jeudi 6 août 2020

6 Août 1789 : Pourquoi des lapins et des pigeons sur ces célèbres estampes ?

 Article mis à jour le 22/08/2021, suite à l'aimable intervention de l'historienne Aurore Chéry.    L'historienne pose en effet une question pertinente : Pourquoi le noble porte-t-il un costume datant de l'époque d'Henri IV et pourquoi le paysan a-t-il le profil bien connu de ce roi sur la seconde estampe ?


Première interprétation de cette estampe

    Pourquoi voit-on, sur cette célèbre estampe montrant les trois corps sociaux de la société de l’ancien régime, des lapins dévorant les choux plantés par le malheureux paysan, ainsi que des pigeons picorant le grain semé ?

    N’est-il pas déjà assez accablé, cet humble représentant du Tiers État, de devoir porter sur son dos les oisifs représentants du Clergé et de la Noblesse ?

    La raison en est que si l’idée venait à ce malheureux, de tuer un des lapins, ou même l’un de ces volatiles échappés du pigeonnier du seigneur local, il serait passible du bagne, voire de la pendaison ! Car le gibier aussi bien que les pigeons, sont la propriété du seigneur !

    C’est lors de la fameuse nuit du 4 au 5 août 1789, que l’Assemblée Nationale vota la proposition du Duc d’Aiguillon d’abolir les droits féodaux, sous condition tout de même que ceux-ci soient rachetés "au denier trente", c’est-à-dire en payant trente années d’annuités ! (Drôle d’abolition !)

    Adrien Joseph Colson, avocat au parlement de Paris, dans une de ses lettres datée du 9 août 1789, apporte la précision suivante : 

« L’Assemblée Nationale a arrêté que le droit de chasse, de garennes, de capitaineries sera également supprimé, mais à condition que chaque particulier ne pourra chasser que sur ses propriétés... Elle a défendu de laisser sortir les pigeons dans de certaines saisons de l’année, sinon permis à tous les particuliers de les tuer quand ils sont sortis, etc.etc.»

Encore un mot sur le droit de chasse. 

    Le droit de chasse pour les paysans fut donc l’un des premiers acquis de la Révolution Française. Raison pour laquelle, dans les semaines qui suivirent, les colporteurs commencèrent à vendre une nouvelle estampe sur laquelle on voyait le paysan à cheval sur le dos du noble, remorqué par le religieux, avec le lapin occis au bout de sa nouvelle épée et les pigeons mis hors d’état de nuire aux semailles...

 C'est aussi l'une des raisons, incompréhensible pour les citadins, pour laquelle on attache encore beaucoup d'importance à la chasse dans les campagnes.

    Le droit de chasse sera probablement supprimé un jour prochain, car c'est dans l'air du temps. 

    Les citadins ont une vision de la nature qui ressemble plus à un film de Disney qu'à la sauvage réalité de celle-ci. On ne peut cependant pas leur reprocher de vouloir sauver cette nature avec laquelle ils ont perdu tout contact. Mais d'après vous, qui régulera le gibier, quand il n'y aura plus de chasseurs ? Probablement des sociétés privées qui auront obtenu leurs contrats par des marchés publics "arrangés" (j'en connais un rayon sur ce sujet).

    Gageons également que, certains privilégiés, entre les hauts murs entourant des forêts privées, jouiront toujours de ce privilège.


Les niveaux de lecture.

    Les érudits qui étudient la Torah depuis des siècles prétendent que la Torah à 70 niveaux de lectures. Mais en vérité, chaque livre a autant d'interprétations qu'il a de lecteurs et de lectrices, car chacun y apporte ce qu'il a vu ou compris du monde. 

    Il en est de même pour les images et les tableaux. Si vous voyez un escargot sur un tableau du Moyen-Âge et que vous ignorez la signification symbolique du petit gastéropode, vous n'aurez pas vraiment vu le tableau. Si ce sujet vous intéresse de lire le passionnant ouvrage de l'historien d'art Daniel Arasse intitulé : "Histoires de peintures", ou d'écouter ses conférences sur France Culture.

    La première lecture des estampes que je vous ai présentées ci-dessus, était celle immédiatement compréhensible pour le Peuple en 1789. Mais certains, mieux au fait des intrigues, pouvaient à l'époque y lire autre choses. A l'époque mais aussi aujourd'hui, si ladite personne est érudite.


Seconde lecture de ces deux estampes par Aurore Chéry.

    Je vous reproduits ci-dessous l'échange que j'ai eu avec l'historienne Aurore Chéry (avec l'aimable autorisation de celle-ci), à propos de ces deux estampes. Lisez, et alors, vous aussi, vous allez vous poser de nouvelles questions sur ces deux estampes.

Aurore Chéry : Je me demandais si vous aviez déjà parlé des costumes sur ces estampes. Pourquoi la noblesse est représentée en costume Henri IV par exemple ? Là, ce qui me frappe dans la deuxième que vous avez postée, c'est que le paysan a lui-même le profil d'Henri IV.

Le Citoyen Basset : C'est une excellente question et vous attisez ma curiosité. Le paysan, semble effectivement avoir la tête d'Henri IV. Nous savons qu'Henri IV était très présent dans le cœur des Français de cette époque, dans leur esprit et pourquoi pas dans leur inconscient ? Vous soulevez un nouveau mystère ! Je vais consulter mes estampes en stock. Concernant les costumes de nobles, ne peut-on concevoir qu'en province, ceux-ci portaient des costumes à l'ancienne et gardaient leurs beaux atours pour aller à Versailles ? Des costumes et même des objets traversent le temps. On a bien vu de vieilles hallebardes volées aux Invalides dans les émeutes de juillet ! (…) 

Le Citoyen Basset : On pourrait alors presque imaginer que ce serait un roi paysan qui porterait la noblesse et le clergé sur son dos !?

Aurore Chéry : Pour le costume, là on est quand même sur du Henri IV, 200 ans avant, c'est de l'antiquité du costume. Même si de rares morceaux tissus ont survécu, ils ont nécessairement été réutilisés pour d'autres choses. Donc les gens qui se promenaient en costume Henri IV, c'est parce qu'ils en avaient l'intention. Moi j'aurais tendance à l'interpréter plutôt comme une volonté de faire attribuer la Révolution au duc d'Orléans. C'était la stratégie adoptée par Louis XVI et il a utilisé plusieurs astuces pour ça. Il me semble que c'en est une.

Déjà quand il avait commandé le pamphlet "L'Avis important à la branche espagnole" (1) (2) au tout début de son règne, il s'y laissait ridiculiser pour qu'on ne le soupçonne pas d'en être le commanditaire et il avait tout fait pour faire accuser d'Aiguillon. Les Orléans et lui revendiquaient à la fois l'héritage d'Henri IV et je vois ici une façon de se moquer de la manière dont Louis XVI se l'appropriait. Le noble n'a que le costume et le paysan a le corps.

En gros, derrière la noblesse qui exploite la paysannerie, il y a aussi l'idée de Louis XVI qui exploite l'image d'Henri IV. Ça peut également être un second niveau de lecture pour les deux lapins sur le même chou : on peut y voir des représentations d'Henri IV et Louis XVI en chauds lapins, manière de dire que c'était la seule chose par laquelle Louis XVI avait réellement réussi à égaler Henri IV.

On se situe là dans la continuité de la découverte de la correspondance amoureuse de Louis XVI par le duc de Chartres et de sa représentation en Valmont dans "Les Liaisons dangereuses".

Bref, je pense que dans ces gravures, il y a le niveau de lecture politique que vous analysez et il y a un second niveau de lecture, destiné à la cour, qui permet à Louis XVI d'exprimer l'idée : "Eh regardez, c'est sûr, moi je ne suis pas derrière ça ! Vous avez vu comme on se moque de moi !"


(1) Si vous cherchez à avoir des informations sérieuses sur ledit pamphlet, je peux vous assurer que vous allez "ramer" sur Internet. Premier conseil, zappez vite les pages affligeantes des "Marientoinettistes". 


Personnellement je vous conseille de lire l'ouvrage d'Aurore Chéry : L'intriguant.


    En attendant ; pourquoi ne pas lire cet épisodes rocambolesque des aventures de Beaumarchais qui était aussi, on le sait moins, un agent secret. Je l'ai trouvé dans un passage de la Revue des Deux Mondes de 1886. Accédez au texte en cliquant sur l'image ci-dessous.

    Mais ne vous réjouissez pas trop, cette version est totalement démentie dans cet autre article dont le lien est le suivant http://www.cosmovisions.com/Beaumarchais.htm
Cette seconde version des aventures de Beaumarchais 007, me dérange quelque peu par ce que le "méchant" y est traité de Juif.


(2) Plus d'infos sur cette fameuse branche espagnole et surtout sur Marie-Thérèse d'Autriche dans cet article passionnant : Marie-Thérèse d'Autriche, une mémoire européenne.



Post Scriptum :

On se sait pas grand chose de ceux qui gravaient ces estampes, car elles n'étaient jamais signées (C'était plus prudent).

Correspondaient-elles à des commandes bien précises ? J'en suis certain pour les centaines d'estampes à la gloire de Necker qui furent diffusées lorsqu'il était ministre.

Mais qu'en était-il des autres ? Peut-on penser qu'elle ne correspondaient qu'à l'inspiration de moment de l'artistes ?

Encore un sujet à creuser !

Qui osera me dire que l'Histoire n'est qu'un roman facile à lire, c'est au contraire une enquête à suspens, pleine de rebondissements !

Vous trouverez une autre représentation des trois corps de la société, datant des Etats Généraux sur une médaille que je présente à l'article en date du 23 Août 2021.


mercredi 5 août 2020

5 Août 1789 : Oraison funèbre de l’abbé Fauchet à la mémoire des morts de la Bastille

 Article mis à jour le 5 août 2023

    Oraison funèbre prononcée le 5 août par l'abbé Fauchet à la mémoire des citoyens morts au siège de la Bastille, église de Saint-Jacques l'Hôpital, actuels 129-135, rue Saint-Denis, 1er arrondissement. Gravure de Jean-Louis Prieur.


L'abbé Fauchet.

    L’abbé Claude Fauchet fut l’un de ceux qui conduisirent le peuple à l’attaque de la Bastille, où, le sabre en main, il guida la députation qui était venue sommer le gouverneur Launay de rendre la forteresse. 

Avez-vous lu mon article sur la prise de la Bastille ?

Nous reparlerons de l'Abbé Fauchet plus tard.

Sarcophage pour les morts de la Bastille

    Nous pouvons lire cette belle oraison, commentée agréablement par Jules Michelet, en cliquant sur l'image ci-dessous :

Un mot sur le graveur Jean-Louis Prieur

    Acquis aux idées de la Révolution, Jean-Louis Prieur dit « le jeune », né en 1759 à Paris, dessinera soixante dessins, ou « Tableaux historiques », sur les épisodes célèbres de la Révolution. Il sera guillotiné en place de Grève, le 7 mai 1795, à la suite de l’insurrection populaire du 12 germinal an III (1er avril 1795) dirigée contre la Convention thermidorienne. Les manifestants réclamaient du pain et l’application de la Constitution de l'an I (1793). Sur ordre de la Convention, le général Jean-Charles Pichegru, qui était de passage à Paris, dispersa violemment la manifestation.

Jean-Louis Prieur, à droite.


mardi 4 août 2020

Peuple ou populace ?

Article mis à jour le 3 septembre 2023.
Peuple ou populace ?

    Nous nous étions posés ensemble le 28 juillet dernier, la question de l’usage du mot "brigands" pour désigner les foules en colère, plutôt que celui d’émeutiers. Le mot "émeutier" existait déjà au 18ème siècle, sont l’étymologie le reliant à l’ancien participe passé du verbe émouvoir (agir sur le coup d’une émotion).

    Posons-nous aujourd’hui la question de l’usage du mot populace, plutôt que celui de peuple ; "populace" étant un mot péjoratif (insultant) pour désigner le peuple.
    L’idée m’en est venu hier soir à la suite d'un échange courtois avec un visiteur de ma page. Mon interlocuteur, en toute bonne foi j’en suis sûr, opposait à ce qu’il supposait être mon idéalisation de la Révolution française, les horribles violences de la populace et il évoquait Chateaubriand pour appuyer son dire.

    Un mot au passage pour vous assurer que je n’ai plus l’âge d’idéaliser ni rien ni personne. J’ai depuis longtemps perdu mes illusions et cela me donne d’ailleurs plus de liberté pour penser, y compris pour penser contre moi-même et mes éventuels a priori.

Pourquoi ?

    Pourquoi pour le même événement, selon l'auteur et l'époque, désigne-t-on les acteurs, sous le nom de populace, plutôt que celui de peuple ?

    Il était tard et je tapotais péniblement sur le clavier de mon smartphone. Mais parmi mes arguments, j’essayais d’expliquer à mon interlocuteur qu’un peuple accablé par l’ignorance, la superstition et surtout la misère, ne pouvait finalement que ressembler à une « populace ».     De même, si vous prenez un peuple bien policé, mais que vous décidez de le priver d’instruction et que peu à peu vous le poussez dans la misère en lui retirant progressivement ses biens, il suffira d’une génération à peine pour qu’il devienne "une populace".

Chacun voit le monde à sa fenêtre

François René de Chateaubriand
    Chateaubriand écrit bien, c’est certain. Mais dans le monument à son auguste personne qu’il réalise en rédigeant ses mémoires d’outre-tombe, devons-nous prendre tout ce qu’il dit pour paroles d’évangile, sous prétexte que c’est bien écrit ? Ne doutons pas de sa sincérité bien sûr ! Mais comme disait ma grand-mère : « Sincérité n’est pas vérité ».

    Chateaubriand, comme vous et comme moi, voyait le monde au travers de la petite fenêtre de sa personnalité. Il faut regarder par de nombreuses fenêtres, c’est-à-dire de nombreux témoignages, pour avoir une idée un peu plus précise du monde.

    Un bon exemple est celui de son poignant témoignage sur le cortège des assassins de Foullon et Berthier, passant devant les fenêtres de son hôtel. Je vous avais parlé de ce tragique événement le 22 juillet dernier.


Lisons ce passage, extrait du livre V de ses mémoires d’outre-tombe :

« … j’étais aux fenêtres de mon hôtel garni avec mes sœurs et quelques Bretons ; nous entendons crier : « Fermez les portes ! Fermez les portes ! » Un groupe de déguenillés arrive par un des bouts de la rue ; du milieu de ce groupe s’élevaient deux étendards que nous ne voyions pas bien de loin. Lorsqu’ils s’avancèrent, nous distinguâmes deux têtes échevelées et défigurées, que les devanciers de Marat portaient chacune au bout d’une pique : c’étaient les têtes de MM. Foullon et Bertier. Tout le monde se retira des fenêtres ; j’y restai. Les assassins s’arrêtèrent devant moi, me tendirent les piques en chantant, en faisant des gambades, en sautant pour approcher de mon visage les pâles effigies. L’œil d’une de ces têtes, sorti de son orbite, descendait sur le visage obscur du mort ; la pique traversait la bouche ouverte, dont les dents mordaient le fer : « Brigands ! M’écriai-je plein d’une indignation que je ne pus contenir, est-ce comme cela que vous entendez la liberté ? » Si j’avais eu un fusil, j’aurais tiré sur ces misérables comme sur des loups. Ils poussèrent des hurlements, frappèrent à coups redoublés à la porte cochère pour l’enfoncer et joindre ma tête à celles de leurs victimes. Mes sœurs se trouvèrent mal ; les poltrons de l’hôtel m’accablèrent de reproches. Les massacreurs, qu’on poursuivait, n’eurent pas le temps d’envahir la maison et s’éloignèrent. Ces têtes, et d’autres que je rencontrai bientôt après, changèrent mes dispositions politiques ; j’eus horreur des festins de cannibales, et l’idée de quitter la France pour quelque pays lointain germa dans mon esprit. »

    Assurément, cette scène est aussi abominable qu’elle est admirablement écrite. La populace, terme qu’il utilisera souvent par la suite, y est représentée avec toute l’horreur qui fait tant frémir les nostalgiques de l’ancien régime.


    Depuis une autre fenêtre, il y eut un autre témoin de cette scène atroce, qui lui aussi en rendit compte par écrit, non-pas dans d’imposants mémoires construits pour la postérité, mais juste dans une lettre à sa jeune épouse. Ce fut François Noël Babeuf.

    Souvenez-vous, je vous en ai parlé le 22 juillet. Voici un extrait de son courrier :

« Les supplices de tout genre, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. »

    Plutôt que de vouloir "quitter la France pour quelque pays lointain", afin de fuir ces "cannibales", comme l’écrivit le divin Chateaubriand, Babeuf devient un révolutionnaire, dans le but de rendre sa dignité à ce peuple avilit par ses maîtres.

    Ces deux témoignages bien différents (ces deux petites fenêtres humaines), vous montrent la différence qu’il y a, entre proférer des sentences définitives du haut des tours de son château et faire l’effort de comprendre le pourquoi d’un événement pour essayer ensuite d’améliorer les choses.

Un Chateaubriand bien mal placé...

Arthur Young
    Lorsque je vous ai dit plus haut qu’un peuple maintenu dans l’ignorance, la superstition et l’horrible misère ne pouvait ressembler qu’à une populace, je me suis souvenu un passage d’un livre que j’adore. Il s’agit de l’ouvrage dans lequel l’agronome anglais Arthur Young rendit compte de ses trois voyages en France en 1787, 1788 et 1789. Je vous en conseille très vivement sa lecture. Vous y découvrirez une France du 18ème siècle, bien différente des tableaux champêtres idylliques représentés sur les tapisseries d’Aubusson ou les toiles de Jouy.

    Le 1 er septembre 1788, Arthur Young fit cette description saisissante de Combourg et de son château, celui de notre cher Châteaubriand :

« Combourg. Le pays a un aspect sauvage ; la culture n’est pas beaucoup plus avancée que chez les Hurons, ce qui paraît incroyable au milieu de ces terrains si bons. Les gens sont presque aussi sauvages que leur pays, et leur ville de Combourg est une des plus ignoblement sales que l’on puisse voir. Des murs de boue, pas de carreaux, et un si mauvais pavé que c’est plutôt un obstacle aux passants qu’un secours. Il y a cependant un château, et qui est habité. Quel est donc ce M. de Chateaubriand, le propriétaire, dont les nerfs s’arrangent d’un séjour au milieu de tant de misère et de saleté ? Au-dessous de ce hideux tas d’ordures se trouve un beau lac entouré de hais bien boisées. »

    Lisez l'article que je lui ai consacré : Les voyages en France d'Arthur Young, à lire absolument."

    Vous voudrez bien convenir avec moi que le domaine de notre immortel écrivain, n’était pas bien reluisant…

Le château de Combourg, si bien décrit par notre ami Arthur Young

Encore une petite question.

    Une dernière question mérite selon moi d’être encore abordée, pour clore momentanément ce sujet (car nous y reviendront, bien sûr).

    Un peuple inculte, sale et affamé est-il obligatoirement méprisable ? Comme dit plus haut, je vous répondrai que cela dépend de la sensibilité, certains diraient du cœur, de celui ou celle qui observe ce peuple. Voilà pourquoi, afin de conclure cet article, je vous donne à lire cette description qu’Arthur Young fit d’une pauvresse qu’il rencontra sur un chemin de Champagne le 12 juillet 1789, alors qu’il cheminait vers Metz :

« En montant une côte à pied pour ma jument, je fus rejoint par une pauvre femme, qui se plaignit du pays et du temps ; je lui en demandai les raisons. Elle me dit que son mari n’avait qu’un coin de terre, une vache et un pauvre petit cheval : cependant il devait comme serf à un seigneur un franchard (42 livres) de froment et trois poulets, à un autre quatre franchards d’avoine, un poulet et un sou, puis venaient de lourdes tailles et autres impôts.
    Elle avait sept enfants, et le lait de la vache était tout employé à la soupe. — Mais pourquoi, au lieu d’un cheval, ne pas nourrir une seconde vache ? — Oh ! Son mari ne pourrait pas rentrer si bien ses récoltes sans un cheval, et les ânes ne sont pas d’un usage commun dans le pays.
    On disait, à présent, qu’il y avait des riches qui voulaient faire quelque chose pour les malheureux de sa classe ; mais elle ne savait ni qui ni comment. Dieu nous vienne en aide, ajouta-t-elle, car les tailles et les droits nous écrasent…
    Même d’assez près on lui eût donné de 60 à 70 ans, tant elle était courbée et tant sa figure était ridée et endurcie par le travail ; elle me dit n’en avoir que 28.
    Un Anglais qui n’a pas quitté son pays ne peut se figurer l’apparence de la majeure partie des paysannes en France : elle annonce, à première vue, un travail dur et pénible ; je les crois plus laborieuses que les hommes, et la fatigue plus douloureuse encore de donner au monde une nouvelle génération d’esclaves venant s’y joindre, elles perdent, toute régularité de traits et tout caractère féminin.
    A quoi attribuerons-nous cette différence entre la basse classe des deux royaumes ? Au gouvernement. »

    Après avoir lu cela, je me suis soutenu de l'introduction de l'un des chapitres du livre "Les origines de la France contemporaine", écrit par l'historien Hippolyte Taine. Lisez... 

La Bruyère écrivait juste un siècle avant 1789 : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et remuent avec une opiniâtreté invincible. Ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines. Ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. » — Ils en manquent pendant les vingt-cinq années suivantes, et meurent par troupeau (…) 


Depuis ma petite fenêtre...

    J’espère de tout mon cœur, que mes modestes articles vous aident à voir autrement la Révolution française, voire le temps présent, et ce, même si c’est au travers de ma petite fenêtre.

Merci de m'avoir lu...

Bertrand Tièche


"La famille pauvre" par Jean-Baptiste Greuze, en 1789.

4 Août 1789 : Le jour de la fameuse nuit !

Abolition des privilèges, Necker sortant de Versailles.

    Necker est si populaire durant cet été 1789, que tout ce qui est "bien" semble devoir lui être attribué. Mais nous allons voir que contrairement à ce que suggère l'estampe ci-dessus, il n'est en rien un acteur de cette fameuse nuit ! Cette estampe fait partie des centaines qui ont été réalisées durant des années pour sa propagande. (Il faudra que je lui consacre une galerie dédiée.)

    Peut-être verrez-vous passer aujourd’hui et les jours suivants, des articles sur la fameuse "Nuit du 4 au 5 août", la nuit au cours de laquelle les privilèges furent, parait-il, abolis. Pourquoi ce "parait-il ?". Je vous propose de découvrir dans quelles conditions l’Assemblée nationale s’est rendue à cette extrémité, qui en furent les principaux acteurs et surtout quelles furent dans la réalité, les suites de cet effet d’annonce.


Etat des lieux.

    Si vous avez lu mes précédentes publications, vous aurez compris dans quel état de panique devait se trouver la noblesse ; noblesse qui voyait nombre de ses châteaux brûler çà et là dans le royaume. Souvenez-vous que la veille, le 3 août, à l’Assemblée nationale, un orateur avait évoqué les affres d’une « guerre des pauvres contre les riches ».

    C’est à la séance du soir de ce 4 août, débutée à 18h, que l’Assemblée aborde ses travaux concernant le « projet d’arrêté relatif à la sûreté du royaume ». Monsieur Target, en commence la lecture comme suit :

« L’Assemblée nationale, considérant que, tandis qu’elle est uniquement occupée d’affermir le bonheur du peuple sur les bases d’une constitution libre, les troubles et les violences qui affligent différentes provinces répandent l’alarme dans les esprits, et portent l’atteinte la plus funeste aux droits sacrés de la propriété et de la sûreté des personnes ;

« Que ces désordres ne peuvent que ralentir les travaux de l’assemblée, et servir les projets criminels des ennemis du bien public ;

Déclare que les lois anciennes subsistent et doivent être exécutées jusqu’à ce que l’autorité de la nation les ait abrogés ou modifiées :

« Que les impôts, tels qu’ils étaient, doivent continuer d’être perçus aux termes de l’arrêté du 17 juin dernier, jusqu’à ce qu’elle ait établi des contributions et des formes moins onéreuses au peuple ;

« Que toutes les redevances et prestations accoutumées doivent être payées comme par le passé, jusqu’à ce qu’il ait été autrement ordonné par l’Assemblée ;

« Qu’enfin les lois établies pour la sureté des personnes et pour celles des propriétés doivent être universellement respectées.

« La présente déclaration sera envoyée dans toutes les provinces, et les curés seront invités à la faire connaître à leurs paroissiens, et à leur en recommander l’observation »

"L'alarme se répand dans les esprits"...

    Vous avez bien lu et bien compris. « Les troubles et les violences qui affligent différentes provinces répandent l’alarme dans les esprits, et portent l’atteinte la plus funeste aux droits sacrés de la propriété et de la sureté des personnes ». Donc demandons aux curés de calmer leurs ouailles en leur demandant d’attendre gentiment les promulgations de nouvelles lois. Les anciennes, bien qu’elles soient mauvaises et injustes, restant en vigueur jusqu’à nouvel ordre ! Quel effet, pensez-vous, aurait eu une telle annonce, dans un pays où les châteaux étaient incendiés les uns après les autres depuis plus de deux semaines ?

De Noailles et D'Aiguillon

    C’est par suite de cette prise de conscience que vont intervenir successivement deux orateurs dont l'histoire retiendra les noms : Monsieur le Vicomte de Noailles, puis Monsieur le Duc D’Aiguillon.

De Noailles, le cadet sans argent qui fait cadeau de ce qu'il n'a pas.

    Louis Marc Antoine de Noailles, né en 1756, était un militaire. Cadet de famille pauvre, Il avait participé avec son beau-frère Lafayette, à la guerre d’indépendance américaine. En décembre 1802, il se mettra au service du général de Rochambeau, qui combattra contre les Noirs révoltés de Toussaint Louverture à Saint-Domingue (Mille fois hélas !). Il mourra de ses blessures le 1er janvier 1804 en prenant l’abordage d’une corvette britannique.

Écoutons-le :

« Le but du projet d'arrêté que l'Assemblée vient d'entendre est d'arrêter l'effervescence des provinces, d'assurer la liberté publique, et de confirmer les propriétaires dans leurs véritables droits.

Mais comment peut-on espérer d'y parvenir, sans connaître quelle est la cause de l'insurrection qui se manifeste dans le royaume ? Et comment y remédier, sans appliquer le remède au mal qui l'agite ?

Les communautés ont fait des demandes : ce n'est pas une Constitution qu'elles ont désirée ; elles n'ont formé ce vœu que dans les bailliages : qu'ont-elles donc demandé ? Que les droits d'aides fussent supprimés ; qu'il n'y eût plus de subdélégués ; que les droits seigneuriaux fussent allégés ou échangés. Ces communautés voient, depuis plus de trois mois, leurs représentants s'occuper de ce que nous appelons et de ce qui est en effet la chose publique ; mais la chose publique leur paraît être surtout la chose qu'elles désirent et qu'elles souhaitent ardemment d'obtenir. D'après tous les différends qui ont existé entre les représentants de la Nation, les campagnes n'ont connu que les gens avoués par elles, qui sollicitaient leur bonheur, et les personnes puissantes qui s'y opposaient.

Qu'est-il arrivé dans cet état de choses ? Elles ont cru devoir s'armer contre la force, et aujourd'hui elles ne connaissent plus de frein : aussi résulte-t-il de cette disposition que le royaume flotte, dans ce moment, entre l'alternative de la destruction de la société, ou d'un gouvernement qui sera admiré et suivi de toute l'Europe. Comment l'établir, ce gouvernement ?

Par la tranquillité publique. Comment l'espérer, cette tranquillité ? En calmant le peuple, en lui montrant qu'on ne lui résiste que dans ce qu'il est intéressant de conserver. Pour parvenir à cette tranquillité si nécessaire, je propose :

Qu'il soit dit, avant la proclamation projetée par le comité, que les représentants de la Nation ont décidé que l'impôt sera payé par tous les individus du royaume, dans la proportion de leurs revenus ;

Que toutes les charges publiques seront à l'avenir supportées également par tous ;

Que tous les droits féodaux seront rachetables par les communautés, en argent ou échangés sur le prix d'une juste estimation, c'est-à-dire d'après le revenu d'une année commune, prise sur dix années de revenu ;

Que les corvées seigneuriales, les mains-mortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat. »

    Pas mal, non ? L’l'impôt payé par tous, dans la proportion des revenus de chacun, les charges publiques supportées également par tous et les droits féodaux rachetables. C’est sur ce dernier point que nous allons revenir bientôt. Car voici à l’instant un autre député noble, M. le duc d'Aiguillon, qui se propose d'exprimer avec plus de détail le vœu formé par le préopinant (dixit le procès-verbal de l’Assemblée nationale).

Le Duc d'Aiguillon, le riche qui abandonne vraiment ses rentables privilèges.

    Armand-Désiré de Vignerot du Plessis-Richelieu, duc d’Aiguillon et duc d’Agenois, pair de France, né en 1761, était également un militaire.
    Il sera favorable à la révolution jusqu’à la prise des Tuileries du 10 août 1792, qui est aussi la date de la chute de la royauté. Il était également l’un des plus grands propriétaires du royaume.

Écoutons-le :

« Messieurs, il n'est personne qui ne gémisse des scènes d'horreur dont la France offre le spectacle. Cette effervescence des peuples, qui a affermi la liberté lorsque des ministres coupables voulaient nous la ravir, est un obstacle à cette même liberté dans le moment présent, où les vues du gouvernement semblent s'accorder avec nos désirs pour le bonheur public.

Ce ne sont point seulement des brigands qui, à main armée, veulent s'enrichir dans le sein des calamités : dans plusieurs provinces, le peuple tout entier forme une espèce de ligue pour détruire les châteaux, pour ravager les terres, et surtout pour s'emparer des charniers, où les titres des propriétés féodales sont en dépôt. Il cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête ; et il faut l'avouer, Messieurs, cette insurrection quoique coupable (car toute agression violente l'est), peut trouver son excuse dans les vexations dont il est la victime. Les propriétaires des fiefs, des terres seigneuriales, ne sont, il faut l'avouer, que bien rarement coupables des excès dont se plaignent leurs vassaux ; mais leurs gens d'affaires sont souvent sans pitié, et le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales qui subsistent encore en France, gémit de la contrainte dont il est la victime.

Ces droits, on ne peut se le dissimuler, sont une propriété, et toute propriété est sacrée ; mais ils sont onéreux aux peuples, et tout le monde convient de la gêne continuelle qu'ils leur imposent.

Dans ce siècle de lumières, où la saine philosophie a repris son empire, à cette époque fortunée où, réunis pour le bonheur public, et dégagés de tout intérêt personnel, nous allons travailler à la régénération de l'État, il me semble, Messieurs, qu'il faudrait, avant d'établir cette Constitution si désirée que la Nation attend, il faudrait, dis-je, prouver à tous les citoyens que notre intention, notre vœu est d'aller au-devant de leurs désirs, d'établir le plus promptement possible cette égalité de droits qui doit exister entre tous les hommes, et qui peut seule assurer leur liberté. Je ne doute pas que les propriétaires de fiefs, les seigneurs de terres, loin de se refuser à cette vérité, ne soient disposés à faire à la justice le sacrifice de leurs droits. Ils ont déjà renoncé à leurs privilèges, à leurs exemptions pécuniaires ; et dans ce moment, on ne peut pas demander la renonciation pure et simple à leurs droits féodaux. Ces droits sont leur propriété. Ils sont la seule fortune de plusieurs particuliers : et l'équité défend d'exiger l'abandon d'aucune propriété sans accorder une juste indemnité au propriétaire, qui cède l'agrément de sa convenance à l'avantage public.

D'après ces puissantes considérations, Messieurs, et pour faire sentir aux peuples que vous vous occupez efficacement de leurs plus chers intérêts, mon vœu serait que l'Assemblée nationale déclarât que les impôts seront supportés également par tous les citoyens, en proportion de leurs facultés, et que désormais tous les droits féodaux des fiefs et terres seigneuriales seront rachetés par les vassaux de ces mêmes fiefs et terres, s'ils le désirent ; que le remboursement sera porté au denier fixé par l'Assemblée ; et j'estime, dans mon opinion, que ce doit être au denier 30, à cause de l'indemnité à accorder.

C'est d'après ces principes, Messieurs, que j'ai rédigé l'arrêté suivant, que j'ai l'honneur de soumettre à votre sagesse, et que je vous prie de prendre en considération :

« L'Assemblée nationale, considérant que le premier et le plus sacré de ses devoirs est de faire céder les intérêts particuliers et personnels à l'intérêt général ;

Que les impôts seraient beaucoup moins onéreux pour les peuples, s'ils étaient répartis également sur tous les citoyens, en raison de leurs facultés ;

Que la justice exige que cette exacte proportion soit observée ;

Arrête que les corps, villes, communautés et individus qui ont joui jusqu'à présent de privilèges particuliers, d'exemptions personnelles, supporteront à l'avenir tous les subsides, toutes les charges publiques, sans aucune distinction, soit pour la quotité des impositions, soit pour la forme de leurs perceptions ;

L'Assemblée nationale, considérant en outre que les droits féodaux et seigneuriaux sont aussi une espèce de tribut onéreux, qui nuit à l'agriculture, et désole les campagnes ;

Ne pouvant se dissimuler néanmoins que ces droits sont une véritable propriété, et que toute propriété est inviolable ;

Arrête que ces droits seront à l'avenir remboursables à la volonté des redevables, au denier 30, ou à tel autre denier qui, dans chaque province, sera jugé plus équitable par l'Assemblée nationale, d'après les tarifs qui lui seront présentés.

Ordonne enfin, l'Assemblée nationale, que tous ces droits seront exactement perçus et maintenus comme par le passé, jusqu'à leur parfait remboursement ».

    En résumé, le Duc D’Aiguillon décrit avec plus d’emphase et de justesse, l’injustice subite par le peuple français et il appuie bien sûr les propositions de Noailles qui en fait n'a fait que lui brûler la politesse à la tribune de l'Assemblée. 

    Mais comme Noailles, il bute sur le fait que les droits seigneuriaux sont des propriétés, et que, bien qu’ils fussent injustes, la propriété étant sacrée, ils ne peuvent être purement et simplement détruits. Raison pour laquelle il explique avec plus de détail, qu’il faudra les racheter aux nobles

    Le texte de loi sera publié le 15 mars 1790. Il indiquera comment les droits seigneuriaux devront être rachetés.

La loi du 3 Mai 1790 fixera finalement le rachat à 20 annualités pour les droits féodaux en argent et 25 pour ceux en nature !


Réaction de la Cour et du roi.

    En vérité, ce n'est pas au vicomte de Noailles, cadet de famille sans revenus féodaux, mais bien au riche duc d'Aiguillon, que revient l'initiative des décrets du 4 août. Ce faisant d'Aiguillon abandonnait plus de 100.000 Livres de rente. Il possédait de véritables droits régaliens dans l'Agenois et le Condomois (1). Le projet en avait été présenté par lui au Club breton, le 3 août : mais le vicomte de Noailles a pris les devants à l'Assemblée nationale, et le duc s'est vu, comme on dit, brûler la politesse.

    Cependant la haine de la cour ne s'y trompe pas, et les grosses injures sont pour le duc, quoique le vicomte ne recueille pas grands compliments. Quant à la forme juridique donnée aux volontés de l'Assemblée, le principal mérite en revient à M. Duport. Le Roi tardera à promulguer l'abolition du régime féodal. M. De Barnave déclarera le 14 septembre, aux applaudissements de ses collègues, que cette abolition était constitutionnelle, et non législative : que le Roi n'avait donc pas à réserver sa sanction. M. Le Chapelier fera suspendre le 15 septembre toute discussion sur la nature et l'étendue de cette sanction, jusqu'à la promulgation des décrets du 4 au 11 aout.

(1) Alexandre de Lameth, histoire d'Assemblée constituante, tome 1, page 96)

 Quel impact sur les miséreux ?

    Ayons une petite pensée pour la miséreuse paysanne de Champagne, rencontrée par Arthur Young le 12 juillet dernier, alors qu’il était en chemin vers Metz (voir ma publication sur les voyages d'Arthur Young en France). Elle avait 28 ans, mais Arthur Young en donnait 70 à la pauvresse, tant elle était détruite par la misère. 

    Comme serfs, son mari, elle et ses 7 enfants, devaient acquitter à un seigneur local un franchard (42 Livres) de froment et trois poulets et à un autre, quatre franchards d’avoine, un poulet et un sou, ce à quoi s’ajoutaient de lourdes tailles et autres impôts. Dans la région où Arthur Young avait rencontré cette malheureuse, le franchard de Verdun valait 25,56 litres en mesure raclée et 31,95 litres en mesure comble (Lire mon article). 

    Pour information, les nostalgiques de l'ancien régime vous affirmeront que le servage avait disparu avant la fin du 14ème siècle. (Mais bien sûr...)

Vous imaginez ces miséreux mourant peu à peu de misère, payer 25 fois le montant de leur taxe annuelle pour en être dispensés ???

 Autosatisfaction à l'Assemblée national constituante

    Cette nuit "magnifique" se terminera "royalement" en beauté. L’auguste assemblée toujours aussi éprise de son roi déclarera que celui-ci devait être proclamé le "Restaurateur de la liberté française", ce qui figurera à l’article 17 du décret publié ce jour mémorable.

Louis XVI, le restaurateur de la liberté

    Concernant Louis XVI, nous verrons le 21 septembre prochain qu'il se permettra de tendre un petit piège aux députés, concernant la promulgation du décret d'application de ladite abolition. (Lire l'article du 21 septembre).


Un mot sur le droit de chasse !

    Notre ami Adrien Joseph Colson, avocat au parlement de Paris, dans sa lettre du 9 août 1789, apportera la précision suivante :

« L’Assemblée nationale a arrêté que le droit de chasse, de garennes, de capitaineries sera également supprimé, mais à condition que chaque particulier ne pourra chasser que sur ses propriétés. Elle a aboli les cens et les droits seigneuriaux, même les dîmes, à la charge du remboursement. Elle a défendu de laisser sortir les pigeons dans de certaines saisons de l’année, sinon permis à tous les particuliers de les tuer quand ils sont sortis, etc. etc. ».

    Je vous reparle dans l'article en date du 6 août 1789, de cette haine des paysans français pour les pigeons…

    Arthur Young racontera dans son carnet de voyage comment ça tiraillait dans tous les coins de campagnes, quand la nouvelle de l’abolition du droit de chasse réservé à la noblesse fut connue des paysans.

    Ce fut le clergé qui proposa l’abolition du droit de chasse pendant cette fameuse nuit du 4 août, au cours de laquelle il renoncera également à la dîme (impôt du clergé sur ses fidèles).

 Soyons un peu sérieux.

Suppression de la dîme
     L’article était long, j’en suis désolé. Mais un événement devenu si célèbre se devait d’être décrit dans le détail. Raison pour laquelle, je ne dois pas m’arrêter en si bon chemin et vous dire le fin mot de l’affaire.

    C’est en fait la Convention montagnarde, celle de Robespierre, qui abolira vraiment les droits féodaux en 1793.

          Le décret du 10 juin 1793, en même temps qu’il prévoira le partage des biens communaux, mettra tout en œuvre pour favoriser l’action des communes en restitution des biens usurpés par les ci-devant seigneurs. Il offrira de nouvelles possibilités aux municipalités pour qu’elles obtiennent la propriété des terres vaines et vagues (sect. IV, art. 1er) mais surtout le législateur imposera la procédure de l’arbitrage forcé pour résoudre les litiges opposant « les communes et les propriétaires à raison des biens communaux et patrimoniaux, pour droits, usages, prétentions, demandes en rétablissement dans les propriétés dont elles ont été dépouillées par l’effet de la puissance féodale ».

    Le 17 juillet 1793, Charlier, au nom du comité de législation, donnera lecture du projet de décret sur l’abolition totale et sans indemnité des droits féodaux :

« Toutes redevances ci-devant seigneuriales, droits féodaux, censuels, fixes et casuels, même ceux conservés par le décret du 25 août dernier, sont supprimés sans indemnité. Sont exceptés des dispositions de l’article précédent les rentes ou prestations purement foncières et non féodales. »

    Tous les procès civils ou pénaux relatifs aux droits supprimés devaient être éteints immédiatement. Tous les dépositaires des titres constitutifs ou récognitifs de droits supprimés devaient les déposer, dans un délai de trois mois, au greffe des municipalités des lieux et les papiers brûlés solennellement le jour de la fête du Dix Août.

    En 1793, la Révolution avait changé de visage. Le peuple qui en 1789, n’avait été qu’un jouet manipulé tour à tour par des forces opposées, (la noblesse d'ancien régime contre la haute bourgeoisie et la noblesse "éclairée") ; ce peuple avait peu à peu pris conscience de son pouvoir. Que les bonnes âmes se rassurent, ce moment « populaire » de la révolution s’éteindra très vite avec la chute de Robespierre le 28 juillet 1794...

Rendons malgré tout hommage à ces députés du la nuit du 4 août 1789.

    Ne minimisons surtout pas, pour d’éventuelles raisons partisanes, l’événement que fut cette nuit du 4 août 1789. La noblesse aurait pu ne rien céder et choisir d’employer la force armée dont elle disposait réellement, pour éteindre les révoltes paysannes. Une partie ne demandait d’ailleurs que cela. C’eut été le début d’une guerre civile ; guerre civile qui malheureusement viendra d’ailleurs plus tard, mais pour d'autres raisons.

    Ces hommes du 4 août étaient réellement des hommes de progrès et leurs noms méritent de rester dans les mémoires.

    Ne les jugeons pas à partir des idées de notre temps, comme c'est devenu la mode actuellement, mais bien sur celles de leur époque, au sein de laquelle, à leur mesure, ils furent des précurseurs.


Evocation de l'événement dans le journal "Suite des nouvelles de Versailles" en date du 5 août 1789, publié le 6 août :



Les voyages en France d'Arthur Young, 1787, 1788 et 1789, à lire absolument !

 Article mis à jour le 6 août 2023


    Je vous ai déjà parlé plusieurs fois d’Arthur Young, cet agronome anglais, ami du Duc de La Rochefoucauld Liancourt, qui voyagea plusieurs fois en France, avant et pendant la Révolution, puis qui publia le récit de ces pérégrinations à travers notre pays.

    Son livre est agréable à lire et sa lecture est même indispensable à qui veut découvrir la France du XVIIIème siècle.

    Je gage que vous serez parfois surpris, en découvrant cette France dont on ne parle guère souvent dans les livres d'histoire. Vous comprendrez alors à quel point la Révolution était inévitable.

    Pour vous donner un aperçu, je vous invite à lire cet extrait dans lequel il parle de sa rencontre avec une malheureuse paysanne, sur une route de Champagne, le 12 juillet 1789 :

"En montant une côte à pied pour ma jument, je fus rejoint par une pauvre femme, qui se plaignit du pays et du temps ; je lui en demandai les raisons. Elle me dit que son mari n’avait qu’un coin de terre, une vache et un pauvre petit cheval : cependant il devait comme serf à un seigneur un franchard (42 Livres.) * de froment et trois poulets, à un autre quatre franchards d’avoine, un poulet et un sou, puis venaient de lourdes tailles et autres impôts. Elle avait sept enfants, et le lait de la vache était tout employé à la soupe. — Mais pourquoi, au lieu d’un cheval, ne pas nourrir une seconde vache ? — Oh ! Son mari ne pourrait pas rentrer si bien ses récoltes sans un cheval, et les ânes ne sont pas d’un usage commun dans le pays. On disait, à présent, qu’il y avait des riches qui voulaient faire quelque chose pour les malheureux de sa classe ; mais elle ne savait ni qui ni comment. Dieu nous vienne en aide, ajouta-t-elle, car les tailles et les droits nous écrasent… — Même d’assez près on lui eût donné de 60 à 70 ans, tant elle était courbée et tant sa figure était ridée et endurcie par le travail ; elle me dit n’en avoir que 28. Un Anglais qui n’a pas quitté son pays ne peut se figurer l’apparence de la majeure partie des paysannes en France : elle annonce, à première vue, un travail dur et pénible ; je les crois plus laborieuses que les hommes, et la fatigue plus douloureuse encore de donner au monde une nouvelle génération d’esclaves venant s’y joindre, elles perdent, toute régularité de traits et tout caractère féminin. A quoi attribuerons-nous cette différence entre la basse classe des deux royaumes ? Au gouvernement. 

Source : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Young_-_Voyages_en_France_en_1787,_1788_et_1789.djvu/298 

    Comment ne pas penser à cette estampe de l'époque en lisant ce témoignage poignant d'Arthur Young ?


Quelques explications sur le Franchard.

    Le système de poids et de mesures en usage en France à la fin du XVIIIème siècle étaient, selon les propos de Talleyrand, évêque-député d’Autun, "d’une variété dont la seule étude épouvante" ; s’y ajoutait une grande complexité. On comptait alors 800 noms pour désigner les mesures et chaque dénomination se déclinait en un nombre infini de valeurs. Au nom "livre", par exemple, correspondaient 500 valeurs différentes allant de 366 g à 519. Il en était de même pour les mesures linéaires et pour les mesures à grains qui faisaient l’objet de ce propos de Talleyrand.

    Le franchard était une des unités de mesure pour le grain sous l'ancien régime. Les unités en usage étaient le boisseau, le bichet, le minot, le franchard, le quartel ou le résal . De plus, leur valeur changeait selon que la mesure était râclée, roiselée, sciée ou comble. Dans la région où Arthur Young rencontre cette femme, le Franchard de Verdun valait 25,56 litres en mesure raclée et 31,95 litres en mesure comble.

    La mesure raclée était obtenue en passant la racloire sur une mesure, pour faire tomber le grain qui s'élève au-dessus des bords

    La mesure "comble et chauchée" est la plus avantageuse ; dans ce cas la différence entre une « mesure rase » et une « mesure comble et chauchée » est dans le rapport de 1 à 1,4.

    L’importance du comble variait selon le diamètre de la mesure : le comble était plus important sur une mesure large et basse que sur une mesure équivalente étroite et haute.

Mesure à grain

Source info sur les mesures : Les mesures à grain du XVIIIe siècle.

Cartes de France

    L'édition en 3 volumes in-8, publiée à Paris par Buisson en 1794 (accessible à la fin de l'article), comprenait les deux belles cartes ci-dessous :

Carte du sol de France

Carte de Navigation et Climat de France

Comment lire Arthur Young ?

    On le trouve facilement en version papier (pas en librairie vous vous en doutez). Mais vous pouvez également le lire dans son intégralité sur le lien suivant :

https://fr.wikisource.org/wiki/Voyages_en_France_en_1787,_1788_et_1789

    Ou tout simplement via ma modeste page qui vous ouvre la fenêtre ci-dessous sur deux exemplaires scannés par la BNF !

L'édition de 1931 préfacée par l'historien Albert Mathiez :

L'édition de 1794 !