mercredi 18 novembre 2020

18 Novembre 1789 : La caque sent toujours le hareng, mais Chantoiseau n’a pas inventé que le restaurant.


    Ce titre étrange ressemble à un message codé et c'en est bien un, puisque toute forme de langage est un code destiné à vous communiquer des informations ; alors décodons ensemble ! 
    Je pense que vous devriez apprendre deux ou trois choses très étonnantes à la lecture de cet article.

Qu’est-ce qu’une caque ?

Une caque de harengs

    « La caque sent toujours le hareng ». C’est ainsi que Marat commence son article relatif au projet de redressement financier présenté par le ministre Jacques Necker le 14 novembre dernier.

La caque était un mot néerlandais qui désignait le tonneau contenant des harengs. Imprégnée de l’odeur des poissons qu’elle avait contenue, la barrique conservait ce très fort parfum, quel que soit le nouveau contenu qu’on y voulait mettre ensuite. Le dictionnaire nous apprend que cette expression est apparue au 17ème siècle et qu’elle signifiait « peu importe l’ascension sociale, on garde toujours les marques de ses origines. »

    Cette métaphore est donc particulièrement bien trouvée, puisque Marat l’utilise pour rappeler qu’avant d’être devenu ministre, Necker était un banquier. Raison pour laquelle, en réponse à la crise financière, Necker ne peut trouver que des solutions de banquier, étant sous-entendu que celles-ci seront favorables aux banquiers.

Tout le monde sent son hareng

    Marat n’aime pas Necker, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais il serait facile de lui retourner l’argument. Absolument tout le monde subit le déterminisme de ses origines, aussi bien sociales que culturelles, et chacun de nous, confronté au même problème, ne trouvera que des solutions qui lui ressemblent.

Marcher au milieu des effluves (digression)

    Enquêter en histoire, c’est comme cheminer au milieu des effluves. On renifle les traces laissées par d’autres et nous préférons souvent celles qui sentent un peu comme nous. Voilà pourquoi bien souvent, nous nous enthousiasmons pour telle ou telle personne, allant parfois jusqu’à reconstruire une personnalité qui sente comme nous. Ce que j’ai décrit ailleurs comme la fabrication d’un personnage conceptuel, n’ayant plus rien à voir avec la personnalité d’origine. Tout cela pour nous conseiller de prendre garde de ne pas tomber dans une caque !

Source Carnegie

Le "parfum" de Necker ?

    Necker devait bien l’origine de sa fortune commerciale, d’une part aux spéculations sur le commerce des grains qui suivirent l’édit de 1764 promulgué par Choiseul, et d’autre part aux crédits qu’il accorda au gouvernement (après que Choiseul ait réussi à faire tomber ses hésitations). Ce que l’on dit moins, c’est qu’en 1770 il avança des sommes considérables, sans intérêts, pour l’approvisionnement des provinces où le blé était trop cher. Source : Notice sur M. Necker, par Auguste de Staël Holstein

    Necker avait bien été banquier, mais il s’était retiré du métier de la banque en 1772 (avec quand même une importante fortune de sept ou huit millions de livres). Il avait cédé la banque (sans y garder aucun intérêt) à son frère aîné Louis, qui avait abandonné sa chaire de professeur de mathématiques, et à Girardot. Son frère Louis est plus connu sous le nom d’une propriété, Germany, située près de Genève qu’il avait hérité de son père. Bien plus que du métier de banquier, Necker se passionnait d’économie, de finance et surtout de politique (il était ambitieux). Et le Necker devenu ministre, au contraire de ses prédécesseurs, s’était inquiété des conséquences de sa politique sur le peuple et avait pris des mesures sociales fort appréciées dudit peuple.

Estampe de Marat
(en vente chez Basset)

Le "parfum" de Marat ?

    Nous n’avons évoqué jusqu’à présent que le Marat journaliste. Mais Marat avait eu tant de "parfums" avant ! Durant sa période anglaise, Marat avait exercé la médecine, humaine et vétérinaire, à Newcastle de 1770 à 1773, puis à Londres dans un quartier aristocratique. De retour en France il avait poursuivi cette vocation et il était même devenu le médecin du comte d’Artois, le propre frère du roi ! Il avait même prêté sa plume à ce grand prince du sang, en faisant parfois office de secrétaire. Marat avait également été un savant qui avait fait des recherches sur le feu, sur la lumière et même sur l’électricité qu’il avait utilisée pour soigner. Ce Marat savant avait même eu une querelle avec le physicien Charles en 1783, qui avait failli se terminer par un duel. Oserai-je vous dire que Marat s’était même inventé des armoiries dont il timbrait ses lettres ? Nous en reparlerons…

Revenons à l’article de Marat !

Source BNF Gallica

    Malgré son début odoriférant, il est particulièrement intéressant parce que Marat ne se contente pas de critiquer. Il propose une solution alternative à celle proposée par Necker. Je vous laisse lire l’article et on en reparle après !

« La caque sent toujours le hareng. Quoi, toujours des spéculations d’agiotage ! Toujours des emprunts accumulés sur des impôts ! (la contribution du quart de revenu) toujours la masse de la dette royale rendue plus lourde, et l’état toujours plus écrasé sous le poids qui l’accable !

C’en est fait : les quatre derniers plans que le ministre des Finances a proposé à l’Assemblée nationale fixeront irrévocablement sa réputation aux yeux même de ces aveugles partisans, qui n’ont aucun intérêt de le prôner. En le voyant sans cesse tourner dans un cercle étroit de spéculations de banque, l’homme d’état s’éclipsera pour ne plus laisser paraitre que l’agioteur. Eh quel agioteur ! Un dilapideur audacieux, un ennemi mortel de la régénération des finances, un dépréciateur de toutes les opérations qui offrent à l’état des ressources assurées. Il connaissait ce plan d’une caisse nationale de 300 millions à 1 pour cent ; ce plan (de M. Chantoiseau) si ingénieux, si simple, si propre à opérer le soulagement du peuple, la sûreté des effets de commerce, l’accroissement de l’agriculture, la circulation du numéraire, la liquidation d’une partie de la dette royale, et cela sans emprunt, sans contrainte, et sans aggraver les charges de l’état.

Que fait M. Necker ? Il le repousse avec mépris, et il nous annonce gravement qu’il préfère le sien ; ce qu’on n’a pas de peine à croire, quand on se rappelle qu’il ne songea de sa vie qu’à gorger les sangsues publiques des dépouilles du peuple.

Parmi les épargnes, les retranchements, les réformes que j’ai indiquées dans un de mes numéros, ce que je développe dans un ouvrage qui verra bientôt le jour ; ressources toujours placées sous la main du ministre ; ressources si efficaces, si certaines, qu’elles offrent, non seulement de quoi faire face aux charges indispensables du gouvernement, mais un excédent de plus de 50 millions annuels : je me bornerai ici à celles que fournirait la vente des biens de la couronne.

Le roi a un domaine de 800 millions, dont il ne retire pas un écu : il en a aliéné cent cinquante millions pour un paquet de cure-dents : les revenus des 650 millions qui restent sont dévorés par les administrateurs ; il est donc indispensable qu’il soit vendu. Dans cette vente, il faut comprendre les apanages qui renferment des provinces, et qui n’empêchent pas les princes de vivre aux dépens du trésor public.

Au produit de ces biens nationaux, on peut joindre une somme de cent millions, prélevés sur les vampires de la fiscalité (1), qui depuis cinquante ans rongent l’état.

(1) Marat précise dans une note en bas de page qu’on « réaliserait très facilement cette somme en imposant une contribution de 50 à 100 mille livres sur chacun des fermiers généraux, régisseurs, administrateurs, fermiers des postes, vivriers, trésoriers, etc. »

Ce serait un tableau bien curieux que celui de la dilapidation du trésor public par les départements. On y verrait que le secrétariat de tel ministre coûte annuellement à l’état plus de 100.000 écus, en pensions accordées à chaque secrétaire, lors de la retraite de leurs maîtres, qui tous en amènent de nouveaux. Il importe que la liste de ces prodigalités, soit mise enfin sous les yeux de la nation ; elle en attend l’ordre de l’assemblée des députés. »

Chantoiseau ?

    Qui est donc ce mystérieux Chantoiseau, qui a conçu un plan si ingénieux ? Son nom n’était jamais apparu au fil de mes lectures, (mais je ne prétends pas avoir tout lu, bien sûr !).

    J’ai donc demandé à mon ami Google, et je vous prie de croire que nous avons ramé, si vous voulez bien me passer l’expression ! J’ai très vite appris qu’on attribuait à ce Chantoiseau la divine invention du restaurant, mais rien sur ses talents d’économistes !

Concernant l’invention du restaurant, j’ai encore eu l’occasion de constater que Wikipedia donnait une fois de plus dans l’à peu près, voire dans le cliché, et ignorait tout de Mathurin Roze de Chantoiseau, allant même jusqu'à le confondre avec un Boulanger surnommé Chant d’oiseaux ! Sur l'invention du restaurant, je vous conseille cet article : Le restaurant, invention des Lumières.

    C’est sur le site des archives nationales des USA que j’ai fini par trouver une lettre adressée le 31 janvier 1783, par Mathurin Roze de Chantoiseau, à Benjamin Franklin, occupant alors le poste de Ministre Plénipotentiaire des Etats unis de L’Amérique !

Source : https://founders.archives.gov/documents/Franklin/01-39-02-0052


Le plan de Chantoiseau.

    Chantoiseau avait rédigé ce courrier pour accompagner un document qu’il adressait à Benjamin Franklin, et ce document n’était rien d’autre que le fameux plan évoqué par Marat dans son article !

Lisez ce courrier, dont j’ai "un peu" mis à jour l’orthographe de l’époque :

« Monsieur.

Oserais-je vous offrir Le fruit de plusieurs années d’un travail assidu et réfléchi, dont le résumé n’exige pas un quart d’heure de Lecture, et dont le résultat serait d’opérer, d’une manière simple et peu dispendieuse, la Liquidation de la majeure partie des Dettes d’un Etat, Sans en altérer les fonds, et Sans en diminuer les revenus, ni en aggraver les charges.

Emprunter une somme quelconque a intérêt, doubler les impôts, ou en créer de nouveaux, n’est chose rare ni difficile ; mais Eteindre Les intérêts et le Principal d’une somme quelconque Sans altérer Ses fonds actuels, Sans diminuer ses revenus, sans créer aucun Emprunt et Sans Etablir ni doubler aucun impôt paraîtra Sans doute chose neuve, et digne, Si j’ose dire, d’un accueil favorable et des suffrages de Votre Excellence.

On Cherche depuis longtemps des moyens Simples et peu dispendieux pour Liquider tout ou Partie des Dettes d’un Etat Sans en diminuer les revenus ni en aggraver les charges. Le Ministère qui connait combien il serait intéressant de trouver un objet aussi essentiel reçoit tous les Projets d’économie, de finances, d’agriculture, et de Commerce qu’on lui propose, les examine, les discute, et parait jusqu’à ce jour n’en n’avoir trouvé aucun qui dut être adopté.

En Effet quand on a pesé et combiné tous ces différents systèmes, et que l’on réfléchit Sur les difficultés et l’immensité de tems qu’il faudrait Employer pour les mettre à exécution avant de pouvoir en recueillir le fruit, on S’aperçoit qu’ils ne peuvent remédier pour L’instant aux besoins pressants d’un Etat; et dès lors on serait tenté de regarder le mal comme désespéré et Sans remède si l’on n’offrait de démontrer qu’il en est un aussi prompt qu’efficace pour Subvenir à tous les besoins urgents des Citoyens par une opération Simple, facile, uniforme, et peu dispendieuse dont l’effet serait de procurer à tous les Créanciers de L’Etat le moyen de se Libérer envers leurs créanciers et de mettre ceux-ci a couvert des poursuites qu’ils seraient dans le cas d’essuyer en leurs transmettant pareillement les mêmes droits et facultés a l’égard de leurs créanciers personnels de manière que les peines de Saisie et d’emprisonnement ne seraient pour ainsi dire plus désormais réservées qu’a l’inconduite ou à la mauvaise foi.

Ce Système quelque Spécieux qu’il paraisse par les avantages inestimables qu’il présente n’est pas une spéculation Vague et dénuée de fondements; Ce n’est pas même un système à proprement parler ; C’est un moyen unique et certain de Simplifier toutes les opérations de finances et de réduire presque toutes les opérations de Commerce a une Seule forme connue, avouée et généralement reçue qui en désobstruant les canaux de La circulation ouvre a jamais, a L’Etat qui en fera Usage, une Source de richesse et Ecarte au loin tous les Funestes Effets de la fraude, du Vol, de la Surprise et de l’usure.

Tel est, Monsieur, L’objet important que j’ai à proposer à Votre Excellence, et que je me fais fête de lui justifier dès qu’il lui plaira m’accorder un moment d’entretien particulier, et m’indiquer Le jour et L’heure qui lui seront les plus commodes.

Je Suis avec un très profond respect Monsieur Votre très humble et très obéissant Serviteur

Roze de Chantoiseau

Directeur du Bureau d’Indications générales des artiste célèbres

Rue comtesse d’Artois

A Monsieur Francklin Ministre Plénipotentiaire des Etats unis de L’Amérique. »

Ce courrier est suivi de la note ci-dessous, traduite par mes soins :

Almanach de 1769

"Dans les années 1760, l'entrepreneur Roze de Chantoiseau fut connu pour avoir inventé le restaurant, dirigé le bureau général d'indication (un centre d'information privé fermé par l'État en 1766 lorsqu'il établit un monopole sur ces entreprises) et publié un Almanach général annuel d'indication d'adresse personnelle et domicile fixe des Six Corps des Arts et Métiers, soit un annuaire d'entreprises complet pour Paris qui se poursuivit tout au long des années 1780. Son intérêt principal, cependant, était de voir l'Etat français abolir la dette nationale au moyen de son système de lettres de crédit. En 1769, il publia son concept dans "L'Ami de tout le monde" sous le titre "précis d'un plan de banque générale du crédit public, sociale & commerçante".

Bachaumont, louant Roze de Chantoiseau pour son ingéniosité et sa débrouillardise singulières (prouvées par ses innombrables inventions), a présenté la brochure dans ses Mémoires secrets, mais sa publication non autorisée a abouti à l’arrestation et à l’emprisonnement de l’auteur. Par la suite, à l'exception de la présente tentative d’intéresser à son plan bancaire, Roze semble avoir gardé ces idées pour lui jusqu'en 1789, date à laquelle il a renouvelé sa tentative infructueuse pour amener la France à adopter son système.

Sources : Rebecca L. Spang, l'invention du restaurant (Cambridge, Mass., Et Londres, 2000), pp. 12–14, 17–21, 255n ; Bachaumont, Mémoires secrets, V, 40–2."

(A noter que Louis Petit de Bachaumont ne fit que servir de prête-nom à ces volumineux mémoires secrets. Il mourut en 1771 à l’âge de 80 ans et ces fameux mémoires vont jusqu’à 1787).

Voici quelques liens pour en apprendre sur ces volumineux mémoires secrets :

Encore une précision, Benjamin Franklin ne répondit jamais à Chantoiseau, et ce, malgré trois nouveaux courriers adressés par ce pauvre Roze !

Mais où était caché ce mystérieux plan ?

    Je vous passe le détail, mais c’est sur le site de l’université de Chicago que j’ai fini par trouver une version scannée du fameux plan. Hélas le scan OCR était de mauvaise qualité. Mais, disposant à présent du vrai titre de l’ouvrage, je pouvais affiner la recherche !

Source : https://artflsrv03.uchicago.edu/philologic4/frc1787-99rev2b/navigate/3368/table-of-contents/

Titre complet du document : "Trésor public, ou, Caisse générale de crédit national, de bienfaisance, de confiance & de ressource, pour opérer facilement et surement, le soulagement du peuple, l'accroissement & la sûreté du commerce, la circulation de l'espèce, l'extinction de l'usure, et la liquidation de la dette nationale, sans emprunt, sans impôt, sans contrainte, sans augmenter le numéraire, & sans altérer les revenus de l'Etat, ni en aggraver les charges : dédié et présenté au roi et aux Etats généraux."

    C’est finalement sur Internet Archive que j’ai trouvé le magnifique exemplaire scanné que vous allez pouvoir découvrir dans le fenêtre ci-dessous.


Pas de commentaire...

    Ayant hâte de publier cet article déjà bien trop long, je renonce provisoirement à commenter ce fameux plan. En bref, l’Etat devenait une sorte de super banque. C’est un peu compliqué au début mais Chantoiseau donne quelques exemples très parlants ! Hein ? Quoi ? Les banques ne serviraient plus à rien ? Gasp ! 😝

Et la cerise sur le gâteau ! Marat qui voudrait vendre les domaines du roi ! 😂


Cerise sur un gâteau, façon XVIII siècle


    Terminons en ayant une pensée reconnaissante pour Mathurin Roze de Chantoiseau, l'inventeur du restaurant. Que serait la France sans cette institution si essentielle ?

mardi 17 novembre 2020

17 Novembre 1789 : Démonstration populaire, d'amour pour Louis XVI et Henri IV, au théâtre de Monsieur


Apparition d'Henri IV à Louis XVI,
ou la vérité découverte.
(Source musée Carnavalet)

Une "joyeuse manifestation populaire"

    Le Courrier de Versailles de ce 17 Novembre 1789 relate un événement amusant qui a eu lieu au Théâtre de Monsieur (le frère du roi) situé aux Tuileries (Donc pas loin de la nouvelle résidence du roi). Il s'agit d'une joyeuse manifestation populaire qui s'est déroulé à l'occasion d'une représentation de la pièce intitulée "Le Souper d'Henri IV, ou le Laboureur devenu gentilhomme" de Messieurs Boutiller et Desprez de Walmont, jouée depuis le 12 Octobre dernier. Henri IV étant comparé à Louis XVI, le petit peuple de Paris, fort curieusement invité à assister à la pièce, avait manifesté avec effusions son amour immodéré pour Louis XVI (Lisez plus bas l'article dans le journal).

Détail intéressant, le livret de la pièce commence par cette dédicace :

"A tous les bons Français.

Au plus grand des Bourbons quand nous rendons hommage

De nos yeux attendris on voit couler des pleurs,

Et nous sentons combien il est doux pour vos cœurs

De pouvoir l'adorer dans sa vivante image"


Pourquoi Henri IV ?

    Cette pièce rencontre un vif à succès à Paris, car le roi Henri IV est le roi préféré des Français et plus particulièrement des Parisiens. Mais surtout, en ces temps troublés, Louis XVI est comparé à son auguste ancêtre Henri IV. Peut-être vous questionnez-vous, quant à l'origine de cette comparaison des deux monarques. Sachez que la sympathie pour ce jovial souverain qui sut réconcilier les Français en mettant un terme aux sanglantes guerres de religions, grâce à son Edit de Nantes, édit de tolérance, n'a pas cessé de grandir tout le long du XVIIIe siècle.

Henri IV

    Du côté des "élites", l'idée de tolérance pensée par Henri IV s'accordait bien avec la philosophie des lumières dont elle était imprégnée. Voltaire fut probablement pour beaucoup dans cette mode Henri IV, lui qui rédigea un long poème à la gloire de celui-ci, intitulé, "La Henriade". Célébrer Henri IV, c'était célébrer la branche royale des Bourbons. Lors de sa première publication en 1723, Voltaire avait voulu dédicacer son ouvrage au jeune roi Louis XV qui ne régnait pas encore ; mais le Régent avait refusé (au nom du roi). Une nouvelle édition avait été imprimée en 1728 lorsque Voltaire se trouvait à Londres. Voltaire alors en mauvaise situation financière, avait reçu 2000 Louis de la part de Louis XV devenu enfin Roi.

    Du côté du peuple, il semble que celui-ci avait en effet gardé le souvenir des bienfaits du bon roi Henri. Mais soyons honnête, ce souvenir était probablement quelque peu entretenu. Henri IV donnait une image positive de la monarchie et ladite monarchie avait bien besoin de redorer son blason, si vous voulez bien me passer cette expression ! Raison pour laquelle étaient diffusées nombre de gravures représentant les deux rois, voire les trois rois, car était souvent joint à cette adoration Louis XII, connu pour sa modération et un certain souci du peuple, et lui aussi loué par Voltaire dans la Henriade.

Voici quelques exemples :

    Tout d'abord cette jolie miniature ronde peinte à la main représentant les portraits alignés de profil des trois Rois de France : "Henri IV roi de France et de Navarre, né en 1553, mort en 1610 - Louis XII Roi de France né en 1462 mort en 1515 - Louis XVI né le 23 aoust 1753", dans un cadre en bois noirci (fin XVIIIème siècle).

Ces quelques estampes :

Source : BNF

Louis XVI, Henri IV et Louis XII,
Les (rois) amis du peuple.
(Dédié à la Garde nationale de France)


Henri IV et Louis XVI
Source : Pireneas

Portraits d'Henri IV et Louis XVI
Source : BNF

Henri IV et Louis XVI
Source : Pireneas

    Et pour terminer cet aperçu d'"Henrimania", je vous propose d'admirer ces deux scènes de la vie du bon roi Henri, réalisées sur de la soie en 1782 par le Chevalier Jean-Baptiste André Gautier Dagoty, qui était l'inventeur de ce procédé. Plus d'info sur cette page de l'Institut National d'Histoire de l'Art.

Source : INHA

Je pense que vous avez compris...

    Louis XVI avait tout à gagner de cette comparaison faite avec son ancêtre. En s'inscrivant ainsi dans la continuation de la légende dorée du bon roi Henri, il pouvait se donner l'image d'un roi bienfaisant. Je ne puis d'ailleurs croire que ce rapprochement n'aient pas été soigneusement entretenu, compte tenu de la quantité d'objets divers qui a été produite durant cette période. 

    Pour en apprendre plus encore sur ce sujet, je vous conseille vivement de lire cet article passionnant de l'historienne Aurore Chery : Louis XVI ou le nouvel Henri IV.

Mais que vient faire Mounier dans cette histoire ?

Mounier en fuite.

    Henri IV n'est pas vraiment le sujet de l'article du journal. Le journaliste utilise cette démonstration d'amour envers Louis XVI de la part des Parisiens, dans le but de mettre en évidence la mauvaise foi ou l'ignorance de Monsieur Mounier.

    Rappelons que ce député de l'Assemblée nationale s'est enfui par peur des Parisiens dans son Dauphiné natal, d'où il ameute les provinces en prétendant que ces brigands de parisiens veulent faire un mauvais sort au Roi. Voir l'article du 26 Octobre 1789.


    L'incident relaté par le journaliste tombe vraiment à point nommé donner une image plus rassurante de ces turbulents parisiens. C'est même à se demander si tout n'a pas été fabriqué. En effet, je ne pense pas qu'il était courant à cette époque d'offrir des loges de théâtre aux dames de la Halle ! Ce n'est pas un mystère, les journaux ne servent pas qu'à informer, ils servent aussi dans certains cas à former l'opinion publique, voire à la fabriquer. Lisez l'article reproduit ci-dessous et faites-vous votre opinion.

Les dames de la Halle,
tantôt furies égorgeuses,
tantôt amatrice de théâtre
éperdues d'amour pour le roi.

Voici l'article publié dans Le Journal de Versailles

    Je l'ai retranscrit en gardant l'orthographe de l'époque. Vous aurez même la surprise de découvrir le parler des femmes du peuple.

A la suite du texte, vous trouverez une fenêtre sur le journal en son entier :

Il va paraître, demain ou après, un écrit de M. Mounier, intitulé : Sa Justification. Dans cet écrit assez volumineux, que le hasard met d'avance sous nos yeux, nous trouvons ces mots ! –"On s'est servi du mot Nation pour ameuter la classe la plus pauvre & la moins éclairée…… Tout est maintenant devenu National ; les crimes sont commis au nom de la Nation, les brigands se nomment la Nation, & dans chaque Ville, chaque Village, on retrouve cette Nation exerçant les droits de la souveraineté attachés à ce beau titre, ce qui nous procure assez souvent des souverains un peu féroces……"

M. Le Mounier, dans les motifs de son départ, s'appuie surtout sur l'enlèvement forcé du Roi, de la Reine & de son auguste famille à Paris. Voici comment il peint cet enlèvement forcé :

"Sous le prétexte de la rareté du pain & d'une prétendue orgie des Gardes-du-corps, des femmes & des brigands courent à Versailles, où la Milice Parisienne les suit les armes à la main. Les Gardes-du-Roi sont égorgés sous les yeux de leur Monarque, & jusque dans son palais. La Reine est obligée de s'enfuir de sa chambre pour échapper à la fureur de ces scélérats, & le Roi est forcé de se rendre à Paris avec sa famille". –

Nous allons citer une scène de ces brigands & de ces femmes à l'appui des réflexions de M. le Mounier. –

"Dimanche soir on a donné sur le Théâtre de Monsieur le Souper d'Henri IV. Les Dames de la Halle, & les brigands qui ont été chercher le Roi, ont été invités, & où ils ont occupé les premières loges. Dans l'entracte qui a précédé le souper du bon Henri, ces Dames & leurs Assesseurs se sont mis à chanter des chansons analogues aux circonstances ; toutes ces chansons, qui ont fait verser des larmes à plus d'un spectateur, étaient remarquables par une naïveté piquante ; & le nom de ce bon Roi que j'adorons, & que je sommes si heureux de posséder, était prononcé de la voix du cœur.

A l'instant où l'on allait lever la toile, une voix s'élève du milieu du parterre : "MM., dit-il, je vous supplie d'entendre ma motion, elle sera courte. "Le Roi est adoré de son bon Peuple de Paris ; il le sait : mais qu'il serait doux pour le cœur de ce Prince chéri, qu'il serait doux pour toute son auguste famille d'être témoins d'une scène aussi touchante. Je propose donc, qu'à l'instant même, une députation, présidée par M. le Gentilhomme de la Chambre, ici présent, se transporte au Château, & invite le Roi, la Reine, leurs chers Enfants à venir jouir du délire que l'idée seule de leurs personnes excite en ce moment.

Mille applaudissements, témoignages de la joie & de l'enthousiasme font retentir les voutes de la salle ; on n'avait que la force de crier oui ! oui ! & ce oui, pénétrait l'âme.

A l'instant un soldat de la Garde Nationale propose de voter des remerciements à l'auteur de la motion ; mais il est peu écouté. Un officier de la Cavalerie de la Garde Nationale observe, que sans doute la motion qu'on venait de faire honorait son auteur, mais que son avis était de ne point interrompre Sa Majesté ; en général il approuve le motif, mais il blâme une démarche qui pourrait gêner le Roi…… Le oui ! oui ! se répète avec une nouvelle ardeur ; on brûle que la députation soit partie ; on nomme l'auteur de la motion pour la présider avec le Gentilhomme de la Chambre. La députation part ; elle vole aux Tuileries ; les Dames de la halle y volent avec elle, le cœur palpitant de désir & d'amour. Elles ne chantaient plus, elles n'en avaient point la force. La députation revient au bout d'un quart d'heure (nous avons dit que l'amour lui avait donné des ailes) –

"Nos bons amis, nos chers amis, s'écrient ces braves femmes dès le vestibule, il ne peut pas venir, ce cher Roi de notre cœur ! Le digne homme est au conseil, il s'occupe de nous, de notre bonheur à tretous (tous). Je n'ons pas voulu le déranger. Not bonne Reine se divertit au jeu ; je n'ons pas voulu la déranger non plus ; faut bien qu'alle s'égaie un brin pendant que son honnête homme se casse la tête, & travaille pour son bon peuple…… L'enchantement était universel, & la plus délectable confusions dans ce spectacle…. Cependant la pièce se joue. Au moment du souper, nos dames s'élancent sur la scène & prennent part au festin : on leur présente des verres, ou plutôt elles boivent indifféremment dans ceux qui s'offrent à leurs mains. Santé chères à tous les Français, vous ne fûtes jamais portées avec plus de délices ! on baise le Roi Henri, on baise le père de Florence, & les cris de vive le Roi, avec le bruit des baisers, forment l'accord le plus harmonieux. Les cœurs se serrent, & des larmes coulent de tous les yeux…… O Louis XVI, pourquoi étais-tu au Conseil !...... Nos Dames, cependant, après avoir obéi aux mouvements du délire qui les commandait, remontent à leurs loges : la pièce s'achève, mais une nouvelle scène se prépare.

La toile allait tomber, lorsque le théâtre se remplit de nouveau ; la gaieté & la folie vont former d'autres tableaux. Ces Dames avaient chanté, elles avaient bu à la santé du Roi, elles l'avaient baisé dans l'acteur qui jouait Henri, elles veulent danser maintenant ; le coup d'archet part, & la plus auguste de ces Dames s'empare de l'acteur, dont le jeu les avait enchantées, & danse un menuet avec des grâces qu'on devine. Des quadrilles se forment, & les yeux se sont las que lorsque ces Dames n'ont plus la force de continuer leurs bonds bien supérieurs à ces pas que l'art a inventés pour Vestris. N'oublions pas d'ajouter un fait que nous n'avons omis que pour ne pas interrompre le fil de notre récit. – Un acteur s'est présenté, tenant un rouleau de papier à la main. Mesdames de la Halle ont demandé avec empressement qu'on leur déchiffra c'te lecture, & c'te lecture dégoisait c'te motion.

"Qu'une nouvelle députation se rendrait auprès du Roi, pour lui faire part des scènes intéressantes qui s'étaient passées, & qu'on inviterait Sa Majesté & son auguste famille à honorer de sa présence le théâtre de Monsieur, & que le jour qu'il lui plairait de choisir, on donnerait les mêmes pièces, & l'on inviterait les mêmes spectateurs ".

Provinces, que des écrits insidieux & coupables s'efforcent de tromper pour vous soulever contre une Capitale qui sollicite vos suffrages, et c'est ainsi que les Parisiens honorent un Roi digne de tous nos hommages. Telles sont les chaînes par lesquelles prétendent le retenir, les brigands & les femmes qui l'ont forcé, dit M. Le Mounier(1), à venir au milieu de nous.

Sans doute M. le Mounier a été trompé ; &, mieux instruit, il s'empressera de se rétracter.

Fenêtre sur le journal 




Voici également le texte de cette pièce, qui a tant enthousiasmé les Parisiens :


Post Scriptum :

    Hélas, comme vous le savez, le vent mauvais soufflera sur l'infortuné Louis XVI qui ne saura pas garder l'amour du peuple. Le temps n'est pas encore venu d'en parler, mais cette estampe de 1792, vous donne une idée. On y voit Henri IV s'exclamer devant Louis XVI devenu un cochon !




lundi 16 novembre 2020

16 Novembre 1789 : Encart publicitaire pour une estampe de Joseph de Longueil

"La correction maternelle" gravée par Longueil.

Vous avez dit estampes ? Il était temps !

    Et si nous parlions enfin d’estampes ? Puisqu’à l’origine, c’est la spécialité du citoyen Basset ! Vous allez voir qu'une fois de plus, en tirant le fil, ici un entrefilet dans un journal, nous allons de découvertes en découvertes.

    Histoire de me changer les idées, j’ai parcouru aujourd’hui les colonnes du N°320 du Journal de Paris, en date du 16 Novembre 1789.

    On y parle de choses sérieuses, bien entendu, comme de la météo, mais aussi de choses plus légères et aussi indispensables à la vie, comme les arts et les spectacles.

    Concernant la météo, vous remarquerez qu’à cette époque, elle était plus précise que de nos jours, car on de disait pas le temps qu’il allait faire, mais le temps qu’il avait fait. Raison pour laquelle en première page on donne le temps qu’il a fait le samedi 14 !

Joseph de Longueil

    Peu avant de lire "une lettre aux Auteurs du Journal", concernant la représentation au Théâtre Français de la Tragédie "Charles IX", de Marie-Joseph Chénier, (dont je vous ai parlé le 19 Août dernier), je suis tombé sur ce qui ressemblait bien à une sorte d’encart publicitaire. Celui-ci concerne la mise en vente d’une nouvelle série de gravures réalisées par Joseph de Longueil, d’après un dessin de Jean-Michel Moreau, dit Moreau le jeune. Son nom me disait quelque chose et j'ai fini par me souvenir que je possédais une belle estampe de ce graveur renommé. Je vais vous la présenter à la fin de cet article. N'hésitez pas à lire la bio de Joseph de Longueil sur Wikipedia, car c’était un homme peu ordinaire (il est mort de chagrin suite au décès de son épouse).


Voici la gravure évoquée par le Journal de Paris, suivie de sa présentation.

Fidélité héroïque à la bataille de Pavie

« Fidélité héroïque à la bataille de Pavie, Estampe gravée par de Longueil, Graveur du Roi, etc, d’après le dessin de J.M. Moreau, le jeune, Dessinateur & Graveur du Cabinet du Roi & de son Académie Royale de Peinture & Sculpture, etc ; dédiée à M. le Marquis de Molac, chef de nom & armes des Grands Sénéchaux, féodés héréditaires en Bretagne, Lieutenant-Général des Armées du Roi ; prix 3 livs A Paris, chez l’Auteur, rue du Coq St-Honoré.

Cette estampe intéressante par le sujet, est composée avec grâce & avec le mouvement qui convient à la scène, par M. Moreau, le jeune ; elle est bien gravée par M. de Longueil. L’un et l’autre Artiste y ont donné des preuves de leurs talents dès longtemps avantageusement connus. On lit au bas le détail suivant :

« Le 24 Février 1525, Jean, le Sénéchal, Seigneur de Molac & de Carcado, Capitaine de cent Hommes d’armes, Gentilhomme de François 1er, voyant qu’un arquebusier était prêt de tirer sur le Roi, se précipita au-devant du coup de feu & lui sauva le vie par le sacrifice de la sienne. »

Lien vers l'article

Une autre estampe de Longueil !

    J'ai le grand plaisir de vous présenter cette autre estampe gravée par Longueil, que j'ai la chance d'avoir chez moi et qui de plus, est en couleur.

    Le sujet choquera certaines âmes sensibles, puisque son titre est "La correction maternelle".

    La gravure est dédiée à Madame la Duchesse de Brancas. On y voit une maman regardant son petit garçon qu'elle s'apprête à corriger après que celui-ci ait renversé le réchaud rempli de braises sur lequel reposait un pot de lait (une vraiment très grosse bêtise !). Elle tient dans sa main gauche un petit fagot de quelques verges, visiblement destiné à fesser l'enfant. Le bambin supplie sa mère. Le regard de celle-ci n'exprimant aucune marque de colère, je ne suis pas certain que le gamin soit puni. On peut voir à côté de la mère et son enfant, une vieille dame filant son rouet.

    Cette gravure est la reproduction d'un tableau peint par Aubry, peintre du roi ; tableau se trouvant dans le cabinet du ministre le Baron de Breteuil. Elle est vendue à Paris chez Marel.

"La correction maternelle" gravée par Longueil


Les armes de la Duchesse

Ecu double timbré d’une couronne de duc posé sur un manteau de pair de France :
A dextre (droite) : D'azur, à un pal d'argent, chargé de trois tours de gueules, et accosté de quatre pattes de lion mouvantes des flancs de l'écu posées en chevron (Brancas) ; 
A senestre (gauche) : D'azur, à trois chevrons d'or, celui du chef brisé (Clermont-Gallerande) »


    Un dernier mot concernant Louise de Clermont-Gallerande, duchesse de Brancas, a qui était dédiée cette gravure. Je vous conseille de lire son intéressante biographie sur la page réalisée par un ou une bibliophile que vous découvrirez en cliquant sur le portrait de la duchesse, ci-dessous : 


16 novembre 1789 : M. La Poule dénonce l’exportation des grains en Suisse

Les mêmes causes provoquent les mêmes problèmes...

     Dans cet article nous allons parler de quelques inconvénients liés à une économie dérégulée, mais aussi du profit qu’il y a à dénoncer les fraudeurs fiscaux… 😉

    Alors messieurs les députés, on la régule ou on ne la régule pas l’économie ? L’Etat français a toujours balancé entre le colbertisme, c’est-à-dire la régulation par l’Etat du développement économique, et le libéralisme à l’anglosaxonne représenté au 18ème siècle par les physiocrates qui défendaient la totale liberté du commerce. Nous en avons déjà parlé dans quelques articles. (Tapez physiocrate ou Turgot dans la barre de recherche en haut à droite si vous souhaitez les retrouver). Il nous faudra en reparler d'ailleurs, car le sujet est plus compliqué qu'il n'y paraît. En attendant je vous renvoie à cet article sur l'inévitable Wikipedia : "Libéralisation du commerce des grains sous l'ancien régime".

    En 1789, tous les gens de pouvoir ou presque étaient physiocrate, y compris le roi. Les députés s’étaient donc empressés de voter la libre circulation des grains et la suppression des douanes intérieures, comme Choiseul l'avait déjà fait en 1763 (édit de 1764), puis Turgot en 1774 et comme Calonne avait de nouveau souhaité le faire en 1786.

    Mais bien sûr, comme il est d’usage, les mêmes causes produisent les mêmes effets si aucun nouveau paramètre n’intervient et des problèmes connus se reproduisent. Les grains se sont donc mis à voyager, parfois même protégés par la force armée, mais aussi à disparaître, stockés quelque part en attendant que les prix montent, voire à être détruits, pour être sûr que la rareté fasse monter les prix. Ils se sont mis à voyager d’une province à l’autre, au gré des besoins ou des prix, mais aussi parfois au-delà des frontières !


Monsieur La Poule montre les dents ! (Désolé)

Source : Ville de Besançon

    Monsieur La Poule, député de Besançon, est venu dénoncer ce jour à la barre de l’Assemblée ce scandale des grains voyageurs. Monsieur La Poule sait de quoi il parle puisque Besançon est à seulement quelques dizaines de lieues de la Suisse. Voyez ci-dessous cette belle carte de la Suisse ancienne, sur laquelle j’ai indiqué Besançon par un point rouge (à gauche, en bordure de la Saône).


Carte de la Suisse ancienne

Jean-Louis La Poule

Ecoutons Monsieur La Poule :

« Je dénonce à l'Assemblée nationale qu'il se fait une exportation considérable des grains de Franche-Comté pour la Suisse et que les Suisses donnent un sou de prime par setier. La ville de Besançon a envoyé des députés pour dénoncer cet abus et offrir un projet d'arrêté. »

L'arrêté ayant été lu a été mis aux voix et décrété ainsi qu'il suit :

L'Assemblée nationale, persistant dans ses décrets des 29 août, 18 septembre et 5 octobre dernier, concernant la libre circulation des grains et farines dans l'intérieur du royaume, et la défense d'en exporter hors du royaume, a décrété et décrète ;

Que dans les cas où il y aura lieu à la confiscation portée par l'article IV de son décret du 18 septembre, des grains et farines saisis en contravention, le produit de la confiscation appartiendra, pour les deux tiers, à ceux qui auront fait la saisie et la dénonciation, ou à ceux qui auront saisi et arrêté les grains et farines, s'il n'y a point de dénonciateur, les frais de saisie et vente prélevés ; le surplus sera appliqué au profit des hôpitaux ou des pauvres des lieux où la saisie aura été faite.

L'Assemblée a statué de plus que le Roi sera instamment supplié d'envoyer le présent décret à tous les tribunaux, municipalités et corps administratifs du royaume, pour être inscrit, publié et affiché, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour en assurer la pleine et entière exécution.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3835_t1_0069_0000_7

    Cette pratique des douanes de rémunérer ses informateurs, désignés sous le joli nom d’aviseurs, est une vieille coutume qui existe toujours, comme le rappel ce rapport de notre contemporaine Assemblée nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b1991_rapport-information

    Depuis 2017, cette rémunération des dénonciateurs a même été étendue à tous les « manquements graves » à la législation fiscale. Le décret n° 2017-601 du 21 avril 2017 fixait une période expérimentale de 2 ans. Le décret n° 2019-459 du 15 mai 2019 a supprimé la mention faisant référence à cette période expérimentale.

    Ne vous faites pas trop d’idées cependant. Car ce genre de dénonciation concerne plutôt les petites fraudes fiscales minables, ou celles, bien plus dangereuses (pour vous) du crime organisé. Elles sont sans effet sur les 118 milliards d’euros échappant au fisc français chaque année (estimation de 2015).

Source graphique



 

dimanche 15 novembre 2020

15 Novembre 1789 : La garde nationale du Mans refuse de prêter serment et demande la libération des meurtriers du comte de Montesson

 


    Le serment à prêter était celui exigé pour toutes les forces armées, dans le décret pour le rétablissement de la sécurité publique, publié le 10 août 1789. (Voir l’article du 10 août).

    Cette amorce de rébellion constitue l’une des suites de la tragique émeute qui avait eu lieu à Ballon, près du Mans le 23 Juillet dernier, en pleine "grande peur", au cours de laquelle le Comte de Montesson et Monsieur Cureau avaient été assassinés par la foule.

    Je vous en ai rendu compte dans un article publié en date du 23 juillet. Pour vous raconter l’événement de ce jour, je reprends la source que j’avais utilisée alors, c’est-à-dire le journal tenu par le chanoine René-Pierre Nepveu.

    Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder à son journal, qui, je vous préviens, est écrit dans le français du 18ème siècle.

    Contrairement à mon article du 23 juillet, j’ai actualisé un peu l’orthographe, afin de vous en faciliter la lecture.


Révolte de la Compagnie de Mr de la Borde et de Mr de Praslin

« Le 15 novembre 1789, Mr Le Boindre, Colonel en second, avait fait assembler toute la Milice Citoyenne pour prester serment. Ils étaient tous assemblés sur la place des Jacobins ; il faisait très mauvais. Quand Mr Le Boindre les vit tous assemblés, il leur dit qu’il les avait fait assembler pour prêter serment de fidélité au Roy, à la Loi et à la Nation. La plus grande partie y consentit, mais la compagnie de Mr de La Borde, qui est le quartier de Gourdaine, le Pré, St Germain, dit hautement : point de serment, nous demandons la sortie des gens de Ballon ! Mr Le Boindre leur parla sans en rien tirer ; on s’attroupa. Il y a eu une partie de la Compagnie de Mr de Praslin, qui est le quartier de St Benoist, St Jean et St Gilles, qui ne vaut pas mieux que les autres, qui firent la même chose. Ils ne voulurent donc point prêter le serment, mais encore ils demandaient qu’il n’y eût point de compagnie de cavalerie. Quand ils virent Mrs Du Comité qui venaient pour leur faire prêter le serment, ils voulaient tirer sur eux, et sans la pluie, il y aurait eu beaucoup de monde de tué. Ils en voulaient surtout à Mr Négrier de la Ferrière, le Maire, Mr le Procureur du Roy et Mr de Launay, avocat, comme Membres du Comité. Il y eût un homme de tué, qui n’était pas de la Milice ; c’était un pauvre tailleur, de Gourdaine, à qui l’on a rendu les honneurs de la Sépulture, comme à un soldat de la Milice Citoyenne. Cela fit beaucoup de bruit. Le Régiment de Chartres monta à cheval et tout fut bientôt dissipé.

Le lundi 16, on fit assembler la Milice Citoyenne pour prêter le serment qui n’avait pas eu lieu la veille, à cause de la révolte. A trois heures après midi, tout le monde était sur la place des Jacobins. Mr de la Gandie, Lieutenant-Colonel, avait fait monter à cheval le Régiment, et avait placé des piquets dans différents endroits aux environs de la place, avec défense de laisser passer aucune femme surtout. Tout se passa bien, mais il n’y avait qu’un fusilier de la Compagnie de Mr de la Borde, et il en manquait beaucoup de la Compagnie de Mr de Praslin. Tous ceux qui étaient présents, prêtèrent le serment ; les absents, très fâchés de n’avoir pas été du nombre de concitoyens, demandèrent à prêter le serment. On fit encore assembler une fois tout le monde, le jeudi matin. Ce fut ce jour-là où tout se passa dans la plus grande union et satisfaction. Mr Le Boindre leur fit donc encore prêter le serment par Compagnie ; cette cérémonie dura très longtemps, après quoi on fit le tour de la Ville, savoir : une Compagnie de Dragons à la tête de la marche, la Compagnie à cheval, celle d’artillerie, celle des Grenadiers, celle des chasseurs et pour fermer la marche, c’était le reste des Dragons. Tout le monde se retira très content. »


Le 3 décembre 1789, les assassins subiront leurs châtiments.

En voici le compte rendu donné par notre chanoine :

« Le jeudi 3 décembre 1789, il y a eu une exécution des assassins de Mrs Cureau et de Montesson; il y en a eu un de roué vif, un de pendu, un de marqué aux deux épaules et un aux galères perpétuelles. Il y en a encore plusieurs de décrétés qui pourront subir le même sort, si on les prend. Comme on craignait une révolte de la part de la paroisse de Ballon et autres voisines, il y avait un nombre de 50 personnes par chaque compagnie de la Milice Citoyenne, qui étaient autour de la place des Halles, et tout le Régiment de Chartres était distribué par piquets dans différents quartiers de la Ville et aux environs de la place. Le tout s’est passé sans aucun murmure ; les trois qui ont été punis le méritaient bien. Celui qui a été roué s’appelle Barbier ; il était déjà vieux, l’autre pendu et un qui a été marqué à trois lettres. » 

Supplice de la roue - 1633 - Dessin de Jacques Callot