samedi 3 octobre 2020

3 Octobre 1789 : Mais que complote donc Mirabeau au Palais Royal ?

 

Mirabeau
    Les rumeurs vont bon train dans ce Paris d’octobre 1789. On craint une nouvelle intervention des troupes rappelées par le roi à Paris, comme le régiment de Flandres qui vient de faire scandaleusement parler de lui il y a 2 jours au banquet avec les gardes du corps du roi. Il se murmure également que le roi pourrait s’enfuir, peut-être avec son frère le comte de Provence. 


Comte de la Marck

    Certains répètent à qui veut l’entendre que Mirabeau aurait dîné fin septembre chez le comte de La Marck, avec devinez qui ? Le duc d’Orléans ! Oui, le duc d’Orléans ! Louis-Philippe d’Orléans est un lointain cousin de Louis XVI. Mais son influence est grande. Il est pair de France, et chacun sait que si le roi venait à disparaitre, d’une façon ou d’une autre, la régence du royaume lui reviendrait.

   

Victor Louis
    Le duc d’Orléans règne en propriétaire sur le Palais-Royal, qu’il a fait aménager en quartier de plaisir par l’architecte Victor Louis en 1780. Les cafés, restaurants, salons de jeu et "autres divertissements" (les bordels), constituent le point de ralliement de tous les ennemis de la cour.

    Le roi se méfie avec raison de ce cousin quelque peu sournois, au contraire de la reine (bien sûr) qui a souvent entretenu des relations très cordiales avec le Duc. Nombre d’événements révolutionnaires sont partis du Palais Royal et l’on a retrouvé souvent des hommes de mains du duc d’Orléans à l’origine de certains mauvais coups.

Vue de la cour intérieure du Palais-Royal

L'intriguant Mirabeau "fils"

    Que complote donc Mirabeau avec le Duc d’Orléans, si tant est d’ailleurs qu’il complote quelque-chose ? Imagine-t-il pouvoir manipuler ce duc friand d'intrigues, mais guère de stature à les mener à termes avec succès, tant il manque d’initiative ? Pour le compte de qui Mirabeau agit-il ainsi, si ce n’est pas pour lui ? Pour les révolutionnaires de la paisible Assemblée nationale ? Pour le roi ?

    Pourquoi pas pour le roi en effet ? N’oublions pas que sa famille est depuis longtemps, très proche de celle de Louis XVI.

    J'évoquais hier l'intellectuel Sieyès, personnage omniprésent du début jusqu'à la fin de la Révolution. Mais Sieyès n'est pas un homme d'action. Mirabeau, lui, est un homme d'action, pas de coups de mains, mais d'actions plus subtiles, plus discrètes ; et c'est aussi un grand tribun. Personne ne vaut Mirabeau à la tribune de l'Assemblée nationale constituante. Mirabeau est intelligent également. Il voit tout et comprends tout. Son principal problème, selon mon humble avis, c'est sa culture d'aristocrate. Il est malheureusement corrompu par le goût du luxe et de la luxure. Cela dit sans porter de jugement de valeurs. Mirabeau aurait-il su se contenir un peu, que la Révolution aurait pris un tour différent. Mirabeau comprend tout, mais c'est hélas un homme du passé.

Mirabeau père

Mirabeau père
    Victor Riquetti de Mirabeau, le père de notre tribun révolutionnaire Honoré Gabriel Mirabeau, avait failli être choisi par le Dauphin Louis-Ferdinand (fils de Louis XV), pour l’éducation de Louis XVI et de ses frères. La raison en était que, du fait de sa qualité de physiocrate, Mirabeau père s’était rendu célèbre en publiant à partir de 1765 son ouvrage « L’ami des hommes ou traité sur la population », que l’on avait aussi appelé « le bréviaire des honnêtes gens ». 
    Sur sa terre du Bignon, près de Paris, Mirabeau père aimait à réaliser des expériences d’agronomie. Il défendait l’idée d’une monarchie dans laquelle la noblesse devait avant tout se soucier de servir l’Etat, avant de s’enrichir. Il n’avait pas été retenu pour assurer cette fonction auprès des enfants du Dauphin, mais ses idées physiocrates circulaient dans l’entourage des princes et étaient grandement appréciées.

Physiocrates ?

François Quesnay
    Un mot sur les physiocrates que nous avons déjà plusieurs fois évoqués dans de précédents articles. Il s’agissait d’un nouveau courant de pensée qui s’était développé en France dans les années 1750 et qui préconisait un gouvernement par la nature, « physis » en grec, signifiant « nature ». 
    Un des physiocrates les plus connus, François Quesnay, avait été un proche de la cour de Louis XV. C’était un médecin qui avait été anobli pour avoir guéri de la petite vérole le fils de Louis XV, le Dauphin Louis-Ferdinand, père de Louis XVI. Ceci pouvait expliquer l’intérêt marqué que le père de Louis XVI avait pour cette nouvelle doctrine, à la fois philosophique, économique et politique.

    La physiocratie, qui donna naissance plus tard au libéralisme économique, ne se résumait pas à exiger comme nous l’avons vu, la libre circulation des grains et la fixation de leur prix par le marché ; ni interdire à l’Etat de vouloir réguler l’économie. La priorité donnée à l’agriculture était vraiment au cœur de cette doctrine nouvelle. Raison pour laquelle tous les intellectuels du siècle, ou presque, se préoccupaient d’agriculture. Souvenons-nous du duc de Liancourt, ami du roi, pair de France et même président de l’Assemblée nationale, qui était aussi un agronome passionné.

Le beau-père de Louis XV, Stanislas Leszczynski, lui aussi physiocrate avait écrit :

« Tant que l’agriculture sera protégée en France, ce royaume ne peut manquer d’être florissant ; que d’autres peuples aillent ailleurs chercher l’or au Pérou ; le Français, s’il est sage, trouvera une mine plus précieuse sous le soc de sa charrue ? Toutes les nations voisines doivent devenir tributaires du peuple cultivateur du bon sol. »

Mais revenons à notre Mirabeau révolutionnaire !

    Quel jeu joue-t-il vraiment ? Nous avons vu qu’il occupe souvent la tribune de l’Assemblée nationale et que ses interventions forcent souvent la décision auprès de députés hésitants. Mirabeau est probablement l’un des hommes, qui en ce début de révolution, a le mieux compris ce qui se passait.

    Dans son livre « Mirabeau et la cour de Louis XVI », Saint-Marc Girardin écrit :
« Ce qui désespère Mirabeau dans cette fluctuation perpétuelle du roi, c’est qu’il connaît l’assemblée constituante et qu’il sait fort bien qu’elle n’est ni ennemie du roi ni ennemie de la monarchie. « L’assemblée, dit-il avec un sens profond, était venue pour capituler et non pour vaincre, et elle ne soupçonnait même pas sa destinée (Tome II, p 325). » Oui, 1789 venait plein de confiance en la bonté du roi et dans ses intentions justes et libérales ; il venait pour soutenir Louis XVI contre la cour et pour faire une transaction entre l’ancien et le nouveau régime. D’où vient donc que 1789 a eu la destinée qu’il ne soupçonnait pas et qu’il ne voulait pas, une destinée révolutionnaire ? Le mal est venu en grande partie de la cour, « de sa fausse conduite, de sa faiblesse lorsqu’il fallait résister, de sa résistance lorsqu’il fallait céder, de son inertie lorsqu’il fallait agir, de sa marche ou trop lente ou trop rétrograde, de ce rôle de simple spectateur qu’elle affecte de jouer, de cet ensemble enfin de circonstances qui, persuadant aux esprits faibles que la cour a des projets secrets, font multiplier aux esprits ardens les mesures outrées de résistance. » (Orthographe d'époque)

Les projets secrets de la cour

    Nous voici revenu au début de cet article. Les Parisiens ne redoutent rien tant que les projets secrets de la cour. Peut-être sont-ils plus réalistes que les honorables députés, qui, aveuglés qu’ils sont par leur amour du roi, croient que l’on peut le malmener comme ils l’ont fait, et s’en tirer par une cocarde et un Te deum ?

Vous l’avez compris, ça va de nouveau bouger dans quelques jours…

 

Post Scriptum :

    Nous aurons de nombreuses occasions de reparler de Mirabeau. Il essaiera de conseiller le roi, qui le paiera même pour cela, ce qui vaudra à la dépouille de Mirabeau d’être retirée du Panthéon lorsqu’on découvrira les lettres le prouvant, dans la fameuse armoire de fer de Louis XVI. Mais hélas pour lui, le roi n’écoutera jamais les conseils de Mirabeau.

    Si vous voulez en apprendre plus au sujet des rapports entre Mirabeau et la cour de Louis XVI, je vous conseille la lecture de ce livre de Saint-Marc Girardin « Mirabeau et la cour de Louis XVI ».

    On y découvre quel était en vérité le plan projeté par Mirabeau. Ce n’était ni un plan de révolution, pas même un plan de contre-révolution, mais un plan de gouvernement constitutionnel. Quant à l’homme qui devait exécuter ce plan, ce n’était autre que Mirabeau lui-même, mais un Mirabeau écouté et obéi. Il l'avait écrit à M. de Lafayette dans une de ces tentatives de rapprochement qui furent souvent faites entre M. de Lafayette et Mirabeau, et qui échouèrent toujours :

« Je devrais être votre conseil habituel, votre ami abandonné, le dictateur enfin, permettez-moi le mot, du dictateur… Oh ! Monsieur de Lafayette, Richelieu fut Richelieu contre la nation pour la cour, et, quoique Richelieu ait fait beaucoup de mal à la liberté publique, il fit une assez grande masse de bien à la monarchie. Soyez Richelieu sur la cour pour la nation, et vous referez la monarchie en agrandissant et consolidant la liberté publique. Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez, en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion, mon impulsion a besoin de vos grandes qualités, et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! — Ah ! vous forfaites à votre destinée ! » (Orthographe d'époque)

    De Lafayette, il faudra également que nous reparlions. Nous comprendrons alors combien la méfiance et l’hostilité de Jean-Paul Marat à son égard était justifiée.

 A suivre !

Bertrand Tièche

Pour vous remercier d'avoir tout, voici quelques gravures du Palais Royal ! 😊

Galerie du Palais Royal, par Pierre-Charles Coqueret, 1761


(1787)









vendredi 2 octobre 2020

2 Octobre 1789 : Réactions sur le découpage électoral et rires à propos d'un don patriotique !


Détournement scandaleux de l'image du brave Sieyes découpant la France ;-)

Réactions concernant le découpage du territoire

    Je vous ai parlé le 29 septembre dernier, de la présentation devant l'Assemblée par Monsieur Thouret du rapport rédigé par son comité. Celui-ci concernait d’une part, la nouvelle division territoriale et administrative du royaume, et d’autre part les bases de la représentation des citoyens, entre actifs et passifs selon leur degré de fortune. Le comité chargé de cette lourde de tâche était constitué des membres suivants : Thouret, l'abbé SieyèsTargetl'évêque d'Autun (Talleyrand)Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

    Les gens critiquent !

    Le plan d'administrations provinciales et de municipalités porte selon eux le cachet de son principal auteur, M. Sieyès.

    Comment interpréter cette critique ? Il faut dire que Sieyès n'est pas n'importe qui. En vérité c'est l'un des principaux acteurs de la Révolution et probablement l'un des plus intelligents, ce qui peut être agaçant pour ses adversaires (Lire cet article : Janvier 1789). Mais dans le cas présent, même si le projet de Sieyes semble parfait par sa régularité mathématique, on doit tout de même tenir compte du fait que la France n'est pas un pays neuf, comme les États-Unis d'Amérique que l'on peut découper arbitrairement en figures géométriques, puisque ses populations autochtones sont d'ailleurs méthodiquement rayées de la carte ! La France est un vieux pays, une vieille contrée, irrégulièrement peuplée, irrégulièrement divisée. Une rivière peut limiter deux territoires, sans aucune contestation possible, et ce, depuis la nuit des temps ! Assurément, il va falloir être prudent avec les ciseaux ! 

    Raison pour laquelle les esprits critiques se demandent s'il ne serait pas préférable d'attendre qu'un arpentage régulier ait établi les circonscriptions rigoureuses sur lesquelles tout le nouvel édifice politique pourrait être fondé, car le bel ordre proposé ne semble guère possible. 

    De plus, plusieurs députés des provinces reprochent à ce plan d'accorder à Paris, s'il est appliqué, 44 députés : chiffre qui parait exorbitant.

La France de 1789, avec le portrait de Necker.


Réactions contre le découpage électoral.

    Ah le découpage et redécoupage des circonscriptions ! Voilà bien un débat promis à un bel avenir ! Encore aujourd'hui, nombre de Parisiens vous affirmeront que certains députés provinciaux règnent sur des circonscriptions désertiques ! Le département dans lequel je vis à présent, La Nièvre ; 199500 h compte presque autant d'habitants que la ville de banlieue dans laquelle j'ai vécu plus de 40 ans, Boulogne Billancourt : 124398 h (Oui, je sais j'exagère un peu quand je dis "presque").

    Soyons plus précis avec cet exemple actuel : En 2022, il faut environ 17 000 voix pour se maintenir au second tour dans la 3ᵉ circonscription de Vendée, mais seulement 631 à Saint-Pierre-et-Miquelon, et plus de 29 000 pour les Français d’Amérique du Nord. Le nombre de voix nécessaires pour accéder au second tour varie de 1 à 47.

Lisez cet excellent article du journal Le Monde, en cliquant sur la carte ci-dessous :


Réactions contre le découpage des gens.

    D'autres, ont bien sûr remarqué la nature étonnante du statut d'électeur et ne veulent entendre parler que de suffrage direct ; ils ne voient dans les trois degrés de la pyramide projetée, que l'échelle de l'Aristocratie. Enfin, le droit d'être représenté parait, à plusieurs, indépendant de la notion du territoire et de l'importance de la contribution, et uniquement inhérent aux personnes.

    En effet, le gouvernement représentatif (pensé par Sieyès) et construit par l'Assemblée nationale constituante, reposera sur un suffrage censitaire. C’est-à-dire que seuls auront le droit de voter et d'être élus, les citoyens payant une certaine somme aux impôts. (Pas question de suffrage universel. Il faudra pour cela attendre la constitution de 1793, qui ne pourra d'ailleurs pas être appliquée en raison de l'état de guerre.).

    Pour avoir le privilège de voter, il faudra être "un" (et pas "une") contribuable en impositions directes, au taux local de 3 journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales, et à 10 journées de travail pour être éligible.

     Ce système de sélection par l’argent et le sexe, fera que sur 26 (ou 28) millions de français, seuls 4.4 millions auront le droit de voter...


Rions un peu !

Autre actualité, un don patriotique qui prête à rire.

    Depuis que des femmes ont donné l'exemple le 7 septembre 1789 en offrant leurs bijoux et que le roi lui-même a décidé d'offrir sa vaisselle d'argent, les dons les plus divers, affluent à l'Assemblée.

Vue sur le très riche prieuré de Saint Martin des Champs sur le plan de Bretez.

    Un des dons patriotiques les plus généreux du mois de septembre, a été celui des religieux de Saint Martin-des-Champs qui avaient abandonné la moitié de leurs revenus, c'est- à-dire 900 000 livres, et qui de plus avaient offert (moyennant le reste qui leur faisait 1 500 livres par tête de traitement) de se charger de l'éducation de la jeunesse. Mais hélas, les hauts dignitaires de l'ordre, le supérieur général et le procureur, n'avaient pas signé, et voici maintenant que lesdits dignitaires protestent, au milieu des risées du public, qui supporte de moins en moins l'opulence ostentatoire du clergé en ces temps de disettes.

    Le vent de l'opinion va bientôt tourner en défaveur du clergé comme nous le verrons bientôt illustré sur de nombreuses estampes comme celle-ci, publié en 1790.


jeudi 1 octobre 2020

Aurore Chéry, une historienne 2.0, vous fait redécouvrir Louis XVI


    Mon regard sur Louis XVI a bien changé...

  La guerre de tranchées qui opposait depuis 200 ans les nostalgiques de l’ancien régime et les défenseurs de la République, semblait prête d’être gagnée idéologiquement par les premiers, puisque le discours culpabilisateur sur la révolution avait même gagné les rangs clairsemés de ce qui restait d’ardents républicains. 

    Mais l’image de Louis XVI n’évoluait guère. Il n’avait pas eu la chance de son épouse Marie Antoinette, qui avait bénéficiée de la sentimentale recomposition du grand écrivain Stefan Zweig, d’un film kitschissime d’une réalisatrice branchée et du culte idolâtre d’un thuriféraire médiatique du gotha mondain. 

    L’image persistante, mais si désolante de Louis XVI me convenait néanmoins, puisque j’avais une faiblesse pour la révolution, et surtout que personne ne la remettait en question.

    Quelle ne fut pas ma surprise cependant, lorsqu’au cours de mes travaux préparatoires à la réalisation de ce site, je découvris un soir au milieu des trésors scannés de la BNF, un passage étonnant concernant un projet de Louis XVI, confié par le Ministre Turgot à son ami l’abbé Véri, et rapporté dans le journal tenu par celui-ci. Le ministre lui faisait part de la difficulté de réaliser les réformes indispensable au royaume, tout en restant dans le cadre stricte de la loi et du respect des contrats. Je ne vous en dis pas plus, lisez plutôt le passage ci-dessous, ou cliquez sur l'image ci-contre pour lire la page 379 de ce journal de l'abbé Véri :

« Parmi les différents qui arrêtent toute mutation, il y a celui de la probité qui doit respecter la foi publique des contrats. On ne peut pas nier que la résiliation d'un bail attaque cette fidélité des contrats. M. Turgot ne méconnaît pas ce cri de l'équité naturelle. Il ne désavoue pas non plus que résilier un bail sans rendre en écus sonnants les fonds que les fermiers généraux ont donnés en avance au Roi ne soit contraire au premier appel de l'équité. Il convient que remettre le remboursement de ces fonds à des termes éloignés en faisant cesser aujourd'hui leur bail, c'est une injustice très apparente. Mais, en faisant ces aveux, voici ses autres observations, que je ne crois pas inutile de mettre dans toute leur étendue.

« Faisons une supposition, m'a-t-il dit, sur un objet absolument étranger. Le Roi juge utile et juste de supprimer l'esclavage des nègres dans les colonies en remboursant leur valeur aux propriétaires. Il ne peut faire ce remboursement que dans dix ans. Faut-il attendre ces dix ans pour produire un bien si considérable que la justice réclame dès aujourd'hui et qui n'aura peut-être jamais lieu si on le laisse à l'incertitude des événements ? Revenons maintenant à la fidélité du contrat avec les fermiers généraux et à la nécessité de rembourser leurs fonds. Si je romps leur bail sans le motif légal de la lésion excessive dans le prix si je le romps pour en tirer simplement quelque revenu de plus si je le romps enfin pour en gratifier d'autres gens plus favorisés, sans doute je fais une injustice réelle et je suis coupable. Mais si la machine est montée sur un plan de vexation qui tourmente tous les citoyens si je prévois qu'en la laissant encore, on court risque de la voir subsister toujours, dois-je être arrêté par l'injustice qu'il y a de ne pas rembourser leurs fonds sur le champ parce que je ne les ai pas ? Et l'injustice qu'il y a de leur faire attendre leur remboursement est-elle comparable au mal qu'éprouve le peuple et que peut-être il éprouvera toujours si mes plans n'ont pas bientôt leur exécution ? Le peuple souffre vexation depuis longtemps il réclame le soulagement. Les fermiers généraux souffriront dans les délais qu'ils éprouveront pour leur remboursement et dans le bail qui leur sera ôté. Quel est celui des deux cris qui blesse le plus l'équité ? Voilà la position où je dois me placer. »

    C’est ainsi que j’ai découvert que presque 20 ans avant son abolition par la République, Louis XVI envisageait d'abolir l’esclavage ! J’ai été encore plus surpris que lorsque j’avais appris en lisant un procès-verbal de l’Assemblée nationale, que le blé acheté par le roi, via Necker, pour nourrir les Parisiens en juillet 1789, venait d’Algérie !

Mise à jour du 7 octobre :

J'ai retiré le "ardemment" que j'avais mis devant "abolir", car il m'a été reproché d'avoir surinterprété ce texte de l'abbé Véri en "affirmant" que Louis XVI avait souhaité abolir l'esclavage (j'ai même remplacé souhaitait par envisageait). 

Comme tout le monde, j'interprète le monde au travers du filtre de ma personnalité, et les grosses mailles de mon filtre font que je crédite parfois les gens de plus de qualités qu'ils n'en ont ; un des travers de mon caractère étant de chercher ce qui peut rassembler les gens plutôt que ce qui les divise. 

Alors admettons que Louis XVI n'ait jamais dit cela à Turgot et que l'abbé Véri ait fantasmé. Cela pose néanmoins question sur le choix de cet exemple, qui relève alors de l'inconscient de son auteur (inconscient collectif ?). Je m'étonne par ailleurs que l'on ne se soit pas plus étonné que ça, de cette évocation d'une impossible réforme du monopole des Fermiers Généraux. 

Cette remarque qui m'a été faite était néanmoins plus pertinente que celles dont m'ont accablé 2 ou 3 royalistes ! 😉

    Assez parlé de moi ! Revenons à l’histoire et aux historiens et historiennes !

    L’histoire, comme toutes les disciplines scientifiques est en train de changer très rapidement, du fait des nouveaux outils informatiques mis à sa disposition. Si l’amateur que je suis a été capable de créer une base de données sur Excel pour une chronologie des événements révolutionnaires, imaginez ce que peut faire un universitaire ? De précieux ouvrages qui dormaient profondément dans de poussiéreuse bibliothèques ont été scannés méthodiquement et sont à présent à la disposition du monde entier. Les ordinateurs peuvent lire ces livres, les trier, les analyser, les traduire, les comparer, les indexer, etc. Un historien d’autrefois n’aurait pas eu assez de sa vie pour réaliser ce travail titanesque ! Cela ne va plus être possible d’ignorer des sources nouvelles ni de continuer à reproduire des interprétations découlant de préjugés du passé.

    Concernant justement lesdits préjugés, il semble que suffisamment de temps se soit écoulé et que les courants politiques qui soutenaient certaines interprétations historiques, soient suffisamment affaiblis, pour qu’une génération d’historiens puisse enfin étudier la Révolution française sans être accablée de préjugés. C’est le cas par exemple de Annie Jourdan ou de Jean-Clément Martin, qui ont sacrément dépoussiéré cette période historique, et il y en a de plus en plus.


    C’est indiscutablement le cas de l’historienne Aurore Chéry, dont je vous conseille aujourd’hui de lire son livre intitulé « L’intriguant », Nouvelles révélations sur Louis XVI.

Dès que j’en ai entendu parler, je l’ai précommandé pour le recevoir dès sa sortie, programmée le 30 Septembre.

Voici le texte de la quatrième de couverture :

« Louis XVI nous semble désormais si familier que chacun s’en fait une représentation stéréotypée. Le roman national, qu’il soit républicain ou royaliste, l’a figé en un être coupé de la réalité.

Pour cet ouvrage, l’historienne Aurore Chéry a mené des recherches inédites s’appuyant sur les sources primaires, pour certaines encore inexploitées, et les travaux les plus récents des historiens. Elle offre ici un portrait entièrement renouvelé du roi de France, un souverain aux idées avant-gardistes et à la personnalité dérangeante, à la fois allumeur de révolutions et républicain bien décidé à transformer le monde. Aurore Chéry montre comment, pour se protéger d’une cour hostile et mener à bien la politique de ses rêves, il a revêtu divers masques. Loin de l’homme apathique souvent décrit, on découvre un roi déterminé, au caractère entier, un tacticien contraint de fonder sa politique sur la ruse, la dissimulation et la manipulation. Mais ce nouveau Machiavel est aussi un être passionné, prêt à tout risquer par amour pour Françoise Boze, l’espionne protestante à son service.

Au-delà de ce portrait fascinant, l’historienne dresse le tableau complet d’une époque rendue plus vivante par la diversité des approches qui s’éclairent l’une l’autre, de la littérature à la philosophie en passant par la médecine. Proprement recontextualisé, le règne de Louis XVI nous révèle tout ce que notre modernité lui doit et combien il est susceptible de nourrir de riches réflexions pour l’avenir. »

Parlant de Louis XVI dans son introduction, Aurore Chéry écrit :

« Ce n’est pas de réhabilitation dont il avait besoin mais de compréhension. Au risque d’user un peu la vieille antienne spinoziste, c’est bien elle qui s’impose : « ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas haïr, mais comprendre. » C’est la tâche que je me suis donnée malgré moi il y a trente ans. » 

Je pourrais faire mienne cette devise qui correspond mot pour mot à ma propre démarche.

Plus loin, on peut lire également :

« On l’a condamné à n’être qu’un négatif de la Révolution et l’on ne pouvait donc pas soupçonner, comme nous le verrons dans ces pages, qu’il était tout au contraire le principal initiateur de la Révolution, qu’il l’avait voulue, qu’il avait vécu en grande partie pour elle et qu’il envisageait, dès l’origine, qu’elle déboucherait sur la République. »

Ça y est ? Vous aussi ? Vous voulez lire ce livre ?

Je ne vous révélerai rien de plus, afin que vous courriez l’acheter !

Je vous rapporte néanmoins ce dernier extrait de son livre, qui concerne son travail d’historienne :

« Il a fallu également interroger tous les types de sources comme si elles étaient radicalement nouvelles. Dès que l’on touche au plus haut niveau de l’Etat, le secret et la méfiance sont la règle, le mensonge et la duplicité omniprésents. Comment traiter les correspondances ? Les épistoliers sont-ils sincères ? Que signifie avoir une minute de lettre ou une copie plutôt que l’originale ? Quelle était la fonction des journaux intimes ? Quel était le réseau amical, professionnel, le positionnement politique de l’auteur ou de l’autrice ? Ce travail est d’autant plus nécessaire qu’il est aujourd’hui rendu beaucoup efficace par les nouvelles technologies. Les études récentes, venant du monde entier, sont mieux et plus rapidement diffusées, la numérisation autorise une plus large confrontation des documents, la reconnaissance optique des caractères aide à mieux identifier la documentation pertinente, la mise en ligne de leurs collections par les musées permet aussi d’intégrer plus systématiquement les sources iconographiques à la réflexion. 

Ce livre n’aurait certainement pas pu exister il y a vingt ans, et peut-être même pas il y a dix ans. J’espère que les perspectives qu’il offre trouveront écho chez d’autres chercheurs et que nous pourrons explorer ensemble les nouveaux champs que cette période nous laisse encore à défricher. »


Nous en avons la confirmation, il s’agit bien d’une historienne 2.0 !

Réjouissons-nous, car je suis certain que le 18ème siècle va prendre un sacré coup de jeune dans les années à venir !

 

Nota :

    Je connaissais l’existence de cette jeune historienne depuis sa participation à l’écriture du livre publié en 2016, « Les Historiens de garde », avec William Blanc et Christophe Naudin.

    Cet ouvrage avait été rédigé collectivement afin de répondre dans l'urgence aux délires révisionnistes d’un acteur de théâtre se mêlant d’histoire. Vous pouvez lire sur le site Huffpost un article expliquant cette heureuse démarche, en cliquant sur l’image ci-dessous.


Post Scriptum :

La publication de cet article m'a valu quelques remarques désagréables sur Facebook, telles que : "Canular", "Fables pour ignorants", "révélation inintéressantes" et j'en passe. Qu'un site traitant de la Révolution française puisse s'efforcer d'être juste vis-à-vis de Louis XVI, semblait les faire se révulser d'horreur. Je pense que c'est à cause de cela qu'aussi bien ce site que la page Facebook lui correspondant n'attireront pas les foules. 😢

Dès que l'on traite de la Révolution française et quand bien même l'on s'efforce comme je le fais, d'être compréhensif et tolérant à l'égard de tous les partis ; immanquablement on tombe sur des gens qui se comportent de façon irrationnelle, voire même parfois, fort incorrecte.

Cela n'arrive pas si l'on parle des Mérovingiens ou de l'Empire Romain. C'est vous dire si le 18ème siècle est une période vraiment capitale dans l'histoire ! 😍


1er Octobre 1789 : Rapport de M. Necker, suivi de son « généreux » don patriotique !

 

    À la suite du vote « de confiance » de l’Assemblée nationale, le 26 septembre dernier, M. Necker, premier ministre des finances, présente aux députés son rapport relatif au décret sur les impositions.

    Je vous le donne à lire, ci-dessous. Ne vous laissez pas décourager par sa longueur. Je vous assure qu’il comporte quelques « pépites », comme on dit.

    Sinon, vous pouvez faire dérouler la page jusqu’à la fin, pour lire ce grand moment de générosité inouïe, au cours duquel M. Necker, lui aussi fait son don patriotique. 

    Afin de ne pas gâcher la bonne impression que cela va vous faire, je ne vous parlerai que bien plus tard des millions que ces emprunts rapporteront à ce banquier qui devait sa fortune au trésor public du royaume de France...


Source du discours : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5083_t1_0228_0000_24


M. Necker, ministre des Finances :

"Messieurs, je viens vous remercier très-humblement des sentiments de confiance qui ont contribué à vous faire adopter les idées dont j'ai eu l'honneur de vous rendre compte ; ces sentiments seront toujours l'objet de mon ambition et ma récompense la plus précieuse, et je vous prie de recevoir avec bonté l'hommage de ma respectueuse reconnaissance.

Je ne sais pourquoi l'on a voulu me faire considérer l'étendue et la plénitude de votre confiance comme une sorte de responsabilité qui m'était imposée ; il n'en est aucune qui pût m'effrayer, s'il n'y avait pas moyen de témoigner au Roi et à la nation mon absolu dévouement. Je cours un bien grand hasard par la simple réunion de mon bonheur au succès des affaires et à la prospérité de l'Etat : d'ailleurs, puisqu'au milieu de tant de difficultés on ne peut se déterminer que par des vraisemblances, si quelqu'un doit être compromis, si quelqu'un doit s'exposer à des reproches ne vaut-il pas mieux que ce soit moi ? et que vous, Messieurs, qui pouvez faire tant de bien, vous qui, pour le salut de l'Etat, devez conserver votre ascendant dans toute son intégrité, vous soyez, si vous le voulez, absolument à part dans l'issue de cette grande circonstance ?

Vous ne perdrez pas de vue néanmoins qu’une ressource inusitée est commandée par une réunion de circonstances sans exemple. Il existe des besoins urgents et considérables ; il n'y a plus de crédit, et le numéraire effectif est entièrement disparu. Cependant vous avez déclaré à plusieurs reprises et de différentes manières que vous vouliez être fidèles aux engagements de l'Etat. Que reste-t-il donc, qu'un grand effort proportionné à cette grande vertu ?

C'est un malheur sans doute, et un grand malheur, que d'être obligé de conseiller le recours à une contribution considérable : je le connais pour la première fois, et j'en éprouve toute l'amertume ; aussi, après m'être assuré de moi-même et par devoir à cette peine sensible, tout ce qui pourrait me venir des autres, opinion, jugement, censure, je le redoute moins. Mon âme trop fortement préoccupée de ses propres regrets est moins soumise aux atteintes des considérations extérieures.

Le moyen cependant que vous avez adopté avait été déjà présenté par l'un des membres de cette Assemblée sous le nom de centième denier, et votre mouvement général en faveur de cette proposition avait été regardé comme une sorte d'assentiment au vœu de Paris, déjà manifesté de plusieurs manières ; ainsi j'ai suivi l'opinion publique, je ne l'ai pas prévenue.

Quoi qu'il en soit, me conformant à la teneur de votre dernière délibération, j'ai cru devoir vous proposer mes idées sur le décret qu'on attend avec impatience de la part de cette Assemblée ; j'ai supposé pour un moment que j'avais à en tracer l'esquisse. J'ai cru que cette esquisse ou ce projet de décret devait se rapporter au plan dont je vous ai fait l'exposition ; puisque vous l'avez adopté dans son entier, je demande la permission de vous en faire la lecture.

ESQUISSE OU PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, ayant pris en considération le rapport qui lui a été fait de la situation des finances par le premier ministre de ce département, conformément aux ordres du Roi, a reconnu la nécessité :

1° D’assurer par une délibération préalable l'équilibre entre les revenus el les dépenses fixes ;

2° De pourvoir aux besoins extraordinaires qui sont indépendants des dépenses fixes ;

3° De concourir autant qu'il est en son pouvoir à la sûreté des payements les plus prochains, et à la levée des embarras dans lesquels se trouve en ce moment le Trésor royal par la rareté du numéraire et le discrédit général.

En conséquence, l'Assemblée nationale a voté et décrété les dispositions suivantes :

PREMIÈRE PARTIE

Relative aux revenus et aux dépenses fixes.

Art. 1er. Les dépenses ordinaires de la guerre, des gouvernements et des maréchaussées qui, dans le compte des finances, se montent à 99, 160,000 livres, non compris ce que les provinces et les villes s'imposent et versent directement dans les caisses militaires, et non compris encore les pensions militaires qui font partie de la dépense générale des pensions, seront diminuées de 15 à 20 millions, en augmentant cependant d'une manière raisonnable la paye et le sort des soldats, et le Roi sera prié d'ordonner que de nouveaux plans d'organisation militaire assurent cette économie.

Art. 2. L'Assemblée nationale rend un hommage respectueux aux sentiments qui déterminent Leurs Majestés à ne former dorénavant qu'une seule et même maison, et elle accepte avec reconnaissance la résolution prise par Sa Majesté de réduire à 20 millions les diverses dépenses connues sous le nom de maison du Roi ; mais si cette disposition obligeait Sa Majesté à des réductions qui pussent altérer son bonheur ou diminuer trop sensiblement la majesté extérieure du Trône, l'Assemblée nationale, lorsque les temps deviendraient plus heureux, s'empressera de témoigner à Sa Majesté qu'elle partage, avec tous les Français, le désir de donner à un monarque bien-aimé, le chef du plus grand empire, toutes les preuves de dévouement qui pourront intéresser l'éclat du Trône et la satisfaction particulière de Sa Majesté.

Art. 3. L'Assemblée nationale chargera son président de se retirer par devers le Roi, pour faire connaître à Sa Majesté que, vu la nécessité d'établir dans toutes les parties de dépenses une économie sévère, et vu le grand exemple donné par Leurs Majestés elles-mêmes, l'Assemblée prie le Roi de prendre en considération l'étendue des fonds destinés annuellement aux maisons des princes, et de vouloir bien concourir à leur réduction dans la forme qui lui paraîtra la plus convenable. Le président fera connaître à Sa Majesté que l'Assemblée nationale verrait avec satisfaction que cette réduction pût soulager les finances de l'Etat d'une somme annuelle de plusieurs millions.

Art. 4. L'Assemblée, instruite que les fonds destinés aux affaires étrangères, très-considérables autrefois, ont été successivement diminués, et que la réduction depuis deux ans est de plus de 4 millions, remerciera Sa Majesté des ordres qu'elle vient de donner pour un nouveau retranchement successif d'un million.

Art. 5. L'Assemblée a décrété que les pensions actuellement existantes seraient diminuées dès à présent de 5 à 6 millions, et elle charge le comité des finances de former un projet conforme à cette disposition, et de le mettre sous les yeux de l'Assemblée.

Art. 6. L'Assemblée approuve que le supplément de 2,500,000 livres fourni par le Trésor royal à la cuisse du clergé soit retranché de l'état des finances.

Art. 7. L'Assemblée décrète que, lors de la réunion prochaine des vingtièmes, de la taille, et de la capitation taillable dans une seule imposition territoriale d'une somme déterminée, cette somme surpasse de 15 millions le produit actuel de ces impôts, à la charge que tous les abonnements particuliers soient abolis, et que toutes les personnes et toutes les terres privilégiées concourront dans une juste proportion au payement de l'imposition territoriale. Et se réserve de plus, l'Assemblée, d'examiner incessamment si au lieu et place de cette augmentation générale de 15 millions, il ne lui conviendra pas mieux que chaque province, selon une répartition quelconque, soit chargée des dépenses indiquées dans le discours du premier ministre des finances et qui ensemble équivalent à peu près à cette somme de 15 millions.

Art. 8. L'Assemblée nationale détermine la suppression de la dépense actuelle des haras.

Art. 9. L'Assemblée nationale approuve que les autres économies indiquées, soit d'une manière générale dans le dernier discours du premier ministre des finances, soit d'une manière plus précise dans son discours à l'ouverture de l'Assemblée nationale, économies qui ont été rappelées et expliquées plus particulièrement dans le rapport du comité des finances, soient examinées de nouveau par le comité, de concert avec le premier ministre des finances, et que le tableau circonstancié de ces économies soit incessamment mis sous les yeux de l'Assemblée nationale, pour être pris par elle une détermination définitive à cet égard.

Art. 10. Entend l'Assemblée, que soit par le produit de ces économies, soit par celles que la diminution des anticipations pourra procurer, soit par les premières extinctions des rentes viagères, soit enfin par d'autres ressources, et d'une manière quelconque, un parfait équilibre soit établi entre les revenus et les dépenses fixes, avant le 1er janvier de l'année prochaine.

Art. 11. L'Assemblée statue pareillement que la perte de revenu, occasionnée par la réduction du prix du sel ; que les pertes encore de ce genre, auxquelles pourrait exposer l'abolition entière de cet impôt, ou de tout autre, seront exactement remplacées par d'autres contributions, de manière que l'équilibre entre les revenus et les dépenses fixes ne soit jamais dérangé.

SECONDE PARTIE Relative aux besoins extraordinaires.

De nouveaux emprunts ne pouvant qu'augmenter le déficit actuel, et l'état du crédit public ne permettant pas d'ailleurs de trouver par ce moyen des fonds équivalents aux besoins extraordinaires de cette année et de la suivante, l'Assemblée nationale, après avoir pris connaissance d'un mémoire revêtu d'un grand nombre de signatures, par lequel on a proposé l'établissement d'une taxe momentanée, relative à la fortune de chaque particulier, et après avoir écoulé le rapport du premier ministre des finances, ainsi que le rapport particulier du comité nommé par elle, pour conférer avec ce ministre, ladite Assemblée ayant égard au péril dans lequel se trouve la chose publique, a statué et statue ce qui suit:

Art. 1er. Il sera demandé à tous les habitants et à toutes communautés du royaume, aux exceptions près indiquées dans l'un des articles suivants, une contribution extraordinaire et patriotique, laquelle n'aura lieu qu'une fois, et à laquelle ou ne pourra jamais revenir, pour quelque cause et sous quelque motif que ce soit.

Art. 2. Cette contribution extraordinaire et momentanée devant être égale et proportionnelle, afin que chacun soit disposé à s'y soumettre, elle a été réglée par l'Assemblée au quart du revenu dont chacun jouit, déduction faite des charges foncières, impositions, intérêts par billets ou obligations ou rentes constituées auxquelles il se trouve assujetti, et de plus à 2 1/2 % de l'argenterie ou des bijoux d'or et d'argent dont on sera possesseur, et à 2 1/2 %de 1 or et de l'argent monnayés que l'on garde en réserve.

Art. 3.Il ne sera fait aucune recherche ni inquisition pour découvrir si chacun a fourni une contribution conforme aux proportions ci-dessus indiquées ; il ne sera même imposé aucun serment ; mais l'Assemblée pleine de confiance dans les sentiments d'honneur et de fidélité de la nation française, ordonne que chacun, en annonçant sa contribution, s'exprimera de la manière suivante :

Je déclare avec vérité que telle somme de... dont je contribuerai aux besoins de l'Etat, est conforme aux fixations établies par le décret de l'Assemblée nationale.

Ou bien, si cela est,

Je déclare, etc... que cette contribution excède la proportion déterminée par le décret de V Assemblée nationale.

Art. 4. Ces déclarations se feront par devers les municipalités des lieux dans lesquels on a son principal domicile, ou par devers tels délégués nommés par ces municipalités.

Art. 5. Les marchands et autres citoyens qui, dans quelques villes, payent leur capitation en commun et par rôle particulier, jouiront de la même facilité pour le payement de la contribution patriotique, et ils feront leur déclaration par devers les syndics de leur communauté.

Art. 6. Les personnes absentes du royaume enverront directement leur déclaration aux municipalités de leur principal domicile, ou elles donneront leur procuration à telles personnes qu'elles jugeront à propos de choisir, pour donner en leur nom cette déclaration.

Art. 7. Toutes les déclarations devront être faites au plus tard avant le 1er janvier de l'année prochaine, et les municipalités appelleront ceux qui seraient en retard,

Art. 8. Il sera dressé, sans perte de temps, un tableau du montant général des déclarations, afin que l'Assemblée nationale puisse avoir connaissance incessamment de l'étendue de celte ressource, et comparer ensemble les contributions de chaque province et de chaque ville.

Art. 9. Chaque municipalité aura un registre dans lequel ces déclarations seront inscrites, et ce registre contiendra les noms des contribuants, et la somme à laquelle ils auront fixé leur contribution.

Art. 10. En conformité de ce registre, il sera dressé un rôle des diverses sommes à recevoir de chaque particulier, lequel rôle sera remis aux mêmes préposés qui sont chargés de recevoir les vingtièmes ou la capitation, pour en faire le recouvrement ; et les deniers qui en proviendront seront remis aux receveurs des impositions ou aux trésoriers des provinces, qui les remettront sans délai au Trésor royal ou à sa disposition.

Art. 11. Le tiers de la contribution totale sera payé d'ici au 1er avril 1790 ; le second, du 1er avril

1790 au 1er avril 1791 ; le troisième, du 1er avril 1791 au 1er avril 1792.

Art. 12. Tous ceux qui voudront payer leur contribution comptant, en un seul payement, seront libres de le faire, et ils auront droit, pour leur avance, à la déduction de l'intérêt légal.

Art. 13. Ne seront assujettis à aucune proportion tous ceux dont le revenu n'est que de 400 livres : ils seront déclarés libres de fixer cette proportion selon leur volonté.

Art. 14. Les ouvriers et journaliers sans propriété ne seront obligés à aucune contribution ; mais on ne pourra cependant rejeter l'offrande libre et volontaire d'aucun citoyen, et ceux qui sont déclarés exempts par cet article, pourront se faire inscrire sur le rôle des contribuants pour telles modiques sommes qu'il leur plaira de désigner.

Art. 15. Au mois d'avril 1792, et à l'expiration du dernier terme désigné pour l’acquit final de la contribution patriotique, le registre des déclarations réellement acquittées sera clos et scellé par chaque municipalité, et déposé à son greffe pour n'être ouvert de nouveau qu'à l'époque désignée dans l'article suivant.

Art. 16. À l'époque où le crédit national permettra d'emprunter à quatre pour cent d'intérêt en rentes perpétuelles, circonstance heureuse et qui ouvrira de nouvelles ressources à l'Etat, il sera procédé successivement et selon les dispositions qui seront alors déterminées au remboursement des sommes qui auront été fournies gratuitement pour subvenir à la contribution extraordinaire délibérée par le présent décret.

Art. 17. Le remboursement ne pourra être fait qu'au contribuant, ou à telle personne qu'il aura désignée dans sa déclaration, pour jouir après lui de ses droits ; et, si cette personne, ainsi que le contribuant, est décédée à l'époque du remboursement, l'état sera affranchi de ce remboursement.

Art. 18. Chaque municipalité sera tenue d'informer les administrations de sa province de l'exécution successive des dispositions arrêtées par le présent décret, et ces administrations en rendront compte à un comité composé du ministre des Finances et des commissaires qui seront nommés par l'Assemblée nationale, pour surveiller avec lui toute la suite des opérations relatives à la rentrée et à l'emploi de la contribution patriotique.

TROISIÈME PARTIE Relative au moment présent.

L'Assemblée nationale s'en remet au Roi du soin de prendre avec la caisse d'escompte ou avec des compagnies de finance tels arrangements qui lui paraîtront convenables, afin de recevoir d'elles des avances sur le produit de la contribution patriotique, ou sur telles autres exigibles qui pourront leur être délivrées.

L'Assemblée nationale approuve que le premier ministre et le comité des finances examinent, de concert, les projets qui seront présentés pour la conversion de la caisse d'escompte en une banque nationale, et que le résultat de cet examen soit mis sous les yeux de l'Assemblée.

L'Assemblée nationale invite les particuliers, les fabriques et les communautés à porter leur argenterie aux hôtels des monnaies, et elle autorise les directeurs de ces monnaies à payer le titre de Paris 55 livres le marc en récépissés, à six mois de date sans intérêt, lesquels récépissés seront reçus comme argent comptant dans le recouvrement de la contribution patriotique ; l'Assemblée nationale autorise de plus le Trésor royal à recevoir dans l'emprunt national l'argenterie au titre de Paris, à 58 livres le marc, à condition que, moyennant cette faveur particulière, on ne jouira pas de la faculté de fournir la moitié de la mise en effets portant cinq pour cent d'intérêt.

Voilà, Messieurs, le projet ou l'esquisse du décret qui parait devoir être la suite de votre dernière délibération relative aux finances ; je soumets ces idées à votre jugement, en me permettant encore de vous observer que rien n'est plus instant.

Le don extraordinaire ! 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5083_t1_0230_0000_3

Il me reste, Messieurs, à vous demander une grâce : c'est de vouloir bien me faire l'honneur de recevoir, en signe de zèle et de bon exemple, ma soumission particulière à la contribution patriotique ; je l’ai fixée à 100,000 francs, et je déclare avec vérité qu'elle est fort au-dessus de la proportion que vous en avez adoptée. (On applaudit à plusieurs reprises.)

M. le Président répond : 

"La France est depuis trop longtemps accoutumée aux sacrifices que vous faites à la patrie, pour que l'Assemblée nationale puisse être surprise de celui que vous annoncez encore aujourd'hui ; elle me charge de vous en témoigner sa satisfaction : pour le surplus, elle délibérera."

 M. Necker se retire au milieu des applaudissements de la presque unanimité de l'Assemblée.

Nota : Vous aurez remarques ce « presque unanimité ». Nous pouvons en conclure que les députés n’étaient pas tous de grands naïfs.


1er Octobre 1789 : L'écrivain Louis-Sébastien Mercier fonde un journal, mais lisez ses livres

 

    L’écrivain Louis-Sébastien Mercier s’associe au journaliste Jean-Louis Carra pour fonder ce 1er Octobre 1789, un journal destiné à propager les idées de la révolution : "Les annales patriotiques et littéraires."

    Louis-Sébastien Mercier est plus connu à présent pour ses œuvres littéraires que pour sa carrière politique. Il écrivit en effet beaucoup. 

    Son livre décrivant la vie à Paris avant la révolution, "le Tableau de Paris", publié en 1781, se lit toujours avec intérêt si l’on veut apprendre nombre de détails de la vie quotidienne. Vous pourrez le lire dans la première fenêtre ci-dessous.

    Il écrivit également un étonnant roman d’anticipation, "l’An 2440", publié en 1771, que vous pourrez également découvrir dans la seconde fenêtre ci-dessous. Je vous conseille la lecture de cet article traitant de ce livre étonnant sur le site de l'Université de Poitier : "Une uchronie, l'An 2440 de Louis-Sébastien Mercier"

    Politiquement Louis-Sébastien Mercier changea souvent d’opinion. Alors qu’il avait écrit contre le rétablissement de la loterie, il ne répugna pas d’y accepter une place de contrôleur. Il s’en excusa en répondant à ceux qui lui en faisaient le reproche : « Depuis quand, dit-il, n’est-il plus permis de vivre aux dépens de l’ennemi ? »

    Je vous conseille également d'écouter à son propos ce podcast sur France Culture de 29 minutesLouis-Sébastien Mercier : les écrits et les cris du ventre de Paris


"Le Tableau de Paris" et "L'An 2440"


L'An 2440 :