mardi 5 mai 2020

5 Mai 1789, Discours du garde des sceaux Barentin, lors de l'ouverture des Etats Généraux.

 

Charles Louis François de Paule Barentin

Le ministre qui avait senti le danger...

    Charles Louis François de Paule de Barentin, âgé de 51 ans ce 5 Mai 1789, est garde des sceaux (ce qui implique également le statut de ministre de la justice et le contrôle de la "Librairie", c'est-à-dire, la censure). Il est aussi Chancelier de l'Ordre du Saint-Esprit, c’est donc un personnage très important. Il a été auparavant conseiller, puis avocat général au Parlement de Paris de 1757 à 1775, et président de la Cour des Aides de1775 à 1788.

    Barentin craint cette réunion des États Généraux. Il ne voulait pas que ceux-ci se déroulassent à Paris et avait suggéré au roi de les organiser plutôt à Soisson. Barentin redoute la proximité de l’effervescence parisienne…

    Barentin n’apprécie guère le ministre des finance Jacques Necker, qui interviendra après lui. C’est d’ailleurs Necker qui avait tenu à ce que les États Généraux se tinssent à Paris.

    Son discours est intéressant parce qu'il y fait une sorte de bilan du règne en cours de Louis XVI, un bilan très positif, bien sûr. Par deux fois, il va néanmoins inciter les députés à refuser «les innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec les changements heureux nécessaires qui doivent amener la régénération, le premier vœu de Sa Majesté». Barentin, de par sa position, est en effet bien informé. Il n'ignore rien de la fermentation parisienne et des idées qui circulent.

    Barentin sera plus tard accusé d’être le principal responsable du renvoi de Necker. Plus grave encore, le 19 Novembre 1789, il sera accusé de crime de lèse-nation, c'est-à-dire, d'avoir ourdi un complot contre la capitale. Mais le complaisant tribunal du Châtelet l'acquittera, ce qui fera dire aux Parisiens que cette juridiction est "la buanderie de la reine"…

    Il émigrera peu après en Italie. Lors de la fuite du roi le 20 Juin 1791, il attendra Louis XVI à Montmédy, mais le roi ne dépassera pas Varennes où il sera arrêté le 21 Juin.

    Charles Louis François de Paule de Barentin décédera à Paris le 30 Mai 1818 à l’âge de 80 ans.


Discours de Charles Louis François de Paule de Barentin :

M. de Paule Barentin, garde des sceaux, porte ensuite la parole :

Messieurs, il est enfin arrivé ce beau jour si longtemps attendu, qui met un terme heureux à l'impatience du Roi et de toute la France ! Ce jour tant désiré va resserrer encore les nœuds de l'union entre le monarque et ses sujets ; c'est dans ce jour solennel que Sa Majesté veut établir la félicité générale sur cette base sacrée, la liberté publique.

L'ambition, ou plutôt le tourment des rois oppresseurs est de régner sans entraves, de franchir les bornes de toute puissance légitime, de sacrifier les douceurs du gouvernement paternel aux fausses jouissances d'une domination illimitée, d'ériger en loi les caprices effrénés du pouvoir arbitraire : tels ont été ces despotes dont la tyrannie fournira toujours à l'histoire des contrastes frappants avec la bonté de Louis XII, la clémence de Henri IV, et la bienfaisance de Louis XVI.

Vous le savez, Messieurs, le premier besoin de Sa Majesté est de répandre des bienfaits ; mais pour être une vertu royale, cette passion de faire des heureux doit prendre un caractère public et embrasser l'universalité de ses sujets. Des grâces versées sur un petit nombre de courtisans et de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas la grande âme du Roi.

Depuis l'époque heureuse où le ciel vous l'a donné pour maître, que n'a-t-il point entrepris, que n'a-t-il point exécuté pour la gloire et la prospérité de cet empire dont le bonheur reposera. toujours sur la vertu de ses souverains ! C'est la ressource des nations dans les temps les plus difficiles, et cette ressource ne peut manquer à la France sous le monarque citoyen qui la gouverne.

N'en doutez pas, Messieurs, il consommera le grand ouvrage de la félicité publique. Depuis longtemps ce projet était formé dans son cœur paternel ; il en poursuivra l'exécution avec cette constance qui, trop souvent, n'est réservée qu'aux princes insatiables de pouvoir et de la vaine gloire des conquêtes.

Qu'on se retrace tout ce qu'a fait le Roi depuis son avènement au trône, et l'on trouvera dans cet espace assez court une longue suite d'actions mémorables : la liberté des mers et celle de l'Amérique assurées par le triomphe des armes que l'humanité réclamait ; la question préparatoire proscrite et abolie, parce que les forces physiques d'un accusé ne peuvent être une mesure infaillible de l'innocence ou du crime ; les restes d'un ancien esclavage détruits, toutes les traces de la servitude effacées et l'homme rendu à ce droit sacré de la nature que la loi n'avait pu lui ravie, de succéder à son père et de jouir en paix du fruit de son travail ; le commerce et les manufactures protégés, la marine régénérée, le port de Cherbourg créé, celui de Dunkerque rétabli, et la France ainsi délivrée de cette dépendance où des guerres malheureuses l'avaient réduite.

Vos cœurs se sont attendris, Messieurs, au récit de la sage économie de Sa Majesté, et des sacrifices généreux dont elle a donné tant d'exemples récents, en supprimant, pour soulager son peuple, des dépenses que ses ancêtres avaient toujours cru nécessaires à l'éclat et à la dignité du premier trône de l'univers.

Quelle jouissance vos âmes doivent éprouver en la présence d'un roi juste et vertueux ! Nos aïeux ont regretté sans doute de n'avoir pu contempler Henri IV au milieu de la nation assemblée. Les sujets, de Louis XII avaient été plus heureux, et ce fut dans cette réunion solennelle qu'il reçut le titre de Père du peuple. C'est le plus cher, c'est le premier des titres pour les bons rois, s'il n'en restait un à décerner au fondateur de la liberté publique.

Si les États généraux ne furent point assemblés sous Henri IV, ne l'attribuez qu'aux justes craintes que les discordes civiles devaient inspirer à un prince qui plaçait avant tout la paix et le bonheur de ses peuples. Il voulut suppléer à cette convocation générale par une assemblée de notables ; il y demanda des subsides extraordinaires, et sembla lui transmettre ainsi les droits des véritables représentants de la nation.

Dans une position moins difficile, le Roi n'appela autour de lui l'élite des citoyens, ou du moins une portion de cette élite, que pour préparer avec eux le bienfait qu'il destinait à la France.

Une première assemblée de notables n'avait eu d'autre motif que de soumettre à leurs lumières un plan vaste de finance et d'économie, et de les consulter sur l'établissement patriotique des administrations provinciales , établissement qui signalera ce règne, puisqu'il a pour objet que l'impôt soit désormais mieux réparti, les charges plus également supportées, l'arbitraire banni, les besoins des villes et des provinces mieux connus.

Cependant le long espace écoulé depuis les derniers États généraux, les troubles auxquels ils furent livrés, les discussions si souvent frivoles qui les prolongèrent , éveillèrent la sagesse royale, et l'avertissaient de se prémunir contre de tels inconvénients.

En songeant à vous réunir, Messieurs, elle a dû se tracer un plan combiné qui ne pouvait admettre cette précipitation tumultueuse dont l'impatience irréfléchie ne prévoit pas tout le danger. Elle a dû faire entrer dans ce plan les mesures anticipées qui préparent le calme des décisions, et ces formes antiques qui les rendent légales.

Le vœu national ne se manifestait point encore ; Sa Majesté l'avait prévenu dans sa sagesse. À peine ce vœu a-t-il éclaté, qu'elle s'empresse de le remplir, et les lenteurs que la prudence lui suggère ne sont plus que des précautions de sa bienfaisance toujours active, mais toujours prévoyante sur les véritables intérêts de ses peuples.

Le Roi a désiré connaître séparément leurs besoins et leurs droits. Les municipalités, les bailliages, les hommes instruits dans tous les états, ont été invités à concourir par leurs lumières au grand ouvrage de la restauration projetée. Les archives des villes et celles des tribunaux, tous les monuments de l'histoire étudiés, approfondis et mieux développés, leur ont ouvert des trésors d'instruction ; de grandes questions se sont élevées ; des intérêts opposés, toujours mal entendus quand ils se combattent en de pareilles circonstances, ont été discutés, débattus, mis dans un jour plus ou moins favorable ; mais enfin un cri presque général s'est fait entendre pour solliciter une double représentation en faveur du plus nombreux des trois ordres, de celui sur lequel pèse principalement le fardeau de l'impôt,

En déférant à cette demande, Sa Majesté, Messieurs, n'a point changé la forme des anciennes délibérations : et quoique celle par têtes, en ne produisant qu'un seul résultat, paraisse avoir l'avantagé de faire mieux connaître le désir général, le Roi a voulu que cette nouvelle forme ne puisse s'opérer que du consentement libre des États généraux, et avec l'approbation de sa Majesté.

Mais quelle que doive être la manière de prononcer sur cette question, quelles que soient les distinctions à faire entre les différents objets qui deviendront la matière des délibérations, on ne doit pas douter que l'accord le plus parfait ne réunisse les trois ordres relativement à l'impôt.

Puisque l'impôt est une dette commune des citoyens, une espèce de dédommagement et le prix des avantages que la société leur procure, il est juste que la noblesse et le clergé en partagent le fardeau.

Pénétrés de cette vérité, on les a vus presque dans tous les bailliages donner avec empressement un témoignage honorable de désintéressement et de patriotisme, et il leur tarde de se voir réunis par ordre, afin que ces délibérations qui jusqu'ici n'ont pu être que partielles acquièrent ce degré de généralité qui, en les consolidant, fixera leur stabilité.

Si des privilèges constants et respectés semblèrent autrefois soustraire les deux premiers ordres de l'État à la loi générale, leurs exemptions, du moins pendant longtemps, ont été plus apparentes que réelles.

Dans des siècles où les églises n'étaient point dotées, où on ne connaissait encore ni les hôpitaux ni ces autres asiles nombreux élevés par la piété et la charité des fidèles, où les ministres des autels, simples distributeurs des aumônes, étaient solidairement chargés de la subsistance des veuves, des orphelins, des indigents, les contributions du clergé furent acquittées par ses soins religieux, et il y aurait eu une sorte d'injustice à en exiger des redevances pécuniaires.

Tant que le service de l'arrière-ban a duré, tant que les possesseurs de fiefs ont été contraints de se transporter à grands frais d'une extrémité du royaume à l'autre, avec leurs armes, leurs hommes, leurs chevaux, leurs équipages de guerre ; de supporter des pertes souvent ruineuses, et, quand le sort des combats avait mis leur liberté à la merci d'un vainqueur avare, de payer une rançon toujours mesurée sur son insatiable avidité ; n'était-ce donc pas une manière de partager l'impôt, ou plutôt n'était-ce pas un impôt réel que ce service militaire que l'on a même vu plusieurs fois concourir avec des contributions volontaires ?

Aujourd'hui que l'Église a des richesses considérables, que la noblesse obtient des récompenses honorifiques et pécuniaires, les possessions de ces deux ordres doivent subir la loi commune. Nous aimons à le répéter, leur acquiescement a cette loi eut dans sa première forme toute la vivacité de l'émulation, et prit tous les caractères delà loyauté, de la justice et du patriotisme.

L'impôt, Messieurs, n'occupera pas seul vos délibérations ; mais pour ne point anticiper sur les objets de discussion qui partageront les moments consacrés à vos Assemblées, il me suffira de vous dire que vous n'imaginerez pas un projet utile, que vous n'aurez pas une idée tendant au bonheur général que Sa Majesté n'ai déjà conçue, ou dont elle ne désire fermement l'exécution.

Depuis que les États généraux sont déterminés, le Roi n'a jamais pensé sans attendrissement à cette réunion d'un bon père et de ses enfants chéris, qui deviendra le gage de la félicité commune.

Au nombre des objets qui doivent principalement fixer votre attention et qui déjà avaient mérité celle de Sa Majesté, sont les mesures à prendre pour la liberté de la presse ; les précautions à adopter pour maintenir la sûreté publique, et conserver l'honneur des familles ; les changements utiles que peut exiger la législation criminelle pour mieux proportionner les peines aux délits, et trouver dans la honte du coupable un frein plus sûr, plus décisif que le châtiment.

Des magistrats dignes de la confiance du monarque et de la nation étudient les moyens d'opérer cette grande réforme ; l'importance de l'objet est l'unique mesure de leur zèle et de leur activité.

Leurs travaux doivent embrasser aussi la procédure civile qu'il faut simplifier. En effet, il importe à la société entière de rendre l'administration de la justice plus facile, d'en corriger les abus, d'en restreindre les frais, de tarir surtout la source de ces discussions interminables qui trop souvent ruinent les familles, éternisent les procès, et font dépendre le sort des plaideurs du plus ou du moins d'astuce, d'éloquence et de subtilité des défenseurs ou de leurs adversaires. Il n'importe pas moins au public de mettre les justiciables à portée d'obtenir un prompt jugement ; mais tous les efforts du génie et toutes les lumières de la science ne feraient qu'ébaucher cette heureuse révolution, si l'on ne surveillait avec le plus grand soin l'éducation de la jeunesse. Une attention exacte sur les études, l'exécution des règlements anciens, et les modifications nécessaires dont ils sont susceptibles, peuvent seuls former des hommes vertueux, des hommes précieux à l'État, des hommes faits pour rappeler les mœurs à leur ancienne pureté, des citoyens, en un mot, capables d'inspirer la confiance dans toutes les places que la Providence leur destine.

Sa Majesté recevra avec intérêt, elle examinera avec l'attention la plus sérieuse, tout ce qui pourra concerner la tranquillité intérieure du royaume, la gloire du monarque et le bonheur de ses sujets.

Jamais la bonté du Roi ne s'est démentie dans ces moments d'exaltation où une effervescence qu'il pouvait réprimer a produit dans quelques provinces des prétentions ou des réclamations exagérées. Il a tout écouté avec bienveillance ; les demandes justes ont été accordées ; il ne s'est point arrêté aux murmures indiscrets, il a daigné les couvrir de son indulgence ; il a pardonné jusqu'à l'expression de ces maximes fausses et outrées à la faveur desquelles on voudrait substituer des chimères pernicieuses aux principes inaltérables de la monarchie.

Vous rejetterez, Messieurs, avec indignation, ces innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec ces changements heureux et nécessaires qui doivent amener cette régénération, le premier vœu de Sa Majesté.

L'histoire ne nous a que trop bien instruits des malheurs qui ont affligé notre royaume dans les temps d'insubordination et de soulèvement contre l'autorité légitime. Elle n'est pas moins fidèle à vous transmettre dans ses fastes les prospérités de vos pères sous un gouvernement paisible et respecté. Si la France est une des plus anciennes monarchies de l'univers, la seule, après quatorze siècles, dont la constitution n'ait pas éprouvé les revers qui ont déchiré et changé la face de tous les empires formés, comme elle, des débris de l'empire romain, c'est dans l'union et l'amour mutuel du monarque et des sujets qu'il faut chercher la principale cause de tant de vie, de force et de grandeur.

La troisième race de nos rois a surtout des droits à la reconnaissance de tout bon Français. Ce fut elle qui affermit l'ordre de la succession à la couronne ; elle abolit toute distinction humiliante entre ces représentants si fiers et si barbares des premiers conquérants des Gaules, et l'humble postérité des vaincus qu'on tint si longtemps et si honteusement asservis. Par elle, la hiérarchie des tribunaux fut créée, ordre salutaire qui rend partout le souverain présent ; tous les habitants des cités furent appelés à leur administration ; la liberté de tous les citoyens fut consacrée, et le peuple reprit les droits imprescriptibles de la nature.

Mais si les intérêts de la nation se confondent essentiellement avec ceux du monarque, n'en serait-il pas de même des intérêts de chaque classe de citoyens en particulier ? et pourquoi voudrait-on établir entre les différents membres d'une société politique, au lieu d'un rang qui les distingue, des barrières qui les séparent ?

Les vices et l'inutilité méritent seuls le mépris des hommes, et toutes les professions utiles sont honorables, soit qu'on remplisse les fonctions sacrées du ministère des autels , soit qu’on se voue à la défense de la patrie dans la carrière périlleuse des combats et de la gloire, soit que, vengeurs des crimes et protecteurs de l'innocence, on pèse la destinée des bons et des méchants dans les balances redoutables de la justice ; soit que par des écrits, fruit du talent qu'enflamme l'amour véritable de la patrie, on hâte les progrès des connaissances, qu'on procure à son siècle et qu'on transmette à la postérité plus de lumières, de sagesse et de bonheur ; soit qu'on soumette à son crédit et aux spéculations d'un génie actif, prévoyant et calculateur, les richesses et l'industrie des divers peuples de la terre ; soit qu'en exerçant cette profession mise enfin à sa place dans l'opinion des vrais sages, on féconde les champs par la culture, ce premier des arts auquel tient l'existence de l'espèce humaine ; tous les citoyens du royaume, quelle que soit leur condition, "ne sont-ils pas les membres de la même famille ?

Si l'amour de l'ordre et la nécessité assignèrent des rangs qu'il est indispensable de maintenir dans une monarchie, l'estime et la reconnaissance n'admettent pas ces distinctions, et ne séparent point des professions que la nature réunit par les besoins mutuels des hommes.

Loin de briser les liens qu'a mis entre nous la société, il faudrait, s'il était possible, nous en donner de nouveaux, ou du moins resserrer plus étroitement ceux qui devraient nous unir.

Un grand général disait, en parlant des Gaulois, qu'ils seraient le premier peuple de l'univers, si la concorde régnait parmi eux. Ces paroles de César peuvent s'appliquer au moment actuel : que les querelles s'apaisent, que les inimitiés s'éteignent, que les haines s'anéantissent, que le désir du bonheur commun les remplace, et nous serons encore le premier peuple du monde.

Ne perdez jamais de vue, Messieurs, que la discorde renverse les empires, et que la concorde les soutient. La rivalité entre les citoyens fut la source de tous les maux qui ont affligé les nations les plus célèbres. Les guerres intestines des Romains furent le germe de l'ambition de leurs oppresseurs, et commencèrent la décadence de la patrie, dont la ruine fut bientôt consommée. Sans les troubles qui la déchirèrent, la Grèce aurait vu se perpétuer longtemps sa puissance et sa gloire. La France a couru des dangers ; si elle fut quelquefois malheureuse, faible et languissante, c'est quand elle devint le foyer ou le théâtre de ces tristes rivalités. Couvertes du voile toujours imposant de la religion, elles jetèrent ces longues semences de haines dont le règne entier de Henri IV put à peine étouffer les restes, mais sans en réparer tous les désastres. La concorde rassemble tous les biens autour d'elle ; tous les maux sont à la suite de la discorde. Ne sacrifions pas, Messieurs, à des prestiges funestes les avantages que nous avons reçus de la nature. Eh ! quel peuple en obtint plus de Bienfaits ! Deux mers baignent une partie de nos provinces, et en nous assurant ainsi la situation la plus heureuse pour le commerce, semblent nous avoir destinés à commander sur l'Océan et sur la Méditerranée.

Toutes les productions de la terre croissent ou peuvent croître au sein de la France, et la culture plus perfectionnée nous apprend encore à féconder par de nouveaux moyens ses terrains les moins fertiles.

L'activité, les prodiges des arts et du talent, des chefs-d'œuvre de tous les genres ; la perfection des sciences et des lettres, la gloire de tant d'hommes célèbres dans l'église, dans la magistrature et dans les armées, tout se réunit pour lui garantir une prospérité immuable et la première place dans les annales du monde.

Encore une fois, Messieurs , ne perdons pas en ce moment, par de cruelles dissensions, les fruits précieux que tant de siècles nous ont acquis, et dont nous sommes redevables aux efforts et à l'amour paternel de nos souverains. Ah ! s'il pouvait rester des traces de division dans vos cœurs, s'il y germait encore des semences mal étouffées de cette rivalité malheureuse dont les différents ordres de l'État furent tourmentés , que tout s'anéantisse et s'efface en présence de votre Roi, dans ce lieu auguste qu'on peut appeler le temple de la patrie.

Représentants de la nation, jurez tous aux pieds du trône, entre les mains de votre souverain, que l'amour du bien public échauffera seul vos âmes patriotiques ; abjurez solennellement, déposez ces haines si vives qui depuis plusieurs mois ont alarmé la France et menacé la tranquillité publique. Que l'ambition de subjuguer les opinions et les sentiments par les élans d'une éloquence impérieuse ne vous entraine pas au-delà des bornes que doit poser l'amour sacré du Roi et de la nation.

Hommes de tous les âges, citoyens de tous les ordres, unissez vos esprits et vos cœurs, et qu'un engagement solennel vous lie de tous les nœuds de la fraternité.

Enfants de la patrie que vous représentez, écartez loin de vous toute affection, toute maxime étrangères aux intérêts de cette mère commune ; que la paix, l'union et l'amour du bien public président à toutes vos délibérations ; mais si quelque nuage venait altérer le calme de vos séances , s'il était possible que la discorde y soufflât ses poisons, c'est à vous, ministres des autels, qu'il appartient de conjurer l'orage : vos fonctions saintes, vos titres sacrés, vos vertus et vos lumières impriment dans les cœurs ce respect religieux d'où naît l'ascendant qui maîtrise et dirige les passions humaines. Eh ! comment refuser aux interprètes d'une religion pure et sublime cette vénération, ces hommages, cet empire moral que des hommes enveloppés de ténèbres et livrés à d'extravagantes superstitions ont toujours accordés aux ministres de leurs fausses divinités ! C'est donc sur vous que la nation se repose en particulier du soin de ramener la paix dans cette Assemblée, s'il était possible qu'elle s'en bannît un instant. Mais pourquoi m'occuper du retour de la concorde, quand vous en donnerez des exemples que les deux ordres s'empresseront d'imiter ? En effet, quelle sorte de dévouement et quel concours patriotique ne doit-on pas attendre de ces braves et généreux successeurs de nos anciens chevaliers, qui, prodigues envers la France de leur fortune, de leur sang et de leur vie, n'hésitèrent jamais sur un sacrifice que l'utilité publique avait prescrit ou consacré ? Vous suivrez aussi ces grands exemples de désintéressement, de soumission et d'attachement à la patrie, hommes sages et laborieux dont les travaux nourrissent, vivifient, instruisent, consolent, enrichissent la société. Tous les titres vont se confondre dans le titre de citoyen, et on ne connaîtra plus désormais qu'un sentiment, qu'un désir, celui de fonder sur des bases certaines et immuables le bonheur commun d'une nation fidèle à son monarque, si digne de vos respects et de votre amour.

L'intention du Roi est que vous vous assembliez dès demain, à l'effet de procéder à la vérification de vos pouvoirs, et de là terminer le plus promptement qu'il vous sera possible, afin de vous occuper des objets importants que Sa Majesté vous a indiqués.

  

La faiblesse de l'organe de M. de Barentin avait empêché d'entendre une partie de ce discours.

Après quelques moments de silence, M. Necker, directeur général des finances, prend la parole pour faire connaître aux députés du royaume l'état de leur situation.

(Après avoir lu quelques pages de son discours, il le remet à M. Broussonet, secrétaire perpétuel de la société d'agriculture, qui en continue la lecture.)

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4239_t2_0002_0000_3


Mémoires de Barentin (Intéressants)

Vous pouvez lire ci-dessous les mémoires de M. de Barentin, et même les télécharger (sur le site de la BN).

Mémoire autographe de M. de Barentin, chancelier et garde des sceaux, sur les derniers conseils du roi Louis XVI, précédé d'une notice biographique sur M. de Barentin par l'historien Maurice Champion.







5 Mai 1789, Discours du Roi lors de l'ouverture des Etats Généraux.

Plus grande que nature, cette vue représente l'ouverture
des Etats Généraux dessinée par Charles Monnet.

Un évènement exceptionnel.

    Ce 5 Mai 1789, se déroule la séance solennelle d’ouverture des États Généraux. Rappelons que les trois États du Royaume ont été convoqués par le Roi le 5 juillet 1788 et que les États Généraux n’ont pas été réunis depuis 1614.

Pourquoi les Etats Généraux ?

    Le Roi a convoqué les États Généraux car il se trouve depuis déjà plusieurs années dans l’impossibilité de faire réaliser des réformes fiscales par ses différents ministres des finances. Deux Assemblées des Notables ont déjà eu lieu pour tenter de résoudre le problème, en 1787 et en 1788. Les deux ont échoué. Les Parlements ont également refusé de voter toutes les tentatives de réformes fiscales. 

    Le but de ces États Généraux est d’amener les différents participants à consentir à un nouvel impôt. (Mais bien rien ne se passera comme prévu…)

Cérémonial.

    Conformément à la proclamation du Roi, les députés se sont rendus en costume à la salle des États (1), vers neuf heures du matin. Néanmoins, ils ne sont entrés qu'à mesure qu'ils étaient appelés par les hérauts d'armes, et un maître des cérémonies indiquait à chacun la place qu'il devait occuper suivant l'ordre auquel il appartenait et le rang de sou bailliage , d'après le règlement de 1614.

    Tous les députés n'ont été placés que vers les midi moins un quart. On leur avait préparé des banquettes disposées dans une forme semi-elliptique, dont l'estrade sur laquelle s'élevait le trône faisait le diamètre.

    Les députés du clergé occupèrent la droite des banquettes situées le pins près du trône, ceux de la noblesse, la gauche ; ceux des communes étaient placés à la suite de ces deux premiers ordres.

    Vers les une heure, les hérauts d'armes annoncèrent l'arrivée du Roi. Aussitôt, tous les députés se lèvent, et des cris de joie retentissent de toutes paris.

    Bientôt le Roi paraît ; les applaudissements les plus vifs se font entendre, accompagnés des cris de vive le Roi ! Sa Majesté monte sur son trône. On remarque que ses regards se promènent avec un air de satisfaction sur la réunion imposante des députés du royaume. La reine se place à côté de lui, hors du dais, sur un fauteuil inférieur au trône. La famille royale entoure le Roi ; les princes, les ministres, les pairs du royaume sont placés un peu plus bas, et le surplus du cortège du monarque couvre les degrés de l'estrade.

    M. le marquis de Brézé, grand maître des cérémonies, annonce du geste que le Roi va parler. Le silence le plus profond succède aux acclamations qui se faisaient entendre.

(1) On avait préparé sous le nom de Salle des Trois Ordres, la salle dite des Moins, située en dehors du château. — Elle pouvait contenir les douze cents députés et de nombreux spectateurs.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4238_t2_0001_0000_3 

Gravure de Philippe-Joseph Maillart
Le roi, entouré de la reine et des princes du sang, trône au fond de la salle (à gauche) sous un dais majestueux.
Les députés siègent autour, sur plusieurs rangs.

Attention aux images !

    Contrairement à la célèbre gravure en titre, illustrant généralement l’événement, la salle provisoire à colonnes qui a été érigée derrière les Menus-Plaisirs de l'avenue de Paris à Versailles, était très petite ! 

Plan des salles de réunion des Etats Généraux à l'hôtel des Menus Plaisirs, à Versailles  :

Source : IMAGES D'ART


Le discours du roi.

   Louis XVI va ouvrir la séance par un discours dans lequel il rappelle les circonstances qui l’ont conduit à cette convocation et ce qu’il attend des États Généraux. Il va se déclarer « le premier ami de ses peuples ». 

    Suivront les discours du garde des sceaux Charles de Paule de Barentin (hostile à cette convocation), qui incitera les députés à refuser les innovations dangereuses ; Puis du ministre des finances, Necker, qui évoquera la situation économique du royaume (qui est déplorable).

    Selon Necker (optimiste), de nouveaux impôts suffiront à combler le déficit budgétaire de 56 millions.

Discours du roi (daté du 4 Mai)

Extrait de film

    Je vous propose de regarder cette vidéo extraite du célèbre film réalisé par Robert Enrico et Richard T. Heffron, sorti en octobre 1989, à l’occasion de l’anniversaire du bicentenaire de la Révolution Française. On y voit un Louis XVI parlant d’amour et de paix, une Marie Antoinette qui s’endort, le 1er Dauphin, Louis Joseph, très malade qui mourra le 4 juin suivant, un Camille Desmoulins faisant un coucou à son ami Robespierre député du Tiers Etat de la ville d’Arras, un Necker soucieux et ennuyeux, et l'Assemblée du Tiers Etat aussi ennuyée que mécontente...


Texte du discours de Louis XVI

Sa Majesté s'exprime en ces termes : 

«Messieurs, ce jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la nation à laquelle je me fais gloire de commander.

«Un long intervalle s'était écoulé depuis les dernières tenues des Etats généraux, et quoique la convocation de ces Assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source do bonheur.

«La dette de l'État, déjà immense à mon avènement au trône, s'est encore accrue sous mon règne ; une guerre dispendieuse mais honorable en a été la cause ; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition.

«Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations se sont emparés des esprits et fini¬ raient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés.

«C'est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassemblés, et je vois avec sensibilité qu'elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs privilèges pécuniaires. L'espérance que j'ai conçue de voir tous les ordres, réunis de sentiments, concourir avec moi au bien général de l'État, ne sera point trompée.

«J'ai déjà ordonné dans les dépenses des retranchements considérables. Vous me présenterez encore à cet égard des idées que je recevrai avec empressement ; mais malgré la ressource que peut offrir l'économie la plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir soulager mes sujets aussi promptement que je le désirerais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances, et quand vous l'aurez examinée, je suis assuré d'avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent, et affermir le crédit" public. Ce grand et salutaire ouvrage, qui assurera le bonheur du royaume au dedans et sa considération au dehors, vous occupera essentiellement.

«Les esprits sont dans l'agitation ; mais une Assemblée des représentants de la nation n'écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes. Messieurs, qu'on s'en est écarté dans plusieurs occasions récentes ; mais l'esprit dominant de vos délibérations répondra aux sentiments d'une nation généreuse, et dont l'amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif ; j'éloignerai tout autre souvenir.

«Je connais l'autorité et la puissance d'un roi juste au milieu d'un peuple fidèle et attaché de tout temps aux principes de la monarchie : ils ont fait la gloire et l'éclat de la France ; je dois en être le soutien et je le serai constamment.

«Mais tout ce qu'on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer de mes sentiments.

«Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette Assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume ! c'est le souhait de mon cœur, c'est le plus ardent de mes vœux, c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples.

«Mon garde des sceaux va vous expliquer plus amplement mes intentions, et j'ai ordonné au directeur général des finances de vous en exposer l'état. »



    Après le discours du roi s'en suit le discours de son ministre garde des sceaux, Charles Louis François de Paule de Barentin





lundi 4 mai 2020

4 Mai 1789, Ouverture des Etats Généraux

4 Mai 1789, Procession des députés des Etats Généraux au sortir de Notre Dame.

La dernière grande cérémonie de l'Ancien Régime...

    J'ai trouvé le texte suivant sur le site du Château de Versailles. Il convient parfaitement pour commenter les illustrations relatives à cet événement, que je vous propose.

    "Le 4 mai 1789, a lieu à Versailles la dernière grande cérémonie d’Ancien Régime : la procession des États Généraux. 1 200 députés, venus de toute la France, sont assemblés pour cette première journée. Vêtus de noir et couverts d’un manteau noir et or, les députés du tiers état sont les plus nombreux. Tous tiennent un cierge à la main, sauf les porteurs de bannières et les Fauconniers du Roi. Le roi est, lui, en habit et manteau de drap d’or, entouré des Grands officiers de la Couronne. Il porte sur son chapeau le Régent, le plus gros diamant d’alors. La reine porte une robe d’or et d’argent. Le roi est acclamé, pas elle. La procession, partie de Notre-Dame, traverse la place d’Armes et arrive à l’église Saint-Louis. Monseigneur de La Fare, évêque de Nancy, y prononce en chaire un célèbre discours fustigeant le luxe de la Cour. Pour la première fois, un évêque est applaudi dans une église."

Source du texte : chateauversailles.fr

Vue de la procession des Etats Généraux à Versailles le 4 Mai 1789.

Louis XVI accompagné de la Justice et de l'Economie
consulte les Etats du Royaume sur les moyens de réaliser ses généreuses intentions.

 Comment ont été élus les députés. 

    Les députés des ordres privilégiés sont généralement élus au suffrage direct ; ceux du tiers état par un scrutin indirect, à deux degrés. Pour participer à l'élection des délégués, qui élisent ensuite les députés du tiers, il fallait avoir plus de 25 ans et payer l'impôt, sans qu'aucun montant minimum soit exigé. En tout, les trois ordres comptent 1196 députés, dont 598 issus du tiers état, 308 députés du clergé et 290 députés de la noblesse.

Source : https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/histoire-de-l-assemblee-nationale/le-temps-de-l-invention-1789-1799




De la convocation à l'ouverture des Etats Généraux (Vidéos)

Vue de la procession des Etats Généraux à Versailles, le 4 Mai 1789

    J'ai découvert ces trois excellentes vidéos, réalisées par la Société des Etudes Robespierristes, que je juge utile de vous faire découvrir.

    La première porte de la convocation des Etats généraux, la seconde traite de la rédaction des cahiers de doléances à travers tout le pays et la troisième décrit l'ouverture des Etats Généraux.

La convocation des Etats Généraux

Par Madame Gaïd Andro, maîtresse de conférences à l'Université de Nantes.



Les cahiers de doléances de 1789
Par Monsieur Pierre Serna, professeur d'histoire moderne à l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne.


L'ouverture des Etats Généraux

Par Madame Solenn Mabo, Maitresse de conférences en histoire moderne à l'université Rennes 2.

vendredi 1 mai 2020

Si les Etats Généraux avaient eu lieu à Soisson, comme le voulait M. Barentin...

 

Avec des Si.

     "Avec des Si, on mettrait Paris en bouteille." disait ma grand-mère ! Et si les Etats Généraux de 1789 s'étaient tenus en Province, loin de l'agitation parisienne ?

    En histoire, on appelle cela une "uchronie" ! Que ce serait-il passé si l'Allemagne avait gagné la guerre de 1914-1918 ? Peut-être que ni le nazisme ni l'holocauste n'auraient jamais existé et qu'Hitler serait devenu un peintre célèbre ? Peut-être que l'Europe serait devenue plus puissante que les USA ? Si, si, si, etc...

    Sans tomber dans l'historicisme mystique, on a parfois une sensation d'inévitable en histoire : l'impression que tout concourt à ce que se produise un événement important. Peut-être est-ce dû au fait que nous savons ce qui va arriver, ou que notre esprit confond une fois de plus corrélation et causalité

    Comment ne pas avoir cette drôle d'impression avec la Révolution Française ? Tout semble en effet concourir à ce que ces Etats Généraux convoqués par Louis XVI ne se passent pas comme espéré.

Barentin, le ministre avisé..

M. de Barentin

    Certains proches du roi, sentait venir le danger, comme son garde des sceaux, Charles Louis François de Paule de Barentin, âgé de 51 ans en 1789. Barentin était également Chancelier de l'Ordre du Saint-Esprit, ce qui en faisait un personnage très important. Il avait été auparavant conseiller, puis avocat général au Parlement de Paris de 1757 à 1775, et président de la Cour des Aides de 1775 à 1788. 

    De par sa fonction de Garde des Sceaux, M. de Barentin était également ministre de la Justice et à ce titre il contrôlait également la "Librairie", c'est-à-dire, la censure. Raison pour laquelle Il ne voulait pas que les États Généraux se déroulassent à Paris, une ville trop agitée, irriguée par les idées nouvelles ; et qu’il avait suggéré au roi de les organiser plutôt dans la paisible ville de Soisson. Barentin redoutait en effet l’atmosphère parisienne, très agitée depuis quelques mois.

Vue de Soisson au 17ème siècle

    Contrairement à cet avisé ministre, Jacques Necker le ministre des Finances tenait à ce que les États Généraux se tinssent à Paris. Vous découvrirez ses raisons en lisant ci-après, l'extrait des mémoires de M. de Barentin. Bien sûr, Barentin n’appréciait guère Necker, ce banquier Suisse et Protestant et vous pourrez également lire dans son mémoire ses critiques à l'égard de Necker. Je vous assure que c'est très intéressant.

    Barentin sera d’ailleurs plus tard accusé d’être le principal responsable du renvoi de Necker. Plus grave, en novembre 1789, il sera accusé de crime de lèse-nation, c'est-à-dire, d'avoir ourdi un complot contre la capitale. Mais le complaisant tribunal du Châtelet l'acquittera, ce qui fera dire aux Parisiens que cette juridiction était «la buanderie de la reine».

    Barentin émigrera peu après en Italie. Lors de la fuite du roi le 20 Juin 1791, il attendra Louis XVI à Montmédy, mais le roi ne dépassera pas Varennes où il sera arrêté le 21 Juin. Charles Louis François de Paule de Barentin décédera à Paris le 30 Mai 1818 à l’âge de 80 ans.

    Lors de l’ouverture des États Généraux, le 5 mai 1789, M. de Barentin fera un discours, après celui du roi et avant celui de Necker. Il dressera un tableau presqu’idyllique du royaume, (Pas un mot sur les 900 émeutes de la faim qui ont eu lieu depuis 1986). Par deux fois, il incitera même les députés à refuser «les innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec les changements heureux nécessaires qui doivent amener la régénération, le premier vœu de Sa Majesté». Mais la mécanique de l’histoire était lancée…


Lisons M. de Barentin :

    Je vous invite à lire cet extrait de ses mémoires, dans lequel il explique les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas que les États Généraux se tinssent à Paris ni même à Versailles, ainsi que les arguments de Necker pour qu’au contraire, ils aient lieu précisément à Paris. Les arguments de Necker sont très intéressants...

"Le choix de Versailles, selon M. Necker, « obtint l’approbation de tout le monde. » Me voila encore forcé de nier cette prétendue approbation universelle. Tous les vrais serviteurs du roi et toutes les personnes sensées souhaitaient que les États Généraux se passassent sans convulsions, et ne déguisaient pas, en conséquences, leur éloignement pour qu’ils se tinssent à Paris ou à Versailles.

La foule d’oisifs, de frondeurs, de philosophes modernes, de mécontents, d’étrangers qui habitaient la capitale, y rendait très redoutables une assemblée du genre de celle qui allait s’ouvrir. Tout faisait craindre que les opinions des députés ne se ressentissent de l’esprit réformateur dont cette ville était infectée, et qu’on ne se portât à adopter les innovations et les idées antimonarchiques répandues dans les écrits qui circulaient depuis plusieurs mois, et devenues, dans tous les cercles, l’objet des conversations.

Versailles, à de sa proximité et de ses relations continuelles avec Paris, offrait les mêmes dangers : les effets n’en avaient point échappé aux yeux clairvoyants pendant le cours des deux assemblées des notables. Ainsi, dans le fait, cette approbation supposée générale ne comprenait que le sentiment des fauteurs des systèmes éversifs de l’état ancien, et des partisans de la liberté plutôt que de la licence. On conçoit dès lors combien il devenait précieux pour eux d’avoir les États Généraux à Paris, du moins à Versailles. Une population immense prompte à agiter, aisée à mettre en mouvement, facilitait les moyens d’influencer les membres  des États, de les capter quelquefois sans qu’ils s’en aperçussent ; enfin, de substituer à des discussions, naturellement froides et raisonnables, des délibérations fougueuses et hors de toutes mesures.

Frappé de ces réflexions, plus frappé encore de la classe d’hommes qui commençaient à former des rassemblements dans le jardin du Palais-Royal ; ne me dissimulant point que ce lieu privilégié, exempt de l’exercice habituel de la police, deviendrait le foyer des motions incendiaires, le théâtre des factieux, le point central d’où partiraient les insurrections, d’où se commanderaient les émotions populaires, je proposai de j’insistait pour que les États-Généraux se tinssent à Soisson, et le roi, pendant leur durée, à Compiègne ; où dans toute autre ville près de laquelle le roi pût résider.

 

M. Necker ne goût nullement cet avis, et, pour mieux l’écarter, se retrancha sur la dépense qu’occasionnerait un pareil déplacement ; dépense inconsidérée, lorsque le trésor royal en était aux expédients. Il apercevait d’ailleurs, dans cette translation, l’annonce d’une méfiance mortifiante pour la capitale, et qu’elle ne méritait pas. Au lieu d’appréhender son influence sur les travaux des États Généraux, elle lui paraissait utile et surtout avantageuse aux créanciers de l’État. « Si vous reléguez dans une province, ajoutait-il, les représentants de la nation, ils ne porteront sur Paris qu’un regard indifférent ; ils ne songeront qu’à soulager du poids des impositions les propriétés territoriales ; excepté les députés de cette grande ville, tous les autres sont étrangers aux effets sur le roi ; ils n’en possèdent aucuns ; le sort des rentiers les touchera peu ; ils ne redouteront point, pour libérer l’État, de proposer une banqueroute sinon totale, au moins partielle ; ils n’y verront aucune injustice. Selon eux, une réduction de revenus éprouvée par les capitalistes ne fera que les assimiler aux possesseurs d’immeubles, dont les terres ou autres espèces de biens leur rapportent bien au-dessous de cinq pour cent. Cependant cette opération ruinera les citoyens de Paris ; leur rentes, la plupart les ont acquises à la sueur de leur front ; elles sont le produit de leur industrie, de leurs épargnes, la ressources et la consolation de leur vieillesse : les supprimer ou seulement les détruire, c’est les plonger dans la misère, les condamner au désespoir ; c’est, en outre, faire manquer le roi à ses engagements envers une portion intéressante de ses sujets. Réunissez, au contraire, les députés à Paris ; tenez-y les États Généraux ; ces députés formeront des liaisons avec les citadins, s’éclaireront sur la nature de leurs biens, et finiront par les regarder avec moins de défaveur. Les habitants de toutes les contrées du royaume s’habitueront à ne se considérer que comme une même famille ; un malheur particulier à une seule classe d’individus prendra à leurs yeux les caractères d’une calamité publique, et le projet désastreux de banqueroute, ou simplement de réduction des rentes, sera proscrit."

 

Vous pouvez lire ci-dessous les mémoires de M. de Barentin, et même les télécharger (sur le site de la BNF) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46891k

"Mémoire autographe de M. de Barentin, chancelier et garde des sceaux, sur les derniers conseils du roi Louis XVI, précédé d'une notice biographique sur M. de Barentin par M. Maurice Champion."



Ouvrage également disponible sur Google : (Voir ci-dessous)

mercredi 29 avril 2020

26 au 29 Avril 1789 : Emeute Réveillon, quelle histoire ?

Mise à sac de la fabrique de papiers peints de Réveillon

L'émeute "Réveillon"

    Ce soir du 29 Avril 1789, les corps de Jean-Claude Gilbert, couverturier, et Antoine Pourrat, gagne-denier, pendent à un gibet érigé place de la porte Saint-Antoine. Ils ont été condamnés ce jour-même par la chambre criminelle du Châtelet, pour attroupement, émeute et sédition. Ainsi se termine l'émeute "Réveillon" commencée le 26 Avril au soir.

Dessin de Le Guerchin vers 1580-1600

    Cette singulière émeute parisienne qui a eu lieu autour de la fabrique de papiers-peints du sieur Jean-Baptiste Réveillon dans le Faubourg Saint-Antoine, est évoquée dans tous les ouvrages concernant la Révolution française. Chacun y voit en effet un signe précurseur des événements révolutionnaires de juillet et plus particulièrement de la prise de la Bastille. Mais vous allez constater en lisant cet article, que chacun y va, comme il est d'usage, de son interprétation personnelle, au gré de ses sources bien sûr, mais aussi et surtout au gré de ses a priori ou préjugés, et ce, du simple témoin contemporain de l'affaire, jusqu'à l'historien. C'est presque un cas d'école, car vous retrouverez cette même confusion, dans la relation de nombre d'événements révolutionnaires. Bien naïfs ou bien présomptueux en effet, sont ceux qui, relatant certains événements historiques, affirment doctement "cela s'est passé exactement ainsi, pour telles et telles raisons précises" ! J'aurai d'autres occasions d'évoquer ce sujet polémique avec vous.

28 Avril 1789. Attroupement devant les établissements Réveillon (Claude Niquet)

Une singulière émeute

    Des émeutes, Il y en avait déjà un peu partout en France depuis plusieurs mois, principalement des émeutes frumentaires, c'est-à-dire portant sur le prix du pain ou le manque de celui-ci. Neuf-cents émeutes ont été dénombrées par les historiens en France, entre 1786 et 1789 ! Mais cette émeute dite "Réveillon" est singulière. Le mot émeute vient du mot émotion. Une émeute a donc quelque chose d'irrationnel. Une simple rumeur suffit à emporter les esprits et à les entrainer dans la colère et la violence. Mais lorsque l'on se penche avec attention sur le déroulement de celle-ci, en lisant différents récits, on ne peut manquer de trouver quelque peu curieux certains détails. Vous verrez plus tard que l'on retirera cette même impression lorsque nous nous intéresserons à la prise de la Bastille.

    Un mot au passage sur la Bastille. Le gouvernement craignait tellement que de telles émeutes éclatent, qu'il venait de faire mettre en sureté à la Bastille, le dépôt d'armes qui se trouvait à l'Arsenal…

La Bastille attendant son heure (estampe de 1749)

Un climat propice à l'effervescence populaire

    En ce printemps de 1789, la tension sociale était très forte en raison de plusieurs facteurs.

  • Un traité mal conçu.

 La crise économique résultant du traité Eden-Rayneval de libre-échange avec l'Angleterre causait une vague de licenciements.

Affiche anglaise illustrant le traité.
Notez à droite les Français mangeant des grenouilles...

Gravure anglaise "Anticipation, ou la mort prochaine du Traité de commerce français."

  • La rareté des grains

Le prix du pain ne cessait d'augmenter, du fait du manque de grains résultants du formidable orage qui avait balayé la France le 13 Juillet 1788 et du petit refroidissement climatique en cours.

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

En 1783 eu lieu en Islande la plus grande éruption des temps historiques
qui eu des conséquences terribles en France.

  • Une nouvelle politique économique

    Notons également les effets de la nouvelle politique économique très libérale initiée par le courant des physiocrates, celle-ci favorisant (entre autres) la spéculation sur les blés. 

Je traite de ces problèmes très complexes plus en détail dans les 2 articles suivants :

24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales.

10 Novembre 1789 : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?

    Pour toutes ces raisons une grande vague de misère envahissait le pays et des milliers de miséreux affluaient sur Paris.

Lire cet article : A propos de la terrible misère au 18ème siècle

"La pauvre famille"
Dessin (pinceau, encre et lavis)
de Jean-Baptiste Greuze (1763)

    A tout cela, venait s'ajouter l'effervescence due à la convocation des états généraux, dont la date approchait (5 mai 1789). On ne parlait presque plus que de cela dans les journaux et probablement dans les rues. Dans toutes les grandes villes du royaume les trois ordres, c'est-à-dire, la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat, se réunissaient pour élire les représentants qui se rendraient aux Etats Généraux.

Costumes des députés des trois ordres aux Etats Généraux

    Les élus de Tiers-état étaient censés représenter le peuple, c’est-à-dire à peu près 98% de la population, mais ils ne représentaient de fait que la bourgeoisie, vu qu'à Paris, le petit peuple n'avait pas été autorisé à participer aux élections des représentants du tiers-état. Cette mise à l'écart des petites gens qui s'étaient malgré tout exprimés dans les cahiers de doléances, créait chez beaucoup un fort sentiment d'irritation. A tout cela s'ajoutait bien sûr l'angoisse de la faim résultant du manque de pain et du prix sans cesse en hausse de celui-ci.

    Le pouvoir connaissait et redoutait cette agitation populaire, puisqu'entre "le 13 avril et le 1er mai, 1500 hommes de cavalerie et un régiment suisse, le "Salis-Samade", s'étaient installés à Mantes, Pontoise, Beauvais, Compiègne, Meaux et Etampes. Ces troupes avaient été placées sous les ordres du baron de Besenval, lieutenant-général et commandant de l'intérieur depuis plusieurs années (dont on reparlera le 12 Juillet 1789). Répartie en petits groupes, la cavalerie était employée à prévenir et à réprimer les troubles alors fréquents, par suite de la disette, dans les marchés de l'Ile-de-France et des provinces limitrophes. En juin, les troupes se renforceront de 550 cavaliers stationnant tout autour de Paris.

Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt

    Ce fut ainsi que, peu à peu, tous les acteurs de la Révolution se mirent en place pour le premier acte de Juillet 1789.

Une rumeur,

    C'est le dimanche 26 avril, après la séparation des trois ordres réunis à l'Archevêché de Paris, que le sieur Jean-Baptiste Réveillon, fabriquant de papiers peints et l'un des 42 commissaires élus du tiers-état, est averti qu'une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres veulent le pendre ! Pourquoi cette colère meurtrière ? Une rumeur disait que Réveillon aurait affirmé qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour et que le pain était trop bon pour le peuple (le pain coûtait alors de 13 à 13,5 sous).

L'Archevêché de Paris, lieu des assemblées.

    Nombre de textes nous expliquent que cette rumeur était "infondée" et que le Peuple avait mal compris ce que Réveillon avait dit (le Peuple est stupide). On nous dit que Réveillon se justifiera quelques jours plus tard, en expliquant l'origine des perfidies dont il était victime. C'est-à-dire que durant l'hiver, il avait payé 18 sous par jour, 200 ouvriers qui ne pouvaient plus travailler en raison du fait que les teintures de couleurs avaient gelé. Il aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât de prix. Un quidam mal intentionné avait donc dû entendre cela et mal comprendre. D'autres relations de l'événement nous expliquent que Réveillon avait mis au chômage ses ouvrier à cause de la concurrence anglaise qui mettait à mal ses affaires.

    Compte tenu de la terrible rigueur de l'hiver 1788/1789, la thèse des couleurs gelées est assez crédible. Mais l'hypothèse de la concurrence anglaise est également pertinente. Car l'industrie française souffrait effectivement des conséquences du traité de libre-échange Eden-Rayneval, entre la France et l'Angleterre. L'industrie anglaise était en effet très en avance sur celle de la France. Nombre de patrons d'entreprises françaises prendront d'ailleurs pour cette raison le parti de la Révolution française lorsque celle-ci se produira. Mais pas Réveillon, car lorsque la Révolution éclatera, Jean-Baptiste Réveillon émigrera en Angleterre avec sa fortune intacte.

L'émeute Réveillon

Des propos grossiers

    Si l'on cherche un peu, on apprend que le 23 avril précédant, au cours de l'assemblée électorale du district de Sainte-Marguerite, Jean-Baptiste Réveillon se serait réellement plaint à propos du salaire des ouvriers.

  • Le fond.

    Il aurait proposé de supprimer les taxes prélevées sur les biens de consommation courante entrant dans la capitale, permettant mécaniquement la baisse de leur prix, et offrant alors aux entrepreneurs la possibilité de baisser les salaires, un discours que ne pouvaient entendre tous les travailleurs précaires, vivant au niveau de subsistance, pour qui le moindre sou était une question de survie.

  • La forme

    Hippolyte Adolphe Taine (1828-1893) évoquera le fait que Réveillon "et le commissaire Lerat" y "ont mal parlé" et "Parler mal, c'est mal parler du peuple" (Taine, "Les origines de la France contemporaine, la Révolution. — L'anarchie", Paris, Hachette, 2e vol de 1878, 6 volumes, de 1875 à 1893).  

  • Propos inconsidérés selon la police.

    Nous ne sommes pas sûrs de la teneur exacte des propos (demande d'abaissement des salaires à 15 sous, au lieu d'une vingtaine, regrets du "bon vieux temps où les salaires étaient plus bas") ; le 22 avril, déjà, dans une autre assemblée, dans le district des Enfants-Trouvés, le salpêtrier (fabricant de salpêtre) Henriot n'avait-il pas déjà affirmé que les ouvriers pouvaient bien vivre avez quinze sous par jour ?  (Sagnac, 1910). Dans, tous les cas, des propos de ce genre ont bien été tenus, confirme ce jour-là le lieutenant de police Thiroux de Crosne

"Il y a eu hier sur les dix heures un peu de rumeur dans un canton du faubourg Saint-Antoine ; il n’était que l’effet du mécontentement que quelques ouvriers marquaient contre deux entrepreneurs de manufacture qui, dans l’assemblée de Sainte-Marguerite, avaient fait des observations inconsidérées sur le taux des salaires." (in Rudé, 1982). 

28 Avril 1789. Fusillade au Faubourg Saint-Antoine (Claude Niquet)


Justification et légende patronale

"Pub" de Réveillon

    
En mai 1789, sitôt remis de ses émotions, Jean-Baptiste Réveillon publiera un "Exposé justificatif pour le sieur Réveillon, entrepreneur de la manufacture royale de papiers peints, fauxbourg Saint-Antoine". Ce document est intéressant car on y découvre le personnage se présentant en persécuté et exposant, malgré ses malheurs, sa compassion envers ses ouvriers :

"Un nouvel objet de douleur se joignait à mes maux : trois cent cinquante ouvriers que ma manufacture fait vivre, près de manquer de pain, ainsi que leurs enfants & leurs femmes, me déchiraient le cœur : leurs cris sont parvenus jusqu'à moi ; j'ai oublié un instant mes malheurs, & je n'ai songé qu'à ceux qui les menaçaient…"

Quel meilleur moyen de leur venir en aide que de les faire de nouveau travailler ?

Le texte se poursuit donc ainsi : "J'ai pris, grâces aux secours de mes amis, les précautions nécessaires pour faire continuer les travaux des ateliers."

Fidèle à un argumentaire qui fera ses preuves plus tard, le Sieur Réveillon se présente également comme un entrepreneur parti de rien (Un "self made man" dirait-on de nos jours) :

"Moi qui ai commencé par vivre du travail de mes mains ! Moi qui fais par ma propre expérience, quand mon cœur ne l'apprendrait pas, combien le pauvre a de droits à la bienveillance ! Moi enfin, qui me souviens & qui me suis toujours fait honneur d'avoir été ouvrier & journalier, c'est moi qu'on accuse d'avoir taxé les ouvriers et les journaliers à QUINZE SOUS par jours !"

"Après trois ans d'apprentissage, je me trouvai, pendant plusieurs jours, sans pain, sans asyle, & presque sans vêtement. J'étais dans l'état de désespoir qui est la suite d'une situation si horrible ; je périssais enfin de douleur & d'inanition. Un de mes amis, fils d'un menuisier, me rencontra ; il manquait d'argent, mais il avait sur lui un outil de son métier, qu'il vendit pour m'avoir du pain."

Accédez au texte intégral du "justificatif" par la fenêtre ci-dessous :

     Rangez vos mouchoirs chers amis ! Bien qu'il ait probablement eu quelques difficultés passagères, Réveillon était avant tout fils d'un "bourgeois de Paris" et il connut surtout une vraie réussite entrepreneuriale. En 1753, son apprentissage de trois ans de marchand-papetier à peine achevé, il fut en mesure de racheter l'affaire de son maître à sa veuve, de rembourser les dettes de celui-ci et d'épouser sa fille ! L'outil vendu par son ami menuisier devait être en or massif ! En 1765 Jean-Baptiste Réveillon achètera rue de Montreuil, dans le Faubourg Saint-Antoine, la magnifique propriété de la Folie-Titon pour la convertir en fabrique de papiers peints.

La Folie Titon

    Le mot "folie" ne fait pas référence à l'éventuelle exubérance architecturale du la propriété de Monsieur Titon. On désignait ainsi les maisons de villégiatures ou de réceptions entourées d'un rideau d'arbres, folie étant une altération de feuillée. Cette folie avait été construite en 1673 par Maximilien Titon, directeur des manufactures royales d'armes, comme maison de campagne. Elle recevra en 1784 le nom de « Manufacture royale de papiers peints ».

    Sachez également que c'est à la File Titon, qu'eu lieu le 19 octobre 1783, le premier vol humain, effectué par Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette dans un ballon captif, c'est-à-dire amarré au sol par une corde.


Un faubourg Saint-Antoine pas aussi populaire que ça !

    Attardons-nous un moment sur le faubourg Saint-Antoine, au milieu duquel se situait la fabrique de papiers peints du sieur Réveillon. N'imaginez pas trop vite un faubourg grouillant d'un petit peuple s'affairant au milieu d'échoppes et d'ateliers bruyants. Il y a bien sûr des boutiques et des milliers d'ouvriers travaillent dans ce faubourg. Mais beaucoup viennent d'autres quartiers de Paris, plus populaires et plus éloignés. Regardez ci-dessous l'extrait du fameux plan de Bretez et vous allez découvrir une suite de belles propriétés entourées de hauts murs. La plupart des faubourgs de Paris étaient en fait constitués de belles propriétés et d'édifices religieux, tous entourés de jardins ceinturés de hauts murs.

Le Faubourg Saint-Antoine sur le plan de Bretez

La Folie Titon en 1739

Faubourg Saint-Antoine en 2022.
On reconnait la pointe sur laquelle se situait la Boucherie, et il existe une rue Titon.

Jouez aux historiens et posez-vous des questions

    Je vous propose de lire ci-dessous (si vous le souhaitez) quelques textes qui décrivent et commentent l'événement. Vous ne manquerez pas de découvrir des différences et même quelques points particuliers qui posent questions.

    Qui sont les émeutiers et d'où viennent-ils ?  Un récit nous les décrit descendant de la montagne Sainte-Geneviève par le faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard et les Gobelins. Ils font même un détour par le pont de la Tournelle jusqu'à la place de Grève, afin de pendre et brûler une effigie à une lanterne. Il ne semble pas en tout cas qu'ils s'agissent d'ouvriers de chez Réveillon !

    Que venaient faire là, ces deux Chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, que l'on retrouvera morts parmi les émeutiers ?

    Pourquoi par deux fois le carrosse du Duc d'Orléans traverse-t-il l'émeute ? Dans l'après-midi du 28, le duc d'Orléans, prince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Ce qui lui vaut d'être ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, en route pour assister à des courses de chevaux à Vincennes, permet d'ouvre une brèche et donne l'occasion à la foule de se précipiter dans la manufacture. Vous allez découvrir bientôt le jeu équivoque du Duc d'Orléans, au cours des journées révolutionnaires.

    Pourquoi ni le guet ni la garde n'interviennent-ils pas au début de l'événement ? Vous verrez plus tard que le régiment des gardes françaises se fera remarquer plus tard pour son inaction, voire sa participation lors des événements révolutionnaires… Il faudra finalement que les fougueux cavaliers Croates du Royal Cravate chargent la foule et que les gardes Suisses fassent toner le canon ! (Au fait messieurs, le nom de votre cravate vient précisément de l'écharpe que portait les soldats de ce régiment. C’est le mot Hrvat, forme croate de Croate, qui a donné krvat, puis cravate.)

    Vous constaterez par la suite que ce genre de bizarrerie se reproduira souvent lorsque nous évoquerons d'autres événements révolutionnaires ! Vous comprendrez alors pourquoi certains se posent des questions quant à la nature spontanée de telles émeutes. Des bandes qui surgissent de nulle part, des militaires (souvent les gardes françaises) qui n'interviennent que mollement, le Duc d'Orléans qui passe par là, autant d'ingrédients suffisants pour imaginer un complot. Lorsque nous évoquerons la prise de la Bastille, vous verrez que la confusion sera encore pire ! 

Nota : J'ai conservé l'orthographe de l'époque et je me suis permis de souligner en rouge quelques passages, pour attirer votre attention.

Journal politique ou Gazette des gazettes

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f139.item

La tranquillité de la capitale pendant toutes ces assemblées, avait été parfaite ; mais elle fut cruellement troublée le 27 et le 28. Monsieur Réveillon, propriétaire d'une riche manufacture de papiers peints, établie au faubourg Saint Antoine, s'étant permis quelques propos qui déplurent au Peuple, comme le dire qu'un salaire de 15 sols par jour était suffisant pour la subsistance d'un manouvrier, une quantité de gens armés de bâtons et de pierres tenta, le 27, de détruire la manufacture. Après avoir brisé les vitres de la maison, on voulait en arracher le propriétaire. Un fort détachement de Gardes Françaises vint au secours de ce citoyen qui sut souffrait à la fureur du Peuple. La troupe grossissant à chaque instant, ne pouvant exécuter les violences qu'elle avait projetées, se jette sur la maison du Sieur Henriot, salpêtrier, la pilla, enleva & brûla tous les meubles & effets qui la garnissait. Le 28, l'insurrection devint alarmante : les mutins, au nombre de 4 à 5 mille, ne pouvant être contenus par les Gardes Françaises, ni par les Gardes Suisses, le régiment de Royal-Cravate, cavalerie, s'y joignit, & ce ne fut qu'après bien des efforts qu'on parvint à disperser la multitude animée. Il fallut réprimer son audace à coup de fusil, & il y eut beaucoup de sang répandu de part & d'autre ; mais, grâce au ciel, le calme est enfin rétabli.

Dans ces circonstances, il parut un arrêt du parlement, qui fait défenses à toutes personnes de former aucuns attroupements, d'entrer de force dans les maisons, d'y commettre des excès, &c, à peine d'être poursuivies extraordinairement comme perturbateurs du repos public, & punies suivant la rigueur des ordonnances.

Le 23, le parlement enregistra une déclaration du roi, datée du 28, & par laquelle Sa Majesté attribue à la prévôté la connaissance de ces excès.

Le 29, un jugement prévôtal, rendu à la chambre criminelle du Chatelet, condamne Jean-Claude Gilbert, couverturier, & Antoine Pourrat, gagne-denier, à être pendus à la place de la porte Saint-Antoine, pour attroupement, émeute & sédition.

Journal de Paris

Pas un mot sur l'événement. Etonnant, non ?

Source :


Journal d'un bourgeois de Paris pendant la révolution Hyppolite Monin (à partir de la page 127). Il s'agit d'une version romancée, écrite par un historien spécialiste de la Révolution française.

Source :
https://www.google.fr/books/edition/Journal_d_un_bourgeois_de_Paris_pendant/qikvAAAAYAAJ?hl=fr&gbpv=0

26 avril. Aussitôt réunis à l'Archevêché, les trois ordres se sont séparés, et chacun d'eux a nommé des commissaires pour la rédaction des cahiers définitifs. M. Angran d'Alleray, lieutenant civil au Châtelet, avait été désigné pour présider notre assemblée : il s'est refusé à remplir ses fonctions comme simple citoyen, malgré la disposition où se trouvait l'assemblée de les lui confirmer par élection. Il s'est retiré, mais à portée, avec ses huissiers. Nous avons élu président Me Target, et secrétaire M. Sylvain Bailly. M. le prévôt de Paris, président de la noblesse, est venu nous proposer l’union avec son ordre. Mais chacun pensait à ce mot : Timeo Danaos, et dona ferentes, et tout ce miel ne nous a pas englués. Bien plus, quelques électeurs voulaient obliger à sortir trois anoblis, entre autres un banquier, M. Lecoulteux de la Noraye. La noblesse n'aurait certaine ment pas voulu d'eux et ils seraient demeurés à cheval entre deux selles. Ils se sont excusés sur ce qu'ils avaient obtenu la noblesse par le commerce, et nous les avons gardés, quoiqu'ils eussent dérogé à leur ordre. Mgr de Juigné a été admis comme président du clergé ; mais il a dû congédier sa haute croix qui le précédait partout suivant l'usage. Le clergé a renoncé, ainsi que la noblesse, à tout privilège en fait d'impôt. En rentrant chez moi, je rencontre, rue Saint Séverin, une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres, qui vociféraient, avec des menaces de mort, le nom d'un de nos 42 commissaires élus (Par 103 voix. Le premier était Guillotin, qui eut 239 voix), M. Réveillon, fabricant de papiers peints. J'apprends que, prévenu à temps, M. Réveillon n'est point sorti de l'Archevêché. Je m'informe de ce qu'on lui reproche. Il aurait dit qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour, que le pain était trop bon pour le peuple, etc. Cette accusation est une infâme calomnie : M. Réveillon a été lui- même ouvrier, et s'en est toujours souvenu.

27 avril. Dès avant-hier et durant toute la journée d'hier dimanche, des bandes avinées se portent du côté du faubourg Saint-Antoine, où sont situées, à la Folie-Titon, la maison et la fabrique de M. Réveillon. Le guet et la garde ont laissé faire. Ce matin continue cette singulière émeute contre un particulier jusqu'ici inconnu de la foule, et considéré par ses amis comme la bonté et la bienfaisance mêmes. Une de ces troupes, que j'ai suivie, pouvait bien compter cinq à six cents mutins. Ils ne portaient d'autres armes que des bâtons, avec un papier blanc au bout. Ils s'arrêtaient pour boire, et payaient. De la montagne Sainte - Geneviève, ils sont descendus au faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard, aux Gobelins : le poste des gardes françaises devant lequel ils sont passés, n'a pas bougé. Ils sont revenus par la rue Saint-Victor et celle des Fossés-Saint Bernard, ont volé des bûches au chantier, puis, par le pont de la Tournelle, se sont arrêtés place de Grève. Là, le plus grand de la bande a crié un « Arrêt du tiers état qui condamne les nommés Réveillon et Henriot (Salpêtrier, voisin de Réveillon) à être pendus et brûlés en place publique ». Ils ont accroché à une potence l'effigie d'un homme peinte sur un morceau de carton. Ils ont brûlé un autre mannequin. Pendant cette exécution, une autre troupe avait gagné le faubourg Saint-Antoine. Mais la maison Réveillon était entourée par les gardes françaises, qui avaient élevé de solides barricades. Il n'y a pas eu de sang versé, le duc du Châtelet et le comte d'Affry ayant recommandé aux soldats la plus grande modération. Le soir, les boutiquiers des rues Saint- Denis, Saint-Martin, Saint- Antoine, etc. , qui avaient fermé, rouvrent en partie.

28 avril, MM. Réveillon et Henriot ont été mis en sûreté à la Bastille. Les gardes françaises ont été renforcées des gardes suisses, du guet, de la maréchaussée. Mais une des barricades a été affranchie pour laisser passer Mme la duchesse d'Orléans, qui allait à une course de chevaux à Vincennes. Les soldats ont été aussitôt assaillis de pierres, de tuiles, et même de débris de cheminées. Ils ont fait feu. Après-midi, le Royal-Cravate a chargé la foule. Quant à la maison, elle a été saccagée de fond en comble. Vers 5 heures, le Pont-Neuf, le Pont-au-Change, le boulevard de la Porte-Saint-Antoine, sont remplis d'une foule compacte. Le peuple arrête les voitures, fait descendre hommes ou femmes, et les oblige à crier : Vive le Roi ! Vive M. Necker ! Vive le Tiers État ! Le Parlement a rendu un arrêt contre les rassemblements illicites.

29 avril. - M. Réveillon se justifie, ou plutôt il explique l'origine des perfidies dont il est victime. Il a, cet hiver, payé 18 sous par jour 200 ouvriers à ne rien faire, les couleurs étant gelées, et tout travail impossible. Il aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât de prix. A la Folie - Titon, il n'y a plus que les quatre murs : heureusement, dès avant-hier, Mme Réveillon avait mis en sûreté ses papiers et ses bijoux. — Sept individus ont été trouvés morts ivres ou empoisonnés dans les caves ; plusieurs centaines d'émeutiers ou de curieux ont été tués ou blessés, deux chevaliers de Saint- Louis dans le nombre. Sur les sept heures du soir deux des assaillants, jugés prévôtalement, sont pendus devant la Bastille, et leurs cadavres enlevés une heure après. — Hélas ! Nous avons eu bien pire que le Champ de Mont morin .

30 avril. – La foule va en procession au faubourg Saint-Antoine. On ne sait que penser de cette étrange sédition : on croit qu'elle a été préparée de longue main, mais qu'elle n'a pu mûrir assez tôt pour empêcher nos élections. On a aussi surpris deux meneurs dans un galetas d'une ignoble maison, rue des Prêtres Saint-Séverin : or le curé de Saint- Séverin donne avis que, quelques jours avant l'émeute du 27, on voyait souvent venir des personnes de qualité dans cette maison. La crainte et la défiance sont dans tous les cours, au moment où il n'est question dans la plupart des écrits avoués par leurs auteurs que de la fraternité des ordres, du Roi notre bon père à tous, etc. La haine, envie, l'orgueil, la cruauté font tomber les masques l'un après l'autre.

Adrien Joseph Colson, courrier du 3 mai 1789

    Adrien Joseph Colson, avocat au Parlement de Paris et intendant de la famille de Longaunay, écrivit de 1780 à 1793, au rythme de la poste, soit deux fois par semaine, à Roch Lemaigre, régisseur des terres du Berry de cette famille. Il raconte, de son point de vue, les événements révolutionnaires. A noter qu'il rapporte plus qu'il ne témoigne.

(…) Au moment encore où j'écrivais ma dernière lettre (28 avril), il se passait au faubourg Saint-Antoine une scène sérieuse de désordres qui ensanglantaient les rues et jusqu'aux toits des maisons de ce Faubourg. Quelques jours avant cet événement, la crapule de ce faubourg, prétendant qu'un sieur Réveillon avait dit qu'il ne trouvait pas le pain trop cher et qu'il était à un taux raisonnable, s'en est tellement offensée qu'elle s'est mise à le chercher tous les jours pour le tuer. Ne le trouvant pas, et le nombre de cette crapule augmentant tous les jours, elle s'est enhardie et animée au point de brûler tous ses effets et, le lendemain ou deux jours après, elle a incendié sa maison. Déjà une partie se portait en foule dans les rues de Paris et une autre s'y répandait par pelotons : et ceux-ci faisaient les premiers essais du brigandage en arrêtant les voitures et quelque fois les gens de pied bien mis pour en extorquer de l'argent. Tous ces excès réunis ont obligé, au moment où j'écrivais ma lettre, à faire marcher au faubourg saint Antoine où était le centre de ces brigands un corps considérable de troupes formé de différends détachements des gardes françaises, un des gardes suisses, le régiment entier de royal cravate cavalerie et d'autres corps qui se trouvaient autour de Paris. Les gardes suisses avaient conduit avec eux leurs canons. La crapule du faubourg a eu le front et la témérité de monter sur le toit des maisons et dans les chambres et de lancer des pierres qu'elle avait amassée, des tuiles et tout ce qu'elle avait, sur les troupes. Elle a tué quelques soldats du régiment du royal cravate et en a blessé quelques-uns des gardes françaises. Mais on lui a tué et blessé bien du monde. Un grenadier des gardes françaises a dit à quelqu'un de qui je le tiens qu'à sa part il en avait tué cinq sur les toits au moment où il les voyait mesurer leur coup sur les toits avec des tuiles sur ses camarades. Le lendemain de cette scène on a pendu deux de ces brigands : cela a rétabli le calme un jour ou deux. Mais on dit que l'avant dernière nuit cette canaille a été ouvrir les prisons et les salles de force de Bicêtre, ce qui annonce qu'elle n'en restera pas là et qu'il faudra de nouveaux coups de vigueur contre elle. (…) Vous savez sans doute qu'à Orléans il s'est passé des scènes aussi terribles qu'ici au faubourg Saint-Antoine. (…)


1762 à 1789 journal anecdotique de Paris et Versailles (Pages 377 et 378)

Source : https://www.google.fr/books/edition/Paris_et_Versailles/9O9AAQAAMAAJ?hl=fr&gbpv=0

Voici les nouvelles de Paris, du 29 avril : Notre tour est venu, la révolte a éclaté avant-hier 27, mais pour toute autre cause que celle des grains. Les ouvriers du faubourg Saint-Antoine avaient été ameutés contre un sieur Réveillon, propriétaire d'une grosse manufacture de papier peint. On l'accusait d'avoir soutenu dans l'assemblée de son district qu'un ouvrier pouvait vivre avec 15 sols par jour et qu'il fallait diminuer les salaires ; ce qui était faux. Les ouvriers promenèrent lundi un mannequin, le représentant, qu'ils brûlèrent. Ils ne purent forcer sa maison, qu'un détachement des gardes défendaient ; ils s'en vengèrent sur celle d'un salpêtrier, son ami, en brûlant tous les meubles et effets au milieu de la rue. Le guet, les gardes françaises, soutenus par cent chevaux des Cravates, dissipèrent les mutins vers minuit. Il aurait fallu en pendre de bon matin deux ou trois qui avaient été arrêtés. Point du tout, on ne fit rien. Les ouvriers se réunirent hier de bonne heure, ils repoussèrent les troupes, et cette fois ils par vinrent à forcer la maison de Réveillon. Les tuiles, les cheminées pleuvaient sur les soldats. L'ordre vint de tirer, les Cravates chargent, il y a un carnage affreux. Les ouvriers, ivres de vin et de liqueurs, trouvés dans les caves se défendent en désespérés. A 8 heures, les gardes suisses arrivent avec du canon. Ce n'est qu'à minuit qu'on est maître du champ de bataille. On compte deux cents hommes au moins de tués. Les troupes en ont plusieurs de blessés et trois ou quatre tués. A la première décharge des troupes, quinze jeteurs de tuiles et briques ont déniché de dessus les toits. Vous voyez que ce n'est pas la même cause que pour les grains.

Godechot : La prise de la Bastille, 1965 (via Guillemin page 29).

Source : https://echosdeslumieres.home.blog/2019/04/11/merci-patron-1789-laffaire-reveillon/ 

Le bruit se répand dans Paris, que Réveillon, un marchand de papier peint du faubourg Saint-Antoine, aurait déclaré que ses ouvriers pouvaient bien vivre avec 15 sous par jours. On le traite d’affameur (le pain coûte de 13 à 13,5 sous). En vérité Réveillon n’avait pas dit cela. C’était un brave homme qui devant mettre au chômage une partie de son personnel, à cause de la concurrence anglaise, les avait payés quand même et avait déclaré qu’il faudrait une réduction des prix des denrées de bases, pour qu’un ouvrier puisse vivre avec 15 sous par jours.

La troupe ouvre le feu (12 soldats et près de 300 manifestants tués).

Herodote.net

Source : https://www.herodote.net/27_28_avril_1789-evenement-17890427.php

Jean-Baptiste Réveillon dirige une grande manufacture de papiers peints dans la rue de Montreuil, la Folie-Titon. Il fournit ainsi de l'emploi à trois cents ouvriers.

Obligé de réduire ses effectifs en raison de la concurrence anglaise induite par le Traité Franco-britannique ‘Eden-Rayneval’ (1786), il a octroyé une allocation chômage à ceux dont il a dû se séparer. Cette initiative originale témoigne de ses idées progressistes...

Autre témoignage de son ouverture d'esprit : le 23 avril 1789, il suggère au gouvernement du roi Louis XVI de supprimer les octrois, taxes prélevées sur les marchandises à l’entrée dans la capitale. Cette mesure devrait faire baisser les prix des biens de consommation courante. Et si les prix baissent, il deviendra loisible aux employeurs de baisser aussi les salaires de leurs ouvriers. CQFD. La proposition est reprise par un fabricant de salpêtre, Henriot.

Mais cet argumentaire libéral d’avant-garde, diffusé dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, où travaillent une quarantaine de milliers d'ouvriers, artisans et compagnons, n’a pas l’heur de plaire à la population laborieuse qui n'en retient que la menace d'une baisse de salaire.

Ce petit peuple est irrité par ailleurs de n'avoir pas été autorisé à participer aux élections aux états généraux, qui doivent se réunir à Versailles au début mai.

Des manifestations spontanées se forment çà et là. Les effigies de Réveillon et Henriot sont brûlées dans la nuit du 26 au 27 avril en place de Grève, devant l'Hôtel de ville, aux cris de « Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! ». La maison de Réveillon est pillée.

Le lendemain, plusieurs milliers de personnes investissent la manufacture Réveillon, sous la surveillance de quelques troupes, gardes françaises, gendarmes à cheval, cavaliers du Royal Cravates. En soirée, comme les troupes doivent s'écarter pour faire de la place au carrosse du duc d'Orléans, la foule en profite pour entrer dans la manufacture et la mettre au pillage. Tout est saccagé et brûlé.

Là-dessus intervient la troupe. C’est l’affrontement. Avec douze morts parmi les forces de l’ordre et au moins une centaine parmi les émeutiers, la journée s’avère plus meurtrière que toutes celles qui suivront.

Histoire de la Révolution française par l'historien Jules Michelet

Les électeurs, sous un président de leur choix, siégeaient à l’Archevêché ; ils allaient procéder à la fusion des cahiers de districts et à la rédaction du cahier commun ; ils s’accordaient déjà sur une chose, que Sieyès avait conseillée, l’utilité de placer en tête une déclaration des droits de l’homme. Au milieu de cette délicate et difficile besogne métaphysique, un bruit terrible les interrompit. C’était la foule en guenilles qui venait demander la tête d’un de leurs collègues, d’un électeur, Réveillon, fabricant de papier au faubourg Saint-Antoine. Réveillon était caché ; mais le mouvement n’en était pas moins dangereux. On était déjà au 28 avril ; les États généraux promis pour le 27, puis remis encore au 4 mai, risquaient fort, si le mouvement durait, d’être ajournés de nouveau.

Il avait commencé précisément le 27, et il n’était que trop facile de le propager, le continuer, l’agrandir, dans une population affamée. On avait répandu dans le faubourg Saint-Antoine que le papetier Réveillon, ex-ouvrier enrichi, avait dit durement qu’il fallait abaisser les journées à quinze sols ; on ajoutait qu’il devait être décoré du cordon noir. Sur ce bruit, grand mouvement. Voilà d’abord une bande qui, devant la porte de Réveillon, pend son effigie décorée du cordon, la promène, la porte à la Grève, la brûle en cérémonie sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville, sous les yeux de l’autorité municipale, qui ne s’émeut pas. Cette autorité et les autres, si éveillées tout à l’heure, semblent endormies. Le lieutenant de police, le prévôt des marchands Flesselles, l’intendant Berthier, tous ces agents de la cour, qui naguère entouraient les élections de soldats, ont perdu leur activité.

La bande a dit tout haut qu’elle irait le lendemain faire justice chez Réveillon. Elle tient parole. La police, si bien avertie, ne prend nulle précaution. C’est le colonel des gardes françaises qui de lui-même envoie trente hommes, secours ridicule ; dans une foule compacte de mille ou de deux mille pillards et cent mille curieux, les soldats ne veulent, ne peuvent rien faire. La maison est forcée, on brise, on casse, on brûle tout. Rien ne fut emporté, sauf cinq cents louis en or. Beaucoup s’établirent aux caves, burent le vin et les couleurs de la fabrique, qu’ils prirent pour du vin.

Chose incroyable, cette vilaine scène dura tout le jour. Remarquez qu’elle se passait à l’entrée même du faubourg, sous le canon de la Bastille, à la porte du fort. Réveillon, qui y était caché, voyait tout des tours. On envoyait de temps à autre des compagnies de gardes françaises qui tiraient, à poudre d’abord, puis à balles. Les pillards n’en tenaient compte, quoiqu’ils n’eussent que des pierres à jeter. Tard, bien tard, le commandant Besenval envoya des Suisses, les pillards résistèrent encore, tuèrent quelques hommes ; les soldats répondirent par des décharges meurtrières qui laissèrent sur le carreau nombre de blessés et de morts. Beaucoup de ces morts, en guenilles, avaient de l’argent dans leurs poches.

Si, pendant ces deux longs jours où les magistrats dormirent, où Besenval s’abstint d’envoyer des troupes, le faubourg Saint-Antoine s’était laissé aller à suivre la bande qui saccageait Réveillon, si cinquante mille ouvriers, sans travail, sans pain, s’étaient mis, sur cet exemple, à piller les maisons riches, tout changeait de face ; la cour avait un excellent motif pour concentrer une armée sur Paris et sur Versailles, un prétexte spécieux pour ajourner les États. Mais la grande masse du faubourg resta honnête et s’abstint ; elle regarda, sans bouger. L’émeute, ainsi réduite à quelques centaines de gens ivres et de voleurs, devenait honteuse pour l’autorité qui la permettait. Besenval trouva, à la fin, son rôle trop ridicule, il agit et finit tout brusquement. La cour lui en sut mauvais gré ; elle n’osa le blâmer, mais ne lui dit pas un mot.

Le Parlement ne put se dispenser, pour son honneur, d’ouvrir une enquête, et l’enquête resta là. On a dit, sans preuve suffisante, qu’il lui fut fait défense, au nom du roi, de passer outre.

Quels furent les instigateurs ? Peut-être personne. Le feu, dans ces moments d’orage, prend bien de lui-même. On ne manqua pas d’accuser « le parti révolutionnaire ». Qu’était-ce que ce parti ? Il n’y avait encore nulle association active.

On prétendit que le duc d’Orléans avait donné de l’argent. Pourquoi ? Qu’y gagnait-il alors ? Le grand mouvement qui commençait offrait à son ambition trop de chances légales pour qu’à cette époque il eût besoin de recourir à l’émeute. Il était mené, il est vrai, par des intrigants prêts à tout ; mais leur plan, à cette époque, était entièrement dirigé vers les États généraux ; seul populaire entre les princes, leur duc, ils s’en croyaient sûrs, allait y jouer le premier rôle. Tout événement qui pouvait retarder les États leur paraissait un malheur.

Qui désirait les retarder ? Qui trouvait son compte à terrifier les électeurs ? Qui profitait à l’émeute ?

La cour seule, il faut l’avouer. L’affaire venait tellement à point pour elle qu’on pourrait l’en croire auteur. Il est néanmoins plus probable qu’elle ne la commença point, mais la vit avec plaisir, ne fit rien pour l’empêcher et regretta qu’elle finît. Le faubourg Saint-Antoine n’avait pas alors sa terrible réputation ; l’émeute sous le canon même de la Bastille ne semblait pas dangereuse.

Histoire de la Révolution française par Adolphe Thiers, homme politique et historien.

Source :
https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_la_R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise_(Thiers)/1

La cour ne voulut point influencer les élections ; elle n’était point fâchée d’y voir un grand nombre de curés ; elle comptait sur leur opposition aux grands dignitaires ecclésiastiques, et en même temps sur leur respect pour le trône. D’ailleurs elle ne prévoyait pas tout, et dans les députés du tiers elle apercevait encore plutôt des adversaires pour la noblesse que pour elle-même. Le duc d’Orléans fut accusé d’agir vivement pour faire élire ses partisans, et pour être lui-même nommé. Déjà signalé parmi les adversaires de la cour, allié des parlements, invoqué pour chef, de son gré ou non, par le parti populaire, on lui imputa diverses menées. Une scène déplorable eut lieu au faubourg Saint-Antoine ; et comme on veut donner un auteur à tous les évènements, on l’en rendit responsable. Un fabricant de papiers peints, Réveillon, qui par son habileté entretenait de vastes ateliers, perfectionnait notre industrie et fournissait la subsistance à trois cents ouvriers, fut accusé d’avoir voulu réduire les salaires à moitié prix. La populace menaça de brûler sa maison. On parvint à la disperser, mais elle y retourna le lendemain ; la maison fut envahie, incendiée, détruite. Malgré les menaces faites la veille par les assaillants, malgré le rendez-vous donné, l’autorité n’agit que fort tard, et agit alors avec une vigueur excessive. On attendit que le peuple fût maître de la maison ; on l’y attaqua avec furie, et on fut obligé d’égorger un grand nombre de ces hommes féroces et intrépides, qui depuis se montrèrent dans toutes les occasions, et qui reçurent le nom de brigands.

Tous les partis qui étaient déjà formés s’accusèrent : on reprocha à la cour son action tardive d’abord, et cruelle ensuite ; on supposa qu’elle avait voulu laisser le peuple s’engager, pour faire un exemple et exercer ses troupes. L’argent trouvé sur les dévastateurs de la maison de Réveillon, les mots échappés à quelques-uns d’entre eux, firent soupçonner qu’ils étaient suscités et conduits par une main cachée ; et les ennemis du parti populaire accusèrent le duc d’Orléans d’avoir voulu essayer ces bandes révolutionnaires.

Ce prince était né avec des qualités heureuses ; il avait hérité de richesses immenses ; mais, livré aux mauvaises mœurs, il avait abusé de tous ces dons de la nature et de la fortune. Sans aucune suite dans le caractère, tour à tour insouciant de l’opinion on avide de popularité, il était hardi et ambitieux un jour, docile et distrait le lendemain. Brouillé avec la reine, il s’était fait ennemi de la cour. Les partis commençant à se former, il avait laissé prendre son nom, et même, dit-on, jusqu’à ses richesses. Flatté d’un avenir confus, il agissait assez pour se faire accuser, pas assez pour réussir, et il devait, si ses partisans avaient réellement des projets, les désespérer de son inconstante ambition.

Wikipedia !

Nota : Je trouve intéressant de donner la version de WIKIPEDIA au 21 mai 2022, non seulement parce qu'elle est bien renseignée, mais aussi parce que je me suis rendu compte que les articles de Wikipedia changeaient parfois très fortement au fil du temps.

Le déclenchement de la révolte

Jean-Baptiste Réveillon est un entrepreneur à la tête de la Manufacture royale de papiers peints employant 300 travailleurs et installée à la Folie Titon, dans les jardins de laquelle s'élève la première montgolfière, le 19 octobre 1783. Ce lieu, aujourd'hui disparu, se situait sur l'actuelle rue de Montreuil, près de la station de métro Faidherbe-Chaligny, à Paris, une plaque en témoigne.

Depuis la signature du traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre, en l'an 1786, les importations textiles anglaises à bas prix inondent le marché français. Les entreprises françaises du textile ont de plus en plus de mal à écouler leurs marchandises. En l'espace de quatre ans, les exportations anglaises ont quintuplé en valeur.

Après un hiver particulièrement rigoureux, le prix du pain augmente fortement dans les premiers mois de 1789. La tension est augmentée par l'ouverture prochaine des États généraux qui doivent se tenir à Versailles, mais qui est finalement reportée au 5 mai. Les élections des députés du Tiers-État ne sont pas encore terminées à Paris et les ouvriers et les apprentis compagnons n'ont pas le droit de vote, plus restrictif qu'ailleurs dans le royaume. La menace de la disette et du chômage, l'exclusion des assemblées électorales du tiers état mécontentent les habitants des populaires faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel.

Le 23 avril, au cours d'une assemblée d'électeurs du tiers état, Réveillon aurait tenu des propos inquiétants sur les salaires des ouvriers. Il aurait regretté le bon vieux temps où les ouvriers étaient payés 15 sous par jour au lieu de 25 alors. Selon une deuxième interprétation, ce patron nourri d'idées libérales aurait suggéré de supprimer l'octroi afin de diminuer le prix d'importation de la farine et donc le prix du pain, l'autorisant ainsi à baisser les salaires. Un autre patron, Henriot (ou Hanriot), fabricant de salpêtre, partage son opinion. Quoi qu'il en soit, parmi le peuple, le bruit se répand que Réveillon veut baisser les salaires. Dès le soir, son nom est conspué. La rumeur est répétée et commentée dans les cabarets et les ateliers, si bien que le mécontentement finit par exploser.

Le déroulement

Le lundi 27 avril, des milliers de chômeurs, d'ouvriers, d'artisans, de petits patrons, de débardeurs s'ameutent près de la Bastille, puis se dirigent vers l'hôtel de ville, aux cris de « Mort aux riches ! Mort aux aristocrates ! Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! À bas la calotte ! À l'eau les foutus prêtres ! » Place de Grève, sont brûlées les effigies de Réveillon et d'Henriot. Devant l'hôtel de ville, une délégation de bourgeois envoyée par l'assemblée électorale convainc les manifestants de se disperser. Mais la colonne se dirige vers la manufacture et l'hôtel de Réveillon. Un détachement d'une cinquantaine de gardes-françaises leur en interdisant l'accès, les manifestants se rabattent sur la maison d'Henriot, laquelle n'est pas protégée. Le salpêtrier et sa famille ont juste le temps de s'enfuir au donjon de Vincennes avant que leur maison ne soit saccagée et pillée.

Le lendemain, 28 avril, un nouveau rassemblement se tient devant l'hôtel et la manufacture de Réveillon, mais les forces de l'ordre, renforcées depuis la veille et retranchées derrière des barricades, tiennent à distance la foule houleuse et désarmée. Dans l'après-midi, le duc d'Orléansprince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Il est ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, ouvre une brèche temporaire dans les barricades. Les émeutiers en profitent pour forcer l'entrée de l'hôtel et tout saccager. Des fenêtres et du haut des toits, ils lancent des tuiles et des meubles sur la troupe. Exaspérés, les gardes tirent. Cette riposte tue un nombre indéterminé d'émeutiers, selon le commissaire du Châtelet, 900 selon le marquis de Sillery, un soulèvement particulièrement meurtrier en considérant la fourchette haute. Du côté des soldats, le bilan s'établit plus sûrement à 12 tués et 80 blessés. Jusqu'à dix heures du soir, le lieutenant de police Thiroux de Crosne quadrille le faubourg Saint-Antoine et fait pourchasser les séditieux jusqu'au faubourg Saint-Michel.

Le 29 avril, il en fait pendre deux.

Analyses et interprétations

Selon l'historienne Raymonde Monnier, qui note l'absence des salariés de Réveillon dans l'émeute du 28 avril, cette affaire Réveillon n'est pas un « affrontement entre patrons et ouvriers ». Motivée par l'augmentation du prix du pain et donc par la faim et la misère, elle se rattache aux émeutes de subsistance, typiques de l'Ancien Régime. En même temps, se dessinent les caractères d'une journée révolutionnaire : le peuple se réclame du tiers état et lance des slogans nouveaux tels que « Liberté ». À dix jours de l’ouverture des États généraux, les Parisiens les plus pauvres, exclus du scrutin, s'impatientent et entendent exprimer, par la force, leurs revendications. De ce point de vue, ces journées peuvent être vues comme le premier soulèvement populaire de la Révolution.

Les événements du faubourg Saint-Antoine sont certainement spontanés, mais des contemporains ont pensé à une action commanditée et alimenté la thèse du complot. Certains y ont vu la main de l'Angleterre ou des aristocrates. Rétif de la Bretonne, dans Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, accuse « Aristocratie » d'avoir acheté des bons à rien pour aller attaquer Réveillon. Plus précisément, la rumeur pointa du doigt le duc d’Orléans. Le baron de Besenval et Jean-François Marmontel le rapportent dans leurs mémoires respectifs. L'historienne Évelyne Lever estime qu'aucune preuve ne désigne Louis-Philippe d'Orléans. De même, Jean-Christian Petitfils disculpe le prince, « agitateur inconséquent » mais trop dilettante pour mener une conspiration. Par contre, la faction Orléans, qu'animait notamment Choderlos de Laclos, a pu agir pour son compte. On comprendrait alors mieux pourquoi, pris dans l'émeute, ni le carrosse du duc, ni celui de la duchesse ne furent pris à partie par la foule excitée.

Conclusion

Il y a bien sûr énormément d'autres versions. Je complèterai d'ailleurs ultérieurement cet article avec de nouvelles, afin que nous prenions mieux la mesure des variantes, en pesant même le poids de certains mots...

A propos, avez-vous remarqué la version "libérale" du site Hérodote.net ? Pour faire contrepoids, je vous suggère de lire la version très complète, très renseignée et très politisée du site "Ploutocratie.com" 😉

Merci pour votre lecture. Surtout si vous êtes arrivés à la fin de cet article !

A suivre !


Plaques commémoratives au numéro 31 bis de la rue de Montreuil à Paris.