lundi 27 avril 2020

27 Avril 1789 : Mort du Seigneur des Abus ! Vraiment ?

"CONVOIS DE TRÈS HAUT ET TRÈS PUISSANT SEIGNEUR DES ABUS
MORT SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XVI LE 27 AVRIL 1789."

L'Obsession des Français de 89. 

    De nombreuse estampes publiées avant la Révolution traitent de cette obsession des Français de 1789, à savoir mettre fin aux abus. Les abus, se sont tous ces privilèges dont bénéficiaient la Noblesse et le Clergé. (Concernant le clergé, rappelons que tous ses hauts dignitaires, c'est-à-dire le "haut clergé", étaient tous des nobles). Dans l'ensemble, les nobles ne payaient que très peu d'impôts, voire pas du tout. Cela commençait à poser question aux Français, y compris au roi, compte tenu de la dette qui accablait le royaume de France. Le peuple était écrasé par les impôts comme le montrent les estampes ci-dessous.

Quelques estampes de 1789 illustrant le fardeau de la dette et des impôts. 

Pourquoi cette date du 27 Avril sur l'estampe ?

    Cette date était celle prévue pour l'ouverture des États généraux figurant, telle qu'elle figurait dans la lettre envoyée par le roi le 24 Janvier 1789 à tous les gouverneurs des Provinces. Cette annonce officielle de la tenue prochaine des états généraux avait suscité une vague d'espoir dans le pays.

"A bas les impôts !"

L'Exemption fiscale nobiliaire.

    La noblesse ne payait pas l'impôt direct que constituait la Taille. Elle aurait dû payer la Capitation et le Vingtième, ces deux impôts extraordinaires, d'abord temporaires puis devenus perpétuels, qui avaient été créés à la fin du règne de Louis XIV et sous Louis XV pour faire face aux dépenses de la Guerre de Sept Ans. Mais elle obtenait facilement des décharges ou des réductions et les employés du fisc ne mettaient guère de zèle à recouvrer les sommes dues par les nobles. Quant au clergé, il avait racheté sa contribution à la capitation à titre définitif en 1710 moyennant une somme de 24 millions...

    Ces "privilèges pécuniaires", comme on les appelaient à l'époque, avaient fait l'objet de débats passionnés tout le long du 18ème siècle. Lors des "Assemblées des notables" de 1787 et 1788, le pouvoir royal avait tenté de les supprimer, ou pour le moins de les retreindre.

Assemblée des notables de 1787
 

    Le ministre Calonne avait évoqué "les abus" lors de son discours d'ouverture de l'Assemblée des Notables le 27 février 1787 :

Charles Alexandre de Calonne
« Oui, messieurs, c'est dans les abus mêmes que se trouve ce fonds de richesses que l'État a le droit de réclamer. C'est dans la proscription des abus que réside le seul moyen de subvenir à tous les besoins. Ces abus qu'il s'agit aujourd'hui d'anéantir pour le salut public, ce sont les plus considérables, les plus protégés, ceux qui ont les racines les plus profondes et les branches les plus étendues. Ce sont les abus des privilèges pécuniaires, les exemptions à la loi commune, qui ne peuvent affranchir une partie des contribuables, qu'en aggravant le sort des autres ».


    
L'historien Guy Chaussinand-Nogaret l'a brillamment expliqué dans un article au sein duquel j'ai choisi ce extrait :

« Malgré ses efforts l'absolutisme n'est jamais parvenu à faire payer les privilégiés. On peut légitimement se demander s'il l'a vraiment voulu. Il semble que l'on puisse, à cette interrogation, répondre par l'affirmative, et imputer aux seuls bénéficiaires de l'immunité, la responsabilité de l'échec du régime. Le pouvoir a maintes fois manifesté sur ce point sa détermination et pris sans ambiguïté les mesures les plus appropriées à la réalisation de ses objectifs. Mais les privilégiés ont cherché tout au long du siècle des parades aux initiatives du pouvoir, et construit tout un arsenal d'arguments pour assurer la défense de l'exemption fiscale. Le plus commun assimile l'immunité à une compensation, à un rachat pour service rendu ou pour capital investi et, retournant contre le régime la notion d'abus, l'accuse de manquer à ses engagements et à la justice. »

 Lien vers l'article : "Le fisc et les privilégiés sous l'ancien régime".

L'obsession des exemptions pécuniaires.

    Lorsque les 20 et 22 mai 1789, pendant les États généraux, le Clergé puis la Noblesse annonceront qu'ils renoncent à leurs exemptions pécuniaires, beaucoup croiront que la crise qui secouait le royaume était enfin terminée. Mais un autre enjeu était devenu prépondérant pour les députés du Tiers-état, vous allez le découvrir, celui de la représentation nationale...

 Représentants de la Noblesse et du Clergé aux États généraux.


Légende complète de l'estampe du 27 Avril 1789 :

Convois de très haut et très puissant Seigneur des Abus

Mort sous le règne de LOUIS XVI Le 27 Avril 1789

Des antiques abus le souverain empire

A ma voix de Louis tremble chancelle, expire ;

Victimes des abus ! séchez enfin vos pleurs ;

Et toi Divinité de la Reconnaissance,

Prépare ton encens, et grave dans nos cœurs

Le nom du Prince aimé, par qui venait la France.

En tête du cortège, les « Pauvres victimes des Abus » suivie par :

Une des Furies

L’Avarice

Génies chantant les Ouvrages les plus estimés sur les États Généraux.

La Folie

L’Orgueil

Le Tiers-État portant le Corps immense des Abus, couvert d’un riche poêle sur lequel la Mitre désigne les abus du Clergé, l’Épée liée à une Bourse, ceux de la Noblesse, le Bonnet carré, ceux de la chicane, à côté une Couronne de Fer marque l’empire tyrannique des abus.

L’Égalité

La Prudence et la Force

La Justice

M. Necker qui après avoir approfondi les abus les conduits au tombeau.

Grand Deuil de ceux qui peuvent regretter les abus.

Necker ? 

    Vous avez lu ? On parle encore de Necker ! Certes, Jacques Necker était populaire en 1789, mais tant d'estampes vantent sa gloire, que l'on peut se demander si ce brillant homme, si doué en communication (il faisait publier nombre d'ouvrages expliquant (et vantant) sa politique), ne serait pas à l'origine de ces publications massives...

D'autres estampes à propos des abus !



vendredi 24 avril 2020

24 Avril 1789 : Émeute de la faim à Orléans racontée par Jeanne-Victoire Dellezigne, apprentie et ouvrière.

 Article publié le 24/04/2025. L'insertion d'images générées par IA constitue un test.

Image généré par l'IA Gemini de Google.

    Elle s’appelait Jeanne-Victoire Dellezine. C’était une femme du peuple, une ouvrière. Le 22 avril 1789, elle commença un journal qu’elle tient jusqu’au 15 avril 1797, journal qui est conservé aux archives du département du Loiret. Le style est maladroit et l’orthographe souvent fantaisiste comme c’est souvent le cas à l’époque (y compris chez les plus éduqués), mais ce document est précieux, car bien peu de gens de sa modeste condition ont laissé de tels témoignages de l’époque révolutionnaire.

    Son journal est conservé aux archives du département du Loiret, qui en publie quelques extraits en ligne. Vous pouvez y accéder en cliquant sur l'image ci-dessous :

 

Contexte historique.

    La notice présentant le document ne semble pas s’étonner du fait qu’une femme d’une condition si modeste puisse laisser un tel témoignage. C’est pourtant assez exceptionnel. Même si Orléans se trouve dans l’une des quelques régions de France où un plus grand nombre de gens savaient lire et un peu écrire (85 % de la population était analphabète sous l’Ancien régime), la plupart des témoignages que l’on a conservé viennent plutôt de bourgeois (majoritairement masculins).

Image généré par l'IA Gemini de Google

    La notice précise où elle habitait, au 41 rue du Tabour, non loin des lieux évoqués dans l'extrait (place du Martroy, rue du Bœuf-Saint-Paterne…), mais pas où elle travaillait. Orléans était en effet une ville ouvrière en 1789. Le Duc d’Orléans, cousin du roi Louis XVI, y avait créé en 1787 une importante usine de filature qui avait employé jusqu’à 800 personnes. A noter qu’en 1790, sur 400 ouvriers qui y travaillaient 45 % étaient des enfants de 5 à 16 ans. On imagine mal ces ouvriers travaillant 12h par jour, avoir le loisir de tenir un journal. Jeanne Victoire était peut-être uen apprentie ouvrière chez un petit artisan ?

    Lire cet article sur les réalisations industrielles du Duc D’Orléans : "Capitaine d'industrie, le Duc d'Orléans achète aux frères Milne les droits sur leurs machines."

Plan de la ville d'Orléans en 1705
La Grand Rue deviendra la rue du Tabourg (tambour)
Un second pont sera construit sera construit entre 1748 et 1763.

Émeutes frumentaires.

    Cet extrait de son journal relate plusieurs journée d’émeutes frumentaires qui ont eu lieu du 24 au 28 avril à Orléans. Les émeutes frumentaires étaient des émeutes de la faim provoquées par le manque de grains et parfois même par la simple peur du manque. L’historien Hyppolite Taine a dénombré plus de 900 émeutes frumentaires en France entre 1786 et l’été 1789, dont 300 depuis le début de l’année 1789 ! Le pain manque en effet et quand il y en a, il est bien trop cher. En 1789, le repas quotidien d’un ouvrier parisien étant composé d’une miche de pain de 4 livres (2 kg), qui ne coûtait plus 8 sols, comme en 1750, mais 14 sols. Pour se nourrir les 365 jours de l’année, l’ouvrier avait donc besoin de 5 110 sols. Son salaire étant de 20 sols par jour, en travaillant 207 jours, il gagnait 4 140 sols. Bien qu’il travaillât 25 jours de plus qu’en 1750, pour se nourrir chaque jour, il lui manquait 970 sols ! 

Émeute frumentaire
(Image généré par l'IA Gemini de Google)

    Ce manque de grain, cause de disettes et de révoltes fut un problème récurant de la fin du 18ème siècle, et le principal élément déclencheur de la Révolution française. Plusieurs problèmes en étaient la cause, de mauvaises conditions climatiques (hivers exceptionnellement rigoureux et orage dévastateur du 13 juillet 1788), mais aussi une agriculture aux rendement médiocres (En France on ne récoltait que 5 grains pour 1 semé, alors qu’en Angleterre on en récoltait 12 pour 1 semé) et une gestion politique et économique défaillante (alors qu’il fallait 15,25 livres pour acheter un quintal de blé en 1750, il en fallait 29 en 1789, soit une hausse de 90,2 %). A noter également que de 1700 à 1789, la population du royaume était passée de 21 à 28,6 millions d’habitants, soit une hausse de 36,2 % !

    Voici les 5 premières pages du journal, publiées sur le site des archives départementales du Loiret (La retranscription suit en-dessous.) 


    Retranscription proposée sur le site des archives départementales (quelque peu modernisée afin d’en faciliter la lecture).

"Journal Orléanois Commencé le vingt deux avril Mil sept cent quatre vingt neuf Année de tristesse de partout.

Quatre vingt huit (1788) a été bien triste et bien fâcheux.

Au mois de juillet, à cause d'un orage qu'il y a eu un dimanche au matin, cet orage était mêlé de grosse grêle qui a couché tous les blés

de plusieurs paroisses, impossible d'en retirer la paille.

Son hiver a été bien frais et bien neigeux car la rivière a été glacée toute entière pendant quelques jours…

Quatre vingt neuf (1789) a été aussi froid, la rivière a été aussi glacée mais bien plus forte(ment) car la glace avait quatre pieds (1m20 environ) de profondeur ; le dix-huit de janvier, la (débâcle) est venue par une grande crue qui a fait fendre la glace et l'a jetée sur le rivage qui a crevé les levées à plusieurs endroits et a inondé plusieurs bourgs et villages, surtout Saint-Denis-en-Val, Mareau, Olivet, Saint-Mesmin qui y avait tout perdu leurs biens sans pouvoir le retirer.

En attendant que le cours des eaux fut passé, plusieurs sont venus en ville avec leurs vaches et loger chez leur bourgeois et ceux qui n'en avaient pas allaient chez ceux de leur connaissance ou bien à l'Hôpital Général.

« Tournez la feuille sil vous plai »

Mademoiselle Bourdier qui était notre voisine est morte le vingt deux avril, âgée de 52 ans, a été enterrée le 23 du même mois et le pain valait 29 sous les 9 livres et pour ce sujet la révolte a commencé le vendredi à 4 heures du soir qui était le 24 avril par des charrettes que l'on a arrêtées sur le pont, chargées de blé dans des poches à charbon ; là dessus, toute la populace s'est révoltée en disant qu'il y avait du blé dans les greniers puisqu'il le faisait passer en contrebande dans des poches à charbon … et dans mille autres choses imaginables ; aussitôt que le lieutenant de Paultre a su ça, (il) a été au devant de cette troupe, leur a dit : « mes enfants, suivez-moi, je m'en vais vous montrer tous les greniers » ; aussitôt on (est allé) chez plusieurs marchands de blé qui n'ont pas refusé l'entrée de leur maison ni les clés de leur grenier pour en faire perquisition …

Ils ont été chez un nommé Rime, marchand de blé et de farine, la plus belle et la plus fine, qui a refusé de donner les clés et l'entrée de sa maison, en fermant ses portes et ses croisées, est venu paraître par une de ses croisées avec deux pistolets chargés qu'il tenait dans ses mains et les a tirés sur ceux qui lui demandaient l'entrée de sa maison ; sitôt que la populace a vu qu'il agissait de la sorte, on (a) commencé par forcer les croisées et on (est) entré malgré lui où ils ont brisé, cassé tous les meubles et détruit un si beau jardin ; après ils ont trouvé du blé et de la farine en quantité, plein des greniers jusqu'à la cave ainsi que bien d'autres marchandises qui étaient de l'eau-de-vie et du vin et les révoltés, voyant cette si grande abondance de biens, se mirent en colère et en rage de ce qu'ils jeûnaient pendant qu'il y avait tant de blé et de farine, burent l'eau-de-vie et du vin autant qu'ils en voulurent, les marchands de blé disaient qu'il n'y avait pas de blé pour (plus) de trois semaines pendant que chez ce Rime il y en avait pour plus d'un an.

Le lendemain qui était le samedi jour du marché, toutes les boutiques ont été fermées pour ce sujet et les révoltés ont mené le blé et la farine au Martroy (place principale d'Orléans) et pour descendre la farine des greniers ….

« Tournez la feuille et suivez toujour jus qua la fin »

Ils la jetaient par les croisées et en tombant sur les pavés, les poches se déchiraient et on foulait la farine au pied car la rue était semée de farine comme du sable, mais le Martroy était garni de blé et de farine comme on (ne) l'avait jamais vu, mais les révoltés emportaient en traînant la farine chez eux et en vendaient aux gens de (la) campagne 3 livres 4 francs la poche de farine ; mais voyant que les révoltés ne voulaient pas quitter la maison la maison du Sieur Rime (avant) qu'elle ne fut détruite et rasée toute entière, les Messieurs de villes (les magistrats municipaux) ont fait venir les cavaliers de la maréchaussée et leur ont commandé de tirer sur les révoltés s'ils ne voulaient pas finir mais ils ont tiré sur eux parce que ces gens qui avaient bu étaient acharnés davantage à cette maison ; on les a fait finir en s'emparant de la maison parce que les bourgeois ont pris les armes mais pour tâcher d'apaiser la révolte du samedi, on avait diminué (de) 7 sous (le prix) du pain de 9 livres, (ce qui faisait) 22 sous les 9 livres.

Mais (cela) n'avait servi de rien ; après on a ordonné que la farine qui avait été emportée fut rapportée sous peine de punition mais il y'en a qui l'ont rendue et d'autres qui l'ont perdue.

Le 26, on a pris plusieurs révoltés que l'on a mis en prison ; le 27 on a fait venir des dragons des cavaliers de la maréchaussée, le 28 du même mois on a fait venir 400 soldats du régiment royal Comtois qui était à Blois que nous avons logés jusqu'à nouvel ordre ainsi que plusieurs détachements d'autres régiments ; le 2 mai, on a fait mettre toutes les troupes armes chargées, le même jour on a mis une fille au carcan pour avoir encouragé les révoltés à aller chez les Chartreux pour en faire autant qu'à la maison du Sieur Rime et a été exposée trois jours de marché et le troisième jour a été fouettée et marquée.

Le même jour on a remis le pain à 28 sous 6 deniers... »

Source du document :
https://www.archives-loiret.fr/espace-pedagogique/notre-offre-pedagogique/activites-interdisciplinaires/epi-dire-la-revolution-le-journal-de-jeanne-victoire-dellezigne


mercredi 1 avril 2020

1er Avril 1789, le jour où Louis XVI a failli mourir en tombant d'une échelle !

 


    Il s'est bien sûr passé beaucoup d'autres choses ce jour-là, mais une information concernant Louis XVI attire plus l'attention, et quelle information ! Que serait-il arrivé si Louis XVI n'avait pas été retenu par un ouvrier maçon et qu'il était tombé de 18 mètres de hauteur, depuis l'échelle donnant accès aux combles qu'il voulait visiter ?

    J'ai trouvé cette information étonnante dans le "Journal d'un Bourgeois de Paris pendant la Révolution française", écrit par Hippolyte Monin, Docteur ès lettres et professeur au collège Rollin, publié en 1889 (stocké à la bibliothèque du collège d'Harvard et scanné par l'ami Google)

    Il s'agit d'un journal fictif, écrit près de 100 ans après les faits. Mais son auteur s'est inspiré de quelques vrais journaux rédigés par des bourgeois de 1789. Le but d'Hippolyte Monin, exposé dans sa préface, était de rendre vivante et familière une grande époque, d'en faciliter l'étude scientifique et approfondie, d'éveiller dans l'esprit la curiosité de l'histoire pure et des textes originaux.

Il apporte également les quelques précisions suivantes, à propos de son ouvrage :

"Je ne saurais garantir l'absolue vérité de toutes les anecdotes, de tous les faits divers qu'il renferme : autant de partis, en pareille matière, autant de versions. Mais le cadre même que j'ai choisi m'imposait, sous peine d'invraisemblance, un respect scrupuleux de l'histoire dans le récit des grands événements, dans l'exposé des discussions politiques les plus remarquables, enfin dans l'analyse plus délicate du développement successif des idées révolutionnaires. C'est pourquoi, sans multiplier outre mesure les annotations critiques et les références, je ne me suis pas cru dispensé de leur faire une certaine place."

    Néanmoins, si vous cliquez sur le lien de son nom, vous constaterez qu'il a écrit de nombreux ouvrages et que l'on peut le qualifier de spécialiste de la Révolution française. 

    Dans cette préface, rédigée en juin 1889, il explique avoir entendu dire, ces dernières années, que "1789 n'était plus à la mode", mais que la mode venait de tourner, raison pour laquelle il ajoute :

"Profitons-en bien vite, et tâchons que la mode dure : car c'est celle de l'honneur, des justes lois, de la liberté politique et de l'indépendance nationale."

 


Je vous invite à lire la page du journal concernant le 1er avril 1789 :

"Union parfaite des trois ordres du bailliage de Senlis : assaut de générosité, de désintéressement. « Le rochet, le manteau ducal, l'habit simple du laboureur et du bourgeois ne couvraient qu'une même espèce d'hommes : des Français ... Otez les titres des trois cahiers, et vous pourrez les attribuer à tel ou tel ordre indistinctement ... »

Voilà du moins ce qu'on lit dans la plus optimiste de nos gazettes (Lire plus bas) : mais nous sommes le 1er avril, les petits mensonges sont permis. De fait, le comte de Lameth a été couvert de huées à Senlis, sur la proposition qu'il a faite que le tiers jurât de respecter les prérogatives du clergé et de la noblesse. L'opinion publique l'emporte : les privilégiés jouent forcés.

M. Duval d'Épréménil , l'abbé Lecoigneux de Bélabre, M. de Sémonville ont échoué dans les bailliages mêmes où ils ont leurs fiefs. A Bordeaux, Mgr de Cicé se considérait comme président de droit : il a fallu le détrôner presque de force. A Beauvais, on dit qu'un meunier est entré dans la chambre de la noblesse ; il a demandé que lorsqu'un gentilhomme serait dégradé, on en fit quelque chose, parce que le tiers état se refusait à recueillir ce genre d'épaves.

Troubles et révoltes à Toulouse et Nancy, à cause de la cherté du pain : le détail des événements n'est connu que par des lettres particulières, dont l'administration s'efforce d'empêcher la publicité.

Le Roi a failli périr. Ayant voulu surveiller des travaux de réparations, il s'est aventuré jusqu'aux combles du château, sur une échelle mal assurée ; il a glissé, et il serait tombé de 60 pieds de hauteur (18 mètres) sans la présence d'esprit d'un ouvrier. Sa Majesté a donné sa bourse au brave homme qui lui avait sauvé la vie et, de plus, il lui accorde une pension viagère, mais à condition qu'il garde son état de maçon."

 

Dessin de Leonhard Baldner, 1666

Petits mensonges ?

 "Nous sommes le 1er avril, les petits mensonges sont permis", nous dit ce bourgeois imaginé par Hippolyte Monin. Mais vous remarquerez qu'il précise cela pour le fait rapporté par "la plus optimiste de nos gazettes", à savoir la préparation des états généraux dans le Baillage de Senlis et nullement pour l'événement royal faisant le titre de mon article !


Carte du Beauvaisis, où se situe le baillage de Senlis
Source BNF


La plus optimiste des gazettes !

    A n'en point douter, cette gazette optimiste est le Journal de Paris, dont j'ai retrouvé pour vous le numéro du 1er avril 1789 ! Il est consultable dans la fenêtre ci-dessous :



    Peut-être aurez-vous remarqué que ce journal donne la météo du temps qu'il a fait le 30 Mars et non du temps qu'il fera le 1er Avril ? Si vous voulez savoir le temps qu'il fit le 1er Avril 1789, il vous faut consulter le numéro du vendredi 3 Avril 1789 !

Météo du 1er Avril 1789


Conclusion

    Vous imaginez-vous quel tour étrange aurait plus prendre l'histoire de France si ce brave maçon n'avait pas empêché Louis XVI de chuter ? Dix-huit mètres de chute, c'est la mort assurée ! Une nouvelle régence ? Une Révolution sans roi ? Qui veut écrire une uchronie sur ce sujet ?


Post Scriptum :

    Il est dangereux de monter sur une échelle sans prendre quelques précautions. C'est ce que vous apprendrez en cliquant sur l'image ci-dessus, qui vous mènera sur le site où j'ai pris le dessin. Le site n'est pas sécurisé en https parce qu'il est vieux, mais il est sans danger. 😉



dimanche 15 mars 2020

Mars 1789 : Patience, les plumes du paon tomberont

Louis-Antoine de Gontaut, Duc de Biron

Une histoire de paon

    J'ai choisi ce magnifique tableau représentant le Duc de Biron sous la forme d'un paon, pour illustrer la petite histoire publiée dans La Gazette des gazettes de Mars 1789, que je vous rapporte ci-dessous. Elle est savoureuse...

"On cite le trait d'un paysan qui a arrangé, à s'en souvenir, un orgueilleux Haubereau. Le rustre était meunier ; il conduisait trois ânes, sur l'un desquels il faisait route. Le gentilhomme qui donnait la main à des Dames, leur a dit plaisamment : "Laissez passer Messieurs du Tiers Etat". Le paysan a répliqué :"Patience, les plumes du paon tomberont." Le noble a couru sur le vilain ; il avait l'épée nue ; il a voulu l'en frapper. Le jouvenceau, qui a de bons poings, a pu lui arracher son arme, la casser, le défigurer avec la poignée, et le laisser pour mort sur la place. Puis il s'est sauvé dans l'île de Jersey ; mais comme on lui donne raison, même parmi la noblesse, il est sans doute de retour à son moulin."

Source

La Gazette des gazettes, ou Journal Politique, (dite également "Journal de Bouillon"). 

    "La Gazette des gazettes" avait commencé de paraître en 1764. Elle était rédigée par un officier en retraite, Jacques Renéaume de la Tache, un homme recommandable par une diction aisée et le talent de l'analyse" (Ozeray, éd de 1827, p 247). Paraissant chaque quinzaine, elle traitait surtout de politique internationale et évoquait également la vie littéraire. Celle-ci connu un vif succès puisqu'elle eut de nombreux souscripteurs.

Souscription: 9 £ puis 12 £ par an à Bouillon (en Belgique), 14 puis 18 £ par an en France.

    Bouillon. Editeur: «directeur du bureau des ouvrages périodiques à Bouillon»; à Paris, Lutton, Rue Sainte-Anne, Butte Saint-Roch.

    Les armes de la ville de Bouillon, où vivait Jacque Renéaume de la Tache, figuraient en couverture de chaque numéro.


Portrait du Biron en paon

La page du Ministère de la Culture, sur laquelle j'ai trouvé ce portrait nous dit que celui-ci est pour le moins inhabituel.

"C’est qu’il s’agit d’une caricature, un portrait charge, qui vise à ridiculiser le personnage. Toutefois, s’il est impossible de connaître les raisons précises d’une telle représentation, on peut imaginer une commande de l’un de ses détracteurs au sein de la noblesse. Gontaut-Biron est en effet connu pour son fort caractère. Une anecdote veut qu’il ait renvoyé un noble anglais de chez lui en payant ses dettes, après que ce dernier l’eut offusqué en minimisant les forces navales françaises et en lui assurant qu’il pourrait fort bien les vaincre: « Partez, Monsieur. Allez essayer de remplir vos promesses; les Français ne veulent se prévaloir des obstacles qui vous empêchent de les accomplir. »

L’association au paon pourrait alors être une référence à son assurance, à sa superbe et à sa propension à pavaner; peut-être faut-il y voir un lien avec les Fables de La Fontaine, alors très populaires, et plus particulièrement au Geai paré des plumes du paon, où l’oiseau, après avoir emprunté le ramage d’un autre et paradé dans un rôle qui n’était pas le sien, est reconnu, ridiculisé par ceux auxquels il s’était mêlé et rejeté par les siens. Pour autant, cette œuvre est inédite par son iconographie et tout à fait surprenante pour son temps."

Source : Le Duc de Biron en paon - Carambolages : les secrets des œuvres

mardi 3 mars 2020

3 Mars 1789, le Cardinal de Bernis demande du blé au Pape.

 

François Joachim de Pierre de Bernis

Trente mille rubbio de grains

    Nous pouvons lire en page 54 du numéro de mai 1789 du journal La Gazette des Gazettes, l'entrefilet suivant :

"On est instruit aussi que le 3 mars dernier, le cardinal de Bernis demanda, au nom du roi, au Saint Père, l'extraction pour la Provence, de 30 mille rubbio de grains ; le rubbio équivaut à environ 500 de nos livres (1). Déjà l'on apprend de la Provence & du Languedoc qu'il est arrivé dans les ports de ces provinces plusieurs bâtiments chargés de ces grains ; on en attend encore de la Sardaigne d'où, à la demande du roi, Sa Majesté Sarde a permis d'en tirer une certaine quantité."

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f54.item

Accès à la Gazette des gazettes :


(1) Le rubbio était une unité de mesure en usage sur les terres pontificales. Le document suivant donne plus d'explications (page 281) :
 Olivier_Reguin_Anciennes_mesures_agraires 2021.pdf



Le pain !

    Le pain, encore le pain. Le pain sera l’un des personnages principaux de cette année 1789. Nous en reparlerons souvent, car en cette terrible 1789, le pain va briller par son absence ou sa rareté. Comment un pays aussi riche de terres cultivables, comme l’est la France, pouvait-il se retrouver en situation de pénurie de grains ? La France manquait-elle d’ailleurs vraiment de grains, ou bien ceux-ci étaient-ils stockés en attendant que les prix montent, ou alors exportés à l’étrangers ? Pourquoi se retrouvait-on à importer du grain d’Italie, de Sicile, ou même d’Algérie comme nous le verrons plus tard ? De nombreux articles traiteront de ce sujet.



Le cardinal de Rubis en quelques mots...

    Pour le moment, attardons-nous sur le cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis. Cet homme exceptionnel est un bel exemple du type de personnalités étonnantes qu’a pu produire l’Ancien régime. De Bernis était en effet un poète libertin, un homme politique, un ambassadeur, un Duc et un cardinal.

    Tout comme l’évêque d’Autun qui deviendra célèbre sous le nom de Talleyrand, le cardinal de Bernie était athée. Tout au moins le demeurera-t-il jusqu’à l’année 1789 qui s’avérera propice à sa révélation de la foi. L’athéisme, le théisme ou le scepticisme étaient courants à l’époque dans les hautes sphères du clergé constituée par la noblesse. La foi était plutôt l’apanage du miséreux bas clergé. De Bernis était entré dans les faveurs du Pape en s’opposant aux Jésuites qui lui avaient gâché sa jeunesse (je vous laisse deviner comment…). Il fera d’ailleurs une longue et brillante carrière de diplomate à Rome.

    Ce cardinal étonnant avait fait ses débuts en entrant dans les bonnes grâce d’Antoinette Poisson, plus connue sous le nom de Marquise de Pompadour et maitresse de Louis XV. C’est ainsi qu’il deviendra ambassadeur, puis ministre d’état, qu’il recevra le Cordon bleu des mains du roi à Paris et qu’il obtiendra l’abbaye de Saint-Médard de Soissons qui lui rapportera 30.000 livres de rente par an…

    De ses talents de poète, on retiendra que le facétieux Voltaire le surnommait « Babet la bouquetière », ou « Belle Babet », en référence au côté floral ou champêtre de ses vers et au nom d’une marchande de fleurs alors célèbre à Paris.

    Libertin, il le fut assurément, puisqu’il partagea avec Giacomo Casanova la même maitresse, une religieuse, familière du septième ciel…

    Des hagiographes nostalgiques de l’ancien régime s’extasieront du fait qu’il n’hésita pas, à la dernière heure, de choisir sa foi plutôt que les plaisirs mondains. Mais en quoi cela était-ce étonnant ? C’est le fonds de commerce du catholicisme depuis ses débuts ! Menez une vie de débauche et quand vous n’aurez plus la force de vos excès, repentez-vous sincèrement et devenez religieux, le paradis vous attend ! A l’instar d’Augustin d'Hippone, qui après une vie d’immoralité et d’excès, devint l’un des pères de l’église (Saint-Augustin) et inventa même le concept horrible du péché originel qui fait de vous un coupable dès la naissance ! Passons…

    Ne jugeons pas ce brave cardinal. Il était né dans la société malade de l’ancien régime. Il ne pouvait devenir autre que ce qu’il fut. Rendons lui grâce d’avoir intercédé auprès du souverain pontife afin d’obtenir du grain pour nourrir les Français.