On est en droit de se poser des questions quant à la lucidité des gens de l'époque concernant la situation en cet automne 1789. Je ne parle pas du peuple, en majorité illettré, informé que de rumeurs, souvent tenaillé par la faim, ballotté au gré des évènements quand il n'est pas manipulé. Je pense plutôt à ceux qui ont profité de ces journées chaotiques de juillet pour prendre le pouvoir et qui siègent dorénavant à l'Assemblée nationale. Qu'ils expliquent certains désordres par des complots, c'est compréhensible, mais ce que je ne comprends pas, c'est leur aveuglement vis-à-vis du roi.
On dit que l'amour rend aveugle. C'est peut-être, la seule véritable explication. Les députés se félicitent d'avoir abattu la tyrannie et pas un instant ils ne réfléchissent au fait que celui qui en étaient le maître est toujours sur son trône.
Je me demande parfois ce que devait penser Louis XVI quand il se devait de partager cette joie générale que suscitait ladite chute de la tyrannie. Plus d'une fois, il a dû penser qu'il était entouré de fous ou d'aveugles.
Nous l'avons vu le 3 Septembre, demander de l'aide à son conseiller l'évêque de Tréguier, puis le 12 Octobre écrire à son cousin le roi d'Espagne pour lui dire :« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde
branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre
tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la
force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir
les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »
Source de la citation : "Le Peuple et le Roi" de l'historien Max Gallo.
Lien : https://www.you-books.com/book/M-Gallo/Le-Peuple-et-le-Roi (Fin de la 3ème partie)
Mais les Français aiment leur roi, laissons-les pour le moment tout à leur joie et découvrons le compte-rendu fait ce jour par le comité des recherches concernant ses investigations concernant les complots...
Le comité des recherches.
Le comité des recherches a été créé le 28 juillet 1789. Il s'agit d'une sorte de police politique destinée à déjouer les intrigues du « complot aristocratique » et à prévenir les crimes de lèse-nation. Souvenez-vous que le 24 Octobre dernier, le roi Louis XVI a autorisé "provisoirement" le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation", qui annulent et remplacent les crimes de "lèse-majesté".
Le terme de police politique vous choque ? Vous pensiez que seuls les "sanguinaires révolutionnaires de 1793" avaient créé un tel office. Mais voyons ! Tous les gouvernements ont une semblable police !
|
Estampe satirique de 1790. Membre du Comité des recherches : "qui fait bien son métier ne craint point les injures, il est bon quelquefois d'accrocher des ordures" |
C'est le doyen, Guillaume Goupil de Préfelne qui présente le rapport devant les députés de l'Assemblée. Il commence par présenter les affaires en cours. Parmi celles-ci figurent principalement celle concernant Augeard, suspecté d'avoir projeté d'enlever le roi pour le conduire à Metz et contre Besenval, détesté des Parisiens pour sa violente répression de l'émeute Réveillon le 28 Avril 1789. Besenval est aussi inquiété pour sa participation à l'incident des Tuileries le 12 Juillet 1789, tout comme le Prince de Lambesc d'ailleurs qui commandait le régiment du Royal Allemand, impliqué dans l'altercation des Tuileries. Drôles de comploteurs !
Vous allez mieux comprendre la question que je me posais en introduction de cet article. Tous les personnages inquiétés ici, n'ont fait qu'obéir aux ordres, demandes ou prières du roi et de la reine...
- Jacques Mathieu Augeard était le secrétaire de commandement de la reine et c'était Marie-Antoinette qui lui avait demandé d'étudier les modalités d'une fuite de la famille royale.
- Le baron suisse Pierre Victor de Besenval de Brünstatt, favori de la reine,
obéissant aux ordres du roi, avait déjà été sauvé une fois de la vindicte
populaire suite à son arrestation par les zélés miliciens de
Villenauxe-la-Grande le 30 juillet dernier, puis sauvé par les bourgeois de la Commune de Paris, les députés de l'Assemblée nationale, le grand Necker et même par sa majesté Louis XVI qui
l'avait autorisé à s'exiler ! Mais hélas, malgré toute cette clémence haut
placée, Besenval avait de nouveau été arrêté par de mauvaises gens le 10 Août 1789 et envoyé dans la prison du Grand-Chatelet.
- Le Prince de Lambesc avait été appelé avec son régiment le 5 Juillet 1789 par Louis XVI, afin d'assurer "la sécurité" à Paris (et à Versailles). Certains disent même qu'il avait eu pour mission de réprimer les Parisiens en révolte, voire chasser les débutés rebelles de la jeune assemblée nationale. Dans tous les cas, il obéissait aux ordres du roi...
Vous allez lire également que le comité des recherches ne s'est pas occupé du Mandement de l'évêque de Tréguier, car il n'a pas été chargé de cette affaire ! C'est heureux pour certains car ce vénérable ecclésiastique, conseiller du roi, n'avait fait que répondre à une prière du roi en rédigeant son fameux mandement, un véritable brûlot contre-révolutionnaire !
Vous voyez ce que je veux dire ?
|
Variante de l'estampe précédente. |
Venons-en à l'affaire du jour !
Au cours des échanges de ce jours, le député Jacques-Marie Glezen va disons-le, "commettre une bourde". Probablement mal renseigné, il va sous-entendre que l'un des députés présents, aurait été informé par une lettre d'un complot d'enlèvement contre le roi. Je vous laisse découvrir l'échange. Sachez néanmoins que le texte ne rend pas compte des insultes qui ont été échangées lors de l'incident.
Rapport du comité des recherches
M. Goupil de Préfeln, doyen du comité, prend la parole pour
dire que le comité s'est constamment occupé, d'après l'esprit de son
institution, de tout ce qui peut procurer la sûreté et la liberté publique, de
tout ce qui peut faire découvrir les ennemis de la patrie. Il parle avec des
réticences qui excitent les plus grands murmures. Sans vouloir entrer dans
aucun détail, il passe en revue sommairement toutes les affaires qui sont
venues à la connaissance du comité, et d'abord de celle de M. Augeard, fermier
général.
Cette affaire, de peu d'importance au premier aspect, dit le rapporteur, a paru au comité des recherches mériter la plus sérieuse attention.
Le comité a reçu les documents les plus positifs qui le déterminent à croire
que le plan de M. Augeard, combiné pour enlever le Roi à Metz, n'est point le
fruit de l'imagination en délire de M. Augeard (Lire l'article du 19 Octobre 1789). Il s'est appuyé sur les
circonstances, sur les temps, sur la confirmation de ce plan répété par tous
les échos de la capitale, et le comité a pensé que les apparences étaient
contre M. Augeard. Il fait mention de M. de Bezenval, (Lire l'article du 10 Août 1789) des trois individus
arrêtés et détenus dans les prisons du Châtelet pour avoir tenu des registres
antipatriotiques, et du prince de Lambesc, contre lequel un décret de prise de
corps a été lancé pour s'être porté à des voies de fait dans les Tuileries (Lire l'article du 12 Juillet 1789).
Un particulier de la Brie, dont le nom n'a pas été prononcé,
mais aujourd'hui constitué prisonnier, a fait tout son possible pour traverser
l'approvisionnement des marchés. Il est essentiel et possible de connaître ses
mandats et ses mandants. Ce particulier s'est porté avec audace contre ceux qui
voulaient vendre des grains dans son canton. Il a poussé le crime jusqu'à
menacer d'incendier ceux qui, se prêtant aux circonstances, vendraient comme à
l'ordinaire.
Si nous ne nous sommes pas occupés du mandement de l'évêque
de Tréguier, (Lire les articles des 3 Septembre et 14 Octobre 1789) continue le rapporteur, c'est que nous n'en avons pas été chargés
par l'Assemblée nationale. Il a fait mention de l'affaire de la fille de Douai.
Cette fille, qui a failli être assassinée, a dénoncé le complot formé contre le
Roi et les amis de la Constitution. Le comité des recherches n'a pas encore des
preuves complètes de toutes les trames et de tous les complots des ennemis de
la patrie ; mais il a le fil qui peut le conduire à une parfaite connaissance.
Nous mettrons, ajoute le rapporteur, sous les yeux de l'Assemblée toutes les
connaissances, notions, documents qui nous sont parvenus.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3873_t1_0168_0000_7
Discussion
sur la continuation des pouvoirs des députés membres du comité des recherches
M. La Ville-Leroux propose qu'il soit décrété de continuer
dans leurs fonctions les membres du comité des recherches.
M. Couppé appuie la motion sur la nécessité de conserver des
connaissances acquises sur plusieurs affaires importantes, dont de nouveaux
commissaires ne pourraient s'occuper qu'avec lenteur, suite nécessaire du
changement. (On rit dans une partie de la salle .)
Vous riez, Messieurs, a dit l'orateur, mais on répond
difficilement quand on a peur : Qui male agit, odit lucem (Quiconque fait le
mal hait la lumière).
M. le marquis de Foucauld-Lardimalie : Parlez français, cela
vaudra mieux.
Un membre a proposé de reprendre la motion faite dans une
séance antérieure pour adjoindre quatre commissaires au comité des recherches
et les charger de surveiller les poursuites qui doi¬vent se faire au Châtelet.
M. Dufraisse-Duchey : Je m'oppose à la continuation des
pouvoirs du comité. On nous parle sans cesse de conspiration sans nous donner
la moindre preuve. Ce mot vague semble n'être qu'un moyen pour maintenir en
fonctions ceux qui veulent égarer le peuple. Le rapporteur nous a entretenus de
bruits populaires qui ne méritent aucune créance, mais il n'a rien dit d'une
descente qu'il a faite dans le couvent de l'Annonciade de Paris.
M. Malouet : Il est bien fâcheux d'être obligé d'emprunter
les formes du despotisme pour en anéantir les traces. — Après cet exorde, M.
Malouet parle de la descente nocturne faite dans le couvent de l'Annonciade par
quelques membres du comité. Il ne croit pas que les membres du Corps législatif
puissent descendre à ces fonctions subalternes sans compromettre leur caractère
; il ajoute qu'il aurait mieux valu s'occuper des moyens de porter remède aux
émeutes populaires et il demande que le comité soit tenu de rendre compte à
l'Assemblée des motifs de la descente dans le couvent, ainsi que des suites
qu'elle a eues et des indices qu'elle a fournis.
M. Goupil de Préfeln : Vous venez d'entendre un ami généreux
de la liberté faire des questions à votre comité. Je dois, comme en étant
membre, satisfaire à sa sollicitude. Le comité de police de Paris a cru devoir
ordonner des recherches dans ce couvent, parce qu'on disait qu'un personnage
très-connu y était caché ; c'était sans doute une erreur, mais ce qu'il y a de
certain c'est que cette descente s'est faite avec toutes les règles de la
prudence et de la circonspection. Pour ce qui regarde les émeutes populaires,
le comité remettra aux nouveaux commissaires les pièces qui pourront les
instruire, et surtout celles de l'affaire du Cambrésis, dont le foyer n'est pas
éloigné de la capitale. On voudrait nous forcer à faire connaître les canaux
par lesquels certains faits nous sont parvenus, mais ce serait donner aux
coupables les moyens d'arrêter le complément des preuves.
M. Glezen : membre du comité. Vous connaissez les propos
sinistres pour transférer le Roi à Metz. M. Augeard, à la confrontation d'un
plan tracé de sa main, s'est justifié en disant que c'était le produit d'une
imagination exaltée ; dans la correspondance d'un personnage important il
existe une lettre écrite par un généreux ami de la liberté. Je ne veux inculper
personne, mais l'esprit dans lequel cette lettre est écrite et la personne à
qui elle est adressée semblent désigner quelque chose : il y est parlé des
membres de l'Assemblée qui sont de mauvais citoyens et qu'on accuse d'être les
auteurs des malheurs publics.
Incident de séance suite à l'accusation contre M. Malouet
proférée par M. Glezen
(A ces mots, M. Malouet s'élance à la tribune. - Un grand
tumulte se fait dans l'assemblée. - Le désordre est indescriptible. - Pendant
ce temps M. Malouet va se placer à la barre pour se justifier ; cette démarche
est fort applaudie, mais M. le président lui dit de remonter à la tribune.)
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3873_t1_0169_0000_3
Discussion suite à l'accusation contre M. Malouet proférée par M. Glezen, lors
de la séance du 21 novembre 1789
M. Malouet. J'offre de me constituer sur-le-champ prisonnier
si je suis reconnu coupable ; mais je croyais que 30 ans d'une vie sans
reproche me mettaient à l'abri de toute espèce d'accusation -, si ce n'est pas
par méchanceté, c'est au moins par erreur que M. Glezen a rapproché une de mes
lettres de l'affaire de M. Augeard, qui lui est étrangère. On m'accusa de même,
il y a vingt ans, sur une lettre interceptée. J'ai été pleinement justifié.
J'attends pour la lettre actuelle le même jugement et je réclame votre justice
à raison de la grave inculpation que l'on me fait aujourd'hui.
M. Glezen explique cette inculpation en disant que son récit
ne portait aucune accusation contre M. Malouet, mais que sa lettre parlait de
scélérats qui veulent répandre le feu dans le royaume, et que son contexte
annonçait clairement que l'auteur avait voulu désigner des membres de
l'Assemblée nationale.
M. Malouet demande acte d'enquis sur le fait articulé contre
lui que sa lettre contenait des indices de conspiration.
M. Glezen prétend alors n'avoir dit autre chose, si ce n'est
que la lettre avait été remise au comité à la suite des faits de conspiration
qu'on prétend découvrir dans l'affaire de M. Augeard.
Plusieurs membres réclament avec instance l'apport de la
lettre de M. Malouet.
L'Assemblée décide que la lettre sera produite et lue.
Pendant qu'un des membres du comité va chercher la lettre,
on met aux voix la continuation des pouvoirs du comité des recherches.
L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur
cette proposition, attendu que, dans la séance du matin, l'Assemblée a ordonné
le renouvellement du comité et que plusieurs bureaux ont même fait leur
élection.
On apporte enfin la lettre de M. Malouet. Elle est écrite de
Versailles, le 26 septembre dernier, et adressée à M. le comte d'Estaing.
M. Goutte fait la lecture de cette lettre, qui est ainsi
conçue :
"Monsieur le comte, j'ai l'honneur de vous prévenir que
le sieur Mascelin, marchand parfumeur, a dit hier à mon domestique que le
premier usage que les bourgeois de Versailles devaient faire des dix mille
fusils qu'ils allaient recevoir était de s'en servir contre les mauvais
citoyens qui se trouvaient à l'Assemblée nationale. M. Maury doit être la
première victime. Comme je suis aussi une des victimes désignées, j'ai cru
devoir, monsieur le comte, vous dénoncer ce particulier pour arrêter les suites
de cette fermentation, si elle existe… Il n'est que trop vrai qu'il existe
parmi nous de mauvais citoyens, et je crains bien qu'ils ne viennent à bout de
tout perdre… Votre vigilance et votre patriotisme peuvent nous garantir des attentats
d'un complot qui nous préservera de la banqueroute, de la disette et de la
famine. »
(La lecture de cette lettre est suivie de vifs
applaudissements.)
M. Malouet a parlé encore pour sa justification en
demandant que la lettre fût insérée dans le procès-verbal comme une réparation
authentique. — Il n'y a, dit-il !, qu'esclavage et tyrannie où l'honneur
n'accompagne pas la liberté.
M. Duquesnoy appuie la demande de M. Malouet et fait la
motion de supprimer le comité des recherches aussitôt que les affaires
actuellement subsistantes seront terminées.
M. Glezen, qui avait parlé de la lettre, a répondu aux
inculpations de M. Malouet. Il s'est défendu par la discrétion que le comité a
mise dans son premier rapport, par les instances qui lui ont été faites de
s'expliquer davantage, par l'opinion que le comité s'en était formée.
L'ajournement a été demandé.
M. Malouet s'y est opposé ; puis il a déclaré consentir que
l'affaire finît là, pourvu que son innocence fût reconnue.
Un membre de l'Assemblée a fait la motion de prononcer que,
ouï la lecture de la lettre, M. Malouet est honorablement déchargé de toute
accusation.
Un autre membre a proposé, par amendement, que le décret portât
qu'il n'y a lieu à inculpation. La motion, ainsi amendée, a été mise aux voix ;
avant de les recueillir, la question préalable a été demandée.
Un membre, qui l'avait d'abord appuyée, l'a abandonnée
ensuite. Les voix ont été prises sur le fond, et l'Assemblée a porté le décret
suivant :
« L'Assemblée nationale, après avoir ouï la lecture de la
lettre de M. Malouet, en date du 26 septembre dernier, déclare qu'il n'y a lieu
à aucune inculpation. »
L'Assemblée a été levée à près de minuit.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3873_t1_0169_0000_4
Après cet incident, le malheureux Glezen se fera de plus en plus discret, jusqu'à se retirer progressivement de la vie politique.
Quant à Monsieur Malouet, homme d'honneur, si le cœur vous en dit vous pouvez consulter ci-dessous ses mémoires, publiées en 1874 par son petit-fils.
Voici le tome 1 de ses mémoires :
Voici le tome 2 de ses mémoires :