"Messieurs, je viens vous remercier très-humblement des
sentiments de confiance qui ont contribué à vous faire adopter les idées dont
j'ai eu l'honneur de vous rendre compte ; ces sentiments seront toujours
l'objet de mon ambition et ma récompense la plus précieuse, et je vous prie de
recevoir avec bonté l'hommage de ma respectueuse reconnaissance.
Je ne sais pourquoi l'on a voulu me faire considérer
l'étendue et la plénitude de votre confiance comme une sorte de responsabilité
qui m'était imposée ; il n'en est aucune qui pût m'effrayer, s'il n'y avait pas
moyen de témoigner au Roi et à la nation mon absolu dévouement. Je cours un
bien grand hasard par la simple réunion de mon bonheur au succès des affaires
et à la prospérité de l'Etat : d'ailleurs, puisqu'au milieu de tant de
difficultés on ne peut se déterminer que par des vraisemblances, si quelqu'un
doit être compromis, si quelqu'un doit s'exposer à des reproches ne vaut-il pas
mieux que ce soit moi ? et que vous, Messieurs, qui pouvez faire tant de bien,
vous qui, pour le salut de l'Etat, devez conserver votre ascendant dans toute
son intégrité, vous soyez, si vous le voulez, absolument à part dans l'issue de
cette grande circonstance ?
Vous ne perdrez pas de vue néanmoins qu’une ressource
inusitée est commandée par une réunion de circonstances sans exemple. Il existe
des besoins urgents et considérables ; il n'y a plus de crédit, et le numéraire
effectif est entièrement disparu. Cependant vous avez déclaré à plusieurs
reprises et de différentes manières que vous vouliez être fidèles aux
engagements de l'Etat. Que reste-t-il donc, qu'un grand effort proportionné à
cette grande vertu ?
C'est un malheur sans doute, et un grand malheur, que d'être
obligé de conseiller le recours à une contribution considérable : je le connais
pour la première fois, et j'en éprouve toute l'amertume ; aussi, après m'être
assuré de moi-même et par devoir à cette peine sensible, tout ce qui pourrait
me venir des autres, opinion, jugement, censure, je le redoute moins. Mon âme
trop fortement préoccupée de ses propres regrets est moins soumise aux
atteintes des considérations extérieures.
Le moyen cependant que vous avez adopté avait été déjà
présenté par l'un des membres de cette Assemblée sous le nom de centième
denier, et votre mouvement général en faveur de cette proposition avait été
regardé comme une sorte d'assentiment au vœu de Paris, déjà manifesté de
plusieurs manières ; ainsi j'ai suivi l'opinion publique, je ne l'ai pas
prévenue.
Quoi qu'il en soit, me conformant à la teneur de votre
dernière délibération, j'ai cru devoir vous proposer mes idées sur le décret
qu'on attend avec impatience de la part de cette Assemblée ; j'ai supposé pour
un moment que j'avais à en tracer l'esquisse. J'ai cru que cette esquisse ou ce
projet de décret devait se rapporter au plan dont je vous ai fait l'exposition
; puisque vous l'avez adopté dans son entier, je demande la permission de vous
en faire la lecture.
ESQUISSE OU PROJET DE DÉCRET.
L'Assemblée nationale, ayant pris en considération le
rapport qui lui a été fait de la situation des finances par le premier ministre
de ce département, conformément aux ordres du Roi, a reconnu la nécessité :
1° D’assurer par une délibération préalable l'équilibre
entre les revenus el les dépenses fixes ;
2° De pourvoir aux besoins extraordinaires qui sont
indépendants des dépenses fixes ;
3° De concourir autant qu'il est en son pouvoir à la sûreté
des payements les plus prochains, et à la levée des embarras dans lesquels se
trouve en ce moment le Trésor royal par la rareté du numéraire et le discrédit
général.
En conséquence, l'Assemblée nationale a voté et décrété les
dispositions suivantes :
PREMIÈRE PARTIE
Relative aux revenus et aux dépenses fixes.
Art. 1er. Les dépenses ordinaires de la guerre, des
gouvernements et des maréchaussées qui, dans le compte des finances, se montent
à 99, 160,000 livres, non compris ce que les provinces et les villes s'imposent
et versent directement dans les caisses militaires, et non compris encore les
pensions militaires qui font partie de la dépense générale des pensions, seront
diminuées de 15 à 20 millions, en augmentant cependant d'une manière
raisonnable la paye et le sort des soldats, et le Roi sera prié d'ordonner que
de nouveaux plans d'organisation militaire assurent cette économie.
Art. 2. L'Assemblée nationale rend un hommage respectueux
aux sentiments qui déterminent Leurs Majestés à ne former dorénavant qu'une
seule et même maison, et elle accepte avec reconnaissance la résolution prise
par Sa Majesté de réduire à 20 millions les diverses dépenses connues sous le
nom de maison du Roi ; mais si cette disposition obligeait Sa Majesté à des
réductions qui pussent altérer son bonheur ou diminuer trop sensiblement la
majesté extérieure du Trône, l'Assemblée nationale, lorsque les temps
deviendraient plus heureux, s'empressera de témoigner à Sa Majesté qu'elle
partage, avec tous les Français, le désir de donner à un monarque bien-aimé, le
chef du plus grand empire, toutes les preuves de dévouement qui pourront intéresser
l'éclat du Trône et la satisfaction particulière de Sa Majesté.
Art. 3. L'Assemblée nationale chargera son président de se
retirer par devers le Roi, pour faire connaître à Sa Majesté que, vu la
nécessité d'établir dans toutes les parties de dépenses une économie sévère, et
vu le grand exemple donné par Leurs Majestés elles-mêmes, l'Assemblée prie le
Roi de prendre en considération l'étendue des fonds destinés annuellement aux
maisons des princes, et de vouloir bien concourir à leur réduction dans la
forme qui lui paraîtra la plus convenable. Le président fera connaître à Sa
Majesté que l'Assemblée nationale verrait avec satisfaction que cette réduction
pût soulager les finances de l'Etat d'une somme annuelle de plusieurs millions.
Art. 4. L'Assemblée, instruite que les fonds destinés aux
affaires étrangères, très-considérables autrefois, ont été successivement
diminués, et que la réduction depuis deux ans est de plus de 4 millions,
remerciera Sa Majesté des ordres qu'elle vient de donner pour un nouveau retranchement
successif d'un million.
Art. 5. L'Assemblée a décrété que les pensions actuellement
existantes seraient diminuées dès à présent de 5 à 6 millions, et elle charge
le comité des finances de former un projet conforme à cette disposition, et de
le mettre sous les yeux de l'Assemblée.
Art. 6. L'Assemblée approuve que le supplément de 2,500,000
livres fourni par le Trésor royal à la cuisse du clergé soit retranché de
l'état des finances.
Art. 7. L'Assemblée décrète que, lors de la réunion
prochaine des vingtièmes, de la taille, et de la capitation taillable dans une
seule imposition territoriale d'une somme déterminée, cette somme surpasse de
15 millions le produit actuel de ces impôts, à la charge que tous les
abonnements particuliers soient abolis, et que toutes les personnes et toutes
les terres privilégiées concourront dans une juste proportion au payement de
l'imposition territoriale. Et se réserve de plus, l'Assemblée, d'examiner
incessamment si au lieu et place de cette augmentation générale de 15 millions,
il ne lui conviendra pas mieux que chaque province, selon une répartition
quelconque, soit chargée des dépenses indiquées dans le discours du premier
ministre des finances et qui ensemble équivalent à peu près à cette somme de 15
millions.
Art. 8. L'Assemblée nationale détermine la suppression de la
dépense actuelle des haras.
Art. 9. L'Assemblée nationale approuve que les autres
économies indiquées, soit d'une manière générale dans le dernier discours du
premier ministre des finances, soit d'une manière plus précise dans son discours
à l'ouverture de l'Assemblée nationale, économies qui ont été rappelées et
expliquées plus particulièrement dans le rapport du comité des finances, soient
examinées de nouveau par le comité, de concert avec le premier ministre des
finances, et que le tableau circonstancié de ces économies soit incessamment
mis sous les yeux de l'Assemblée nationale, pour être pris par elle une
détermination définitive à cet égard.
Art. 10. Entend l'Assemblée, que soit par le produit de ces
économies, soit par celles que la diminution des anticipations pourra procurer,
soit par les premières extinctions des rentes viagères, soit enfin par d'autres
ressources, et d'une manière quelconque, un parfait équilibre soit établi entre
les revenus et les dépenses fixes, avant le 1er janvier de l'année prochaine.
Art. 11. L'Assemblée statue pareillement que la perte de
revenu, occasionnée par la réduction du prix du sel ; que les pertes encore de
ce genre, auxquelles pourrait exposer l'abolition entière de cet impôt, ou de
tout autre, seront exactement remplacées par d'autres contributions, de manière
que l'équilibre entre les revenus et les dépenses fixes ne soit jamais dérangé.
SECONDE PARTIE Relative aux besoins extraordinaires.
De nouveaux emprunts ne pouvant qu'augmenter le déficit
actuel, et l'état du crédit public ne permettant pas d'ailleurs de trouver par
ce moyen des fonds équivalents aux besoins extraordinaires de cette année et de
la suivante, l'Assemblée nationale, après avoir pris connaissance d'un mémoire
revêtu d'un grand nombre de signatures, par lequel on a proposé l'établissement
d'une taxe momentanée, relative à la fortune de chaque particulier, et après
avoir écoulé le rapport du premier ministre des finances, ainsi que le rapport
particulier du comité nommé par elle, pour conférer avec ce ministre, ladite
Assemblée ayant égard au péril dans lequel se trouve la chose publique, a
statué et statue ce qui suit:
Art. 1er. Il sera demandé à tous les habitants et à toutes
communautés du royaume, aux exceptions près indiquées dans l'un des articles
suivants, une contribution extraordinaire et patriotique, laquelle n'aura lieu
qu'une fois, et à laquelle ou ne pourra jamais revenir, pour quelque cause et
sous quelque motif que ce soit.
Art. 2. Cette contribution extraordinaire et momentanée
devant être égale et proportionnelle, afin que chacun soit disposé à s'y
soumettre, elle a été réglée par l'Assemblée au quart du revenu dont chacun
jouit, déduction faite des charges foncières, impositions, intérêts par billets
ou obligations ou rentes constituées auxquelles il se trouve assujetti, et de
plus à 2 1/2 % de l'argenterie ou des bijoux d'or et d'argent dont on sera
possesseur, et à 2 1/2 %de 1 or et de l'argent monnayés que l'on garde en
réserve.
Art. 3.Il ne sera fait aucune recherche ni inquisition pour
découvrir si chacun a fourni une contribution conforme aux proportions
ci-dessus indiquées ; il ne sera même imposé aucun serment ; mais l'Assemblée
pleine de confiance dans les sentiments d'honneur et de fidélité de la nation
française, ordonne que chacun, en annonçant sa contribution, s'exprimera de la
manière suivante :
Je déclare avec vérité que telle somme de... dont je
contribuerai aux besoins de l'Etat, est conforme aux fixations établies par le
décret de l'Assemblée nationale.
Ou bien, si cela est,
Je déclare, etc... que cette contribution excède la
proportion déterminée par le décret de V Assemblée nationale.
Art. 4. Ces déclarations se feront par devers les
municipalités des lieux dans lesquels on a son principal domicile, ou par
devers tels délégués nommés par ces municipalités.
Art. 5. Les marchands et autres citoyens qui, dans quelques
villes, payent leur capitation en commun et par rôle particulier, jouiront de
la même facilité pour le payement de la contribution patriotique, et ils feront
leur déclaration par devers les syndics de leur communauté.
Art. 6. Les personnes absentes du royaume enverront
directement leur déclaration aux municipalités de leur principal domicile, ou
elles donneront leur procuration à telles personnes qu'elles jugeront à propos
de choisir, pour donner en leur nom cette déclaration.
Art. 7. Toutes les déclarations devront être faites au plus
tard avant le 1er janvier de l'année prochaine, et les municipalités
appelleront ceux qui seraient en retard,
Art. 8. Il sera dressé, sans perte de temps, un tableau du
montant général des déclarations, afin que l'Assemblée nationale puisse avoir
connaissance incessamment de l'étendue de celte ressource, et comparer ensemble
les contributions de chaque province et de chaque ville.
Art. 9. Chaque municipalité aura un registre dans lequel ces
déclarations seront inscrites, et ce registre contiendra les noms des
contribuants, et la somme à laquelle ils auront fixé leur contribution.
Art. 10. En conformité de ce registre, il sera dressé un
rôle des diverses sommes à recevoir de chaque particulier, lequel rôle sera
remis aux mêmes préposés qui sont chargés de recevoir les vingtièmes ou la
capitation, pour en faire le recouvrement ; et les deniers qui en proviendront
seront remis aux receveurs des impositions ou aux trésoriers des provinces, qui
les remettront sans délai au Trésor royal ou à sa disposition.
Art. 11. Le tiers de la contribution totale sera payé d'ici
au 1er avril 1790 ; le second, du 1er avril
1790 au 1er avril 1791 ; le troisième, du 1er avril 1791 au
1er avril 1792.
Art. 12. Tous ceux qui voudront payer leur contribution
comptant, en un seul payement, seront libres de le faire, et ils auront droit,
pour leur avance, à la déduction de l'intérêt légal.
Art. 13. Ne seront assujettis à aucune proportion tous ceux
dont le revenu n'est que de 400 livres : ils seront déclarés libres de fixer
cette proportion selon leur volonté.
Art. 14. Les ouvriers et journaliers sans propriété ne
seront obligés à aucune contribution ; mais on ne pourra cependant rejeter
l'offrande libre et volontaire d'aucun citoyen, et ceux qui sont déclarés
exempts par cet article, pourront se faire inscrire sur le rôle des
contribuants pour telles modiques sommes qu'il leur plaira de désigner.
Art. 15. Au mois d'avril 1792, et à l'expiration du dernier
terme désigné pour l’acquit final de la contribution patriotique, le registre des déclarations réellement
acquittées sera clos et scellé par chaque municipalité, et déposé à son greffe
pour n'être ouvert de nouveau qu'à l'époque désignée dans l'article suivant.
Art. 16. À l'époque où le crédit national permettra
d'emprunter à quatre pour cent d'intérêt en rentes perpétuelles, circonstance
heureuse et qui ouvrira de nouvelles ressources à l'Etat, il sera procédé
successivement et selon les dispositions qui seront alors déterminées au
remboursement des sommes qui auront été fournies gratuitement pour subvenir à
la contribution extraordinaire délibérée par le présent décret.
Art. 17. Le remboursement ne pourra être fait qu'au
contribuant, ou à telle personne qu'il aura désignée dans sa déclaration, pour
jouir après lui de ses droits ; et, si cette personne, ainsi que le
contribuant, est décédée à l'époque du remboursement, l'état sera affranchi de
ce remboursement.
Art. 18. Chaque municipalité sera tenue d'informer les
administrations de sa province de l'exécution successive des dispositions
arrêtées par le présent décret, et ces administrations en rendront compte à un
comité composé du ministre des Finances et des commissaires qui seront nommés
par l'Assemblée nationale, pour surveiller avec lui toute la suite des
opérations relatives à la rentrée et à l'emploi de la contribution patriotique.
TROISIÈME PARTIE Relative au moment présent.
L'Assemblée nationale s'en remet au Roi du soin de prendre
avec la caisse d'escompte ou avec des compagnies de finance tels arrangements
qui lui paraîtront convenables, afin de recevoir d'elles des avances sur le
produit de la contribution patriotique, ou sur telles autres exigibles qui pourront
leur être délivrées.
L'Assemblée nationale approuve que le premier ministre et le
comité des finances examinent, de concert, les projets qui seront présentés
pour la conversion de la caisse d'escompte en une banque nationale, et que le
résultat de cet examen soit mis sous les yeux de l'Assemblée.
L'Assemblée nationale invite les particuliers, les fabriques
et les communautés à porter leur argenterie aux hôtels des monnaies, et elle
autorise les directeurs de ces monnaies à payer le titre de Paris 55 livres le
marc en récépissés, à six mois de date sans intérêt, lesquels récépissés seront
reçus comme argent comptant dans le recouvrement de la contribution patriotique
; l'Assemblée nationale autorise de plus le Trésor royal à recevoir dans
l'emprunt national l'argenterie au titre de Paris, à 58 livres le marc, à
condition que, moyennant cette faveur particulière, on ne jouira pas de la
faculté de fournir la moitié de la mise en effets portant cinq pour cent
d'intérêt.
Voilà, Messieurs, le projet ou l'esquisse du décret qui
parait devoir être la suite de votre dernière délibération relative aux
finances ; je soumets ces idées à votre jugement, en me permettant encore de
vous observer que rien n'est plus instant.