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jeudi 24 septembre 2020

24 Septembre 1789 : Le club esclavagiste Massiac, lance la chasse contre le mulâtre Vincent Ogé

 

Vincent Ogé

    Le Club de l'hôtel de Massiac, fondé le 20 août à Paris, craint la diffusion des revendications des "libres de couleur" dans les colonies, qui ont fondé une association à Paris le 29 août dernier (Lire l'article). 

    Ce 24 septembre 1789, le Club apprend par la voix d’un de ses membres que le quarteron libre Vincent Ogé, un des membres influents du groupe des libres de couleur de Paris, tenterait de rejoindre Saint-Domingue par le port de Bordeaux. 

    Le lendemain, la société transmet l’information aux villes maritimes de France en leur indiquant les précautions à prendre afin d’empêcher les libres de couleur d’embarquer depuis l’un de leurs ports

    Malgré cela, en juin 1790, Vincent Ogé, partira pour Saint-Domingue par Londres en bénéficiant du soutien des philanthropes anglais, pour y faire valoir une interprétation favorable aux libres de couleur du décret du 8 mars 1790 dont nous reparlerons le moment venu.

Source : https://journals.openedition.org/lrf/1403


mercredi 23 septembre 2020

23 Septembre 1789 : Un mot sur les routes du XVIIIè siècle et sur l'arrivée du régiment de Flandre à Versailles...

 Article mis à jour le 6 août 2023

Le régiment de Flandre arrive à Versailles...

    Le régiment de Flandre, qui avait reçu le 14 septembre, l’ordre du roi de quitter son cantonnement de Douai, pour rallier Versailles, vient d’arriver ce mercredi 23 septembre 1789.

    Douai se situe à environ 210 km de Versailles. Nous constatons sur la carte ci-contre que ce trajet bénéficiait d’une ligne de diligences qui mettait Douai, situé sur la route de Lilles, à 2 jours de Versailles (temps pour envoyer l’ordre). 

    A pied, ces 210 km se parcourent en un peu plus de 40h (43 nous dit Google), soit 4 jours à 10h de marche/jour. 

    En tenant compte du temps de préparation de l’intendance, on en déduit que le régiment a obéit promptement (où qu'il attendait l'ordre ?).

    Mais quelle idée Louis XVI a-t-il derrière la tête ? Comment ne pas penser aux troupes appelées à cerner Paris début juillet, fatale stratégie qui avait poussé le peuple inquiet à se révolter !?


Les Routes au 18ème siècle

    J'ai trouvé cette carte, ainsi qu'une foule de précieuses informations sur les routes au dix-huitième siècle dans cet article librement accessible : "La grande mutation des routes au XVIIIè siècle". Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder.


Carte du réseau routier en 1797

Notez le peu de routes en Bretagne.



Conseils de lectures.

    Je vous conseille une nouvelle fois, la lecture de l'indispensable livre dont je vous ai parlé il y a peu. Il traite également de ce sujet des routes de France :

    J'ai trouvé également sur le même sujet, cette page qui donne de précieuses informations tirées d'un livre de Monsieur Christophe Studeny : Une histoire de la vitesse : Le temps de voyage

Soldats du régiment de Flandre


23 Septembre 1789 : L'Assemblée s'intéresse à l’Eglise Catholique Romaine, mais Gallicane.

Réformer l'Eglise ? Pourquoi pas ? Tant de souverains l'avaient déjà fait depuis Philippe le Bel, jusqu'au propre frère de Marie Antoinette !

Jean-Baptiste Treilhard

    Ce mercredi 23 septembre 1789, parmi les nombreux sujets traités par la laborieuse Assemblée, le Comte Jean-Baptiste Treilhard, un des membres du comité des affaires ecclésiastiques, présente un rapport sur le remplacement des dîmes appartenant aux ecclésiastiques et gens de mainmorte.
    Le rapporteur explique que les dîmes ecclésiastiques abolies les 4 août et jours suivants, ne l'ont été que sauf à pourvoir d'une autre manière aux frais du culte divin et autres objets énoncés dans l'arrêté, en sorte qu'il en résulte qu'elles n'ont pas été abolies sans remplacement.

    Le premier moyen de remplacement devrait être tiré des bénéfices qui sont aux économats, moyen insuffisant ; le second devrait être trouvé dans le titre des bénéfices qui ne sont pas nécessaires et qui viendront à vaquer ; le troisième se trouve dans les biens monastiques.


    M. Treilhard pense qu'il ne faut pas supprimer d'ordre entier, parce que les pensions des membres de ces ordres absorberaient tous les revenus, mais qu'on doit seulement faire refluer les religieux de plusieurs maisons moins considérables, dans un certain nombre de maisons du même ordre, alors on pourra disposer des biens des maisons évacuées ; mais jusqu'à quel point trouvera-t-on des ressources dans ces opérations ? On ne pourra le savoir qu'en se procurant la connaissance de tous les biens ecclésiastiques.

C'est pour pourvoir à ces connaissances préliminaires que le comité ecclésiastique propose le projet d'arrêté suivant :

« L'Assemblée nationale autorise le comité des affaires ecclésiastiques à se procurer tous les renseignements nécessaires sur les dîmes et sur les biens ecclésiastiques. »

(Cette partie du rapport est adoptée.)

M. Treilhard proposait en outre :

1° Qu'il sera fourni par le directeur des économats un état exact de tous les bénéfices étant actuellement aux économats, de tous leurs revenus, de toutes les charges dont les économats peuvent être grevés, même des états des revenus de tous les bénéfices consistoriaux qui ont été aux économats ;

2° Que le Roi sera instamment supplié de suspendre la nomination à tous bénéfices étant à sa disposition, autres toutefois que les évêchés et bénéfices à charge d'âmes et à résidence, et les bénéfices simples dont le revenu est au-dessous de 3,000 livres ;

3° Qu'il sera fourni par les administrations provinciales, municipalités, chambres ecclésiastiques, syndics des diocèses, procureurs généraux, archevêques, évêques, chefs d'ordres et supérieurs de maisons, un état exact de tous les titres de bénéfices, établissements ecclésiastiques, hôpitaux, collèges, séminaires et communautés étant dans leur ressort, avec un état de tous les revenus desdits bénéfices et établissements ainsi que des charges dont lesdits revenus et notamment les dîmes peuvent être grevés ;

4° Toute personne qui peut avoir des connaissances particulières sur la valeur des biens ecclésiastiques est invitée à les fournir.

5° Enfin l'Assemblée nationale charge le comité des affaires ecclésiastiques de suivre avec soin l'exécution du présent arrêté.

L'Assemblée ne statue rien sur ces cinq articles.

M. Treilhard n'insiste pas pour que la discussion continue.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5037_t1_0125_0000_7 

Inventaire ?

    Vous aurez remarqué que le sujet de l’inventaire de tous les biens ecclésiastiques est à peine effleuré. Mais soyez certains que ce sujet va devenir particulièrement brûlant, car dans cette France au bord de la faillite, l’Eglise est immensément riche.


Eglise gallicane ?

    Le comité Ecclésiastique avait été établi par un décret de l’Assemblée nationale constituante du 12 août 1789, commun aux comités de Judicature et Féodal. Tous trois avait été chargés de préparer le travail législatif relatif aux anciens droits supprimés lors de la fameuse nuit du 4 août. Au comité Ecclésiastique revenait la question de la dîme, dont le remplacement avait été proposé par les députés du clergé eux-mêmes, mais dont le mode de compensation divisait l’Assemblée. Plus généralement, le comité était chargé de préparer une réforme de l’Église gallicane.

    Peut-être êtes-vous surpris par cette dénomination de l’église, comme gallicane ? Le gallicanisme remonte pourtant à Philippe le Bel, dont les hommes de loi avaient commencé à concevoir cette doctrine, quand ce roi s’opposait au pape Boniface VIII. Il s’agissait pour le roi de marquer l’indépendance du pouvoir temporel, c’est-à-dire son pouvoir, par rapport au pouvoir spirituel qui était du domaine du Pape. Le pape avait publié une bulle le 18 novembre 1302, dans laquelle il affirmait :

« Il est de nécessité de salut de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain : nous le déclarons, l’énonçons et le définissons. » 

    Philippe Le Bel avait très mal pris cette ingérence du pape dans les affaires de son royaume, qu'il entendait gouverner à sa guise. Il avait même essayé de faire enlever ledit pape pour le faire remplacer.

    Nous nous sommes éloignés de l'époque de la Révolution, mais la Nation dont nous reparlerons souvent, s'est construite durant des siècles. Je me permets de vous conseiller l'écoute de cette passionnante émission de France Culture évoquant Philippe le Bel, le roi qui inventa une monnaie royale, dans le but d'affirmer sa légitimité sur son royaume si fragmenté.

Lien : https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/chroniques-de-linterventionnisme-14-philippe-le-bel-ou-linvention-de-la-monnaie-unique

Philippe le Bel et ses légistes

    On verra très souvent, au cours de l’histoire de France, le roi s’opposer au pape et tenter de mettre de la distance entre l’église de France et le Vatican. Cela n’atteindra jamais le stade du schisme, comme ce qui est arrivé en Angleterre avec l’Anglicanisme, que les gens confondent souvent à tort avec le Protestantisme (Les Anglais ne sont pas Protestants). Mais cela imprégnera fortement la politique des rois. Il s’agit en quelque sorte d’une première tentative de séparation de l’église et de l’état, 600 ans avant celle de 1905.


Périlleuses réformes de l'Eglise.

    Comme les rois avant eux, les constituants vont donc tenter de réformer l’Eglise Catholique et Romaine, en essayant, une fois de plus, de la détacher du pouvoir du pape.

    Certains rois de France, comme Charles IX et Henri III, procédèrent même en leur temps à d'importantes ventes de biens du Clergé.

    Mais de cela, on ne vous parle jamais bien sûr. Dans l'esprit de tous, il n'y a que la grande méchante révolution qui a malmené le richissime clergé ! Même les décapitations de statues des saints sur les églises, causées pour la plupart par les Protestants dans les guerres de religions, sont attribuées systématiquement à la Révolution !

Lire cet article : Les aliénations du temporel ecclésiastique sous Charles IX et Henri III (1563-1587)


    Savez-vous que Joseph II, l'empereur du saint-empire Romain d'Autriche Hongrie, le propre frère de Marie-Antoinette, avait déjà lui-même procédé à d’importantes réformes de l’Eglise dans son empire, en vendant lui aussi des biens ecclésiastiques et en fermant des couvents ? Il était même entré en conflit ouvert avec le pape à cause de cela. Raison pour laquelle le Pape verra d'un très mauvais oeil cette réforme française et qu'il réagira très très mal à la publication de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Joseph II


    Joseph II fut surnommé l'Empereur révolutionnaire. Il 
publia à lui seul des milliers de décrets en 10 ans ! Sa doctrine de réformes pris le nom de Joséphisme. Je vous conseille de vous intéresser à la vie de ce "despote éclairé" dont la devise était "Tout pour le peuple, rien par le peuple"...

    Quel dommage que la pauvre Marie-Antoinette n'ait pas eu les talents de son frère. Elle et Louis XVI s'en seraient mieux portés...


mardi 22 septembre 2020

22 Septembre 1789 : Les boulangers s'énervent, mais Bailly n'est pas dupe !

 

Boulangerie au 18ème siècle

Voici les suites de l'affaire que nous évoquions le veille (21 septembre).

Les boulangers de Paris écrivent une lettre à la Commune de Paris.

Source (pages page 64, 65, 66.) :

https://ia903402.us.archive.org/10/items/actesdelacommune02lacruoft/actesdelacommune02lacruoft.pdf

Représentation de la communauté des maitres-boulangers de la Ville de Paris, aux soixante et un district composant ladite Ville (8 p. in-4°)

22 septembre 1789

Messieurs,

Notre zèle, notre amour pour nos concitoyens, et la dure nécessité de repousser les propos injurieux tenus contre les membres qui composent notre communauté, nous obligent à rompre enfin le silence. Qui d'entre nous eut pu s'attendre à devenir la victime de la cupidité et de la malice des monopoleurs, qui sans cesse cherchent à surprendre la religion des officiers municipaux ?

Cependant, la disette menace de jour en jour la capitale. Quelle fut l'origine de ces malheurs inouïs, et comment y remédier ? Voilà le but principal de notre députation vers votre assemblée.

Daignez, Messieurs, écouter notre justification.

Notre empressement à courir à la Halle chercher des farines est un des plus puissants moyens de reproches employés contre nous. " Si leurs gains n'étaient point excessifs, — répand-on dans le public, — ils ne s'en tiendraient point aux farines rares de la Halle ; ils ne s'y donneraient point autant de peine pour en avoir et chercheraient à se pourvoir ailleurs. »

Quelle injustice criante ! Veut-on semer le désespoir parmi nous, détruire et abattre entièrement notre courage qui ne se soutient que par le plus pur patriotisme ? Comment peut-on avancer inconséquemment des faits sans preuves ? Où est donc ce gain si excessif, lorsqu'il est démontré que, sur le poids seul des sacs de 217 livres venant du Havre, il y avait 41 et 45 livres de déchet, sans les frais du travail de pulvérisation ?

Citoyens que l'erreur et les agents du malheur public ont prévenus coutre nous, désabusez-vous ! Prêtez une seule fois l'oreille attentive aux malheureux boulangers. Nous n'avons jamais appris à en imposer au peuple par une éloquence aussi pernicieuse qu'insinuante.

La capitale manque de farine : cependant, ou accorde aux boulangers, meuniers et fermiers toute espèce de permissions ; des brevets même leur sont délivrés à l'Hôtel de Ville, et il est sorti en leur faveur un arrêt du Conseil d'État du Roi du 1 septembre. « Ils sont donc coupables, — se permet-on de dire, — si l'approvisionnement de la capitale souffre. »

Citoyens, désabusez-vous ! Les laboureurs, intéressés à entretenir leurs denrées à un prix excessif, ne se pressent point, au mépris de cet arrêt, de battre leurs grains, et, d'un autre côté, le peu de grains qui s'amène aux marchés publics se lève tant par le peuple que par la municipalité de Paris, sans même aucune concurrence avec les boulangers qu'on se permet d'en expulser. Il est possible de vous donner d'autres preuves de notre zèle. Le plus grand nombre des boulangers de Paris n'a-t-il pas, mais inutilement, parcouru et visité les campagnes ? Les boulangers se sont présentés, il y a quelques jours, chez un fermier : celui-ci leur a répondu « qu'il n'avait pas de blé à vendre et que sa vie serait exposée s'il en vendait. » Le procès-verbal de ce refus a été déposé à l'Hôtel de Ville, où il est mis en oubli. Qu'en devons-nous conclure, lorsque ce fermier a déclaré qu'il lui était défendu de vendre ? De qui donc tenait-il sa défense ?

En voilà assez pour vous témoigner de nos efforts. D'ailleurs, notre sensibilité répugne à citer des anecdotes qui font rougir l'humanité même.

Non contents de nous imputer la cause de la disette, nos ennemis nous reprochent d'empoisonner nous-mêmes nos farines en y mêlant de la chaux, et pour (et pour nous ôter tous moyens de défenses ils ont surpris la religion des officiers municipaux en obtenant une affiche qui défend de vendre les farines vicieuses qui se trouvaient à la Halle. Vous le voyez comme nous, Messieurs : elles existaient donc ces farines vicieuses ! On nous les a donc amenées, et on nous les a donc amenées, toutes mêlées de chaux à la Halle, puisque c'est de la Halle que nous les tirons. Et le dessein de l'Hôtel de Ville n'a-t-il pas été de les vendre, puisque les officiers commis à la Halle les ont taxées à 36 livres, puisqu'il existe au bureau de chaque facteur un bulletin imprimé de l'Hôtel de Ville qui fixe la taxe des différentes farines suivant leurs qualités, dans lequel bulletin sont comprises celles dont il est ici question.

Si la crainte d'exposer sa vie en ne fabriquant aucune espèce de pain a forcé quelques boulangers à employer de ces farines vicieuses et exposées en vente, puisqu'elles sont taxées, faut-il que le sieur de Luchet ait l'âme assez criminelle pour les déclarer, par la voie de l'impression (allusion au Journal de la Ville), coupables d'Un crime qui fait frémir l'humanité, et les désigner au peuple comme les seules victimes qu'il ait à « chercher dans ces moments de révolution ? D'ailleurs, serions-nous les seuls coupables ? L'Hôtel de Ville de Paris n'a-t-elle (sic) pas prié certain nombre de boulangers de fabriquer du pain à son compte, pour en faire la distribution, tant dans les rues que dans les différents marchés de la Ville ?

Combien de faits n’aurions-nous pas encore à citer pour prouver les difficultés que nous éprouvons dans notre commerce ?

Lorsqu'aucune compagnie ne se mêlait de faire le commerce de grains et farines, lorsque les meuniers, fariniers et boulangers faisaient seuls ce commerce utile, la Ville de Paris a-t-elle jamais éprouvé une aussi grande disette ?

C'est dans ces circonstances que notre communauté supplie l'assemblée de choisir parmi ses membres un député pour, concurremment avec semblable députation de chaque district, en présence des syndics et adjoints de notre communauté, se rendre le lendemain matin à la Halle aux farines, à l'effet de les examiner pour en permettre ou en défendre la vente selon ce qu'il appartiendra et, du tout, dresser procès-verbal ; la suppliant, en outre, de déclarer, par une affiche apposée à la porte des boulangers, l'article du Journal de la Ville du 18 septembre présent mois, rédigé par Pierre de Luchet injurieux et calomniateur contre les membres de notre communauté, et de demander, au nom du district et de la communauté, que les boulangers, meuniers et fariniers soient seuls autorisés à acheter sur les marchés en justifiant d'un brevet signé des officiers de districts.

Signé : Bonnard, Thomas, Plicque, Huchon. Boudier. etc. (Au total, quarante-deux signatures).

Bailly n'est pas dupe.

Bailly, après avoir raconté dans ses Mémoires l'incident de la séance du 24 septembre, soir, ajoute les réflexions suivantes (t. II, p. 389) :

« Il est bien sûr qu'on avait des intentions perverses, et que le but était d'indisposer le peuple contre la Commune. J'observai alors que ce que j'avais annoncé était vérifié : les boulangers étaient soumis au Comité (des subsistances) avant que l'Assemblée (des Représentants) eût appelé à elle l'administration des subsistances, qui devait rester renfermée dans ce Comité; aussitôt que les boulangers ont aperçu une autorité supérieure, ils sont venus y porter des plaintes, dans l'espérance d'égarer plus facilement une Assemblée qu'un Comité; et l'Assemblée, après avoir souffert que son Comité fût compromis devant elle avec les boulangers, n'ayant pu leur accorder finalement que Justice, ce qui n'a pu les satisfaire, a été traînée elle-même devant les districts où les boulangers dominaient facilement et qu'ils ont invoqués comme une autorité supérieure, et plus aisée encore à égarer. »

    On peut consulter aux Archives nationales deux dossiers (Y 10002 et Y 10033) signalés par M. Tuetey (Répertoire général, t. 1, n°3210), contenant l'interrogatoire par le commissaire Beauvallet des sieurs Bonnard et Boudier, boulangers, arrêtés en vertu des ordres du Comité de police de l'Hôtel de Ville, pour avoir fait imprimer et distribuer dans les districts « des écrits tendant à soulever le peuple (25 septembre), et l'information ouverte contre le sieur Boudier (8 octobre).

Sylvain Bailly, maire de Paris


Conclusion ?

    Rien n'est simple dans ces affaires. Il y a effectivement des boulangers indélicats. Mais que dire de ces fermiers qui ne veulent ou ne peuvent vendre leur blé ou de ces meuniers qui ne veulent ou ne peuvent le moudre ? Qui leur interdit ? Leur interdit-on vraiment où la situation de crise les pousse-t-elle à le garder en attendant des jours meilleurs ? N'oublions surtout pas non plus les accapareurs, les monopoleurs qui achètent et stockent de grosses quantités pour vendre quand les prix seront au plus fort ! Nous verrons même qu'en situation de pénurie, du blé est vendu à l'étranger !

   La faim fait perdre la raison et rend violent. De nouvelles émeutes vont éclater, des boulangers seront pendus, des fournisseurs seront inquiétés. Ce problème de l'Ancien régime perdurera durant toute la Révolution, et ce, jusqu'à la fin de celle-ci, le 27 juillet 1794.


Attention, le paragraphe ci-dessous vous raconte la fin de la Révolution... 😉


La Révolution s'achèvera sans avoir pu apporter le pain pour tous.

    Après la seconde Révolution du 10 août 1792, une fois que la 1ère République aura été instaurée, des mesures plus vigoureuses seront prises pour satisfaire les besoins en pain. Le 15 novembre 1793 (26 brumaire An II selon le calendrier républicain), un décret sera promulgué par la Convention qui imposera pendant un temps un pain unique, le “pain de l’égalité”. Le texte stipulera que tous les Français doivent manger le même pain : « La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : Le Pain Égalité ».

    A forte teneur en son, et composé d'un mélange de trois quarts de froment et d'un quart de seigle : “tous les boulangers seront tenus, sous peine d’incarcération, de faire une seule et bonne espèce de pain”.

    La même année, le four banal, toujours en usage dans les campagnes et qui appartenait au seigneur local, devient un four communal, en conservant néanmoins un système de taxe. Les grandes fermes seront également autorisées à avoir leur propre four.

    La Convention montagnarde, sous la pression des masses populaires menacera de peine de mort les accapareurs le 26 juillet 1793. Il s’agissait des commerçants qui ne déclaraient pas et n’affichaient pas sur leur porte la liste de leurs stocks d’aliments. Cette loi promulguée dans un contexte de guerre ne sera jamais pleinement appliquée. La Convention créera aussi des greniers publics par districts le 9 août et mettra les récoltes en réquisition le 17 août. Enfin, l’une des mesures symboliques sera la loi du Maximum général à l’échelle nationale, votée le 29 septembre 1793, qui limitera les prix des denrées de première nécessité dont la viande fraîche et salée, le lard, le beurre, l’huile, le savon, le bois de chauffage, les souliers et surtout le pain. La loi du Maximum touchera ensuite les salaires.

    Pour les Montagnard et les robespierristes ces mesures reposaient sur un projet institutionnel basé sur le droit inaliénable aux subsistances primaires et le refus de l’autonomie de la sphère économique.

    Une fois que les armées contre-révolutionnaires auront été repoussées hors du territoire français durant l’été 1794 notamment après la bataille de Fleurus (26 juin 1794), le programme de l’An II commencera à être remis en cause. Il prendra effectivement fin après l’élimination de Robespierre, des Montagnards et de leurs alliés à la Commune de Paris.

Suite à la mort de Robespierre, aura lieu ce que les historiens appellent la « réaction thermidorienne ». La Convention opèrera petit à petit un détricotage de la législation dirigiste et sociale puis une répression s’abattra sur la base populaire et les députés montagnards. Le 24 décembre 1794, la loi du Maximum sera définitivement supprimée par la Convention, celle-ci voulant opérer un retour à une vision libérale sur le Commerce des grains.

    Malheureusement, par suite d'un hiver rigoureux et au rétablissement du libre commerce des grains, le printemps 1795 verra le retour de terribles disettes, voire de famines, dans le Bassin parisien ainsi que dans le nord de la France où se répandront des brigands. Cette crise alimentaire verra ressurgir les contestations populaires dans la capitale où la Convention, en parallèle du marché libre, ne parviendra pas à mettre en place des rations de pain suffisantes pour les plus pauvres. 

    Le 1er avril 1795 des manifestants avec une majorité de femmes envahiront la Convention pour demander plus d’accès au pain. 

    Le 20 mai 1795 une insurrection parisienne des faubourgs populaires envahira à nouveau la Convention en demandant « du pain et la constitution de 1793 ». Mais quelques jours plus tard la troupe militaire qui n’était pas intervenue dans la Capitale depuis le début de la Révolution française réprimera le mouvement et arrêtera 2 000 révolutionnaires considérés comme « terroristes », d’après une loi du 21 mars rédigée par l’Abbé Sieyès. Quelques jours plus tard les derniers députés Montagnards seront mis en accusation, emprisonnés, et pour certains condamnés à mort. Cela sonnera alors comme le chant du cygne du mouvement populaire parisien pour établir une législation populaire sur l’accès aux biens de subsistance primaires comme le pain tandis que le recours à l’armée par la Convention thermidorienne préfigurera le régime césariste de Napoléon Bonaparte. 

    Enfin, en octobre 1795 sera mis en place le Directoire qui niera la référence au droit naturel et aux principes de 1789 avec une constitution fondée sur le libéralisme économique et le suffrage censitaire. Boissy d’Anglas, grand théoricien de la Constitution du Directoire désire mettre en œuvre le « Gouvernement des meilleurs » et rêve d’une « réconciliation entre les riches et les pauvres », tout en stigmatisant les « mauvais citoyens qui ne possédant rien et ne voulant point travailler pour acquérir, ne vivent que dans le désordre et ne subsistent que de rapines ».

La Révolution française venait de se terminer.


Sources pour la dernière partie : 

https://lvsl.fr/la-revolution-francaise-et-la-conquete-du-pain/

https://www.radiofrance.fr/franceculture/prix-de-la-baguette-quand-le-cours-du-pain-etait-fixe-par-l-etat-7602312


22 Septembre 1789 : Le roi fait don de sa vaisselle d’argent pour aider à rembourser la dette nationale ! L’Assemblée apprend la nouvelle avec stupeur !

 Article mis à jour le 22/09/2023.

Ménagère en argent, style Louis XVI

Des donateurs inattendus !

    Souvenez-vous du 7 septembre dernier, lorsque des femmes étaient venues déposer leurs bijoux à l’Assemblée pour aider à rembourser la dette nationale. Depuis, l’Assemblée reçoit chaque jour des dons patriotiques. Mais aujourd’hui, le donateur n’est autre que Louis XVI ! Louis XVI fait don de sa vaisselle d’argent afin de participer au remboursement de la dette nationale.

    Nous apprendrons de la voix de Necker, lors de son discours de présentation de l'état des finances devant l'Assemblée nationale, que c'est lui qui a fait cette proposition au roi ! Proposition que le roi a accueillie avec empressement, et que l'apprenant, la reine a ordonné sur le champ de disposer également de toute sa vaisselle !

Source, page 140 : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5042_t1_0139_0000_6

Petit rappel. Comment en est-on arrivé là ?

    Durant des années, Louis XVI s’est heurté à l’hostilité de l’aristocratie qui l’a empêché de faire procéder aux réformes nécessaires pour renflouer les caisses de l’Etat par le biais de ses ministres successifs. La Noblesse ne voulait rien céder de sa richesse ni de ses privilèges. Les Assemblées des notables organisées en 1787 et 1788 ont échoué. Les parlements ont refusé d’enregistrer les lois nouvelles, et en manipulant le peuple pour qu’il se révolte, ils ont même contribué à créer une hostilité grandissante envers le pouvoir royal. C’est dans cette situation d’impasse que Louis XVI a dû se résoudre à convoquer les Etats Généraux, comme pour prendre à témoins l’ensemble de la société.

    Finalement (si l'on peut dire), les Etats Généraux, ont accouché de cette Assemblée nationale de notables, qui apprennent ce jour avec stupeur que le roi a fait don de sa vaisselle pour aider à rembourser la dette nationale...

Je vous laisse réfléchir un instant à tout cela.

Le couvert du roi, exposé à Versailles.

Voici la réaction de l’Assemblée nationale, lorsqu’elle apprend la nouvelle :

M. Boéry fait la motion suivante :

« Le sacrifice auquel le Roi s'est déterminé en envoyant son argenterie à la Monnaie, nous prouve assez qu'en voulant consacrer à jamais la liberté, il veut aussi rétablir l'ordre des finances. Un si généreux patriotisme est bien capable de donner l'éveil le plus puissant à tous les cœurs français.

Dans ce moment, lorsque la nation est rassemblée, souffrira-t-elle que le Roi se prive d'une superbe argenterie, le chef-d'œuvre de l'art, ouvrage des artistes les plus célèbres, et qui fait l'admiration de tous les princes étrangers ? Vous ne souffrirez sans doute pas, Messieurs, que le sacrifice auquel le Roi s'est déterminé s'accomplisse. Déjà vous avez annoncé que vous alliez décréter que les citoyens payeraient le centième de leur fortune ; les députés du Berry renouvellent ces engagements ; ils font leur soumission pour payer le centième de leur fortune, et leur soumission, ils l'ont déposée sur le bureau. »

Mirabeau répond :

« Je ne m’apitoie pas aisément sur la faïence des grands ou la vaisselle des rois ; je pense néanmoins, comme les préopinants, qu’il n’y a pas lieu à délibérer, mais par une raison différente : c’est qu’on ne porte pas un plat d’argent à la Monnaie qui ne soit aussitôt en circulation à Londres. »

Monsieur de Toulongeon voudrait qu’on prît des moyens plus grands et plus dignes d’une nation pour le paiement des dettes de l’Etat ; mais dans les calamités publiques, c’est le luxe corrupteur, ce sont les jouissances fastueuses et les richesses stériles qu’il faut sacrifier à la sûreté de la patrie.

Monsieur Deschamps parle avec éloquence, et intéresse l’Assemblée, enfin un cri presque général s’élève pour que Monsieur le Président se retire auprès du Roi, pour lui porter le vœu de l’Assemblée.

D’un autre côté, quelques personnes interrompent la discussion, et retardent la délibération.

Monsieur le Président observe que l’argenterie est peut-être déjà partie ; qu’il faut mettre beaucoup de promptitude dans la délibération.

Monsieur le Président parvient enfin à recueillir les voix, et presque à l’unanimité, il est décrété que Monsieur le Président se retirera sur le champ par devers le Roi pour le supplier de conserver sa vaisselle.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5026_t1_0099_0000_5

Le président s'est bien rendu auprès du roi et il en rend compte lors de la séance du 22 septembre :

Retour du Président et compte-rendu de sa visite au Roi, lors de la séance du 22 septembre 1789

On propose quelques amendements. Les choses étaient dans cet état, lorsque M. le Président est rentré.

M. le Président rend compte qu'il s'est, conformément aux ordres de l'Assemblée , retiré par devers le Roi, à qui il a dit : «Sire, l'Assemblée nationale a appris avec douleur la résolution que Votre Majesté a prise d'envoyer à la Monnaie sa vaisselle et celle de la Reine ; elle supplie Votre Majesté de révoquer cette résolution, ne pouvant regarder que comme sacrifices les plus pénibles pour elle et pour la nation, ceux qui seraient personnels à Votre Majesté. »

Le Roi lui a répondu : «Je suis fort touché des sentiments que l'Assemblée nationale me témoigne ; vous l'en assurerez de ma part ; mais je persiste dans une disposition que la rareté du numéraire effectif rend convenable. Ni la Reine, ni moi, n'attachons aucune importance à ce sacrifice. »

L'Assemblée a témoigné par des applaudissements unanimes la sensibilité de sa reconnaissance.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5028_t1_0101_0000_3


Etonnant, non ?


Et la Constitution ?

    Ah ! J'allais oublier ! L'Assemblée nationale constituante traite tant et tant de sujet important en une journée, que j'allais oublier que ses députés ont voté ce jour l'article 1 de la Constitution :

« Le gouvernement français est monarchique : il n'y a point en France d'autorité supérieure à la loi ; le Roi ne règne que par elle, et ce n'est qu'en vertu des lois qu'il peut exiger l'obéissance. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5027_t1_0100_0000_10


Post Scriptum :

    L’objet de mon modeste site n’est pas de lancer des polémiques. Mais tandis que je publie cet article, j’apprends que le Président de la République a fait dépenser au Trésor Public 930.000 € (presque un million !), pour rénover son bureau de l’Elysée. C’est vrai que c’est bien peu de chose au regard de l’immense dette publique du pays qui est de 2 358,9 milliards d'euros (soit 99,6% du PIB).

    Selon ma théorie, fort heureusement partagée par nombre de psychologues, ce genre de d'attitude résulte de comportements propres à l’espèce humaine, hérités de sa longue évolution. Le Président est soumis à ce déterminisme.

J'allais oublier la nouvelle vaisselle à 500.000 € achetée en 2018 !
Source : Capital (Journal que l'on ne peut qualifier de gauchiste)

Explication scientifique

    On peut résumer ainsi. Prenez le plus honnête et le plus désintéressé des hommes ; traitez-le comme un roi en le mettant dans un palais et en lui rendant les honneurs dus à un roi ; immanquablement celui-ci finira par se comporter comme un roi. Cela vaut aussi pour fabriquer une reine.

    La solution serait peut-être de transformer le Palais de l'Elysée en musée et de faire travailler le Président dans un immeuble de bureau normal. Je ne dis ça que pour aider.


La vaisselle d'or n'a pas été évoquée.

Argument réfuté !

    Que me dites-vous ? L'industrie du luxe enrichit le pays ? Oups ! Lisez mon article du 29 juillet 1789 à propos du décès du Baron d'Holbach, grand pourfendeur du luxe...



22 Septembre 1789 : La représentation de l'opéra "Démophon", remporte un succès prodigieux.

Phyllis et Démophon

    Ce mardi 22 Septembre, à l’Opéra de Paris, a eu lieu à titre posthume la représentation de la dernière composition de Jean Christophe Vogel, "Démophon", sur un livret de Philippe Desriaux.

    Cette représentation a remporté un succès prodigieux.


    Johann Christoph Vogel ou Jean-Christophe Vogel, né la même année que Mozart (1756) dans le Saint-Empire à Nuremberg, était décédé prématurément le 26 juin 1788.

    Son opéra, Démophon, est considéré comme "un des monuments de la musique lyrique française". Son ouverture a été l'une des œuvres les plus jouées pendant la Révolution et l'Empire. Elle fut interprétée notamment par quelque 1 200 instrumentistes sur le Champ de Mars.

Je vous propose d’écouter l'ouverture.


Voici même le livret, pour les amateurs :

lundi 21 septembre 2020

21 septembre 1789 : Louis XVI accepte de publier, mais pas de promulguer les décrets relatifs à l’abolition des privilèges.

 Abolition des privilèges, suite...


Stanislas de Clermont Tonnerre
Stanislas de Clermont Tonnerre

    Ce matin du lundi 21 septembre 1789, Monsieur le président de l’Assemblée nationale, Stanislas de Clermont-Tonnerre, ouvre la séance par la lecture de la réponse qui lui a été remise la veille par le Roi, sur la demande faite à Sa Majesté d'ordonner la promulgation des arrêtés des 4 août et jours suivants, et de revêtir de sa sanction le décret porté par l'Assemblée nationale, le 18 du courant, concernant les grains.

    Il s’agit des décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789 concernant la fameuse abolition des privilèges.

Je vous invite à lire ou relire mon article concernant la nuit du 4 août, ainsi que celui concernant les échange qui ont eu lieu entre le Roi et l'Assemblée durant les journées des 18 et 19 septembre.

Ont été abolis sans indemnité :

Ont été considérés comme rachetables :

    Concernant le rachat, je vous rappelle que la loi du 3 Mai 1790 fixera le rachat à 20 annualités pour les droits féodaux en argent et 25 annuités pour ceux en nature !!!

    Par ailleurs, le roi Louis XVI avait été proclamé "Restaurateur de la liberté française" (Article 17).

Louis XVI, restaurateur de la liberté

    Cette fameuse abolition du régime féodal avait bien été prononcée par les décrets que l'Assemblée nationale constituante avait pris les 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, et dont l'article premier commençait par la disposition suivante : « L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. » Mais ces décrets ne pouvaient pas "faire loi par eux-mêmes". Il fallait encore qu'ils fussent sanctionnés par le roi, et envoyés, de son ordre exprès, aux tribunaux et aux corps administratifs, pour être transcrits sur leurs registres.

    Le 18 septembre, une longue lettre du roi avait été lue à l'Assemblée nationale constituante. Elle contenait des observations sur chacun des articles des décrets. Le résultat de ces observations était que le roi ne pouvait pas sanctionner ces décrets, parce qu'ils ne formaient que le texte de lois qui restaient encore à faire. 

    Certaines des remarques de Louis XVI étaient judicieuses et elles laissaient deviner une certaine réserve, quant à bien vouloir sanctionner l’abolition pure et simple du régime féodal. Il écrivait par exemple :

« J'invite l'Assemblée nationale à réfléchir si l'extinction du cens et des droits de lods et ventes convient véritablement au bien de l'État ; ces droits, les plus simples de tous, détournent les riches d'accroître leurs possessions de toutes les petites propriétés qui environnent leurs terres, parce qu'ils sont intéressés à conserver le revenu honorifique de leur seigneurie. Ils chercheront, en perdant ces avantages, à augmenter leur consistance extérieure par l'étendue de leurs possessions foncières ; et les petites propriétés diminueront chaque jour ; cependant il est généralement connu que leur destruction est un grand préjudice pour la culture. »

    L’Assemblée nationale n’avait vu dans ces remarques qu’un prétexte destiné à ajourner indéfiniment la promulgation de ces arrêtés. Elle avait pris le 19 septembre un nouveau décret chargeant son président de « se retirer sur-le-champ par-devers le roi, pour le supplier d'ordonner incessamment la Promulgation des arrêtés ».

    Rappelons, pour expliquer cet empressement de ladite assemblée, que des châteaux continuaient de bruler parfois de-ci de-là dans les campagnes, souvent pour faire disparaître dans les flammes les documents relatifs aux droits féodaux (Livres terriers, chartes, etc).

Plan terrier de la commanderie de Libdeau
 

    C’est donc en réponse à cette dernière démarche de l'Assemblée que le roi rédigea la lettre que voici, lue ce jour devant l’Assemblée :

« Versailles, ce 20 septembre 1789.

Vous m'avez demandé, le 15 de ce mois, de revêtir de ma sanction vos arrêtés des 4 août et jours suivants ; je vous ai communiqué les observations dont ces arrêtés m'ont paru susceptibles ; vous m'annoncez que vous les prendrez dans la plus grande considération, lorsque vous vous occuperez de la confection des lois de détail qui seront la suite de vos arrêtés.

Vous me demandez en même temps de promulguer ces mêmes arrêtés : la promulgation appartient à des lois rédigées et revêtues de toutes les formes qui doivent en procurer immédiatement l'exécution ; mais comme je vous ai témoigné que j'approuvais l'esprit général de vos arrêtés et le plus grand nombre des articles en leur entier, comme je me plais également à rendre justice aux sentiments généreux et patriotiques qui les ont dictés, je vais en ordonner la publication dans tout mon royaume. La nation y verra, comme dans ma dernière lettre, l'intérêt dont nous sommes, animés pour son bonheur et pour l'avantage de l'État ; et je ne doute point, d'après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés.

Signé, LOUIS.

J'accorde ma sanction à votre nouveau décret du 18 de ce mois, concernant les grains.

Signé, LOUIS.

Le procès-verbal mentionne que cette réponse a été reçue avec "acclamation et reconnaissance."

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5020_t1_0053_0000_7

    En fait, les députés de l’Assemblée n’ont rien vu du piège que le roi et son conseil leurs avaient tendu, car cette lettre fait bien la distinction entre la promulgation et la publication. Le roi accepte de les faire connaître par la publication, mais évite de faire en sorte que l’on puisse les exécuter.

    Il faudra un mois à l’Assemblée avant qu’elle ne se rende compte que si les décrets ont bien été imprimés à l'Imprimerie royale, aucun exemplaire n’a été officiellement adressé aux tribunaux ni même aux municipalités, ce qui sous l’ancien régime, était la condition nécessaire pour astreindre légalement tous les corps et tous les particuliers à l'observation des lois.

Cet envoi sera enfin ordonné par des lettres-patentes en date du 3 novembre 1789.

    Nous aurons de plus en plus souvent l’occasion de le constater que Louis XVI est loin de l’image du benêt incompétent, que l’histoire a voulu nous laisser.

A suivre…