lundi 14 décembre 2020

14 Décembre 1789 : Les Trois-Evêchés et plus particulièrement celui de Metz posent de nouveau un problème.

Cathédrale Saint-Etienne de Metz (en 1826)

Encore la ville de Metz ?!

    Souvenons-nous, le 3 novembre 1789, l’Assemblée nationale avait pris la décision de mettre en vacance les parlements, jusqu’à la mise en place des assemblées municipales et provinciales. (Voir l’article du 3 novembre 1789). Mais le 12 Novembre suivant, le parlement de Metz s’était permis de supposer que « le décret de l’Assemblée nationale du 3 Novembre, et la sanction de Sa Majesté, étaient dépourvus du caractère de liberté nécessaire pour rendre les lois obligatoires et n’avait pas craint de protester tant contre ledit décret que contre ladite sanction. »

    Les députés de l’Assemblée nationale s’étaient émus de cette réaction pour le moins négative, voire hostile. Mais dans leur grande bonté de révolutionnaires en dentelles, ils avaient généreusement octroyé leur pardon le 25 novembre au Parlement de Metz. Les Messins étaient, par l’histoire de leur ville, très attachés à leur parlement. Ils en avaient même demandé la conservation dans leurs cahiers de doléances. Mais de quels Messins parle-t-on ?...

    Il faut également savoir que depuis juin 89, le nouveau gouverneur de la ville était François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé, un ardent défenseur de la monarchie, qui de plus, était très attaché à Louis XVI. Ce Gouverneur particulièrement conservateur devait donc inspirer une certaine assurance aux notables siégeant au parlement de Metz.

François Claude Amour du Chariol, Marquis de Bouillé.

    Bouillé avait pris le poste de gouverneur des Trois-Évêchés, en remplacement du maréchal de Broglie, celui-là même qui avait été appelé par le roi pour prendre le commandement des troupes rassemblées secrètement autour de Versailles avant le 14 juillet pour mater les Parisiens...

    Ci-dessous, deux gravures représentant le Duc de Broglie : une avec le texte en Allemand et l'autre avec le texte en Latin.

  

Les Trois-Evêchés ?

    Les trois évêchés constituent un autre exemple de cette France mosaïque de l’Ancien régime. On oublie trop souvent que le royaume de France a résulté d’une conquête progressive des provinces limitrophes par les rois de France, petite France se réduisant approximativement à ce que l’on appelle de nos jours l’Île de France. Cette conquête dura des siècles et constitue l’histoire du pays. Il aurait suffi d’une ou deux défaites décisives et ce que nous appelons aujourd’hui la France, aurait pu être une partie du Royaume-Uni anglais, la Bourgogne ou le Saint Empire romain Germanique !

Je profite de cette introduction pour vous engager à lire l'indispensable ouvrage de l'Anglais Graham Robb, qui vous fera découvrir une histoire de France aussi surprenante que passionnante. Vous pouvez lire l'article que j'ai consacré à son livre en cliquant sur l'image ci-dessous :

Livre à lire absolument !

Trois "morceaux" du Saint Empire romain germanique"

    Les Trois-Evêchés furent précisément retranchés du Saint-Empire romain Germanique évoqué en introduction. Ce fut l'une des conséquences de la paix de Westphalie signée le 24 octobre 1648. Ils étaient constitués par les trois villes libres de MetzToul et Verdun, occupées en vertu du traité de Chambord (1552), et les biens temporels des évêques de Metz, Toul et Verdun, occupés en 1631-1632. Ils s'agrandirent ensuite du Luxembourg français, partie du duché de Luxembourg cédée à la France par le traité des Pyrénées (1659), puis d'un corridor, cédé à la France par le traité de Vincennes (1661).


Le "voyage en Allemagne" d'Henri II.

    Ce furent des princes Allemands en lutte contre l’empereur Charles Quint, qui en 1551, sollicitèrent le soutien financier et militaire du roi Henri II. Le traité de Chambord signé en 1552 prévoyait que le roi Henri II occuperait, pour des raisons stratégiques, en qualité de vicaire du Saint-Empire romain germanique, les villes de Metz, Toul et Verdun, « et autres villes de l’Empire ne parlant pas allemand ».

Le roi de France Henri II

    Henri II, intronisé pour l’occasion « défenseur des libertés germaniques », entreprit alors le « Voyage d’Allemagne ». Le jour des Rameaux 1552, les troupes françaises, sous les ordres du connétable Anne de Montmorency, arrivèrent sous les murs de Metz, et occupèrent par surprise les portes de la ville. Le 13 avril 1552, le roi se rendit en armes à Toul, où il fut reçu par l'évêque Toussaint de Hocédy, le maître échevin ayant, en signe de protestation, quitté sa ville. Le roi passa ensuite à Nancy, où il destitua arbitrairement la duchesse-régente et emmena en otage le petit duc Charles III, encore mineur, pour le faire élever à la cour de France. Henri II fit ensuite « sa joyeuse entrée » à Metz, le 18 avril 1552. La ville fut en fait soumise de force par les troupes d’Anne de Montmorency. 

Anne de Montmorency

    Le 22 avril, Henri II reprit sa route vers le Rhin, laissant à Metz 3400 hommes. Le mois de mai suivant, ne parvenant pas à s'emparer de Strasbourg, il finit par rebrousser chemin, occupa Verdun le 12 juin 1552, puis rentra en France.

Charles Quint

    Charles Quint décida alors de reprendre ses trois cités épiscopales et parti en guerre le 1er septembre 1552. Il commença par faire le siège de la cité de Metz, proche de ses possessions luxembourgeoises. Mais celle-ci, fortifiée et défendue par le duc de Guise, resta aux mains des troupes françaises après un siège mémorable. (Il est fort dommage que le général Bazaine, surnommé le traître de Metz, n’ait pas eu l’opiniâtreté du Duc de Guise, lorsqu’en octobre 1870, lui et son armée de 180.000 hommes se rendirent aux Prussiens sans combattre).

Siège de Metz

    Le Duc de Guise résista et Charles Quint finit par lever le siège le 2 janvier 1553 en renonçant à reprendre les autres évêchés.

François 1er de Lorraine, 2ème duc de Guise et 1er prince de Joinville.

    Dès lors les trois villes furent occupées en permanence chacune par une garnison française, même si l’empereur du Saint Empire romain germanique gardait officiellement sa souveraineté sur elles. Mais peu à peu, les anciens pouvoirs des villes issues du Saint-Empire furent remplacés par ceux mis en place par l’administration royale. En janvier 1663, sous l'impulsion de Richelieu, le parlement de Metz, fut créé et il devint le centre actif des progrès de l’autorité royale. L’édit de décembre 1633 supprima le sceau de la cité, l’aigle impérial aux ailes déployées, que Metz, Toul et Verdun, en qualité de villes impériales, avaient eu le droit de porter sur leurs armes. Mais "en même temps", la gabelle, impôt sur le sel, fut introduite au grand dam de la population. Devant la grogne des Messins, le Parlement fut prudemment transféré à Toul entre 1637 et 1658 et il fut remplacé à Metz par un intendant royal, aux pouvoirs étendus.

    En 1648, les traités de Westphalie entérinèrent la cession des Trois-Évêchés par l'Empire.

Metz, toujours une ville à part.

    Sachez que de nos jours l'évêque de Metz est nommé par le président de la République, comme autrefois par le roi, du fait que la ville est concernée par le régime concordataire d'Alsace-Moselle, du fait que ces deux régions étaient allemandes quand fut signée en 1905 la séparation entre l’Eglise et l’Etat.

Les Trois Evêchés refusent de payer Les impôts !

    Revenons à l'actualité de ce 14 décembre 1789, à l'Assemblée nationale constituante et lisons ci-dessous le mémoire des ministres du roi, adressé à ladite Assemblée :

M. le Président (Emmanuel Marie Michel Philippe Fréteau de Saint-Justfait donner lecture de la pièce suivante :

Fréteau de Saint-Just

Mémoire des ministres du Roi sur la non-exécution des décrets de l’Assemblée dans les Trois-Evêchés.

Par son décret du 23 septembre, l'Assemblée nationale a chargé les administrations provinciales, les juridictions et les municipalités de veiller aux moyens d'assurer le recouvrement des impositions ; et elle a supplié le Roi de donner les ordres les plus exprès pour le rétablissement des barrières et des employés, et le maintien de toutes les perceptions.

Les ministres du Roi se sont occupés du soin d'exécuter ce décret, et presque partout ils éprouvent des résistances, des obstacles, qui viennent à la fois de l'esprit d'insurrection auquel la multitude est généralement livrée, et de la timidité de ceux qui pourraient employer les moyens de la contenir.

Dans les Trois-Evêchés, les barrières ont été généralement détruites, et les employés obligés, par la crainte, à prendre la fuite. Quand on a voulu les rétablir dans leurs fonctions, il n'a été que trop facile de juger que les mêmes excès allaient se renouveler. Il fallait obtenir main-forte des milices nationales et des commandants des troupes ; la réquisition a été faite au président du comité municipal de la ville de Metz et aux maires des différentes villes de la province.

Le premier a répondu que la mission du comité était remplie par l'enregistrement des décrets de l'Assemblée nationale, et que ce n'était point à lui à rétablir les employés dans leurs fonctions.

Les autres n'ont pas fait un refus aussi formel ; mais ils s'excusent sous différents prétextes dont la véritable cause n'est autre que la crainte de donner une réquisition positive aux milices et aux troupes.

Alors le régisseur général, chargé du soin de cette opération, s'est adressé au parlement de Metz. Il a pensé qu'il en obtiendrait, pour tout le ressort, la réquisition de main-forte qu'il sollicitait, et le parlement a rendu un arrêt qui le renvoie aux municipalités pour en être fait droit. Ainsi l'assistance absolument nécessaire, et sans laquelle la perception ne se rétablit pas, est partout refusée.

Les ministres du Roi ont cru devoir donner connaissance de ces faits à l'Assemblée nationale, parce qu'ils arrêtent le recouvrement des droits du Roi dans une province entière ; ils pourraient réunir un grand nombre de faits particuliers, et dans la plupart des villes de France les mêmes inconvénients se font sentir.

L'Assemblée nationale en pèsera toute l'importance, et sa sagesse lui dictera sans doute les moyens d'y subvenir. Mais si les municipalités se refusent à seconder les mesures du gouvernement, si la crainte les arrête, si-la diversité des systèmes qu'elles adopteront forme un obstacle à l'unité du plan, et produit même entre elles une division funeste, le pouvoir exécutif sera réduit à l'impossibilité de veiller au maintien des décrets et au recouvrement si nécessaire des impôts.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4030_t1_0571_0000_5 

Deux petits rappels apportant un éclairage complémentaire :

Conservation d'une taxe détestée, la Gabelle

    Souvenons-nous que la conservation de la Gabelle avait déjà donné lieu à des troubles en Anjou le 24 octobre dernier. Lire cet article :"24 Octobre 1789, La conservation "provisoire" de la Gabelle, passe mal en Anjou ! Un mot sur l’affermage…"

Carte des gabelles en 1788

La destruction des barrières d'octroi.

    Le texte évoque le rétablissement des barrières. Il s’agit bien sûr des barrières d’octroi qui faisaient office de péages aux entrées des villes.

    Souvenons-nous qu'à partir du 12 juillet 1789 et plus particulièrement dans la nuit du 13 au 14 juillet, des Parisiens avaient incendié 40 octrois sur les 54 du mur des fermiers généraux qui entourait Paris. Les fermiers généraux étaient des banquiers qui proposaient au roi de faire rentrer une partie des contributions qu’ils percevaient sur l’entrée de chaque marchandise pénétrant dans Paris (une trentaine de millions dont ils reversaient la moitié au roi). Ce mur long de 24 km percé de portes faisant office de péages, avait été érigé à partir de 1785 (achevé en 1790). Il était particulièrement haï des Parisiens.

Lire mon article :"13 Juillet 1789, la journée où tout bascule"

Incendie de la barrière de la Conférence le 12 juillet 1789.

    Vous lirez presque partout que l’incendie des barrières fut une initiative du peuple en colère, voire de fraudeurs. Néanmoins, lorsque l’on s’intéresse dans le détail à la suite des événements qui eurent lieu du 12 au 14 juillet, on apprend que le soir du 13 juillet, ce furent les électeurs du Tiers Etat, (c'est-à-dire les bourgeois), qui après avoir distribué 12.000 fusils et de la poudre, constituèrent dès 21h00 une garde armée dont la première initiative fut de s’emparer de toutes les barrières et d’arrêter tous ceux qui voulaient sortir de Paris.

(Cinq cents pauvres gens, dont Babeuf, seront tout de même accusés de l’incendie des barrières des fermiers généraux et iront croupir en prison)


Etonnant non ?...


dimanche 13 décembre 2020

13 Décembre 1789 : Colson évoque le masque de fer

Gravure de 1789, représentant l'Homme au Masque de Fer.

Les archives de la Bastille ?

    J'aime bien vous rapporter des extraits de la correspondance de l'avocat parisien Adrien Joseph Colson, adressée régulièrement à son ami de Province. On y découvre les événements tels qu'ils ont été vécus ou compris par les gens du peuple. C'est parfois différent de ce que l'on peut lire dans les livres d'histoire. Ne serait-ce que parce que Colson rapporte également les rumeurs qui courent dans les rues de Paris, rumeurs souvent sans fondements, simple reflet qu'elles sont des fantasmes et peurs de l'époque. Souvent sans fondement, mais pas toujours...

Dans son courrier du dimanche 13 décembre 1789, Adrien-Joseph Colson évoque le Masque de fer. Lisons ensemble :

" (...) Depuis la prise de la Bastille j'ai ouï dire, Monsieur, que dans les papiers qu'on a trouvé dans cette forteresse on a eu l'éclaircissement que l'homme qui y a été longtemps détenu avec un masque de fer sur la figure était un fils naturel de Louis XIV et, je crois, de Madame de Lavallière, qui méritait la mort pour avoir donné un soufflet au grand dauphin. Mais Louis XIV qui l'aimait beaucoup, comme son fils, ne put se résoudre à lui laisser faire son procès et qu'il préféra de le faire enfermer toute sa vie avec le masque en question dans cette forteresse, et de faire courir le bruit qu'il avait été tué dans une bataille à laquelle il s'était réellement trouvé. Mais je ne sais si cette histoire se trouve confirmée (...)"

    De quels papiers peut-il s'agir ? Qu'a-t-on pu trouver à la Bastille qui apporta une clé à ce mystère qui passionnait nombre de gens à l'époque ? Le journal intime du malheureux ? Ou bien ne s'agit-il que d'un fantasme né de la démolition du cachot de ce célèbre prisonnier ?

L'homme au masque de fer.

L'énigme du masque de fer !

    L'homme au masque de fer, ou selon les versions, au masque de velours noir, a réellement existé. Le malheureux a plusieurs fois changé de prison, au gré des mutations de son geôlier personnel, le gouverneur de Saint-Mars. Après le Fort de Pignerol, ce sera le fort d’Exilles, puis le cachot du fort royal de l'île Sainte-Marguerite au large de Cannes. Enfin, en 1698, Monsieur de Saint-Mars et son prisonnier arriveront à la Bastille, dernière prison dans laquelle mourra en 1703 ce prisonnier mystérieux.

    C'est dans son ouvrage "le Siècle de Louis XIV", publié chez C. F. Henning, à Berlin, que le grand Voltaire évoqua pour la première fois l'énigme du masque de fer. Des rumeurs avaient déjà commencé à se répandre dès la fin du XVIIe siècle, alors que l’homme au masque était toujours en vie. À l’époque, on pensait notamment qu’il s’agissait du duc de Beaufort.

Cliquez pour accéder au livre

    La version rapportée par notre ami Colson est celle qui fut exposée en 1745, dans un ouvrage publié à Amsterdam, intitulé : "Mémoires secrets pour servir à l’histoire de Perse". L’auteur y développait une « satire des intrigues politiques et galantes de la cour de Louis XIV » ​(rebaptisé Cha-Abas), transposée en Orient. Publié anonymement, ce livre est attribué au diplomate Antoine Pecquet (1704-1762), connu pour son ouvrage publié en 1737 "Discours sur l'art de négocier".

    Ce livre révélait "un fait peu connu qui concerne le Prince Giafer"​. Pour avoir eu l’outrecuidance de donner un soufflet à son demi-frère le Dauphin (Séphi-Mirza), Giafer avait été envoyé dans l’armée, déclaré mort de la peste puis enfermé avec interdiction de communiquer avec quiconque ni de montrer son visage.

    Selon ces "mémoires secrets", l’homme au masque de fer aurait donc été le Prince Giafer ou plutôt le comte de Vermandois, fils de Cha-Abas (Louis XIV) et d’une "Indienne, sans beauté, grande et assez bien faite, mais que le Ciel avait bien dédommagée du côté de l’esprit et des sentiments"​, c'est-à-dire Louise de La Vallière. Cette identification était quelque peu étrange car ledit le comte était mort depuis vingt ans quand on enterra "l’homme au masque de fer".

Alexandre Dumas

    C'est Alexandre Dumas dans son roman "Le vicomte de Bragelonne" qui rendra populaire ce personnage mystérieux en imaginant qu'il s'agissait de Philippe, frère jumeau de Louis XIV, qui, né avant lui, aurait compromis la légitimité du Roi Soleil !

Le Masque de Fer sur les remparts de la forteresse de l'île de Sainte-Marguerite.
Illustration dans le journal "Les bons romans" publié le 8 août 1862

Un mystère comme on les aime !

    L'énigme du masque de fer à fait parler nombre d'historiens et de pseudos historiens ! Dans ma génération, qui ne se souvient pas du récit passionnant qu'en avait fait l'historien Alain Decaux à la télévision ?! Pour celles et ceux qui ne l'ont pas vu sur le petit écran, je vous la propose dans la fenêtre ci-dessous !

L'historien Alain Decaux vous raconte l'énigme du Masque de Fer !


Le Masque de fer au cinéma !

    Le cinéma ne pouvait pas manquer un personnage aussi romanesque ! Raison pour laquelle l'histoire du masque de fer fera l'objet de nombreuses adaptations au grand écran.

De grâce, faites-vous plaisir et regardez la bande annonce de ce délicieux film sorti en 1962 !

Qui était le masque de fer ?

Ah oui, J'allais oublier ce détail !

    Il semblerait que les historiens aient résolu au moins une partie de l'énigme, à savoir l'identité du quidam. Hélas ce n'est ni un prince ni un bel aventurier ! Il s'agirait d'un certain Eustache Dangers, valet de son état, qui aurait été arrêté à Calais début août 1669 et conduit jusqu’à Pignerol où il aurait été remis à Monsieur de Saint-Mars avec de curieuses instructions. Il lui aurait été dit : "Vous devez construire un cachot où personne ne pourra entendre ce que cet homme pourra dire ou crier, ne jamais écouter vous-même ce qu’il voudra vous dire en le menaçant de le faire mourir s’il ouvre la bouche". Il est aussi précisé qu’il "faudra préparer les meubles nécessaires à ce misérable mais que, comme ce n’est qu’un valet, il ne lui en faudra pas de considérables."

    Mais alors, pourquoi ces trente-quatre années de cachot ? Selon certains, le malheureux valet, proche de la cour du roi, aurait pu entendre des secrets d'état qui lui auraient valu cette terrible mise à l'écart. Au moment de son arrestation se tenaient des négociations extrêmement secrètes entre Louis XIV et Charles II d’Angleterre. On parlait, dans des correspondances chiffrées, du "grand secret". Il aurait été question que Charles II entrerait en guerre contre les Provinces Unies protestantes qui avaient arrêté Louis XIV dans sa conquête des Pays-Bas espagnols, en échange du soutien au roi d’Angleterre qui souhaitait se convertir au catholicisme. Ce qui était évidemment explosif dans l’Angleterre anglicane, protestante, de cette époque.

    Qu'importe que ce "grand secret" fût vrai. J'imagine difficilement qu'en cette époque de justice expéditive, on ait pris tant de soin pour faire taire de la sorte un simple valet, alors qu'il suffisait de lui couper la langue et de l'envoyer aux galères ! Louis XIV est connu pour sa cruauté envers ses ennemis (Ravage du Palatinat, Dragonnades, etc.). Cette histoire garde donc des pans de mystère...


samedi 12 décembre 2020

12 Décembre 1789 : Deux poids, deux mesures, pour ce f**** gueux de Besenval.

(Hommage à Roger Rabbit)

Le Tribunal du Chatelet "juge" Bezenval.

    Souvenez-vous ! Le baron suisse Pierre Victor de Besenval de Brünstatt a déjà été "sauvé" deux fois !

    Une première fois de la vindicte populaire, à la suite de son arrestation par les zélés miliciens de Villenauxe-la-Grande le 30 juillet dernier, où sont venus à son secours les bourgeois de la Commune de Paris, les députés de l'Assemblée nationale, le grand Necker et même par sa majesté Louis XVI qui l'a autorisé à s'exiler !!!

    Une seconde fois le 10 août lorsqu’il fut de nouveau arrêté par de mauvaises gens après avoir été reconnu près de Provins ! Son compatriote suisse, le grand Necker a de nouveau dû intervenir une nouvelle fois. Hélas, l’infortuné baron avait malgré tout été emprisonné un certain temps, au château de Brie-Comte-Robert avant d'être déféré devant le tribunal du Châtelet.

On l'accuse de presque rien.

    De quoi l’accuse-t-on ? Mais de trois fois rien ! Juste du crime de lèse nation ! On le soupçonne d'avoir voulu assiéger Paris et d'avoir médité l'incendie de la ville et le massacre de ses habitants ! Une bagatelle ! Qui a donné ces ordres ? Hum, hum… D’autres questions ? (Besenval avait reçu le 4 juillet l’ordre du roi de rassembler ses troupes sur Paris pour le 13 juillet.)

    Tout ce que l'on peut dire en faveur de M. de Besenval, c'est que, Suisse d'origine, il est depuis soixante ans au service du Roi et qu'il ne pouvait se supposer d'autres devoirs que celui d'obéir au Roi et à ses ministres. Il n’est d’ailleurs pas le seul à être accusé du crime de lèse nation, avec lui figurent depuis le 30 novembre sur le banc de l’indignité : Charles-Eugène de LorraineCharles Marie Auguste Joseph de Beaumont, comte d'AutichampVictor-François de BroglieCharles Louis François de Paule de Barentin garde des Sceaux et Louis Pierre de Chastenet de Puységur ministre de la Guerre, pour leurs agissements répressifs à l’égard des Parisiens révoltés en juillet 1789. 

Pauvre Favras !

    J’allais oublier le marquis de Favras ! Ce dernier sera d’ailleurs le seul à être condamné. Il sera pendu le 19 février 1790 en place de Grève à Paris. Le Marquis de Favras aurait d’ailleurs pu être sauvé s’il avait parlé, attendu que les complots dont on l’accusait avait été ourdis sous l’autorité du frère du roi, le comte de Provence et même de la reine. Mais son confesseur, l’abbé le Duc (fils naturel de Louis XV), lui aurait "conseillé" de se soumettre au sort qui lui est réservé au nom de la famille royale et de sa famille…

L'historien Albert Mathiez nous donne plus de détails :

"Quand le marquis de Favras, au mois de décembre 1789, avait comploté d'assassiner Bailly et Lafayette, d'enlever le roi, et qu’il avait été découvert par la trahison d'un de ses agents, Talon avait été chargé de l'instruction au Châtelet. Il avait rendu au roi et à Monsieur, à cette occasion, les services les plus signalés, il était intervenu auprès de l'accusé pour l'empêcher de mettre en cause les hauts personnages qui avaient encouragé et subventionné sa téméraire entreprise. Talon avait gardé secret le mémoire justificatif que Favras lui avait remis avant de marcher au supplice, mémoire dans lequel Favras affirmait qu'il n'avait fait qu'exécuter les ordres de Monsieur et de la Reine."

Le marquis de Favras, mort pour avoir obéi au roi.

    Le malheureux Favras fera donc diversion et les autres pourront discrètement s’éclipser.

Il y a la loi et l'ordre.

    Vous aurez compris qu’en ce mois de décembre le tribunal du Chatelet est quelque peu embarrassé par ce sacré suisse sur lequel la justice populaire a déjà deux fois fait main basse pour l’expédier en prison !

    Mais de quoi se mêle le Peuple ? Me direz-vous ! Peuple de Paris qui s’indigne vraiment de la facilité avec laquelle M. de Besenval se défend d'avoir concouru aux attentats qui manquèrent de terrasser les Parisiens la veille du 14 juillet.

    Entre Besenval, les témoins (presque tous à décharge), et les juges du Châtelet, on jurerait assister à une aimable partie jouée d’avance ! L'opinion publique n'est pas dupe de cette comédie et parfois le public murmure dans la salle. Hier, le président a dû donner lecture de la loi martiale pour faire taire les éventuels candidats à la contestation.

    On colporte, sur M. de Besenval, ce mot d'une femme du peuple : « Il faut que ce foutu gueux-là ait déjà été repris de justice. Voyez comme il se défend ? ! »

Et puis il y a l'ordre des choses...

    Ne vous inquiétez pas pour la justice, elle sera fidèle à elle-même en condamnant très sévèrement les émeutiers des 5 et 6 octobres qui ont ramené le roi à Paris, à la grande satisfaction des députés, et qui en récompense, croupissent dans les infâmes cachots du Chatelet.

Le grand Châtelet, réputé pour ses immondes cachots.



vendredi 11 décembre 2020

11 Décembre 1789 : Que faire en cas d’égalité des suffrages ? M. Regnaud à une idée.

M. Regnaud de Saint-Angely (sous la Révolution)
Voir en bas de page, le même sous l'Empire.

    L'historien Hippolyte Monin dans son « Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Révolution française », nous relate le fait suivant à la date du 11 décembre 1789 (page 388) :

M. Regnaud a fait adopter les articles suivants en matière d'élections :

" En cas d'égalité de suffrages entre deux concurrents, la préférence sera donnée à l'homme qui est ou a été marié, sur celui qui ne le sera pas. Entre les hommes mariés, elle sera donnée à celui qui a eu ou qui a le plus grand nombre d'enfants ; et enfin, s'ils ont ou ont eu un nombre égal d'enfants, elle sera donnée au plus âgé. "

Ce sont là des moyens, sinon de régénérer l'esprit de famille, du moins de l'honorer. Un curé avait proposé cet amendement : " En cas de concurrence entre un garçon et un homme marié, qui vivra séparé de sa femme, la préférence sera donnée au garçon. " Quoi donc ! Lui a- t-on fait observer, vous voudriez punir un honnête homme du malheur d'avoir une méchante femme ? ' En effet, le cas se présente. 

C'est aussi dans une vue d'éducation morale et politique que le comte de Mirabeau avait précédemment fait voter l'inscription civique des jeunes gens qui auraient atteint l'âge de vingt et un ans, afin de donner à leur adoption par la patrie ce caractère de solennité religieuse dont les anciens ont connu tout le prix. Ce serait une belle fête nationale que celle de la jeunesse. "

Source : « Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Révolution française » (page 388) : https://books.google.fr/books?id=qikvAAAAYAAJ&hl=fr&pg=PA388#v=onepage&q&f=false

    Le Regnaud dont il est question n'est autre que de Michel Louis Etienne Regnaud de Saint-Jean d'Angely, né à Saint-Fargeau, dans l’Yonne, Homme politique, avocat et journaliste. - Député aux États Généraux, conseiller et ministre d'État sous l'Empire, comte d'empire. - Membre de l'Académie française (élu en 1803 ; exclu en 1816) ; une belle carrière, s’il en est. D'aucuns l'ont même qualifié d'éminence grise de Napoléon.

En fait, la discussion a eu lieu le 8 décembre 1789

En vérité cette discussion a eu lieu lors de la séance du 8 décembre 1789, comme nous le rapporte le procès-verbal de l’Assemblée nationale. Lisons le P.V. :

Discussion sur les nouveaux articles sur les élections et l'organisation des municipalités, lors de la séance du 8 décembre 1789

M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angély. Je propose d'ajouter à cet article les deux conditions de préférence indiquées par M. le comte de Mirabeau et qui sont ainsi conçues :

« En cas d'égalité de suffrages entre concurrents, la préférence sera donnée à l'homme qui est ou qui a été marié, sur celui qui ne le serait pas ; entre les hommes mariés, à celui qui a ou qui a eu le plus grand nombre d'enfants, ou un nombre égal d'enfants, au plus âgé. »

M. de Montlosier, tout en approuvant les motifs qui ont dicté la proposition, déclare qu'elle est mesquine, qu'elle entre dans des détails trop minutieux et il conclut à la question préalable.

M. Prieur. La demande de la question préalable est inconcevable ; elle ne doit être réclamée ni sur un point de constitution, ni sur une loi morale. L'âge est une considération intéressante, mais il faut convenir que le père de famille mérite une distinction dans la société. Je réclame l'adoption d'une mesure dont les Romains, dans le bel âge, nous ont donné l'exemple.

M ; Target. On aurait pu accuser de mesquinerie l'édit de Louis XIV, qui n'avait que le défaut d'être appliqué dans des cas très-rares et de n'accorder qu'une mince pension ; mais le droit d'administrer son pays est assez précieux pour faire l'objet d'un décret.

M. Barnave. Il serait peu honorable pour cette Assemblée d'écarter une si belle motion par la question préalable ; on objecte qu'elle a trop peu d'importance dans son application et qu'elle est trop minutieuse pour la constitution ; il est inconcevable d'appeler minutieuse la prérogative d'administrer sa patrie. Consacrez le principe, il deviendra fécond en l'appliquant aux magistratures, aux municipalités, aux assemblées nationales. Cette préférence des pères de famille sera d'un emploi très-utile dans la régénération publique.

M. Dillon. Je propose de compléter l'article par l'amendement qui suit :

« Lorsque l'homme marié sera séparé juridiquement de son épouse, le célibataire sera préféré. »

Cet amendement a d'abord excité les applaudissements de toute l'Assemblée, tant à cause de sa singularité, que parce qu'il touchait directement quelques membres.

M. Prieur. Il est dans les principes de l'Assemblée de rendre les fautes personnelles. Il peut arriver que le caractère d'une femme ou sa mauvaise conduite force un mari à se séparer d'elle : à coup sûr, l'intention de l'Assemblée n'est pas de punir un homme d'avoir une mauvaise femme.

Divers membres parlent pour et contre l'amendement. L'Assemblée devient tumultueuse.

On réclame la question préalable. Elle est mise aux voix et adoptée.

On revient à l’article de M. le comte de Mirabeau.

La question préalable est mise aux voix et repoussée.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3980_t1_0426_0000_5


M. Regnaud de Saint-Angely (sous l'Empire)



jeudi 10 décembre 2020

10 Décembre 1789 : On commence à parler du fameux livre rouge et des pensions versées par le roi.

 

Le livre rouge, objet d'un futur scandale.

Le livre rouge...

    Aujourd’hui, nous découvrons en lisant le procès-verbal de ce qui a été discuté à l’Assemblée nationale constituante, que des interrogations ont été formulées au sujet de la parution de l'état des pensions et des livres rouges des départements. Nous allons voir dans de prochains articles que les discussions vont aller crescendo à propos du fameux livre rouge, à savoir le livre comptable détaillant la liste des pensions versées par le roi. Compte tenu de son contenu, il aurait été sage de la part de Louis XVI qu'il le fit disparaître disparaitre. Mais pour une raison inconnue (faiblesse ou ruse ?), il n'en fera rien et les conséquences seront gravissimes.

Déjà évoqué le 26 novembre précédent.

    Le sujet avait déjà été évoqué lors de la séance du 26 novembre dernier. Certains ayant trouvé des erreurs dans l’état imprimé desdites pensions.

    Il avait alors été fait lecture d'une lettre du prince de Salm-Kyrbourg, qui se plaignait d'être compris dans l'état imprimé des pensions pour une somme de 20.000 livres dont le prince justifiait avoir fait abandon le 18 septembre 1787, par une lettre par lui écrite à Sa Majesté, et par la réponse de M. L'archevêque de Toulouse, en date du 12 décembre de cette année.

(Le prince de Salm-Kyrbourg, né à Limbourg (Allemagne) en 1745, s’était installé en 1751 avec sa famille à Paris et avait été nommé maréchal de camps en 1788. Le prince se rallia à la révolution, ce qui ne l’empêcha pas malgré tout d’être condamné comme aristocrate à l'échafaud en 1794.)


    M. le maréchal de Castries avait réclamé aussi contre l'état des pensions, dans lequel il était compris pour 27.104 livres, alors qu'il ne jouissait réellement que de celle de 20.000 livres, réduite à 18.000 livres, qui lui a été donnée pour sa retraite du ministère ; parce qu'il avait remis celle de 7.104 livres, dont il jouissait précédemment, lorsqu'il avait été pourvu du gouvernement de Flandre.

Charles Eugène Gabriel de La Croix de Catries

    M. le baron d'Harambure, membre du comité des finances, avait alors répondu que les brevets de pensions, fournis par M. Dufresne (directeur du Trésor royal), avaient été dépouillés avec la plus grande exactitude ; que l'état en avait été mis sous les yeux de M. Dufresne, qui l'avait déclaré conforme à la vérité.

Louis-François-Alexandre d'Harambure

    Je vous invite à découvrir la biographie du Baron d’Harambure sur Wikipédia. Vous aurez la surprise d’y apprendre que non seulement il soutint la Révolution du 10 août 1792 et devint un ardent républicain, mais que, accusé à comparaitre devant le "terriblissime" tribunal révolutionnaire, il fut acquitté solennellement à l’unanimité !

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3901_t1_0262_0000_4

Découvrons le nouvel échange qui s’est tenu ce 10 décembre, à propos des pensions versées et des livres rouges :

M. Lemercier. L'imprimeur de l'Assemblée a reçu depuis plus d'un mois la seconde section de l'état des pensions, je demande quel est le motif qui l'empêche de faire paraître cet état.

M. Camus. L'Assemblée devrait être renseignée également sur les démarches qui ont été faites relativement aux livres rouges de divers départements.

M. Lebrun. MM. de Lablache et Perrier sont chargés de cet objet, et mettront incessamment le comité des finances à même de répondre à ce sujet à l'Assemblée.

M. le marquis d'Ambly. Je fais la motion de décréter que toutes les pensions non mentionnées dans la liste soient censées supprimées.

M. le comté Charles de Lameth. Nous ne conserverons sur l'état des dépenses à faire annuellement que celles qui auront été examinées et jugées indispensables. Il est inutile de dire que ce qui ne sera pas connu ne sera pas payé ; nous aurions l'air d'être disposés à laisser aux ministres le droit de faire des dépenses secrètes et non autorisées.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3997_t1_0493_0000_6

Une vidéo !

    Nous reparlerons bientôt du fameux livre rouge des comptes de la France. Mais en attendons, je vends un peu la mèche (spoil alert!), en vous proposant d'en apprendre plus avec cette vidéo que j'ai trouvé sur le site L'HISTOIRE PAR L'IMAGE :

Cliquez sur l'image pour accéder au site.

    Mais pourquoi ? Pourquoi Louis XVI acceptera-t-il que ce livre soit publié ? Souhaitait-il vraiment que la Révolution aille encore plus loin ???