mardi 29 septembre 2020

29 Septembre 1789 : Découpage du territoire en parts égales et des français en parts inégales

 

Carte de France divisée selon le projet du comité

    Monsieur Thouret présente ce jour à l’Assemblée le rapport rédigé par son comité, concernant d’une part la nouvelle division territoriale et administrative du royaume, et d’autre part les bases de la représentation des citoyens, entre actifs et passifs selon leur degré de fortune.

    Le comité chargé de cette tâche était constitué des membres suivants : Thouret , l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun (Talleyrand), Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

    La logique qui a présidé à la réalisation de ce rapport reposait d'une part, sur l’organisation d’un gouvernement représentatif, dont la justice et la stabilité dépendraient, selon ses rédacteurs, de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections. D'autre part, sur la création d’un nouveau système d'administration municipale et provinciale reposant également sur une base représentative proportionnelle.

Jacques Guillaume Thouret
    La similitude entre les deux objets justifiait selon le comité de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l'administration municipale et provinciale.

    Le comité fera également en sorte que la proportion des contributions directes d’une province ait jusqu’à un certain point, une correspondance avec le nombre de ses représentants élus, augmentant ainsi l’influence politique de ladite province. La province concernée serait alors intéressée non seulement à la perception des impôts de ses administrés, mais aussi aux améliorations intérieures susceptibles de développer son économie et par la même ses rentrées fiscales.

    Ce gouvernement représentatif reposera sur un suffrage censitaire. C’est-à-dire que seuls pourront voter et être élus les citoyens payant une certaine somme aux impôts. Pas question de suffrage universel, bien sûr (il faudra attendre la constitution de 1793).

    Pour avoir le droit de voter, il faudra être un (et pas une) contribuable en impositions directes, au taux local de 3 journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales, et à 10 journées pour être éligible.

     Ce système de sélection par l’argent et le sexe, fera que sur 26 millions de français, seuls 4.4 millions auront le droit de voter.

    A l’issue de sa présentation devant les députés de l’Assemblée, M. de Richier demandera qu'il soit fait une carte suivant le nouveau projet de division de la France, afin qu’elle puisse être distribuée et examinée dans les bureaux, et que chaque membre puisse offrir ses réflexions.

Guy Jean-Baptiste Target

    M. Target lui répondra que cette idée avait déjà été saisie par le comité. Cette carte, dans laquelle seront marquées les nouvelles divisions, sera soumise aux membres de l'Assemblée et envoyée aux provinces pour être corrigée d'après leurs vœux. Il ajoutera que : « On suivra, d'ailleurs, pour l'amélioration de ce plan toutes les idées de bien public que chaque citoyen voudra communiquer ».

    Le projet présenté ce jour par Monsieur Thouret se concrétisera par la publication du décret du 22 décembre 1789, relatif à la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives.

    Le nombre exact (83) des départements et leurs limites seront fixés le 26 février 1790 et leur existence prendra effet le 4 mars suivant.


Vous trouverez, ci-dessous, la première partie de la longue présentation du rapport, et bien sûr les liens pour lire la totalité.

Sources :

Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4

Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2


Rapport de M. Thouret sur les bases de la représentation proportionnelle, lors de la séance du 29 septembre 1789


M. Thouret au nom du nouveau comité de constitution, fait à l'Assemblée nationale un rapport sur les bases de la représentation proportionnelle.

Messieurs, le travail que votre nouveau comité a l'honneur de vous soumettre, tient, par un double rapport, à deux grandes parties de la Constitution.

D'une part, vous organisez le gouvernement représentatif, le seul qui convienne à un peuple libre ; mais sa justice et sa stabilité dépendent de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections.

D'autre part, vous voulez fonder un nouveau système d'administration municipale et provinciale. Cette administration, également représentative exige de même, et la représentation proportionnelle, et un ordre pour les élections.


Cette similitude entre les deux objets établit, par la nature de la chose même, l'importance de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l'administration municipale et provinciale.

Cette vérité, si propre tout à la fois, à affermir les différentes parties de la Constitution, en les liant l'une à l'autre, et à faciliter pour toujours l'exécution en la simplifiant, est la première qui nous a frappés. En suivant le fil qu'elle présente, nous sommes arrivés à la conviction que l'organisation de chaque grand district du royaume doit être constituée de manière qu'elle serve en même temps et à la formation du Corps législatif, et à celle des diverses classes d'assemblées administratives. C'est ainsi que d'un ressort commun partiront tous les mouvements du corps politique ; par-là, la conservation de ce ressort unique sera d'autant plus chère au peuple, qu'en le perdant il perdrait tous les avantages de sa Constitution ; par-là, sa destruction deviendrait plus difficile à l'autorité, qui ne pourrait le rompre qu'en désorganisant entièrement l'Etat.

Le comité a pensé que les bases de la représentation doivent être, autant qu'il est possible, en raison composée du territoire, de la population et des contributions. Avant de dire comment ces trois bases peuvent se combiner pour établir entre les divers districts électeurs la juste proportion de leurs députations, il est nécessaire de présenter, sur chacune des trois, quelques développements particuliers.

Base territoriale.

Le royaume est partagé en autant de divisions différentes qu'il y a de diverses espèces de régimes ou de pouvoirs : en diocèses, sous le rapport ecclésiastique ; en gouvernements, sous le rapport militaire ; en généralités, sous le rapport administratif ; en bailliages, sous le rapport judiciaire.

Aucune de ces divisions ne peut être ni utilement ni convenablement appliquée à l'ordre représentatif. Non-seulement il y a des disproportions trop fortes en étendue de territoire, mais ces antiques divisions, qu'aucune combinaison politique n'a déterminées, et que l'habitude seule peut rendre tolérables, sont vicieuses sous plusieurs rapports tant publics que locaux.

Mais puisque l'ordre que la Constitution va établir est une chose nouvelle, pourquoi l'asservi-rions-nous à des imperfections anciennes qui en contrarient l'esprit, et qui en gêneraient les effets, lorsque la raison et l'utilité publique commandent d'éviter ce double écueil ? Le comité a donc pensé qu'il est devenu indispensable de partager la France, dans l'ordre de la représentation, en nouvelles divisions de territoire égales entre elles autant qu'il serait possible.

Le plan de ces nouvelles divisions est projeté figurativement sur une carte du royaume ; vous y verrez, Messieurs, qu'on a respecté, autant qu'il a été possible, les anciennes limites, et la facilité des communications.

En suivant ce plan, la France serait partagée, pour les élections, en quatre-vingts grandes parties qui porteraient le nom de départements.

Chaque département serait d'environ 324 lieues carrées, ou de 18 lieues sur 18. On procéderait à cette division, en partant de Paris comme du centre, et en s'éloignant de suite, et de toutes parts, jusqu'aux frontières.

A ces quatre-vingts départements, il en faudrait ajouter un de plus, formé du district central où se trouve la ville de Paris. Cette grande cité mérite en effet, par son titre de métropole, par son énorme population, et par sa forte contribution, d'avoir le titre et le rang de département.

Chaque département serait divisé en neuf districts, sous le titre de communes, chacun de trente-six lieues carrées, et de six lieues sur six. Ces grandes communes seraient les véritables unités ou éléments politiques de l'empire français. Il y en aurait en tout 720.

Chaque commune serait subdivisée en neuf fractions invariables par le partage de son territoire en neuf cantons, de quatre lieues carrées, ou de deux lieues sur deux ; ce qui donnerait en tout 6,480 cantons. Chacune de ces fractions pourrait contenir des quantités variables, eu égard à la population et aux contributions.

La France contient environ 26,000 lieues carrées.

Or, 80 départements, de 324 lieues carrées ;

720 communes, de 36 lieues carrées

6,480 cantons, de quatre lieues carrées ; chacune de ces divisions remplit les 26,000 lieues du royaume.

Base personnelle, ou de population,

La véritable base personnelle, pour la représentation, sera dans le premier degré des assemblées qu'on peut appeler primaires.

Le comité s’est occupé d'établir une juste proportion, d'abord entre ces assemblées primaires, qui seront celles des citoyens de chaque canton ; ensuite entre les assemblées communales, composées des députés des cantons ; enfin entre les assemblées de département, formées par la réunion des députés élus dans les communes.

Le nombre des individus, en France, est d'environ 26 millions ; mais d'après les calculs qui paraissent les plus certains, le nombre des citoyens actifs, déduction faite des femmes, des mineurs, et de tous ceux que d'autres causes légitimes privent de l'exercice des droits politiques, se réduit au sixième de la population totale. On ne doit donc compter en France qu'environ 4 millions 400,000 citoyens en état de voter aux assemblées primaires de leur canton.

Si la population était égale à chaque canton, les 26 millions d'individus répartis sur 26, 000 lieues carrées qui composent l'étendue du royaume, donnerait 1,000 individus par lieue carrée, et par conséquent 4,000 individus par canton, dont le sixième en citoyens actifs formerait le taux moyen d'environ 680 votants par canton. Nous avertissons que par l'expression de citoyens votants, nous entendrons toujours non-seulement ceux qui seront présents, et voteront en effet, mais encore tous ceux qui auront de droit la faculté de voter.

La population étant inégalement répartie, on ne doit pas douter qu'elle sera dans un grand nombre de cantons au-dessous de 4,000 individus, et de 680 votants ; mais ce qui manquera au taux moyen dans les cantons moins peuplés, se retrouvera en excédant dans ceux qui le seront davantage, et sera employé au moyen de la formation de doubles, triples ou quadruples assemblées primaires dans ces cantons plus peuplés. On sent que Paris est l'extrême en ce genre.

Le comité a pensé que les assemblées primaires doivent être établies au taux moyen de 600 votants, afin d'éviter les inconvénients des assemblées trop nombreuses.

Il y aurait toujours une assemblée primaire en chaque canton, quelque faible que fût la population ; mais il ne pourrait y en avoir deux que quand le nombre des volants se trouverait élevé à 900. En ce cas seulement l'assemblée d'un canton se partagerait en deux, afin qu'il pût y avoir toujours au moins 450 votants dans chaque assemblée primaire.

Si par la suite un nouvel accroissement de population élevait encore une de ces assemblées au nombre de 900, il faudrait qu'avant de pouvoir former une troisième assemblée dans le canton, elle reversât une partie de ses membres sur l'autre assemblée qui n'aurait pas le taux moyen de 600 votants, jusqu'à ce que celle-ci eût atteint ce taux moyen. Réciproquement, si la population diminuée réduisait une des assemblées au-dessous de 450 votants lorsque l'autre ne serait pas élevée au-dessus de ce taux, elles seraient obligées de se réunir, puisque le nombre des votants produit par cette réunion serait moindre de 900.

Il arriverait ainsi, dans le premier cas, qu'à quelque nombre que les assemblées primaires pussent être portées dans un canton, il n'y en aurait jamais que deux qui pourraient être au-dessous du taux moyen de 600 votants, ou qu'une seule qui pourrait l'excéder ; et dans le second cas, qu'il n'y aurait jamais qu'une seule assemblée dans un canton, quand il fournirait moins que 900 votants.

Il résulte de ce qui précède les trois conséquences suivantes :

La première, que si le nombre des cantons est invariable, il n'en est pas ainsi des assemblées primaires ;

La deuxième, qu'au lieu de fixer le nombre des assemblées primaires à 6,480, à raison du nombre des cantons, il est vraisemblable qu'elles se trouveront plus nombreuses, parce qu'elles suivront les vicissitudes de la population ;

La troisième, qu'un citoyen qui ne changera ni de canton ni de domicile, pourra cependant se trouver dans le cas de changer d'assemblée, lorsqu'il deviendra nécessaire démultiplier ou de réduire celles de son canton.

Base de contribution.

Le comité a pensé que la proportion des contributions directes devait entrer jusqu'à un certain point dans celle des députations.

Il est juste que le pays qui contribue le plus aux besoins et au soutien de l'établissement public, ait une part proportionnelle dans le régime de cet établissement.

Il est encore d'une sage prévoyance d'intéresser par-là les provinces à l'acquit des contributions, et aux améliorations intérieures qui n'augmenteront pour elles la matière de l'impôt, qu'en augmentant en même temps leur influence politique.

Ces premières considérations n'ont pas seules déterminé l'opinion du comité. Il a senti la nécessité d'avoir égard aux contributions directes, pour rectifier l'inexactitude de la base territoriale, qui n'est établie que sur l'égalité des surfaces. Un arpent de 50 livres de rapport, et taxé sur ce taux, est réellement double d'un arpent de 25 livres de revenu, qui n'est taxé que sur ce moindre produit. Ainsi, l'égalité des territoires par leur étendue superficielle, n'est qu'apparente et fausse si elle n'est pas modifiée par la balance des impositions directes qui rétablit l'équilibre des valeurs ; et c'est par là que la base de contribution tient essentiellement à la base territoriale, et en fait partie.

Le rapport des contributions est nul sans doute, lorsqu'il s'agit de balancer les droits politiques d'individu à individu, sans quoi l'égalité personnelle serait détruite, et l'aristocratie des riches s'établirait ; mais cet inconvénient disparaît en entier, lorsque le rapport des contributions n'est considéré que par grandes masses, et seulement de province à province. Il sert alors à proportionner justement les droits réciproques des cités, sans compromettre les droits personnels des citoyens.

Formation des assemblées graduelles pour le Corps législatif.

I. Tous les citoyens actifs d'un canton se formeront en une ou plusieurs assemblées primaires, suivant leur nombre, comme il a été dit ci-dessus, pour envoyer leurs députés à l'assemblée communale.

Le comité pense que pour ce premier degré des assemblées, élément fondamental de toute la représentation, il ne faut avoir égard qu'à la seule population. Chaque homme, dès qu'il est citoyen actif, doit jouir pour en premier acte, de toute la valeur de son droit individuel.

Le district d'une assemblée primaire est d'ailleurs trop borné, et la prépondérance des hommes puissants y serait trop immédiate, pour qu'on doive y mettre en considération, soit le territoire, soit les contributions. Ainsi, le nombre des députés à élire par les assemblées primaires, ne serait réglé que par le nombre des votants, à raison d'un députe par 200 votants.

D'après la donnée des 4,400,000 citoyens actifs, il y aurait environ 22,000 députés élus par la totalité des assemblées primaires, et envoyés en nombre inégal à 720 communes.

Le comité propose que les qualités nécessaires pour entrer, à titre de citoyen actif, dans l'assemblée primaire de son canton, soient :

1° d'être Français, ou devenu Français ;

2° d'être majeur ;

3° d'être domicilié dans le canton, au moins depuis un an ;

4° d'être contribuable en impositions directes, au taux local de trois journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales ;

5° de n'être pas pour le moment, dans un état servile (1), c'est à-dire, dans des rapports personnels, trop incompatibles avec l'indépendance nécessaire à l'exercice des droits poli¬ tiques.

(1) L'état servile, exclu ici, ne peut s'entendre, sous aucun rapport, des anciens mainmortables, dont la servitude a d'ailleurs été abolie par le décret de l'Assemblée nationale du 4 août dernier.

Pour être éligible, tant à l'assemblée de la commune qu'à celle de département, il faudra réunir les conditions ci-dessus, à la seule différence qu'au lieu de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail, il en faudra payer une de la valeur de dix journées.

Les députés nommés par les assemblées primaires se réuniront au chef-lieu de la commune, et puisque nous avons considéré les communes comme étant les premières unités politiques qui doivent concourir et se balancer pour former la législation, il faut que les trois éléments de la représentation proportionnelle entrent dans la composition de leurs députations.

C'est ici le lieu d'expliquer comment les trois bases du territoire, de la population et de la contribution peuvent être combinées avec autant de justice dans les résultats que de facilité dans le procédé.

La base territoriale est invariable, et supposée égale ; celles de la population et des contributions sont variables, et d'un effet inégal dans chaque commune. On peut donc attribuer à chacune des neuf communes une part de députation égale et fixe, à raison de leur territoire, attacher deux autres parts de députation, l'une à la population totale du département, l'autre à la masse entière de sa contribution directe, et faire participer chaque commune à ces deux dernières parts de députation, à proportion de ce qu'elle aurait de population, et de ce qu'elle payerait de contribution.

Ainsi, en supposant que l'assemblée générale de département qu'il s'agit ici de former, dût être composée de 81 députés des communes, il faudrait en attacher invariablement le tiers, montant à 27, au territoire du département, et par conséquent 3 au territoire de chaque commune ; chacune des 9 assemblées communales nommerait donc également 3 députés, à raison de son territoire.

Il faudrait ensuite attribuer 27 députés à la population totale du département, et diviser cette population en 27 parts, de manière que chaque commune nommerait autant de députés qu'elle aurait de vingt-septièmes parties de population.

Les 27 autres députés seraient attachés à la contribution en impôts directs et celte contribution étant divisée de même en 27 parts, donnerait autant de députés à chaque commune, qu'elle payerait de vingt-septièmes dans la masse totale des impositions directes.

La population de chaque département sera facilement connue, puisque celle de chaque commune sera constatée par le nombre des députés qui y seront arrivés des assemblées primaires. La contribution sera également connue, puisque les départements et les communes auront l'administration de l'impôt dans leurs territoires. Au moment de la première formation des assemblées, les communes qui n'auraient pas ces connaissances pourront aisément les acquérir en se communiquant respectivement ces éclaircissements avant de procéder aux élections.

Les assemblées de département nommeraient par le même procédé les députés à l'Assemblée nationale, à raison de 9 députés par département ; ce qui porterait 720 députés à l'Assemblée nationale.

Des 720 députés nationaux, le tiers montant à 240 serait attaché au territoire, et donnerait invariablement trois députés par département.

Le second tiers de 240 serait réparti sur la population totale du royaume, qui, divisée en deux cent-quarante parts, donnerait autant de députés à chaque département qu'il aurait de deux cent quarantièmes parties de population.

Enfin, les 240 autres députés seraient accordés à la contribution, de manière qu'en divisant la masse totale des impositions directes du royaume en deux cent-quarante parts, chaque département aurait un député à raison du payement d'une deux cent quarantième parties.

Le comité pense que pour être éligible à l'Assemblée nationale, il faut payer une contribution directe, équivalente à la valeur d'un marc d'argent.

Il croit encore qu'il est d'une prévoyance sévère au premier coup d'œil, mais sage et nécessaire, qu'aucun représentant ne puisse être élu pour la seconde fois, qu'après l'intervalle d'une législature intermédiaire, afin d'éviter l'aristocratie des familles en crédit, qui parviennent à se perpétuer dans les emplois, même électifs. L'expérience de tous les temps et de tous les pays démontre ce danger.

Le plan qui vient d'être exposé pour la formation des assemblées et des élections graduelles a réuni les suffrages de votre comité, parce qu'il lui a paru produire trois grands avantages.

Le premier est d'établir de la manière la plus sûre, et par les principes les plus justes, une représentation exactement proportionnelle entre toutes les parties du royaume, en y faisant entrer tous les éléments dont elle doit nécessairement se composer.

Le second est de fixer pour le maintien de la proportion établie un mode constitutionnel, dont le principe demeurant inaltérable et permanent se prêtera toujours dans l'application à toutes les variations de la population et des contributions.

Le troisième est de pouvoir appliquer la même méthode à la formation des assemblées provinciales ; en sorte qu'un mouvement uniforme fasse arriver la représentation nationale au Corps législatif, et la représentation provinciale aux assemblées administratives.

Cette première partie de notre travail ne se borne pas à vous offrir le supplément qui vous était nécessaire pour compléter la Constitution dans l'ordre législatif ; elle vous présente encore des dispositions toutes préparées, pour hâter l'établissement du régime intérieur des provinces : et c'est maintenant à cette seconde partie de notre plan que nous allons passer.

Projet d'arrêté relatif à cette première partie du travail.

Art. 1er. La France sera partagée en divisions de 324 lieues carrées chacune, c'est-à-dire, de dix-huit sur dix-huit, autant qu'il sera possible, à partir de Pans, comme centre, et en s'éloignant en tous sens jusqu'aux frontières du royaume. Ces divisions s'appelleront départements.

Art. 2. Chaque département sera partagé en neuf divisions de 36 lieues carrées de superficie, c'est-à-dire, de six sur six, autant qu'il sera possible. Ces divisions porteront le nom de communes.

Art. 3. Chaque commune sera partagée en neuf divisions, appelées cantons, de quatre lieues carrées, c'est-à-dire, de deux sur deux.

(1) La lieue adoptée est la lieue commune de 2,400 toises.

Art. 4. Tous les citoyens actifs, c'est-à-dire, tous ceux qui réuniront les qualités suivantes :

1° d'être né Français, ou devenu Français ;

2° d'être majeur ;

3° d'être domicilié dans le canton au moins depuis un an ;

4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ;

5° de n'être pas alors dans une condition servile, auront droit de se réunir pour former dans les cantons les assemblées primaires.

Art. 5. Nul citoyen ne pourra exercer les droits de citoyen actif dans plus d'un endroit, et dans aucune assemblée personne ne pourra se faire représenter par une autre.

Art. 6. Dans tout canton il y aura au moins une assemblée primaire.

Art. 7. Tant que le nombre des citoyens actifs d'un canton ne s'élèvera pas à 900, il n'y aura qu'une assemblée dans ce canton ; mais dèsle nombre 900, il s'en formera deux de 450 chacune au moins.

Art. 8. Chaque assemblée tendra toujours à se former autant qu'il sera possible au nombre de 600, qui sera le taux moyen ; de telle sorte néanmoins que, s'il y a plusieurs assemblées dans un canton, la moins nombreuse soit au moins de 450. Ainsi, au-delà de 900, mais avant 1,050, il ne pourra y avoir une assemblée complète de 600, puisque la seconde aurait moins de 450. Dès le nombre 1,050 et au-delà, la première assemblée sera de 600, et la deuxième de 450, au plus. Si le nombre s'élève à 1,400, il n'y en aura que deux, une de 600 et l'autre de 800 ; mais à 1,500 il s'en formera trois, une de 600 et deux de 450 ; et ainsi de suite, suivant le nombre de citoyens actifs de chaque canton.

Art. 9. Toutes les assemblées primaires de chaque canton députeront directement à l'assemblée de leur commune.

Art. 10. Pour être éligible à l'assemblée communale, ainsi qu'à celle de département, il faudra réunir aux conditions d'électeur, c'est-à-dire de citoyen actif, celle de payer une contribution directe plus forte : cette contribution se montera au moins à la valeur locale de dix journées de travail.

Art. II. Chaque assemblée primaire députera à fa commune à raison d'un membre sur 200 votants.

Art. 12. L'assemblée communale, formée des députés des assemblées primaires, choisira ses députés pour le département, parmi tous les citoyens éligibles de la commune.

Art. 13. Chaque assemblée de département sera composée de 81 membres, dont un tiers, c'est-à-dire 27, sera député par les 9 communes du département, à raison du territoire ; ce sera donc 3 députés par commune, puisque les territoires des communes sont égaux entre eux, étant composés d'un égal nombre de cantons égaux.

Art. 14. Le second tiers formant 27 députés sera envoyé par les 9 communes, à raison de la population active de chaque commune. Ainsi, la somme totale de la population des 9 communes ou du département sera divisée en 27 parts ; et chaque commune aura autant de députés qu'elle contiendra de ces vingt-septièmes.

Art. 15. Le troisième tiers se distribuera par une semblable opération en raison de la contribution respective des 9 communes. La somme totale des contributions directes des 9 communes, ou du département, sera divisée en 27 ; et chaque commune enverra un député pour chaque vingt-septième qu'elle payera.

Art. 16. Ces deux dernières opérations donnant lieu nécessairement à des fractions, les fractions ne pouvant être que faibles ne seront pas comptées, parce qu'elles se compensent entre elles.

Art. 17. Les assemblées de département formeront par leurs députés l'Assemblée nationale, qui sera composée de 720 membres.

Art. 18. Le tiers de ce nombre, c'est à-dire 240, sera envoyé par les départements à raison du territoire ; 240 à raison de la population, et 240 à raison de la contribution respective, ainsi qu'il a été dit ci-dessus relativement aux communes, mais en divisant entre les départements la population du royaume et la masse entière de la contribution directe en 240 parts.

Art. 19. Nul membre de l'Assemblée nationale ne pourra être réélu pour l'Assemblée suivante. Il sera nécessaire qu'entre deux élections de la même personne, il y ait au moins une Assemblée d'intervalle.

Signé : Thouret, l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun, Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

Source :

Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4

Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2







lundi 28 septembre 2020

28 Septembre 1789 : Le très très dérangeant Jean-Paul Marat


Jean-Paul Marat
    Il est temps de s’intéresser de nouveau à Jean Paul Marat (encore un Suisse). Le numéro de son journal de ce lundi 28 septembre va nous en donner l’occasion.

    Jusqu’à présent, nous nous sommes peut-être un peu trop préoccupés de tous ces beaux messieurs de l’Assemblée, tous bien nés, tous fort polis, (Imaginez-vous que le conte de Virieu a provoqué un vrai scandale le 9 septembre dernier en laissant échapper un « foutre ! » devant l’Assemblée)

    Bourgeois ou aristocrates, ces enfants des lumières ne cessent d’évoquer la vertu et les plus beaux sentiments civiques, et ils pratiquent autant que faire se peut, une courtoise révolution de salons. Celle-ci consistant principalement à redistribuer entre eux, au sein de l’Assemblée les cartes du pouvoir. 

    Pour beaucoup de ces honnêtes gens, le peuple est une abstraction. Lorsqu’ils évoquent le peuple, il s’agit la plupart du temps d’un peuple idéalisé, imaginaire. Et quand ledit peuple s’agite un peu trop, il est aussitôt qualifié de brigands ou de bandits, voire de populace. (Lire cet article : Peuple ou Populace)

    S’il en est un qui sait voir clairement dans les intrigues de certains, c’est bien le très dérangeant Marat. 

    Marat est un homme d'expérience, il a 46 ans en 1789. Il a été médecin et il a exercé à Londres de 1765 à 1777. Il a dû beaucoup apprendre politiquement dans cette Angleterre qui avait déjà fait sa révolution presque cent ans auparavant, et où l’on se passionnait de politique et d’idées nouvelles. Marat est à présent un journaliste et son journal est beaucoup lu. Lu par ceux qui savent lire, et lu à voix haute dans les lieux publics à l’intention de ceux qui ne savent pas lire. Marat travail comme un forcené, il publie presque tous les jours et Marat est très bien informé.

    J’ai brièvement évoqué les intrigues et je serai obligé d’y revenir, probablement en vous parlant de nouveau de Marat. Marat ne supporte pas les corrompus ni ceux qui s’enrichissent abusivement à l’occasion des événements révolutionnaires. Nous le verrons s’emporter contre Necker et reprocher à celui-ci ses malversations. Marat sera le premier à s’attaquer au divin Necker, ce grand homme tellement adulé par les bourgeois du Tiers Etat et nombre d’aristocrates, dont certains lui doivent leur enrichissement. Marat ne porte d’ailleurs pas ses accusations à tort, car le grand Necker nous l’avons dit, est aussi un banquier, et un banquier qui s’est enrichi grâce à sa politique d’emprunts répétés, car sa banque, chaque fois a prêté à l’Etat en récoltant de faramineux intérêts. Il s’est aussi enrichi (encore au détriment de l’Etat) grâce à ce que nous appellerions aujourd’hui, ses délits d’initiés.

    Ce genre de pratiques étaient coutumières sous l’ancien régime et elles ne choquaient guère le beau monde. Il était normal qu’un ministre s’enrichisse. Toujours cette croyance étrange relative à l’enrichissement d’un seul profitant à tous. (Certains disent que ces pratiques existent toujours. Je leur laisse la responsabilité de cette assertion).

    Marat appellera ironiquement Necker le « grand faiseur » en rappelant que Necker est un ministre des Finances qui ne rend pas de comptes. En rendrait-il d’ailleurs, que probablement peu s’y intéresseraient. Souvenez-vous de son plan de redressement auquel les députés n’ont pas bien compris grand-chose, mais qu’ils ont voté le 26 septembre, « De confiance ».

    Mais Marat n’est pas de ce monde-là, celui de l’argent. Il vit au milieu du peuple, au contact de celui-ci. Pour lui le peuple n’est pas une abstraction. Il ne supporte pas de voir le peuple de Paris accablé de misère et souffrir de la faim, quand il sait que certains s’enrichissent honteusement. Le peuple lui rendra d’ailleurs bien cet amour. Un rapport de police lu par l’historien Henri Guillemin disait ceci : « La popularité de Marat tient à son intégrité et l’intégrité, c’est un des dieux du peuple. »

    Dans le numéro 18 de "l’Ami du Peuple, ou le Publiciste Parisien", de ce 28 septembre, Jean-Paul Marat, fait part à ses lecteurs de ses ennuis avec les représentants de la Commune qui siègent à l’Hôtel de Ville. Les accusations qu’il a lancées depuis le début du mois à l’encontre des représentants de la Commune et plus particulièrement contre le maire de Paris, Bailly, commencent à agacer fortement ces beaux messieurs.

Il écrit dans son journal cette lettre ouverte aux représentants de la Commune :

« Messieurs, Appelé à paraître aujourd’hui (sur les sept heures du soir) devant vous au sujet de ce journal, dont je me déclare l’auteur, je me suis rendu à l’Hôtel de Ville. J’ai sollicité plusieurs fois le moment d’être admis à l’audience et, n’ayant pu l’obtenir après cinq heures mortelles d’attente, j’ai été remis au lendemain. Le lendemain, même exactitude, mêmes instances inutiles de ma part. Vos occupations sont infinies, sans doute. Les miennes ne le sont pas moins et elles intéressent bien davantage le bonheur public : je suis l’œil du peuple, vous en êtes tout au plus le petit doigt. Ainsi trouvez bon qu’avare de mon temps, j’attende chez moi de nouveaux ordres. »

(Le numéro complet est accessible sur le site de la BNF par la fenêtre en bas de cet article.) 

        Les choses vont bien sûr s'envenimer. À la suite d'une dénonciation faite par la commune devant les instances judiciaires, Marat sera de nouveau convoqué à l’Hôtel de Ville le 3 octobre prochain pour répondre de ses accusations dans les numéros 15 à 23 de son journal. Dans ses numéros 20 et 21, Marat dénonçait ouvertement Bailly, le maire de Paris. Dès lors, la plainte suivra son cours. Le 4 octobre, le procureur du roi, Deflandre de Brunville, écrira au lieutenant criminel du Châtelet, et, les 8 et 9 octobre, des huissiers, envoyés par le Châtelet, se rendront au domicile de Marat.

    Les adversaires de Marat lui mèneront la vie dure. En quatre ans d’exercice de sa fonction, il ne sera libre que 397 jours, et sera sous le coup, de décret pendant 1064 jours. Ce qui signifie qu’il ne bénéficia que de 13 mois de liberté, et fut, 35 mois durant sous la menace d’un décret, ou dans la clandestinité. Ses ennemis n’hésiteront pas non plus à faire détruire ses presses ou à emprisonner son imprimeur. 

    Devenu député Montagnard à la Convention, il finira par payer de sa vie sa trop grande liberté de parole, puisqu’il sera assassiné par Charlotte Corday, une proche de ses ennemis politiques, les Girondins.

Un exalté.

    Pourquoi ai-j 'écris "trop grande liberté de parole" ? Mais parce que Marat était aussi un exalté, souvent très violent, trop violent dans ses écrits. Robespierre lui en fera le reproche lors de sa première rencontre avec lui en Janvier 1792, il lui dira que les patriotes, même les plus ardents, pensaient qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à revenir sur des propositions extraordinaires et violentes (telles que celle de faire tomber cinq à six cents têtes coupables), qui révoltaient les amis de la liberté autant que les partisans de l'aristocratie". 

Source : https://books.openedition.org/irhis/1283?lang=fr#tocfrom1n2

De tout cela nous reparlerons le temps venu.

    Si le très dérangeant Marat vous intéresse, je viens de découvrir cette étude de la Professeure Emilie Brémond-Poulle sur le très sérieux site https://revolution-francaise.net/

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder à l'article de présentation et au PDF.


dimanche 27 septembre 2020

27 Septembre 1789 : Bénédiction des drapeaux à Notre Dame et discours révolutionnaire de l'Abbé Fauchet

Bénédiction des drapeaux à Notre Dame de Paris

    Ce dimanche 27 septembre 1789, a lieu en la cathédrale Notre Dame de Paris, la bénédiction de tous les drapeaux de la garde nationale de Paris.

    Au passage, je vous signale que vous pouvez admirer tous les drapeaux de la Garde nationale parisienne sur cette page du site : "Les drapeaux des 60 districts parisiens de la Garde Nationale en 1789"

    Sont présents dans la cathédrale, Monsieur Bailly, Maire de Paris, Monsieur de la Fayette, Commandant Général, Messieurs les Députés de l’Assemblée nationale, Messieurs les représentants de la Commune et Messieurs les Députés de tous les Districts de Paris.

    La cérémonie est officiée par l’Archevêque de Paris, mais c’est l’abbé Claude Fauchet qui prononce le sermon, ou plutôt le discours, pour cette cérémonie. Il parle en qualité de représentant de la Commune, membre du Comité de Police de l’Hôtel de Ville, Prédicateur ordinaire du Roi, Vicaire Général de Bourges, Abbé Commendataire de Montfort

    J’ai retrouvé le discours prononcé par l’abbé Fauchet « Sur la Liberté Française ». Je vous en conseille vivement la lecture. 

    J’ai déjà écrit ailleurs que le clergé avait été l'un des acteurs importants de la Révolution Française, du moins le "bas clergé". Sans ce bas clergé qui rallia massivement le Tiers État le 24 juin 1789 lors des États Généraux, la Révolution de 1789 n'aurait peut-être pas eu lieu. 

    Cet abbé constitue à lui seul un bon exemple de ces religieux progressistes, et disons-le vraiment chrétiens (au sens premier du message évangélique). La plupart vivaient au milieu du peuple, ils en connaissaient l'horrible misère et ils la partageaient. Le haut clergé, celui des évêques, archevêques et cardinaux, n'était constitué que de membres de la noblesse...

    L’abbé Fauchet était depuis longtemps acquis aux idées nouvelles. Il avait été l’un de ceux, qui, sabre en main, avaient donné l’assaut de la Bastille ! Il avait même conduit la députation venue sommer le gouverneur De Launay de se rendre !

    Il y a dans le discours de ce bouillonnant ecclésiastique, quelque chose de la colère de Jésus de Nazareth chassant les marchands du Temple !

    Son discours enflammé contre les riches rappelle celui de Jésus affirmant à ses apôtres : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu ».

    Je vous donne ci-dessous quelques extraits, mais lisez plutôt le document en entier (il ne comprend que 30 petites pages).

Page 11

« Malheur aux Riches ; voilà toute la morale de la liberté »

(…)

« Appliquons attentivement cette Morale à la France, Frères, c’était sans doute une incroyable nouveauté dans l’univers, qu’un grand Royaume, regorgeant de richesses, sans avoir aucun Citoyen opulent et aucun malheureux ; qu’un état immense, où, après une longue corruption, qui avait tout infecté de vices, qui embellirait tout de vertus. »

Page 25

« Celui qui n’a pas le nécessaire ; ne doit rien au Gouvernement ; il doit en recevoir les moyens de l’existence »

Page 26

« Vous aurez toujours des Pauvres ; mais ils auront du travail et du pain ; la Patrie immensément opulente leur en fournira. Vous aurez toujours des Riches ; mais ils auront de la modestie et des vertus : la Patrie dispensatrice de l’estime méritée, en échange de la vanité sacrifiée, en aura fait des citoyens. »

Page 29

« Jurons, QUE NOUS SERONS LIBRES par notre énergie, que pour l’être, nous unirons toutes nos forces, et que par la concorde et l’union : nous serons la plus invincible et la plus fraternelle Nation de l’Univers : jurons que nous serons heureux par notre Liberté ; que pour l’être, nous aurons des mœurs, en proscrivant, par les lois et plus encore par la conscience publique, l’intérêt personnel qui étouffe le Patriotisme, les grandes richesses privées qui produisent tous les désordres. »

Voici le livret du discours dans sa totalité :


samedi 26 septembre 2020

26 Septembre 1789 : Le baron de Jessé revient sur le sujet brûlant des richesses de l’Eglise


Gravure anonyme de 1789 critiquant les richesses de l'Eglise
Source : Musées de la Ville de Paris

    Je ne peux pas bien sûr, évoquer tous les événements d'une seule journée. Mais je ne puis passer sous silence cette intervention du Baron de Jessé. Car nous verrons dans les semaines et les mois qui suivront, que les députés révolutionnaires de l'assemblée vont finir par un faire un mauvais sort aux richesses du Clergé. 

    Pour quelle véritable raison d'après-vous, iront-ils chercher dans les églises l'argent nécessaire au renflouement du pays ? 

    Par manque d'imagination ? En se contentant d'imiter le propre frère de Marie-Antoinette, l'empereur Joseph II qui avait tant irrité le Pape par ses réformes religieuses ?

    Ou pour éviter de devoir eux-mêmes mettre la main à la poche ?

    Nous verrons qu'ils iront même jusqu'à orienter la colère du peuple contre l'église...

    Nous verrons tout cela le moment venu. Pour l'instant, écoutons le Baron...

M. le baron de Jessé :

"Messieurs, la justice doit passer avant l'enthousiasme. Le premier ministre des finances nous a proposé l'imposition du quart du revenu net de chaque citoyen ; personne ne doute moins que moi de ses lumières et de ce que peut faire le Français ; mais nous avons souvent remarqué que les efforts héroïques ne sont jamais que le produit delà confiance. S'il est une nation qui, dans la paix et dans la guerre, soit tout par la confiance et rien sans elle, c'est assurément la nôtre

Quelle sera la détermination de nos commettants lorsque, sans préjudice des impôts futurs, ils se verront demander le quart de leur revenu, lorsque le peuple qui ne calcule point, s'était imprudemment flatté d'une diminution dans ses charges ? Lorsque l'on apprendra que sur 20 millions de pensions faites par la cour, au lieu d'en supprimer 15 sur 20, il n'en sera supprimé que 5 ? Lorsqu'on ne verra pas la haute finance supprimée et tous les frais immenses de régie ? Le Français fera ce sacrifice et bien d'autres pour sa patrie ; mais il voudra être assuré que sa patrie sera bonne, qu'elle ne sera plus la patrie des plus insolents abus.

Il s'en faut bien, Messieurs, que ce quart de revenu, fût-il accordé, n'amenât pas les plus grands retards dans le payement ; il sera peut-être impossible ; ceux qui connaissent les provinces vous diront combien l'argent y est rare ; que le cultivateur y a à peine vendu sa récolte, qu'il est obligé d'employer une grande partie de son produit en frais de nouvelle exploitation ; que par cette raison ou par d'autres, il en est peu qui ne soient obérés ; qu'il n'y a peut-être pas en France deux cent mille particuliers qui aient le quart de leur revenu net disponible. Si vous le demandez à l'amiable, beaucoup se croiront fondés, sur leur détresse, à ne pas l'envoyer ; si vous en voulez forcer le payement, je vous prie de considérer que jusqu'à ce que la nation soit heureuse, il sera imprudent de lui commander autre chose que ce qu'elle voudra.

Il faut des moyens prompts, des moyens possibles ; nous rougirions devant ceux qui nous ont honorés de leur confiance, si, avant de leur demander des devoirs nécessaires, nous ne frappions pas sur des richesses immenses., des richesses mortes, des richesses dont le remplacement se fera presque sans aucuns frais. Ces richesses sont l'argenterie de toutes les églises ou monastères de France ; de ces richesses qui en mériteront véritablement le nom si elles sont employées à épargner l'obole du pauvre et à solder notre liberté.

Un habile calculateur fait monter l'argent orfévré du royaume à un milliard, ce qui est assurément le calcul le plus modéré ; évaluons que l'argenterie des églises compose seulement le septième de cette somme et je crois encore ne pas 1 exagérer, voilà une somme de plus de 140 millions ; il n'est pas besoin de vous faire sentir l'avantage d'une pareille somme dans un pareil moment.

Ce n'est pas devant une Assemblée aussi éclairée qu'il est besoin d'exercer une pareille émotion ; si un conseil honteux pouvait sauver la nation française, je dirais, il lui appartient dépérir, mais notre respect pour l'Etre suprême ne sera point douteux. Son luxe est dans la magnificence de la nature qu'il a ordonnée pour nos besoins et non dans les présents mesquins de la vanité des hommes."

M. Le Clerc de Juigné, archevêque de Paris, demande la parole et dit :

"Messieurs, nous avons vu l'Eglise consentir au dépouillement des temples pour secourir les pauvres et pour subvenir aux besoins de l'Etat ; ces exemples que nous offre l'histoire nous déterminent, au moins c'est le vœu de tous les confrères qui m'environnent, de soutenir l'Etat par la portion de l'argenterie qui n'est pas nécessaire à la décence du culte divin. Je propose de faire ce dépouillement de concert avec les officiers municipaux, les curés et les chapitres."

M. Glezen :

"Messieurs, il faut un décret exprès de l'Assemblée nationale pour autoriser la veille de l'argenterie des églises. Les évêques et le clergé n'ont pas le droit d'en disposer parce qu'elle ne leur appartient pas."

Jean-Marie Pelauque-Béraut
M. Pelauque fait une autre motion tendant à donner aux églises des reconnaissances du produit de la fonte de l'argenterie avec intérêt à 4 % au profit des pauvres.

Divers membres demandent à aller aux voix sur la motion de M. le baron de Jessé.



Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5052_t1_0192_0000_10

Le 29 septembre, l'Assemblé nationale finira par décider la saisie de l'argenterie non nécessaire au culte.



26 Septembre 1789 : L’Assemblée, après un tonitruant discours de Mirabeau, vote de confiance du plan de redressement financier de Necker

Mirabeau, le seul qui semble tout comprendre.

Des plans complexes

    Celles et ceux qui ont eu le courage de lire l’article du 24 septembre, concernant la présentation devant l'Assemblée nationale constituante du projet de Necker et celui de Du Pont de Nemours, ont pu se faire une idée de la complexité des plans proposés pour éviter la terrifiante banqueroute, qui chacun le sait est le cauchemar de tout "homme de bien".

    Soyez rassurés, vous n’êtes pas les seuls à en avoir constaté la terrible complexité ! La plupart des députés de l’Assemblée se trouvent dans le même embarras que vous pour se forger un avis éclairé et prendre une décision juste.

    Va donc s'engager ce 26 septembre, une sorte de confrontation entre deux manières différentes d'approuver le fameux plan du ministre, pendant laquelle des opposants très engagés vont intervenir à la tribune. On peut résumer ainsi : approuver par confiance ou approuver par connaissance.


Le choix de la confiance

    Comme vous allez pourvoir le constater, c'est le tonitruant Mirabeau qui va finir par se lancer dans un orageux discours improvisé, comme il sait les faire, afin de secouer les députés et les convaincre, que faute de tout comprendre au plan de Necker, il faut le voter de confiance ! (Entre-nous soit dit, que croyez-vous que comprennent nos propres élus aux problèmes complexe de notre société en crise ?)

    Le détail se trouve par le lien ci-dessous, mais voici toute de même quelques-uns de ces échanges.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5053_t1_0195_0000_5

 

    Le procès-verbal rapporte que : « M. de Lally-Tollendal dont le discours peut se résumer dans ces deux mots que son érudition lui suggéra, timeo Danaos, propose d'adopter le plan de M. Necker, et de renvoyer la rédaction du décret au comité des finances. »

J'aime bien cette citation tirée de l’Enéide de Virgile. La voici complète : « Timeo Danaos et dona ferentes ». Elle se traduit par « Je crains les Grecs, même lorsqu'ils font des cadeaux », en référence au cheval de Troie. Cela révèle en fait une marque de méfiance devant un cadeau trop beau.


Jean-Jacques Duval D'Eprémesnil
    M. Duval d'Eprémesnil va proposer l'amendement suivant :

« Vu l'urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l'Assemblée nationale accepte, de confiance, le projet présenté par le premier ministre des finances. »

Cet amendement est adopté, quant au motif d'urgence, mais bientôt les motifs de confiance excitent de vives réclamations.

La séance se prolonge, les têtes s'échauffent, la voix des orateurs se confond avec celle des interlocuteurs, et les opinions ne se présentent plus que comme un vain son au milieu du tumulte.


    Il est déjà plus de cinq heures du soir, quand le comte de Mirabeau intervient une dernière fois :

« Messieurs, au milieu de tant de débats tumultueux, ne pourrai-je donc pas ramener à la délibération du jour par un petit nombre de questions bien simples ?

Daignez, Messieurs, daignez me répondre.

Le premier ministre des finances ne vous a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de notre situation actuelle ?

Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggravait le péril ? Qu'un jour, qu'une heure, un instant pouvaient le rendre mortel ?

Avons-nous un plan à substituer à celui qu'il nous propose ? — (Oui ! A crié quelqu'un dans l'Assemblée.) — Je conjure celui qui répond oui , de considérer que son plan n'est pas connu, qu'il faut du temps pour le développer, l'examiner, Je démontrer ; que fût-il immédiatement soumis à notre délibération, son auteur a pu se tromper; que fût-il exempt de toute erreur, on peut croire qu'il s'est trompé ; que quand tout le monde a tort, tout le monde a raison : qu'il se pourrait donc que l'auteur de cet autre projet même ayant raison, eût tort contre tout le monde, puisque sans l'assentiment de l'opinion publique le plus grand talent ne saurait triompher des circonstances....

Et moi aussi je ne crois pas les moyens de M. Necker les meilleurs possibles, mais le ciel me préserve, dans une situation si critique, d'opposer les miens aux siens. Vainement je les tiendrais pour préférables ; on ne rivalise pas en un instant une popularité prodigieuse, conquise par des services éclatants, une longue expérience, la réputation du premier talent de financier connu ; et, s'il faut tout dire, des hasards, une destinée telle qu'elle n'échut en partage à aucun mortel.

Il faut donc en revenir au plan de M. Necker,

Mais avons-nous le temps de l'examiner, de sonder ses bases, de vérifier ses calculs ?... Non, non, mille fois non ! D'insignifiantes questions, des conjectures hasardées, des tâtonnements infidèles ; voilà tout ce qui, dans ce moment, est en notre pouvoir. Qu'allons-nous donc faire par le renvoi de la délibération ? Manquer le moment décisif, acharner notre amour-propre à changer quelque chose à un ensemble que nous n'avons pas même conçu, et diminuer par notre intervention indiscrète l'influence d'un ministre dont le crédit financier est et doit être plus grand que le nôtre... Messieurs, certainement il n'y a là ni sagesse, ni prévoyance... Mais du moins y a-t-il de la bonne foi ?

Oh ! Si des déclarations moins solennelles ne garantissaient pas notre respect pour la foi publique, notre horreur pour l’infâme mot de banqueroute, j'oserais scruter les motifs secrets, et peut-être, hélas ! Ignorés de nous-mêmes, qui nous font si imprudemment reculer au moment de proclamer l'acte d'un grand dévouement, certainement inefficace s'il n'est pas rapide et vraiment abandonné. Je dirais à ceux qui se familiarisent peut-être avec l'idée de manquer aux engagements publics, par la crainte de l'excès des sacrifices, par la terreur de l'impôt... Qu'est-ce donc que la banqueroute, si ce n'est le plus cruel, le plus inique, le plus inégal, le plus désastreux des impôts ?... Mes amis, écoutez un mot : un seul mot.

Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir. Il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien ! Voici la liste des propriétaires français. Choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens ; mais choisissez ; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple ? Allons. Ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans Je royaume. Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes, précipitez-les dans l'abîme ; il va se refermer... Vous reculez d'horreur... Hommes inconséquents ! Hommes pusillanimes ! Eh ! Ne voyez-vous donc pas qu'en décrétant la banqueroute, ou, ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel, et, chose inconcevable ! Gratuitement criminel ; car enfin, cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'aurez pas payé, que vous ne devrez plus rien ? Croyez-vous que les milliers, les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contrecoups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de la sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime ? Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France ; impassibles égoïstes (…)

La suite de ce formidable discours de Mirabeau en haut de la page 196 de ce procès-verbal :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5054_t1_0196_0000_16

Il se termine néanmoins ainsi :

« Eh ! Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais Royal, d’une risible insurrection qui n’eût jamais d’importance que dans les imaginations faibles et les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et certes il n’y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome… Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur… et vous délibérez ! »

Le procès-verbal de la séance conclu ainsi :

Nous n’essaierons pas de rendre l’impression que ce discours improvisé produisit sur l’Assemblée.

Des applaudissements presque convulsifs firent place à un décret très simple, conçu en ces termes, qui passa après un appel nominatif, commencé à cinq heures et demie et finit après sept heures.

« Vue l’urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de confiance le plan de Monsieur le premier ministre des finances. »

Voilà comment a été adopté le plan de redressement des finances destiné à sauver la France : "De confiance".

    Ne souriez-pas. De nos jours, nos ministres et députés font souvent de même. Ils se contentent de suivre les avis autorisés d'experts faisant autorité.

    Quant à Mirabeau, c'est vraiment le grand homme de cette révolution qui commence. Intelligent, orateur brillant, il survole tout le monde de très haut. Il n'en est pas moins homme et comporte des parts d'ombre. Croit-il vraiment en ce qu'il dit ? Ce qu'il reprocha à Robespierre (Il ira loin parce qu'il croit ce qu'il dit). Ou bien n'est-ce qu'une sorte de lion qui s'amuse de sa force en se jouent des autres ? Mirabeau semble ne craindre personne, il est à l'aise avec tout le monde, aussi bien avec le roi (qui le paiera pour orienter l'Assemblée), qu'avec les députés, ou même l'intriguant Duc d'Orléans avec lequel on le voit souvent déjeuner au Palais Royal...

Bien sûr, nous en reparlerons en temps voulu...



vendredi 25 septembre 2020

25 Septembre 1789 : Lisez les nouvelles dans la Gazette nationale, ou le Moniteur universel.


    Grâce à l'université de Floride des Etats-Unis d'Amérique, vous pouvez avoir accès gratuitement à tous les exemplaires de la Gazette nationale, connue aussi sous le nom du Moniteur universel.

    Lorsque j'ai publié cet article pour la première fois en 2020, l'accès au site Retronews de la BNF était payant et on ne pouvait accéder à ces documents gratuitement qu'en passant par la Floride. Curieusement il ne l'est plus ce 25 septembre 2021. Nous n'allons pas nous en plaindre ! (Est-ce parce que j'avais râlé sur la page Facebook de Retronews ?) 😉

    Je vous propose donc aujourd'hui de lire les nouvelles du 23 au 25 septembre 1789, en cliquant sur les images ci-dessous.

Soit par l'université de Floride :


Soit par la BNF !





25 Septembre 1789 : Un roi triste et abattu et une reine forte...

    C'est en faisant des recherches sur Axel de Fersen, "l'amoureux suédois" de la Reine, que j'ai trouvé dans l'ouvrage de Charles Kunstler "Fersen et son secret" cette confession du comte de Saint-Priest, probablement extraite des mémoires de celui-ci (je vérifierai plus tard).

Lisons ensemble :

"Le 25 septembre, il revit Louis XVI et Marie-Antoinette. Si le roi lui parut triste et abattu, Axel trouva la reine grandie par les épreuves. « L’adversité n’a pas diminué ma force et mon courage, lui dit-elle ; mais elle me donne plus de prudence. » C’était ce qu’elle avait écrit récemment à Mme de Polignac. Puis avec une grande tendresse dans la voix et les regards, elle ajouta que c’était à lui qu’elle pensait lorsqu’elle déclarait à son amie : » C’est dans des moments comme ceux-ci que l’on apprend à connaître les gens et à voir ceux qui vous sont véritablement attachés. Je fais tous les jours des expériences sur cela, certaines cruelles, mais d’autres bien douces… "

Source, Fersen et son secret :

https://excerpts.numilog.com/books/9791037633743.pdf