mardi 22 septembre 2020

22 Septembre 1789 : Le roi fait don de sa vaisselle d’argent pour aider à rembourser la dette nationale ! L’Assemblée apprend la nouvelle avec stupeur !

 Article mis à jour le 22/09/2023.

Ménagère en argent, style Louis XVI

Des donateurs inattendus !

    Souvenez-vous du 7 septembre dernier, lorsque des femmes étaient venues déposer leurs bijoux à l’Assemblée pour aider à rembourser la dette nationale. Depuis, l’Assemblée reçoit chaque jour des dons patriotiques. Mais aujourd’hui, le donateur n’est autre que Louis XVI ! Louis XVI fait don de sa vaisselle d’argent afin de participer au remboursement de la dette nationale.

    Nous apprendrons de la voix de Necker, lors de son discours de présentation de l'état des finances devant l'Assemblée nationale, que c'est lui qui a fait cette proposition au roi ! Proposition que le roi a accueillie avec empressement, et que l'apprenant, la reine a ordonné sur le champ de disposer également de toute sa vaisselle !

Source, page 140 : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5042_t1_0139_0000_6

Petit rappel. Comment en est-on arrivé là ?

    Durant des années, Louis XVI s’est heurté à l’hostilité de l’aristocratie qui l’a empêché de faire procéder aux réformes nécessaires pour renflouer les caisses de l’Etat par le biais de ses ministres successifs. La Noblesse ne voulait rien céder de sa richesse ni de ses privilèges. Les Assemblées des notables organisées en 1787 et 1788 ont échoué. Les parlements ont refusé d’enregistrer les lois nouvelles, et en manipulant le peuple pour qu’il se révolte, ils ont même contribué à créer une hostilité grandissante envers le pouvoir royal. C’est dans cette situation d’impasse que Louis XVI a dû se résoudre à convoquer les Etats Généraux, comme pour prendre à témoins l’ensemble de la société.

    Finalement (si l'on peut dire), les Etats Généraux, ont accouché de cette Assemblée nationale de notables, qui apprennent ce jour avec stupeur que le roi a fait don de sa vaisselle pour aider à rembourser la dette nationale...

Je vous laisse réfléchir un instant à tout cela.

Le couvert du roi, exposé à Versailles.

Voici la réaction de l’Assemblée nationale, lorsqu’elle apprend la nouvelle :

M. Boéry fait la motion suivante :

« Le sacrifice auquel le Roi s'est déterminé en envoyant son argenterie à la Monnaie, nous prouve assez qu'en voulant consacrer à jamais la liberté, il veut aussi rétablir l'ordre des finances. Un si généreux patriotisme est bien capable de donner l'éveil le plus puissant à tous les cœurs français.

Dans ce moment, lorsque la nation est rassemblée, souffrira-t-elle que le Roi se prive d'une superbe argenterie, le chef-d'œuvre de l'art, ouvrage des artistes les plus célèbres, et qui fait l'admiration de tous les princes étrangers ? Vous ne souffrirez sans doute pas, Messieurs, que le sacrifice auquel le Roi s'est déterminé s'accomplisse. Déjà vous avez annoncé que vous alliez décréter que les citoyens payeraient le centième de leur fortune ; les députés du Berry renouvellent ces engagements ; ils font leur soumission pour payer le centième de leur fortune, et leur soumission, ils l'ont déposée sur le bureau. »

Mirabeau répond :

« Je ne m’apitoie pas aisément sur la faïence des grands ou la vaisselle des rois ; je pense néanmoins, comme les préopinants, qu’il n’y a pas lieu à délibérer, mais par une raison différente : c’est qu’on ne porte pas un plat d’argent à la Monnaie qui ne soit aussitôt en circulation à Londres. »

Monsieur de Toulongeon voudrait qu’on prît des moyens plus grands et plus dignes d’une nation pour le paiement des dettes de l’Etat ; mais dans les calamités publiques, c’est le luxe corrupteur, ce sont les jouissances fastueuses et les richesses stériles qu’il faut sacrifier à la sûreté de la patrie.

Monsieur Deschamps parle avec éloquence, et intéresse l’Assemblée, enfin un cri presque général s’élève pour que Monsieur le Président se retire auprès du Roi, pour lui porter le vœu de l’Assemblée.

D’un autre côté, quelques personnes interrompent la discussion, et retardent la délibération.

Monsieur le Président observe que l’argenterie est peut-être déjà partie ; qu’il faut mettre beaucoup de promptitude dans la délibération.

Monsieur le Président parvient enfin à recueillir les voix, et presque à l’unanimité, il est décrété que Monsieur le Président se retirera sur le champ par devers le Roi pour le supplier de conserver sa vaisselle.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5026_t1_0099_0000_5

Le président s'est bien rendu auprès du roi et il en rend compte lors de la séance du 22 septembre :

Retour du Président et compte-rendu de sa visite au Roi, lors de la séance du 22 septembre 1789

On propose quelques amendements. Les choses étaient dans cet état, lorsque M. le Président est rentré.

M. le Président rend compte qu'il s'est, conformément aux ordres de l'Assemblée , retiré par devers le Roi, à qui il a dit : «Sire, l'Assemblée nationale a appris avec douleur la résolution que Votre Majesté a prise d'envoyer à la Monnaie sa vaisselle et celle de la Reine ; elle supplie Votre Majesté de révoquer cette résolution, ne pouvant regarder que comme sacrifices les plus pénibles pour elle et pour la nation, ceux qui seraient personnels à Votre Majesté. »

Le Roi lui a répondu : «Je suis fort touché des sentiments que l'Assemblée nationale me témoigne ; vous l'en assurerez de ma part ; mais je persiste dans une disposition que la rareté du numéraire effectif rend convenable. Ni la Reine, ni moi, n'attachons aucune importance à ce sacrifice. »

L'Assemblée a témoigné par des applaudissements unanimes la sensibilité de sa reconnaissance.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5028_t1_0101_0000_3


Etonnant, non ?


Et la Constitution ?

    Ah ! J'allais oublier ! L'Assemblée nationale constituante traite tant et tant de sujet important en une journée, que j'allais oublier que ses députés ont voté ce jour l'article 1 de la Constitution :

« Le gouvernement français est monarchique : il n'y a point en France d'autorité supérieure à la loi ; le Roi ne règne que par elle, et ce n'est qu'en vertu des lois qu'il peut exiger l'obéissance. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5027_t1_0100_0000_10


Post Scriptum :

    L’objet de mon modeste site n’est pas de lancer des polémiques. Mais tandis que je publie cet article, j’apprends que le Président de la République a fait dépenser au Trésor Public 930.000 € (presque un million !), pour rénover son bureau de l’Elysée. C’est vrai que c’est bien peu de chose au regard de l’immense dette publique du pays qui est de 2 358,9 milliards d'euros (soit 99,6% du PIB).

    Selon ma théorie, fort heureusement partagée par nombre de psychologues, ce genre de d'attitude résulte de comportements propres à l’espèce humaine, hérités de sa longue évolution. Le Président est soumis à ce déterminisme.

J'allais oublier la nouvelle vaisselle à 500.000 € achetée en 2018 !
Source : Capital (Journal que l'on ne peut qualifier de gauchiste)

Explication scientifique

    On peut résumer ainsi. Prenez le plus honnête et le plus désintéressé des hommes ; traitez-le comme un roi en le mettant dans un palais et en lui rendant les honneurs dus à un roi ; immanquablement celui-ci finira par se comporter comme un roi. Cela vaut aussi pour fabriquer une reine.

    La solution serait peut-être de transformer le Palais de l'Elysée en musée et de faire travailler le Président dans un immeuble de bureau normal. Je ne dis ça que pour aider.


La vaisselle d'or n'a pas été évoquée.

Argument réfuté !

    Que me dites-vous ? L'industrie du luxe enrichit le pays ? Oups ! Lisez mon article du 29 juillet 1789 à propos du décès du Baron d'Holbach, grand pourfendeur du luxe...



22 Septembre 1789 : La représentation de l'opéra "Démophon", remporte un succès prodigieux.

Phyllis et Démophon

    Ce mardi 22 Septembre, à l’Opéra de Paris, a eu lieu à titre posthume la représentation de la dernière composition de Jean Christophe Vogel, "Démophon", sur un livret de Philippe Desriaux.

    Cette représentation a remporté un succès prodigieux.


    Johann Christoph Vogel ou Jean-Christophe Vogel, né la même année que Mozart (1756) dans le Saint-Empire à Nuremberg, était décédé prématurément le 26 juin 1788.

    Son opéra, Démophon, est considéré comme "un des monuments de la musique lyrique française". Son ouverture a été l'une des œuvres les plus jouées pendant la Révolution et l'Empire. Elle fut interprétée notamment par quelque 1 200 instrumentistes sur le Champ de Mars.

Je vous propose d’écouter l'ouverture.


Voici même le livret, pour les amateurs :

lundi 21 septembre 2020

21 septembre 1789 : Louis XVI accepte de publier, mais pas de promulguer les décrets relatifs à l’abolition des privilèges.

 Abolition des privilèges, suite...


Stanislas de Clermont Tonnerre
Stanislas de Clermont Tonnerre

    Ce matin du lundi 21 septembre 1789, Monsieur le président de l’Assemblée nationale, Stanislas de Clermont-Tonnerre, ouvre la séance par la lecture de la réponse qui lui a été remise la veille par le Roi, sur la demande faite à Sa Majesté d'ordonner la promulgation des arrêtés des 4 août et jours suivants, et de revêtir de sa sanction le décret porté par l'Assemblée nationale, le 18 du courant, concernant les grains.

    Il s’agit des décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789 concernant la fameuse abolition des privilèges.

Je vous invite à lire ou relire mon article concernant la nuit du 4 août, ainsi que celui concernant les échanges qui ont eu lieu entre le Roi et l'Assemblée durant les journées des 18 et 19 septembre.

Ont été abolis sans indemnité :

Ont été considérés comme rachetables :

    Concernant le rachat, je vous rappelle que la loi du 3 Mai 1790 fixera le rachat à 20 annualités pour les droits féodaux en argent et 25 annuités pour ceux en nature !!!

    Par ailleurs, le roi Louis XVI avait été proclamé "Restaurateur de la liberté française" (Article 17).

Louis XVI, restaurateur de la liberté

    Cette fameuse abolition du régime féodal avait bien été prononcée par les décrets que l'Assemblée nationale constituante avait pris les 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, et dont l'article premier commençait par la disposition suivante : « L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. » Mais ces décrets ne pouvaient pas "faire loi par eux-mêmes". Il fallait encore qu'ils fussent sanctionnés par le roi, et envoyés, de son ordre exprès, aux tribunaux et aux corps administratifs, pour être transcrits sur leurs registres.

    Le 18 septembre, une longue lettre du roi avait été lue à l'Assemblée nationale constituante. Elle contenait des observations sur chacun des articles des décrets. Le résultat de ces observations était que le roi ne pouvait pas sanctionner ces décrets, parce qu'ils ne formaient que le texte de lois qui restaient encore à faire. 

    Certaines des remarques de Louis XVI étaient judicieuses et elles laissaient deviner une certaine réserve, quant à bien vouloir sanctionner l’abolition pure et simple du régime féodal. Il écrivait par exemple :

« J'invite l'Assemblée nationale à réfléchir si l'extinction du cens et des droits de lods et ventes convient véritablement au bien de l'État ; ces droits, les plus simples de tous, détournent les riches d'accroître leurs possessions de toutes les petites propriétés qui environnent leurs terres, parce qu'ils sont intéressés à conserver le revenu honorifique de leur seigneurie. Ils chercheront, en perdant ces avantages, à augmenter leur consistance extérieure par l'étendue de leurs possessions foncières ; et les petites propriétés diminueront chaque jour ; cependant il est généralement connu que leur destruction est un grand préjudice pour la culture. »

    L’Assemblée nationale n’avait vu dans ces remarques qu’un prétexte destiné à ajourner indéfiniment la promulgation de ces arrêtés. Elle avait pris le 19 septembre un nouveau décret chargeant son président de « se retirer sur-le-champ par-devers le roi, pour le supplier d'ordonner incessamment la Promulgation des arrêtés ».

    Rappelons, pour expliquer cet empressement de ladite assemblée, que des châteaux continuaient de bruler parfois de-ci de-là dans les campagnes, souvent pour faire disparaître dans les flammes les documents relatifs aux droits féodaux (Livres terriers, chartes, etc).

Plan terrier de la commanderie de Libdeau
 

    C’est donc en réponse à cette dernière démarche de l'Assemblée que le roi rédigea la lettre que voici, lue ce jour devant l’Assemblée :

« Versailles, ce 20 septembre 1789.

Vous m'avez demandé, le 15 de ce mois, de revêtir de ma sanction vos arrêtés des 4 août et jours suivants ; je vous ai communiqué les observations dont ces arrêtés m'ont paru susceptibles ; vous m'annoncez que vous les prendrez dans la plus grande considération, lorsque vous vous occuperez de la confection des lois de détail qui seront la suite de vos arrêtés.

Vous me demandez en même temps de promulguer ces mêmes arrêtés : la promulgation appartient à des lois rédigées et revêtues de toutes les formes qui doivent en procurer immédiatement l'exécution ; mais comme je vous ai témoigné que j'approuvais l'esprit général de vos arrêtés et le plus grand nombre des articles en leur entier, comme je me plais également à rendre justice aux sentiments généreux et patriotiques qui les ont dictés, je vais en ordonner la publication dans tout mon royaume. La nation y verra, comme dans ma dernière lettre, l'intérêt dont nous sommes, animés pour son bonheur et pour l'avantage de l'État ; et je ne doute point, d'après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés.

Signé, LOUIS.

J'accorde ma sanction à votre nouveau décret du 18 de ce mois, concernant les grains.

Signé, LOUIS.

Le procès-verbal mentionne que cette réponse a été reçue avec "acclamation et reconnaissance."

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5020_t1_0053_0000_7

    En fait, les députés de l’Assemblée n’ont rien vu du piège que le roi et son conseil leurs avaient tendu, car cette lettre fait bien la distinction entre la promulgation et la publication. Le roi accepte de les faire connaître par la publication, mais évite de faire en sorte que l’on puisse les exécuter.

    Il faudra un mois à l’Assemblée avant qu’elle ne se rende compte que si les décrets ont bien été imprimés à l'Imprimerie royale, aucun exemplaire n’a été officiellement adressé aux tribunaux ni même aux municipalités, ce qui sous l’ancien régime, était la condition nécessaire pour astreindre légalement tous les corps et tous les particuliers à l'observation des lois.

Cet envoi sera enfin ordonné par des lettres-patentes en date du 3 novembre 1789.

    Nous aurons de plus en plus souvent l’occasion de le constater que Louis XVI est loin de l’image du benêt incompétent, que l’histoire a voulu nous laisser.

A suivre…



21 Septembre 1789 : Graves accusations contre les boulanger portées devant la Commune de Paris

 

Jeton de la Ville de Paris, aux armes de Sylvain Bailly.

    Le pain, le pain ! Le pain est vraiment le personnage principal de l’année 1789 ! Je pourrais chaque jour écrire un article à propos du blé ou du pain.

    La pénurie persiste, les rumeurs courent ; rumeurs qui ne sont pas toutes infondées. Il y a effectivement des spéculateurs, des accapareurs, des gens qui cachent des farines en attendant que les prix montent.

    J’ai trouvé le texte suivant dans les archives de la Commune de Paris. Ce compte rendu de séance mentionne un paragraphe accusateur publié le 21 septembre 1789 dans le numéro 51 du Journal de la Ville. Un certain Bonnard représentant les boulangers, prend la défense devant la Commune de Paris, des boulangers parisiens mis en accusation par cet article. Cette accusation est grave et lourdes de conséquences car de nombreuses boulangeries ont déjà été attaquées et des boulangers très sérieusement malmenés et menacés de mort.

Lisons le texte :

Source (page 62) :
https://ia903402.us.archive.org/10/items/actesdelacommune02lacruoft/actesdelacommune02lacruoft.pdf

Délibération de la communauté des Boulangers (4 p. in 4').

Du 21 septembre 1789.

Extrait du registre des délibérations de cette communauté, coté par M. de Crosne ancien lieutenant de police.

M. Bonnard, premier syndic, a dit : Des placards injurieux, affichés avec profusion à la porte de chacun des maîtres boulangers et à nombre d'autre endroits des plus apparents de cette ville, particulièrement à la Halle neuve, annoncent qu'on ne fournit que des farines de la meilleure qualité, et que si les boulangers de Paris fournissent du mauvais pain, c'est par leur faute. Indépendamment de ces placards, deux brochures aussi imprimées et qui se publient, savoir : la première, sous ce titre : Paris et Versailles (1), n°51, paraissant sortir de l'imprimerie de Valleyre jeune, porte que « les boulangers distribuent du pain à toute heure de nuit, ce qui favorise les accaparements » : et la seconde intitulée : Journal de la Ville, par J. Pierre Louis de Luchet (1), sous pareil n°51, qui parait sortir de chez Maradan, libraire, rue Saint-André des Arcs annonce que la difficulté momentanée d'avoir du pain est venue des boulangers ; le plus grand nombre, — ajoute l'auteur, — s'est approvisionné en secret, par la crainte de manquer. (Quelques-uns ont voulu spéculer, etc... Un boulanger a vendu à plusieurs personnes du pain mêlé de chaux. » La communauté étant ainsi calomniée publiquement et ses membres outragés par le peuple, malgré les sacrifices qu'ils ont faits la plupart en allant dans les provinces acheter des farines nouvelles que, malgré la taxe actuelle du pain, ils ont payé jusqu'à 68 et 70 livres le sac, il y a lieu d'éclairer le public sur ces calomnies. Convaincu de la pureté des sentiments de tous ses confrères, le sieur Bonnard croit inutile d'observer que, si aucun membre de la communauté venait à s'oublier et se noircir de quelques-uns des crimes vaguement imputés dans lesdits écrits, ces membres seraient sur le champ dénoncés et vivement poursuivis par la communauté elle-même.

Signé en cet endroit : Bonnard.

(1) Le titre exact du journal est : Versailles et Paris ou rapport des séances de l’Assemblée nationale et des Communes de Paris, paraissant depuis le 28 juillet 1789 sans autre nom que celui du libraire Cuchet. A partir du 1er octobre 1789, apparait le nom de C. F. Perlet. Le journal s’appela un peu plus tard : Assemblée nationale et Communes de Paris ou Rapport très exact des séances de l’Assemblée nationale et des Communes de Paris, et, après diverses transformations, devient le Journal de Perlet.

Le passage de Versailles et Paris auquel il est fait allusion se trouve dans le numéro du 21 septembre : 

« On a fait à la Ville un rapport qui avait été fait dans la plupart des districts, que MM. Les Boulangers distribuaient le pain à toute heure de la nuit : que cette vente pouvait favoriser les accaparements : que c’était une des causes pour lesquelles on avait plus de peine à se procurer du pain dans la matinée. D’après ce rapport, le Comité de Police a ordonné qu’ils ne pourraient point ouvrir leurs boutiques avant cinq heure du matin, ni les fermer avant onze du soir. »

Le numéro 51 du Journal de la Ville, du 18 septembre 1789, contenaient le paragraphe suivant :

"Jamais la Ville de Paris n'aura été aussi bien approvisionnée. Vingt-deux bâtiments de bleds (blés) sont arrivés dans les ports de Normandie. Ces sages précautions dégoûteront les accapareurs, qu'on dégoûtera bientôt de ce commerce eu défendant l'exportation et en fondant des magasins. La difficulté momentanée d'avoir du pain est venue des boulangers. Le plus grand nombre s'est approvisionné en secret par crainte de manquer ; quelques-uns ont voulu spéculer. On en a arrêté deux. Le premier se plaignait de ne pouvoir se procurer des farines. L'amertume de ses plaintes l'a rendu suspect. On a trouvé chez lui cent trois sacs de farine cachés. Le second a apporté au Comité une farine avariée. Visite chez le plaignant. Ou y a trouvé soixante sacs d'une excellente qualité. Il avait pris cette farine chez un colleur de papier. Il est encore des boulangers qui font entrer secrètement des farines dans la ville et les entreposent chez des particuliers complices. On ne peut douter que les aristocrates n'aient fait des accaparements immenses, mais leur manœuvre est connue, et dès lors n'est plus à craindre. Eux-mêmes ont éveillé l'administration, et la vigilance doit rassurer cette capitale."

Sac de blé

    Si la responsabilité ne porte plus sur les boulangers, c'est à présent la Commune de Paris, chargée de contrôler l'approvisionnement, qui est mise en défaut. Raison pour laquelle celle-ci prend les mesures suivantes : 

Sur quoi, la matière mise en délibération, l'assemblée, pressée de se justifier et de recouvrer la confiance du public, a arrêté unanimement :

Art. 1.— Les syndics et adjoints de la communauté sont et demeureront autorisés à se transporter, seuls ou avec telles personnes qu'ils jugeront à propos de requérir, à la Halle neuve de cette ville, pour y examiner les différentes farines qui pourront s'y trouver, déguster ces farines, en constater les qualités, et du tout dresser procès-verbaux qu'ils rapporteront, pour être par l'assemblée pris tel ou tel parti qu'elle jugera à propos, selon la diversité et l'exigence des cas.

Art. 2 et dernier. — L'assemblée a choisi et député MM. Huchon frères. Moreau, Soulâtre, Métais, Desfossés l'aîné, Arrera, Martre jeune, Boudier, Alliot, Fouquet, Locquin, Bouchot, Marcoult l'aîné, Landais, Pasquier, Hubert, Remy, Marcoult jeune, Legrand fils, Gaspard Mouchy, Garnier, Lemaitre, Pecquet, Buvry, Cortel, Poulain, Belorget, Garin l'aîné, Massonnier, Lucotte, Boulaud, Gresel l'aîné, Bissaull, Destor jeune, Riverard, Grassin, Hédé, Gérard, Lévéque, Leblanc et Morage, pour, concurremment avec MM. les syndics et adjoints, se retirer dans les assemblées des districts de Paris, y recueillir les enseignements et prendre tous les avis qui pourront être donnés pour faciliter les moyens les plus propres à l'approvisionnement de Paris, en présenter le rapport à l'Assemblée des Communes et au Bureau des subsistances à l'Hôtel de Ville, et y solliciter toutes les ordonnances qui seront jugées nécessaires.

Signé : Bonnard, syndic : Thomas, idem : Plicque, adjoint : Saulgeot, idem : Huchon, l'aîné et le jeune ; Moreau, et les députés susnommés.

Mais l'affaire n'est pas terminée pour autant !

A suivre...

 

Boulangère

21 septembre 1792 : Abolition de la royauté

 

    Ce vendredi 21 septembre 1792, lendemain de la victoire de Valmy, la Convention nationale élue après la journée du 10 août 1792, se réunie pour la première fois et "décrète à l’unanimité que la royauté est abolie en France."

Décret de la Convention nationale abolissant la royauté

Expédition du décret pris par la Convention lors de sa première séance 
et portant abolition de la royauté, signée par Pétion, président, 
Brissot et Lasource, secrétaires de séance
.


    Demain 22 septembre, sur proposition de Danton, la 
"République française" sera proclamée par la Convention.

    Mais comme il est écrit sur le site officiel du gouvernement, cette proclamation se fera sans pompe, sans proclamation solennelle. Ce sera même de manière "furtive", selon le mot de Robespierre, que la France se découvrira en République. 

    Le décret de la Convention stipule simplement qu’à compter de ce jour, 22 septembre 1792, les actes publics seront datés de « l’an premier de la République française ».

Décret du 22 septembre 1792

    Le site du gouvernement français explique assez justement cette prudence des conventionnels :

« Au terme d’une évolution de moins de quatre ans, les Français sont passés d’une monarchie de droit divin, vieille de près d’un millénaire, à un régime républicain qui a encore du mal à dire son nom, y compris parmi les adversaires les plus acharnés du roi. Mais les évènements ont finalement joué le rôle décisif : notamment la prise des Tuileries et l’incarcération de Louis XVI six semaines plus tôt, le 10 août 1792. À cette occasion, l’Assemblée législative proclame la "suspension" du roi et décrète l’élection au suffrage universel d’une Convention chargée de la rédaction d’une nouvelle Constitution –  la première Constitution républicaine française (24 juin 1793).

À partir du 22 septembre 1792, les députés prêtent serment de fidélité, non plus au Roi, mais à la Nation : "Au nom de la Nation, je jure de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir à mon poste." Le 25 septembre, quatre jours après l’abolition de la royauté, la Convention nationale décrète "la République une et indivisible."  

Source : https://www.gouvernement.fr/partage/9416-la-republique-francaise-est-proclamee

    Cette première République comprendra trois périodes : la Convention, le Directoire et le Consulat. Le Consulat est classé par les historiens en dehors de la période révolutionnaire.

    Personnellement, j'ai choisi de classer également le Directoire en dehors de la Révolution, raison pour laquelle mon site ne le traitera pas 😉.

    Elle reposera sur la constitution du 24 juin 1793 (6 messidor an I), qui remplacera la très libérale constitution du 3 septembre 1791. Cette première constitution républicaine demeure à ce jour le plus bel exemple de constitution pour une république populaire et démocratique. 

    Sa mise en application qui était suspendue jusqu’à la fin des guerres en cours, n’eut jamais lieu puisque le gouvernement qui lui avait donné le jour fut renversé. 

    Les Thermidoriens qui renversèrent Robespierre s’empressèrent d’élaborer la constitution du 22 août 1795 (5 fructidor an III), bien plus favorable à la bourgeoisie libérale et instaurant le Directoire. Cette constitution thermidorienne reste à ce jour la plus volumineuse constitution jamais rédigée en France avec ses 377 articles.

    Il semble que de nos jour cette première république soit tombée dans une sorte d’oubli, probablement en raison de la réécriture négative de la Révolution qui a d’ailleurs commencé sous le Directoire. Pourtant les œuvres de cette Républiques sont nombreuses. Nous aurons l’occasion d’en reparler le temps venu.

    Encore un mot. J'ai évoqué plusieurs fois ces derniers temps (dans la chronique relative à 1789), le débat passionné relatif la libre circulation des grains et au non-contrôle de l’Etat sur l’économie. Le 4 mai 1793 sous l’impulsion de Robespierre, la Convention républicaine instituera la loi du maximum qui règlementera le marché des céréales pour alimenter la population et les soldats. Le 29 septembre 1793, la loi du maximum général concernera les biens de consommation courante et les salaires. Peut-être commencez-vous de comprendre pourquoi ce gouvernement finira par être renversé ?

    Rappelez-vous que je ne porte pas de jugement sur les orientations économiques ou politiques des différents courants. Je me contente de vous donner de quoi réfléchir.

A suivre...


Nota : Cet article est rédigé alors que les parutions sur Facebook en sont encore à 1789. Il sera bien sûr repris lorsque la chronique arrivera à 1792, c'est-à-dire dans trois ans. ;-)



En allemand pour les Alsaciens





21 septembre 1789 : Discours d'un certain Robespierre contre le droit de véto

 

Maximilien Robespierre
    Robespierre n’a pas pu lire son discours sur le droit de véto à la tribune de l’Assemblée. Mais son texte figure dans les archives de la séance de ce 21 septembre 1789. Car oui, l'Assemblée discute toujours et encore du véto. Les débats de ce jour ont porté plus particulièrement sur la durée à donner au véto suspensif.

Robespierre, le nom vous dit quelque chose ?

    Parmi tous les notables dépêchés à Versailles pour participer aux états généraux, se trouvait un certain Maximilien Robespierre, un petit avocat venu d’Arras. Il avait été élu député du Tiers état aux États généraux et peu à peu, il allait devenir une des principales figures démocratiques de l’Assemblée. 

    Peu après son arrivé à Versailles, il avait rencontré Jacques Necker puis il avait été, durant un temps, un proche de Mirabeau. Celui-ci disait de Robespierre : "Il ira loin, car il croit tout ce qu’il dit". 

    Il interviendra une soixantaine de fois à la tribune entre mai et décembre 1789. Mais ce n’était pas un grand tribun comme Mirabeau, bien qu’il écrivît bien (certains de ses discours sont magnifiques). Sa voix ne portait pas loin et même selon certains, elle était désagréablement haut perchée. 

    Mais Robespierre était brillant et il comptait mettre à projet ses idées progressistes, voire trop progressistes pour l’époque. Il défendait l'abolition de la peine de mort et de l'esclavage, le droit de vote des gens de couleur, des juifs ou des comédiens, ainsi que le suffrage universel et l'égalité des droits contre le suffrage censitaire. De plus, il défendait l'égalité des sexes et était soucieux de favoriser la mixité au sein des sociétés savantes. Il avait par exemple soutenu l’élection de Louise de Kéralio, dont nous avons parlé il y a peu, à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras.

Histoire fiction :  Si la guerre voulue par les Girondins et le roi (pour des raisons différentes) contre laquelle il s'était tant opposé ne s'était pas produite, obligeant le Comité de Salut Public à prendre des mesures exceptionnelles pour défendre le pays contre 11 armées étrangères ayant envahi le pays et deux guerres civiles menées sur les arrières, Robespierre serait peut-être devenu un très grand-homme. L'Histoire écrite par ceux qui l'éliminèrent fit de lui un monstre. Malheur aux vaincus comme dit le chef gaulois Brennus qui vainquit les Romains : "Vae victis"


Petit rappel sur le droit de véto (Droit pour le roi de ne pas autoriser une loi votée par l'Assemblée).

    A la lecture de ce long discours contre le droit de véto, nous comprenons pourquoi il n’a pas été lu à la tribune, ni même publié au Moniteur. En effet, l’Assemblée nationale, si majoritairement aimante de son roi, était majoritairement pour le droit de véto royal, et les débats portèrent plutôt sur la question de savoir s’il serait absolu ou suspensif.

    Mirabeau avait bien compris que ce qui se jouait là, c’était l’avenir de la monarchie. Il avait écrit dans son journal, Le Courrier de Provence :

« La royauté est la seule ancre de salut qui puisse nous préserver du naufrage. La Démocratie s’allie naturellement avec la Monarchie car il n’existe aucune opposition entre leurs intérêts. »

    Comme la majorité de ses collègues représentants du peuple, Mirabeau craignait ledit peuple et ne voulait en aucun cas d’une réelle démocratie.

« Tout peut se soutenir excepté l’inconséquence ; dites-nous qu’il ne faut pas de Roi, ne nous dites pas qu’il faut un Roi inutile », tonnait Mirabeau. Car en effet, ce jouait aussi là, l’avenir du roi. Nous le verrons dans trois ans.

Voici à présent le discours de Maximilien Robespierre :

"Messieurs,

Tout homme a par sa nature, la faculté de se gouverner par sa volonté ; les hommes réunis en Corps politique, c’est-à-dire, une Nation, ont par conséquent le même droit. Cette faculté de vouloir commune, composée des facultés de vouloir particulières, ou la Puissance législative, est inaliénable, souveraine et indépendante, dans la société entière, comme elle l’était dans chaque homme séparé de ses semblables. Les lois ne sont que les actes de cette volonté générale. Comme une grande Nation ne peut exercer en corps la Puissance législative, et qu’une petite ne le doit peut-être pas, elle en confie l’exercice à ses Représentants, dépositaires de son pouvoir.

Mais alors il est évident que la volonté de ces Représentants doit être regardée et respectée comme la volonté de la Nation ; qu’elle doit en avoir nécessairement l’autorité sacrée et supérieure à toute volonté particulière, puisque, sans cela, la Nation, qui n’a pas d’autre moyen de faire les Lois, serait en effet dépouillée de la Puissance législative et de sa Souveraineté.

Celui qui dit qu’un homme a le droit de s’opposer à la Loi, dit que la volonté d’un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n’est rien, et qu’un seul homme est tout. S’il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du Pouvoir exécutif, il dit que l’homme établi par la Nation, pour faire exécuter les volontés de la Nation, a le droit de contrarier et d’enchaîner les volontés de la Nation ; il a créé un monstre inconcevable en morale et en politique, et ce monstre n’est autre que le veto royal...

Par quelle fatalité le premier article de cette Constitution, attendue avec tant d’intérêt par toute l’Europe, et qui semblait devoir être le chef-d’œuvre des lumières de ce siècle, sera-t-il une Déclaration de la supériorité des Rois sur les Nations, et de la proscription des droits sacrés et imprescriptibles des Peuples ! Non... c’est en vain qu’on regarde, comme décidée d’avance, cette bizarre & funeste Loi ; je n’y croirai point, puisqu’il m’est permis d’en montrer l’absurdité en présence des Défenseurs du Peuple, & aux yeux de la Nation entière.

Les nombreux partisans du veto, forcés à reconnaître qu’il est en effet contraire aux principes, prétendent qu’il est avantageux de le sacrifier à de prétendues convenances politiques. Admirable méthode de raisonner ! Qui substitue aux Lois éternelles de la justice et de la raison l’incertitude des conjoncture frivoles...

Il faudrait d’abord savoir que le mot Monarchie, dans sa véritable signification, exprime uniquement un Etat où le pouvoir exécutif est confié à un seul.

Il faut se rappeler que les Gouvernements, quels qu’ils soient, sont établis par le Peuple et pour le Peuple ; que tous ceux qui gouvernent, et par conséquent les Rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires et les délégués du peuple ; que les Fonctions de tous les Pouvoirs politiques, et par conséquent de la Royauté, sont des devoirs publics, et non des droits personnels ni une propriété particulière.

Dès qu’une fois on sera pénétré de ce principe ; dès qu’une fois on croira fermement à l’égalité des hommes, au lien sacré de la fraternité qui doit les unir, à la dignité de la nature humaine, alors on cessera de calomnier le Peuple dans l’Assemblée du Peuple ; alors on ne donnera plus le nom de prudence à la faiblesse, le nom de modération à la pusillanimité, le nom de témérité au courage ; on appellera plus le patriotisme une effervescence criminelle, la liberté une licence dangereuse, le généreux dévouement des bons citoyens une folie ; alors il sera permis de montrer, avec autant de liberté que de raison, l’absurdité et les dangers du veto royal, sous quelque dénomination et sous quelque forme qu’on le présente...

Sans doute les règles d’une sage politique prescrivent de prévenir les abus de tous les Pouvoirs par de justes précautions : la sévérité de ces précautions doit être proportionnée à la vraisemblance et à la facilité de ces abus ; et par une suite nécessaire de ce principe, il ne serait pas raisonnable d’augmenter la force du Pouvoir exécutif le plus redoutable, aux dépens du Pouvoir le plus faible et le plus salutaire.

Maintenant, comparons la force du Corps législatif à celle du Pouvoir exécutif.

Le premier est composé de Citoyens choisis par le Peuple, revêtus d’une Magistrature paisible, et pour un espace borné, après lequel ils rentrent dans la foule, et subissent le jugement sévère, ou favorable de leurs concitoyens : tout vous garantit leur fidélité, leur intérêt personnel, celui de leur famille, de leur postérité, celui du Peuple dont la confiance les avait élus.

Qu’est-ce au contraire que le Pouvoir exécutif ? Un Monarque revêtu d’une énorme puissance, qui dispose des armées, des Tribunaux, de toute la force publique d’une grande Nation, armé de tous les moyens d’oppression & de séduction : combien de facilités pour satisfaire l’ambition si naturelle aux Princes, surtout l’hérédité de la Couronne leur permet de suivre constamment le projet éternel d’étendre un pouvoir qu’ils regardent comme le patrimoine de leurs familles ; calculer ensuite tous les dangers qui les assiègent : et si ce n’est pas assez, parcourez l’histoire, quels spectacles vous présente-t-elle ? Les Nations, dépouillées partout de la puissance législative, devenues le jouet et la proie des Monarques absolus qui les oppriment et les avilissent ; tant il est difficile que la liberté se défende longtemps contre le pouvoir des Rois. Et nous qui sommes à peine échappés au même malheur, nous, dont la réunion actuelle est peut-être le plus éclatant témoignage des attentats du pouvoir ministériel, devant lequel nos anciennes Assemblées Nationales avaient disparu, à peine les avons-nous recouvrées que nous voulons les remettre encore sous sa tutelle et dans la dépendance.

Les Représentants des Nations vous paraissent donc plus suspects que les Ministres et les Courtisans ? Si j’examine quels sont les dangers que vous semblez craindre de la part des premiers, je crois qu’ils se réduisent à trois espèces ; l’erreur, la précipitation, l’ambition.

Quant à l’erreur ; outre que c’est un étrange expédient pour rendre le Pouvoir législatif infaillible, que celui de le rendre nul, je ne vois aucune raison pour laquelle les Monarques, en général, ou leurs Conseillers seraient présumés plus éclairés sur les besoins du Peuple, ou sur les moyens de les soulager, que les Représentants du peuple même.

La précipitation ! Je ne conçois pas non plus que le remède à ce mal soit de condamner le Corps législatif à l’inaction ; et avant de recourir à un pareil moyen, je voudrais du moins que nous eussions examiné s’il n’en était point d’autre qui puisse nous conduire au même but.

L’ambition ! Mais celles des Princes et des Courtisans est-elle moins redoutable ? Et c’est à elle précisément que vous confiez le soin d’enchaîner l’autorité des Représentants, c’est-à-dire, la seule qui puisse vous défendre contre leurs entreprises !

Mais quel service espérez-vous donc, après tout, du veto royal ? Celui de prévenir de mauvaises Lois ? Mais ignorez-vous que la plupart des Rois ont, sur le mérite des Lois, des idées bien différentes de celles du Peuple ? Qui ne voit pas que celles qui seront favorables à leurs prétentions leur paraîtront toujours assez bonnes, et que l’usage du veto ne leur sera réservé que pour celles dont l’objet sera de défendre les droits du Peuple contre leurs desseins ambitieux.

Mais, dit-on, si vous leur refusez le pouvoir de s’opposer à la Loi, ils seront mécontents, et ils conspireront sans cesse contre la Puissance Législative.

Ainsi donc, la majesté et les droits des Nations doivent être immolés à la satisfaction et à l’orgueil des Princes. Ainsi on croit un homme bien humilié d’être réduit à la simple puissance de commander, au nom des Lois, à un vaste empire ; et on suppose qu’il a lieu d’être bien mécontent d’un pareil partage.

Ils voudront usurper la Puissance législative : et, pour leur épargner cette tentation, vous prenez le sage parti de l’abandonner à leur merci ; comme si l’ambition devenait moins redoublée, à mesure qu’elle a plus de moyens de parvenir à son but...

Des très bons Citoyens ne m’ont pas dissimulé que regardant le veto royal, comme contraire aux vrais principes, mais persuadés qu’il était adopté d’avance, dans toute sa rigueur, par une très-grande partie de l’Assemblée, ils croyaient que le seul moyen d’échapper à ce fléau était de se réfugier dans le système du veto suspensif.

Je n’ai différé de leur sentiment qu’en un seul point : c’est que je n’ai pas cru devoir désespérer du Pouvoir de la vérité et du salut public ; il m’a semblé d’ailleurs qu’il n’était pas bon de composer avec la liberté, avec la justice, avec la raison, et qu’un courage inébranlable, qu’une fidélité inviolable aux grands principes, était la seule ressource qui convînt à la situation actuelle des défenseurs du Peuple. Je dirai donc, avec franchise, que l’un et l’autre veto me paraissent différer beaucoup plus par les mots que par les effets et qu’ils sont également propres à anéantir, parmi nous, la liberté naissante.

Et d’abord, pourquoi faut-il que la volonté souveraine de la Nation cède pendant un temps quelconque à la volonté d’un homme ? Pourquoi faut-il que les Lois ne soient exécutées, que longtemps après que les Représentants du Peuple les auront jugées nécessaires à son bonheur ? Pourquoi faut-il que le Pouvoir législatif soit paralysé, dès qu’il plaira au Pouvoir exécutif ; tandis que celui-ci peut toujours exercer une activité redoutable à la liberté ? L’opinion des Ministres qui s’opposent à la Loi, vous paraît-elle plus imposante que celle de vos Représentants qui l’adoptent ? ou plutôt si l’on pèse toutes les considérations que j’ai indiquées, cette opposition même ne pourrait-elle pas paraître une présomption favorable à l’utilité de la Loi & à la fidélité du Corps législatif ?

Mais, pendant tous ces délais que vous permettez d’apporter à leurs décrets, qui vous promettra que les intrigues & l’ascendant de la Cour ne prévaudront pas sur la vérité & l’intérêt public ? Avez-vous calculé toutes les chances des distractions du Peuple, de cette funeste indolence qui fut toujours l’écueil de la liberté, de l’adresse, du pouvoir des Princes habiles & ambitieux ? Nous répondez-vous qu’il n’arrivera pas un moment où le concours de toutes ces circonstances sera fatal à la Constitution.

Quelques-uns aiment à se représenter le veto royal suspensif, sous l’idée d’un appel au Peuple, qu’ils croient voir, comme un Juge souverain, prononçant sur la Loi proposée par le Monarque & ses Représentants.

Mais qui n’aperçoit d’abord combien cette idée est chimérique ? Si le Peuple pouvait faire les Lois par lui-même ; si la généralité des Citoyens assemblée pouvait en discuter les avantages & les inconvénients, serait-il obligé de nommer des Représentants ? Ce système se réduit donc, dans l’exécution, à soumettre la Loi au jugement des Assemblées partielles des différents Baillages ou Districts, qui ne sont elles-mêmes que des Assemblées représentatives ; c’est-à-dire, à transmettre la puissance législative, de l’Assemblée générale des Représentants de la Nation, aux Assemblées Elémentaires-particulières des diverses Provinces, dont il faudrait sans doute recueillir les vœux isolés, calculer les suffrages variés à l’infini, pour remplacer le vœux commun & uniforme de l’Assemblée Nationale.

Il est assez facile de prévoir toutes les conséquences que pourrait entraîner ce système ; ce qui me paraît évident, c’est qu’il contrarie ouvertement l’opinion reçue jusqu’ici, que, dans un grand Empire, le Pouvoir législatif doit être confié à un Corps unique de Représentants, et qu’il dérange absolument le plan de gouvernement que nous semblions avoir déjà adopté ; c’est que, dans ce nouvel ordre de choses, le Corps législatif devient nul ; qu’il est réduit à la seule fonction de présenter des projets qui seront d’abord jugés par le Roi,& ensuite adoptés ou rejetés par les Assemblées des Baillages. Je laisse à l’imagination des bons Citoyens, le soin de calculer les lenteurs, les incertitudes, les troubles que pourrait produire la contrariété des opinions dans les différentes parties de cette grande Monarchie & les ressources que le Monarque pourrait trouver au milieu de ces divisions et de l’anarchie qui en serait la suite, pour élever enfin la puissance sur les ruines du Pouvoir législatif.

Et ce ne serait pas encore-là le seul danger auquel la liberté nationale serait exposée... Si, élevant une barrière insurmontable entre les deux Pouvoirs, vous n’aviez pas donné au Monarque le droit d’examiner, de censurer leurs décrets, & par conséquent la facilité de négocier, de transiger avec eux ; si, en les mettant ainsi dans sa dépendance, vous ne les aviez en quelque sorte placés entre la nécessité de s’engager dans une espèce de procès avec ce puissant adversaire, et la tentation d’acheter sa bienveillance et ses faveurs par des complaisances funestes à l’intérêt public.

En un mot, ou bien vous placerez la Puissance législative dans chaque Assemblée de District, ou vous la confierez à l’Assemblée nationale. Dans le premier cas, celle-ci est superflue ; dans le second, au lieu de l’exercer et de l’avilir, vous devez lui laisser toute la force &et toute l’autorité dont elle a besoin pour défendre la liberté, dont elle est la gardienne contre les entreprises toujours formidable du Pouvoir exécutif.

Ce n’est donc pas dans le veto royal, quelque nom qu’on lui donne, que vous devez chercher les moyens de prévenir les abus possibles du Corps législatif, lorsque vous en trouverez de si simples et de si raisonnables dans les principes mêmes de la Constitution.

Nommez vos Représentants pour un temps très-court, après lequel ils doivent rentrer dans la foule des Citoyens dont ils subissent le jugement impartial. Composez votre Corps législatif, non des principes aristocratiques, mais suivant les règles éternelles de la justice et de l’humanité. Appelez-y tous les Citoyens, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ; qu’ils ne puissent pas même être continués après le temps ordinaire de leurs fonctions...

Ajoutez à cela qu’une Constitution sage doit fixer des époques où le Peuple nommera des Représentants, revêtus du Pouvoir constituant, pour l’examiner et la revoir, et qu’elle trouvera, dans cette convention extraordinaire, une sauvegarde bien autrement utile que la protection ministérielle...

Les Anglais ont des Lois civiles admirables, qui tempèrent à un certain point les inconvénients de leurs Lois politiques : les vôtres ont été dictées par le génie du despotisme, et vous ne les avez point encore réformées.

La situation de l’Angleterre la dispense d’entretenir ces forces militaires immenses qui rendent le Pouvoir exécutif si terrible à la liberté, et la vôtre vous force à cette précaution périlleuse...

Enfin, telle est la situation et le caractère du Peuple Français, qu’une excellente Constitution, en développant cet esprit public et cette énergie que compromettent le souvenir de ses longs outrages, et les progrès de ses lumières, peut le conduire, en assez peu de temps, à la liberté, mais qu’une Constitution vicieuse, une seule porte ouverte au Despotisme et à l’Aristocratie, doit nécessairement le replonger dans un esclavage, d’autant plus indestructible, qu’il sera cimenté par la Constitution même.

Aussi, Messieurs, le premier et le plus noble de nos devoirs était d’élever les âmes de nos Concitoyens, et par nos principes et par nos exemples, à la hauteur des idées et des sentiments qu’exige cette grande et superbe révolution. Nous avions commencé à le remplir, et de quel prix doux et glorieux leur généreuse sensibilité n’avait-elle pas déjà payé nos travaux et nos dangers. Puissions-nous désormais ne pas rester au-dessous de nos sublimes destinées ; puissions-nous paraître toujours dignes de notre mission aux yeux de la France, dont nous devions être les sauveurs ; aux yeux de l’Europe, dont nous pouvions être les modèles !"

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6483_t1_0079_0000_3

 

Post Scriptum :

    Concernant Robespierre, certainement l’homme politique le plus calomnié et le plus haï de toute l’histoire de France, on constate ces dernières années qu’une nouvelle génération d’historiens parvient progressivement à en brosser un portrait plus juste, ou plutôt moins partisan. Je pense à Annie Jourdan et Jean-Clément Martin, par exemple, mais il y en a d’autres. Pour les plus jeunes historiens, la raison en est peut-être que ceux-ci sont moins marqués politiquement que ne l’étaient leurs prédécesseurs. Je dis bien "peut-être", car peut-on vraiment évoluer en milieu universitaire sans être engagé politiquement ? L'évolution se devine également à la lecture de sa fiche Wikipédia de 2020 (Je précise la date car certains articles changent parfois très vite de contenu sur Wikipedia), qui ne comporte plus l’avalanche de clichés habituels accablant la plupart des pages traitant de la Révolution française et de ses acteurs.