Affichage des articles triés par date pour la requête historienne. Trier par pertinence Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par date pour la requête historienne. Trier par pertinence Afficher tous les articles

dimanche 24 août 2025

A propos de la violence de la tempête révolutionnaire (et de la Terreur)

Article mis à jour le 17 septembre 2025
 

L'allégorie de la tempête... 

    La Révolution française ressemble par bien des côtés à une terrible tempête en mer. Difficile d’y voir clair au milieu de toutes ces évènements déferlant de tous côtés comme autant de bourrasques déchaînant les flots.

    Chose étonnante, de nos jours tout le monde ne semble retenir de la Révolution que sa violence, qui selon certains serait hors normes, extraordinaire, voire la mère de toutes les violences totalitaires ! (on va reparler de cela plus lois) Se focaliser sur la violence est un biais bien commode permettant d'oublier tout le bien que la Révolution nous a apporté. L'objet de cet article est donc d'étudier de plus près cette violence. Je vais même probablement vous étonner un peu en vous expliquant, entre autres, que cette violence de la Révolution n'était autre que celle de l'ancien régime...

Représentation de la pire tempête ayant jamais frappé l'Angleterre, celle de 1703.

La difficulté de comprendre les événements.

    Il peut être tentant de se laisser entraîner par un seul courant et de tout juger du même point de vue, mais ça serait trop simple et un peu malhonnête. Plus on s’intéresse à la Révolution, plus on lit de documents, de mémoires, de comptes-rendus, et plus on se rend compte que la plupart des acteurs étaient entraînés dans une suite d’actions et de décisions qu’ils étaient bien loin de maîtriser.

    Louis XVI et son entourage n’ont pas su voir, ce en quoi cette énième révolte qui secouait le royaume différait des précédentes. Celle-ci ne résultait pas simplement d’un ras-le-bol des impôts pour les uns, ni d’une nouvelle famine pour les autres.

    La tournure inattendue qu’avaient pris les États Généraux se proclamant Assemblée Nationale, n’avait rien à voir avec les précédentes révoltes des parlements refusant les lois et tentatives de réformes du roi. C'était une révolte de la bourgeoisie et non une réaction des privilégiés de la noblesse et du haut clergé défendant leurs acquis.

    Les révoltes frumentaires qui éclataient un peu partout dans le pays à cause du manque de pain n’allaient pas se régler aussi facilement qu’en 1775 et 1776 en faisant intervenir la troupe qui tirerait dans la foule et pendrait quelques émeutiers.

Émeutes des subsistances de 1761 à 1789

    Le malaise était plus profond. Mais le roi et les siens, incapables d’en prendre la mesure, ne savaient qu’appliquer les vieilles méthodes qui avaient toujours réussi jusqu’alors. Ce "malaise", appelons-le ainsi, était d’autant plus difficile à circonscrire qu’il avait également gagné la noblesse. Une partie de celle-ci, acquise aux idées du siècle, c’est-à-dire celles des philosophes des lumières, se rendait bien compte que la société devait évoluer et de nombreux nobles devinrent des acteurs de cette révolution qui allait changer l’ordre du monde.

    Du côté du Tiers État, il en était de même. La grande majorité de ses représentants élus, ne s’imaginaient pas, lorsqu’ils se présentèrent à Versailles le 4 mai 1789 à l'ouverture des États Généraux, qu’ils allaient provoquer un tel bouleversement. (Même si l'on ne peut s'empêcher de penser que quelques-uns faisaient plus qu'y penser...)

    La plupart ne souhaitait dans le meilleur des cas qu’une évolution de la monarchie absolue vers une monarchie constitutionnelle, avec un parlement à l’anglaise et une constitution à l’américaine.

Quel Tiers-État ?

    Ne nous méprenons pas sur la nature de ce Tiers État présent aux États Généraux. Si le Tiers État représentait environ 95 ou 98% de la population française. Ses représentants élus étaient issus d’une nouvelle classe sociale, celle des grands commerçants, des industriels et des banquiers, c’est-à-dire la bourgeoisie, qui elle, représentait environ 5% des français. Notons également que nombre de ces grands bourgeois étaient des banquiers qui avaient prêté beaucoup d'argent à l'État...

Lire cet article sur le Tiers-Etat.

    Cette nouvelle élite, que certains ont appelé le "4ème ordre", était constituée de personnages, instruits, industrieux et riches, qui dans la société de l’ancien régime, payaient de lourds impôts mais n’avaient aucun pouvoir politique. L’un de ses représentants, Barnave, un avocat originaire du Dauphiné, résumera parfaitement la situation dans cette formule : "Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des pouvoirs."

Quel Peuple ?

    Quant au peuple, il est bien évident qu’il ne comprenait pas grand-chose à la situation. Même plongé dans la plus indicible misère, il n’avait jamais cessé d’aimer son "bon roi Louis", et il rendait responsables de son malheur les mauvais intendants et fermiers généraux du roi, ses ministres mauvais conseillers et plus tard la Reine Marie Antoinette, dont les excès étaient parvenus à ses oreilles.

    La grande majorité du peuple ne savait pas lire et je pense que je vais vous étonner en vous disant qu’une grande majorité dudit peuple ne parlait pas le français, du moins celui parlé en Île de France, comme s’en rendra compte l’abbé Grégoire lorsqu’on lui remettra en 1790 le rapport qu’il avait demandé sur l’état du pays et des langues et patois parlés. Des centaines de parlers différents existaient en France, voire des milliers si l’on tenait compte des patois qui pouvaient changer d’un village à l’autre.

    Beaucoup de ces braves gens ignoraient même qu’ils étaient français ! 

Diffusion des idées 

    Malgré la complexité de cette France mosaïque, les idées nouvelles s’étaient peu à peu diffusées au sein de ce peuple bigarré. Les colporteurs vendaient des petits livrets ou libelles que ceux qui savaient lire achetaient et lisaient aux autres en public. Beaucoup connaissaient Voltaire et Rousseau sans les avoir jamais lus. Les estampes se vendaient bien aussi, elles qui disaient tout ou presque en un dessin. Le peuple, lui aussi, changeait peu à peu.

   Colporteurs
                  
Libraire ambulant et liseurs de journaux

Instrumentalisation de la violence

    Au début des événements révolutionnaires, ce peuple sera d’abord manipulé. On le voit bien, quand les élus du Tiers État se rendent compte que le versatile Louis XVI revient à une politique, disons réactionnaire, voire brutale. Certains ont l’idée (dangereuse) d’instrumentaliser le peuple, pas seulement en diffusant des rumeurs qui occasionnent des émeutes, mais aussi, ce qui est plus grave, en l’armant. Une émeute coûte 25 Louis dira le ministre Saint-Priest.

    Selon l'usage que l'on fait alors du peuple, il est parfois appelé "populace" plutôt que "peuple". Lisez cet article "Peuple ou populace ?"

    Cette vague de violence a d'ailleurs déconcerté les révolutionnaires bien policés de l’Assemblée nationale. Ils avaient sous-estimé la colère et le désespoir du peuple, accumulés depuis des siècles. On les verra plusieurs fois tenter de canaliser ce torrent destructeur. Danton inventera la politique, dite de la Terreur, après avoir proclamé : "Soyons terrible avant que le peuple ne le devienne".

« Peut-on faire une révolution sans révolution ? », demandera plus tard Robespierre...

Violence "révolutionnaire" ? Vraiment ?

    On doit à Gracchus Babeuf l'explication la plus intelligente de cette violence révolutionnaire. Il écrira dans un courrier adressé à son épouse le 22 juillet 1789, après avoir assisté, horrifié, à la pendaison aux lanternes de l’Hôtel de Ville du conseiller d’état Foulon chargé du ravitaillement de l’armée et de son gendre l’intendant Berthier :

« Les supplices de tout genre, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. »

Cette violence, c’était tout simplement celle de l’ancien régime...

Qui sème le vent, récolte la tempête.

Quelques exemples ?

    Le général commandant les colonnes infernales en Vendée, Louis-MarieTurreau de Lignières, était un enfant de l’ancien régime, éduqué et formé par les institutions de celui-ci. Il s’est comporté en Vendée comme Turenne et Louvois lors du ravage du Palatinat ordonné par Louis XIV !  

La guerre totale n'est pas une invention de la Révolution !

    Le tristement célèbre accusateur public du tribunal révolutionnaire, Antoine de Fouquier de Tinville, avait été formé à son métier sous l’ancien régime, au collège de Noyon. Devenu clerc, c’est grâce à l’aide de sa famille et d’un emprunt, qu’il put racheter sa charge à son employeur en 1774. Et c’est bien sous l’ancien régime qu’il débuta sa carrière de procureur au Châtelet le 21 janvier 1774 !

Une vidéo vaut souvent mieux qu'un (trop) long texte...

    En cliquant sur l'image ci-dessous, vous accéderez à une vidéo publiée sur Facebook, extraite d'une émission de 2016 d'Arrêt sur image, qui démonte brillamment toute l’intox que nous subissons ede nos jours à propos de la violence révolutionnaire :


La violence, et surtout la Terreur !

    Je me suis toujours demandé, compte tenu de la violence continue que l'on observe au fil des siècles en histoire, pourquoi la violence révolutionnaire était-elle traitée différemment ? Pourquoi les bonnes âmes qui ferment les yeux sur les fleuves de sang versés avant et après les 17 mois de la Terreur, n'ont-ils pas de mots assez durs pour condamner la Révolution ?

    J’ai trouvé les chiffres que vous allez découvrir ci-dessous dans l’Almanach révolutionnaire publié par l’historien Jean Massin en 1963.

    A noter que l'on peut toujours acheter l'excellent ouvrage de Jean Massin sur le web, en occasion mais aussi en ebook ou même au format Kindle, ce qui, ce me semble, est un gage de sa qualité.

    Attention ! Loin de moi l'idée de justifier ou excuser la violence ! J'espère seulement que les chiffres ci-dessous pourront vous faire réfléchir, ou même vous servir la prochaine fois que l’on vous parlera de la terreur révolutionnaire !

Les chiffres...

Pour Paris : Sentences capitales prononcées par le Tribunal Révolutionnaire en 17 mois :

  • 1.251 du 6 avril 1793 au 22 Prairial An 2
  • 1.376 du 23 Prairial au 9 Thermidor

Soit en tout 2.627.

Pour toute la France : Sentences capitales prononcées par le Tribunal Révolutionnaire et les diverses juridictions exceptionnelles dans le même laps de temps : 16.594 morts,

Dont :

  • 71 % pour les principales régions où la guerre civile fait rage (52 % dans l’Ouest « vendéen » + 19 % dans le Sud-Est).
  • 16 % pour Paris (cf supra)
  • 13 % pour tout le reste de la France.

Pour toute la France et toujours dans le même laps de temps :

Approximation du nombre total de morts, enjoignant aux sentences capitale mentionnées ci-dessus les exécutions sommaires auxquelles il a été procédé en répression des rébellions (Nantes, Toulon, etc.) : entre 35 et 40.000.

"Les fusillades de Nantes"

A noter que Carrier, l'ordonnateur de ces massacres à Nantes, fut rappelé à Paris par Robespierre dont il était l'ennemi et qui le fit enfermer. Carrier sera jugé pour ses crimes, condamné à mort et exécuté le 16 décembre 1794.

 

Comparaison avec d'autres terreurs...

    Pour apprécier à leur juste portée les chiffres ci-dessus, on peut les comparer avec ceux d’autres répressions à travers l’histoire de France. Ainsi, entre autres :

Pour l’Alsace seule :

Répression des « rustauds » par le duc Antoine de Lorraine en mai 1525 (Cf. Pianzola, « Thomas Münzer », pp.177-194)

  • 40.000 paysans égorgés.

Pour Paris seul : 

Répression des Huguenots à la Saint-Bathélémy en une seule nuit (Cf. « Clio – XVIe siècle ». p.377) :

  • 3.000 protestants égorgés.

(A noter que certaines villes, comme la Charité sur Loire par exemple, ont perdu jusqu’au souvenir des massacres de la Saint-Barthélémy dans leurs murs.)

Pour Paris seul : 

Répression de la Commune durant la « semaine sanglante » de mai 1871 : le rapport du général Appert, chef de la justice militaire admet :

  • 17.000 prolétaires parisiens passés par les armes. 
  • Tous les historiens s’accordent cependant à estimer que le nombre réel des victimes se situe bien au-delà ; ils avancent des chiffres variant entre 20.000 et 35.000.

Nota : Dans un autre ordre, qui a aussi son éloquence comparative, on pourra se souvenir que, de l’accord de tous les historiens actuels sur les recherches de Meynier et G. Lefèvre, les Guerres napoléoniennes de 1804 à 1815 ont fait pour la France seule un total approximatif de 500.000 morts.

 

Un mot sur la terreur sous l'ancien régime.

    Certains évoquent à loisir les massacres de la guerre civile en Vendée (Massacres qui furent condamnés par le Comite de Salut Public révolutionnaire). Un politicien vendéen en a même fait le cœur de son parc à thème d’histoire révisionniste. Mais qui vous parlera des massacres perpétrés sous Louis XIV ? Je ne parle même pas des « dragonnades » contre les protestants, ni même des persécutions contre les Jansénistes ! Je pense au terrible ravage du Palatinat qui nous fit haïr de toute l'Europe et plus particulièrement des Allemands...

    Mais il est difficile d’évoquer les tueries de l’Ancien régime. En effet, celles-ci n’ont pas fait l’objet d’un décompte des victimes. Comme l’a écrit l’historien Jules Michelet : 

« Je sais bien que la meilleure partie de ces grandes destructions ne peut plus être racontée. Ils ont brûlé les livres, brûlé les hommes, rebrûlé les os calcinés, jeté la cendre... Quand retrouverai-je l'histoire des Vaudois, des Albigeois, par exemple ? »

Et plus loin il poursuit « Tout au moins le désert raconte, et le désert du Languedoc, et les solitudes des Alpes, et les montagnes dépeuplées la Bohême, tant d'autres lieux, où l'homme a disparu, où la terre est devenue à jamais stérile, où la Nature, après l'homme, semble exterminée elle-même. »

     J'ai écrit un article sur ce sujet en reprenant la formule de l'historien Jules Michelet : "Les six siècles de terreur de l'ancien régime."

 

 
Mieux comprendre ce qui se cache derrière le concept de Terreur

    Je reparlerai de ladite terreur ultérieurement lorsque la chronologie de ce site nous y mènera. Mais je ne veux pas vous donner l'impression de fuir le sujet, aussi je vous conseille de mettre à jour vos connaissance, comme je l'ai fait moi-même en lisant les ouvrages d'historiens contemporains, tels que par exemple Jean-Clément Martin (professeur émérite de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien directeur de l'institut d'Histoire de la Révolution française).

    Tous les livres de Jean-Clément Martin sont excellents, ainsi que toutes ses interventions, comme vous pourrez le constater en cliquant sur ce lien vers une page de France Culture : https://www.franceculture.fr/personne/jean-clement-martin
 

    Je vous propose de lire cet extrait de l'ouvrage de Jean-Clément Martin :"Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national" Paru au Seuil en 2006. Cliquez sur l'image ci-dessous.


    Cet autre ouvrage traite intelligemment de la terreur : « Les échos de la Terreur - Vérités d’un mensonge d’État 1794-2001 ». Jean-Clément Martin y démontre comment ladite terreur a été fabriquée a posteriori. Cette idée vous choque ? Alors regardez et écoutez attentivement la vidéo ci-dessous qui présente cet ouvrage :



La Terreur, mère de tous les totalitarismes, vraiment ?

    Cette affirmation a eu un grand succès politique et a aussitôt rempli les rayons du prêt-à-penser. Elle a pour origine le livre de la célèbre philosophe Hannah Arendt intitulé "Essai sur la Révolution". Je vous propose d'en lire une analyse intéressante dans cet article de Stéphanie Rossa que l'on trouve sur l'indispensable site Cairn.info :"Le social et le politique : un bilan de l'Essai sur la Révolution d'Hannah Arendt". Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :

Quid de la terreur américaine ?

    J'ai beaucoup d'admiration pour Hannah Arendt et je comprends son américanisme qui s'explique par son vécu. Il me semble malgré tout que dans sa comparaison entre la révolution américaine et la Révolution française, elle a étayé tout son raisonnement sur une vision partisane de la terreur "française", tout en faisant l'impasse sur la terreur de la révolution américaine ! 
    La terreur de la révolution américaine n'a pas de nom mais elle a bien existé. Comment appeler les combats sanglants qui eurent lieu pendant la guerre d'indépendance ? Comment appeler le génocide des amérindiens, l'esclavage, les guerres d'annexions contre la Canada et le Mexique et toutes celles qui suivirent ? Comment appeler la politique ségrégationniste qui dura jusqu'en 1964

Pendaison de 38 indiens Sioux le 26 décembre 1862

    La différence entre leur terreur et la nôtre, c'est qu'elle n'a pas été nommée et surtout que ses auteurs ont été les vainqueurs au contraire des nôtres qui ont perdu et dont les vainqueurs ont très rapidement écrit une histoire à leur convenance.
 
    Vous trouvez que j'exagère ? Étudiez l'histoire de nos amis américains ! Vous apprendrez par exemple qu'en remerciement de notre aide durant leur guerre d'indépendance, ils préférèrent nous faire la guerre en 1798 plutôt que de rembourser leur dette. Lisez mon article de la journée du 27 octobre 1789. Peut-être découvrirez-vous également les vraies raisons de la guerre d'indépendance contre l'Angleterre ? J'en parle dans cet autre article :"4 juillet 1776, les 13 colonies font sécession".


Conclusion 

Des poternes aux pneus...

    Il faudra encore beaucoup de pain dans les ventres, beaucoup d’éducation et de justice sociale, c’est-à-dire beaucoup de république et de démocratie, pour que le torrent de violence se retire dans le gouffre des siècles d’où il avait jailli et que les citoyens en colère se contentent de brûler des pneus sur les ronds-points au lieu de pendre les banquiers à des réverbères.

    Pour terminer ce long article sur la violence révolutionnaire, je vous propose cette belle citation d'un curé brésilien, Dom Hélder Câmara, qui a combattu toute sa vie la pauvreté : 

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

 

Post Scriptum :

La violence populaire n'est pas spécifique à la Révolution.

Les émeutes populaires du passé.

    On veut nous faire croire de nos jours que la violence populaire est un phénomène exceptionnel. Affirmer cela, sous-entend avoir la mémoire courte, ou alors effacée. La violence populaire est omniprésente en histoire, même si celle-ci tant à diminuer progressivement au fil du temps comme le démontre l’historien Robert Muchembled dans son ouvrage publié en 2015 « Une histoire de la violence, de la fin du Moyen Âge à nos jours ».

Jeunesse masculine turbulente.

    L'historien explique comment à la fin du Moyen Age, à la campagne, les “abbayes de jeunesse” ou "bachelleries", étaient à l’origine des batailles entre villages voisins, des rixes viriles entre leurs membres à l’occasion des fêtes ou des jours chômés. Ces violences avaient lieu surtout à la taverne, par l’emploi d'armes blanches, de bâtons ou des poings. Les coups et blessures n’entraînant qu’accidentellement la mort, la justice ne punissait que par des amendes ou des bannissements. Cet esprit de courage et d’agressivité était même entretenu dans l’éventualité d’une guerre. Des compagnies d’archers étaient même créées à cette fin, compagnies que l’on retrouve à la Révolution dans diverses villes et villages et qui pour certaines, constitueront les noyaux des premières gardes nationales.

Grandes jacqueries

N’oublions surtout pas les "jacqueries", ces révoltes paysanne ou urbaines qui parsemèrent également la fin du Moyen-âge ! C’est ainsi que Paris fut secoué par l'insurrection parisienne menée par Étienne Marcel en 1358 tandis que la grande Jacquerie se répandait depuis le Bassin parisien jusqu'à la Normandie à l'ouest et l'Auxerrois à l'est. La grande jacquerie de 1356-1358 ressembla très fortement à une révolution affirme l’historienne Claude Gauvard (professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste d'histoire politique, sociale et judiciaire du Moyen Âge).

Ecoutez ce podcast sur France Culture :


Des émeutes populaires ultra-violentes, du temps de nos grands parents !

    Tout cela est bien loin, me direz-vous ! Si bien sûr, vous faites abstraction des révoltes des Gilets jaunes et des émeutes de banlieues...

    Dans son livre "Bourlinguer", publié en 1948, l'écrivain Blaise Cendrars décrit une émeute incroyable à laquelle il assista (et participa), à Rotterdam. Les faits rapportés sont d’une violence inouïe et parait-il "coutumière à l’époque", comme il l’explique au début du récit. L’écrivain en donne l’explication suivante : 

"On n’y peut rien. C’est la misère des hommes qui veut ça et qui les pousse avec mégalomanie. C’est irrésistible et irréfrénable. Les individus n’y sont pour rien. C’est tout ce que l’on peut en dire."

 Quelques explications ?

    Cendrars nous dit que la cause de la violence populaire est la violence ; la misère étant elle-même une forme de violence contre le peuple (Pensez à la citation de Dom Hélder Câmara)

    On pourra également évoquer la pression démographique et le manque de femmes. Ne vous étonnez pas de cette remarque à propos des femmes. Elle est mentionnée dans certains ouvrages. La frustration masculine due à la pression du patriarcat sur les jeunes hommes, est une explication raisonnable à la violence. La célèbre écrivaine américaine Ursula K. Le Guin traite de ce sujet dans l’un de ces livres de Science-Fiction « La main gauche de la nuit », arguant du fait que la masculinité exacerbée est la cause principale de toutes les guerres...


Je vous laisse réfléchir à tout cela...


Bertrand Tièche


Gravure d'une violente tempête, datée de 1750



mardi 4 février 2025

4 Février 1794 : La Convention nationale décide d'abolir l'esclavage.

 

Nota : Certains articles, comme celui-ci, bouleversent un peu la chronologie que je me suis fixée dans la réalisation de ce site. Mais je n'allais pas attendre 5 ans pour évoquer cette date mémorable !

L'aboutissement d'une longue lutte.

    L'esclavage était un système odieux d'oppression et d'exploitation des hommes qui, déjà à l'époque, blessait la sensibilité de nombre de gens. Son abolition faisait même partie de certaines demandes faites au roi dans les cahiers de doléances rédigés pour les Etats GénérauxSon abolition faisant donc débat, aussi bien au travers de la publications de livres que d'articles dans les journaux. 

Article 29 du cahier de doléances du village de Champagney

    En octobre 1789, l’abbé Grégoire, curé d’Embermesnil, député aux Etats-Généraux, puis à l’Assemblée Nationale Constituante, avait publié le Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de Saint-Domingue, et des autres iles françaises de l’Amérique, adressé à l’Assemblée nationale. C’était la première grande attaque de ce grand homme contre le préjugé de couleur et contre toute l’idéologie raciste développée par les Colons des Antilles.

    Ce courant abolitionniste sein de l'Assemblée nationale constituante de 1789 était mené par l'Abbé Grégoire et soutenu par quelques personnalités, dont Robespierre. "Périssent les colonies plutôt qu’un principe !" avait proclamé celui-ci le 13 mai 1791, dans un discours défendant la citoyenneté des gens de couleur et luttant contre la constitutionnalisation de l’esclavage.

    Hélas, ces quelques abolitionnistes se heurtaient au lobby des colons. (15 % des députés de l’Assemblée nationale avaient des propriétés dans les colonies et un nombre encore plus grand avait des intérêts dans le commerce colonial).

Une véritable idéologie.

    L'esclavage était bien en effet une idéologie, car il constituait toute l'architecture de la société coloniale et cette société coloniale pesait très lourd dans l'économie du royaume de France ! La grande majorité des Colons ne pouvait concevoir la possibilité de son abolition. Faute de travailler leurs terres, les Colons travaillaient à justifier l'usage et la perpétuation de ce fléau aussi vieux que l'humanité.

    Comme il était d'usage à l'époque, de nombreux ouvrages alimentaient le débat. Certaines publications faisaient même montre d'une apparence de "compréhension", simulant même un semblant de pitié à l'égard du sort des esclaves et c'était presqu'à regret qu'ils défendaient malgré tout cette abomination. Comme il est difficile de remettre en question un système établi et encore plus difficile de penser contre ses propres préjugés ! Peu de gens en sont capables ! Les Révolutions sont propices à cela...

"Littérature" esclavagiste.

    J'ai trouvé un bon exemple de ce style de "littérature" esclavagiste avec le texte ci-dessous, extrait des pages 12 à 14 du Recueils de pièces imprimées concernant l'esclavage et la Traite des Noirs, l'île de Tobago, Saint Domingue, 1777-1789. Vous allez mieux comprendre la nature du problème.

    Il s'intitule : "Discours sur l’esclavage des Nègres, et sur l’Idée de leur Affranchissement dans les Colonies. Par un Colon de Saint Domingues."

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97892251

"Les Nègres sont esclaves, et vous demandez qu’on les affranchisse. Mais on ne peut le faire qu’en dépouillant les Colons de leurs propriétés. Je n’ai pas besoin de vous prouver, et vous savez déjà qu’elles doivent être sacrées comme toutes les autres (1). Vous croiriez-vous le droit d’enlever ses charrues à un fermier ? Eh bien, ce sont nos instruments de labourage. – Oh ! Des hommes ! Cela fait frémir ; c’est un abus révoltant qu’il faut extirper. – Citoyen indiscret ! Eh bien ! Je vous dis que la Nation assemblée pourrait seule les anéantir ces propriétés, dans le cas où il serait évident que le maintien de l’esclavage fût contraire à l’équité naturelle et aux intérêts de l’État, et que son extinction pût s’opérer sans une lésion manifeste, et sans danger pour les colons, ainsi que pour l’État lui-même.

(1) Le Dr Schwartz, dans son zèle évangélique, non seulement méconnait cette vérité, mais il prétend que l’on doit envisager les colons comme coupables d’un vrai vol, et à ce moyen étant déchus du droit de réclamer aucune indemnité. Pour être conséquent, il ne manquait plus que de demander qu’ils fussent punis comme voleurs.

Nota : Le Docteur Schwartz évoqué ici était le pseudonyme utilisé par Nicolas de Condorcet pour publier son ouvrage : « Réflexions sur l'Esclavage des Nègres » paru en 1781 (accessible en bas de page).

Quant au premier point, qui serait de satisfaire au vœu de l’humanité blessée par l’esclavage des Nègres, chacun sait, et M. l’abbé Raynal lui-même vous a appris que c’était leur état naturel en Afrique. Or maintenant, si mes lecteurs m’ont bien entendu, et s’ils veulent être conséquents, ils conviendront que les Colons ne sont ni causes, ni responsables de cette servitude qu’ils ont trouvée établie, et qui ne fait que se perpétuer dans leurs mains ; pas plus responsables, pas plus criminels qu’un Citoyen possesseur par héritage ou par acquisition d’une terre qui lui produit 40.000 livres de rente, tandis que le plus grand nombre des habitants de son village peut à peine subsister. A qui faut-il s’en prendre ? Ce serait tout au plus à l’Etat qui a permis, favorisé ou toléré ce commerce, et d’abord, dans cette supposition, à moins de renverser toute l’idée d’ordre et de justice, il faudrait qu’il commençât par rembourser la valeur des Nègres, ce qui ne serait qu’une partie du dédommagement exigible, puisque leurs bras seuls peuvent féconder nos terres. Il faudrait donc essuyer le double inconvénient de payer environ un milliard dont les intérêts seraient un accroissement énorme d’impôts pour la Nation, et d’être privé de tous les avantages que donnent les colonies."

La propriété est sacrée ! 

    Le côté sacré de la propriété, évoqué au premier paragraphe était un argument récurrent dans ce débat relatifs à l'esclavage. J’ai déjà évoqué dans un autre article comment le caractère sacré de la propriété avait empêché nombre de réformes envisagées par Louis XVI.     Selon l’abbé Véri, Louis XVI aurait un jour posé cette question à son ministre Turgot après que celui-ci lui ai fait part de la difficulté de réaliser les réformes indispensable au royaume, tout en restant dans le cadre stricte de la loi et du respect des contrats. (page 379 du journal de l'abbé Véri) :

« Parmi les différents qui arrêtent toute mutation, il y a celui de la probité qui doit respecter la foi publique des contrats. On ne peut pas nier que la résiliation d'un bail attaque cette fidélité des contrats. M. Turgot ne méconnaît pas ce cri de l'équité naturelle. Il ne désavoue pas non plus que résilier un bail sans rendre en écus sonnants les fonds que les fermiers généraux ont donnés en avance au Roi ne soit contraire au premier appel de l'équité. Il convient que remettre le remboursement de ces fonds à des termes éloignés en faisant cesser aujourd'hui leur bail, c'est une injustice très apparente. Mais, en faisant ces aveux, voici ses autres observations, que je ne crois pas inutile de mettre dans toute leur étendue.

« Faisons une supposition, m'a-t-il dit, sur un objet absolument étranger. Le Roi juge utile et juste de supprimer l'esclavage des nègres dans les colonies en remboursant leur valeur aux propriétaires. Il ne peut faire ce remboursement que dans dix ans. Faut-il attendre ces dix ans pour produire un bien si considérable que la justice réclame dès aujourd'hui et qui n'aura peut-être jamais lieu si on le laisse à l'incertitude des événements ?

Du risque à reconnaître une injustice dans une société injuste...

    Reconnaître l'injustice de l'esclavage, c'était aussi le risque de devoir reconnaître l'injustice d'autres modes d'exploitation des êtres humains, eux aussi traditionnels et anciens, découlant des injustices sociales. Quid des riches propriétaires bâtissant leurs fortunes sur la peine des pauvres gens ? Vous rendez-vous compte de l'enjeu ? 

    La propriété était si sacrée, qu'à l'instar de la soi-disant abolition des privilèges, accordée lors de la nuit du 4 août 1789 (sous l'effet de la Grande Peur) qui finalement obligeait les opprimés à racheter leur liberté afin de dédommager les privilégiés ; l'abolition de l'esclavage aurait demandé que les Colons propriétaires d'esclaves fussent eux aussi dédommagés !

"Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance,
c'est la vertu qui fait la différence"

 Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance, c'est la vertu qui fait la différence

L'abolition devient "stratégique" en 1794.

    En 1794, la situation n'était plus celle de 1789 ! La France était en guerre. Les colonies échappaient au contrôle de l'Assemblée du fait du péril que représentait la marine de guerre anglaise sur l'océan. Saint-Domingue avait déjà aboli l'esclavage le 29 août 1793, mais la nouvelle n'était parvenue à Paris qu'en octobre. Ceux qui jusque-là s'étaient opposés à l'abolition de l’esclavage, virent là un moyen de mobiliser les populations des îles contre les Anglais qui envahissaient les colonies. Danton (aussi cynique qu'optimiste) déclara même à cette occasion "Maintenant l’Angleterre est perdue".

    Quoi qu'il en soit, la convention nationale (Montagnarde) s'est honorée en abolissant cet attentat à la dignité humaine.


Post Scriptum

    Malheureusement, un certain Napoléon 1er rétablira l'esclavage en 1802 !

Source : https://www2.assemblee-nationale.fr/14/evenements/2016/abolition-de-l-esclavage-1794-et-1848/1794-la-premiere-abolition

    Cet article sera repris, complété et développé lorsque la chronologie du site arrivera à cette date.
    En attendant je vous conseille de lire cette excellente analyse de l'historienne Florence Gauthier : "La Révolution abolit l'esclavage".









dimanche 6 novembre 2022

Marie-Antoinette, reine de la mode, plus que reine des Français ?

Si Marie-Antoinette existait de nos jours...

    Bon ! Je me lance ! Voici un article sur Marie-Antoinette. Exercice périlleux s'il en est, car Marie-Antoinette est devenue un monument historique. Elle est même pour certains l'objet d'un culte. Mais je gage que vous apprendrez tout de même deux ou trois choses étonnantes dans cet article un peu spécial.

Premier avertissement :

    Bien sûr, mon article est quelque peu orienté, et j’en suis sincèrement désolé. Mais au moins, à la différence de la plupart des historiens, j’en suis conscient. Comme disait Spinoza :

"Nous nous croyons libres parce que nous ignorons ce qui nous détermine. Je sais ce qui me détermine".

C'est pour cela que je relativise ce que je comprends du monde et des gens.

    Si l’on veut bien connaître un personnage du passé, il faut non seulement lire des milliers de pages (si c’est possible). Mais il faut aussi s’imprégner de l’esprit de l’époque (Codes visuels et langagiers, allusions, intonation, etc.), ce qui bien évidemment, nous est absolument impossible. Voilà pourquoi nous ne reconnaissons dans ces étrangers du passé que ce que nous reconnaissons de nos propres vies.

Deuxième avertissement :

    Vous allez voir passer de très gros chiffres. Sachez qu'en 1789, une livre (soit 20 sous) correspondait au salaire d'une journée de travail d'un ouvrier agricole bien payé (En Bretagne ce n'était que 12 sous), et que le 14 juillet 1789, un pain pour nourrir une famille de 4 personnes coûtait 14 sous, soit 70% du salaire de la journée.

Résumé, en 1789 : 1 livre = 1 journée de travail d'un ouvrier.

(De nos jour le smic horaire net est de 8.76 €, soit 70.08€ pour une journée de 8h00, et une baguette de pain coûte 1.20 €, soit 1.7% du salaire de la journée)

Troisième et dernier avertissement (Il en fallait bien 3 !)

    Marie-Antoinette, quoi qu'elle ait dit ou fait, ne méritait pas la mort ignominieuse qui lui fût infligée.
    Mais rappelez-vous que la violence de la Révolution, c'est la violence de l'ancien régime. Il faudra encore beaucoup de révolutions, de républiques, de justice, d'écoles et de pain pour que la peine de mort soit enfin abolie. Même si déjà, le 30 mai 1791 Robespierre demandait son abolition...


Maintenant, allons-y !


Par quel côté attraper Marie-Antoinette ?

    Je ne savais pas vraiment par quel côté aborder le sujet et je vous avoue que j'ai longuement tourné autour. En effet, lorsque je suis devant quelqu'un de qui me pose un problème, je pense toujours à cette formule du philosophe Epictète, extraite de son fameux manuel (Dont je recommande la lecture à tout bon humaniste) :

"Toute chose a deux poignées : l'une permet de la porter, l'autre non. Si ton frère te fait du tort, ne prends pas cela en te disant qu'il te fait du tort (c'est le côté impossible à porter), dis-toi plutôt que c'est ton frère, ton compagnon, tu prendras ainsi la chose du côté où l'on peut la porter."

    Voilà pourquoi, confronté au personnage de Marie-Antoinette, j'ai essayé de trouver la bonne "poignée". Je pensais y être arrivé pour le mystérieux Louis XVI, pourquoi n'y serais-je pas parvenu avec Marie-Antoinette ?

    Il me fallait faire un choix dans mes relectures et dans mes recherches. Je ne suis pas revenu sur la biographie rédigée par le talentueux écrivain autrichien Stefan Sweig, car je sais que celui-ci y a mis toute sa sensibilité et le meilleur de lui-même ; magnifiant ainsi le personnage. On pourrait dire de lui, comme pour Flaubert avec Madame Bovary, que Marie-Antoinette, c'est lui ! (Certains pourraient d'ailleurs me rétorque que lorsque l'on parle des autres, on parle encore de soi-même).

   Il faut également prendre en considération que tout comme d'autres personnages historiques célèbres, Marie-Antoinette est devenue un personnage conceptuel utilisé pour véhiculer certaines "valeurs" ; personnage qui a complètement échappé à la personne d'origine (Savez-vous que le mot persona en Latin désignait le masque porté par les acteurs ?).

    Dans le cas d'Olympe de Gouge, que j'évoque dans un autre article, c'est pour une bonne cause, celle de la libération des femmes. Mais dans le cas de Marie-Antoinette, quelles sont les valeurs défendues ?

    Voilà pourquoi, je trouve très difficile de se faire une idée à peu près juste de la personne que fut réellement Marie-Antoinette (Si tant est que ce genre d'approche soit possible). Mais essayons tout de même ensemble.


Idées reçus sur Marie-Antoinette, vraiment ?


   Attiré par son titre, j'ai porté mon choix sur le livre d'une historienne contemporaine, Cécile Berly. Son ouvrage s'intitule "Idées reçues sur Marie-Antoinette". Ce faisant, je m'attendais à ce que tombent tous les clichés dont cette reine était accablée.
    Malheureusement, est-ce une maladresse de l'historienne ou une forme d'aveuglement de sa part (ou de la mienne ?), si son objectif était vraiment de réhabiliter la reine, c'est raté ! Son livre n'a fait que renforcer hélas, l'image quelque peu négative que j'avais de cette reine atypique.
    Même si l'historienne nous dit que la reine n'a jamais sorti la formule "qu'ils mangent des brioches s'il manquent de pain", (ce que tous les historiens un peu honnêtes savaient déjà), tout ce qu'elle nous explique ensuite, ne fait que renforcer l'image trop connue d'une reine sans esprit et sans instruction (son frère l'empereur d'Autriche Joseph II disait d'elle qu'elle avait une "tête à vent"), une reine aux mœurs légères, s'étourdissant de fêtes somptueuses et de jeux d'argent ou elle perdait des sommes colossales, une reine dépensant sans compter pour des bijoux et des tenues aussi somptueuses qu'extravagantes.


Passons en revue quelques-unes de ces soi-disant "idées reçues".

Mère aimante (Mais pour "pour suivre la mode").

    J'avais relevé un point positif en faveur de Marie-Antoinette, et pas des moindres ! Marie-Antoinette avait été une mère aimante qui s'était occupée de ses enfants bien plus qu'il n'était courant dans son milieu à son époque.

    Mais voici que l'historienne nous explique que ça aurait été à cause du mouvement philosophique des Lumières qui aurait instauré à la fin du 18ème siècle, je cite, "le mythe, féminin et familiale de l'amour maternel". Le grand responsable de cette lubie de philosophes (le mot patriarcat n'est pas mentionné), aurait été selon elle, le malheureux Jean-Jacques Rousseau qui aurait forgé de nouveaux principes éducatifs dans son "L'Emile, ou de l'éducation".

    Cécile Berly nous explique que "(Re) devenue femelle, la femme n'est plus que mère, dévolue aux tâches domestiques, donc à l'espace privé." Raison pour laquelle Marie-Antoinette serait devenue une mère aimante pour suivre "cette mode de la mère aimante"

           Moi qui croyais que c'était par bonté d'âme et qui était prêt à tout lui pardonner pour cela, me voici bien déçu !

Mère chimpanzé ayant lu Jean-Jacques Rousseau
et cédant au dictat du patriarcat bourgeois. 😉
 
Nota : Dédramatisons ce qui précède. Dans le cadre de l'évolution des espèces (très peu étudiée en France) les rôles dévolus à chacun des sexes, résultent d'une adaptation à l'environnement en fonction des caractéristiques de chacun. Dans une société policée comme la nôtre, la force physique des mâles n'est plus vitale pour l'espèce. Raison pour laquelle une nouvelle répartition des rôles entre les sexes s'opère actuellement, tout naturellement, par-delà bien et mal.



La Reine et le comte suédois, Axel de Fersen.

    Concernant les "amours" de Marie-Antoinette, l'historienne évoque bien les fêtes et les bals coquins auxquels la reine participait avec sa petite cour d'amis libertins, mais elle ne s'y attarde pas. Que dire de toute façon sur la légèreté de mœurs qui était de mise au sein de la noblesse de cette fin de 18ème siècle ?

    Cécile Berly note au passage que Louis XVI n'avait pas de maitresse. Cela correspond à l'idée du benêt introverti que l'on se fait de lui, mais c'est malgré tout complètement faux, puisque celui-ci eut une longue relation amoureuse avec Françoise Boze, l'épouse du portraitiste Joseph Boze.

    L'historienne évoque bien sûr la relation de la reine avec le Comte de Fersen, mais en respectant pieusement la légende de l'amour platonique. Elle dit un mot sur leur correspondance secrète, mais rien de plus. C'est peut-être parce qu'elle a écrit son livre avant que ladite correspondance ne soit partiellement déchiffrée aux rayons X (https://www.mnhn.fr/fr/actualites/la-correspondance-de-marie-antoinette-aux-rayons-x).

Axel von Fersen en 1793

    Qu'importe d'ailleurs si la reine a vécu une histoire d'amour avec le Baron Axel de Fersen. C'était sa liberté de femme. Pourquoi tout le monde veut-il nier ce qui semble une évidence ? Si vraiment il ne fut pas son amant, il fut pour le moins son aimant. Le ministre Saint-Priest écrivit tout de même dans ses mémoires : 

"Elle avait trouvé le moyen de lui faire agréer (le roi) sa liaison avec le comte de Fersen... En attendant, Fersen se rendait dans le parc, du côté du Trianon, trois ou quatre fois la semaine ; la Reine, seule, en faisait autant de son côté, et ces rendez-vous causaient un scandale public, malgré la modestie et la retenue du favori, qui ne marqua jamais rien à l'extérieur et a été, de tous les amis de la Reine, le plus discret." 

    Il faut savoir malgré tout que le beau Fersen eut de nombreuses maitresses, y compris l'épouse du ministre Saint-Priest ! De plus, Saint Priest détestait la reine, car il savait que c'était elle et son entourage qui avait poussé le roi à renvoyer Necker le 11 juillet 1789, avec toutes les conséquences qui s'en suivirent. Saint-Priest allait jusqu'à imputer à la reine la responsabilité de la Révolution !

    De toute façon, je n'aime pas juger des mœurs du passé. En parcourant à l'occasion de mes recherches, le livre de Charles Kunstler "Fersen et son secret", j'ai relevé cette phrase à laquelle je souscris totalement :

"Il ne s'agit pas de moraliser les morts. Il serait absurde d'éclairer un passé, déjà lointain, à la lueur de nos croyances, de nos goûts, de nos convictions politiques. On commettrait une erreur analogue à celles de ces architectes qui, sous prétexte de dégager nos cathédrales gothiques, ont abattu les vieilles maisons qui les enserraient et détruit ainsi pour toujours l'atmosphère qui déterminait, en partie, leur grandeur et leur majesté".

    La relation amoureuse de la reine et de Fersen ne me passionne donc guère. Ce qui m'intéresse en revanche, c'est le fait que la reine ait pu trahir la France en communiquant des informations à l'ennemi par l'intermédiaire de Fersen !


Une reine trahissant la France ?

    L'historienne Cécile Berly n'évoque pas les trahisons de Marie-Antoinette à l'égard de la France. Ce disant je ne pense pas à la fuite de la famille royale en juin 1791, organisée à la demande de la Reine. Je pense plutôt aux messages qu'elle faisait passer à l'ennemi en 1792, concernant les intentions et positions des armées françaises.

    Le 14 décembre 1791 Marie-Antoinette envoyait un billet à son amant Fersen dans lequel elle écrivait : "L'armée de Luckner va faire mouvement, avertissez qui de droit."

    Le 26 mars 1792, la reine écrivait à Mercy-Argenteau : « M. Dumouriez (…) a le projet de commencer ici le premier par une attaque de la Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée de La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du Conseil d’hier. » Le 20 avril, Louis XVI déclarait la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, (c’est-à-dire au neveu de sa femme).

    Le 27 juin 1792, elle écrivait à Fersen : « Dumouriez part demain pour l’armée de Luckner ; il a promis d’insurger le Brabant. » (Source : Baron de Klinckowström, le petit neveu de Fersen op. cit., T. II, p. 308.)

    La connaissance de ces deux courriers aurait largement suffi à la faire condamner par le tribunal révolutionnaire...


Un procès vraiment inique.

    Ironie du sort, si j'ose dire, le Tribunal révolutionnaire se déshonorera, en donnant crédit aux rumeurs d'inceste colportées par le "journaliste" enragé Hébert, qui se faisait appeler le Père Duchêne (nom de son journal).  Pourquoi avoir ajouté un chef d'accusation aussi abjecte qu'infondé ? Pourquoi tant de haine ? Marie-Antoinette a donc été condamnée pour ce crime qu'elle n'avait pas commis. Mais était-elle innocente pour autant ?

Le jugement infâme de Marie-Antoinette

    Pardonnez-moi la comparaison, maladroite j'en conviens, mais d'une certaine façon le roi et la reine ont subi la même justice qu'Al Capone, qui fut très lourdement condamné pour fraude fiscale, faute que le FBI puisse prouver ses autres crimes. De nombreuses preuves des culpabilités de Louis Capet et de son épouse furent d'ailleurs découvertes après leurs morts. 

    La reine et le roi méritaient-ils la mort pour autant ? Bien sûr que non dans une société policée comme la nôtre. Mais dans la société violente de l'Ancien Régime, il en allait autrement. Je rappelle à cette occasion que la violence révolutionnaire n'est rien d'autre que celle de l'ancien régime. Il faudra encore beaucoup de révolutions, de républiques, d'écoles et de pains dans les ventres, pour que la peine de mort soit enfin abolie.


Pourquoi tant de haine ?

"Les deux ne font qu'un"
Estampe représentant le roi et la reine, 1791

Le roi.

    Dans le cas du bienaimé Louis XVI, la colère fut longue à monter contre lui. Le peuple aima autant qu'il le pu le bon gros Louis, arguant comme le font souvent les petites gens en pareilles circonstances, qu'il était entouré de mauvais conseillers (à commencer par la reine.)

    Il faut dire aussi que les "révolutionnaires" de la Constituante firent preuve d'une immense mansuétude à son égard, allant même jusqu'à prétendre que le roi avait été enlevé, alors que celui-ci s'était enfui avec sa famille le 20 juin 1791, en suivant un plan d'évasion organisé sous les ordres de Marie-Antoinette !

Arrestation du roi à Varennes le 22 juin 1791

    Les constituants allèrent même jusqu'à augmenter la pension du roi à son retour et à décréter l'inviolabilité de celui-ci le 15 juillet 1791. Pour compléter la farce, François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé (organisateur de la fuite) fut déféré le même jour par contumace devant la Haute-Cour pour le prétendu enlèvement du roi ! Sans parler de Barnave, révolutionnaire de la première heure, qui tomba bêtement sous le charme de la reine durant le voyage de retour et qui rejoignit ensuite le club monarchiste des Feuillants...

Retour de la famille royale à Paris le 25 juin 1791

    Quant aux Parisiens en colère à cause de cette fuite honteuse, Lafayette fit tirer sa Garde nationale sur ceux des sections des clubs des Cordeliers et des Jacobins, venus déposer une pétition pour la déchéance du roi le 17 juillet 1791 ! (50 morts !). Dire que c'est cette monarchie constitutionnelle d'opérette que la pauvre Olympe de Gouge défendra jusqu'à la mort. Passons...

"Malheureuse" journée du 17 juillet 1791.

La reine.

    En ce qui concerne la reine Marie-Antoinette, la haine remontait à plus loin. Et surtout, cette haine avait commencé au sein de la noblesse française qui avait vu d'un très mauvais œil cette alliance contre-nature avec la cour d'Autriche, qui jusque-là avait été l'ennemie de la France.

Marie-Antoinette représenté en "Poule d'Autruche"
"Je digère l'argent avec facilité mais la constitution je ne puis l'avaler"

    C'est d'abord la noblesse qui a colporté ragots et rumeurs sur la pauvre Marie-Antoinette. Et c'est la personnalité de la malheureuse qui n'a fait qu'aggraver les choses quand ses frasques ont fini par venir aux oreilles du peuple. La connaissance de ses dépenses extraordinaires était du plus mauvais effet sur une population que la misère et la faim préoccupaient.

    Parfois caricaturée sous forme d'une autruche (jeu de mot avec Autriche), la reine fut souvent caricaturée sous forme d'une panthère, comme ci-dessous.


    On peut constater avec l'estampe suivante, gravée en 1792 par Villeneuve, que la haine envers la reine avait alors atteint un sommet : "La Panthère autrichienne / voué au mépris et à l'exécration de la Nation française dans sa postérité la plus reculée".


    La fuite de la famille royale en juin 1791 constitua vraiment un moment de bascule. A partir de là, une haine du couple royal commença de grandir au sein du peuple, haine que les homme politiques de l'assemblée constituante puis de l'assemblée législative, peinèrent de plus en plus à contenir.

La famille royale de retour à Paris.
Après leur fuite, le roi et sa famille seront
de plus en plus souvent représenté comme des cochons...
.
Que dire ?

    Comme je suis un gentil garçon, je pourrais arguer que les malheureux souverains du royaume de France étaient conditionnés par leur environnement "socio-culturel" et qu'ils ne faisaient que défendre les "intérêts de leur classe". Mais n'était-ce pas cela le cœur du problème en vérité ?


Trêve de polémiques politiciennes, soyons "glamour"

Humour...
La reine de la mode.

    En résumé, l'historienne Cécile Berly se donne donc beaucoup de mal dans son livre pour apporter un nouvel éclairage sur Marie-Antoinette. Et je gage que certains s'émerveilleront de la nouvelle image que l'on découvre alors, celle d'une reine de la mode et du luxe !...

    L'historienne se fait en effet un plaisir de nous expliquer que dès le moment où Marie-Antoinette monta sur le trône en 1774, celle-ci eut à cœur de devenir la reine de la mode !

  Pour partager cet enthousiasme envers quelque chose d'aussi frivole, je gage que Cécile Berly n'a pas dû lire les écrits du Baron d'Holbach sur les effets délétères que produit sur une société, le goût du luxe et de la mode. D'Holbach écrivit ceci dans son ouvrage "Éthocratie ou Le gouvernement fondé sur la morale" :

"Le luxe est une forme d'imposture, par laquelle les hommes sont convenus de se tromper les uns les autres, et parviennent souvent à se tromper eux-mêmes"

    L'historienne nous répète donc cette vieille antienne qui court toujours de nos jours, à savoir que "la mode fait du luxe un commerce très lucratif et qui répand le savoir-faire français dans toutes les cours européennes et jusqu'un Amérique". Commerce très lucratif assurément, mais certainement pas indispensable dans la France de 1789 qui ne cultivait pas assez de blé pour nourrir son peuple, pas plus d'ailleurs pour la France de 2021, qui doit acheter ses masques sanitaires en Chine quand survient une pandémie mondiale.


La ministre des modes.

Rose Bertin

    Marie-Antoinette devenue reine de la mode eut sa ministre des modes, la couturière Marie-Jeanne Bertin, connue à l'époque sous le nom de Mademoiselle Bertin, une fille de paysans picards qui avait conquis le "tout-Paris" par ses créations.

     Mademoiselle Bertin avait ouvert en 1770, son propre magasin de modes à l'enseigne "Le Grand Mogol", dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré où elle employait une trentaine de personnes.

    Mademoiselle Bertin bénéficiait d'un accès privilégié à la reine, honneur que n'avaient pas la plupart des dames de la cour, ce qui ne faisait qu'attiser la jalousie et la colère de celles-ci. Marie-Antoinette et sa "ministre" s'enfermaient de longues heures dans les appartements privés de la reine, afin de partager leur passion commune pour les robes, les chapeaux, les coiffures et toutes sortes d'accessoire de mode très coûteux. (Je ne vous cache pas que des rumeurs coururent à propos de cette "proximité".)

    En janvier 1774, à la demande de Marie-Antoinette, Marie-Jeanne Bertin et le coiffeur de la reine, Léonard-Alexis Autié (l'inventeur du pouf), relancèrent la parution du magazine de mode intitulé le Journal des Dames. La Dauphine régla tous les frais de l'opération, et la Baronne de Princen, dans une situation financière délicate, accepta de prêter son nom en tant que rédactrice en chef.

    Un point positif tout de même pour Mademoiselle Bertin. On apprendra en effet qu'elle libéra les corps féminins en allégeant les silhouettes, avec des paniers plus légers et moins encombrants et qu'elle lança les robes de grossesse. Elle inventa également des robes légères, façon bergère, à porter dans le petit monde champêtre merveilleux, aménagé à grand frais par Marie-Antoinette au petit Trianon (Lire ce chapitre édifiant dans le livre de Cécile Berly).

    Ajoutons à cela que cette entrepreneuse méritante s'était fait une place royale dans le milieu de la couture jusque-là dominé par les hommes, et vous verrez qu'un beau jour on fera d'elle une icône féministe. La ville de Bellancourt, village natal de cette héroïne du monde entrepreneurial, a donné son nom à une école : "Rose Bertin". A noter que le nom de Rose Bertin lui aurait été donné postérieurement à sa mort.


Le coiffeur Léonard au travail.

Léonard le (les) coiffeur (s) de la reine.

    Plutôt que de vous brosser le portrait de Léonard (et de ses frères), je vais vous proposer de regarder la vidéo ci-dessous retraçant la vie de ce "Géniaaaale coiffeur". Elle est extraite d'une émission du sympathique Stephane Bern. Vous aurez même la chance de voir notre jolie historienne, Cécile Berly, vous faire visiter la salle de bain de la reine à Versailles !

  Attention âmes sensibles ! C'est difficile de faire plus kitsch et plus dégoulinant d'émerveillement béat devant des pratiques que certains pourront trouver choquantes.



Retour à la triste réalité


Madame déficit.

    Les dépense de Marie-Antoinette pour la mode furent "abyssales". Louis XVI dû doubler sa cassette en 1774. Mais cela ne suffit pas, car elle ne cessa d'accumuler les dettes que le bon roi paya toujours. Sa propre mère, L'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, sermonna sa fille dans ses courriers pour ses dépenses excessives. Marie-Antoinette achetait des bijoux de manière presque compulsive. Dans une lettre datée du 2 septembre 1776, Marie Thérèse réprouva l'achat de bracelets d'une valeur de 250.000 livres ! Et quand Louis XVI ne pouvait plus payer sur sa cassette, il sollicitait le contrôleur général des finances, qui bien sûr payait avec l'argent des Français accablés d'impôts.

    En 1785, Marie-Antoinette dépensa 258 002 livres pour sa garde-robe, dont 87 597 livres de biens et de services auprès de Bertin. En 1787, le montant total était de 217 188 livres, dues à soixante et une personnes, dont 28 % pour Bertin ; en 1788, le total se montait à 190 721 livres, dues à cinquante-quatre personnes, dont 32 % pour Bertin. Étant donné que le budget de la reine pour sa garde-robe était de 120 000 livres, ses dépenses en vêtements et accessoires représentaient chaque année un dépassement important.

    Il faut savoir que la reine était très mauvaise payeuse ! En janvier 1787, le bruit se répandit dans Paris que la célèbre marchande de modes Mademoiselle Bertin avait déposé son bilan et que ses dettes se montaient à deux ou trois millions de livres. Mais la rumeur qui se propageait dans Paris comportait une précision supplémentaire : Bertin aurait inventé de toutes pièces l’histoire de sa faillite. Son but, en agissant ainsi, aurait été de plonger la couronne dans l’embarras et d’obtenir le paiement des sommes énormes que lui devait depuis longtemps la reine, Marie-Antoinette. Celle-ci, qui était à la fois la cliente la plus prestigieuse de Bertin et celle qui lui passait les plus grandes commandes, avait l’habitude d’acheter sans compter à crédit et de ne payer que sous une contrainte extrême. Selon le journal du marchand de livres Hardy, Bertin avait communément recours à de tels stratagèmes et, dans ce cas précis, elle reçut aussitôt un billet de 400 000 livres sur le trésor royal (Langlade, 1911, pp. 192-193 ; Burkard, 1989, p. 187).

    Les comptes de Bertin attestent que la reine ne payait pas ses factures. Lors du terme d’octobre 1791, Bertin ajouta 3 390 livres, correspondant à trois ans d’intérêts au taux de 5 %, sur les 22 600 livres dues cette année-là. Elle ajouta aussi 4 600 livres aux plus de 46 000 livres de dettes pour l’année 1789. Une note au bas de la page indique que la maison de la reine n’avait accepté de payer que 4 000 livres d’intérêt.

Dépensière et joueuse !

    En plus de ses dépenses pour la mode et les fêtes somptueuses qu'elle organisait, Marie-Antoinette jouait de très fortes sommes d'argent avec des banquiers joueurs dans des parties de pharaon qui duraient parfois 2 journées entières ! Le propre frère de Marie-Antoinette, Joseph II, comparait les appartements de sa sœur à un tripot. En janvier 1777, Marie-Antoinette présenta au roi une dette de 487.272 livres !

Partie de Pharaon au 18ème siècle

    Les dépenses de la maison de la reine ne cessèrent jamais d'augmenter tout au long du règne. Le budget passa de 1.600.000 livres à 2.200.000 livres après le couronnement et il atteint la somme faramineuse de 4.700.000 livres en 1788.

    Ajoutez à ce problème que toutes les dames de la cour se devaient de prendre modèle sur la reine dans cette course folle à toujours plus de luxe ! Mais pas seulement les dames de la noblesse, car celles de la haute bourgeoisie suivaient le pas avec joie !

    Certes Marie-Antoinette ne fut pas l'unique cause du déficit abyssal du budget de la France à la veille de la Révolution. Je vous ai parlé ailleurs du coût énorme de la participation financière de la France à la guerre d'indépendance américaine. Mais Marie-Antoinette, par ses excès, devint le symbole du déficit. Raison pour laquelle aussi bien les nobles qui la détestaient pour son origine autrichienne, son comportement provocateur et ses mauvaises fréquentations, que le peuple qui avait vent de toutes ses folies, la surnommèrent "Madame Déficit".

Le monstre du déficit

Retour au meilleur des mondes, celui de la mode !


La mode selon Marie-Antoinette

    Afin d'illustrer cet article sur la "reine de la mode", je vous devais de l'illustrer de jolies gravures de modes. Vous en trouverez quelques-unes ci-dessous, mais je vous renvoie à l'article que j'ai déjà consacré à ce sujet et aux galeries qu'il comporte :"La mode au XVIIIe siècle".

    Certaines tenues étaient si extravagantes (coiffures de 1 mètre de haut, amples paniers de 5 mètres de diamètre recouverts de plusieurs jupes décorées de rubans, nœuds, glands, fleurs et pierreries) que les dames de la cour qui les portaient ne pouvaient plus voyager assises mais à genoux dans leurs carrosses ! 

Gravure anglaise de Mary Darly

    Les robes coûtaient des fortunes et les perruques créées par Léonard pouvaient coûter jusqu'à 50 000 livres pièce selon les volumes et artifices employés et la reine et les dames fortunées de la cour en changeaient quasiment tous les jours ! Je vous rappelle qu'une livre correspondait au salaire journalier d'un ouvrier agricole, soit 20 sous.

    Vous avez bien compris, une perruque valait l'équivalent de 50.000 jours de travail d'un ouvrier agricole.

 

Ci-dessous, la Princesse de Lamballe en 1776 et la reine Marie-Antoinette en 1789.

Princesse de Lamballe Marie-Antoinette


Admirez ci-dessous ces bonnets et poufs !


 

 


    Rose Bertin expliquait ainsi le magnifique "pouf aux sentiments" que vous pouvez admirer ci-dessous : "J’appelle cette coiffure un pouf à cause de la confusion d’objets qu’elle peut contenir, et je le nomme « au sentiment » parce que ces objets doivent être relatifs à ce que l’on aime le plus".

    
    C’est ainsi qu’elle créa pour la Duchesse de Chartres le pouf le plus étrange : "on y voyait le perroquet préféré de la Duchesse, le bébé de la duchesse dans les bras de sa nourrice et des cheveux appartenant au Duc De Chartres, au Duc de Penthièvre et au Duc d’Orléans"...

    Et n'oublions surtout pas la célèbre coiffure dite "La Belle Poule", nom d'un navire qui avait remporté une victoire contre les Anglais (et dont vous avez entendu parler dans la vidéo plus haut).

 



Vous avez le droit de rire ou sourire...


Des estampes inattendues et une question

    Recherchant des images dans mes bases de données habituelles, j'ai découvert des estampes fort intéressantes au British Museum. Il s'agit de celles de la marchande d'estampes et caricaturiste londonienne Mary Darly, épouse de Matthew Darly créateur de meubles et graveur. En 1756, le couple avait des imprimeries à Fleet Street et au Strand. Mary était l'unique directrice de la succursale de "The Acorn, Ryders Court (Cranbourne Alley)Leicester Fields". Elle faisait de la publicité dans les quotidiens sous son propre nom, en tant que "graveur et éditeur". 

    Mary Darly fut l'une des premières caricaturistes professionnelles en Angleterre. Les boutiques Darly, parmi les premières à se spécialiser dans la caricature, se spécialisèrent sur des thèmes politiques dans les années 1750, une époque de crises politiques, mais elles se concentrèrent par la suite sur le monde de la mode.


    Dans leur boutique du West End, ils publièrent entre 1771 et 1773 six séries d'estampes satiriques intitulées « macaronis », chaque série contenant 24 portraits. Un macaroni (ou anciennement maccaroni) au milieu du XVIIIe siècle en l'Angleterre, était un homme à la mode qui s'habillait et parlait même de manière efféminée. La nouvelle boutique des Darly fut connue sous le nom de "The Macaroni Print-Shop". Matthew et Mary Darly produisirent nombre de caricatures de la vie sociale londonienne par le biais de leurs « macaronis ».



Une question.

    Les estampes des Darly concernant la mode, ont été publiée entre 1771 et 1773. Rose Bertin a été présenté à la reine par Marie-Adélaïde de Bourbon, duchesse de Chartres, le 11 mai 1774, à Marly. Le coiffeur Léonard commença à coiffer la reine en 1772, mais il a inventé le "pouf" en avril 1774 et il ne devient le coiffeur officiel de la reine qu'au début des années 80, lorsque Larseneur le coiffeur officiel, eut pris sa retraite.

    Question : Qui a copié qui ? Qui était le coiffeur anglais qui, au début des années 1770, échafaudait les monumentales coiffures caricaturées par Mary Darly ?

    On pense souvent en France que nous avons tout inventé. Mais ne peut-on imaginer que la mode anglaise ait été copiée par la mode française, tout comme les idée politiques et philosophiques anglaises ont inspiré les révolutionnaires français ?

    Ou alors,... Peut-être que nos amis Anglais se moquaient-ils tout simplement de la noblesse française ? Avouez qu'il y avait de quoi, non ?

    Il est temps de mettre fin à ce long article. Terminons-le avec le sourire, en regardant les caricatures de l'anglaise Mary Darly !

1771














Concluons sur une note positive...

    J’ai trouvé ces deux extraits de lettres écrites par Marie Antoinette en 1774, l’année de son mariage. Une concerne Louis XVI et l’autre concerne la France :

 « Je suis convaincue que, si j’avais à choisir un mari entre les trois frères, je préférerais encore celui que le ciel m’a donné. » (page 149 de la correspondance de Vienne)

    Dans la lettre à sa mère du 14 mai 1774 : « Quoique Dieu m’a fait naître dans le rang que j’occupe aujourd’hui, je ne puis m’empêcher d’admirer l’arrangement de la Providence, qui m’a choisie, moi la dernière de vos enfants, pour le plus beau royaume de l’Europe. Je sens plus que jamais ce que je dois à la tendresse de mon auguste mère, qui s’est donné tant de soin et de travail pour me procurer un bel établissement. Je n’ai jamais tant désiré de pouvoir me mettre à ses pieds, l’embrasser, lui montrer mon âme tout entière, et lui faire voir comme elle est pénétrée de respect, de tendresse et de reconnaissance. »


Lien utile :