samedi 7 novembre 2020

7 Novembre 1789 : Non Mirabeau, tu ne seras pas ministre ! L’Assemblée interdit cette fonction aux députés.




    Une fois de plus, Mirabeau est l'homme de la journée ! 

    Avant de vous raconter la journée du 7 novembre à l'Assemblée, je pense qu'il serait utile de poursuivre la description de ce "grand homme", que j'avais déjà commencée, dans mon article du 3 octobre "Mais que complote Mirabeau au Palais royal ?". Cela nous aidera à le comprendre un peu mieux.

    Mirabeau est indéniablement le "grand homme" de ce début de Révolution, et il le sait ! La Révolution l’a rendu grand et puissant. Mais il veut occuper la place qu’il mérite, et ce, quelques soient les moyens ou même le parti à prendre. Il est omniprésent à l’Assemblée, éclairant et orientant souvent celle-ci au gré de ses discours brillants. Mais hélas pour lui, les députés se méfient de Mirabeau et de sa grande ambition.

    Mirabeau joue sur tous les tableaux pour parvenir à ses fins. Raison pour laquelle il prodigue ses conseils au roi, qui le paye même grassement pour cela. Mais hélas pour lui, le roi, lui aussi, se méfie de Mirabeau et la reine en a même peur !

Conseil de lecture

    Afin de mieux comprendre ce personnage si complexe, je vous conseille de lire le petit livre de Marc Girardin, (homme politique et critique littéraire français du 19ème siècle) « Mirabeau et la cour de Louis XVI ». L’auteur s’appuie en grande partie sur les souvenirs du Comte de La Marck, qui était à la fois un proche du roi et de la reine, et aussi étonnant que cela puisse paraître, un ami de Mirabeau, ou pour le moins quelqu’un qui le connaissait bien et qui l’estimait à sa juste mesure.

Les deux parties de cet ouvrage sont accessibles par les liens ci-dessous :

    Gardez bien à l'esprit si vous le lisez, qu'il ne s'agit que là que de la perception qu'avait le Comte de la Marck de ce sacré Mirabeau, filtration doublement passée au filtre des préjugés de Marc Girardin, qui se faisait appeler De Saint-Girardin ! 

Esquissons le portrait 

A ma façon ?

    Une fois n'est pas coutume, je vais brièvement vous faire part de mon impression. Mirabeau me fait penser à Obélix ou plutôt à Gérard Depardieu. C'est un personnage excessif, une sorte d'ogre politique, brillant mais encombré de lui-même. De plus, le malheureux était, selon l'expression de Victor Hugo, "d'une laideur grandiose et fulgurante". Né dans une famille d'aristocrates proches de Louis XV, il avait grandi à l'ombre de son père, un économiste physiocrate renommé, Victor Riqueti de Mirabeau. Que ceux qui ne le trouvent pas assez révolutionnaire, comprennent bien qu'avec un tel déterminisme familial et social, il ne pouvait l'être plus qu'il ne le fut. Je le trouve parfois un peu fatiguant, mais lui aussi devait se fatiguer de lui-même avec ses revirements incessants et son incapacité à refreiner ses excès ; comme il devait se fatiguer aussi de la médiocrité de nombre de ses alliés et adversaires ! C'est difficile d'éprouver de l'admiration pour Mirabeau. Mais si l'on y réfléchi bien, c'est un révolutionnaire qui n'a fait tuer personne, (ou qui n'en a pas eu le temps ?)

Façon Girardin, à présent. 

    A l’aide de quelques extraits de son petit livre, essayons d’esquisser un portrait rapide de Mirabeau ! (J'ai un peu corrigé l'orthographe d'époque pour les traducteurs du WEB).

Grand et petit.

« il était à la fois, comme le dit M. de La Marck dans une lettre au comte de Mercy-Argenteau, « bien grand et bien petit, souvent au-dessus et quelquefois fort au- dessous des autres, » accessible au plaisir de gagner beaucoup d’argent pour en beaucoup dépenser, accessible aussi à la pitié et à l’émotion, prompt aux bons sentiments comme aux mauvais, d’une admirable sagacité dans les affaires politiques ; capable dans un mouvement de dépit d’oublier toutes ses prévisions et toutes ses convictions, capable de faire le contraire de ce qu’il veut et de ce qu’il pense ; décidé à être important et puissant, soit par la cour, soit par le peuple, selon le moment, »

Intelligent et fier.

« Mirabeau était assurément une grande intelligence ; mais de plus il y avait dans son âme un coin de bonté et de grandeur : la pureté lui manquait, mais non la chaleur. Mirabeau était fier, mais je croix qu’il n’était pas vain, et les gens fiers ont cela de bon, qu’ils peuvent aimer les autres et s’y intéresser ; seulement ils aiment de haut. Ils peuvent aussi être aimés, seulement ils ne peuvent l’être que par les bonnes natures, par celles qui ne sont pas vaines et qui ne répugnent pas à la supériorité d’autrui. »

Amoureux de la Révolution.

« il aime la révolution non pas seulement parce que cette révolution l’a fait grand et puissant, il l’aime parce qu’il la croit bonne et légitime. Et ici entendons-nous bien : ce qu’il aime, ce n’est pas la révolution tumultueuse et violente, ce n’est pas la révolution des journées des 5 et 6 octobre, dans lesquelles on voulut sottement impliquer Mirabeau, qui les détestait et les croyait funestes, puisqu’elles avaient amené le roi et l’assemblée à Paris, c’est à dire au milieu du volcan qui devait les engloutir ; ce qu’il aime, c’est la révolution telle qu’elle est dans la pensée des honnêtes gens et telle qu’elle sera dans l’avenir. Mirabeau voit le mal présent, qui est grande et qu’il veut combattre énergiquement ; mais il prévoit les changements généraux et salutaires que la révolution de 89 doit amener dans la société, et ce sont ces changements qu’il aime. »

N'inspirant confiance ni au roi ni à la reine.

« Le roi et la reine, qui n’avaient qu’une demi-confiance en M. de La Marck lui-même, le plus loyal et le plus judicieux des hommes, se défiaient de Mirabeau ; quoi de plus naturel ? Ils ne suivaient pas ses conseils, souvent même ils en suivaient d’autres. Alors Mirabeau, qui se trouvait inutile et qui pouvait se croire méprisé, se rejetait dans le parti révolutionnaire et se livrait à sa fougue, voulant être important et puissant d’une manière ou de l’autre. Ces saccades qui passaient pour des trahisons faisaient qu’on se défiait encore plus de lui, et que ses conseils devenaient d’autant plus inutiles. »

Trahi par l'immoralité de sa jeunesse.

« Mirabeau sentait cela et s’en irritait d’autant plus qu’il comprenait bien que cette défiance ou cette répugnance, il la méritait par sa vie passée « Ah ! Répétait-il souvent à M. de La Marck, que l’immoralité de ma jeunesse fait de tort à la chose publique ! » Mais ce qu’il faut remarquer, c’est que, pour se venger de cette défiance, il semblait s’appliquer à la mériter davantage en redevenant révolutionnaire par dépit ; »

Sous-estimé.

« La cour, qui avait acheté Mirabeau, voulait qu’il la servît, et Mirabeau, de son côté, qui s’était fait le conseiller de la cour, voulait qui la cour suivit ses conseils et ne suivît que ceux-là. Sa fierté s’indignait qu’on consultât d’autres que lui et des gens surtout qui ne le valaient pas ; mais le discernement des hommes est difficile aux princes, auxquels pourtant il est si nécessaire. Comme ils ne vivent pas au milieu de la société, ils ne savent pas le rang que l’opinion commune fait à chaque homme, et ils sont sans cesse exposés à trop estimer les uns et à ne pas assez estimer les autres. Cette confusion bizarre et involontaire qu’ils font entre les grands et les petits irrite beaucoup ceux qui savent leur taille. »

Le plan de Mirabeau.

J’hésite un peu à vous révéler son plan, car nous n’en avons pas encore fini avec lui. Mais le voici, selon la version donnée par Marc Girardin :

« Un plan et un homme. Le plan, Mirabeau l’avait, et il le développait dans les notes qu’il adressait au roi, et qui sont le fond et le sujet de la correspondance avec M. de La Marck. Nous examinerons plus tard ce plan, qui n’est pas, disons-le dès ce moment, un plan de contre-révolution, mais un plan de gouvernement constitutionnel. Quant à l’homme qui doit exécuter ce plan, c’est Mirabeau lui-même, mais Mirabeau écouté et obéi. Il écrivait à M. de Lafayette dans une de ces tentatives de rapprochement qui furent souvent faites entre M. de Lafayette et Mirabeau, et qui échouèrent toujours, il écrivait : « Je devrais être votre conseil habituel, votre ami abandonné, le dictateur enfin, permettez-moi le mot, du dictateur… Oh ! Monsieur de Lafayette, Richelieu fut Richelieu contre la nation pour la cour, et, quoique Richelieu ait fait beaucoup de mal à la liberté publique, il fit une assez grande masse de bien à la monarchie. Soyez Richelieu sur la cour pour la nation, et vous referez la monarchie en agrandissant et consolidant la liberté publique. Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion, mon impulsion a besoin de vos grandes qualités, et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! — Ah ! Vous forfaites à votre destinée ! »

 

Revenons à l’Assemblée !

    Le 29 septembre dernier, Mirabeau avait demandé à celle-ci qu’elle décide si la qualité de ministre excluait de l'Assemblée, et si tous ceux qui seraient promus au ministère pendant qu'ils seraient députés auraient besoin d'une seconde élection pour rentrer dans l'Assemblée. La motion de M. de Mirabeau avait été applaudie ; mais M. le président avait observé qu'il y en avait déjà deux sur le bureau ; ce qui faisait renvoyer cette motion-ci à l'époque où l'on s'occuperait de la qualité de ceux qui seraient éligibles.

Sources :

    Plus tard, Mirabeau avait même formulé le souhait que le roi soit obligé de choisir ses ministres parmi les députés !

    La veille encore, à la suite d'une motion de Mirabeau, les députés avaient longuement débattu sur la présence éventuelle des ministres et leur éventuelle participation aux débats.

    En résumé, les députés ont bien compris que Mirabeau se verrait bien ministre, et vu comment va se terminer la discussion de ce 7 novembre, nous allons même voir que Mirabeau a compris que les députés avaient compris !

    Probablement vexé, mais fidèle à lui-même, Mirabeau va donc faire un coup d’éclat à sa façon, en s’excluant lui-même de la motion qu’il a proposée ! Lisez plutôt :

« Je dis ensuite : moi-même, parce que des bruits populaires répandus sur mon compte ont donné des craintes à certaines personne ?, et peut-être des espérances à quelques autres ; qu'il est très-possible que l'auteur de la motion ait cru ces bruits, qu'il est très-possible encore qu'il ait de moi l'idée que j'en ai moi-même ; et dès lors je ne suis pas étonné qu'il me croie incapable de remplir une mission que je regarde comme fort au-dessus, non de mon zèle ni de mon courage, mais de mes lumières et de mes talents, surtout si elle devait me priver des leçons et des conseils que je n'ai cessé de recevoir dans cette Assemblée.

Voici donc, Messieurs, l'amendement que je vous propose : c'est de borner l'exclusion demandée à M. de Mirabeau, député des communes de la sénéchaussée d'Aix.

Je me croirai fort heureux si, au prix de mon exclusion, je puis conserver à cette Assemblée l'espérance de voir plusieurs membres, dignes de toute ma confiance et de tout mon respect, devenir les conseillers intimes de la nation et du Roi, que je ne cesserai de regarder comme indivisibles. »

Voilà comment était Mirabeau !

Je vous laisse lire si vous le souhaitez, la totalité de la discussion qui aboutira à ce fameux décret du 7 novembre 1789.

Discussion sur la troisième partie de la motion de M. le comte de Mirabeau relative à l'entrée des ministres dans l'Assemblée, lors de la séance du 7 novembre 1789

M. de Montlosier :

« Messieurs, depuis quelque temps nous voyons se produire des motions imprévues dont les auteurs pressent la décision.

C'est un désordre dangereux et funeste, puisqu'il tend à concentrer toutes les déterminations de l'Assemblée entre un petit nombre de membres qui savent se concerter et se combiner d'avance pour diriger seul tous les mouvements.

J'approuve en principe les deux premiers points de la motion de M. de Mirabeau, à cette exception près que je trouve excessivement dangereuse l'extension qu'on veut donner à la caisse nationale.

Quant à l'admission des ministres, je m'étonne que des amis de la liberté aient appuyé de leurs suffrages un projet aussi vicieux en principe que dangereux dans ses conséquences et pernicieux dans ses effets. Nous n'avons pas le pouvoir d'accorder à des étrangers une influence nationale ; nous ne pouvons créer de notre propre autorité des membres du corps législatif, qui ne peuvent l'être que par l'action du peuple ; qu'on ne veuille point nous en imposer par la distinction de voix délibérative et consultative ; elles forment l'une et l'autre le double caractère que le peuple français nous a transmis. Prétendre en livrer à des étrangers la moindre partie, sans sa participation, c'est un sacrilège constitutionnel, un crime de lèse-patrie.

Accorder à des ministres voix consultative, n'est-ce pas tout leur accorder ? N'est-ce pas accorder à des hommes souvent peu citoyens, à des hommes choisis, excités par le gouvernement même à nous tendre des pièges, la faculté de s'emparer de nos débats, de les éclairer de leur fausse lumière, de les remplir de leur fausse doctrine ; n'est-ce pas enfin mettre dans les mains du gouvernement cette initiative funeste que votre sagesse, que l'Angleterre et que tons vos voisins ont proscrite ? Qu'on cesse donc de nous opposer l'usage de l'Angleterre, où la seule nomination au ministère d'un homme qui a déjà le vœu du peuple est un titre d'exclusion du Corps législatif, puisqu'il faut une réélection expresse pour l'y conserver ; est-ce d'après un pareil exemple qu'on veut nous prouver que le choix du prince seul peut faire siéger parmi nous, contre le vœu du peuple, un homme déjà privé de sa confiance et de ses suffrages ? C'est assurément une dérision.

Quant à l'utilité de cette admission, je n'en vois aucune ; nous avons des comités dans toutes les parties de l'administration ; ces comités peuvent conférer avec les ministres, et leurs instructions ainsi transmises peuvent produire les heureux effets que vous en attendez. Ainsi je pense que nous ne pouvons pas en principe et que nous ne devons pas en politique nous occuper de cette troisième partie de la motion faite hier par M. le comte de Mirabeau. Peut-être, quand nous nous prononcerons définitivement sur l'admission des ministres dans le corps législatif, je dirai, comme en Angleterre, que la confiance du peuple doit être au-dessus de tout, mais alors c'est le citoyen que je veux y voir et non le ministre. M. de Mirabeau, au contraire, veut y voir le ministre plutôt que le citoyen ; il y a sans doute dans cette proposition un sens mystique, sans quoi il est évident qu'une pareille proposition serait le renversement de tout bon principe et de toute bonne politique. »

M. Lanjuinais.

« Mes cahiers me défendent d'opiner devant les ministres, je ne puis donc adopter la proposition de M. de Mirabeau. Nos principes me le défendent encore ; nous avons voulu séparer les pouvoirs, et nous réunirions dans les ministres le pouvoir législatif au pouvoir exécutif, en leur donnant la voix consultative, qui, sans contredit, tient de bien près à la voix délibérative ; nous les exposerions à être le jouet des hommes ambitieux, s'il s'en trouvait dans cette Assemblée. Leur admission ne produirait pas le bien que vous attendez. Elle serait dangereuse, elle serait inutile, toutes les fois que vous vous occuperiez de la Constitution. Quand vous aurez à vous plaindre d'eux, ne pouvez-vous pas les mander ? On a craint les conférences des comités ; mais on conférera toujours, et vous amènerez deux inconvénients, en cherchant à en éviter un.

Je propose de joindre à la question de savoir si les ministres auront voix consultative, celle de la voix délibérative, parce que l'une est l'autre. Je demande l'ajournement de toutes deux.

Mais, dans le cas où la motion de M. de Mirabeau serait adoptée, je présente, pour en balancer l'effet, un article presque entièrement extrait de mon cahier :

« Les représentants de la nation ne pourront obtenir du pouvoir exécutif, pendant la législature dont ils seront membres, et pendant les trois années suivantes, aucune place dans le ministère, aucune grâce, aucun emploi, aucune commission, avancement, pension et émolument, sous peine de nullité et d'être privés des droits de citoyens actifs pendant cinq ans. »

M. Blin.

« La question semble détachée de la Constitution et n'être que provisoire ; mais l'autorité du passé sur l'avenir lie les faits à tous les temps.

M. de Mirabeau appuie son opinion sur trois choses : premièrement la nécessité des éclaircissements ; mais les ministres peuvent, sur le point qui est en débat, communiquer leurs lumières à l'Assemblée, qui ne doit rien rejeter de ce qui tend à l'instruire ; secondement le danger des comités : je demande qu'on m'explique ce danger ; les membres qui les composent, choisis par l'Assemblée, sont dignes de sa confiance…. Dans les conférences avec les ministres, on peut entrer dans des détails plus minutieux ; on peut s'éloigner de cette circonspection que commande une assemblée nombreuse ; la vérité y gagne ; et ces-sera-t-elle d'être la vérité, quand elle passera dans les oreilles de MM. du comité, avant de frapper les vôtres ? Troisièmement, l'exemple de l'Angleterre. Il y a dans le parlement de cette nation une majorité corrompue, et qui ne prend même pas la peine de cacher le trafic de ses voix…. En examinant les notes de cette assemblée, on voit un grand nombre de motions utiles rejetées par la majorité ministérielle ; c'est elle qui a occasionné la perte des colonies ..... Les passions y sont toujours actives, et dans cette lutte continuelle. L'Assemblée, réduite au rôle de spectatrice, n'a d'existence réelle que dans les changements des ministres. L'auteur anglais des Lettres de Junius dit, en parlant du parlement d'Angleterre : « C'est un spectacle bien humiliant aux yeux de l'homme sensible, qu'une assemblée représentant tout un peuple soit dégradée par la présence d'un ministre.... L'ordre essentiel est détruit, le président n'est qu'un être secondaire, et les yeux sont tournés sur le ministre …. »

Ce n'est donc pas chez les Anglais que l'auteur de la motion devait chercher des exemples ….

En admettant les ministres, la responsabilité devient une chimère ; n'ayant pas de commettants, ils n'auraient personne à qui répondre. Il faut, ou que les ministres dirigent l'Assemblée, ou qu'ils cèdent à l'Assemblée : dans le premier cas nulle liberté ; dans le second, avilissement du pouvoir exécutif ...... Ainsi, ni d'après les considérations présentées, ni d'après l'exemple de l'Angleterre, ni d'après nos propres principes, les ministres ne peuvent être admis.

Si cependant cette motion était décrétée, je vous demanderais d'adopter l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer et qui est ainsi conçu :

« Aucun membre de l'Assemblée nationale ne pourra désormais passer au ministère pendant la durée de la session actuelle. »

On applaudit, on crie : Aux voix !

L'Assemblée délibère, et n'adopte pas l'ajournement proposé par M. Lanjuinais.

On lit les articles additionnels, présentés par MM. Lanjuinais et Blin.

Celui du premier est mis à la discussion.

M. Malouet en demande la division, et la réduit à peu près aux mêmes termes que ceux de M. Blin.

M. le comte de Mirabeau.

« La question que l'on vous propose est un problème à résoudre. Il ne s'agit que de faire disparaître l'inconnu, et le problème est résolu.

Je ne puis croire que l'auteur de la motion veuille sérieusement faire décider que l'élite de la nation ne peut pas renfermer un bon ministre ;

Que la confiance accordée par la nation à un citoyen doit être un titre d'exclusion à la confiance du monarque ;

Que le Roi qui, dans ces moments difficiles, est venu demander des conseils aux représentants de la grande famille, ne puisse prendre le conseil de tel de ces représentants qu'il voudra choisir ;

Qu'en déclarant que tous les citoyens ont une égale aptitude à tous les emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents, il faille excepter de cette aptitude et de cette égalité de droits les douze cents députés honorés du suffrage d'un grand peuple ;

Que l'Assemblée nationale et le ministère doivent être tellement divisés, tellement opposés l'un à l'autre, qu'il faille écarter tous les moyens qui pourraient établir plus d'intimité, plus de confiance, plus d'unité dans les desseins et dans les démarches.

Non, Messieurs, je ne crois pas que tel soit l'objet de la motion, parce qu'il ne sera jamais en mon pouvoir de croire une chose absurde.

Je ne puis non plus imaginer qu'un des moyens de salut public chez nos voisins ne puisse être qu'une source de maux parmi nous ;

Que nous ne puissions profiter des mêmes avantages que les Communes anglaises retirent de la présence de leurs ministres ;

Que cette présence ne fût parmi nous qu'un instrument de corruption ou une source de défiance, tandis qu'elle permet au parlement d'Angleterre de connaître à chaque instant les desseins de la cour, de faire rendre compte aux agents de l'autorité, de les surveiller, de les instruire, de comparer les moyens avec les projets, et d'établir cette marche uniforme qui surmonte tous les obstacles.

Je ne puis croire, non plus, que l'on veuille faire cette injure au ministère, de penser que quiconque en fera partie doit être suspect par cela seul à l'Assemblée législative ;

A trois ministres déjà pris dans le sein de cette Assemblée, et presque d'après ses suffrages, que cet exemple a fait sentir qu'une pareille promotion serait dangereuse à l'avenir ;

A chacun des membres de cette Assemblée, que s'il était appelé au ministère pour avoir fait son devoir de citoyen, il cesserait de le remplir par cela seul qu'il serait ministre ;

Enfin à cette Assemblée elle-même qu'elle ferait redouter un mauvais ministre, dans quelque rang qu'il fût placé, et quels que fussent ses pouvoirs, après la responsabilité que vous avez établie.

Je me demande d'ailleurs à moi-même : est-ce un point de constitution que l'on veut fixer ? Le moment n'est point encore venu d'examiner si les fonctions du ministère sont incompatibles avec la qualité de représentant de la nation ; et ce n'est pas sans la discuter avec lenteur qu'une pareille question pourrait être décidée.

Est-ce une simple règle de police que l'on veut établir ? C'est alors une première loi à laquelle il faut peut-être obéir, celle de nos mandats, sans lesquels nul de nous ne saurait ce qu'il est ; et, sous ce rapport, il faudrait peut-être examiner s'il dépend de cette Assemblée d'établir pour cette session une incompatibilité que les mandats n'ont point prévue, et à laquelle aucun député ne s'est soumis.

Voudrait-on défendre à chacun des représentants de donner sa démission ? Notre liberté serait violée.

Voudrait-on empêcher celui qui aurait donné sa démission d'accepter une place dans le ministère ? C'est la liberté du pouvoir exécutif que l'on voudrait limiter.

Voudrait-on priver les mandants du droit de réélire le député que le monarque appellerait dans son conseil ? Ce n'est point alors une simple loi de police qu'il s'agit de faire ; c'est un point de constitution qu'il faut établir.

Je me dis encore à moi-même : il fut un moment où l'Assemblée nationale ne voyait d'autre espoir de salut que dans une promotion de ministres qui, pris dans son sein, désignés en quelque sorte par elle, adopteraient ses mesures et partageraient ses principes.

Je me dis : le ministère sera-t-il toujours assez bien choisi pour que la nation n'ait aucun changement à désirer ? Eût-il-il choisi de cette manière, un tel ministère serait-il éternel ?

Je me dis encore : le choix des bons ministres est-il si facile qu'on ne doive pas craindre de borner le nombre de ceux parmi lesquels un tel choix peut être fait ?

Quel que soit le nombre des hommes d'Etat que renferme une nation aussi éclairée que la nôtre, n'est-ce rien que de rendre inéligibles douze cents citoyens qui sont déjà l'élite de cette nation ?

Je me demande : sont-ce des courtisans ou ceux à qui la nation n'a point donné sa confiance, quoique peut-être ils ne se soient mis sur les rangs que pour la solliciter, que le Roi devra préférer aux députés du peuple ?

Oserait-on dire que le ministre en qui la nation avait mis toute son espérance et qu'elle a rappelé par le suffrage le plus universel et le plus honorable, après l'orage qui l'avait écarté, n'aurait pu devenir ministre, si nous avions eu le bonheur de le voir assis parmi nous ?

Non, Messieurs, je ne puis croire à aucune de ces conséquences, ni par cela même à l'objet apparent de la motion que l'on vient de vous proposer. Je suis donc forcé de penser, pour rendre hommage aux intentions de celui qui l'a faite, que quelque motif secret la justifie, et je vais tâcher de le deviner.

Je crois, Messieurs, qu'il peut être utile d'empêcher que tel membre de l'Assemblée n'entre dans le ministère.

Mais comme, pour obtenir cet avantage particulier, il ne convient pas de sacrifier un grand principe, je propose pour amendement l'exclusion du ministère aux membres de l'Assemblée que l'auteur de la motion paraît redouter, et je me charge de vous les faire connaître.

Il n'y a, Messieurs, que deux personnes dans l'Assemblée qui puissent être l'objet secret de la motion. Les autres ont donné assez de preuve de liberté, de courage et d'esprit public, pour rassurer l'honorable député ; mais il y a deux membres sur lesquels lui et moi pouvons parler avec plus de liberté, qu'il dépend de lui et de moi d'exclure, et certainement sa motion ne peut porter que sur l'un des deux.

Quels sont ces membres ? Vous l'avez déjà deviné, Messieurs ; c'est ou l'auteur de la motion, ou moi.

Je dis d'abord l'auteur de la motion, parce qu'il est impossible que sa modestie embarrassée ou son courage mal affermi ait redouté quelque grande marque de confiance, et qu'il ait voulu se ménager le moyen de la refuser, en faisant admettre une exclusion générale.

Je dis ensuite : moi-même, parce que des bruits populaires répandus sur mon compte ont donné des craintes à certaines personne ?, et peut-être des espérances à quelques autres ; qu'il est très-possible que l'auteur de la motion ait cru ces bruits, qu'il est très-possible encore qu'il ait de moi l'idée que j'en ai moi-même ; et dès lors je ne suis pas étonné qu'il me croie incapable de remplir une mission que je regarde comme fort au-dessus, non de mon zèle ni de mon courage, mais de mes lumières et de mes talents, surtout si elle devait me priver des leçons et des conseils que je n'ai cessé de recevoir dans cette Assemblée.

Voici donc, Messieurs, l'amendement que je vous propose : c'est de borner l'exclusion demandée à M. de Mirabeau, député des communes de la sénéchaussée d'Aix.

Je me croirai fort heureux si, au prix de mon exclusion, je puis conserver à cette Assemblée l'espérance de voir plusieurs membres, dignes de toute ma confiance et de tout mon respect, devenir les conseillers intimes de la nation et du Roi, que je ne cesserai de regarder comme indivisibles.

M. Mougins de Roquefort invoque, dans la même vue que M. Lanjuinais, le cahier de Draguignan.

M. de Castellane. La motion est contraire aux principes ; elle est honorable à l'Assemblée pour le désintéressement qu'elle prouve ; mais il est impossible de l'adopter.

Le plus grand avantage que nous puissions retirer des assemblées législatives permanentes doit consister à connaître les hommes utiles ; et il serait étonnant que ceux qui, par de grands talents et de grandes vertus, auraient mérité la confiance ne pussent en obtenir des témoignages.

Je demande au moins l'ajournement.

L'Assemblée rejette la proposition de M. de Mirabeau.

M. Treilliard demande la division de la proposition de M. Lanjuinais.

M. le comte de Crillon dit que la division est de droit.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5300_t1_0715_0000_7

 

Décret du 7 novembre 1789 stipulant qu'aucun député ne pourra occuper la place de ministre

M. le Président prend les voix et la division est prononcée.

La première partie de la motion de M. Lanjuinais, conforme à celle de M. Blin est décrétée en ces termes :

« Aucun membre de l'Assemblée nationale ne « pourra obtenir aucune place de ministre pendant la session de l'Assemblée actuelle. »

Le surplus de la motion est ajourné à l'époque où l'éligibilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif sera discutée constitutionnellement.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5300_t1_0718_0000_2


                               





vendredi 6 novembre 2020

6 Novembre 1789 : Mirabeau (encore lui) évoque le manque de numéraire, la présence des ministres et le secours du blé américain

    Eh oui, encore lui ! 

    Et encore, croyez-moi, j’essaie de filtrer un peu ! Mais Mirabeau est omniprésent. Quelque chose me dit qu'il doit même commencer à fatiguer ses collègues députés ! (Peut-être l'article de demain 😉).

    Aujourd’hui Mirabeau va aborder le problème du manque de numéraire (argent liquide), celui des subsistances, ainsi que son désir de voir les Ministres du roi être présents à l’Assemblée.

    Bien sûr, que ce soit pour la création d’une banque ou pour la participation des ministres, le modèle auquel se référèrent systématiquement les députés, c’est la Grande Bretagne ! Mais cet exemple est un outil de réflexion à deux tranchants, si j’ose dire. Vous comprendrez mieux pourquoi en lisant l’intervention de Monsieur Blin. Celle-ci nous donnera de plus une occasion de mieux comprendre l’une des causes de la guerre d’Indépendance des colonies américaines de l’Angleterre !

    A propos des Etats-Unis, nous allons apprendre qu’ils doivent à la France un capital 34 millions (dont 10 ont été empruntés en Hollande), et 5.710.000 livres d'intérêts qui seront échus au 1er janvier prochain. La bonne idée pourrait être de faire appel au blé qu’ils produisent !

     Voici donc quelques extraits de l’intervention de Mirabeau. Ils sont longs, Mirabeau est tellement bavard. Ils contiennent cependant des informations et des chiffres intéressants pour bien comprendre la situation du royaume.

Le manque de numéraire


« Messieurs, si les orages qu'élève l'établissement de notre liberté sont inévitables, s'ils servent peut-être à donner aux lois constitutionnelles dont nous nous occupons un degré de sagesse que le calme et le défaut d'expérience ne nous suggéreraient pas, les désordres qui se multiplient dans nos finances sont loin de nous offrir aucune compensation ; il en est même dont l'aggravation peut enfin rendre tous nos travaux inutiles ; et, de ce nombre, le désordre le plus fâcheux est, sans contredit, la disparition de notre numéraire.

Une nation habituée à l'usage du numéraire, une nation que de grands malheurs ont rendue défiante sur les moyens de le suppléer, ne peut pas en être privée longtemps sans que le trouble s'introduise dans toutes ses transactions, sans que les efforts des individus pour les soutenir ne deviennent de plus en plus ruineux, et ne préparent de très grandes calamités.

Elles s'approchent à grands pas, ces calamités. Nous touchons à une crise redoutable ; il ne nous reste qu'à nous occuper, sans relâche et sans délai, des moyens de la diriger vers le salut de l'Etat.

Observez, Messieurs, que non-seulement le numéraire ne circule plus dans les affaires du commerce, mais encore que chacun est fortement sollicité pour sa propre sûreté à thésauriser, autant que ses facultés le lui permettent.

Observez que les causes qui tendent à faire sortir le numéraire du royaume, loin de s'atténuer, deviennent chaque jour plus actives, et que cependant le service des subsistances ne peut pas se faire, ne peut pas même se concevoir sans espèces.

Observez que toutes les transactions sont maintenant forcées ; que, dans la capitale, dans les villes de commerce, et dans nos manufactures, on est réduit aux derniers expédients.

Observez qu'on ne fait absolument rien pour combattre la calamité de nos changes avec l'étranger ; que les causes naturelles qui les ont si violemment tournés à notre désavantage s'accroissent encore par les spéculations de la cupidité ; que c'est maintenant un commerce avantageux que d'envoyer nos louis et nos écus dans les places étrangères ; que nous ne devons pas nous flatter assez d'être régénérés ou instruits pour que la cupidité fasse des sacrifices au bien public ; qu'il y a trop de gens qui ne veulent jamais perdre, pour que la seule théorie des dédommagements ne soit pas dans ce moment très-meurtrière à la chose publique.

Observez que les causes qui pourraient tendre au rétablissement de l'équilibre restent sans effet ; que l'état de discrédit où les lettres de change sur Paris sont tombées est tel, que dans aucune place de commerce on ne peut plus les négocier.

Observez qu'elles ne nous arrivent plus par forme de compensation, mais à la charge d'en faire passer la valeur dans le pays d'où elles sont envoyées ; en sorte que, depuis le trop fameux système, il ne s'est jamais réuni contre nous un aussi grand nombre de causes, toutes tendant à nous enlever notre numéraire.

Il est sans doute des circonstances que les hommes ne maîtrisent plus lorsque le mouvement est une fois donné. Mais on a méprisé des règles d'autant plus indispensables, que l'administration des finances devenait plus épineuse ; on a oublié que le respect pour la foi publique conduit toujours à des remèdes plus sûrs, à des tempéraments plus sages, que l'infidélité.

On semble s'être dissimulé qu'au milieu des plus grandes causes de discrédit une religieuse observation des principes offre encore du moins les ressources de la confiance.

Rappelez-vous, Messieurs, qu'à l'instant où vous eûtes flétri toute idée de banqueroute, j'ai désiré que la caisse d'escompte devînt l'objet d'un travail assidu. Il était tout au moins d'une sage politique de montrer que nous sentions la nécessité de son retour à l'ordre, et cependant je fus éloigné à plusieurs reprises de la tribune ; on me força, en quelque sorte, à garder au milieu de vous le silence sur des engagements qu'il ne pouvait convenir sous aucun rapport de mépriser.

Qu'en est-il arrivé ? L'imprévoyance des arrêts de surséance accordés à la caisse d'escompte, en même temps qu'on lui laissait continuer l'émission de ses billets : cette imprévoyance augmente tous les jours le désordre de nos finances.

La caisse nous inonde d'un papier-monnaie de l'espèce la plus alarmante, puisque la fabrication de ce papier reste dans les mains d'une compagnie nullement comptable envers l'Etat, d'une association que rien n'empêche de chercher, dans cet incroyable abandon, les profits si souvent prédits à ses actionnaires. »

Un exemple parlant.

(…) « Les fermiers ne sauraient comment employer les billets de la caisse d'escompte. Ces billets ne servent pas à payer des journées de travail ; et s'il faut que l'habitant de la campagne accumule pour payer ses baux, accumulera-i-il des billets ? Ce n'est que l'argent à la main qu'on peut aller ramasser le blé dans les campagnes, et dès lors les avances deviennent impossibles, si les espèces effectives sont toujours plus difficiles à ramasser.

Il faut près de 150,000 livres par jour pour l'approvisionnement du pain. Cette somme va parcourir les campagnes ; elle ne revient jamais que lentement, et aujourd'hui qu’elle ne doit pas être cette lenteur tandis que ceux qui cherchent l'argent pour le vendre fouillent partout, et donnent en échange des billets de la caisse d'escompte ?

Rapprochons maintenant de la masse de notre numéraire l'effet de toutes ces causes qui le chassent, l'enfouissent ou le dissipent. »

Souvenez-vous de la vaisselle du roi

« La ressource de la vaisselle pouvait aller loin peut-être ; mais si le numéraire continue à se cacher ou à sortir du royaume, à quoi servira la vaisselle ? »

Les priorités pour Mirabeau sont de comprendre :

"1° Que, s'il est pressant de se garantir de la disette, il serait heureux de pouvoir assurer les subsistances à la capitale sans trop l'épuiser de numéraire ;

2° Qu'il est urgent de s'occuper de la dette publique dans toute son étendue, en sorte qu'elfe n'effraye plus par son obscurité, et de prendre avec les créanciers de l'Etat des arrangements qui les éclairent sur leur sort ;

3° Qu'on ne saurait trop se hâter d'établir sur une base réelle de sages dispositions, des dispositions qui sans détériorer la chose publique, sans contraindre personne, sans exalter les imaginations, conduisent l'Etat à des temps plus propres aux remboursements, et qui donnent, en attendant, aux propriétaires de la dette la faculté de faire usage de leurs titres, chacun selon sa position ;

4° Qu'il faut s'assurer d'un fonds propre à soutenir la force publique, jusqu'à ce que l'ordre, l'harmonie et la confiance soient solidement rétablis ;

5° Qu'en un mot il faut faire cesser toutes les causes destructives de la confiance, et mettre à leur place des moyens dont l'efficacité se découvre aux yeux les moins exercés, et se soutienne par la solidité et la sagesse de leur propre construction."

La ressource américaine

(...) "J'observe, à l'égard des subsistances, que nous avons dans les Etats-Unis une ressource qui semble nous avoir été préparée pour les conjonctures actuelles. Ces Etats nous doivent en capital 34 millions dont 10 ont été empruntés en Hollande, et 5.710.000 livres d'intérêts seront échus au 1er janvier prochain.

Les seuls intérêts suffiraient à payer chez eux un approvisionnement de plus de deux mois pour la ville de Paris, et le tiers du capital payerait la somme nécessaire pour rendre cet approvisionnement égal à la consommation d'une demi-année. Ce secours soulagerait la capitale dans deux objets importants et inséparables, le numéraire et le pain.

L'union et la concorde sont rétablies dans ces Etats auxquels nous allons bientôt tenir par les rapports intéressants et féconds delà liberté. Nous avons versé notre sang sur leur sol pour les aider à la conquérir ; ils viennent de la perfectionner par l'établissement d'un congrès qui mérite leur confiance.

Ils ne refuseront pas de s'acquitter envers nous, en nous envoyant un aliment qui nous est absolument nécessaire, qui ne nous est rendu rare que par une difficulté qu'ils ont-eux-mêmes connue, et que nous les avons aidés à surmonter, savoir, la rareté du numéraire.

Oui, il n'y aurait qu'une impossibilité absolue qui pût rendre les Etats-Unis sourds à nos demandes, et cette impossibilité n'est nullement présumable ; elle leur serait trop douloureuse ; il leur serait même trop impolitique de ne pas faire de grands efforts en notre faveur, pour que nous devions hésiter de recourir à eux incessamment, dans la juste espérance d'en obtenir des grains et des farines qui ne nous coûteraient que des quittances.

D'ailleurs, en tournant nos regards de ce côté, nous y achèterons, s'il le faut, ces denrées, mais avec moins d'argent qu'en les payant à de secondes mains, et par conséquent notre extraction de numéraire pour cet objet sera moins considérable. »

La présence des ministres du roi à l’Assemblée

Mirabeau se verrait bien ministre.

« Permettez, Messieurs, que je dirige un instant vos regards sur ce peuple, dépositaire d'un long cours d'expériences sur la liberté. Si nous faisons une constitution préférable à la leur, nous n'en ferons pas une plus généralement aimée de toutes les classes d'individus dont la nation anglaise est composée ; et cette rare circonstance vaut bien de notre part quelque attention aux usages et aux opinions de la Grande-Bretagne.

Jamais, depuis que le parlement anglais existe, il ne s'est élevé une motion qui tendît à en exclure les ministres du Roi. Au contraire, la nation considère leur présence non-seulement comme absolument nécessaire, mais comme un de ses grands privilèges. Elle exerce ainsi sur tous les actes du pouvoir exécutif un contrôle plus important que toute autre responsabilité.

Il n'y a pas un membre de l'Assemblée qui ne puisse les interroger. Le ministre ne peut pas éviter de répondre. On lui parle tour à tour ; toute question est officielle, elle a toute l'Assemblée pour témoin ; les évasions, les équivoques sont jugées à l'instant par un grand nombre d'hommes, qui ont le droit de provoquer des réponses plus exactes ; et si le ministre trahit la vérité, il ne peut éviter de se voir poursuivi sur les mots mêmes dont il s'est servi dans ses réponses.

Que pourrait-on opposer à ces avantages ? Dira-t-on que l'Assemblée nationale n'a nul besoin d'être formée par les ministres ? Mais, où se réunissent d'abord les faits qui constituent l'expérience du gouvernement ? N'est-ce pas dans les mains des agents du pouvoir exécutif ? Peut-on dire que ceux qui exécutent les lois n'aient rien à observer à ceux qui les projettent et les déterminent ? Les exécuteurs de toutes les transactions relatives à la chose publique, tant intérieures qu'extérieures, ne sont-ils pas comme un répertoire qu'un représentant actif de la nation doit sans cesse consulter ? Et où se fera cette consultation avec plus d'avantage pour la nation, si ce n'est en présence de l'Assemblée ? Hors de l'Assemblée, le consultant n'est qu'un individu auquel le ministre peut répondre ce qu'il veut, et même ne faire aucune réponse. L'interrogera-t-on par décret de l'Assemblée ? Mais alors on s'expose à des réponses obscures, à la nécessité enfin de multiplier les décrets, les chocs, les mécontentements, pour arriver à des éclaircissements qui, n'étant pas donnés de bon gré, resteront toujours incertains. Tous ces inconvénients se dissipent par la présence des ministres dans l'Assemblée. Quand il s'agira de rendre compte de la perception et de l'emploi des revenus, peut-on mettre en comparaison un examen qui sera fait sous ses yeux ? S'il est absent, chaque question qu'il paraîtra nécessaire de lui adresser deviendra l'objet d'un débat ; tandis que, dans l'Assemblée, la question s'adresse à l'instant même au ministre par le membre qui la conçoit. Si le ministre s'embarrasse dans ses réponses, s'il est coupable, il ne peut échapper à tant de regards fixés sur lui ; et la crainte de cette redoutable inquisition prévient bien mieux les malversations que toutes les précautions dont on peut entourer un ministre qui n'a jamais à répondre dans l'Assemblée. Dira-t-on qu'on peut le mander dans l'Assemblée ? Mais le débat précède, et le ministre peut n'être pas mandé par la pluralité, tandis que dans l'Assemblée il ne peut échapper à l'interrogation d'un seul membre. »

La suite, ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5297_t1_0705_0000_3

 

Discussion suite à la motion de M. le comte de Mirabeau sur les subsistances, la création d'une banque nationale et l'entrée des ministres dans l'Assemblée, lors de la séance du 6 novembre 1789

J’ai choisi de vous rapporter un extrait de cette discussion, allant de la seconde partie de l’intervention de Monsieur Blin, à propos de la présence des ministres, jusqu’à la fin des échanges, où il est question des blés américains.

Monsieur Blin sur les ministres (extrait) :

(…) « En effet, si l'on consulte les transactions du parlement d'Angleterre, depuis le milieu du règne actuel surtout, on observera, non pas sans regret, que les motions les plus intéressantes, les plus utiles, ont été faites par le parti de l'opposition, et rejetées en très-grande partie par la majorité, c'est-à-dire par le ministre; et souvent même, lorsque ces motions ne contrariaient en rien les vues du ministère; mais uniquement parce que le ministre, qui ne peut pas tout embrasser, n'avait pas le temps de s'en occuper. On verra le stamp-act passé sous une administration, retiré sous une seconde, et reproduit sous une troisième, malgré la triste expérience qu'on en avait faite. En 1775, un membre de la Chambre des communes demande la représentation de la copie d'une lettre écrite par un des ministres, parce que cette lettre contenait des matières d'instruction qui méritaient toute l'attention de la Chambre. Le ministre répond qu'il est seul le juge des matières qui doivent ou ne doivent pas être soumises à l'examen de la Chambre. Cette réponse occasionne un débat très vif. On fait la motion de présenter une humble adresse au Roi pour demander que la lettre soit mise sous les yeux de la Chambre ; mais la majorité, toujours aux ordres du ministre, vient à son aide et fait rejeter la motion. Il me serait aisé de citer beaucoup de faits de cette nature, qui ne prouvent que trop le danger de l'influence ministérielle en Angleterre. Mais je craindrais, Messieurs, d'abuser de votre attention. Je passe sous silence, pour la même raison, l'affaire scandaleuse de M. Wilkes, et je m'arrête au temps de la guerre d'Amérique. Cette époque est une source féconde de grandes et utiles leçons, dont il ne tient qu'à nous de profiter dans les circonstances actuelles. — Est-ce à la cité de Londres, est-ce aux diverses villes et aux corporations d'Angleterre, qui, bien que peu instruites encore de la vraie théorie des rapports coloniaux, ont présenté tant d'adresses infructueuses et mal accueillies en faveur des colonies du continent d'Amérique, ou bien aux résolutions et à l'administration du ministère que l'on doit attribuer la perte de ces colonies ? Si lord North, escorté de sa majorité, n'avait pas dominé dans la Chambre des communes, pense-t-on que tant de discours éloquents, tant de remontrances énergiques faites par M. Burke et autres orateurs de l'opposition; que le fameux discours, prononcé à la barre par M. Glover, seraient demeurés sans effet, et que des hommes instruits, livrés aux seules lumières de leur raison, dégagés de toute influence ministérielle, auraient embrassé un parti évidemment contraire aux intérêts de la nation qu'ils représentaient? Non, sans doute ; et la conduite du ministère anglais, pendant toute la guerre d'Amérique, est une preuve palpable de la grande vérité publiée récemment par un auteur dont nous avons tous admiré les vues profondes : Les Rois et les Nations n'ont d'ennemis que les ministres. (M. le marquis de Cazaux, auteur de la Simplicité de l'idée d'une constitution, etc.)

Le livre de Monsieur Cazaux se trouve ici : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k47954w

"Mais je suppose que le danger de cette terrible influence ministérielle soit écarté, évitera-t-on aussi qu'il ne se forme, dans une assemblée où siégeront les ministres du Roi, un parti ou une opposition, qui, loin d'accélérer les travaux du Corps législatif, ne serviront au contraire qu'à retarder sa marche et ses décisions ? En effet, il est moralement impossible que sur 1,200 hommes choisis dans toute la nation, il ne s'en trouve pas quelques-uns doués des grands talents, des qualités éminentes, qui accroissent l'émulation jusqu'à la convertir en ambition : alors, les ministres, au lieu d'être consultés, deviendront bientôt l'objet d'une attaque personnelle ; les passions entreront en jeu de part et d'autre ; le bien, l'intérêt public seront perdus de vue, et l'Assemblée, réduite au rôle de spectatrice de ces combats particuliers, n'aura, pour s'occuper des affaires, que les courts intervalles qui seront accordés à chaque mutation par le nouveau ministère. Heureux encore si, dans cette lutte hasardeuse, la fortune favorise toujours les ministres dignes de notre confiance ; et si, pour opérer leur chute, on ne cause pas de grands maux à l'Etat. Lorsque M. Pitt et lord Camden firent la déclaration qui fournit des arguments aux colonies anglaises et qui réveilla leur courage, ils ne songeaient vraisemblablement, dit l’auteur des Lettres de Junius, qu'à renverser un ministre (M. Grenville), et ils ont en effet séparé une moitié de l'empire de l'autre.

Ce que j'ai dit jusqu'ici répond, si je ne me trompe, à une grande partie des raisons alléguées en faveur de l'admission des ministres ; le dernier exemple surtout prouve (car M. Grenville avait annoncé des vues sages) que l'avantage même d'avoir ses ennemis en présence, ainsi que l'observa hier un des préopinants, n'est pas entièrement exempt de danger, et que si le nouvel ordre de choses ne doit plus laisser d'hommes ineptes au ministère, il peut aussi (dans le cas où la motion serait adoptée) faire perdre à l'Etat des ministres habiles et vertueux.

J'ajouterai qu'en admettant les ministres dans l'Assemblée nationale, même avec la simple voix consultative, la responsabilité si nécessaire, si indispensable pour arrêter toute usurpation de pouvoir, devient un épouvantail chimérique ; car les ministres n'ayant point de commettants, et n'ayant à exécuter que leurs propres projets, quand vous les aurez consacrés et adoptés, ils n'auront, quelque nuisibles ou pernicieux qu'ils soient, de compte à rendre à personne. Vrais dépositaires du pouvoir exécutif, plus puissants que le Roi, dont le veto ne peut qu'empêcher les lois d'exister, ils jouiront en outre de la faculté de faire passer les mauvaises, de modifier les autres à leur convenance, de rejeter tous les projets dont l'exécution dérangerait leurs habitudes, et d'opposer mille objections, mille difficultés aux règlements qui resserreraient le compas de leur autorité.

C'est, écrivait, il y a peu de temps un des hommes les plus instruits d'Angleterre, à un de ses amis qu'il entretenait sur la position actuelle de l'Assemblée nationale, comparée à celle de la Chambre des communes, c'est un spectacle bien humiliant aux yeux de tout homme doué d'une âme sensible , et dont l'esprit est dégagé de préventions, que de voir une assemblée des représentants de tout un peuple, faite pour être composée de députés égaux en pouvoirs, et dont les délibérations devaient être absolument libres , dégradée cependant au point d'être entièrement dirigée et gouvernée par la présence d'un ministre revêtu de toute l'autorité et jouissant de toute l’influence du souverain, ne dissimulant même pas l'orgueil qu'inspirent la force et l’assurance de la victoire dans de vains débats qui ne produisent seulement pas l'intérêt d'un combat incertain. L'ordre essentiel aux assemblées représentatives, dont le chef, nommé par elles-mêmes pour présider à leurs délibérations, devait seul jouir de l'autorité et du respect parmi ses collègues, est bouleversé en faveur de ce délégué royal : le président n'est plus qu'un être secondaire ; et tous les yeux sont tournés vers le véritable maître de l'Assemblée, etc.

Que dirait l'homme qui s'abuse aussi peu sur les vices qui règnent dans la représentation du peuple anglais, s'il entendait appeler son pays en témoignage, pour faire adopter en France la présence des ministres dans l'Assemblée nationale ?

Je crois en avoir assez dit, et surtout avoir assez montré par les faits et par le sentiment des Anglais eux-mêmes, que c'est bien à tort que l'on va "puiser des raisons chez eux pour établir l'opinion que je combats.

Il serait peut-être utile de dire encore un mot sur l'indiscrétion d'un pareil moyen, quand il s'agit de redonner au pouvoir exécutif la force qui lui manque. Mais vous sentirez facilement, Messieurs, que si les ministres du Roi sont présents, il faut de deux choses l'une, ou qu'ils dirigent l’Assemblée par leur influence, ou qu'ils cèdent eux-mêmes aux lumières de l'Assemblée. Dans le dernier cas, ils rabaissent, ils humilient, sans nécessité comme sans utilité, la puissance exécutive : dans le premier (quoi qu'on ait pu dire contre le mot de liberté, dont je n'exagérerai jamais le sens), l'Assemblée n'est plus libre, et la nation court risque de perdre sa liberté. L'une ou l'autre de ces deux positions est également nuisible à l'intérêt public, et vous-mêmes, Messieurs, l'avez déjà reconnu, lorsque, sur la réclamation de M. le comte de Mirabeau, vous avez un jour attendu la retraite des ministres pour délibérer, et lorsque, dans une autre occasion, vous avez refusé d'ouvrir et de lire un mémoire que les ministres vous adressaient à l'instant d'une délibération. Les maximes soutenues alors n'ont pu changer si vite. Si elles étaient vraies, elles le sont encore aujourd'hui : ainsi, ni d'après les considérations alléguées, ni d'après l'exemple de l'Angleterre, ni d'après mes propres principes, on ne peut admettre les ministres dans l'Assemblée nationale. Du moins, telle est mon opinion jusqu'à présent, et par les raisons que j'ai recueillies à la hâte, pour avoir l'honneur de les soumettre à votre examen. Si vous jugez cependant que la motion de M. de Mirabeau doive être admise, par des motifs que je ne saurais ni prévoir ni comprendre, je demande qu'il y soit fait l'amendement suivant :

« Aucun membre de l'Assemblée nationale ne pourra passer au ministère pendant tout le cours de la session. »

Nous ne devons pas oublier que nos commettants nous ont envoyés pour faire une constitution qui devienne un rempart contre les atteintes du despotisme ministériel, et non une constitution qui mette à couvert, protège ou favorise l'ambition des ministres. »

Fin du débat et évocation des relations avec les Etats Unis

M. de Custine remarque que : "le Jersey, le Connecticut, et la Virginie sont les seules parties des Etats-Unis qui possèdent des blés... Il pense que la présence du ministre des finances est seule nécessaire dans l'Assemblée."

M. de Montlosier :

"D'après l'importance du troisième objet, je demande la division et l'ajournement."

M. Garat, le jeune, appuie cette troisième partie de la motion : la séduction des ministres, dit-il, est dangereuse hors de l'Assemblée ; mais ici ils se trouveront les égaux de chaque député, et infiniment au-dessous de la dignité de l'Assemblée.

M. de Richier demande la division des trois objets. Il observe sur le premier, que dans les Etats-Unis les particuliers ne doivent pas, mais que le corps seul est débiteur ; que le corps n'a pas de blés, et que les particuliers seuls en ont ; qu'il faut acheter des uns, et ne pas s'exposer à un refus de la part de l'autre.

M. le duc de La Rochefoucauld :

« Le nouveau congrès vient de prendre des précautions pour le payement des dettes des Etats-Unis. Il est probable que les Américains saisiront l'occasion de secourir la puissance européenne qui a si bien travaillé pour leur liberté. Plusieurs mois s'écouleront jusqu'à l'arrivée de ce secours, mais on le recevra au moment où nos ressources prochaines seront épuisées. Je pense qu'il n'y a nul inconvénient à mettre aux voix les trois articles, en ajournant, sans rien préjuger, sur l'éligibilité des ministres à l'Assemblée nationale. »

M. le vicomte de Noailles :

« Les Etats-Unis ne pouvant solder les intérêts de leur dette, devons-nous espérer qu'ils céderont à notre demande ? Pouvons-nous croire que les particuliers vendent au congrès, quand ils auront presque la certitude de n'en être pas payés ? Cette observation me détermine à rejeter cet article.

J'observerai sur le troisième, qu'en Angleterre, de vrais amis de la liberté regardent comme infiniment dangereux l'usage dont on s'autorise ici. Le ministre au parlement s'entoure d'une armée à ses gages, il distribue les postes, etc. Les ministres influeront également parmi nous ; ils influeront jusque dans les élections... Il faut s'instruire ; il faut, avant d'adopter cet article, s'assurer si nous ne compromettons pas notre liberté, Je demande l'ajournement. »

M. le comte de Clermont-Tonnerre :

« Les Etats-Unis ont fait une récolte abondante. Le nouveau congrès est autorisé à établir des taxes pour le payement des dettes ; la loyauté des Américains, qui nous doivent leur liberté, nous assure assez que leurs engagements avec la France ne seront pas les derniers remplis.

Le second objet de la motion me paraît ne donner lieu à aucune objection.

Je pense que la troisième est pour la nation un des premiers moyens de prospérité, de grandeur et de liberté. Nous avons souvent gémi sous des ministres ineptes, et le despotisme des ministres ineptes est le fléau le plus humiliant pour des hommes libres ; mais, admis parmi vous, dans quatre jours vous n'aurez pas un ministre, ou bien il ne sera pas inepte.

Je sais le danger des grands talents unis avec de mauvaises intentions ; mais que pourrait faire le ministre qui les posséderait, lorsqu'il trouvera au milieu de vous de grands talents et des intentions pures ? Les ministres verront enfin des hommes qui ne les craindront pas, tandis qu'ils sont condamnés à ne voir que des flatteurs, des secrétaires occupés à leur préparer les moyens de nous opprimer. L'homme vendu rougira devant celui qui aura acheté sa voix ; son embarras, son inquiétude, tout le démasquera. Vous savez s'il faut redouter les intrigues du cabinet. Un ministre est-il l'ennemi de la nation, c'est un ennemi invisible quand il n'est pas ici ; s'il y est admis, il sera connu, et dans toute" espèce de combat je ne sais rien de plus dangereux que d'avoir à se battre sur rien et contre personne. »

M. Le Chapelier :

« Je pense qu'il est nécessaire de faire observer à quelques opinants, qui craignent pour notre liberté, qu'il ne s'agit ici que d'une disposition momentanée et nécessitée par les circonstances. Je m'oppose à l'ajournement. »

M. Anson :

« J'adopte les trois propositions. Si, par exemple, le ministre des Finances avait siégé dans cette Assemblée, il aurait répondu à M. de Mirabeau ; il aurait repoussé des terreurs qui peuvent porter atteinte à la fortune publique et aux fortunes particulières. La caisse d'escompte a déjà trois mémoires au comité des finances. J'y ai observé trois choses : premièrement, ce n'est pas elle qui, l'année dernière, a sollicité une suspension de payement ; secondement, les secours importants qu'elle a donnés à l'Etat : cette observation, infiniment exacte, mérite quelques ménagements ; troisièmement, si le gouvernement remboursait à la caisse tout ce qu'il lui doit, elle satisferait sur-le-champ à tous ses engagements.

Je ne conclus à rien au sujet de la caisse d'escompte, parce que M. de Mirabeau n'a pas pris de conclusions à son égard. »

M.***

« Les commerçants ne feront plus d'opérations sur les blés avec l'Amérique ; ils redouteront la concurrence avec le gouvernement ; alors si la démarche proposée n'a pas de succès, quelle sera notre détresse ! »

M. le duc d'Aiguillon :

« On a représenté comme douteuse la créance que nous avons sur l'Amérique ; les titres que le comité a entre les mains tendent à en prouver la solidité. L'embarras des Etats-Unis pour les payements vient du défaut de numéraire ; vous leur offrez le moyen de payer autrement, et cet embarras disparaît. »

La discussion est fermée. On demande successivement l'ajournement sur les trois articles. — Après quelques discussions sur cette demande, les deux premiers sont ajournés ; la délibération sur l'ajournement, du troisième, se trouvant deux fois douteuse, est remise à demain.

La totalité de la discussion est ici :