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Stanislas Clermont-Tonnerre |
De nombreux projets étaient en cours d'étude
concernant la déclaration des droits de l’homme, qui devait servir de préambule
à la future constitution.
Différents bureaux de l'Assemblée s'étaient attelés à la
tâche. Mais ce 19 août 1789, sous la présidence de Stanislas Clermont-Tonnerre,
l’Assemblée va retenir le projet, dit du sixième bureau, dont les membres sont
plutôt "conservateurs".
Je vous donne à lire ci-dessous, un long extrait du
procès-verbal de la séance de ce 19 août, dont certains passages sont
passionnants.
Mais pour vous aider à mieux comprendre les conditions de
l’accouchement difficile de cette déclaration, je vous propose de lire un
article très intéressant daté de l’été 1988, dont voici le lien : https://www.lhistoire.fr/les-six-jours-des-droits-de-lhomme
Pour les plus studieux d’entre vous, voici donc
l’extrait du procès-verbal :
La discussion sur la déclaration des droits, présentée par
le comité des cinq, est reprise.
M. l'abbé Bonnefoy :
"Après avoir comparé les divers plans de déclaration des
droits avec celle de M. de Lafayette, j'ai vu que cette dernière est le texte
dont les autres ne forment que le commentaire. Je trouve dans le plan de M.
Mounier les mêmes maximes augmentées de plusieurs autres. Je conclus pour celui
de M. de Lafayette, qui est simple et clair, et qui réunit en peu de mots les
droits primitifs de l'homme. Je désire seulement qu'on y ajoute : « que l'homme
a un droit sacré à sa conservation et à sa tranquillité, et que l'Etre suprême
a fait les hommes libres et égaux en droits."
M. Pellerin :
"Le principe de toute société consiste dans la propriété et
dans la liberté.
L'homme perd de cette liberté à raison de ce que la loi lui
défend.
L'homme perd de sa propriété par les contributions qu'il
doit à la chose publique.
Telles sont les restrictions que l'on doit apporter aux
principes fondamentaux.
Il semble, au surplus, que c'est les reconnaître que de
promettre à chacun liberté, sûreté et propriété.
Si les principes sont certains, si chacun connaît ses
droits, il paraît qu'il est plus facile de les concevoir que de les exprimer ;
chacun de nous a senti que si c'était notre devoir d'éclairer nos concitoyens
sur leurs droits, il n'était pas moins prudent de les éclairer sur l'exercice
de ces mêmes droits ; c'est un flambeau salutaire dans les mains de l'homme
sage et paisible, qui devient une torche incendiaire dans les mains d'un
furieux.
Sans doute tous les principes que l'on nous a présentés sont
vrais en eux-mêmes ; mais il a fallu étayer les conséquences qui pouvaient
devenir dangereuses.
Aussi cette méthode a-t-elle gêné tous les auteurs ; tantôt
il a fallu taire des principes, tantôt il a fallu les circonscrire. C'est ainsi
qu'il a fallu prévenir les fausses interprétations. C'est à vous à guider le
peuple dans les routes obscures où il serait entraîné. C'est à vous à
l'instruire.
Vous allez lui indiquer ses droits ; mais ces droits
supposent des devoirs : il est incontestable que les uns ne peuvent exister
sans les autres ; ils ont entre eux des idées relatives. Il est incontestable,
en effet, qu'aucun citoyen n'a de droits à exercer, s'il n'y a pas un autre
citoyen qui ait des devoirs à remplir envers lui.
Il faut donc établir que les droits ne peuvent exister sans
les devoirs ; ainsi, lorsque nous établissons que la vie de l'homme, son
honneur, son travail, forment sa propriété, il convient cependant de dire qu'il
en doit une portion à la patrie. Ainsi il convient encore d'ajouter que,
lorsque l'on porte atteinte à ses droits, il ne doit pas repousser la force par
la force, mais recourir à la justice.
Nous n'oublierons pas surtout de rappeler à l'homme qu'il ne
tient pas la vie de lui-même ; que les vertus sont récompensées. C'est par la
méditation de ces vérités que l'on rétablit la morale et que l'on parvient à
rendre les hommes vertueux.
Un membre a présenté un projet qui, dans deux colonnes, renferme
les droits de l'homme et les devoirs du citoyen. Cette forme éprouvera
peut-être des difficultés ; mais jamais on ne doit renoncer au mieux. Et si
l'Assemblée n'en reconnaît pas la nécessité, elle ne peut se refuser à celle
d'y céder.
Je demande donc une déclaration qui renferme les droits et
les devoirs de l'homme en société."
M. le vicomte de Mirabeau :
"Pour trancher le nœud gordien, je propose qu'à la place
d'une déclaration des droits, on mette simplement à la tête de la Constitution
: pour le bien de chacun et de tous, nous avons arrêté ce qui suit, etc."
M. Guiot :
"Vous avez deux grands inconvénients à éviter : le premier,
de vous traîner sur les pas des préjugés ; le second, de vous égarer dans les
détails obscurs de la métaphysique, et de substituer des maximes artificielles
aux vérités simples de la nature : il faut remonter au principe générateur et
en suivre les conséquences. Il existe, et il doit en exister un qui embrasse
tous les droits et tous les devoirs de l'homme ; c'est celui de veiller à la
conservation de son être ; les autres n'en sont que la suite naturelle."
Monsieur le Président propose d'aller aux voix pour admettre
ou rejeter la discussion du projet proposé par le comité des cinq, article par
article.
Il est arrêté presque unanimement de ne pas s'en occuper.
Il fallait cependant un projet quelconque, comme un canevas
sur lequel l'Assemblée rédigerait une déclaration.
M. le marquis de Bonnay, voyant qu'on refusait la
proposition de choisir un des projets présentés, réfute avec beaucoup de
précision les objections qu'on lui avait faites la veille, sur le danger à
opiner pour ce choix dans les bureaux. La forme de l'appel des voix, dit-il,
est une opération fatigante et défectueuse. L'ennui des lectures pourrait faire
adopter par lassitude un projet qui ne serait pas le meilleur. Dans les
bureaux, au contraire, chacun jouira de son suffrage et de sa liberté, en
indiquant le nom de l'auteur et le titre du projet ; les listes des bureaux ne
seront pas des résultats, mais de simples résumés ; les membres sont plus
rapprochés, et les inexactitudes moins fréquentes. Cette méthode est plus
courte que celle de l'appel en assemblée générale, puisque dans les bureaux on
appellera trente membres à la fois.
M. Desmeuniers représente que l'Assemblée a rejeté d'avance
la manière de prendre les voix par bureaux. Il regarde comme une subtilité de
dire que les résumés des bureaux n'étaient pas des résultats.
M. de Castellane oppose le règlement qui ne permet pas
d'autre forme de délibérer que par assis ou levé et par l'appel des voix en cas
de doute sur la majorité ; ce qui exclut l'appel des voix par bureaux.
M. Pétion s'y oppose aussi, et dit qu'il désire qu'on mette
en délibération les différents projets proposés.
M. Pérez de Lagesse fait valoir en faveur des projets de
déclarations proposés par les membres du comité de Constitution la même
considération qui avait fait délibérer sur le projet proposé par le comité des
cinq.
M. de Lally-Tollendal :
L'Assemblée nationale a décrété qu'une déclaration des
droits de l'homme serait mise en tête de la Constitution à établir : ainsi il
n'y a plus à revenir sur cette question.
Ce serait peut-être un argument pour ceux qui trouvaient
quelques inconvénients à celte déclaration que la difficulté que nous éprouvons
à en arrêter une, la diversité de celles qui nous ont été présentées, les
débats qui s'élèvent sur les textes, sur le sens de la plupart, sur leur trop
grande étendue ou sur leurs bornes trop circonscrites, sur la profondeur de
l'une, que l'on appelle obscurité, et sur la simplicité de l'autre, que l'on
traite de faiblesse.
Si, entre douze cents que nous sommes, nous avons tant de
peine à nous réunir sur la manière d'entendre cette déclaration, croirons-nous
que l'intelligence de vingt-quatre millions d'hommes s'y fixe d'une manière
uniforme ?
"Les Anglais, c'est-à-dire le peuple du monde entier
qui entend le mieux la science du gouvernement, je ne crains pas de le dire,
j'avais besoin de le dire, et lorsque nous naissons à peine à cette science, en
vérité il y a trop de témérité à nous de prétendre rabaisser ceux que des
siècles de méditation et d'expérience ont éclairés, et que la nature n'a pas
doués inégalement entre tous les hommes de la faculté de penser et de
recueillir ; les Anglais, dis-je, ont plusieurs actes qui constatent leurs
droits et qui sont les fondements de leurs libertés. Dans tous ces actes, soit
sous leur grande charte sous le roi Jean, soit dans leurs différentes
pétitions, et sous les trois Edouard, sous Henri IV, soit dans leurs pétitions
des droits sous Charles 1er, soit enfin dans leur Bill du droit et dans leur
acte déclaratoire sous Guillaume, ils ont constamment écarté toutes ces
questions métaphysiques, toutes ces maximes générales susceptibles de
dénégation, de disputes éternelles, et dont la discussion atténue toujours plus
ou moins le respect dû à la loi qui les renferme; mais ils y ont substitué de
ces vérités de fait qu'on ne peut entendre que d'une manière, qu'on ne peut
réfuter d'aucune, qui n'admettent ni discussion ni définition, et qui réduise
la mauvaise foi elle-même au silence. Ainsi, quand ils ont dit qu'aucun homme
ne soit emprisonné ou arrêté que par un jugement légal de ses pairs, la
liberté des Anglais est devenue un axiome, personne n'a eu besoin de raisonner,
personne n'a osé disputer, chacun a su qu'il était maître de lui, et que la loi
seule pouvait entreprendre sur sa liberté, et que c'était de lui que la loi
tenait ce pouvoir.
C'est sans doute une grande et belle idée que celle
d'exposer tous les principes pour en tirer toutes les conséquences ; de faire
remonter tous les hommes à la source de leurs devoirs ; de les pénétrer de la
dignité de leur être avant de leur assurer la jouissance de leurs facultés, et
de leur montrer la nature avant de leur donner le bonheur.
Mais je demande, et c'est le seul objet du rapprochement que
je viens de faire, je demande ce que j'ai déjà demandé il y a longtemps, que
l'on écarte de cette idée le mal qui peut se placer à côté du bien dans les
meilleurs institutions ; je demande que celte déclaration de droits soit aussi
courte, aussi claire, aussi réduite qu'il se pourra; que, le principe posé, on
se hâte d'en tirer la véritable conséquence, pour que d'autres n'en tirent pas
une fausse, et que, après avoir transporté l'homme dans les forêts, on le
reporte sur le-champ au milieu de la France.
J'ai lu toutes ces déclarations ; j'ai admiré la profondeur
des unes, la sagacité des autres. Le projet proposé par M. Mirabeau est
satisfaisant sous un rapport ; c'est un de ceux, qui ont le plus écarté toutes
ces subtilités métaphysiques. Plusieurs articles peuvent et doivent remplir
toutes les vues ; mais d'autres sont trop vagues : plusieurs principes, justes
en eux-mêmes, mais trop généralisés, pouvaient entraîner des conséquences effrayantes ; l'article 3, par exemple, pourrait entraîner des dangers incalculables.
J'avoue qu'aucune ne m'a paru aussi claire, aussi simple,
aussi sévèrement conformes aux principes, et cependant aussi sagement adaptée
aux convenances, aux lieux et aux temps, que celle projetée par M. Mounier. J'y
trouve celle de M. de Lafayette, dont je fais un grand cas, et je l'y trouve
encore perfectionnée. Je crois qu'on pourrait même la réduire, y faire quelques
changements, y joindre le début de celle qu'a proposée hier M. de Mirabeau. Je
l'inviterai surtout à y joindre un article que j'ai trouvé dans celle de M.
Pison du Galand, sur le rapport de l'homme avec l'Etre suprême ; qu'en parlant
de la nature on parle de son auteur, et qu'on ne croie pas pouvoir oublier, en
formant un gouvernement, cette première base de tous les devoirs, ce premier
lien des sociétés, ce frein le plus puissant des méchants, et cette unique
consolation des malheureux L'article de M. du Galand est applicable à tous les
cultes, à toutes les religions ; j'insiste pour qu'il fasse partie de la
déclaration ; j'insiste pour que M. Mounier soit invité à corriger, d'ici à
demain, son projet de déclaration, et à le mettre sous les veux de l'Assemblée.
Si cette déclaration devait encore entraîner plus de débats,
je me joindrais à l'avis qui a été ouvert hier de marcher en avant sur les
points de la Constitution, sauf à revenir ensuite sur les principes généraux
dont nous les faisions précéder. Je ne serai point effrayé de l'inconséquence
qu'on voudrait reprocher à cette marche. Les principes de fait que nous avons à
établir sont indépendants des principes de raisonnement d'où nous voulons les
faire dériver.
Ces principes de fait sont les seuls qui nous soient tracés,
qui nous soient dictés par tous nos commettants ; notre fidélité est comptable
de ceux-là ; c'est notre zèle qui a voulu rechercher les autres. Enfin le
peuple attend, le peuple désire, le peuple souffre ; ce n'est pas pour son
bonheur que nous le laissons plus longtemps en proie aux tourments de la
crainte, aux fléaux de l'anarchie, aux passions mêmes qui le dévorent et qu'il
reprochera un jour à ceux qui les ont allumées. Il vaut mieux qu'il recouvre
plus tôt sa liberté, sa tranquillité ; qu'il recueille plus tôt les effets, et
qu'il connaisse plus tard les causes.
M. Lanjuinais :
"Il y a deux manières de voter ; elles sont
fixées par le règlement ; c'est la voie de l'appel nominal, ou le vote par
assis et levé."
M. Desmeuniers : "Je m'oppose au vote dans les bureaux qui a
été demandé."
M. Pétion :
"Je propose d'aller aux voix par assis et levé sur
chaque projet de déclaration des droits en suivant l'ordre de leur
présentation, et d'accepter celui qui aura réuni le plus de suffrages."
Monsieur le Président :
"Sera-t-il procédé par la voie de l’appel au choix d’une des
déclarations des droits de l’homme et du citoyen, soumise à l’Assemblée, sous
la réserve expresse que la déclaration préférée sera ensuite discutée article
par article ?"
Cette question est résolue affirmativement.
En conséquence il a été procédé à l’appel des voix pour
choisir la déclaration de droits dont les articles seront d’abord discutés. La
pluralité des suffrages s’est réunie en faveur de celle qui a pour titre :
Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, discutée dans le
sixième bureau de l’Assemblée nationale. La déclaration de Monsieur l’abbé
Sieyès a obtenu le plus de voix après celle-ci.
La suite des échanges porte sur une demande de l’imprimeur
qui a demandé un emplacement plus vaste. Le président invite ensuite le comité
des rapports à s’assembler à cinq heures, celui des subsistances à six heure :
ainsi que les trente membres désignés pour former les deux comités des matières
ecclésiastiques et civiles, afin de se distribuer dans ces deux comités.
La séance de l’Assemblée nationale reprendra à sept heure du
soir.
Source du procès-verbal :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4867_t2_0457_0000_11
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Gravure de Claude Niquet en 1789. (On voit sous celle-ci, le despotisme foudroyé.) |