Affichage des articles dont le libellé est Juillet. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Juillet. Afficher tous les articles

jeudi 16 juillet 2020

16 Juillet 1789 : Le retour de Necker (et de la dette)

Tout ça pour ça ?

    Vous l’avez compris à la lecture des dernières publications, tous les événements qui se sont produits depuis le 12 juillet ont résulté du renvoi par sa majesté le roi Louis XVI de son ministre Jacques Necker, le banquier suisse et protestant. 

    Souvenez-vous de la panique qui avait saisi les agents de change à Paris le 12 juillet 1789, quand ils avaient appris le renvoi de Necker. A l’idée d’une banqueroute, ils avaient même fermé la Bourse et l’agitation révolutionnaire à Paris était alors montée d’un degré, le dernier avant l’explosion.

    Necker avait la confiance du Tiers Etat, c’était un homme intelligent, empreint des idées nouvelles du siècle des Lumières et il avait su jusqu’à présent éviter la faillite financière du royaume. Sa méthode pour éviter la banqueroute, avait été une politique d’emprunts, plutôt qu’une augmentation des impôts.

    On peut aisément comprendre que cette politique fut populaire. Le peuple était reconnaissant envers Necker de ses réformes et les banquiers étaient ravis de prêter à l’Etat français. Necker était d’ailleurs si confiant dans sa politique que sa propre banque prêtait de l’argent à la France, avec de réjouissants taux d’intérêts à 14% !...

La dette...

Necker présenté comme un joueur de bonneteau
Necker présenté comme
un joueur de bonneteau

    Le souci, avec cette politique d’emprunts, c’était vous l’aurez compris, que la dette de la France augmentait chaque année de plus en plus. En 1788 le budget de l’état présentait un déficit de 162 millions de livres (471.6 millions de revenus, contre 633.1 millions de dépenses). 

    Le 16 août 1788, la monarchie avait même dû suspendre ses paiements et le roi avait dû se résoudre à convoquer les états généraux, puisqu’aucune réforme n’avait pu aboutir lors des Assemblées des Notables de 1787 et 1788. À cette date, le déficit budgétaire était évalué à 2 milliards !

    Ce déficit venait de la somme des emprunts contractés par l’État depuis les années 1760. De plus, le royaume de France payait des taux d’intérêt presque deux fois supérieurs à ceux de sa rivale, l’Angleterre.

    Aucun ministre n’avait jamais réussi à réformer le système de financement de l’état, tant les structures de l’ancien régime étaient figées. Les parlements, aux mains de la noblesse et du haut clergé, s’y étaient toujours opposés. Quoi de plus normal puisque la noblesse et le clergé, à savoir les 2% les plus riches du pays, ne payaient pas d’impôts.

Dette de 1788 en millions de Livres

    Ne voyez pas malice à ce que je dis (du moins pas totalement). Cette situation correspondait à ce que l’on pourrait appeler « le contrat social de l’ancien régime ». Celui-ci faisait que les nobles ne payaient d’impôts parce qu’ils donnaient leur sang à la guerre et que le clergé n’en payait pas non plus parce qu’il avait la charge de s’occuper des faibles et des malheureux. Mais hélas, aussi bien la noblesse que le clergé, avaient un peu oublié ce qu’ils devaient au royaume.


    La dette de la France était colossale, mais n’en déduisez pas que le pays était pauvre, même si la majorité de sa population l’était. La France était l’un des plus riches royaumes d’Europe. La richesse était bien là, mais inégalement répartie et surtout mal gérée. (Toute comparaison avec la situation présente de notre pays n’a pas lieu d’être évoquée ici)....

    Le jeudi 16 Juillet 1789, Louis XVI doit donc se résoudre à rappeler Monsieur Necker. Celui-ci prend alors le titre de Premier ministre des finances. Dans le lien ci-dessous, je vous donne à lire cet échange entre les députés Barnave et Mirabeau à l’Assemblée Nationale, à propos de la légitimité pour celle-ci de refuser ou rappeler un ministre du roi.

Monsieur Necker redemandé par le Tiers Etat
Monsieur Necker redemandé par le Tiers Etat

    Le mariage d’amour entre Monsieur Necker et l’Assemblée Nationale Constituante ne durera pas longtemps. Très rapidement Necker s’opposera à l’Assemblée et tout particulièrement en bouillant Mirabeau. Les députés refusèrent les propositions financières de Necker. Celles-ci reposaient sur ses méthodes traditionnelles d’anticipations et d’emprunts, qui étaient causes de la dette grandissante. Les temps avaient changé. L’irréformable ancien régime agonisait de sa belle mort. Le nouveau pouvoir montant, celui issu du Tiers Etat, était plus ouvert aux réformes et il savait combien le pays était riche et surtout où trouver l’argent.

    La bourgeoisie était progressiste, mais pas au point d’augmenter les impôts qu’elle devait elle-même payer ! Raison pour laquelle, ces esprits éclairés, tous un peu voltairiens, voire même pour certains, athées, commencèrent peu à peu à se tourner vers le richissime clergé...

    L’Eglise possédait un quart de Paris et un dixième à peu près du territoire national, ce qui représentait 3 à 3,5 milliards de l’époque. Elle percevait de plus, 150 millions de rentes annuelles !

    Bien que Protestant, Necker s’opposera à la confiscation des biens du clergé et au financement du déficit par l’émission d’assignats.

    Les constituants n’avaient rien inventé. Ils s’inspiraient grandement des réformes réalisées dans son Empire, par Joseph II, le propre frère de la reine Marie Antoinette. Ce despote éclairé dont le mot d’ordre était « Tout pour le peuple ; rien par le peuple », avait soumis totalement l’Eglise à son autorité, fait prêter au évêques un serment qui les soumettaient à l’Etat, ordonné la fermeture de monastères jugés inutiles dont les biens avaient été transférés aux paroisses et tout plein d’autres réformes qui auraient fait défaillir un Chouan portant le Sacré Cœur...

    Je sens que j’en ai étonné quelques-uns. Vérifiez, je n’invente rien, cela s’appelle le Joséphisme.

    Je vous étonnerai encore bien plus, mais un peu plus tard, on vous parlant du très réformateur Louis XVI...

    Vous vous doutez bien que ceux qui pensaient que la Révolution allait s’arrêter le lendemain du 14 Juillet, étaient peut-être quelque peu optimistes. Le propre frère du roi, le comte d'Artois, ainsi que le prince de Condé, l’avaient bien compris, puisqu’ils décidèrent de prendre le chemin de l’exil.

Les premiers fuyards de la Révolution française

Source :Barnave et Mirabeau - Débat sur la responsabilité ministérielle :
http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/barnave-et-mirabeau-16-juillet-1789

Post Scriptum :

La dette ? Une invention géniale !

    Il faut savoir que cette idée des emprunts entraînant une dette colossale est toujours de mode, puisque les impôts des riches sont sans cesse diminués et que l'Etat finance sa politique par l'intermédiaire d'emprunts sur les marchés financiers ; Marchés financiers qui en retour imposent leurs doctrines économiques aux états par l'intermédiaire d'agences de cotations qui punissent les états récalcitrants en abaissant leurs notes, ce qui a pour effet d'élever les taux d'emprunts des malheureux états qui voudraient faire du social. (Les prélèvements imposés aux revenus les plus modestes n'ont pas vraiment un gros effet sur le financement de la politique publique). Plus d'infos sur mon article : "Quel pouvoir avons-nous ?".

   




16 juillet 1789 : Fuite du comte d’Artois, prince contre-révolutionnaire et futur Charles X

Les premiers fuyards de la Cour : 1 Mme de Polignac, 2 le comte d'Artois,
3 le prince de Condé, 4 le Baron de Breteuil, 5 le prince de Lambesc

Le premier à fuir la France

Charles-Philippe comte d'Artois

    Ce jeudi 16 juillet 1789, Charles-Philippe de France, comte d’Artois (futur Charles X), prend la fuite. Frère cadet de Louis XVI et du comte de Provence (futur Louis XVIII), il est l’un des tout premiers grands nobles à émigrer hors de France. Il sera suivi le lendemain par le Prince de Condé.

    Le comte d’Artois représente la faction réactionnaire de la cour. Lors de l’Assemblée des Notables il s’était opposé au projet fiscal de réduction des privilèges sociaux de l’Église et de la Noblesse. Lors des États Généraux, il s’est opposé au Tiers État en s’opposant à toute initiative d’accroitre son droit de vote. En liaison avec le très réactionnaire baron de Breteuil, il a œuvré pour le renvoi de Necker.

    Les idées du comte d’Artois sont plus facile à définir que celles de son obscure grand frère Louis XVI. C’est un royaliste « ultra », un personnage à l’image de la noblesse de l’ancien régime. Le comte d’Artois coûte très cher au budget de l’État : ses menus plaisirs (2 400 000 francs), ses achats de domaines et de propriétés (7 231 372 livres), ses écuries (1 million de livres), ses vêtements et ses dettes représentent un important coût dans le trésor de cette France dont le déficit abyssal la fait courir à sa perte.


    D’Artois est un ardent défenseur de la monarchie et toute sa vie il agira de sorte à la rétablir. Il ne cessera de solliciter toutes les cours d’Europe pour organiser la contre-révolution. Il conduira avec son frère Provence l’armée des Princes qui envahira la France en 1792, qui se signalera par ses ravages et ses massacres. Mais celle-ci sera stoppée à Valmy et devra reculer. D’Artois fera également partie de flotte de 60 navires engagée par l’Angleterre pour envahir la Vendée en 1793 ; L’Angleterre ayant demandé en contrepartie de son aide les cinq comptoirs français aux Indes, ainsi que Saint-Domingue. Arrêtée par l’intense canonnade de la petite garnison républicaine du général Cambray, la flotte anglaise renoncera à aborder à Noirmoutier, se rabattra  sur l’Ile d’Yeu, sera la proie des marées et tempêtes, puis de la faim sur ses navires, jusqu’à ce que le gouvernement anglais ordonne son retour. Il restera en exile en Angleterre jusqu’à la première Restauration. Il se signalera alors en signant avec un empressement critiqué la convention d’armistice du 23 avril 1814, condamnée par son frère Louis XVIII parce qu’elle faisait perdre à la France toutes les places conquises depuis 1792. Figure de proue des « ultras », c’est-à-dire, les royalistes les plus ardents, D’Artois s’opposera à la politique de pardon et d’oubli prônée par son frère Louis XVII. Lors du retour de Napoléon pendant les 100 jours, il tentera en vain d’organiser une résistance à l’Empereur. Mais ses troupes envoyées contre Napoléon préférèrent fraterniser avec l’ennemi, contraignant ainsi D’Artois à fuir. Lors de la Seconde Restauration, D’Artois agira de nouveau contre son frère Louis XVIII en devenant le meneur de l’opposition ultraroyaliste à la politique modérée de celui-ci.

Enfin roi !

Charles X

    D’Artois deviendra finalement le roi Charles X à l’âge de 67 ans, suite à la mort de son frère Louis XVIII alors âgé de 69 ans. Son règne sera marqué par sa volonté d’un retour à l’ancien régime. Il s’aliénera une partie de l'opinion par la loi sur le sacrilège, l'octroi d'indemnités aux émigrés spoliés par la vente des biens nationaux (loi dite du « milliard des émigrés »), le licenciement de la garde nationale, perçue comme hostile au régime de la Restauration, le rétablissement de la censure (1825-1827) et le projet de rétablissement du droit d'aînesse, resté sans suite. Il promulguera finalement les « ordonnances de Saint-Cloud » pour dissoudre les chambres, convoquer les collèges électoraux en changeant de mode d'élection, et suspendre la liberté de la presse (25 juillet 1830). Cette dernière action provoquera le soulèvement des Trois Glorieuses (27 au 29 juillet), a Révolution de 1830 qui mettra fin à son règne.

Les Trois Glorieuses

"La Liberté guidant le Peuple" œuvre d'Eugène Delacroix
peinte pour célébrer la Révolution de 1830
.

Post Scriptum : 
    Le règne de Charles X sera également marqué par sa décision de conquérir l'Algérie. Je vous parlerai des raisons de cette décision dans un article en date du 7 août 1789 et je pense que vous serez très très étonnés !





mercredi 15 juillet 2020

15 Juillet 1789 : Discours de l’impétueux Mirabeau puis du mystérieux Louis XVI

L'un est malin, l'autre pas, devinez lequel...

Le réveil de Louis XVI

    Ce matin du 15 juillet, averti des événements de la veille durant la nuit par son ami le Duc de Liancourt, (Une révolte ? Non, Sire, une révolution !), Louis XVI décide de suivre le conseil de son ami et de se rendre à l’Assemblée.

Liancourt avertissant Louis XVI

    Concernant le conseil donné au roi durant la nuit, on peut lire dans CourcellesHistoire généalogique et héraldique des pairs de France, tome VIII, p.  64-66 :

« Ce conseil, dont les suites étaient au-dessus de toutes prévisions, fut adopté par le roi. L'enthousiasme que la présence de ce prince infortuné excita dans la capitale, acquit au duc de Liancourt une popularité à laquelle il était loin d'aspirer, et qui nécessairement devait motiver l'éloignement de ceux des conseillers du prince qui s'étaient opposés à ce voyage. Désormais désigné dans l'opinion comme l'un des appuis des prétentions populaires, le duc de Liancourt, dont le zèle et l'attachement pour le roi ne s'étaient jamais démentis, donna l'exemple d'un rare dévouement en servant la monarchie dans les rangs de ceux mêmes qui se proposaient de la renverser. »

Louis XVI

Les députés de l'Assemblée nationale sont inquiets.

    L’Assemblée, de son côté, avait repris séance et on ignorait tout des nouvelles dispositions inspirées au roi, aussi, voulait-on lui envoyer une dernière députation de vingt-quatre personnes, pour lui porter les vœux de l’Assemblée. Dans cette députation, figurait d’ailleurs le Duc de Liancourt, ami fidèle du Roi et occasionnellement président de ladite Assemblée.

François Alexandre Frédéric de La Rochefoucauld, duc de Liancourt

Mirabeau au meilleur de sa forme.

Avant que ces députés ne quittent l’Assemblée, Mirabeau les arrêtent et s’écrie :

« Eh bien ! Dites au Roi que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortation, et leurs présents ; dites-lui que toutes cette nuit ces satellites étrangers, gorgés d’or et de vin, ont prédit dans leurs chants impies l’asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l’Assemblée nationale ; dites-lui que, dans son palais même, des courtisans ont même leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut l’avant-scène de la Saint-Barthélemy.

Dites-lui que ce Henri dont l’univers bénit la mémoire, celui de ses aïeux qu’il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris révolté qu’il assiégeait en personne, et que ses conseillers féroces font rebrousser les farines que le commerce apporte dans Paris fidèle et affamé. »

Mirabeau

    Monsieur le Marquis de Lafayette, vice-président, est chargé de présider la députation. L’Assemblée déclare qu’elle se repose entièrement sur lui du soin d’exprimer à Sa Majesté tous les sentiments de douleur et d’inquiétude dont tous ses membres sont pénétrés.

    Les membres de la députation se disposaient à sortir, lorsque Monsieur de Liancourt demande la parole. Il dit qu’il est autorisé à annoncer à l’Assemblée que le roi, de son propre mouvement, s’est déterminé à venir au milieu des représentants de la nation, et que Monsieur le Grand Maître des cérémonies va paraitre pour l’annoncer officiellement. A ces paroles de Monsieur de Liancourt, la majeure partie de l’Assemblée fait retentir la salle d’applaudissements réitérés.

Mirabeau s’exclame :

"Attendez que le Roi nous ai fait connaître les bonnes dispositions qu’on nous annonce de sa part ; qu’un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans ce moment de douleur… Le silence du peuple est la leçon des rois."

On suspend toute délibération. La députation reste dans la salle.

    Quelques minutes plus tard, parait le roi à l’entrée de la salle, sans gardes, accompagné de ses deux frères. Il fait quelques pas dans la salle ; debout, en face de l’Assemblée, il prononce d’une voix ferme et assurée, le discours suivant :

« Messieurs, je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l’Etat. Il n’en est pas de plus instante, et qui affecte plus sensiblement mon cœur, que les désordres affreux qui règnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au milieu de ses représentants leur témoigner sa peine, et les inviter à trouver les moyens de ramener l’ordre et le calme. Je sais qu’on a osé publier que vos personnes n’étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de vous rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d’avance par mon caractère connu ? Eh bien ! C’est moi, qui ne suis qu’un avec ma maison, c’est moi qui me fie à vous ! Aidez-moi, dans cette circonstance, à assurer le salut de l’Etat ; je l’attends de l’Assemblée nationale ; le zèle des représentants de mon peuple, réunis pour le salut commun, m’en est un sûr garant, et comptant sur la fidélité de mes sujets, j’ai donné l’ordre aux troupes de s’éloigner de Paris et de Versailles. Je vous autorise, et je vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale. »

    Bien sûr, le discours du Roi fut interrompu à diverses reprises par les applaudissements les plus vifs.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4674_t2_0236_0000_10


Le mystérieux Louis XVI

    Louis XVI ne cesse d’être un mystère pour moi. Certains ont voulu le faire passer pour un benêt seulement préoccupé de chasse et de messes et manipulé par son entourage. Mais est-ce bien le même homme, qui la veille au soir, dans son journal, a écrit « Rien » et qui ce soir du 15 juillet, écrira juste « séance à la Salle des Etats et retour à pied » ? 

Extraits du journal de Louis XVI

    Ce discours, qui sonne ma foi fort juste et qui sait charmer les députés, est-il de lui, ou de son ami Liancourt ?

« On a osé publier que vos personnes n’étaient pas en sûreté », dit-il, mais qui est ce "on" ? Et quel est ce roi qui ignore qui est ce "on" ?

    En toute modestie, l'avantage de ne pas être totalement de parti-pris (même si je suis de sensibilité républicaine), me permet d'être sensible à certains détails concernant Louis XVI, qui me le font considérer sous un nouvel angle. Je vous en parlerai un peu plus tard... 😉

(Si vous êtes pressés d'en savoir plus, lisez mon article du 12 octobre 1789. Vous serez surpris.)


    


15 Juillet 1789 : Lafayette est nommé commandant de la Garde Nationale, Bailly est élu Maire et Louis XVI joue double jeu...

Article mis à jour le 25/07/2023. 

Louis le faux...

    Louis XVI s'est rendu en personne à l'Assemblée nationale pour annoncer aux députés le renvoi des troupes stationnant autour de Paris (Lire l'article). 
    Mais son ralliement n'est qu'apparent ; il a rédigé secrètement une protestation déclarant nuls et non avenus tous les actes auxquels il pourra sembler consentir désormais. Voir dans l'article du 12 Octobre 1789, la lettre qu'il rédigera secrètement à l'attention de son cousin le roi d’Espagne Charles IV dans laquelle il tiendra le même propos. 
    Il faudra encore beaucoup de "maladresses" de ce genre avant que les Français ne comprennent la véritable nature de ce roi bien aimé en 1789, amis qu'ils surnommeront Louis le faux en 1791.

Estampe de 1791, après la fuite du roi.

Bailly est "élu" maire de Paris

    Jean-Sylvain Bailly, mathématicien et astronome, est élu maire de Paris par l’acclamation d’une assemblée improvisée d’électeurs des soixante districts parisiens et de quelques députés de l’Assemblée nationale. Il remplace Jacques de Flesselles, le prévôt des marchands qui a été assassiné la veille. Du fait de cette nouvelle fonction de maire, il devient le chef de la première Commune de Paris. Celle-ci met à sa disposition un hôtel particulier, sis aux numéros 8 à 12 de la rue Neuve des Capucines.
"Election" de Bailly

Dédicace "A un peuple libre", Bailly et Louis XVI


La Fayette devient commandant.

    La Fayette est nommé commandant de la milice bourgeoise constituée le 13 juillet par le Comité permanent de l'Hôtel de Ville composé des 307 grands électeurs. Cette milice prend le nom de Garde Nationale parisienne.

    En réaction aux émeutes de la faim qui ont lieu partout dans le royaume, des comités permanents vont se former peu à peu dans d'autres villes (Lyon et Rennes, le 16 juillet), qui créeront de semblables milices bourgeoises pour rétablir l'ordre et préserver les biens.

    Ces milices sont dites bourgeoises car leurs membres sont issus de la bourgeoisie. Ce ne sera que lorsque les armées étrangères seront aux portes de Paris en 1792, que le Garde Nationale s'ouvrira au peuple. 

    Seul un bourgeois pouvait d'ailleurs se payer la tenue nécessaire pour entrer dans la Garde nationale. Un uniforme coûtait 117 Livres, auxquelles il fallait ajouter 66 Livres pour l'équipement suivant :

  • 1 chemise de toile,
  • 2 cols en basin blanc
  • 1 col noir
  • 1 mouchoir en coton
  • 1 paire de bas
  • 3 paires de guêtres
  • 1 cocarde
  • 2 paires de souliers de cuir à boucles
  • 1 tire-bouton
  • 1 épinglette
  • 1 havresac en peau de veau
  • 1 boucle de col
  • 1 tournevis
  • 1 sac de toile.

    Pour mémoire, 1 Livre valait 20 sous (ou sols) et 20 sous était le montant du salaire journalier d'un ouvrier parisien (un artisan pouvait gagner jusqu'à 50 sous).

    L'uniforme et son équipement valait donc 243 Livres, soit 243 journées de travail d'un ouvrier.

    En cliquant sur l'image ci-dessous, vous accéderez à un article intéressant sur la Garde nationale. Mais bien sûr nous serons amenés bien souvent à évoquer la Garde Nationale.


Le duumvirat "Bailly - La Fayette"

    Bailly et La Fayette vont constituer un duumvirat tout puissant à Paris durant les deux années qui suivront. Ils feront l'objet de nombreuses critiques dont nous parlerons bientôt.

Bailly La Fayette, l'homme à deux têtes.


          




15 Juillet 1789 : Les patriotes parisiens regroupent les canons sur la butte Montmartre

Montmartre, 15 juillet 1789.

    La Bastille est tombée, mais pas l’effervescence révolutionnaire ! L’incertitude règne. Souvenons-nous que de nombreux régiments campent autour de Paris et que la rumeur court toujours, de leur possible intervention contre les Parisiens. Raison pour laquelle lesdits Parisiens regroupent tous les canons positionnés à Paris, sur la butte Montmartre. Le graveur Jean-Louis Prieur a représenté cet événement important.

Source image : Musée Carnavalet

    Les Communards auront le même réflexe en mars 1871, afin de protéger la Commune de la république versaillaise de Thiers. Mais il s'agit là d'une autre Révolution...

Montmartre, mars 1871.
Source photo : Commune 1871.


  
  

mardi 14 juillet 2020

14 Juillet 1789, la date vous dit quelque chose ?

 Article mis à jour le 14 juillet 2023

Prise de la Bastille, gravée par Le Campion.
(En vente chez Basset)
Source : Musée Carnavalet

Que s'est-il vraiment passé le mardi 14 juillet 1789 ?

    En toute honnêteté, il est vraiment impossible de faire un récit circonstancié des événements de cette journée du mardi 14 juillet 1789. Plus on consulte de sources et plus on a de versions différentes ; Tout comme avec les témoignages dans une enquête policière. L'enquête est d'ailleurs la signification du mot grec Ἱστορία / Historía, donné à son œuvre par Hérodote, le tout premier historien. 

    Ce qui fait souvent le succès d'un historien, tout comme d'ailleurs celui d'un personnage historique, c'est sa capacité à faire le récit (je n'ai pas dit une fable), d'une série d'événements improbables jaillissant du chaos de la vie ; l'esprit humain ayant un besoin inné de donner du sens à tout, y compris à ce qui n'en a pas (Tolstoï parle de cela mieux que moi).

    Vous vous poserez donc inévitablement quelques questions en découvrant certains détails du compte rendu que j'ai essayé de faire de cette journée historique. Ce sera là le signe de mon honnêteté envers vous 😊. (Lire également mon article :"L'histoire, la vérité, le bien, le mal et toutes ces sortes de choses très relatives")

    Alors, allons-y ! Sus à la Bastille ! Attaquons-nous au récit de cet événement fondateur qui étonna le monde !

Abbildung der Einnahme von der Bastille
(Illustration de la prise de la Bastille)

L'émeute de trop ? 

    L'historien Hyppolite Taine a méticuleusement compté qu'il y avait eu 300 émeutes en France depuis le début de l'année 1789, avant la prise de la Bastille ! (Taine, Révolution, t. I, ch. I.). Pire ! Plus de 900 émeutes ont été dénombrées à travers tout le pays depuis 1786 ! Emeutes frumentaires, il faut le préciser. C'est-à-dire des émeutes provoquées par le manque de pain et la faim.

    La prise de la Bastille est-elle une émeute spontanée qui aurait pris un tour imprévu ? Ou bien est-ce un peu plus compliqué que ça ? Si vous avez lu l'article concernant la journée du 13 juillet, je gage que vous vous posez déjà quelques questions.

    En effet, vous avez vu agir ou réagir des populations bien diverses : le petit peuple de Paris qui souffre de la faim et cherche partout de la farine ou du pain, provoquant çà et là émeutes et pillages ; les petits bourgeois et les grands bourgeois électeurs du Tiers Etat, qui s’inquiètent des revirements du roi, de l’agitation du peuple et du renvoi du populaire ministre Necker ; la noblesse qui prend peur et recommande au roi la sévérité ; les troupes amenées sur Paris qui agissent dans le désordre et refusent d’obéir pour certaines ; et puis dans l’ombre, tout un petit monde qui s’agite et complote, tant du côté de la cour, que de celui du Tiers état. 

    Au matin de ce mardi 14 juillet 1789, s'élèvent encore dans le ciel les fumées des incendies des 40 barrières de l’octroi (péages des fermiers généraux) qui ont été incendiés durant la nuit (lire l'article du 13 juillet). C’est un événement considérable que cette révolte contre ces péages qui taxaient toute marchandise pénétrant dans Paris.

    Dans les faits, la Révolution a plutôt commencé le 12 juillet 1789, du moins pour ce qui concerne les actes "violents". Mais c’est la prise de la Bastille qui a le plus marqué les esprits, probablement en raison du récit que les historiens (et les politiques) en ont fait, le fameux récit national, la jolie légende dorée qui contribue à cimenter le contrat social... 

    A noter que durant la nuit du 13 au 14 ont déjà eu lieu quelques échanges de coups de fusils devant a forteresse.

    La Bastille était la suite logique des événements de la veille, puisque l'on avait appris qu'elle abritait une réserve de poudre noire et des fusils.

Vue de la Bastille et de la porte Saint-Antoine en 1749

Inquiétude et sombres préparatifs à Versailles

    A Versailles, l’Assemblée nationale a repris ses travaux sur le projet de constitution, mais l’inquiétude grandit. 

    La matinée passe. On apprend que le roi aurait l’intention de partir dans la nuit et que l’Assemblée va être livrée à plusieurs régiments étrangers.

    On a vu les princes, la duchesse de Polignac et la reine, se promenant à l’Orangerie, flattant les officiers et les soldats, et leurs faisant distribuer des rafraichissements.

    Il se dit qu’un grand dessein a été conçu pour la nuit prochaine ; que Paris devrait être attaqué sur sept points, le Palais-Royal encerclé, l’Assemblée dissoute, et qu’enfin, il devrait être pourvu aux besoins du Trésor par la banqueroute et les billets d’Etat. 

Château de Versailles, côté cour.

    Adolphe Thiers, dans son histoire de la Révolution française, précise dans son récit des événements qu’il est certain que les commandants des troupes avaient reçu l’ordre de s’avancer du 14 au 15, que les billets d’Etat avaient été fabriqués, que les casernes des Suisses étaient pleines de munitions, et que le gouverneur de la Bastille avait déménagé, ne laissant dans la place que quelques meubles indispensables.

    Le Tiers état, du petit peuple aux grands bourgeois, craignait donc à juste raison, un coup de force de Versailles.

Ne pas oublier la nuit du 13 au 14 juillet !

    Dans la nuit du 13 au 14, on nous dit que le petit peuple de Paris a incendié 40 octrois sur les 54 du mur des fermiers généraux qui entourait Paris. Les fermiers généraux étaient des banquiers qui proposaient au roi de faire rentrer une partie des contributions qu’ils percevaient sur l’entrée de chaque marchandise pénétrant dans Paris (une trentaine de millions dont ils reversaient la moitié au roi). Ce mur long de 24 km percé de portes faisant office de péages, avait été érigé à partir de 1785 (achevé en 1790). Il était particulièrement haï des Parisiens.

Prises des barrières du 12 au 13 juillet 1789

Lire également cet article :"La Révolution aux barrières : l’incendie des barrières de l’octroi à Paris en juillet 1789"

    Cet assaut est souvent oublié, voire minimisé par les historiens, au détriment de la prise de la Bastille le lendemain. Mais il est le premier acte vraiment révolutionnaire des Parisiens.

   Certains disent qu’il fut organisé par des fraudeurs. D’autres expliquent que, curieusement, la prise du mur fut la première action opérée par la milice bourgeoise dès sa première garde à 21h00(Etonnant, non ?)


Cliquez sur l'image

Ce matin du 14 juillet, les Parisiens se préparent de nouveau à agir.

    A noter qu'en ce mardi 14 juillet 1789, le prix d’un pain permettant de nourrir une petite famille a atteint 14 sous et demi, alors que le salaire d’un journalier est de 15 à 20 sous...



La rue Saint-Antoine, le matin du 14 Juillet 1789
A droite, l'église Saint-Paul, au loin, la Bastille.

La rue Saint Antoine au même endroit en 2019...

    A Paris, dans la matinée, une foule de 8.000 à 10.000 personnes, conduite par l’abbé Lefebvre (*), s’est rendu aux Invalides pour prendre les armes qui y sont conservées, plus de 30,000 fusils et quelques 24 canons. Le marquis de Sombreuil qui dirige les Invalides cède à la foule qui enlève les canons et une grande quantité de fusils.

(*) L'Abbé Lefèvre ou le boucher Legendre ? Wikipédia nous dit que ce fut Legendre le 13 juillet, mais cette estampe d'époque valide la date du 14 juillet. J'incline plutôt sur l'abbé Lefèvre...

 

    Les troupes de Besenval, (impliqué dans l'incident dramatiques des Tuileries le 12 juillet), qui étaient stationnées tout près de là sur le Champs de Mars, n’interviennent pas. C’est pour le moins étonnant. Est-ce que parce que l’heure n’est pas encore venue d’intervenir ? Est-ce parce que, comme certains historiens le disent, elles ont été achetées ? Peut-être par le Duc d’Orléans, ou par l’un des banquiers du Tiers Etat dont nous avons parlé hier ? De nombreux soldats d’origine étrangère, des mercenaires Allemands et Suisses commencent même à déserter l’armée du roi.


Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt

    Un comité insurrectionnel constitué de bourgeois du Tiers état, est installé au Palais-Royal. Rappelons que le Palais-Royal, ce point de ralliement de tous les contestataires, appartient au Duc d'Orléans dont l'ombre plane sur tous les événements.


Gouache de Claude Cholat, qui participa à la prise de la Bastille.

Le siège de la Bastille.

    Une rumeur dit que la Bastille renferme de la poudre. Les Parisiens se rendent alors en masse vers la forteresse. Celle-ci est commandée par le gouverneur de Launay qui dispose d’une faible garnison de 32 soldats suisses du régiment Salis-Samade de 82 gardes des invalides et de 30 canons.

Le Marquis Bernard-René Jourdan De Launay

    Le député d’un district obtient l’autorisation d’entrer dans la forteresse pour parlementer. Il reçoit la parole de la garnison de ne pas faire feu si elle n’est pas attaquée.

    Pendant les pourparlers, la foule assemblée aux pieds des murailles commence à s’agiter, du fait de la trop longue absence de son député. Au point que celui-ci est obligé de se montrer pour l’apaiser. Il finit par quitter la forteresse à 11h du matin.

Le brave Stanislas Marie Maillard
allant chercher la proposition des assiégés

    Notre ami l'avocat Colson, dont nous avons déjà parlé ces derniers jours, nous donne une version très différente dans le courrier adressé le 19 juillet suivant à son ami de province :

« La foule se présente à la Bastille et fait avertir le gouverneur qu'elle désire des fusils, celui-ci répond qu'il consent de les lui remettre et lorsqu'elle se présente pour aller les chercher, il fait baisser le pont-levis et fait arborer le pavillon blanc sur son rempart en signe de sentiments pacifiques. Mais dès qu'elle entre, il fait relever le pont-levis et fait tirer sur la foule. »

 Mais l'Histoire n’a pas retenu cette version. Pourquoi ?...

Gravure de Jean-François Janinet (1790)

Source gravure ci-dessus : Musée Carnavalet

    Du haut des remparts de la Bastille, la confiance des assiégés est si grande que l'un de ceux qui servent le canon, montre ses fesses nues à deux reprises. Il sera pendu à un réverbère après la prise de la Bastille.

Les assiégeants décident d’aller chercher des canons à l'hôtel de ville...

"Prise de la Bastille par les bourgeois et les
braves gardes françaises de la bonne ville de Paris."

Attaque du premier pont-levis.

Un renfort inattendu...?

    C’est alors qu'arrivent en renfort, deux colonnes organisées comme des troupes régulières, l’une dirigée par le sergent des gardes suisses Pierre-Augustin Hulin (28 ans d’armée) et comprenant une soixantaine de gardes françaises, l’autre par le sous-lieutenant Elie du Régiment de la Reine (22ans de service). Elles commencent aussitôt une attaque en règle.

Ci-dessous, Hulin, qui deviendra comte sous l'empire et Jacques Jacob Elie.

 

    Cela fait déjà plusieurs fois depuis le mois de juin 1789, que l’on observe des soldats du régiment des Gardes Françaises, intervenir du côté du peuple. Est-ce spontané ? Préparé ? En tout cas, cela semble n'étonner personne...

    A noter que le dénommé Pierre Augustin Hulin, (encore un Suisse), qui conduit les Gardes françaises, est tout de même un personnage un peu trouble, qui se trouve être en relation avec le banquier suisse Perrégaux dont nous parlions hier. Etonnant, non ?

    Hulin fera même don par la suite à Louis XVI, d’un morceau de pierre de la Bastille, afin de lui montrer que ce n’était pas contre lui, mais au nom de l’idéal du bon roi, qu’il avait fait chuter la prison d’État. Ben voyons...

Pierre de la Bastille offerte par Hulin à Louis XVI


Le pavillon du régiment des Gardes Françaises

Les gardes françaises (Reconstituteurs)

    
    On trouvera tout de même parmi les assaillants de la Bastille, des gens moins "troubles", comme le boucher Louis Legendre et l'abbé Claude Fauchet qui deviendront des révolutionnaires plutôt honorables par la suite. (Je parle de cet abbé dans l'article du 6 décembre 1789).

 


Concours de circonstances favorables

    Il semble que le peuple en colère bénéficie vraiment en ce jour mémorable, d’un concours de circonstances on ne peut plus favorables !

    Voici à présent qu’un ingénieur se trouve également là (comme par hasard) et propose son aide pour le siège de la forteresse ! Il conseille d’abattre une petite maison accolée à Bastille, qui gêne les opérations. Comme il est impossible aux assiégés de pointer leur canon vers le pied du rempart, il conseille aux assiégeants d'y placer le leur. Il les engage alors à creuser afin de redresser le fût de leur canon. Il faut presque le pointer à la verticale. Lorsque le canon est bien orienté, ledit ingénieur indique aux assiégeants qu’ils peuvent faire feu. Les premiers coups de ce canon portent sur le canon des assiégés et le rendent inopérant.

    Colson rapporte dans son courrier décrivant les événements qu'un autre coup de canon, adroit ou heureux rompit la chaîne du pont-levis, lequel, par cette fracture, s'abaissa.

Le gouverneur De Launay s'impatiente.

    Pendant ce temps-là, à l’hôtel de ville, on a intercepté un billet du Baron de Besenval,  lieutenant des gardes Suisses, adressé à De Launay, le commandant de la Bastille. Il l’engage à résister, lui assurant qu’il sera bientôt secouru, ce qui confirme les rumeurs d’un coup préparé par la Cour, pour la nuit prochaine.

    Colson rapporte que Jacques de Flesselles, le prévôt des Marchands aurait demandé à De Launay de prolonger le siège, dans l'attente d'un renfort de 20.000 soldats qui arriverait durant la nuit par un sous-terrain venant du Donjon du château de Vincennes !

Jacques de Flesselles

    Constatant que les secours n'arriveront pas à temps, De Launay veut faire sauter la place, mais la garnison d’y oppose et l’oblige à se rendre. Un pont est alors abaissé par lequel la foule se précipite (voir plus haut l'incident de la chaîne !).

    Les gardes suisses parviennent à s’échapper et les gardes des invalides sont protégés de la fureur de la foule par les gardes françaises.

Prise rapide.

    En tout et pour tout, le siège de cette forteresse « imprenable » sur laquelle Charles VII puis Henri IV s'étaient cassés les dents, n'aura duré deux heures et demie selon les uns, trois heures ou quatre heures selon les autres. La Bastille fut donc prise très rapidement, surtout à coup de canons.

    Notons tout de même, que ni Charles VII ni Henri IV ne disposaient des canons de l'ingénieur Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval qui firent "merveilles" ensuite, sur les champs de batailles de la Révolution et de l'Empire.


Siège de la Bastille prise en 2 heures et demie

Prise en 4 heures selon cette estampe.

Prise en 3 heures selon celle-ci.

Premier bilan.

    Le peuple s'empare de la Bastille qui détenait bien un stock de 250 barils de poudre que l'ancien colonel d'artillerie Edmé Antoine du Puget d'Orval, Lieutenant du Roi et adjoint du gouverneur De Launay, avait fait transférer récemment. A noter que ce Pierre-François de Rivière du Puget sera le seul rescapé de l'état-major de la Bastille. Je vous engage à lire cet article sur la vie de cet homme étonnant : Un geôlier réformateur.

Libération des prisonniers de la Bastille

    La Bastille renfermait également sept prisonniers : 4 faussaires, un libertin, le comte de Solages, et 2 fous, Whyte et Tavernier. Les Solages étaient une grande famille d’entrepreneurs des mines de Carmaux. Ce Solage était suspecté de meurtre, et sa famille avaient prié le roi de l’enfermer à la Bastille pour lui éviter la pendaison ou la décapitation. 

    Parmi les assaillants, 96 seront tués et 60 seront blessés.

Monument en mémoire des morts pour la Bastille.


Exécutions du gouverneur de la Bastille et du prévôt des marchands.

Bernard-René Jourdan De Launay

Colson nous rapporte ainsi la mort du Gouverneur (Dans son courrier du 19 juillet 1789)

La Marquis Delaunay
conduit à la Ville
"Lorsque les assiégés étaient en train de mettre bas les armes, le garde française qui avait pénétré le premier dans le fort est monté seul dans une tour ou le gouverneur, le lâche et indigne gouverneur monsieur Delaunay s'était retiré et, prenant cet indigne officier par le collet, il l'a fait descendre et l'a conduit à l'Assemblée des électeurs à l'Hôtel de Ville. Là, cet officier a été obligé d'avouer sa perfidie, ses lâches cruautés, et a accusé le prévôt des marchands d'avoir été d'intelligence avec lui et de lui avoir écrit que, s'il pouvait soutenir le siège jusqu'à la nuit, cette résistance sauverait la Bastille et qu'elle donnerait les moyens de faire entrer une armée dans Paris pour le subjuguer. Quand l'Assemblée des électeurs a eu suffisamment interrogé le gouverneur, elle lui a déclaré qu'elle ne pouvait prendre sur elle de le sauver et de le mettre en liberté, et qu'elle le laissait au peuple pour en ordonner ce qu'il jugerait à propos. Le peuple, le voyant rendu entre ses mains, n'avait pas la patience qu'il fut descendu en place de Grève pour satisfaire sa vengeance : il le meurtrissait de mille coups. Enfin, l'ayant étendu à terre d'un coup de crosse de fusil à la poitrine, quelqu'un lui coupa la tête."


Arrestation du gouverneur De Launay
Arrestation du Gouverneur de Launay
(Tableau de Jean-Baptiste Lallemand)

Jacques de Flesselles

    Peu de temps après l'exécution du Gouverneur De Launay, le Prévôt des Marchands, Jacques de Flesselles est lui aussi assassiné dans les mêmes conditions atroces.

    Une version raconte qu'il a été abattu quai Pelletier, d’un coup de pistolet tiré par un inconnu sorti de la foule. Il venait, nous dit-on, de quitter l’Hôtel de Ville sans être inquiété, pour aller à la rencontre d’un envoyé du comité insurrectionnel.


    Colson nous donne une tout autre version. Il nous dit que "la populace était devenue furieuse" en apprenant que De Launay avait accusé Flesselles de complicité et qu'elle "emmena Flesselles en Grève pour satisfaire sa vengeance, en l'accablant de reproches et d'injures". Puis, "quelqu'un l'ayant tiré par derrière par les épaules et lui ayant donné un coup de genou, l'étendit à terre, et un autre lui tira un coup de pistolet à l'oreille".

   Jacques de Flesselles avait été nommé la veille par acclamation, président de comité permanent qui venait d'être établi. Mais il s’était rendu impopulaire, après avoir plusieurs fois trompé les Parisiens. Il avait fait distribuer des cartouches mouillées qui ne prenaient pas bien. Il avait envoyé chercher des munitions où il savait qu'il n'y en avait pas et quand il envoyait où il y avait, ils donnaient des clés qui n'ouvraient pas !

    On prétendit avoir trouvé sur le gouverneur de la Bastille, une lettre de Flesselles dans laquelle il lui disait : « Tenez bon, tandis que j’amuse les Parisiens avec des cocardes. »

Massacre de Jacques de Flesselles
(Tableau de Jean-Baptiste Lallemand)


Jourdan "coupe-tête"

    Concernant cette odieuse décapitation du gouverneur De Launay, il semble que la responsabilité en revienne à un certain Mathieu Jouve Jourdan, un cabaretier, que l'on retrouvera le 22 juillet perpétrer le même acte horrible. Il sera bientôt surnommé "Jourdan Coupe-Tête". Selon certains historiens, ce monstre aurait été un homme de main du Duc d'Orléans. Etonnant, non ?

L'immonde Jourdan coupe-tête représenté sur une gouache de Lesueur.
Combien de psychopathes comme lui ont sali des révolutions de leurs crimes ?


Paris en état de siège

    Donnons une dernière fois pour aujourd'hui la parole à Adrien-Joseph Colson, notre témoin contemporain, l'avocat au barreau de Paris qui relate les faits à son ami de Province, dans son courrier du 19 juillet 1789. Il y relate d'autres faits s'étant déroulés le même jour dans Paris :

"Cette journée glorieuse devait bien rabattre de l'espérance et de la joie qu'avaient les aristocrates du soulèvement du peuple, et leur faire craindre qu'il tournât contre eux. Mais comme ceux de Versailles n'étaient pas instruits de la réduction de la Bastille, on jugea qu'ils pourraient venir former une attaque la nuit suivante. L'on se crut même instruit que monsieur le comte d'Artois devait venir avec une armée attaquer à la porte Saint Martin. Sur cette nouvelle on illumina toutes les rues pour découvrir les surprises en cas qu'on en voulut tenter. On s'empara des hauteurs de Montmartre et on les garnit de canons dont en partie celui qu'on venait de prendre à la Bastille. Il courut avec beaucoup d'intrépidité et d'empressement plus de 20.000 hommes à la porte Saint-Martin. L'on y conduisit également du canon, et l'on barra les rues avec des tombereaux remplis de terre. On barra aussi quelques autres rues avec des tonneaux et l'on poussa des patrouilles à 3 ou 4 lieues loin de tous les côtés, à la découverte. Les patrouilles vinrent faire leurs rapports à une heure après minuit qu'elles n'avaient rien découvert, ce qui fit juger que les commandants des troupes, ayant enfin appris que la Bastille était prise, et n'ayant plus de secours à attendre par les souterrains de cette forteresse ni à se retirer sous son canon au cas qu'ils fussent obligés de plier, avaient renoncé à leur entreprise."

Porte Saint Martin


Démolir la Bastille au plus vite

    La Bastille, placée sous le commandement d'un électeur de Paris, le citoyen Prosper Soulès, sera aussitôt vouée à une "démolition sans délai" confiée au patriote Palloy, un entrepreneur fortuné du faubourg Saint-Antoine. 


Pierre-François Palloy, dit le patriote.

    Celui-ci invitera quelques personnalités, La Fayette, Mirabeau, Beaumarchais, l'archevêque de Paris, aux premiers coups de pioches. De même que lors de la démolition du mur de Berlin 200 ans plus tard, il sera fait un commerce des pierres de la Bastille dont certaines seront même montées en bijoux.


Une des reproductions de la Bastille, réalisée dans une pierre de la Bastille,
envoyée par Palloy aux ministres, aux 83 départements, 
à Louis XVI et même à des personnalités étrangères, comme Washington.

Gouache de Lesueur d'une maquette de la Bastille portée en procession civique.


Gouache de Lesueur, représentant quelques individus
 du millier de démolisseurs de ce chantier qui dura 2 ans.

Démolition de la Bastille
Démolition de la Bastille, dessinée le 12 Août 1789

Démolition de la Bastille
Démolition de la Bastille

La milice bourgeoise est officialisée.

    L’Assemblée nationale fut informée dans la nuit, par les électeurs du Tiers état de Paris, que la Bastille avait été prise, et la séance fut suspendue.

    Pendant ces événements, à Versailles, le député Bancal des Issarts (futur Girondin), était monté à la tribune pour féliciter le comité permanent constitué la veille à Paris et il avait déclaré : « Il n’y a que la milice bourgeoise qui puisse nous sauver ! ».

    Ladite milice (déjà projetée le 10 juillet) sera officiellement créée le lendemain 15 juillet. Il s'agira réellement d'une milice bourgeoise, car La Fayette décidera que ne pourront entrer dans la garde nationale que ceux qui seront capable de se payer un uniforme dont le coût s’élève à 4 Louis, soit plus de 240 sous, sachant qu'un pain nourrissant une famille pour une journée coûtait 14 sous et que le salaire moyen d'un journalier en juillet 1789 se situait entre 15 et 20 sous.

    Il faut savoir également que dès le lendemain, des patrouilles civiques se répandront dans Paris pour tenter de reprendre à la populace les fusils qui avaient été soit saisis dans les arsenaux, soit généreusement distribués par les bourgeois. Ces fusils seront même rachetés jusqu’à 4 ou 5 Livres, c’est-à-dire de quoi vivre plusieurs jours. 

Serez-vous étonnés d'apprendre que tous les fusils ne seront pas rendus ?

Le fusil d'infanterie de l'ingénieur Gribeauval, modèle 1777.


Petit aparté

    Vous trouverez de nombreux récits de la prise de la Bastille. Je vous en propose d'ailleurs un en bas de cette page. N’oubliez pas que beaucoup ont été écrits après que la révolution fut terminée et surtout vaincue pour ne pas dire reniée...

    Le brave banquier suisse, un peu comploteur, qui a contribué à armer des Parisiens affamés, Jean-Fredéric Perregaux, repose au Panthéon en toute discrétion.

    L’homme de main, Pierre Augustin Hulin, bénéficie d'une page élogieuse sur Wikipedia et sur le site de la Ville de Paris.

Médaillon représentant Hulin, gravé par David.

    De nombreux ouvrages et sites web pleurent sur la mort du gouverneur De Launay et beaucoup plus encore maudissent la violence du peuple. (Lire cet article sur la violence révolutionnaire).

    Le peuple ? Vraiment ? Est-ce vraiment le peuple qui est à l'origine de tout cela ? Qui a remis le gouverneur De Launay entre les mains du peuple ? Qui a payé les soldats ? Qui a distribué des armes les 13 et 14 Juillets ?

    Les gens du Peuple n'étaient-ils pas que de malheureux pions, sur l’échiquier de cette partie qui se jouait entre un pouvoir naissant et un pouvoir finissant ?

    Tout le monde a oublié jusqu’aux noms des 96 (ou 98) pions tués et 73 (ou 60) blessés ce jour-là, certains étaient là uniquement parce qu’ils avaient faim. N'oublions pas les autres pions de l'échiquier, les défenseurs de la Bastille, 107 prisonniers et 7 tués.

    Je ne juge pas. C'est ainsi que fonctionne l'humanité...


Epidémie de bastilles

    Sachez que des prises de Bastilles, il va y en avoir dans tout le pays dans les jours qui vont suivre dès que la nouvelle sera connue, et que bientôt commencera « La Grande Peur ». La peur de quoi ? la peur de qui ? A suivre...


Quelques estampes.


"Récit mémorable du siège de la Bastille"
(A Orléans, chez Letourmi)
Estampe "Adieu Bastille"
"Adieu Bastille"


"Le réveil du Tiers état."

"Destruction de la Bastille"

Allégorie de la Liberté sur fond de Bastille, dessinée bien plus tard.
Vous remarquerez, foulés aux pieds, un personnage couronné et un ecclésiastique.

Un témoignage.

    Comme je vous l'ai dit plus haut. On trouve beaucoup de témoignages. Je vous propose à titre d'exemple celui de L. G. Pitra, électeur de Paris en 1789 :




Le petit jeu des erreurs ! 😉

    Un ami Facebook a partagé le 14 juillet 2022 l'image ci-dessous. Je partage son enthousiasme et je le remercie pour ce partage. Mais cette image comporte plusieurs erreurs. Cherchez-les ! (Réponses en dessous).



Le drapeau bleu blanc rouge n'existait pas le 14 juillet 1789.

  • C'est le 15 février 1794, ou plutôt le 27 pluviôse An II, que la Convention décrètera le drapeau tricolore, emblème national pour les vaisseaux de la Marine, afin d'uniformiser les étendards de ses vaisseaux. Le peintre David prendra en charge son dessin « bleu au mât, blanc au centre, et rouge flottant ». 

La cocarde bleu blanc rouge n'existait pas non-plus.
  • Même si les trois couleurs deviennent populaires ce 14 juillet, le port de la cocarde tricolore ne se généralisera que plus tard, jusqu'à même devenir obligatoire (pour les hommes le 8 juillet 1792, pour les femmes le 21 septembre 1793). Une des raisons de la popularité de ces trois couleurs, serait que c'étaient celles des uniformes des Gardes Françaises qui prirent rapidement parti pour le Peuple. Nous verrons le Roi porter cette cocarde tricolore pour la première fois, le 17 juillet 1789.
Le bonnet phrygien rouge n'était pas encore porté par les révolutionnaires.
  • Je précise "rouge avec une cocarde", car le bonnet était couramment porté par les gens du peuple et celui-ci avait différentes couleurs. Il ressemblait à un simple bonnet de marin. A noter qu'il n'avait pas ces sortes de caches-oreilles pendants que l'on voit sur une multitude de représentations, dont celle ci-dessus. Même les Phrygiens de l'antiquité n'étaient pas affublés de ces oreilles pendantes ! Ces artifices ont été ajoutés par la suite sur quelques bonnets, probablement pour faire références aux casques antiques équipés de paragnathides (protèges-joues). La majorité des bonnets portés étaient vraiment de simples bonnets, comme on peut le voir ci-dessous. Le port du bonnet rouge avec une cocarde ne deviendra à la mode qu'à partir de 1791.
Vrais bonnets d'époque :



Représentations de bonnet phrygiens :

Président du comité révolutionnaire

Pierre-Nicolas-Louis Leroy


Caricature de Louis XVI, dit "le dernier" (1792)

Phrygien et son bonnet :

Mêmes sur les images d'Epinal !

    J'ai retrouvé ces deux images d'Epinal publiées en 1880 et vous pouvez remarquer dessus le même anachronisme "drapeau, bonnet, cocarde"...


La vidéo !

    Si vous êtes arrivés jusqu'ici et que vous avez tout lu, je vous remercie chaleureusement et je vous propose de regarder la vidéo ci-dessous, extraite du film "La Révolution française" de Robert Enrico et Richard T. Heffron, sorti en 1989 à l'occasion du bicentenaire.

    Si vous avez bien lu cet article et les précédents, vous remarquerez les imperfections. L'extrait commence par l'intervention de Camille Desmoulins au Palais Royal, qui a eu lieu le 12 et pas le 14. On voit aussi le pillage des arquebuseries qui a eu lieu dans la nuit du 12 au 13. Mais peu importe, cela donne une bonne idée de l'ambiance ! 💖



Bertrand Tièche, alias le Citoyen Basset


Le Citoyen Basset fête le 14 juillet !