jeudi 13 août 2020

Rendons hommage et justice à Louise Félicité de Keralio !

Louise Félicité Guinement de Keralio

Injustement oubliée

    Voici une femme étonnante, qui malgré son histoire incroyable et ses multiples talents, est tombée dans les oubliettes de l'histoire ! Louise Félicité de Keralio mérite grandement d’être redécouverte.

    Elle fut la première femme journaliste et la première femme à fondatrice et rédactrice d'un journal. 

    Elle fut la première historienne reconnue comme telle par ses pairs. 

    De plus, nombre de ses idées ont ensemencé joliment la révolution !

Vivre libre ou mourir (ça vous dit quelque chose ?)

    Louise Keralio a fondé à Paris, le 13 août 1789, "le Journal d'État et du citoyen" dont l'épigraphe était "Vivre libre ou mourir". Cette devise deviendra célèbre sous la première République née de l'abolition de la monarchie le 21 septembre 1792 (le lendemain de la victoire de Valmy).

Voici l'extrait du numéro du 15 novembre 1789 :


Voici un prospectus de ce journal sauvegardé par la bibliothèque de Chicago :



Une carrière étonnante

    Louise Félicité dirigera ensuite "Le Mercure national, ou Journal d'État et du citoyen", puis "Le Mercure national et Révolutions de l’Europe" et enfin "Le Mercure national et étranger, ou Journal politique de l’Europe".

    Elle avait déjà créé en 1786, avec Jean Lagrange, une société "pour exploiter un commerce de librairie" qu'elle avait installé chez elle au 17 rue de Grammont à Paris.

    Le 3 février 1787 elle avait été élue à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, dont Robespierre était alors le président.

    En juin 1787, Jacques Mallet du Pan avait écrit dans le Mercure de France pour commenter "l'Histoire d'Élisabeth, reine d’Angleterre", rédigée par l’étonnante Louise : "Il existe une foule accablante d'histoires, d'historiographes et très peu d'historiens. Jusqu'ici nous n'avions pas vu en France d'historienne ; Mlle de Kéralio est je pense la première."

    En décembre 1790, elle publiera dans son journal un article intitulé "Sur l'influence des mots et le pouvoir du langage"elle proposera d'introduire le tutoiement en signe de fraternité.

    Par la suite elle sera également à l'origine de la disparition de Monsieur ou Madame au profit de citoyen et citoyenne !

    Elle animera des "Sociétés de femmes", comme la Société fraternelle de l'un et l'autre sexe.

    Elle se battra également contre l'esclavage colonial ! (Au contraire de la fameuse Olympe de Gouge).

Trop républicaine...

    Elle animera, d'abord chez ses parents dans leur appartement du deuxième étage de l'immeuble situé au 17 rue de Grammont, puis au 2 rue des Marais Saint-Germain, et enfin au 10 rue de Condé, un club dans lequel naîtront l'idée du républicanisme adapté à la France et le parti républicain.

    Mariée par contrat le 14 mai 1792 avec Pierre-François-Joseph Robert, membre du club des Cordeliers, son républicanisme fut certainement enrichi par les idées diffusées par ce club très populaire et très engagé dans la Révolution. Les Cordeliers demanderont le 21 juin 1791 la déchéance de Louis XVI qui venait de s'enfuir, ils organiseront la manifestations du Champs de Mars le 17 juillet suivant (à laquelle Louise participera), et ils seront très actifs dans l'insurrection du 10 août 1792 qui conduira à l'emprisonnement de Louis XVI puis à l'abolition de la monarchie le 21 septembre 1792.

Louise Félicité de Keralio

Pas assez féministe !

    Louise Félicité n'avait rien à envier en qualités à Olympe de Gouge dont la célébrité tient beaucoup à une récupération politique très contemporaine, même si très honorable puisque défendant la cause des femmes (Voir mon article du 9 juillet dernier). 

    Hélas, malgré tous ses engagements, sa participation à des sociétés fraternelles mixtes, et même sa proximité durant un temps avec la féministe Etta Palm d'Aelders, Louise Félicité de Keralio avait une vision plutôt conservatrice de la position de la femme dans la société (position qui sera d'ailleurs cause de sa rupture intellectuelle avec Etta Palm qu'elle accusera d'être une espionne et une mauvaise fille.).

    À titre d’exemple, dans un numéro de son journal, dans lequel un homme appelait les femmes à participer aux assemblées primaires pour voter aux élections municipales, elle avait répondu que « le plus grand bien que la constitution puisse faire, c’est d’écarter à jamais les femmes [du gouvernement] » pour ensuite assigner aux femmes leur place : le foyer, et leur rôle, l’éducation des enfants. Hum, hum... 😕

    En cette période de relecture féministe de l'histoire, ce genre d'opinion ne peut guère aider à la redécouverte de cette étrange républicaine (à la solde du patriarcat) 😉


Pourquoi cet oubli ?

    Son manque de féminisme n'explique pas tout. J'ai remarqué que les historiens avaient retenu plus volontiers dans leurs ouvrages, les belles dames qui tenaient des salons comme Madame Roland ou les très belles dames qui avaient eu l'honneur d'être portraiturée par Elisabeth Vigée Lebrun, plutôt que les femmes vraiment engagées dans la Révolution, les femmes trop révolutionnaires, voire pire, trop républicaines...


Les autres oubliées...

    Beaucoup de femmes s'engagèrent activement dans la Révolution, prenant bien volontiers les armes. La colère des femmes fut même à l'origine de nombreuses émeutes révolutionnaires, comme celles des journées des 5 et 6 octobre 1789, qui constituèrent un tournant majeur de la révolution. Certaines s'engagèrent même dans l'armée en dissimulant leur sexe et combattirent vaillamment.

    L'émancipation des femmes figure indiscutablement parmi les idées novatrices qui germèrent durant la Révolution. Comme nombre d'autres, celle-ci fut combattue, puis vaincue pour un temps; pour un temps seulement car la graine était plantée et elle finirait par fleurir un jour et porter ses fruits.

  Si je dispose de suffisament de temps, je vous parlerai de Louise Reine Audu, Pauline Léon, Claire Lacombe, Marie Charpentier, Reine Chapuis, les citoyennes Lavarenne et Tournée, la citoyenne lieutenant Lecuyer, l'amazone Théroigne de Méricourt, la canonière Catherine Pochetat, la citoyenne Montorcier, Anne Quatresols, Angélique Duchemin, la lieutenant Ursule Aby, Marie Schellinck, Pélagie Dulière, Thérèse Figueur (dite Sangène), les sœurs guérrières Félicité et Théophile Fernig, Rose Barreau (dite Liberté), Madame de Moulin, Rose Bouillon, Thérèse Touay dit le Diable, Clémence Alibert, Chamoton épouse Legelée, Françoise Drouet, Marie-Cécile Fiteau (de Nevers), la vendéenne Elisabeth Bourgé, Marie Saulnier...


Plus d'infos sur Louise Félicité ?

Je vous propose de lire ces articles :

Louise de keralio-robert, pionnière du républicanisme sexiste

Chez la journaliste Louise de Keralio

Cercles politiques et « salons » du début de la Révolution


Voici également quelques-uns de ses écrits :

    Un texte court, son "Adresse aux femmes de Montauban", publiée en 1790.







    Cette page de Gallica liste tous ses écrits disponibles : "Robert Louise-Félicité Guinement de Keralio


Le petit mot du citoyen Basset

 Bonjour citoyennes et citoyens !

    Je continue de travailler pour vous en regroupant, comparant et analysant nombre de documents.



    Je suis conscient du fait que mes articles quotidiens sur ma page Facebook sont parfois rédigés trop vite (beaucoup de coquilles que je découvre plus tard, horrifié !). Raison pour laquelle je travaille à vous construire un site web, où vous retrouverez tous mes articles, relus, corrigés (j'espère) et augmentés, quand ce sera possible.

    Le plus pénible dans tout cela, ce n'est pas le travail, mais les inévitables messages que je reçois, où de pauvres hères me ressortent leurs litanies bien apprises sur les méchants révolutionnaires et les gentils nobles. S'ils avaient lu mes précédents articles ils auraient découvert que ce sont précisément les nobles qui ont commencé la révolution en s'opposant au roi, mais passons.

    Il m'était plus facile de leur répondre par mon grand sourire bonhomme et désarmant, appuyé de quelques arguments, lorsque je faisais de la reconstitution historique. Je parvenais toujours à trouver un point d'accord sur un détail, qui si minime soit-il, constituait alors une fragile passerelle permettant un dialogue apaisé (même avec un Chouan). 



    Mais sur Facebook, c'est plus compliqué. Rien de plus facile en effet, que d'imaginer son interlocuteur plutôt que de l'écouter, en projetant sur lui tous ses a priori et fantasmes divers. Malgré mes efforts de compréhension envers chacun des partis engagés dans la tempête révolutionnaire, je ne peux pas empêcher certains de me voir comme un buveur de sang rempli de haine et de ressentiment ; ce qui fait bien rire ceux qui me connaissent !

    La Révolution française n'est qu'un événement historique parmi d'autres. L'enchainement des événements qui s'y sont produits, correspond à ce que j'appelle de la "mécanique humaine". C'est une expression que j'ai reprise de la physique qui traite par exemple de la mécanique des fluides. Placés dans certaines conditions précises, les groupes humains réagissent presque toujours de la même façon, en fonction de leurs déterminismes divers, hérités de l'évolution de l'espèce humaine. Il n'est pas question de bien ou de mal, mais de comportements adaptés ou pas, à un nouvel environnement social, de réactions utiles ou non, à l'espèce humaine. A l'origine nous sommes des prédateurs, pas des anges. La violence fait partie de notre héritage. Ce n'est ni bien ni mal. Celle-ci nous a longtemps été utile pour survivre. 

    Le peuple était violent et inculte ? Oui, en partie, mais qui l'avait rendu ainsi, si ce n'était la société d'ancien régime ? Nous verrons les efforts de certains révolutionnaires pour canaliser cette violence et pour dresser les bases d'une instruction dudit peuple. Il faudra beaucoup de temps encore pour que ce dont se nourrit la violence, à savoir la misère et l'ignorance, disparaissent peu à peu. Plus nous progresserons, moins la violence sera efficace et plus deviendra indispensable l'intelligence seule.

    La révolution a correspondu a une accélération momentanée du progrès. Nous verrons qu'elle ne durera que peu de temps et que très vite tout reviendra dans l'ordre (Rétablissement de l'esclavage, rappel des nobles, soumission au Pape, suppression du suffrage universel et accaparement des richesses par toujours la même minorité malade de l'argent).

    Ce n'est ni bien ni mal. L'humanité progresse ainsi, par petits bons et reculs, la somme de chacun marquant la petite marge du progrès.


Bon, voilà, je retourne travailler.


Salut et Fraternité (comme on disait en 1792)


Le citoyen Basset prêchant la "bonne parole"



mercredi 12 août 2020

12 Août 1789 : Travail sur la Constitution, le projet de Sieyès

    Vous aurez remarqué que ce site ne donne pas systématiquement dans le sensationnel. La Révolution française présente un continuel contraste entre les périodes studieuses (car il faut beaucoup travailler pour changer la société) et les périodes, disons, tumultueuses...

    En ce mois d’août, quelques châteaux continuent de prendre feu de temps à autres dans les provinces, mais le gros du travail se fait à l’Assemblée nationale.

    Voici un aperçu des sujets traités par celle-ci lors de la séance du 12 aout 1789 :

  • Horaires de l’audience du Président auprès du Roi et organisation d’un Te Deum (il s’agit du Te Deum qui sera célébré à l’occasion des sacrifices consentis pendant la nuit du 4 août, par les ordres privilégiés sur l’autel de la patrie),
  • Motion de Monsieur de Gaillon pour la suppression du droit d’ainesse,
  • Motion de Monsieur le Duc DE Liancourt pour le traitement des députés,
  • Création d’un comité chargé de la liquidation des droits féodaux, lors de la séance du 12,
  • Conclusion de la séance du 12 août pour procéder aux élections d’un archiviste et de divers comités. (Une petite pensée pour l’archiviste à qui nous devons tant de précieux documents !)

Emanuel Joseph Sieyès
    Dans les pièces annexes de la séance du 12, figure le projet de constitution soumis à l’assemblée par Monsieur l’abbé Sieyès. 
    Celui-ci comporte en titre 1 une intéressante déclaration des droits et des principes constitutifs. 
    Il s’agit de la fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen que le Marquis de Lafayette a demandé de mettre en préambule à la constitution le 11 juillet dernier.

Voir ici :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4654_t2_0221_0000_19

 


En voici le contenu :

"TITRE I.

Des droits et des principes constitutifs.

Les représentants de la nation, munis de ses pouvoirs pour fixer la Constitution de l'Etat, déterminer les droits et l'exercice de la puissance législative et de la puissance exécutive, considérant que la liberté, l'ordre et la félicité publique ne peuvent être solidement fondés que sur les principes immuables de la justice et de la raison ; que l'homme est sorti libre des mains de la nature ; qu'en devenant membre d'une société politique, son intention a été de mettre ses droits naturels sous la protection d'une force commune ; lesdits représentants réunis en Assemblée nationale reconnaissent et consacrent à jamais, comme inviolables, les droits de l'homme et du citoyen ; déclarent :

Art. 1er. Que la nation française est éminemment libre et indépendante de toute autorité, pactes, tributs, lois et statuts qu'elle ne consentirait pas à l'avenir.

Art. 2. Que le culte public volontairement adopté par le peuple français doit être religieusement pratiqué et dirigé par l'église Gallicane, sans qu’aucun citoyen ou étranger puisse être troublé ou inquiété dans l'exercice d'une autre religion.

Art. 3. Que la volonté générale est que les provinces et pays composant l'empire français soient soumis à un gouvernement monarchique, sans altération ni dérogation aux principes et aux droits nationaux qui constituent un tel gouvernement.

Art. 4. Que la nation a seule le droit et confère à des représentants l'exercice du pouvoir législatif, conjointement avec le Roi.

Art. 5. Que le roi et ses successeurs légitimes en ligne directe sont et seront personne sacrée et inviolable, chef suprême de la nation, dépositaire inamovible de la puissance royale, ayant indivisiblement le pouvoir de gouverner et administrer l'Etat, conformément aux lois proposées, consenties et promulguées en l'assemblée des Etats généraux, ayant spécialement le droit de commuer et remettre les peines encourues par les coupables, de distribuer les dignités et emplois ecclésiastiques, civils et militaires, de rendre et faire rendre la justice dans les tribunaux légalement établis, de pourvoir à la sûreté intérieure et extérieure de l'empire, de déclarer la guerre, faire la paix, contracter des alliances, et d'avoir dans toutes les parties de l'administration civile et politique, une autorité légale, ponctuellement obéie, sous les peines prononcées, ou qui seront prononcées par les lois.

Art. 6. Qu'aucune personne, prince ou magistrat, autres que les représentants de la nation assemblés, n'ont le droit et le pouvoir d'arrêter et proposer au Roi aucune contribution, lois, statuts, création, réformation et suppression des tribunaux, ou de consentir et de sanctionner de tels actes, dans le cas où ils seraient proposés par le Roi.

Art. 7. Que tous les pouvoirs législatifs et exécutifs doivent être essentiellement et continuelle¬ ment employés à protéger la vie, la liberté, l'honneur et la propriété de tous les citoyens ; de sorte que chacun ne soit responsable de sa conduite qu'aux lois, et n'ait à redouter, dans aucun cas, le pouvoir arbitraire d'aucun magistrat ou agent de la puissance exécutive,

Art. 8. Que l'Assemblée nationale sera permanente et organisée ainsi qu'il sera ci-après statué.

Art. 9. Que tout accusé doit être jugé coupable ou non coupable par ses pairs, avant que le tribunal devant lequel il est traduit puisse prononcer une peine.

Art. 10. Qu'il est libre à tout citoyen de publier, pour sa propre défense ou pour l'instruction publique, tout ce qu'il avisera, en demeurant responsable de ses écrits.

Art. 11. Qu'aucune considération politique, aucun besoin ou service public ne pouvant prévaloir sur le droit que tout homme a à sa propre subsistance, ceux dépourvus de toute propriété, tels que les manœuvres et journaliers, ne peuvent être soumis à aucune contribution personnelle.

Art. 12. Que tous les impôts doivent être mesurés sur les besoins effectifs de l'Etat, et également supportés par tous les citoyens, proportionnellement à leur fortune, sans distinction ni privilège pour qui que ce soit.

Art. 13. Qu'il ne peut être établi ni toléré, à la charge de la nation, aucun droit abusif.

Art. 14. Que tous les citoyens, de quelque rang et condition qu'ils soient, ont droit à toute profession et industrie légitimes, et peuvent être promus aux honneurs et dignités ecclésiastiques, civils et militaires, proportionnellement à leurs mérites, talents et services.

Art. 15. Que tout officier et bas officier de l'armée de terre et de mer, avant d'être admis à son grade, sera tenu de prêter serment de fidélité au Roi et à la nation.

Art. 16. Qu'aucune troupe militaire ne peut être employée, même en cas d'émeute, contre le peuple, que sur la réquisition d'un magistrat civil, ou d'après une proclamation royale, scellée et contresignée par le chancelier.

Art. 17. Que les principes élémentaires de la législation et les droits constitutifs de la nation seront professés et enseignés dans tous les collèges et maisons d'éducation." 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_6382_t2_0422_0000_2

 

Article corrigé et mis à jour le 12/08/2021.

mardi 11 août 2020

11 Août 1789 : Décret relatif à l'abolition des privilèges

4 AOUT 1789
Haut-relief en bronze figurant au pied
du monument à la République,
Place de la République à Paris.


    Ce décret du 11 clôture la série de décrets des 4, 6, 7 et 8 août 1789, qui tous ont eu pour objet de mettre en pratique la fameuse abolition des privilèges décrétée dans des conditions "un peu particulières" lors de la fameuse nuit du 4 au 5 août.

La nuit du 4 au 5 août 1789, à Versailles

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4833_t2_0397_0000_3

" Art, 1er. L'Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Elle décrète que, dans les droits et devoirs, tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle, et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent, sont abolis sans indemnité ; tous les autres sont déclarés rachetables, et le prix et le mode du rachat seront fixés par l'Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés par ce décret continueront néanmoins à être perçus jusqu'au remboursement.

" Art. 2. Le droit exclusif des fuies et colombiers est aboli.

« Les pigeons seront enfermés aux époques fixées par les communautés ; durant lequel temps, ils seront regardés comme gibier, et chacun aura le droit de les tuer sur son terrain.

" Art. 3. Le droit exclusif delà chasse et des garennes ou vertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique.

«Toutes capitaineries même royales, et toute réserve de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi.

«M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l'abolition des procédures existantes à cet égard.

Concernant l'abolition du privilège de la chasse, lire l'article du 6 Août 1789.

Départ du braconner (1781)


" Art. 4. Toutes les justices seigneuriales sont supprimées sans aucune indemnité, et néanmoins les officiers de ces justices continueront leurs fonctions jusqu'à ce qu'il ait été pourvu par l'Assemblée nationale à l'établissement d'un nouvel ordre judiciaire.

" Art. 5. Les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sous quelque dénomination qu'elles soient, connues et perçues, même par abonnement, possédées par les corps séculiers et réguliers, par les bénéficiers, les fabriques, et tous gens de mainmorte, même par l'ordre de Malte, et autres ordres religieux et militaires, même celles qui auraient été abandonnées à des laïques, en remplacement et pour option de portions congrues, sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d'une autre manière à la dépense du culte divin, à l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises, et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont actuellement affectées.

« Et cependant, jusqu'à ce qu'il y ait été pourvu, et que les anciens possesseurs soient entrés en jouissance de leur remplacement, l'Assemblée nationale ordonne que lesdites dîmes continueront d'être perçues suivant les lois et en la manière accoutumée.

« Quant aux autres dîmes, de quelque nature qu'elles soient, elles seront rachetables de la manière qui sera réglée par l'Assemblée ; et jusqu'au règlement à faire à ce sujet, l'Assemblée nationale ordonne que la perception en sera aussi continuée.

 

" Art. 6. Toutes les rentes foncières perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu'elles soient, quelle que soit leur origine, à quelques personnes qu'elles soient dues, gens de mainmorte, domanistes, apanagistes, ordre de Malte, seront rachetables ; les champarts de toute espèce, et sous toutes dénominations, le seront pareillement, au taux qui sera fixé par l'Assemblée. Défenses seront faites de plus à l'avenir créer aucune redevance non remboursable.

" Art. 7. La vénalité des offices de judicature et de municipalité est supprimée dès cet instant. La justice sera rendue gratuitement. Et néanmoins les officiers pourvus de ces offices continueront d'exercer leurs fonctions et d'en percevoir émoluments jusqu'à ce qu'il ait été pourvu par l'Assemblée aux moyens de leur procurer leur remboursement.

" Art. 8. Les droits casuels des curés de campagne sont supprimés, et cesseront d'être payés aussitôt qu'il aura été pourvu à l'augmentation des portions congrues et à la pension des vicaires, et il sera fait un règlement pour fixer le sort de curés des villes.

" Art. 9. Les privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides, sont abolis à jamais. La perception se fera sur tous les citoyens el sur tous les biens, de la même manière et de la même forme : et il va être avisé aux moyens d'effectuer le payement proportionnel de toutes les contributions, même pour les six derniers mois de l'année d'imposition courante.

" Art. 10. Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouissaient, et dont le sacrifice est nécessaire à l'union intime de toutes les parties de l'empire, il est déclaré que tous les privilèges particuliers des provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d'habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun de tous les Français.

" Art. 11. Tous les citoyens, sans distinction de naissance, pourront être admis à tous les emplois et dignités ecclésiastiques, civiles et militaires, et nulle profession utile n'emportera dérogeance.

" Art. 12. A l'avenir il ne sera envoyé en cour de Rome, en la vice-légation d'Avignon, en la nonciature de Lucerne, aucuns deniers pour annales ou pour quelque autre cause que ce soit ; mais les diocésains s'adresseront à leurs évêques pour toutes les provisions de bénéfices et dispenses, lesquelles seront accordées gratuitement, nonobstant toutes réserves, expectatives et partages de mois, toutes les églises de France devant jouir de la même liberté.

" Art. 13. Les déports, droits de cotte-morte, dépouilles, vacal, droits censaux, deniers de Saint-Pierre, et autres du même genre établis en faveur des évêques, archidiacres, archiprêtres, chapitres, curés primitifs et tous autres, sous quelque nom que ce soit, sont abolis, sauf à pourvoir, ainsi qu'il appartiendra, à la dotation des archidiaconés et des archiprêtres qui ne seraient pas suffisamment dotés.

" Art. 14. La pluralité des bénéfices n'aura plus lieu à l'avenir, lorsque les revenus du bénéfice ou des bénéfices dont on sera titulaire excéderont la somme de 3,000 livres. Il ne sera pas permis non plus de posséder plusieurs pensions sur bénéfices, ou une pension et un Bénéfice, si le produit des objets de ce genre que l'on possède déjà excède la même somme de 3,000 livres.

" Art. 15. Sur le compte qui sera rendu à l'Assemblée nationale de l'état des pensions, grâces et traitements, elle s'occupera, de concert avec le Roi, de la suppression de celles qui seraient excessives, sauf à déterminer à l'avenir une somme dont le Roi pourra disposer pour cet objet.

« Art. 16. L'Assemblée nationale décrète qu'en mémoire des grandes et importantes délibérations qui viennent d'être prises pour le bonheur de la France, une médaille sera frappée, et qu'il sera chanté en actions de grâces un Te Deum dans toutes les paroisses et églises du royaume.

« Art. 17. L'Assemblée nationale proclame solennellement le Roi Louis XVI Restaurateur de la liberté française.

« Art. 18. L'Assemblée nationale se rendra en corps auprès du Roi, pour présenter à Sa Majesté l'arrêté qu'elle vient de prendre, lui porter l'hommage de sa plus respectueuse reconnaissance, et la « supplier de permettre que le Te Deum soit chanté dans sa chapelle, et d'y assister elle-même.

« L'Assemblée nationale s'occupera, immédiatement après la constitution, de la rédaction des lois nécessaires pour le développement des principes qu'elle a fixés par le présent arrêté, qui sera incessamment envoyé par MM. les députés dans toutes les provinces, avec le décret du 10 de ce mois, pour y être imprimé, publié, même au prône des paroisses, et affiché partout où besoin sera. »


Par la fenêtre ci-dessous, vous pouvez écouter un podcast de France Culture évoquant ce décret, depuis le site Retronews :


Condorcet et l'idée optimiste du progrès.

 

    Dans le "prêt-à-penser" mis à notre disposition actuellement, la détestation du progrès est une idée à la mode. Elle s'accompagne de la nostalgie d'un âge d'or, (dont on sait bien qu'il n'a jamais existé, pour peu que l'on s'intéresse sérieusement à l'histoire). Soyez certains que n'importe lequel de vos ancêtres aurait donné un bras pour pouvoir vivre à notre époque !

    La confiance dans le progrès et dans les lumières de l'éducation et de la culture, était le point commun de tous les hommes du 18ème siècle qui ont lutté pour changer le monde.

    Condorcet était l'un d'eux et ce fut lui qui exprima le plus clairement cette confiance, dans son ouvrage intitulé :

"Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain".

Nous reparlerons de ce grand homme en temps voulu sur ce site.

Si vous ne connaissez pas son livre, je vous en conseille très vivement la lecture. Les liens ci-dessous vous permettront d'y accéder, et en bas de page, vous pouvez le lire directement :

http://classiques.uqac.ca/classiques/condorcet/esquisse_tableau_progres_hum/esquisse.html

https://fr.wikisource.org/wiki/Esquisse_d%E2%80%99un_tableau_historique_des_progr%C3%A8s_de_l%E2%80%99esprit_humain

    Puisse-t-il vous redonner confiance dans l'avenir, cet avenir en lequel on vous désespère de croire de mille façons.

    Le seul moyen de ne plus avoir peur, c'est de disperser les chimères que l'on agite devant vous avec le savoir, la culture, la science et les arts.

    La marche du progrès est lente, très lente. Ne nous laissons pas désespérer par d'apparents retours en arrière, comme celui que nous traversons actuellement.

Je vous conseille la lecture de cet article intéressant sur la pensée de Condorcet :
https://1000-idees-de-culture-generale.fr/tableau-progres-condorcet/


lundi 10 août 2020

10 Août 1789 : Décret pour le rétablissement de la sécurité publique et serment des armées.

La nouvelle de l’abolition des privilèges n’étant pas encore parvenue dans tous les recoins du royaume, ou alors ses bienheureux destinataires n’ayant pas tous été vraiment convaincus, de sérieux troubles continuent d’éclater çà et là, qui inquiètent grandement les députés de l’Assemblée nationale, et ce, d’autant plus que certains possèdent de jolis château qu’ils ne voudraient pas voir partir en fumée.

    Il y a donc urgence à rétablir l’ordre ! Raison pour laquelle le décret sur le rétablissement de la tranquillité publique est à l’ordre du jour de cette séance de l’assemblée nationale.

« Monsieur Target en donne lecture au nom du comité de rédaction.

M. Dupont juge convenable qu'on établisse une formule pour avertir le peuple qu'on agira contre ceux qui fomenteront et participeront à des mouvements séditieux comme contre les rebelles. Il cite le bill de mutiny publié en pareil cas en Angleterre, et il réclame l'exécution de formes semblables dans la proclamation proposée.

M. le duc du Châtelet appuie cette proposition ; il ajoute qu'elle produit en Angleterre les effets les plus prompts pour dissiper les attroupements, puisqu'après la promulgation de cette loi cinq personnes trouvées ensemble sont arrêtées et condamnées à mort.

Un Marquis explique que dans diverses provinces, le peuple, non content de brûler les chartriers des seigneurs, porte ses excès jusque sur les personnes. Il propose donc d'ajouter à la proclamation que tous les habitants d'une paroisse répondront des incendies, à moins qu'ils ne prouvent que ces désordres ont été commis par des étrangers. »

    J’espère que vous aurez apprécié le contenu des 2 dernières mesures. Si cinq personnes se rassemblent, il faut les condamner à mort, et tous les habitants d’une paroisse répondront d’un incendie, à moins qu’ils ne fassent la preuve que celui-ci a été commis par des étrangers. Je vous laisse juges…

Procès-verbal ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4826_t2_0376_0000_7

    Ce projet de décret comprend également un serment que les soldats et leurs officiers devront prêter. Ce qui donne lieu à une discussion au sein de l’assemblée. Nous avons en effet pu constater lors des événements de juillet que les troupes n’étaient pas toutes fiables, ce qui d’ailleurs, avait plutôt bien arrangé les députés de ladite assemblée. Mais voici qu’à présent ceux-ci craignent qu’elles ne deviennent dangereuses.

    Un intervenant dont le nom ne figure pas au procès-verbal, a me semble-t-il, une position intelligente et surtout très critique concernant ce serment. Écoutons-le :

"Je trouve deux inconvénients à la formule du serment proposé. Le premier, que le serment devait se prêter devant Je corps entier. Le second, qu'en ajoutant : sur la réquisition des municipalités, il faut distinguer celles qui ne sont pas électives, parce que celles qui ne le sont pas sont dans la dépendance du Roi.

Quelle que soit la formule du serment que l'on fasse faire aux troupes, ce serment ne doit et ne peut jamais engager ni lier le soldat au point de le faire agir contre les devoirs de l'homme et du citoyen. Trop longtemps on a regardé le soldat comme un automate fait pour suivre simplement l'impulsion qu'on lui donne. Dans le siècle de la philosophie, dans ce siècle de lumières, où tous les devoirs de l'humanité sont connus, le soldat doit être regardé comme un homme et comme citoyen.

Où en serions-nous, grand Dieu ! Si les gardes-françaises n'eussent pas eu assez de raison, assez de philosophie, pour préférer les devoirs sacrés de l'homme et du citoyen aux lois rigides du code militaire ? Ils eussent fait main-basse sur leurs concitoyens ; Versailles et Paris eussent été inondés de sang ; la France serait aujourd'hui le théâtre d'une guerre civile d'autant plus funeste, que le despotisme aurait voulu écraser et faire trembler des êtres qui tous voulaient recouvrer leurs premiers droits, les droits imprescriptibles de la liberté.

Pourquoi donc aujourd'hui vouloir encore lier le soldat citoyen par une formule de serment qui aurait entraîné les plus grands malheurs si le soldat s'y était conformé ? Et pourquoi croire lier l'officier par une formule de serment qu'il saura, quand il lui plaira, faire plier devant ses intérêts et son ambition ? On peut conclure, et non sans raison, qu'un serment, n'importe la forme sous laquelle on le fait prêter, est absolument inutile. Peut-on croire en effet que l'homme méchant, que l'homme traître, se fera un scrupule de fausser son serment ? Ces être-là, pour qui le crime a des attraits, et qui sont prêts à sacrifier le sacré et le profane à leurs intérêts particuliers, à leur passion dominante, ne seront jamais arrêtés par un serment ; au contraire, violer leur parole, trahir leur conscience, est une aiguillon de plus pour les porter à faire le mal.

L'homme vertueux, n'importe l'état qu'il professe dans la société, se gardera bien de dépasser le but marqué par les premiers devoirs, les premiers droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, quelque tournure que l'on donne à la formule du serment qu'on lui fera prêter, son cœur lui dira toujours, lui criera sans cesse qu'il doit rester immobile, et ne point écouter la voix impérieuse d'un scélérat qui lui commande le crime.

Le maréchal de Broglie, ce général qui a pour jamais souillé et terni les lauriers qu'il avait cueillis à la retraite de Prague, est un exemple frappant de ce que j'avance,

Trop sensé pour avoir accepté le commandement du dernier camp sans pénétrer les raisons de la cour, il est chargé et sera toujours chargé, aux yeux des générations présentes ; et futures, de l'exécution de la conspiration infernale formée contre la patrie.

Ce coupable général, pour sonder les dispositions de ses soldats leur rappela leur serment ; n'avez-vous pas juré, leur dit-il, fidélité au Roi ? Je compte sur votre parole. « Nous la tiendrons, répondirent les troupes ; mais sachez qu'en promettant fidélité au Roi, jamais nous n'avons entendu nous engager à nous souiller du sang de nos frères. »

Une connaissance des droits et des devoirs de l'homme, mise à la portée de tous les citoyens, bien sentie d'un chacun, vaudrait infiniment mieux que toutes les tournures et formules de serment.

L'une, en quelque façon, préviendrait le crime, en apprenant à l'homme jusqu'où il peut aller et où il doit s'arrêter. Les autres ne sont que des précautions inutiles contre l'homme subalterne, accoutumé au crime, auquel il se livre d'autant plus volontiers, qu'il voit un des chefs lui en donner l'exemple."

    Monsieur Barnave écartera cet avis raisonnable en rétorquant que la proclamation proposée n'est point une loi générale, mais un décret provisoire relatif aux circonstances. Selon lui, le serment des troupes est indispensable dans un moment où tous les liens de la subordination paraissent rompus, où les troupes elles-mêmes pourraient devenir dangereuses. L'arrêté proposé confie la force aux personnes qui ont joui de plus de confiance, en la conférant aux tribunaux et aux municipalités.

    Ce décret dont vous trouverez le texte en son entier par le lien ci-dessous, sera bien sûr voté.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4827_t2_0378_0000_3

    Les députés espèrent que le peuple sera tenu en respect par la publication de ce décret. Nous verrons par la suite qu’ils rencontreront bientôt un problème de taille avec l’armée, quand l’autorité du roi commencera à poser question.

    En effet, c’était la noblesse qui contrôlait totalement l’armée, depuis la mise en application de l’Édit de Ségur (du nom du secrétaire d'État de la Guerre Philippe Henri de Ségur), du 22 mai 1781, qui avait fermé l’accès aux carrières d'officiers aux roturiers (non-nobles). Il fallait prouver quatre degrés de noblesse ou d’être officiers de fortune ou fils d’officiers titulaires de la croix de Saint-Louis pour pouvoir postuler un poste d’officier. Les historiens désignent cela sous le nom de « réaction nobiliaire », une sorte de reprise du pouvoir accaparé par le roi depuis Louis XIV.

    Une ordonnance du 17 mars 1788 avait encore davantage fermé l’armée.

    Le cours de la révolution changeant peu à peu de direction, beaucoup d’officiers nobles feront défection, allant jusqu'à quitter le pays pour constituer une armée contre révolutionnaire.

    Nous en reparlerons le temps venu. D’ici là, si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire ce document traitant de ladite réaction nobiliaire :

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1974_num_29_1_293452

    L'image ci-dessous provient du site de Romans-sur-Isère, où le serment fut prêté le 15 novembre 1789...




 

10 Août 1789 : Mais qui veut la peau de Besenval ? Et qui est-il vraiment ?

 

    J'espère que vous pardonnerez l'image humoristique de cet article (volée à Roger Rabbit). Je me suis dit qu'ainsi, j'allais peut-être avoir un ou deux lecteurs de plus ! Mais ne vous méprenez pas, comme d'habitude, vous allez apprendre une ou deux petites choses très étonnantes.


Le mauvais sort s'acharne !

    Déjà sauvé une fois de la vindicte populaire suite à son arrestation par les zélés miliciens de Villenauxe-la-Grande le 30 juillet dernier - sauvé par les bourgeois de la Commune de Paris, les députés de l'Assemblée nationale, le grand Necker et même par sa majesté Louis XVI qui l'a autorisé à s'exiler - le baron suisse Pierre Victor de Besenval de Brünstatt, est de nouveau arrêté par de mauvaises gens après avoir été reconnu près de Provins !

    Cet ancien commandant militaire de l'Île-de-France, des provinces limitrophes et de la garnison de Paris avait visiblement laissé un mauvais souvenir pour sa gestion quelque peu brutale lors des journées chaudes qui précédèrent la prise de la Bastille, comme lorsqu'il avait réprimé dans le sang le 28 avril 1789, l’émeute de la fabrique Réveillon, donnant l’ordre à ses Suisses, "de tirer jusqu’à la mort du dernier homme" Il y eut des centaines de morts...

Répression violente de l'émeute Réveillon le 28 avril 1789.
Dans les faits, la Révolution a commencé dès le mois d'avril 1789.

    Hélas, le nouveau pouvoir bourgeois en place, tellement empressé de se réconcilier avec son roi bien aimé, semblait éprouver quelques difficultés à faire partager son pieux désir de pardon et de réconciliation, avec le reste de la population !

Lire cet article sur le rêve de réconciliation


    Avec l'autorisation de Louis XVI, Besenval avait donc une nouvelle fois quitté Paris, mais reconnu en la bonne ville de Villegruis près de Provins, il s'était fait de nouveau arrêter, un peu brutalement, par des citoyens pleins de rancœur. Certains de ces faquins envisagèrent même de le lyncher !

Arrestation de Besenval


    Le grand Necker fut donc obligé d'intervenir une nouvelle fois pour sauver son infortuné compatriote. Mais Besenval fut malgré tout emprisonné un certain temps, au château de Brie-Comte-Robert avant d'être déféré devant le tribunal du Châtelet pour crime de lèse-nation. 

    Il était en effet accusé d'avoir voulu assiéger Paris et d'avoir médité l'incendie de la ville et le massacre de ses habitants. Fort heureusement, grâce à une efficace plaidoirie de Monsieur De Sèze, le bienheureux Besenval (bien évidemment "innocent" de ces accusations calomnieuses et absurdes) sera acquitté. 

    Comment aurait-on pu condamner un homme protégé par le roi, qui de plus n'avait fait qu'obéir aux ordres de celui-ci ?

    La Famille royale se fera d'ailleurs beaucoup de souci pour cet ancien courtisan de la reine. Madame Elisabeth, sœur du roi dira : "j’espère qu’il ne lui arrivera rien de fâcheux".

Source : https://archives.seine-et-marne.fr/fr/actualites/une-lettre-princiere-de-1789


Un homme frappé par une maladie rare en ces temps de disette.

    Les historiens royalistes, connus pour leur très grande sensibilité, nous apprendront que la santé de ce malheureux persécuté s'altéra durant son emprisonnement. Ils nous précisent même, sans rire, qu'un médecin, bien évidemment charlatan, aurait été cause de son décès, pour lui avoir prescrit un régime de truffes, de pâtés et de jambon qui acheva de le tuer. Gageons qu'il aurait survécu s'il s'était contenté du régime des autres prisonniers (eau et pains sec).

    Ce fier militaire, si détesté des Parisiens qu'il avait coutume de molester un peu, était malgré tout adoré de tous ceux que pouvait l'approcher.

Dans son journal, le Marquis de Bombelles apporte se touchant témoignage :

"Il s'était tellement fait aimer de la milice bourgeoise qui le gardait à Brie Comte Robert que, lorsqu'il en est parti pour être conduit à Paris, chacun de ses gardiens, en le remettant dans les mains d'autres, a voulu obtenir d'en être embrassé, ce qu'il a fait avec la grâce qu'il eut toujours et la gaieté d'un homme bien tranquille sur le jugement qu'on doit porter à sa conduite. En prolongeant la captivité de ce malheureux homme, ses ennemis savourent davantage leur vengeance et reculent tant qu'ils peuvent l'époque où, faute de preuves, faute d'un chef d'accusation tant soit peu raisonnable, il faudra remettre en liberté un brave militaire dont on n'eût jamais dû punir l'obéissance à des ordres légitimes."


Des Suisses répressifs.

    Si vous souhaitez en apprendre plus sur la fonction répressive des troupes suisses à Paris et découvrir qui était vraiment Besenval, je vous conseille vivement la lecture de ce texte de Alain-Jacques Czouz-Tornare :"Les troupes Suisses à Paris et la révolution 1789 – 1792".

Il est extrait d'un livre présenté par l'illustre Michel Vovelle. 

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder au texte complet :



Concernant le fameux Besenval, je ne puis résister à l'envie de vous donner à lire cet extrait savoureux :

Le comte de la Marck, précieux relais de Mirabeau auprès de la Cour, a gratifié le suisse Besenval d’un portrait peu flatteur lui aussi :

"Il n’avait pas l’ambition d’occuper une grande place, il n’aurait pas voulu être ministre. Lieutenant-Colonel des gardes suisses, son seul désir était d’en devenir colonel après la mort du comte d’Affry. Mais tout en ne se souciant pas d’être ministre, il voulait se mêler d’en faire, afin d’avoir sur eux beaucoup d’influence. En tout il s’amusait de l’intrigue".

Toujours selon le même observateur, Besenval était parvenu à s’emparer de l’esprit du comte d’Artois, colonel-général des Suisses et Grisons ; ainsi disposait-il par le moyen du prince, de tout ce qui tenait aux régiments suisses.

Ce proche de Marie-Antoinette qui lui avait servi en avril 1779 de garde-malade durant sa rougeole, l’assidu compagnon de plaisir du comte d’Artois, ce Suisse catholique, franchement athée et franc-maçon, se transforma à la veille de la Révolution en défenseur d’une tradition contre laquelle toute sa vie témoignait. Gouverneur militaire de Paris, il ne fut l’homme de la situation qu’en ce qu’il incarnait toutes les tares de l’Ancien régime. (C'est moi qui souligne) 😉

"Il n’est bon qu’à être suisse à la porte de Cythère" disait de lui une dame honorable, tandis qu’un pamphlet en faisait, à la Cour, le Suisse de la porte du Palais des plaisirs de la Reine.


Alors ? Besenval ? Héros ou crapule ? Ni l'un ni l'autre, juste le produit de son milieu et de cette époque décadente.


Petit cadeau !


    Si vous voulez vous détendre un peu en lisant quelques pages d'histoire de France pour les enfants, je vous conseille de consulter ce site spécialisé en ANTOINETTHOLOGIE (Je ne plaisante pas)

Vous y découvrirez une plaisante biographie de Besenval, beaucoup plus bienveillante que la mienne.

Cliquez sur l'image ci-dessous. C'est du lourd !