jeudi 9 juillet 2020

Olympe de Gouge, morte pour le féminisme ? Vraiment ?

Olympe de Gouge, peinte par
Elisabeth-Louise Vigée Lebrun

Introduction précautionneuse

   Je voulais inaugurer la rubrique "Personnages" de mon site, avec deux femmes ; la célébrissime Olympe de Gouge et une totale inconnue, Louise Félicité de Keralio.

    Je n'ai pas vraiment réussi à ressortir de l'oubli Louise Félicité de Kéralio. Mais je me suis rendu compte que parler d'Olympe de Gouge aujourd'hui est devenu aussi difficile que de parler de Robespierre. L'une est définitivement une sainte, tandis que l'autre est définitivement un monstre. Raison pour laquelle j'ai déjà fait plusieurs mises à jour de cet article ! 😉

Mise à jour au 07/11/2021 : Compte tenu des réactions ayant suivi la première version de cet article sur Olympe de Gouge. J'ai entrepris de poursuivre mes investigations sur celle-ci. Vous les trouverez à la suite de l'article de l'historienne Florence Gauthier "Olympe de Gouges, histoire ou mystification ?", qui à l'origine constituait le cœur de l'article.

Mise à jour au 30/11/2021 : Ajout d'une série de 5 podcasts de France Culture, intitulée "Avoir raison avec Olympe de Gouge".


Un personnage historique devenu un personnage conceptuel

    Dans le cas qui nous préoccupe, un personnage conceptuel, c'est une figure de l'histoire dont le récit augmenté a fini par créer un personnage symbolisant une idée, un concept, qui à la fin du processus, n'a plus grand chose, voire même plus rien à voir, avec la réalité du personnage historique. Cela n'a rien de choquant, c'est ainsi que fonctionne notre esprit. Il faut juste le savoir afin de ne pas s'égarer trop loin.

    Je m'interroge souvent sur ces historiens qui, consciemment ou non, interprètent l’histoire sur la base de leurs préjugés ou de leurs a priori. Ce disant, je ne porte pas un jugement, car il s'agit d'un travers commun à tous, dont on ne peut limiter les dommages qu'en étant conscient du fait qu'il nous accable aussi. Mais trop souvent, l'histoire est utilisée à des fins partisanes qui selon moi brouillent la compréhension des événements.

    Les plus ridicules parmi nous, sont ceux qui jugent une époque ou bien les gens qui l'ont vécu, à l’aune des préceptes moraux en vigueur à la nôtre. Accuser Voltaire de défendre l'esclavage et faire fi de tout ce que ses idées ont apporté d'incroyablement positif à la société, c'est aussi grotesque que de reprocher à Jules César de ne pas être écologiste ou à Charlemagne de ne pas être gay-friendly. 

L'article "démystificateur" de l'historienne Florence Gauthier.

    Les historiens quelque peu sérieux ont la vie dure ces derniers temps, s'ils ne veulent pas essuyer les foudres du politiquement correct ! L'article que je vous donne à lire ci-dessous, vous fera peut-être mieux comprendre ce que je veux dire. Il s'agit du texte passionnant écrit par Florence Gauthier, docteur en histoire, historienne à l'Université Paris 7 – Diderot, à propos d’un article publié en 2013 dans le journal Marianne, « Olympe de Gouges, une femme contre la Terreur ».


Un mot sur l'article du journal Marianne.

    Vous apprendrez en lisant cet article "étonnant", qu'Olympe de Gouge à été condamnée pour avoir insulté Robespierre sur une affiche publiée le 19 Juillet 1793 ! Mais bien sûr !!! Lisez vous même le texte de cette affiche intitulé "Les trois urnes".

Petit rappel de la situation en 1793 :

    En 1793, (l’an 2 de la République), onze armées coalisées ont été lancées par tous les tyrans couronnés d’Europe contre notre pays ! Une formidable coalition de 375.000 soldats déferle sur la France ; et sur les arrières la Vendée s'est révoltée parce qu'elle ne voulait pas répondre à la levée en masse des citoyens pour défendre le pays.
La France assiégée en 1793

"La fée à qui un dieu a parlé"

    C'est en plein milieu de cette période catastrophique, que la belle Olympe "à qui un dieu a parlé" débarque du "pays des fées" (ce sont ses mots) et propose d'arrêter tous les combats afin d'appeler tous les Français à voter pour choisir leur régime. Elle propose dans son texte qu'il y ait trois urnes sur lesquelles on écrira : Gouvernement républicain, un et indivisible, Gouvernement fédératif ; Gouvernement monarchique.
    Olympe la Monarchiste n'a visiblement pas digéré la République proclamée depuis plus de neuf mois ! Par contre, elle qui soutenait le suffrage censitaire réservé aux riches, la voici qui en pleine guerre, appelle à un référendum républicain !!! (Lire son texte ici)
    Concernant le détail de son procès, je vous invite à cliquer sur l'image ci-dessous qui vous conduira à un article publié sur le site ledroitcriminel.fr.


La construction de la nouvelle Olympe.

    Olympe de Gouge est l'exemple parfait d'un personnage de l'histoire qui peu à peu est devenu une construction intellectuelle destinée à porter une idée ; un personnage conceptuel bien différent de la personnalité historique qui en a été l'inspiratrice.

    C'est ainsi qu'Olympe de Gouge est devenue une icone de la lutte pour l'émancipation des femmes, une juste cause que je ne conteste aucunement.

    Je vous conseille cependant la lecture de l'article de Florence Gauthier que vous découvrirez après ces quelques lignes. Il permet de mieux comprendre à quel point l'Olympe de Gouge dont on nous parle à présent, n'a pas grand chose à voir avec celle qui a vécu la fin orageuse du XVIIIe siècle.

    Vous étonnerai-je si je vous dis que le "détournement", vient une fois de plus de nos amis américains, toujours en proie à leurs tourments de puritains accablés de culpabilité et de ressentiment ?

    L’incompréhension des idées des Lumières et de l’universalisme chez nombre d’intellectuels américains, fait qu’ils en détournent le sens au profit des luttes violentes qui agitent leur société. (On pourrait ajouter à cela leur peur de la Révolution). Leur prédominance culturelle au niveau mondial (c’est une constatation, pas un jugement), fait que les modèles qu’ils ont trouvés pour résoudre leurs graves problèmes sociétaux sont utilisés et appliqués chez nous avec plus ou moins de succès. 

    Je ne suis pas loin de penser que ces modèles, tels que le communautarisme et la racialisation sont inadaptés à la société française et qu’ils contribuent à l’affaiblir, mais c’est un autre sujet.

    Il semble qu'aux USA, la lutte pour le progrès ne soit jamais sociale et qu'elle se limite toujours au sociétale (ce qui malgré tout peut apporter quelques bienfaits).


    Dans le cas présent, il semble que ce soit la féministe Joan Scott qui ait brodé une jolie fable à la lumière de ses préjugés. Mais je vous laisse découvrir ce texte passionnant.

Il se trouve sur le site suivant : https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article1597



L'article de Florence Gauthier.


    Je vous propose de lire cet article "quelque peu" dérangeant, de l'historienne Florence Gauthier sur la belle Olympe. Je me suis permis de le reproduire sur mon si modeste site, parce que je redoutais qu'un tel article ne vienne à disparaître. J'ai trop vu d'articles, voire même de site, disparaître d'Internet !


Olympe de Gouges, histoire ou mystification ?

Dimanche 15 septembre 2013, par Florence Gauthier

À propos de l’article « Olympe de Gouges, une femme contre la Terreur », de Myriam Perfetti, paru dans Marianne, n°852 du 17-23 août 2013, p. 76-79.

Par Florence Gauthier, historienne, Université Paris 7 – Diderot.

Je viens de lire cet article et j’en reste perplexe. Que d’erreurs accumulées ! que de fantaisies ! et qui conduisent dans leur simple logique à des interprétations fausses ou fallacieuses qui leurrent le lecteur sur les faits, au lieu d’éclairer sa lanterne. Il y a une question de méthode qui se pose ici !

Le chapeau de l’article résume la thèse de l’auteur : « Elle (Olympe de Gouges) fut la première des féministes et le paya de sa vie ». Dans le rappel chronologique, on peut lire : « Arrêtée en juillet 1793 pour avoir violemment interpellé Robespierre », elle « est condamnée à mort ».

Le rappel de ses activités est plein d’enthousiasme pour « la pionnière », qui donna « l’acte fondateur d’un féminisme qui ignorait son nom », elle est même comparée à Simone de Beauvoir, à Hypatie philosophe néoplatonicienne du IVe siècle de notre ère, et aux Femen dans leur récent combat en Tunisie, et tout cela en même temps ! Et puis encore, cette femme « en avance sur son temps » a tant apporté par ses « anticipations » : elle a prévu « le Pacs avec deux cents d’avance » ! et même « l’impôt sur le revenu » ! et puis encore des réformes sociales, « qui ne seront mises en place qu’au… XXe siècle »... Elle se réclame de la justice sociale, de l’égalité en droits entre les sexes, du droit au divorce, de la recherche en paternité et se prononce pour l’abolition de la peine de mort.

Elle fut arrêtée le 20 juillet 1793 pour avoir placardé des affiches politiques à Paris, condamnée par le Tribunal révolutionnaire, le 2 novembre suivant, et exécutée le lendemain.

Elle aurait donc été exécutée pour son féminisme précurseur en rédigeant une déclaration des droits de la femme et de citoyenne, qui se serait heurtée à la misogynie de « la » Révolution et plus précisément de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui, selon l’auteur de l’article, serait « paradoxale ». Pourquoi ? Je cite l’article : « Car le paradoxe majeur de la Révolution française, fondée sur l’universalité du droit naturel, est qu’elle écarta des droits politiques et civiques la moitié de la société ».

Ceci dit, l’auteur de l’article hésite sur ce point précis puisqu’elle écrit :« Ainsi, le 30 octobre 1793, la Convention déchoit les Françaises de leur statut de citoyennes, accordé par la Législative. » À lire ce passage, on comprend que la Déclaration des droits, votée le 26 août 1789, aurait écarté les femmes de leurs droits politiques. Ensuite, l’Assemblée législative, élue au suffrage censitaire et renversée par la Révolution du 10 août 1792, aurait « accordé » le statut de citoyenne aux femmes. Mais, la Révolution du 10 août 1792 supprima la Constitution censitaire de 1791. Une nouvelle assemblée, la Convention, élue au suffrage universel proclama la République le 22 septembre 1792, et c’est elle qui aurait retiré le statut de citoyenne aux femmes, le 30 octobre 1793 ! Que de confusions et d’inventions bizarres !

Démêlons la question du droit de vote pour commencer.

Le Roi, en convoquant les États généraux, faisait appel à une institution qui n’avait pas été réunie depuis 1614 !, mais qui existait depuis la fin du Moyen-âge. Le Roi ne pouvait gouverner sans conseil et les États généraux représentaient le conseil élargi du Roi, réuni en cas de problèmes graves : c’était le cas en 1789.

Ces États généraux réunissaient les députés élus par les trois ordres du Royaume, ceux du clergé et de la noblesse qui formaient moins de 3% de la population, le « reste » se retrouvait dans le Tiers-état. Le mode d’élection fut précisé par le Roi, le 24 janvier 1789, pour le Tiers-état : une voix par chef de feu ou maisonnée. Le vote des députés se ferait dans les assemblées primaires de villages et, pour les villes, dans les corps de métier et dans les quartiers pour la nombreuse population, qui travaillait hors corps de métier.

Les femmes n’étaient pas exclues du vote pour cause de sexe et c’est l’ignorance et les préjugés qui conduisent à penser que tel serait le cas. Les femmes votaient dans les assemblées villageoises et urbaines au Moyen-âge, depuis l’instauration des chartes et coutumes [1]. De plus, en 1789, de nombreuses femmes étaient chefs de feu et participèrent, de droit, aux élections des assemblées primaires du Tiers-état. Non, nos arrières-arrières-grands-mères ne marchaient pas à quatre pattes !

Cette tradition du vote des femmes dans les assemblées primaires connut, à partir de la convocation des États généraux de 1789, un réveil remarquable dans tout le pays et le mouvement populaire, formé des deux sexes, en fit très vite l’institution démocratique par excellence de la Révolution. Les assemblées primaires, réorganisées en 1790 en communes villageoises et en sections de communes dans les grandes villes, continuèrent de se réunir de leur propre chef, pour discuter de la situation, participer aux débats, organiser manifestations et grandes journées, en un mot, construire une souveraineté populaire effective.

De 1789 à 1794, les partisans des formes de gouvernement monarchique et/ou aristocratique firent tous leurs efforts pour supprimer ces assemblées primaires communales, qui mettaient en pratique une démocratie sociale, à laquelle les femmes participaient.

La première grande atteinte à cette force démocratique fut l’établissement d’un système électoral censitaire par l’Assemblée constituante et sa mise en application avec les élections de l’Assemblée législative en septembre 1791. Ce système censitaire consistait à réserver les droits politiques aux citoyens mâles, qui payaient un taux d’impôt précis. Ce système fut appelé à juste titre « une aristocratie des riches » et n’admettait aucune femme, même riche. C’est bien de cette date que la tradition démocratique médiévale des assemblées primaires fut rayée, juridiquement, du droit constitutionnel français : en septembre 1791.

Mais, la Révolution du 10 août 1792 renversa cette constitution des riches, fonda la République et établit le suffrage universel, avec ses assemblées primaires communales. La Convention, élue en septembre 1792, était une nouvelle assemblée constituante, mais la nouvelle constitution fut retardée par le parti au pouvoir, la Gironde, qui craignait le mouvement démocratique. Ce fut avec une troisième Révolution, celle des 31 mai 2 juin 1793, que la nouvelle Constitution fut votée, en juin 1793, et maintint les assemblées primaires.

Il faut insister sur le fait suivant : le mouvement populaire, qui pratiquait depuis des siècles cette forme de démocratie communale, continua de se réunir dans ses assemblées primaires - avec les femmes - refusant d’appliquer le système censitaire mis en place par l’Assemblée constituante et fut soutenu par les partis démocratiques et les sociétés populaires. C’est ainsi que les partisans de l’aristocratie des mâles riches, ne parvint pas à s’imposer, comme le rythme des révolutions successives nous l’apprend. C’était cela même la révolution, à l’époque où le nom de Marianne signifiait : république démocratique à souveraineté populaire effective…

Il y eut de rudes luttes dans les sections de communes dirigées par les partisans de l’aristocratie des riches, pour que les gens du peuple - le menu peuple, comme on disait alors, dont les femmes – soient chassés au nom du cens électoral !

On lira avec fruit à ce sujet Les Sans-culottes, d’Albert Soboul (1968) et les Citoyennes tricoteuses de Dominique Godineau (1988), pour découvrir que, dans l’exemple de Paris, les sections de commune de l’Ouest, les beaux quartiers, avaient éliminé les pauvres dont les femmes (et toutes les femmes, même riches).

Ainsi, préjuger que les femmes étaient démunies de tout droit et que la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen, « le code de la théorie révolutionnaire », selon l’expression de Bernard Grœthuysen [2], était misogyne, c’est ignorer les faits et les réalités historiques.

Mais, j’insiste sur le point qui me paraît central : c’est bien le « peuple » qui effraye, qui « terrorise » les partisans de l’aristocratie des riches, le peuple avec ses hommes, ses femmes, ses enfants, le peuple qui parle « mille langues », comme l’écrivait Hébert dans le Père Duchesne, le peuple qui travaille, qui chôme, qui souffre, qui vit mal et gêne, par sa seule présence, les gens biens, les gens comme il faut, ceux qui expriment leur dégoût de classe par les termes méprisants de canaille et de populace… Henri Guillemin l’a bien vu, ce mépris, dans son pamphlet Silence aux pauvres ! (1989) et Arlette Farge [3], par exemple, a montré les conditions concrètes de vie du peuple dans ses nombreux travaux.

Il est nécessaire de rappeler que ce préjugé concernant la misogynie de la Déclaration des droits de 1789, a été introduit récemment par la « féministe » états-unienne Joan Scott, dont le livre a été traduit sous le titre La citoyenne paradoxale (1998), et qui a ainsi rendu suspectes :

    • la possibilité de penser un droit universel, c’est-à-dire un droit étendu à tous les individus du genre humain, ce qu’elle dénie à la Déclaration des droits de 1789,
    • et la possibilité d’inclure les deux sexes dans un seul terme, ce que fait pourtant la langue française dans un des usages du terme « homme », comme équivalent du terme grec anthropos, repris par exemple dans l’anthropologie, qui, semble-t-il jusqu’à ce jour, n’a pas privilégié le sexe masculin dans ses études… Faudra-t-il suspecter encore de misogynie les termes humanité ? ou genre humain ?

À ce sujet, je me permets de trouver étrange que l’auteur de l’article n’ait pas mentionné, dans la rubrique À lire, le livre de J. Scott. Il ne semble pas que ce soit par ignorance, car elle emploie le terme paradoxe pour exposer cette thèse, faisant référence implicite à ce bréviaire : « Car le paradoxe majeur de la Révolution française fondée sur l’universalité du droit naturel etc… » (voir plus haut cette phrase déjà citée). Alors, ce sera le lecteur de l’article qui ignorera la source…

Venons-en à Olympe de Gouges

Système censitaire et aristocratie des riches

Elle a publié son texte le plus intéressant, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en septembre 1791, au moment où l’Assemblée constituante achevait le vote de la Constitution censitaire de 1791. Ce texte met au féminin celui de la Déclaration de 1789 d’une façon remarquable, en l’encadrant par un préambule et un postambule, dans lesquels elle expose, avec force et clarté, ses revendications d’égalité en droits entre les deux sexes et les propositions qui lui tiennent à cœur. On notera toutefois, qu’elle se satisfait du système censitaire, qui excluait non seulement les femmes pour cause de sexe, mais aussi les pauvres, et qu’elle ne remet aucunement en cause cette seconde exclusion. Or, il est difficile de penser, qu’à cette date de septembre 1791, elle n’ait pas clairement saisi de quoi était faite cette exclusion par le cens électoral, étant donné les nombreux débats et luttes que le mouvement populaire avait développés depuis plus de deux ans. Mais, a-t-elle modifié son point de vue par la suite ? Non, elle maintint son choix politique en faveur d’une monarchie et d’une aristocratie censitaire. Voyons de plus près.

Liberté illimitée du commerce et loi martiale

Le 3 mars 1792, le maire d’Étampes, Simonneau, qui défendait la politique de liberté illimitée du commerce des grains, fut tué dans une révolte populaire, au moment même où il décrétait la loi martiale. Cette politique, poursuivie par l’Assemblée législative, autorisait la spéculation à la hausse des prix des subsistances, à commencer par celui du pain, et menaçait les bas salariés de famine. Des « troubles de subsistances », comme on les appelait, s’étaient développés dans tout le pays et l’Assemblée législative, qui gouvernait, n’hésita pas à décréter la loi martiale, une loi de guerre civile, qui faisait intervenir la force armée pour tirer sur les « séditieux ». Le maire Simonneau se trouvait partie prenante de cette politique à un moment où les troubles de subsistances s’étendaient d’une façon inouïe dans le Bassin parisien et contribuèrent à la Révolution du 10 août suivant [4].

Le gouvernement chercha à imposer « le respect de la loi » en organisant une fête en l’honneur de Simonneau, promu « héros » de la liberté illimitée du commerce.

Lors des préparatifs de cette fête, Olympe de Gouges s’occupa très activement de la participation des femmes et demanda à la reine son concours pour financer les costumes du « cortège des Dames françaises », qui devait rendre hommage à la liberté du commerce et à son moyen d’application, la loi martiale. Olympe écrivit des pétitions à la Commune de Paris et à l’Assemblée législative à ce sujet, dont on peut lire l’extrait suivant : « Les femmes, à la tête du cortège national, confondront les partis destructeurs et les factieux frémiront. »

On le voit, Olympe prenait parti activement en faveur de l’aristocratie des riches et de sa politique antipopulaire de spéculation à la hausse des prix des subsistances. Elle ne s’indignait pas des conséquences de ces hausses de prix qui, on le sait en détail, étaient non seulement « payées » par les bas salariés, les femmes au premier chef, mais entraînaient famines, maladies et crise de mortalité. Elle ne s’indignait pas davantage de la forme de terreur qu’était cette loi martiale qui substituait au débat politique, lorsqu’il s’agissait des revendications populaires, la proclamation d’un état de guerre [5] !

Cette politique de liberté illimitée du commerce fut une des causes de la Révolution du 10 août 1792, qui renversa la Constitution censitaire de 1791. Mais le parti de la Gironde qui gouverna la République de septembre 1792 à juin 1793, poursuivit cette politique et refusa de répondre aux revendications paysannes en matière de réforme agraire et choisit de mener une guerre extérieure de diversion, ce qui le conduisit à l’échec.

La Gironde fut renversée à son tour par la Révolution des 31 mai-2 juin 1793 et la Constitution, enfin votée en juin 1793, supprima expressément la loi martiale. La politique montagnarde développa ensuite une politique démocratique et sociale en commençant par l’abolition de la féodalité par la loi, ce qui n’avait pas encore été réalisé juridiquement depuis 1789 et cinq années de jacqueries permanentes ! Elle entreprit une politique dite du « maximum », qui mettait fin à la liberté illimitée du commerce, réclamée par les spéculateurs au nom du « sacro-saint » droit de propriété privée, qui fut justement désacralisé. En effet, le « maximum » empêchait la spéculation sur les denrées de première nécessité, y compris les matières premières indispensables aux artisans et aux manufactures. Les troubles de subsistances cessèrent et les marchés furent, à nouveau, fournis à des prix rééquilibrés par rapport aux salaires et aux revenus fixes de la population [6].

Dès le lendemain de la Révolution des 31 mai-2 juin 1793, Olympe de Gouges publia par affiches son rejet de la Constitution de 1793, de la République démocratique et de sa politique économique et sociale. Puis, en juillet, dans la période du référendum sur la Constitution, elle mena campagne contre la république démocratique et réclama une monarchie et une aristocratie des riches : elle fut arrêtée le 20 juillet, condamnée et exécutée. Imprudence, sans doute, car depuis le printemps 1793, la situation politique avait tourné à la guerre civile et les Girondins, battus, n’hésitèrent pas à y participer, elle s’y engouffra.

Son procès ne mentionne aucune inculpation pour cause de son sexe, mais pour ses écrits politiques contre le principe de souveraineté populaire. [7]

Il apparaît bien difficile de présenter Olympe de Gouges en héroïne de la justice sociale et de la défense des droits sociaux ! Elle dénonça la République démocratique et sociale, qui institua le mariage comme un contrat civil et dissoluble, accompagné du divorce par consentement mutuel (20 septembre 1792), mais aussi l’égalité en droit des enfants légitimes et naturels (9 août 1793) et une réforme agraire considérable, des droits économiques, sociaux et politiques [8]. De même, il est difficile de voir en elle « l’anticipatrice en avance sur son temps » qu’évoque l’article, alors que son temps était bien conscient de ces questions et s’en est largement occupé.

Liberté générale pour les esclaves des colonies ?

Même constat en ce qui concerne les droits de l’homme et du citoyen dans les colonies esclavagistes : en 1791, Olympe prit la défense des droits des colons « libres de couleur », comme le parti des « colons blancs » les nommait. En mai 1791, il y eut un très important débat, qui aborda les trois questions suivantes : 1) faut-il conserver les colonies ? 2) Les colons « libres de couleur », discriminés par les colons « blancs », sont-ils susceptibles de l’égalité en droit ? 3) L’esclavage doit-il être maintenu ?

Le parti colonial était lui-même divisé par le parti des « colons blancs », qui avait pris le pouvoir dans la grande colonie de Saint-Domingue, en 1789, et cherchait à discriminer les « colons de couleur », afin de leur prendre leurs biens et leur conférer un statut juridique de « libres subalternes », intermédiaire entre celui de libre et celui d’esclave. Il existait aussi un courant critique du système colonial, qui commençait à réfléchir à des formes de décolonisation, comme le fit la Société des Citoyens de couleur et ses alliés, et prépara l’indépendance d’Haïti. Il y avait encore un courant favorable à une forme de néo-colonialisme, avec « adoucissement » de l’esclavage, comme le proposa la Société des Amis des Noirs [9].

Olympe de Gouges avait réussi à faire jouer sa pièce de théâtre Zamor et Milza en 1789 et fut calomniée par le parti colonial. À la suite du débat de mai 1791, elle prit la défense des droits des colons « libres de couleur ». Il faut toutefois noter qu’elle n’abordait ni la critique du système colonial, ni celle de l’esclavage des captifs africains déportés en Amérique.

Un peu plus tard, en mars 1792, elle fit rééditer sa pièce sous un nouveau titre L’esclavage des Noirs ou l’heureux naufrage, avec une préface où elle défend le projet officiel de la Société des Amis des Noirs, c’est-à-dire un projet colonialiste, qui se limitait à « adoucir » les conditions de vie des esclaves, ce qui n’est pas abolir l’esclavage !

Précisons qu’en mars 1792, cela faisait déjà plus de six mois que l’insurrection des esclaves avait commencé, à Saint-Domingue, et qu’elle se poursuivait, ce qui signifie qu’il n’avait pas été possible de la réprimer. En effet, l’Assemblée constituante avait suivi la politique du Club Massiac, le parti des colons, en constitutionnalisant l’esclavage dans les colonies et en suivant la politique ségrégationniste contre les « libres de couleur ».

La guerre des épidermes, qui divisait la classe des colons, avait désintégré le système des milices paroissiales, chargées du maintien de l’ordre esclavagiste, car les « colons de couleur » ayant pris le maquis pour se protéger, les avaient désertées. Les esclaves avaient alors compris qu’une occasion particulièrement favorable se présentait à eux. Ils organisèrent une insurrection dans le Nord de l’île, qui débuta dans la nuit du 22-23 août 1791. Depuis, les maquis de « colons de couleur » négocièrent des traités avec les « colons blancs », comme avec des groupes d’esclaves insurgés. La situation de l’île échappa, alors, au Club Massiac et rendit caduque la législation de l’Assemblée constituante : le processus de la Révolution de Saint-Domingue était bien avancé.

Il est clair qu’Olympe de Gouges n’a pas saisi cette nouvelle situation et, dans sa « Préface » de 1792, croit encore possible de tenir un discours de soumission aux esclaves et aux « colons de couleur », en leur conseillant de renoncer à leur combat et de retourner sagement chez leurs maîtres, que des gens éclairés sont en train de convaincre « d’adoucir » l’esclavage.

Écoutons-la :

« C’est à vous, actuellement, esclaves, hommes de couleur, à qui je vais parler ; j’ai peut-être des droits incontestables pour blâmer votre férocité : cruels, en imitant les tyrans, vous les justifiez (…) Ah ! combien vous faites gémir ceux qui voulaient vous préparer, par des moyens tempérés, un sort plus doux, un sort plus digne d’envie que tous ces avantages illusoires avec lesquels vous ont égarés les auteurs des calamités de la France et de l’Amérique. La tyrannie vous suivra, comme le crime s’est attaché à ces hommes pervers. Rien ne pourra vous accorder entre vous. Redoutez ma prédiction, vous savez si elle est fondée sur des bases vraies et solides. C’est d’après la raison, d’après la justice divine que je prononce mes oracles [10]. »

(Lire cet ouvrage, à partir de la page 377 : L'Esclavage des noirs, ou la mauvaise conscience d'Olympe de Gouges

Ces gens éclairés, sensés adoucir l’esclavage, étaient les Amis des Noirs, avec Brissot, et avaient déjà prudemment fermé la porte de leur société, au moment même où l’insurrection des esclaves avait commencé à Saint-Domingue, choisissant la plus grande discrétion… Les Brissotins se retrouvèrent diriger le parti de la Gironde, mais lorsqu’ils exercèrent le pouvoir, ils refusèrent de soutenir la Révolution des esclaves insurgés et de leurs alliés.

Ce fut la Convention montagnarde, qui prépara l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises avec la Constitution de 1793, et la réalisa le 16 pluviôse an II-4 février 1794. Et il s’agissait bien de l’abolition de l’esclavage, non de quelque « adoucissement » …

Le « monstre » Robespierre

Pourquoi Robespierre est-il convoqué comme bouc émissaire chaque fois qu’un monstre politique apparaît, ici, une politique misogyne opposée aux droits politiques des femmes ? La réponse est bien connue : depuis le 9 thermidor-27 juillet 1794, les « Thermidoriens » ont eu l’idée d’isoler Robespierre de cette politique montagnarde, qu’ils avaient, pour la majorité d’entre eux, soutenue. Il était habile de créer un bouc émissaire, entouré de ses « complices », immédiatement qualifiés de « robespierristes ». L’adjectif « robespierriste » porte depuis cette charge négative que l’on connaît. Il fut aisé ensuite de rendre les « robespierristes » responsables de tous les monstres politiques ultérieurs. Billaud-Varenne, dans la nuit du 9 thermidor, avait commencé en répandant la fable assassine selon laquelle Robespierre voulait épouser la fille de Louis XVI et rétablir la monarchie ! Et depuis, « l’effet du 9 thermidor » s’est reproduit. Par exemple, au tournant du XIXe siècle, l’idée d’un parti unique au pouvoir, quadrillant une société, fut comparée, comme par un réflexe thermidorien, au « Club des Jacobins », puis l’idée de dictature, puis celle de « centralisation jacobine », de « répression hyperbolique », aujourd’hui de misogynie…

Vu l’ampleur prise par la question « calomnies », je me limiterai ici au point suivant : Robespierre, présenté dans l’article comme « artisan de la Terreur », était-il « misogyne » ?

Cette suspicion récente s’appuie sur le préjugé suivant : Robespierre ayant la réputation d’être « rousseauiste », serait, comme Rousseau, misogyne ! Amalgame hâtif car Olympe était elle-même « rousseauiste » ! ce n’est donc pas un critère suffisant. J’ai voulu récemment approfondir et je retiendrai deux points [11] : Robespierre, à l’époque où il était membre de l’Académie d’Arras, et fort apprécié par son fondateur Dubois de Fosseux, s’est vu confier par ce dernier la campagne en faveur de l’entrée des femmes dans cette Académie, non pas seulement comme des membres honoraires, toujours absents et à qui on ne faisait que rendre un hommage éloigné, mais comme membre ordinaire, participant à la vie savante réelle. Les textes de Robespierre révèlent qu’il considérait le fait que les femmes soient tenues à l’écart des sociétés savantes comme « le scandale d’un siècle éclairé ». Il estimait que les êtres humains des deux sexes étaient doués des mêmes facultés et avaient donc le droit de les cultiver ensemble.

De plus, pendant la Révolution, Robespierre a pris la défense des pratiques démocratiques populaires et des droits des pauvres, il a combattu sans cesse le cens électoral et, lors des débats sur la Constitution de 1793, il a continué de prendre la défense des assemblées primaires et de la souveraineté populaire effective des deux sexes réunis, comme je l’ai rappelé précédemment. La misogynie attribuée à Robespierre se réduit à n’être qu’un préjugé. Enfin, il n’existe aucune source indiquant que Robespierre aurait agi contre Olympe de Gouges.

Thermidor a-t-il mis fin à la Terreur et au Tribunal révolutionnaire ?

La « Terreur », qui désigne le plus souvent la répression politique exercée par le Tribunal révolutionnaire, n’a pas été créée par la Montagne, mais par le gouvernement girondin, le 10 mars 1793 ! Le 9 thermidor a-t-il mis fin à la Terreur et au Tribunal révolutionnaire ? Pas davantage, et les deux ont été maintenus, jusqu’à la fin de la Convention thermidorienne. Cette dernière opéra un « coup d’État parlementaire » en renversant la Constitution de 1793 pour la remplacer par celle de 1795, qui établissait une nouvelle forme d’aristocratie des riches, excluant les pauvres, paysans, ouvriers et artisans.

C’est alors que les assemblées primaires, issues de la pratique démocratique populaire, disparurent pour la première fois depuis 1789 et, avec elles, les droits du peuple, hommes et femmes, à former la souveraineté populaire. Cette exclusion se perpétua de 1795 jusqu’à la Constitution de…1946, qui réintégra, plus d’un siècle et demi après, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et un suffrage universel incluant les femmes dans le droit constitutionnel français, que les Thermidoriens avaient, l’une et l’autre, exclus [12].

Olympe, telle qu’en elle-même

Olympe de Gouges est, actuellement, l’objet d’une tentative de fabrication d’un mythe. Sa défense courageuse et efficace sur le plan des idées d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791 est interprétée, par erreur, comme porteuse d’un caractère démocratique et universel des droits. Je pense avoir montré que ce n’était pas le cas et qu’elle n’a jamais pris la défense des assemblées primaires populaires, où les femmes du peuple ont exercé leurs droits politiques, de 1789 à 1795. Elle n’a pas davantage étendu les droits universels de l’homme et du citoyen aux esclaves dans les colonies, leur conseillant d’attendre patiemment que des hommes bons « adoucissent » leurs conditions.

Et si Olympe a pris la défense d’une société monarchique et d’une aristocratie des riches, cela ne doit pas être dissimulé ! Si elle a soutenu, de façon militante, une politique au service d’une économie spéculant sur les subsistances, qui affamait les familles pauvres, et rendu hommage au « héros » de la loi martiale, elle l’a fait savoir haut et clair ! Au lieu de fabriquer cette ridicule mystification, qui la présente en démocrate audacieuse, ce qui l’aurait profondément choquée d’ailleurs, mieux vaudrait reconnaître simplement ses propres choix !

  1. Voir Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Colin, 1931.
  2. Bernard Grœthuysen, Philosophie de la Révolution française, (1956), Paris, Gallimard, chap. VI.
  3. Voir par exemple, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle, (1979).
  4. Sur les troubles de subsistances et les grandes jacqueries du printemps 1792 en particulier, voir Florence Gauthier, Guy Ikni éd., La Guerre du blé au XVIIIe siècle, Paris, Ed. de la Passion, 1988 et Anatoli Ado, Paysans en révolution. Terre, pouvoir et jacquerie, 1789-1794, Paris, Société des Études Robespierristes, 1996. Sur Simonneau voir Jean-Claude Bonnet, « La mort de Simoneau », in Jean Nicolas éd., Mouvements populaires et conscience sociale, Paris, Maloine, 1985, citation p. 674. Sur l’histoire de la Révolution, voir Albert Mathiez, La Révolution française, Paris, Bartillat, 2012.
  5. Sur la loi martiale, voir Florence Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en révolution, 1789-1795-1802.
  6. On lira à ce sujet la belle étude de Jean-Pierre Gross, Egalitarisme jacobin et droits de l’homme, 1793-1794, Paris, Arcantères, 2000, qui porte sur tout le quart sud-ouest de la France.
  7. Paule-Marie Duhet, Les femmes et la Révolution, 1789-1794, p. 83.
  8. Voir Philippe Sagnac, La législation civile de la Révolution française. Essai d’histoire sociale, (1898) Genève, Mégariotis, 1979.
  9. Sur les débuts de la Révolution de Saint-Domingue voir Florence Gauthier, L’aristocratie de l’épiderme. Le combat de la Société des Citoyens de couleur, 1789-1791, Paris, CNRS, 2007.
  10. Olympe de Gouges, L’esclavage des Noirs ou l’heureux naufrage, (1792) éd. en facsimilé, Paris Côté-femmes, 1989, Préface, p. 32-34.
  11. Florence Gauthier, « Les femmes dans l’espace public. La proposition d’une politique de galanterie démocratique par Robespierre », in Républicanismes et droit naturel, des humanistes aux révolutions des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Kimé, 2009, p.189-210. Robespierre, Œuvres, t. XI, Paris, Société des Études Robespierristes, 2007.
  12. Sur la période thermidorienne voir Albert Mathiez, La Réaction thermidorienne,(1929), Paris, La Fabrique, 2010. Florence Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en révolution, 1789-1795-1802, (1992) rééd. en cours.

"Panthéonisation" sur France Culture. 😉

    En cliquant sur l'image ci-dessous, vous pourrez accéder aux 5 podcasts de chacun 28 minutes, mis à disposition sur France Culture.

    J'ai une petite préférence pour le second, intitulé "Les contradictions d'une monarchiste révolutionnaire".




Le complément d'enquête du Citoyen Basset. (En toute modestie)


Un peu plus de bienveillance et de compréhension envers Olympe.

    Depuis ma découverte de l'article de Florence Gauthier que vous venez de lire ci-dessus, je me suis intéressé de plus près à Olympe de Gouge, même si elle n'entrait pas encore en scène dans la chronologie des événements que j'essaie de réaliser sur ce site. Olympe de Gouge est en effet devenue un sujet très populaire ces derniers temps. Elle est même dorénavant au programme en classe de première, dans tous les lycées de France.


    Pour celles et ceux qui découvriraient mon site, je précise que mon souci n'est pas de juger mais de comprendre. Je me refuse donc à juger Olympe de Gouge pour ses prises de positions quelques peu "conservatrices" par rapport à la démocratie, l'esclavage, la république ou que sais je encore ?

    Olympe de Gouge, comme tous ses contemporains ne pouvait penser que sur la base des connaissances et convenances de son époque.

    Peu de gens de gens sont capables de penser au-delà de ces barrières qui déterminent notre pensée.

    Olympe de Gouge a eu le courage de franchir ces barrières qu'à chaque époque la société nous impose.


Première impression

    L'impression que je retire de mes modestes recherches, à propos d'Olympe de Gouge, c'est surtout une certaine naïveté, ou maladresse, mais pas un instant je ne doute de sa sincérité.

    Je vous recommande la lecture de cet article intitulé : "Un discours politique au féminin. Le projet d’Olympe de Gouges" rédigé par Jürgen SIESS, vous comprendrez mieux ce que je veux dire, du moins je l'espère.


La première intervention publique d'Olympe en 1788.

    Dès son premier texte publié le 12 Décembre 1788, "Lettre au Peuple", on comprend que Marie Gouze, veuve Aubry, dite Olympe de Gouges, comme la plupart des esprits éclairés de son temps, aime profondément le roi et la reine et n'aspire qu'à plus de justice et moins de misère, et comme tous les esprits éclairés de son temps, elle croient très sincèrement que l'instauration d'une monarchie constitutionnelle, suffira à relever la France. Peut-on le lui reprocher ? Tout le monde pensait cela à l'époque !


    Vous pouvez lire cette lettre au peuple (bien évidemment pas adressée au peuple) dans la fenêtre ci-dessous donnant accès au site de la BNF :

Sa fameuse déclaration des doits de la femme de 1791

    En 1791, lorsqu'Olympe de Gouge adresse à la Reine Marie-Antoinette sa "Déclaration des Droits de la Femme", la "Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen" a déjà été publiée 2 ans auparavant.

Petit rappel utile.

    Je trouve désolant de devoir le rappeler, mais si le substantif "Homme" commence par une majuscule, cela veut dire qu'il concerne aussi bien les hommes que les femmes.

  • Personne ne doute un instant que l'anthropologie se consacre aussi bien à l'étude des femmes que des hommes, le mot venant du grec ancien ἄνθρωπος, "ánthrôpos" qui veut dire "être humain",
  • Personne ne doute un instant que l'humanité intègre aussi bien les femmes que les hommes, le mot venant du latin "humanus" désignant les "êtres humains" (mot composé de "homo" qui veut dire "homme" et du suffixe "-anus" qui désigne l'origine, l'appartenance)

    Malgré les évidences linguistiques, des "demi-habiles" font mine de ne pas comprendre et de prétendre que les femmes étaient exclues de ladite Déclaration des Droit de l'Homme.

    Olympe de Gouge que l'on nous présente de nos jours comme une femme de lettre, (mais dont certains de ses contemporains prétendaient qu'elle savait à peine lire), connaissait-elle l'étymologie du mot "Homme" (avec un grand H) ? Ou pas ? Une femme de lettres ne pouvait l'ignorer.

Olympe de Gouge remettant sa
Déclaration des Droits de la Femme,
à la reine Marie-Antoinette.

Quand je vous parle de maladresse.

    Olympe fit précéder sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’une adresse à la reine. Cette lettre, qui sollicitait le soutien de Marie-Antoinette, occupait la place de la traditionnelle épître dédicatoire que l'on retrouve dans la plupart des ouvrages de ce genre. Mais Olympe, volontairement ou non, rompit avec les codes de l'époque. Elle appela la reine "Madame" au lieu de "Sa Majesté" et elle lui fit part de son intention de lui parler "franchement". (Lisez l'article de Jurgen Siess) Voilà qui était fort maladroit et qui risquait à l'époque de décrédibiliser son discours.

Vous pouvez lire sa fameuse déclaration dans la fenêtre ci-dessous donnant accès au site de la BNF :


    Je n'exclue aucunement le fait que l'incompréhension et même les moqueries dont elle fut victime, aient eu lieu en raison du fait qu'elle était une femme, mais je n'exclue pas qu'elles aient pu être également provoquées par ses maladresses qui à cette époque pouvaient réellement prêter à sourire, voire même à rire. Je vais vous donner un autre exemple.


Quand Olympe, en décembre 1792, voulu prendre la défense de Louis XVI.

    Il m'a fallu plonger dans mes petites archives, pour rédiger cette partie. Je me souvenais en effet que je possédais deux journaux de décembre 1792, qui évoquaient la lettre "maladroite" écrite par Olympe de Gouge à l'adresse de la Convention, dans laquelle elle se proposait de seconder le vieux Malesherbes (80 ans), défenseur de Louis XVI dans le procès de ce roi lui aussi "maladroit". (Ce sera le sujet d'un autre article).

    Concernant Malesherbes, je vous invite à lire la biographie (Wikipédia) de cet homme hors du commun, qui, après une vie honorable et bien remplie, sorti courageusement de sa retraite pour défendre son roi, en toute conscience du fait que ce serait en pure perte, compte tenu des charges pesant sur Louis XVI, et surtout que cela serait dangereux pour lui. Il fut en effet guillotiné le 21 avril 1794, en même temps que sa fille Antoinette, sa petite-fille Aline, leurs époux et deux de ses secrétaires...

Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes

    Mais revenons à la lettre d'Olympe de Gouge. L
es deux journaux que je possède rapportent de façons bien différentes l'événement.


Version du Moniteur Universel

    Je vous donne à lire en premier la version de "La Gazette Nationale, ou le Moniteur Universel", qui était en quelque sorte le Journal Officiel de l'époque. Il s'agit du numéro de Lundi 17 Décembre 1792 :

    Vous pouvez constater que l'article rend compte de la lecture de cette lettre devant la Convention, sans faire aucun commentaire. Le Moniteur a réussi à traverser toute la Révolution sans aucun problème, précisément parce qu'il s'est toujours contenté de rendre compte de ce qui était dit à l'Assemblée constituante, puis à la Convention, sans jamais faire de commentaires...


Version "Les Révolutions de Paris".

    Fondé le 12 Juillet 1789, par l'éditeur et journaliste Louis Marie Prudhomme, le journal "Les Révolutions de Paris" avait une ligne éditoriale très engagée et très libre. Ses rédacteurs aimaient donner dans le sensationnel et l'excès, annonçant des complots, des malheurs et autres nouvelles à sensations dont les lecteurs étaient friands !

    En lisant l'article ci-dessous, vous allez comprendre par les commentaires que le ton est différent de celui du Moniteur ! Prudhomme deviendra prudent et cessera la publication de son journal "Les Révolutions de Paris" en Février 1794. Quand au Moniteur, il poursuivra sa tâche jusqu'en 1901 ! 

Il s'agit du numéro de la semaine du 15 au 22 Décembre 1792.

Cliquez sur les deux images ci-dessous pour lire l'article :


  

    Vous pouvez lire dans la fenêtre ci-dessous, le numéro complet du journal. Vous comprendrez mieux pourquoi cette lecture devant la Convention est relatée sur un ton moqueur. Les mots sont durs, cruels et misogynes. Même le grand Condorcet s'y trouve moqué, parce que celui-ci était pour l'égalité politique des femmes !



Pour finir et non pas conclure cet article

    Je propose aux plus curieux d'entre vous, de lire ci-dessous cette courte mais sidérante biographie de la belle Olympe de Gouge.

    Prenez ce texte pour ce qu'il est, c'est-à-dire une source d'information supplémentaire et gardez-vous bien de juger son auteur ou Olympe de Gouge.

    L'histoire n'est pas un tribunal mais une enquête qui ne finit jamais, comme l'indique la signification du mot Historia en grec (Historia est un mot latin signifiant histoire, issu du grec ancien ἱστορία, « enquête ».)

Cliquez sur l'image pour y accéder.


Ce qu'il faut tout de même retenir.

    Maladroite ou pas, femme géniale ou manipulée, rappelons-nous que la belle Olympe de Gouge est morte pour ses idées et rien que pour cela, nous lui devons le respect. 

    Laissons donc évoluer librement son personnage conceptuel, puisqu'il sert une juste cause, l'indispensable émancipation des femmes.
 
    Néanmoins, puisqu'elle a beaucoup écrit, vous pouvez vous faire une opinion sur ces qualités littéraires en la lisant :

La liste ci-dessous n'est pas exhaustive...



    N'oublions pas malgré tout, Louise Félicité de Kéralio, qui n'a pas eu le bonheur de retenir l'attention des historiens, ni des historiennes, féministes ou pas. J'ai une petite pensée également pour Louise Renée Audu, cette parisienne combattante.


Post Scriptum :
Quelqu'un a laissé un commentaire à mon article. Je vous invite à le lire et je remercie son auteur.


mercredi 8 juillet 2020

8 Juillet 1789 : Un prétendu espion de la police, malmené au Palais Royal, vu par Janinet

"Supplice d'un espion de la police"
Dessin de Jean-François Janinet

    Cette scène, dessinée par Jean-François Janinet représente un incident malheureux qui a eu lieu au Palais Royal. La foule, mal renseignée, a pris le sieur Zessi, un Suisse travaillant à Paris, pour un espion dénonçant les agitateurs du Palais Royal. Ces espions existaient pourtant bel et bien (La police ne portait pas d'uniformes à l'époque), Ils s'infiltraient partout et cela créait un climat de suspicion générale.

Un mot sur Jean-François Janinet !

    Jean-François Janinet était un graveur de talent, mais c'était aussi l'un des premiers aérostiers ! Il abandonnera sa passion pour le vol en aérostat, après l'échec de sa tentative d'envol le dimanche 11 juillet 1784 dans les jardins du Luxembourg, avec l'aérostat qu'il avait construit avec Laurent-Antoine Miollan.

L'aérostat de Miollan et Janinet

L'embrasement de l'aérostat après sa chute.

                



8 Juillet 1789, Coup d’éclat de Mirabeau à l’Assemblée contre l’afflux de troupes sur Paris !

Article mis à jour le 03/11/2023.

Honoré, Gabriel Riquetti de Mirabeau

    Mirabeau, après un formidable discours à l’Assemblé nationale, où il dénonce les mauvais conseillers qui ébranlent le trône, fait voter aux députés la motion des électeurs parisiens réclamant le renvoi des troupes qui encerclent Paris.

    Nous avions vu le 4 juillet dernier que Louis XVI inquiet avait donné au vieux maréchal de Broglie, le commandement des troupes concentrées à Versailles avec l’ordre de les mener sur Paris pour le 13 juillet.

    Les craintes des députés de l’Assemblée nationale étaient donc justifiées, de même que celles des Parisiens, qui rappelons-le, manquaient de pains.

    Les interventions de Mirabeau sont toujours très longues. Il ne sait pas faire court (comme moi). A cette époque, tous les hommes politique, empreints de culture classique gréco-romaine, excellent tous dans la rhétorique, c’est-à-dire l’art de bien parler. (Les courtes interventions, voire les petits mots, de nos politiciens actuels, les laisseraient probablement sans voix !)

Uniformes de l'armée de ligne française d'ancien régime.

Voici un court extrait du discours du grand tribun :

« Déjà un grand nombre de troupe nous environnait. Il en est arrivé d’avantage, il en arrive chaque jour ; elles accourent de toutes parts ; 35.000 hommes sont déjà répartis en Paris et Versailles ; on en attend 20.000 ; des trains d’artillerie les suivent ; des points sont désignés pour les batteries ; on s’assure de toutes les communications : on intercepte tous les passages ; nos chemins, nos ponts, nos promenades sont changées en postes militaires. Des événements publics, des faits cachés, des ordres secrets, des contre-ordres précipités, les préparatifs de la guerre en un mot, frappent tous les yeux et remplissent d’indignation tous les cœurs.

Ainsi, ce n’était pas assez que le sanctuaire de la liberté eût été souillé par des troupes ! ce n’était pas assez qu’on eût donné le spectacle inouï d’une Assemblée Nationale astreinte à des consignes militaires et soumise à une force armée ! Ce n’était pas assez qu’on joignit à cet attentat toutes les inconvenances, tous les manques d’égards, et, pour trancher le mot, la grossièreté de la police brutale. Il a fallu déployer tout l’appareil du despotisme et montrer plus de soldats menaçants à la nation, le jour où le Roi lui-même l’a convoquée pour lui demander des conseils et des secours, qu’une invasion de l’ennemi n’en rencontrerait peut-être, et mille fois plus du moins qu’on n’en a pu réunir envers nous, pour emplir nos engagements les plus sacrés, pour conserver notre considération politique, et cette alliance des Hollandais si précieuse, mais si chèrement conquise, et surtout si honteusement perdue ! »

Le discours en son entier se trouve ici : https://bit.ly/2Xe92Oa

Merci de votre lecture.


Mécontentement des Parisiens lors des regroupements de troupes sur le Champs de Mars.


      

Cet article a été publié initialement sur ma page Facebook :
"Les estampes révolutionnaires du citoyen Basset"


mardi 7 juillet 2020

7 Juillet 1789, Création du comité de constitution et arrivé du Prince de Lambesc à Paris

Article mis à jour le 07/07/2023

Création du premier comité de constitution

    Les députés de l'Assemblée nationale nouvellement créée, continuent de penser que la Révolution est terminée ; Aussi s'attellent-ils à la rédaction d'une constitution, et pour ce faire, ils créent un comité qui se chargera de ce long travail.

"Conformément au décret du 6 juillet 1789, le premier comité de Constitution est composé de trente membres, choisis le 7 juillet dans chacun des trente bureaux de l’Assemblée. Ces bureaux ayant été rapidement supprimés, le comité sera plus tard renouvelé et réduit à huit membres dès le 15 septembre. Tous seront des hommes politiques et/ou des juristes et sont issus des trois ordres :
 
 
  
 

    Le parti modéré, alors dominant à l’Assemblée constituante, l’est également au comité : la majorité des membres sont, en effet, des royalistes libéraux et constitutionnels, convaincus "de la nécessité de laisser au Roi toute la puissance nécessaire pour assurer le bonheur de la nation".

    La gauche est toutefois représentée au comité par Le Chapelier, Talleyrand-Périgord et l’abbé Sieyès.

    Le second comité de Constitution de la Constituante est réduit à sept membres (Talleyrand-Périgord, Le Chapelier, Demeunier, Thouret, Target, Rabaut Saint-Etienne et l’abbé Sieyès), trois secrétaires commis étant attachés aux trois comités de Constitution, de Révision et Central.

    L’éphémère comité de Constitution de la Convention nationale sera composé de neuf membres."


 


 

Ce même jour, le Prince de Lambesc arrive à Paris...

    Son régiment du royal-allemand campe dans les jardins de la Muette. Le pain manquant à Paris pour nourrir la troupe, le prince achète 300 Livres de pains.

Charles-Eugène de Lorraine, Prince de Lambesc.
 
Cavalier du Royal-Allemand (1779)

Merci de votre lecture.

 

Cet article a été publié initialement sur ma page Facebook :
"Les estampes révolutionnaires du citoyen Basset"


7 Juillet 1789 : Combat sanglant entre Gardes françaises et Hussards à Versailles

 

"Bravour des Gardes francaisse le 7 juillet à Versaille 1789 : un party d'husard ayant fort mal traité
un Garde française ; ses camarades volent a son secours, a pres un combat sanglant, les mettent en fuite"
Orthographe d'époque.

Source image : BNF.


              





lundi 6 juillet 2020

6 Juillet 1789, A l’assemblée Nationale, un député curé s’inquiète de la famine qui menace les pauvres.


Constitution de l'Assemblée Nationale le 17 Juin 1789.
    La séance à l’Assemblée nationale est ouverte à 10h du matin, sous la présidence de M. Le Franc de Pompignan archevêque de Vienne. La discussion s’ouvre sur le projet du comité des subsistances.
    M. Blandin, curé de l’Orléanais, prend le premier la parole pour exposer le sentiment général de son bureau.

"Les moyens," dit-il, "qui vous sont offerts par le comité des subsistances, ne nous présentent que des secours pour l’avenir, mais non pas pour le présent. Les besoins actuels sont urgents ; ils nous pressent de tous côtés ; les provinces éprouvent déjà les horreurs de la famine.

Nous devons nous attacher aux deux grands malheurs qui nous désolent, la disette de blé et la disette d’argent. Les productions de notre sol, un numéraire immense, produit de nos richesses, se sont répandus dans des contrées étrangères, et y répandent, à nos dépens, un superflu que la nature de nos travaux nous avait prodigué.

Cependant, sans nous livrer ici à des craintes incertaines, nous pouvons sans danger croire que le blé ne manque pas en France. Les provinces frontières n’en sont pas dépourvues ; mais c’est vraiment en se rapprochant du centre du royaume que le fléau de la disette s’appesanti davantage.

A Orléans et dans les environs, les troubles et les émeutes réitérés semblent être les avant-coureurs d’une famine prochaine ; dans d’autres provinces on a donné la mort à des malheureuses victimes auxquelles on ne pouvait donner du pain. Plus on avance, plus les obstacles se multiplient, et chaque jour présente un accroissement douloureux de nouveaux malheurs.

Il était temps, il y a un mois, de prévoir ces calamités : on pouvait ordonner la libre circulation des grains ; je l’ai même proposé dans la chambre du clergé ; mais à peine ma proposition a-t-elle été faite, qu’un membre s’est élevé contre elle ; il m’a accusé de peu respecter nos lois et l’autorité des cours. Sans doute personne ne respecte plus que moi les lois et la majesté du trône ; mais la religion des princes est souvent séduite, et le premier devoir d’un bon citoyen est de faire briller devant eux le flambeau de la vérité.

Je pense que nous devons encore songer au moyen que j’avais soumis au clergé. Le comité vous l’a présenté, et je le remets sous vos yeux.

Mais ce secours ne serait pas suffisant. Le mal est immense : chacun doit chercher, autant qu’il est en lui, à le diminuer ; et c’est ce qui me porte à croire qu’une souscription volontaire en faveur des pauvres contribuera beaucoup à soulager leur misère."


    Le Président de l’Assemblée annonce en complément de cette intervention qu’il vient de recevoir une lettre des boulangers de Paris adressée au comité, sur laquelle il y a "pressée". 

    L’assemblée demande le renvoi au comité des subsistances, qui est invité à s’assembler sur-le-champ.

    La proposition de ce brave curé soucieux des pauvres n’était pas nouvelle. La libre circulation des grains avait été l’objet d’un débat passionné durant tout le 18ème siècle. Sous l’ancien régime, il était pratiquement impossible de transporter des céréales d’une province à l’autre. Selon un rapport de la fin du siècle, sur 32 provinces, 10 produisaient plus qu'elles ne consommaient, 10 suffisaient à peu près à leur subsistance, et 12 ne récoltaient presque pas de céréales.

    Le ministre Turgot, empreint de l'esprit des lumières mais aussi libéral convaincu, avait essayé avec son édit du 13 septembre 1774, d’instaurer ce nouveau système économique de libre circulation des grains. Hélas, l’inquiétude que cela avait provoqué dans le peuple (peur de manquer en partageant), ainsi que de passables récoltes, avaient été causes de ce que l’on appela la guerre des farines qui donna lieu à de violentes émeutes et à une aussi violente répression durant les 2 années qui suivirent.
Dessin de Girard extrait de Histoire de France de G. Gautherot, paru en 1934.

    Le général de la Tour du Pin, envoyé pour réprimer la révolte, s’était rendu célèbre, en proclamant après avoir fait tirer sur la foule : « Vous avez faim ? Eh bien nous sommes en avril ; l’herbe commence à pousser : vous n’avez qu’à brouter comme des vaches ! ».

    Par suite de cet échec, Louis XVI avait congédié Turgot le 12 mai 1776 et l’avait remplacé par le prudent Necker.

    Necker, ce banquier genevois et protestant, était lui aussi acquis aux idées nouvelles, mais il pensait qu’il fallait tenir compte de ce que l’on appellerait de nos jours, l’opinion public. Il s’en préoccupait d’ailleurs beaucoup en publiant des ouvrages à l’intention des plus éclairés et faisant imprimer de nombreuses estampes à son honneur. Rien ne servait selon lui de tenter d’appliquer un système que l’on pense meilleur, si l’on ne s’est pas assuré au préalable que ce système sera peu ou prou compris par le peuple et par la même, appliqué.

    Les révoltes frumentaires (du latin frumentarius, « qui concerne le blé »), n’avaient pas cessé d’éclater sporadiquement depuis et en 1789, la situation de crise des années 1775 et 1776 se reproduisait.

Emeutes des subsistances de 1761 à 1789
Source graphique : https://manuelnumeriquemax.belin.education/histoire-seconde/topics/simple/hist2-ch08-290-01

    L’une des causes évoquées, à propos de cette rareté du blé, est celle du terrible orage, dit "du siècle", qui avait ravagé nombre de régions céréalières le 13 juillet 1788. De surcroît, un hiver particulièrement rude (-22°c à Paris), avait accru la faiblesse des plus démunis. Il y avait d'autres causes, dont je vous parlerai plus tard...

https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article14932
Carte du grand orage qui balaya le nord de la France le 13 juillet 1788.


    A la veille de la Révolution, sur une population de parisiens estimée à environ 600.000 habitants, plus de 70.000 étaient des indigents survivant dans des conditions précaires.

    Le pain, principal aliment du petit peuple, commençait à manquer et son prix augmentait. En ce début de juillet, la miche de pain pouvant nourrir une petite famille coûtait 14 sous, alors que le salaire d’un journalier à Paris était de 15 sous !

Le spectre de la famine hantait les Parisiens.

L'atroce misère est rarement représentée, car elle fait peur à tous. Voici une gravure de la famine de 1697, sous Louis XIV.

 Merci de votre lecture.

                


Cet article a été publié initialement sur ma page Facebook :
"Les estampes révolutionnaires du citoyen Basset"