jeudi 1 octobre 2020

1er Octobre 1789 : A la demande du Baron de Wimpffen, l'Assemblée crée un comité militaire (suivi d'une digression sur la guerre d'indépendance américaine)

Article mis à jour le 03/10/2022

    A l’initiative du baron Wimpffen, député du baillage de Caen, l’assemblée décide de créer un comité militaire chargé de préparer, de concert avec le ministère de la guerre, une réforme des armées.

    Lors de la séance du soir, M. de Wimpfen a en effet renouvelé sa motion du 12 septembre tendant à la nomination d’un comité composé de 12 membres pour s'occuper de l'armée et de sa constitution. Il pense qu'il est de la compétence exclusive de la nation de fixer l'armée, le nombre des soldats et des officiers, ainsi que leurs traitements ; qu'il appartient à la nation de faire des lois fondamentales, d'après lesquelles les citoyens militaires doivent être régis.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5085_t1_0233_0000_11

    En fait, l'idée consiste principalement à subordonner l'armée au pouvoir civil et à en régler la solde, comme tous les autres articles de finances, par une loi renouvelable annuellement.

Quelques mots sur le Baron de Wimpffen

  Ce militaire, fils du chambellan du roi Stanislas s’était brillamment illustré en 1768 durant la campagne de Corse où il était revenu lieutenant-colonel. Il avait également commandé un régiment dans la guerre d'indépendance des États-Unis et avait assisté aux sièges de Port Mahon, également appelé la bataille de Minorque (1781-1782) et de Gibraltar (1779-1783). La défense qu’il avait fait des lignes françaises devant cette dernière place lui avait valu une pension de 1 000 écus et le grade de maréchal de camp le 9 mars 1788.

Sa brillante carrière ne s’arrêta pas là, et nous reparlerons de lui en temps voulu.

Attaque franco-espagnole du 13 septembre 1782.
Destruction des batteries flottantes sous les yeux de l'état-major anglais
Tableau de Carter.
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Quelques explications à propos de la guerre d'indépendance américaine

    J'ai déjà évoqué dans de précédents articles, la participation de la France aux côtés des colons insurgés américains dans leur guerre d'indépendance contre le Royaume Uni.     Cette participation coûta financièrement fort cher à la France et fut pour partie la cause de la dette immense dans laquelle le pays se trouvait à la veille de la Révolution.

    Ce qui l'on dit moins, voire pas du tout, c'est que l'Espagne était l'alliée de la France dans cette guerre contre les Anglais ! Non-pas que le roi d'Espagne Charles IV, cousin de Louis XVI, eu une sympathie particulière envers les colons américains révoltés, loin de là ! Il aurait mal vu que les colons de ses propres colonies fassent le même choix !

    Mais au fait, j'y pense ! Vous n'avez tout de même pas imaginé non-plus que Louis XVI avait une sympathie particulière pour les insurgents américains ?

    Non, non, non ! Ce que partageait les deux cousins Bourbon, Charles et Louis, c'était leur haine des Anglais et leur esprit de revanche !

    En s'engageant dans ce conflict, la France voulait prendre sa revanche sur l'Angleterre qui l'avait vaincue à l'issue de la terrible guerre de sept ans, humiliante défaite qui avait valu à la France de perdre le Canada !

    Et en s'engageant dans cette guerre aux côtés des Français en 1779, les Espagnols voulaient tout simplement récupérer des possessions perdues lors des conflits précédent avec les Anglais, comme la Floride, Minorque et Gibraltar !

    Toutes les guerres menées jusque-là au 18ème siècle, n'étaient que des guerres entre puissances qui se jalousaient et souhaitaient se dépouiller les unes les autres, y compris la fameuse guerre d'indépendance américaine, qui ne fut rien d'autre qu'une révolte de riches colons refusant de payer leurs impôts à la couronne britannique et d'obéir aux restrictions imposées par celle-ci. Lire mon article "4 Juillet 1776, les 13 colonies font sécession"

    Le siège de Gibraltar évoqué dans la biographie du Baron Wimpffen, dura pendant toute la guerre d'indépendance américaine. Mais les Anglais qui avaient enlevé ce rocher en 1704, tinrent bon, malgré les forces gigantesques mobilisées par les Français et les Espagnols.

    En revanche, les Britanniques perdirent Minorque le 5 février 1782, à la suite d'un siège difficile commencé le 20 août 1781.



Vous souhaitez en apprendre plus sur ces batailles qui ont changé la face du monde, mais dont on ne parle plus ?

Je vous ai déniché une pépite à la bibliothèque numérique du Québec ! Il s'agit de l'ouvrage suivant, publié par un certain Jean-Claude Castex en 1941 :

"Diplomatie franco-anglaise de la Guerre d'Indépendance américaine ; Pourquoi la France n'a-t-elle pas voulu récupérer le Canada ? Suivi du Répertoire des opérations militaires franco-anglaises de la Guerre d'Indépendance américaine."

Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :

Le livre complet est téléchargeable ! (C'est un peu long, il fait 548 pages) :


Le siège de Port-Mahon est raconté à partir de la page 441 !


1er Octobre 1789 : Les habitants de Fontenay-le-Comte forment un comité patriotique (et un supplément rigolo sur la Vendée)

 Article mis à jour le 02/10/2022 😉


Histoire :

    A Fontenay-le-Comte, chef-lieu du département de la Vendée, les habitants réunis en assemblée générale forment un comité patriotique qui remplace l’ancienne municipalité.

    Cette ville très tôt acquise aux idéaux de la révolution refera parler d’elle plus tard. Elle changera son nom pour celui de Fontenay-le-Peuple et restera fidèle à la République en s’opposant à l’insurrection vendéenne en 1793. 

Nous en reparlerons lorsque le temps sera venu...


Historiette, avec humour...

    Lorsque j'emmenais autrefois ma petite famille en vacances à l'île de Ré et que pour ce faire, nous devions traverser la Vendée, je les avertissais toujours ainsi :"Nous allons devoir traverser la Vendée. Je vous préviens, nous somme en territoire ennemi. Remontez les vitres et interdiction formelle de nous arrêter, même pour faire pipi !". Nous poussions tous un soupir de soulagement lorsque nous arrivions enfin en Charente-Maritime

    C'était pour rire, bien sûr ! Mais on est Républicain, où on ne l'est pas !

    C'était pour rire, bien sûr, mais que jamais un de mes enfants ne s'avise de me dire qu'il est allé au Puys du Fou pour se distraire des spectacles révisionnistes qui y sont donnés par des nostalgiques de la servitude de l'ancien régime !

    Quelle ne fut donc pas ma surprise de constater que l'une de mes fidèles abonnées à la page du citoyen Basset, que j'estime tout particulièrement pour ses engagements, avait partagé cette publication sur la page Facebook de la Ligue des Droits de l'Homme de la section de Fontenay - Luçon - Sud Vendée !

Le Citoyen Basset sur la page de la LDH de Fontenay - Luçon -Sud Vendée !

    Il y a donc des citoyennes et des citoyens selon mon cœur en Vendée ! Rien n'est donc perdu ! Voilà qui me fait plaisir !

    J'ai donc mis à jour dans mon cerveau, mes données sur la Vendée avec cette information cruciale et voici comment je me représente maintenant mentalement la Vendée, avec la ville de Fontenay-le-Comte ! 😉 Voir l'image ci-dessous...



    J'espère à présent que les autres vendéens républicains, en dehors de Fontenay-le-Comte, apprécieront mon humour (les autres, je m'en fiche 😉)


1er Octobre 1789 : Malgré les événements, Louis XVI chasse à courre et tue deux cerfs

 

    Malgré les événement, Louis XVI continue de satisfaire son goût pour la chasse à courre et il tue ce jours deux cerfs dans la forêt de Meudon.

    Le site WEB « Mémoire des équipages » nous explique que la Vénerie royale de Louis XVI connut plusieurs simplifications d’organigramme avant la Révolution française. 

    Par mesure d'économie, Louis XVI avait supprimé en 1776 les meutes du chevreuil, du daim, du lièvre, et réduit le nombre des officiers des chasses. En 1786 avait également disparu l'équipage des lévriers de Champagne. L'année suivante, le contrôleur général des finances, Loménie de Brienne (1727-1794) avait fait supprimer la louveterie, les toiles et la fauconnerie. 

    Il ne restait plus en 1789 que les deux équipages du cerf et les oiseaux du cabinet, soit une quinzaine de fauconniers.

Plus d'infos sur leur page : https://memoiredesequipages.fr/fiche/1665



1er Octobre 1789 : La cocarde tricolore foulée aux pieds, lors d’une « orgie » à Versailles

 


    C’est au soir de ce jeudi 1er octobre 1789, que va se dérouler à Versailles, dans l’opéra du château de Versailles, un événement qui va faire grand bruit lorsqu’il sera connu à Paris le lendemain.

    Les gardes du corps du roi vont en effet donner un banquet en l’honneur du régiment de Flandres, arrivé le 23 septembre dernier à la demande du roi. La raison du rappel par le roi de ce régiment stationné à Douai, est probablement la crainte d’éventuelles nouvelles émeutes de parisiens. Mais l’arrivée de ces 5000 soldats déplaît beaucoup aux parisiens qui gardent le souvenir récent des troupes étrangères qui avaient encerclées Paris au début du mois de juillet et des événements tragiques avec le régiment du Royal Allemand. Le roi et la reine le savent et par prudence, ils préféreront, nous disent les historiens, éviter de participer à cette fête. (En même temps, j’ai du mal à imaginer le roi et la reine participer à une beuverie de soldats, mais bon, je veux bien)

    De toute évidence, la curiosité l’emportant sur la prudence, (à moins que ce ne soit volontaire…), le couple royal sera aperçu au balcon d’une loge par les convives éméchés et ils seront bien sûr aussitôt ovationnés.

       Les gardes du corps au comble de la joie, entonneront l’air de « O Richard, ô mon roi » au milieu des acclamations et des vivats. Le roi et la reine se croiront alors obligés de descendre rejoindre les convives, accompagnés du Dauphin. L’ambiance montera aussitôt d’un cran et les convives déjà bien échauffés par l’alcool, se mettront à arracher leurs cocardes tricolores pour les fouler aux pieds. (Lire l'article sur cette fameuse cocarde tricolore).

    La plupart des historiens nous disent qu’ils remplaceront aussitôt les cocardes piétinées par des cocardes blanches symbolisant la monarchie selon les uns, ou par des cocardes noires, couleur de la reine selon les autres. Mais ni les uns ni les autres, ne se demanderont d’où venaient ces nouvelles cocardes blanches ou noires, apparues comme par miracle !

    Même s’il est certain que cet événement a bien eu lieu, la rumeur qui s’en suivra ne manquera pas de le grossir. Dès le lendemain, dans tout Paris, on ne parlera plus que de « l’orgie » des contre-révolutionnaires qui s’apprêtent à fondre sur Paris et écraser dans le sang la révolution. La crainte du complot aristocratique va aller en grossissant, amplifiée par la presse.


Un mot sur le chant "O Richard, ô mon roi"

    Ô Richard ! Ô mon roi ! Est extrait de l'Opéra-comique Richard Cœur de Lion composé par André Grétry sur un livret de Michel-Jean Sedaine en 1784. Cet air, chanté dans le premier acte, parle autant de royauté que de loyauté : De retour de la Troisième croisade, le roi Richard Cœur de Lion est retenu, emprisonné dans le château de Linz. Blondel, son serviteur fidèle, déguisé en troubadour aveugle, va tenter de le libérer. Ce sujet en fit un chant de ralliement des royalistes pendant la Révolution. Une nouvelle version, adaptée aux circonstances circula plus tard dans les milieux royalistes avec pour titre « O Louis, ô mon roi » (1791)

    Vous pouvez écouter un extrait dans la vidéo ci-dessous, mise en ligne par le Château de Versailles. Vous remarquerez que les artistes sont en costumes du XVIIIe siècle et non-pas du XIIe siècle de Richard Cœur de Lion. Vous apercevrez également, joyeusement brandis, deux exemplaires du drapeau avec l'aigle bicéphale du Saint-Empire romain, d'Autriche, Bohême et Hongrie, de la famille de Marie Antoinette. Je pense que dans la provocation royaliste, on ne peut guère aller plus loin.

    Ce chef-d'œuvre sera de nouveau à l'affiche à l'Opéra de Versailles, du jeudi 11 au dimanche 14 novembre 2021... ("Comme par hasard..." dirait un complotiste) 😉


mercredi 30 septembre 2020

30 Septembre 1789 : Babeuf publie son Cadastre Perpétuel et le dédie à l’Assemblée

 

    Fin septembre, début octobre 1789, est publié à Paris un curieux ouvrage dédié à L’Assemblée nationale, portant un nom étrange. Il s’agit du « Cadastre Perpétuel » de François Noël Babeuf, que celui-ci cosigne avec un mathématicien du nom d’Audiffred. 

Le projet déclaré de ce livre figure en introduction :

Cadastre Perpétuel, ou Démonstration des procédés convenables à la formation de cet important Ouvrage, pour assurer les principes de l’Assiette & de la Répartition justes & permanentes, & de la Perception facile d'une Contribution Unique, tant sur les Possessions Territoriales, que sur les Revenus Personnels.

Avec l’exposé de la Méthode d'Arpentage de M. Audiffred par son nouvel instrument, dit Graphomètre Trigonométrique : méthode infiniment plus accélérative & plus sûre que toutes celles qui ont paru jusqu’à présent, & laquelle, par cette considération serait plus propre à être suivie dans la grande opération du Cadastre.

Apparaît également en première page, cette citation de Necker, extraite de son discours lors de l’ouverture des Etats Généraux :

« On doit mettre au premier rang, parmi les améliorations qui intéressent tous les habitants du Royaume, l’établissement des principes qui doivent assurer une égale répartition des impôts »

Et page suivante, on peut lire cette dédicace adressée aux députés :

A l’Honorable Assemblée des Représentants de la Nation Française

Nosseigneurs

C’est à votre tribunal auguste que sans doute il convient de soumettre l’examen des Plans d’Administration qui peuvent intéresser tous les Citoyens de l’Etat. Sous ce point de vue, nous osons vous faire hommage du Cadastre Perpétuel. C’est l’offrande qu’il est en notre pouvoir de présenter à la Patrie : puissiez-vous la juger digne d’elle, & l’agréer au nom de tous les Français. C’est être ambitieux que d’avoir prétendu donner une production tendant à leur bonheur à tous ; mais nous nous attendons que ce motif sera trouvé louable ; et si notre haute entreprise était d’heureuse témérité, les seuls vœux que nous eussions conçus seraient à leur comble.

Nous sommes bien respectueusement,

Vos très humble & très obéissants Serviteurs,

F. N. Babeuf, Archiviste-Feudiste

J.P. Audiffred, Mathématicien

Citoyens Français

    Babeuf est arrivé à Paris à la fin du mois de juillet pour faire éditer son Cadastre Perpétuel. Au vu des événements, il y a ajouté ce « Discours préliminaire » dédié à l’Assemblée nationale. 

    Vous en conviendrez avec moi, au premier abord, l’objet de cet ouvrage correspond à merveille aux préoccupations des députés, et plus particulièrement à celles de Monsieur Thouret et de son comité qui ont présenté hier, 29 septembre, leur projet de redécoupe du territoire.

Au premier abord, oui…

Quelques mots sur Babeuf ?

    Babeuf avait ouvert en 1785, à Roye, en Picardie, un cabinet d’arpenteur-géomètre et de commissaire à terrier ou feudiste. C’est-à-dire qu’il était chargé d’établir pour les nobles, les listes des droits seigneuriaux sur leurs terres. Cela signifiait également que les nobles fondaient leurs exigences d’argent à payer par les paysans, sur la base de son travail. Ce fut en exerçant cette fonction ingrate que sa conscience politique s’éveilla progressivement. Il écrira plus tard : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble »

    Sa conscience politique sera de tendance utopiste. Cela dit sans aucun jugement de valeur. Certaines utopies sont très belles. Néanmoins, un utopiste a tendance à ne pas trop s’embarrasser de la réalité des choses, et par ce fait il a tendance à élaborer des systèmes pour des hommes tels qu’ils devraient être (dans son idée), plutôt que tels qu’ils sont, ou éventuellement, pourraient être. Raison pour laquelle les solutions imaginées par Babeuf pour réformer la société seront assez radicales. Babeuf rêvait de ce que nous appellerions une réforme agraire, mais assez extrême. Celle-ci aurait consisté en un partage des terres strictement équitable entre tous les citoyens, qui serait revenu à créer « 6 millions de manoirs de 11 arpents » et qui aurait abouti à terme à une suppression de la propriété.

    Babeuf était néanmoins prudent (et intelligent). Raison pour laquelle, dans son ouvrage, il met plutôt en valeur la simplicité et la modération de son projet, évoquant les nombreux avantages qui en résulterait aussi bien pour les pauvres (justice sociale) que les riches (sécurité et paix). De plus, son discours s’appuie sur une démarche d’apparence scientifique puisqu’il met en avant l’utilisation d’une nouvelle invention, le graphomètre trigonométrique, qui permettra d’optimiser la réalisation du castre ; le cadastre étant la clé d’un calcul équitable des impôts fonciers. Ne doutons pas cependant que dans son idée, cet arpentage de l’ensemble du territoire permettra également plus tard le repartage de la grande propriété foncière. Sans vouloir tomber dans des généralités, on voit souvent des utopistes s’appuyer sur des discours scientifiques pour justifier les systèmes qu’ils imaginent.

Sur l'utopie et Babeuf, je vous conseille la lecture de cet article très intéressant :
"Comment la révolution a transformé l’utopie : le cas de Gracchus Babeuf"

    La propriété étant l'obsession de la grande majorité des députés, qui songent même à la sacraliser, on se doute bien que Babeuf se prépare beaucoup de soucis.

    Mais Babeuf est un vrai révolutionnaire et sa parole vaut tout aussi bien d'être écoutée que celle des révolutionnaires qui occupent le devant de la scène, depuis les Etats Généraux.

    Babeuf deviendra un acteur important du mouvement des sans-culottes. Toute sa vie il aura été pauvre et il se sera battu du côté des pauvres. Il perdra même sa fille qu’il adorait, morte de privations, pendant un de ses nombreux séjours en prison.

Babeuf mérite donc le respect.

 

Voici donc le fameux « Cadastre perpétuel » :


Fin septembre 1789 : Saint-Priest, le ministre de l'Intérieur nous explique la situation.

 

    C'est en faisant des recherches sur Axel de Fersen, "l'amoureux suédois" de la Reine, que j'ai trouvé dans l'ouvrage de Charles Kunstler "Fersen et son secret" cette confession du comte de Saint-Priest, probablement extraite des mémoires de celui-ci (je vérifierai plus tard).

    Elle est très intéressante car elle nous donne un éclairage intéressant sur les événements que nous découvrons ensemble depuis quelques temps. Qui plus, Saint-Priest n'est pas n'importe qui puisque c'est le ministre de l'Intérieur. Chassé en même temps que Jacques Necker, il a repris sa fonction en même temps que Necker, au retour de celui-ci-ci. Saint-Priest n'aime pas Marie-Antoinette, car c'est elle et son entourage, en occurrence le réactionnaire baron de Breteuil, qui avaient poussé le roi à commettre la funeste erreur de chasser Necker le 11 juillet 1789, ce qui eut les conséquences que vous savez...

Je vous laisse lire :

    "Depuis le retour de Necker, le comte de Saint-Priest était ministre de l’Intérieur. Il ne cacha rien à Fersen de ce qui se passait à la Cour et à l’Assemblée nationale. Il lui nomma les principaux députés, les plus agissants.

    "Il y a plusieurs partis, lui dit-il : d’abord, celui de la Cour, celui des « aristocrates », que mènent le marquis d’Éprémesnil et l’Abbé Maury ; celui de Necker, qui, tout en maintenant la monarchie et tout en lui accordant la force nécessaire pour rétablir l’ordre, est partisan de la constitution anglaise, des deux chambres, du véto absolu. Malgré l’insistance de Necker, l’Assemblée n’a consenti au roi qu’un véto suspensif, et pour deux législatures. Ce parti comprend quelques figures remarquables, notamment Mounier homme honnête et sincère, (qui s'enfuira le 10 octobre, par suite des événements des 5 et 6), le comte de Lally-Tollendal et le comte de Clermont-Tonnerre, parent de Breteuil. Dans le flux et le reflux des séances les plus orageuses, on distingue encore un parti très remuant. Son chef est le duc d’Orléans, ou plutôt le comte de Mirabeau, qui parle et agit en son nom, et que soutiennent l’évêque d’Autun, Talleyrand, l’abbé Sieyès, M. de Sillery et M. de Laclos, auteur du fameux ouvrage : Les Liaisons dangereuses. Non loin d’eux, s’agitent Barnave, Alexandre Lameth, Duport-Dutertre, qui forment une sorte de triumvirat et se réclament de La Fayette. Député du Tiers Etat du Dauphiné, Barnave est un jeune homme plein d’esprit et de feu, mais factieux déterminé.

    "La Faiblesse du Roi, vous ne l’ignorez pas, le rend incapable de dire "oui" ou "non". Aussi, l’Assemblée, encouragée par le succès de ses usurpations, ne songe qu’à s’en procurer d’autres par son audace, entrainée qu’elle est par Mirabeau et quelques autres démagogues. Ce Mirabeau ne demandait qu’à se rapprocher de la Cour. On se flattait déjà de le gagner. Mais Necker, qui mène tout, n’a jamais voulu y consentir. Mirabeau s’est répandu en menaces. "A quoi donc pensent ces gens-là ? A-t-il dit au comte de La Marck, son ami. Ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ?" Après un moment de silence il s’écria : "Tout est perdu ; le Roi et la Reine y périront, et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres." Et, comme le comte de La Marck ne lui cachait pas l’horreur que ces mots lui causaient, il répéta : "Oui, oui ! On battra leurs cadavres ; vous ne comprenez pas assez les dangers de leur position ; il faut les leur faire connaître…"

    Axel était devenu très pâle. Saint-Priest continua : "On m’assure qu’exaspéré d’être ainsi dédaigné par la Cour, Mirabeau s’est lié avec le duc d’Orléans, dans l’intention, vraie ou simulée, de le mettre sur le trône, espérant ainsi être le maître. C’est avec l’argent de ce prince qu’il fomente des troubles. Il ne craint pas de s’en vanter. On a, dit-il, une très jolie émeute pour vingt-cinq Louis…" Savez-vous, monsieur de Fersen, qu’il a suggéré aux ci-devant garde-françaises le désir de venir chercher le Roi à Versailles et de l’amener à Paris ?... C’est pour parer à ce danger que, d’accord avec La Fayette et la Municipalité de Versailles, j’ai fait venir ici le régiment de Flandre, qui était en garnison à Douai. Mais depuis lors, on me tourmente pour contremander cette mesure."

A présent, vous savez combien coûte l'organisation d'une émeute populaire : 25 Louis. 

Source, Fersen et son secret :

https://excerpts.numilog.com/books/9791037633743.pdf

30 Septembre 1789 : Un solitaire invente le pouvoir modérateur, c’est Bernardin de Saint-Pierre

 

Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre

    C’est à la fin de ce mois de septembre 1789 que Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre publie son ouvrage « Vœux d’un solitaire ». Moins connu que son célèbre roman « Paul et Virginie » publié en 1788, ce livre à l’avantage de coller parfaitement à notre actualité de 1789.

    Je vous invite à lire ci-dessous son préambule. Il décrit les événements qui ont eu lieu à Paris depuis le mois de juillet, ainsi que la façon, assez étonnantes, dont il les a vécus. 

    L’extrait que je vous propose se termine sur la proposition d’un nouveau concept en politique, l’invention d’un troisième pouvoir, le pouvoir modérateur. Je trouve que c'est une idée géniale.

    Si vous le souhaitez, vous pourrez en apprendre plus en lisant l’exemplaire mis à notre disposition par notre ami Google, dans la fenêtre située en bas de page.

    Quant à Bernardin de Saint Pierre, cet aventurier, ingénieur, écrivain, etc., je vous conseille de lire sa biographie plutôt bien faite sur sa page Wikipédia. Vous y apprendre, entre autres, que ce solitaire s’était lié d’amitié avec un autre solitaire, célèbre celui-là pour ses promenades rêveuses dans la nature et surtout pour ses écrits philosophiques ; Je veux parler de Jean-Jacques Rousseau. Bernardin de Saint Pierre faillit se marier en 1773 avec Louise Félicité de Keralio, une femme étonnante et trop méconnue, à laquelle j’ai consacré un article sur ce site.

    Je vous propose également de lire cette étude sur lui, rédigée par le Professeur Jean-Michel Racault, spécialiste des littératures de voyage au XVIIIe siècle, que vous trouverez en cliquant sur l’image ci-contre.




Voici les premières pages du préambule du livre.

Je me suis permis d’actualiser l’orthographe, afin que les « f » remplaçant les « s », comme il était d’usage au 18ème siècle, ne vous perturbent pas trop. J’ai juste laissé les « & » remplaçant nos « et », pour conserver un peu de pittoresque.

"Dans mes Etudes de la Nature, imprimées pour la première fois en décembre 1784, j’ai formé la plupart des vœux que je publie aujourd’hui, en Septembre 1789. J’y serai tombé sans doute dans quelques redites : mais les objets de ces vœux, qui, depuis la convocation des Etats -généraux, intéressent toute la nation, sont si importants, qu’on ne saurait trop les répéter, & su étendus, qu’on peut toujours y ajouter quelque chose de nouveau.

Je sais que les membres illustres de notre assemblée nationale s’en occupent avec le plus grand succès. Je n’ai pas leurs talents, mais, comme eux, j’aime ma patrie. Malgré mon insuffisance, si ma santé l’eût permis, j’aurais ambitionné la gloire de défendre avec eux la liberté publique : mais j’ai un sentiment si exquis & si malheureux de la mienne, qu’il m’est impossible de rester dans une assemblée, si les portes en sont fermées, & si les avenues n’en sont pas si libres que je puisse sortir au moment où je le désire.

Ce désir d’user de ma liberté ne manque jamais de me prendre au moment où je crois l’avoir perdue, & il devient si vif, qu’il me cause un mal physique & moral, auquel je ne peux résister. Il s’étend plus loin que l’enceinte d’un appartement. Pendant les émeutes de Paris (qui commencèrent après le départ de M. Necker, le 13 juillet, au même jour que l’année passée le royaume fut désolé par la grêle), lorsqu’on brûlait les bâtiments des barrières autour de la ville, qu’au-dedans l’air retentissait du bruit alarmant des tocsins que fonctionnaient tous les clochers à la fois, & des clameurs du peuple qui criait que les hussards entraient dans les faux-bourgs pour y mettre tout à feux et à sang, Dieu, en qui j’avais mis ma confiance, me fit grâce d’être tranquille. Je me résignai à tout événement, quoique seul dans une maison isolée & dans une rue solitaire, à l’extrémité d’un faux-bourg.

Mais quand le lendemain, après la prise de la Bastille, l’éloignement de troupes étrangères dont le voisinage avait causé tant d’alarmes, & l’établissement des patrouilles bourgeoises, j’appris qu’on avait fermé les portes de Paris, & qu’on n’en laissait sortir personne, il me prit alors la plus grande envie d’en sortit moi-même.

Pendant que les habitants se félicitaient d’avoir recouvré leur liberté, je comptais avoir perdu la mienne : je me tenais pour prisonnier dans les murs de cette vaste capitale ; je m’y sentais à l’étroit. Je ne rendis le calme à mon imagination, que lorsque j’eus trouvé, en me promenant sur le boulevard de l’hôpital, une porte grillée, dont la ferrure & les barreaux avaient été rompus, & qui n’était pas gardée : alors j’en m’en fus dans la campagne, ou je fis une centaine de pas, pour m’assurer que je n’avais pas perdu mes droits naturels, et qu’il m’était permis d’aller par toute terre. Après cet essai de ma liberté, je me sentis tout à fait tranquille, & je m’en revins dans mon quartier tumultueux, sans me soucier depuis d’en ressortir.

Lorsque, quelques jours après, des têtes coupées à la Grève, sans formalité de justice, & des listes affichées qui en prescrivaient beaucoup d’autres, firent craindre à tout le monde que des méchants ne se servissent de la vengeance du peuple, pour satisfaire leurs haines particulières, & que Paris, livré à l’anarchie, ne devint un théâtre de carnage & d’horreur, quelques amis m’offrirent des campagnes paisibles & agréables, tant au-dedans qu’au dehors du royaume, où je pourrais goûter le repos si nécessaire à mes études ; je les ai remerciés. J’ai préféré de rester dans ce grand vaisseau de la capitale, battu de tous côté de la tempête, quoique je sois inutile à la manœuvre, mais dans l’espérance de contribuer à sa tranquillité. J’ai donc tâché de calmer des esprits exaltés, ou de ranimer ceux qui étaient abattus, quand j’en ai eu l’occasion ; de contribuer de ma personne et de ma bourse aux gardes si nécessaires à la police ; d’assister, de temps à autre, à quelque comité de mon district, un des plus petit & des plus sages de Paris, pour y dire mon mot, quand je le peux ; et surtout de mettre en ordre ces Vœux pour la félicité publique, dont je m’occupe depuis six mois. J’ai abandonné, pour cet unique objet, des travaux plus faciles, plus agréables, & plus utiles à ma fortune ; je n’ai eu en vue que celle de l’Etat.

Dans une entreprise si stupéfiante à mes forces j’ai marché souvent sur les pas de l’Assemblée nationale, & quelquefois je m’en suis écarté : mais si j’avais toujours eu ses idées, il serait fort inutile que je publiasse les miennes. Elle se dirige vers le bien public, par de grandes routes, en corps d’armée, dont les colonnes s’entraident, & quelquefois malheureusement se choquent ; et moi, loin de la foule, sans secours, mais sans obstacles, par des sentiers qui m’ont mené vers le même but. Elle moissonne, & moi je glane. Je rapporte donc à la masse commune quelques épis cueillis sur ses pas, & même au-delà, dans l’espérance qu’elle daignera les recueillir dans ses gerbes.

Cependant j’ai à me justifier de m’être écarté quelque fois de sa marche, & même de ses expressions. Par exemple, l’assemblée n’admet que deux pouvoirs primitifs dans la monarchie, le pouvoir législatif & le pouvoir exécutif. Elle attribue le premier à la nation, & le second au roi. Mais je conçois dans la monarchie, ainsi que dans toute puissance, un troisième pouvoir nécessaire au maintien de son harmonie, que j’appelle modérateur."

Et voici le livre complet !