comme pour les nouvelles élites au pouvoir, le vol ou la menace de vol semblent constituer à eux seuls de graves menaces à l'ordre public. Lors du procès de Duchesne, il est à plusieurs reprises souligné que l'accusé a « porté atteinte à des propriétés sises à Sotteville » (69). Il s'agissait en fait de deux métiers à tisser, vraisemblablement de taille modeste. Dans une ville de négoce et d'industrie comme Rouen, on comprend que la défense de l'outillage ait pu être perçue comme une nouvelle dimension de l'ordre public, tant aux yeux de l'administration royale imprégnée d'idées mercantilistes qu'à ceux des représentants des propriétaires de machines; De là cette paradoxale collaboration entre les hommes nouveaux issus de la Révolution de Juillet à Rouen avec la Maréchaussée royale, en violation des principes judiciaires libéraux qui sont défendus par ailleurs.

    Ce clivage violent entre les aspirations des couches inférieures et les objectifs de la bourgeoisie de négoce préfigure directement l'éclatement du Tiers en 1792, lors de la fusillade du Champ de Mars, et surtout en 1793-1794 à propos de la conception du gouvernement révolutionnaire.

    Ainsi esquissées, car l'histoire de la Révolution à Rouen reste à faire, les émeutes rouennaises de 1789 montrent que la « crise de l'Ancien Régime » présente bien deux grands caractères étroitement imbriqués.

— Crise politique généralisée, tout d'abord. L'élite libérale rouennaise étouffe dans le carcan de l'Administration monarchique, bien qu'elle ait utilisé à son profit la pesante réglementation des manufactures. Jusqu'au début d'août 1789, la milice bourgeoise se bat aux côtés des Carabots des faubourgs contre les représentants de l'ordre ancien. Même si elle soutient partiellement les vieilles autorités répressives, la nouvelle municipalité ne saurait en effet conclure de compromis avec les privilégiés. Comme à Paris, la Révolution est à Rouen autant le fruit de l'ascension de la bourgeoisie que celui du mécontentement populaire. Mais la question du libéralisme économique et du progrès technique déchire profondément le Tiers.

 — Crise sociale et économique grave, par conséquent. Au-delà de l'évidente crise conjoncturelle à la source agricole et libre- échangiste, c'est plus fondamentalement la capacité de l'Ancien Régime à faire coexister deux types de sociétés qui est en cause. La première société, majoritaire, rurale et artisanale, a dû trouver depuis longtemps un fragile mais relatif équilibre biologique en limitant revenus et démographie (70). La seconde, technicienne et déjà capitaliste, a déraciné et canalisé vers le marché urbain du travail une masse d'ouvriers-paysans que la hausse relative des revenus a contribué à augmenter. Dès lors, la moindre crise industrielle conjoncturelle a pu avoir des conséquences dramatiques, et c'est bien le cas en 1787-1789. En forçant le trait, on peut dire que la bourgeoisie libérale de l'Ancien Régime a voulu greffer de force sur le corps social un type de production que celui-ci n'était pas prêt à recevoir, notamment pour des raisons tenant à la rigidité des structures sociales et des mentalités. Là se situe sans doute la faiblesse structurelle première de l'industrialisation en France.

    Confrontation violente de deux traditions, de deux attitudes mentales bien distinctes. L'une égalitariste, rétrograde par obligation alimentaire, héritière des pratiques communautaires médiévales. C'est celle que les Sans-culottes opposeront à l'incompréhension d'un Robespierre. L'autre optimiste, positiviste, qui imposera la forte croissance économique du XIXe siècle. Mais il faudra attendre 1887-1889 et les derniers bris de machines textiles dans les régions de Reims, de Cholet ou de Cambrai (71) pour que disparaissent en France les derniers signes de résistance de la société artisanale traditionnelle.

J.-P. ALLINNE Université de Rouen.



Le professeur Jean-Pierre Alline est à présent Professeur émérite en Histoire du droit et des institutions, à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour

 

 

 

(1) Sobriquet découlant du cri de ralliement des manifestants « carabo ! ».

(2) Sur l'intérêt de l'ensemble des fonds judiciaires révolutionnaires, cf. Claude Mazauric, « Notes sur Je fonds judiciaire de la Révolution à Rouen », Annales de Normandie, 1964, p. 427.

(3) Cf. le classique La Grande Peur, Editions Sociabs, Paris, réédition 1953, et Foules Révolutionnaires, in Etudes sur la Révolution française, réédition, Paris, P.U.F., 1963.

(4) Jusqu'à cette déclaration, la Maréchaussée ne possédait en effet, depuis l'Ordonnance du 25 janvier 1537, qu'un pouvoir de police et une justice sur les délits et crimes ruraux et des grands chemins.

(5) A.D. Seine-Maritime, 202 BP 1 à 20.

(6) Cette richesse est en cours d'exploitation grâce à la thèse d'Etat d'un chercheur américain, P.B. Uninsky, de l'Université de Michigan.

(7) Pièces éparses aux A.D. S.-Mme, 4 BP 5840 (« émotions » frumentaires), 5843 (plaintes de filateurs et toiliers). Nombreuses pièces classées avec' les papiers de la Maréchaussée, en raison de la jonction des procédures et des personnels judiciaires opérée lors des procès d'émeutiers.

(8) II s'agit de quatre auxiliaires du Parquet, habilités à susciter les plaintes. Résumé de celles-ci du 14 octobre 1788 au 21 octobre 1789 in A.D. S.-Mme, 4 BP 5956 à 5958.

(9) A.D. S.-Mme, BI 8520 à 8525 : essentiellement « qualités des sentences ». c'est-à-dire résumés de la procédure suivie entre les parties, peu utilisables.

(10) Pouvoir que les Parlements exerçaient depuis le moyen âge par la voie de leurs « arrêts de règlement ». A Rouen, et jusqu'à ce que la municipalité bourgeoise lui retire ce pouvoir le 10 août 1789, le Parlement avait de plus l'important privilège de commander les armes en l'absence du gouverneur royal.

(11) Intendance : A.D. S.-Mme, C 136 à 163. Conseil du commerce : A.N., F 12 Ï07 b, 177, 658 à 1328, 1139 à 1343 (Installation de machine à Saint- Sever et Saint-Maclou). Commission intermédiaire de l'Assemblée Provinciale de Normandie : A.D. S.-Mme, C 2120121, 2133, 2173, 2210-13.

(12) Arch. mun. Rouen, Plumitif des échevins, G 17 617 à 637 (Registre de la juridiction consulaire). Contient des indications sur les conflits du travail dans les manufactures.

(13) Sur tous ces points, synthèse d'Albert Soboul, in La civilisation de la Révolution française, Paris, Arthaud, 1970.

(14) Cf. sa prise de vue la plus récente in Histoire économique et sociale de la France, Tome II (1660-1789), Paris, P.U.F., 1970.

(15) Du nom de Ned Ludd, ouvrier tisserand anglais qui aurait le premier en 1779 détruit une machine à fabriquer les bas à Leicester. Le mouvement luddite est cependant resté sporadique jusqu'au début du XIXe siècle.

(16) L'ouvrage de base est sur ce point : M. Thomis, The luddites, machine- breacking in Regency England, Newton Abbot, Library of textil history, 1970 ; voir également E.S. Hobsbawm, The machine breackers, Londres, 1952 ; F. Peek, The rising of the luddites, Londres, 1969.

(17) Parmi d'inégales monographies anciennes, le classique du genre, Ch. Ballot, L'introduction du machinisme dans l’industrie française, Paris, 1923, a choisi, selon un préjugé très fréquent à cette époque, de réduire l'histoire de l'industrialisation à une histoire des techniques.

(18) Cf. G. Lemarehand, « Les troubles des subsistances dans la généralité de Rouen », Annales historiques de la Révolution française, n" 4, 1963, p. 401.

(19) Cf. Le Parquier, Une enquête sur le paupérisme et la crise industrielle à Rouen en 1788, Rouen, 1936 ; P. Dardel, « Crises et faillites à Rouen de 1740 à l'An V », Revue d'Histoire économique et sociale, 1948, p. 18, et M. Bouloiseau, « Aspects sociaux de la crise cotonnière dans les campagnes rouennaises en 1788-1789», Actes du 8V Congrès des sociétés savantes, Paris, 1956, p. 403.

(20) A.D. Seine-Mme, C 2120, « Observations de la Commission intermédiaire de l'Assemblée provinciale sur les effets désastreux du traité de commerce avec l'Angleterre », 1788, et C 2210 à 2212 : enquête paroissiale sur l'indigence, 1788-1789.

(21) Cf. M. Bouloiseau, Les cahiers de doléances du Tiers Etat du baillage de Rouen, 2 vol., Paris, 1957 et 1960,

(22) Chiffres largement confirmés : cf. F. Evrard in « Les ouvriers du textile dans la région rouennaise », Annales historiques de la Révolution française, 1947, p. 333.

(23) A.D. S.-Mme, C 2211, Enquête sur l'indigence. Approximation certainement sous-estimée, les paroisses craignent en effet de se voir imposer' l'intégralité de la charge financière de l'entretien des pauvres. . > : : .....

(24J A.D. S.-Mme, C 2121, 2133, 2173 : Saint-Maclou, Saint-Nicaise, Saint-Vivien. Ces ateliers populaires, ancêtres des ateliers nationaux, sont dirigés par les curés des paroisses concernées.

(25) A.D. S.-Mme, C 2212, Enquête précitée sur l'indigence.

(26) A.D. S.-Mme, C 2211.

(27) Selon la définition de l'édit de 1778 qui regroupe les producteurs.

(28) Cf. Les cahiers de doléances du Tiers-Etat dans le baillage de Rùuen, op. cit., pp. 204-205.

(29) Cf. La mort du Tiers-Etat, ou plaintes que présentent au Roi les bourgeois de la ville de Rouen, au nom des malheureux de toute la province de Normandie. Rouen, avril 1789.

(30) Cf. Cahiers du Tiers de Rouen, op. cit., p. cxxiv.

(31) A.D. S.-Mme, C 2210 à 2212, enquête précitée sur le paupérisme.

(32) A.D. S. -Mme, 202 BP 12, « information sur la sédition arrivée à la manufacture de coton sur mécaniques du faubourg Saint-Sever ».

(33) A.D. S.-Mme, 202 BP 13.

(34) A.D. S.-Mme, 202 BP 12- : pétition en faveur du filassier, 22 sept. 1789.

(35) A.D. S.-Mme : « Certifions avoir entendu le dit Duparc menacer le dit Marie de lui faire sauter sa maison ». Duparc est journalier^ 'alors sans emploi.

(36) A.D. S.-Mme, 202 BP 13, procès de Jacques Gastel ;

(37) Cf. G. Lemarchand, op. cit., p. 405 et sq.

(38) A.D. S.-Mme, 202 BP 14, interrogatoire des suspects.

(39) Voir ainsi un plaidoyer contemporain en faveur de la libre entreprise et de la discipline d'atelier in Encyclopédie des métiers, des manufactures et des arts, Rouen, 1788, II, p. 250.

(40) Sur la crise de la production haute-normande, cf. P. Dardel, Commerce, industrie et navigation à Rouen et au Havre au XVIIIe siècle, Rouen, 1966, p. 123 et sq.

(41) A.D. S.-Mme, C 163, «Etat des draperies».

(42) A.D. S.-Mme, C 136, dossier du Monopole de la Manufacture de filé de Louviers.

(43) A.D. S.-Mme, 202 BP 13, Audition et confrontation de Duchesne, 20 octobre 1789.

(44) A.N., F 12 658 à et F 12 1338.

(45) A.D. S.-Mme, 202 BP 14. La cardeuse mécanique ne pouvait à l'évidence démêler tous les nœuds da fibres végétales, à moins de les casser.

(46) A.D. S.-Mme, C 2212.

(47) Cf. La mort du Tiers Etat, op. cit., 29 avril 1789.

(48) Sur l'œuvre d'A. de Fontenay, industriel physiocrate et frère du premier maire de la Commune bourgeoise de Rr.uen, cf. l'Eloge posthume de l'ancien préfet Beugnot, Bull, de la Société d'émulation de la Seine-Inférieure, 1835, p. 218.

(49) Arch. mun. Rouen, G 35, Plumitif des échevins, folios 56 à 62, Règlement d'août-novembre 1784. : "

(50) Sur ce point, cf. l'analyse bien documentée de Le Parquier, « Ouvriers et patrons à Rouen dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ». Bull, de la Société d'émulation de la Seine-Inférieure, 1932, p. 111.

(51) Cf. M. Thomis, The Luddites, op. cit., p. 15.

(52) Selon l'expression de François Furet in « Pour une définition des classes inférieures ■», Annales E.S.C., mai-juin 1963, p. 470.

(53) Sur ce point, A. Soboul, Les Sans-Culottes de l'An H, Paris, Seuil, 1968, p. 60 et sq.

(54) Cf. Cahiers de doléances... de Rouen, op. cit., p. clvii.

(55) A.D. S.-Mme, 202 BP 12.

(56) Cf. Représentation du Parlement de Normandie en faveur des pauvres de la généralité de Rouen, 3 mai 1788.

(57) Sur ce point, Images du peuple au XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1973 [Centre aixnis... siècle].

(58) A.D. S.-Mme, « Registre secret » du Parlement, arrêt du 6 mai 1768 sur la mendicité.

(59) Arch. mun. Rouen, G 17, Plumitif des échevins, folios 132 et 141.

(60) Ibid., G 19, folios 53 à 74.

(61) Ibid., G 35, folios 56 et 59.

(62) Spr le cas anglais, cf. D.S. Landes, L'Europe technicienne, Gallimard, Paris, 1969, pp. 83-120.

(63) L'exposé des motifs de la déclaration revient souvent sur cette idée d'exemplarité : « ...il est nécessaire que des exemples se fassent avec célérité... »

(64) A.D. S.-Mme, 202 BP 14.

(65) A.D. S.-Mme, 202 BP 12.

(66) A.D. S.-Mme, 202 BP 12.

(67) Ordonnance municipale, 5 août 1789, placardée le 6 dans les rues à titre d'appel à l'ordre.

(68) A.D. S.-Mme, 202 BP 12.

(69) Ibid.

(70) Cf. les pages éclairantes d'Albert Soboul in La crise de l'Ancien Régime, op. cit., p. 155 et sq.

(71) Sur ces mouvements, dus surtout aux tisserands à domicile, cf. Michèle Perrot, Les ouvriers en grève, Thèse Lettres, Paris, 1964.