lundi 23 novembre 2020

23 Novembre 1789 : L'Assemblée nationale statue sur le différend entre les Cordeliers et la Commune de Paris.

Le district des Cordeliers, en rouge sur la carte des 60 districts.

    Souvenons-nous qu'il y a 3 jours, le 20 Novembre, les représentants du district des Cordeliers se sont plaints à l'Assemblée de certains abus de pouvoir de la Commune de Paris.

    Chaque district avait nommé 5 députés à l'Hôtel de Ville ; les uns à temps limité, les autres avec certains pouvoirs. Mais les districts se plaignent à présent que les députés à l'Hôtel-de-Ville ont usurpé une autorité qui ne leur appartient pas.

    Le district des Cordeliers a donc révoqué ses députés à l'Hôtel de Ville et en a nommé d'autres sur la démission des trois membres de la commune qui n'ont pas voulu prêter le serment qui leur était demandé ; ces députés nouveaux n'ont de pouvoirs que pour un règlement provisoire et non des pouvoirs indéfinis. Mais l'assemblée des représentants des communes a voulu conserver les anciens membres et rejeter les nouveaux.

Aujourd'hui, l'Assemblée nationale tranche le conflit.

Pierre Hebrard de Fau,
Député du Cantal
M. Hébrard, au nom du comité des rapports, entre dans de nouveaux développements sur cette affaire et fait lecture d'un projet d'arrêté conçu en ces ternies :

L'Assemblée nationale considérant qu'occupée de l'organisation des municipalités du royaume, elle serait détournée de son but par l'examen provisoire du plan de la municipalité de Paris ; que cependant il importe à cette ville que les représentants de chaque district remplissent leurs fonctions jusqu'à l'expiration du temps limité par leur pouvoir particulier, ou jusqu'à ce qu'ils aient donné leur démission volontaire, et qu'ils ne soient tenus d'autre serment que celui de remplir avec honneur la mission qu'ils ont acceptée ;

Considérant enfin que les représentants de la commune, réduits à des fonctions purement administratives, sans aucun droit de juridiction sur les districts, n'ont pu priver celui des Cordeliers de son droit de nommer trois députés pour remplacer ceux dont il avait accepté la démission, l'Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit :

Article 1er

Elle sursoit à statuer sur le contenu aux trois titres du règlement provisoire de la municipalité de Paris, jusqu'à ce qu'elle détermine irrévocablement l'organisation générale des municipalités du royaume.

art. 2.

Les députés de chaque district ne cesseront leurs fonctions à la commune qu'à l'expiration des délais prescrits par leur pouvoir, et ils ne seront tenus à d'autre serment que de remplir fidèlement leur mission.

art. 3.

Les députés nommés par le district des Cordeliers, sur la démission de ceux qu'il avait précédemment élus, ainsi que les députés qui ont prêté le serment qu'il leur a demandé, seront admis par les représentants de la commune pour y remplir, pendant la durée de leur mandat, les fonctions dont ils sont chargés.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3883_t1_0229_0000_8

    Cette décision semble confirmer le ressenti de quelques citoyens qui pensent que la municipalité de Paris, ou plutôt la "commune", outrepasse quelque peu ses droits. Je vous invite à lire ou relire l'article du 20 Novembre pour mieux comprendre la situation.


Drapeau de la garde nationale du district des Cordeliers.




23 Novembre 1789 : Lettre des citoyens de couleur des îles et colonies françaises à MM. les membres du comité de vérification de l'Assemblée nationale

 

    Le texte ci-dessous sera lu lors de la séance du 28 novembre 1789 et je vous invite à lire l'article relatif à ladite séance, car j'y apporte nombre de renseignements complémentaires. Je le retranscris néanmoins à sa date de publication du 23 novembre, en raison de son importance. Je me suis permis de surligner certains passages pour attirer votre attention.

    Mais je vous engage vraiment à lire mon article du 22 octobre 1789, ainsi que ceux des 26 novembre et 28 novembre 1789.

Nota : L'orthographe a été modernisée, comme vous pourrez le constater en lisant le texte original dans la fenêtre en bas de l'article.

LETTRE DES Citoyens de Couleur, des Isles & Colonies Françaises, A MM. Les Membres du Comité de Vérification de l'Assemblée nationale.

MESSIEURS,

L'Assemblée Nationale vous a renvoyé l'Adresse, les Mémoires, les Pièces & les Demandes des Citoyens de Couleur, des Isles & Colonies Françaises. Vous devez, incessamment, en faire l'examen & le rapport. Quelque confiance que nous ayons dans vos Lumières, & surtout dans votre Justice & votre Humanité, nous croyons devoir vous soumettre encore quelques Réflexions, non pas sur le fond de l'Affaire, elle n'en est pas susceptible ; mais sur la Forme de la Réunion des Citoyens de Couleur, ainsi que sur l'Élection & la Présentation de leurs Députés.

Nous disons, Messieurs, que le Fond de l'Affaire, l'Objet le plus important pour les Citoyens, de Couleur, n'est plus susceptible de réflexions ; car, indépendamment du Principe qui réside dans tous les cœurs, excepté, peut-être, dans celui des Colons Blancs, la question est jugée ; & il ne s'agit plus que de faire l'application de la Loi.

L'Assemblée-Nationale a décrété, & le Roi a solennellement reconnu,

1° Que tous les hommes naissent & demeurent libres égaux en Droits ;

2° Que la Loi, est l'expression de la Volonté générale, & que tous, les Citoyens ont le droit concourir, personnellement ou par leurs Représentants à sa formation ;

3° Enfin, que chaque Citoyen a le Droit par lui ou par ses Représentants de constater la nécessité de la Contribution Publique, & de la consentir librement.

Avant ces trois Décrets, les Citoyens de Couleur auraient invoqué les Droits imprescriptibles de la Nature, ceux de la Raison & de l'Humanité. Aujourd'hui, Messieurs, ils attestent votre Justice ; ils réclament l'exécution de vos Décrets.

Français, Libres et Citoyens, ils sont & quoi qu'en disent leurs Adversaires, les égaux de ceux qui, jusqu'à ce moment, n'ont cessé de les opprimer.

Français & Justiciables, ils ont, comme le reste des Citoyens, le Droit de concourir à la formation de la Loi, qui doit les régir ; de cette Loi dont ils seront incontestablement les Soutiens, l'Objet & les Organes.
Enfin, Citoyens & Contribuables, ils ont, comme tous les Membres de l'Empire, le Droit inhérent à cette qualité, de CONSTATER la nécessité de la Contribution Publique, de la CONSENTIR librement.
Ces Principes, puises dans la Loi Constitutionnelle de l'État, serviront de base au Jugement que vous allez préparer. Il est impossible que l'Assemblée Nationale s'en écarte. Ses Décrets sont précis ; ils doivent être exécutés. La Couleur, non plus que le Préjugé, ne peuvent en altérer, en modifier les conséquences. Les Droits de l'homme, les Droits du Citoyen, s'élèveront toujours au-dessus des vaines Considérations, leur règne a cessé & nous sommes encore à concevoir comment il peut se trouver des Esprits assez pervers, des Citoyens assez mal intentionnés pour chercher à les faire revivre.

Les Citoyens de Couleur ne craignent donc pas les efforts impuissants des Ennemis, que l'Amour-propre & la Cupidité pourraient leur susciter. La Loi Constitutionnelle de l'État leur est un Garant assuré du succès qu’ils doivent obtenir. L'Assemblée des Législateurs François ne peut point hésiter ; elle ne saurait varier dans ses Principes.

Cependant, Messieurs, on fait aux Citoyens de Couleur, deux Objections qui méritent d'être examinées.

PREMIÈRE OBJECTION.

On prétend que les Colonies, ayant presque toutes des Députés à l'Assemblée Nationale, elles sont suffisamment représentées. On observe que, dans les Contrées surtout, comme Saint Domingue , la Martinique, la Guadeloupe, où l'on n'a jamais connu la distinction d'Ordres, qui régnait en France ; où, comme le disaient les prétendus Commissaires de Saint Domingue (lorsqu'ils disposaient à leur gré de cette importante Colonie, lorsqu'ils avaient le courage de hasarder, à cet égard, toutes les allégations qui paraissaient les plus favorables à leur cause, les Habitants sont TOUS Propriétaires, TOUS égaux, TOUS Soldats, TOUS Officiers, tous Nobles. Il importe peu dans quelle classe les Députés aient été choisis (1).

(1)  Voyez cette foule d'Écrits que les prétendus Commissaires de Saint Domingue ont fait paraître pour parvenir à leur admission. Voyez surtout leur Lettre au Roi, du Mois d'Août 1788.

Vous connaissez, Meneurs, cette première Objection, & vous y avez répondu d'avance.

Sans doute la distinction d'Ordres n'existait pas dans nos Colonies ; & sous ce point de vue, ses prétendus Commissaires de Saint Domingue pouvaient avoir raison, lorsqu'il s'agissait uniquement d'élire, comme ils l'ont fait, les Députes des Colons Blancs.

Mais, s'il n'existait pas une distinction d'Ordres, il y avait, & il existe encore, à la honte de l'Humanité une distinction de Classe.

D'abord, on ne rougissait pas de mettre entièrement à l'écart, & d'abaisser au nombre des bêtes de somme ces milliers d'Individus qui sont condamnés à gémir sous le poids honteux de l'esclavage.

Ensuite, on faisait une grande différence entre les Citoyens de Couleur affranchis & leurs Descendants, à quelque degré que ce fut, & les Colons Blancs.

Ceux-ci, coupables encore de l'esclavage qu'ils ont introduit, qu'ils alimentent, qu'ils perpétuent, & dont ils ont cependant la barbarie de faire un crime irrémissible aux Citoyens de Couleur, ceux - ci, disons-nous, étaient seuls dignes de l'attention du Corps Législatif ; aussi vous avez vu, Messieurs, qu'ils n'ont agi, qu'ils ne se sont présentés que pour les Blancs. Ils vous ont donné un aperçu de leur Origine, de leur Population, de leurs Services, de leurs Droits, nous dirions presque de leur excellence ; mais, dans aucun cas, dans aucune circonstance, ils ne vous ont parlé des Citoyens de Couleur, ils leur en ont constamment refusé la qualité ; jamais ils ne les ont considérés, comme ayant des Droits à la Représentation ; on n'a pas même Pensé qu'il fût possible de les y appeler : les infortunés ! Ils n'étaient ni Ducs, ni Comtes, ni Marquis, ni Chevaliers (1) ; ils n'avaient pas même de prétentions à la Noblesse. Ils sont Hommes, c'est leur unique titre ; & les Blancs, qui se faisaient auprès de l'Assemblée Nationale un mérite de l'égalité, qu'ils supposaient encore existante dans la Colonie, n'avoient garde de descendre jusqu'à eux.
 
(1) Remarquez la liste des prétendus Commissaires de S.-Domingue.
Sur neuf, il y a DEUX DUCS, DEUX COMTES, TROIS MARQUIS, UN CHEVALIER & UN GENTILHOMME. Quelle heureuse égalité ! Quelle admirable Représentation pour une Colonie composée de Négociants & de Planteurs ! Pour faite disparaître la distinction des Rangs, chacun prend celui qui lui convient ; il se décore du titre qui le flatte. Il n'y a que l'Homme de Couleur, s'il faut en croire ses généreux Adversaires, qui ne doive avoir ni Rang, ni Place, ni Titre, ni Qualité ! Les humiliations & le mépris ; voilà son lot.
 
Cette circonstance n'a pas échappé à l'Assemblée nationale & vous-vous rappellerez, Messieurs, que, lorsque les Députés de Saint Domingue furent admis, on parla de cette classe, au nom de laquelle nous-nous présentons aujourd'hui ; qu'il y eut en sa saveur une réclamation & des observations qui prouvèrent que l'Assemblée lui réservait une place, & que, lorsque les Citoyens de Couleur se présenteraient, ou ne pourrait pas leur opposer l'admission des Colons blancs.

Nous en trouvons encore la preuve dans le rapport du Comité de vérification, en faveur de l'Île de Saint Domingue. Parmi les raisons que donnaient ceux des Membres du Comité, qui pensaient, qu'il fallait accorder 12 Députés à cette Colonie, on voit qu'ils s'appuyaient spécialement sur ce qu'il n'y avait que 40.000 Habitants dans l'Île & que les Esclaves & GENS DE COULEUR NE POUVAIENT PAS ÊTRE COMPTÉS, puisque les uns n'avoient rien à défendre, ET QUE LES AUTRES N'AVOIENT PAS ÉTÉ APPELÉS À LA NOMINATION DES DÉPUTÉS ».

Ce que nous disons, par rapporta à Saint Domingue, s'applique avec la même force à celles des Colonies qui ont obtenu l'honneur d'une représentation. Les Députés de la Guadeloupe & de la Martinique ne sont, comme ceux de Saint Domingue, que les Députés des Blancs. LES BLANCS SEULS LES ONT NOMMÉS. Nous lisons encore, dans le rapport de la Guadeloupe, page 39, « que les Gens de Couleur n'ont pas été appelles à la nomination des Représentants, & qu'ils ne doivent pas entrer en ligne de compte ».

Nous sommes donc, Messieurs, recevables & fondés à nous présenter. L'Objection résultante de l'admission des Blancs, ne peut donc pas nous être opposée ; & ce serait vainement, qu'on chercherait à s'en faire contre les Citoyens de Couleur, un titre qui tournerait entièrement à leur avantage. Il ne serait pas juste, en effet, que les Députés des Blancs, qui sont les Oppresseurs, &, nous ne pouvons pas vous le dissimuler, les Ennemis naturels des Citoyens de Couleur, fussent encore chargés de les Représenter, de stipuler, de défendre leurs intérêts. Ce n'est pas sur eux que nous devons nous reposer du soin de déterminer les bases de la Constitution qui fixera désormais les Rangs, les Droits & les Prérogatives de la Classe la plus nombreuse, la plus infortunée, & cependant la plus utile des Colonies.

SECONDE OBJECTION

VAINCUS sur cette première partie de leur système, réduits au silence, forcés de convenir que les Citoyens de Couleur doivent être représentés, les Députés des Colons Blancs se retrancheront dans leur seconde Objection : « A défaut de moyens, ils auront recours à la Forme ;  ils critiqueront notre Assemblée, le mode de nos Élections ; ils soutiendront que nous ne sommes pas les Représentants des Colonies ; que n'étant pas valablement Élus, nous ne pouvons pas être admis, & qu'il faut nous renvoyer à une Assemblée Coloniale.

Voilà, sans doute, Messieurs, l'Objection la plus spécieuse que nos Adversaires puissent nous opposer ; mais cette Objection disparaîtra devant les Observations que nous allons vous proposer.

D'abord, il faut bien considérer qu'il n'en est pas de la position des Colonies, ainsi que l'ont très-bien observé les prétendus Commissaires de Saint Domingue dans les différentes brochures qu'ils ont publiées, comme de la Métropole.
En France, les Communications sont toutes promptes & faciles : elles sont , au contraires, lentes et difficiles avec les Colonies ; & tandis qu'on emploierait un temps précieux à demander, â solliciter des ordres , à les donner, à les faire exécuter, à provoquer des Assemblées, à préparer les objets de demande , à les discuter, à les rédiger, à nommer des Députés, à les envoyer en France, la première session de l'Assemblée Nationale tendrait à la fin ; la Constitution serait achevée, & les Citoyens de Couleur recevraient des Lois auxquelles ils n'auraient pas concourus ils  supporteraient des Impôts dont ils n'auraient pas constaté la nécessité, dont ils n'auraient pas consenti la répartition.

Ces moyens, présentes, avec succès, d'abord par les Colons Blancs de Saint Domingue, avant même que l'Assemblée Nationale fut constituée, & tout récemment par les Colons de la Martinique & de la Guadeloupe, ne seront pas inutilement invoqués par les Citoyens de Couleur. S'il pouvait y avoir une exception, elle devrait être à leur avantage puisqu'ils se sont présentés beaucoup plus tard, & QU'ILS ARRIVENT AU MOMENT où l'Assemblée va s'occuper de leur Constitution.

L'intention manifestée des Représentants de la Nation a toujours été de voir, d'entendre toutes les parties intéressées ; de les rapprocher les unes des autres, de conserver les droits de tous les Citoyens, de les admettre tous a la représentation qui leur est due.

En second lieu, comment pourrait-on blâmer les Citoyens de couleur de ne s'être pas réunis dans les Colonies ? De n'avoir pas formé ces Assemblées primaires, auxquelles tous les Citoyens sont admis, & dans lesquelles on peut recevoir & donneur tous les pouvoirs nécessaires pour constituer un Représentant légal ?

Vous n'ignorez pas, Messieurs, que les Lettres de Convocation, pour la formation des États-Généraux, n'avoient pas été adressées dans les Colonies ; que, non-seulement, on n'y avait point indiqué, qu'il ne s'y était pas formé d'Assemblées primaires ; mais que, par les Lois anciennes, par les Lois encore existantes, il était défendu, sous les peines les plus sévères, de les provoquer.

Vous savez que cette défense, générale dans toutes les Colonies, universelle pour tous les Habitants, était encore plus expresse, pour les Citoyens de Couleur ; que toute Assemblée, toute espèce de réunion de leur part étaient, & sont encore réputées & punies comme un attroupement. Mais, ce que vous ignorez , peut- être, ce dont votre justice ne pourra qu'être indignée ; c'est que , peu contents de livrer à la rigueur des lois, les Citoyens de Couleur qui sont accusés , ou même qui paraissent suspects ; de les soumettre à la justice des Tribunaux, qui ne sont, qui ne peuvent être composés que de leurs pareils, les Blancs s'érigent en vengeurs des délits qu'il leur plait de supposer : les voies de fait leur sont permises, & les Citoyens de Couleur, victimes de leur zèle & de leur dévouement pour la Chose Publique, auraient été, dans cette circonstance, exposés à périr sous les coups, que leurs cruels oppresseurs auraient jugé à propos de leur porter (1).

(1) On sent bien que nous ne parlons ici que de l'abus. Dans quelques mains, qu'elles reposent, les Lois ne perdent rien de leur saint caractère ; mais, dans les Colonies, l'exécution en est exclusivement dévolue aux Blancs ; & l'expérience n'a que trop appris qu'elles sont presque toujours muettes & sans vigueur lorsqu'il s'agit de punir les excès des Blancs envers les Citoyens de Couleurs.

Il a donc fallu renoncer, jusqu'à ce qu'il se fût introduit un nouvel ordre de choses, à toutes Assemblées, à toutes réunions partielles dans les différentes Colonies ; il a fallu céder à la nécessité.

Mais était-il juste de renoncer également aux réclamations légitimes, que les Citoyens de Couleur sont dans le cas de former, & plus encore au succès qu'elles doivent avoir ?

Il y aurait de la barbarie à le supposer ; & ces préjugés affreux, dont les Citoyens de Couleur se plaignent avec tant d'amertume, seraient peut-être moins affligeant, que le refus désespérant d'une admission à laquelle ils ont autant de droits que leurs Concitoyens.

Au surplus, à défaut de ces Assemblées primaires & locales, à défaut d'une réunion Coloniale qu'il ne leur a pas été possible de provoquer, les Citoyens de Couleur nouvellement arrivés & résidant actuellement en France, se sont rapprochés, pour s'occuper de leurs intérêts ; ils se sont réunis dans le cabinet, sous la présidence d'un Citoyen revêtu d'un caractère public ; ils étaient, & ils sont encore assez nombreux.
Ils ont délibéré ils ont rédigé des cahiers, ils ont offert une partie de leur fortune, & ils réaliseront incessamment leurs offres ; ils ont élu des Députés, & ils les présentent à l'Assemblée nationale.
Cependant les calomnies de leurs ennemis sont parvenues jusqu'à eux ; ils ont publié que l'Assemblée des Citoyens de Couleur était tout au plus composée de douze personnes, que les autres signatures étaient ou surprises, ou supposées ».

Pour écarter, pour dissiper ces bruits injurieux, les Citoyens de Couleur ont appelé dans leur assemblée, un Notaire du Châtelet, & ils ont réitéré, en sa présence, dans un acte authentique, tous les articles de leurs délibérations. Nous vous prions de vouloir bien l'examiner.

Vous y trouverez tout ce que les Citoyens de couleur avaient consigné dans leurs premiers Procès-verbaux ; vous y remarquerez l'unanimité des sentiments & des opinions, l'offre généreuse & volontaire du don patriotique  du quart de leurs revenus, évalué à six millions, & de la cinquantième partie de leurs propriétés ; vous y trouverez la confirmation , & une nouvelle élection de leurs Députés ; enfin, & c'est ici la preuve la plus formelle de la calomnie que nous avons été forcés de repousser , vous y verrez, qu'au lieu de douze personnes, dont on a prétendu que les Assemblées étaient composées, il s'en est trouvé quatre-vingt, qui ont toutes concouru à la ratification des Arrêtés qui a voient été pris dans les précédentes Assemblées.

Voilà, MM., & vous pouvez en juger par l'expédition des actes qui vous ont été remis, voilà les Citoyens qu'on calomnie & que l'on poursuit avec autant d'acharnement. Ce sont ces mêmes Citoyens qu'on voudrait vouer à la honte, au mépris, à l'oubli ; qu'on voudrait éloigner du milieu des Représentants de la Nation ; auxquels on voudrait interdire le droit acquis de concourir à la formation de la loi & de consentir la répartition de l'impôt.

Votre justice ne se laissera pas séduire par les allégations de nos ennemis ; elle ne se laissera pas éblouir par leurs promesses ; elle ne sera pas ébranlée par les craintes chimériques, qu'ils ont cependant le courage de présenter comme des moyens (1).

(1)   Croirait-on qu'ils osent lancer que les préjugés sont au-dessus de la Loi ; qu'ils sauront bien la rendre inutile ; que son exécution sera dans leurs mains, & que nulle autorité ne pourra les forcer à reconnaître, pour leurs égaux, des Gens qu'ils sont accoutumés à traiter avec le dernier mépris ?
    Croirait-on que, dans leur impuissance quelques-uns d'entre eux ont eu la témérité de tourner leurs regards vers une terre étrangère ? Comme si les Citoyens de Couleur étaient à leur disposition ; comme si les Citoyens de Couleur n'avoient pas fait le ferment de verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang, pour la conservation de l'État, & la défense personnelle du Souverain.
 
Non, MM., la justice est inaccessible à toutes les considérations : elle mettra dans sa balance l'Homme à côté de l'Homme, l'HOMME LIBRE à côté de l'HOMME LIBRE, le Citoyen sur la même ligne que le Citoyen.

Elle prononcera en faveur des Citoyens de Couleur, comme elle a prononcé en faveur des Colons Blancs ; les moyens, les raisons sont absolument les mêmes.
Les Députés de S.-Domingue ont été élus à Paris.

Les Députés de la Martinique ont été élus à Paris.

Les Députés de la Guadeloupe ont été élus à Paris.

Pourquoi donc les Citoyens de Couleur ne pourraient-ils pas avoir été élus à Paris ?

Les prétendue Commissaires de Saint Domingue ont fait, dans leurs Écrits multipliés, un pompeux étalage de leurs prétendus Pouvoirs. Ils se sont fortement appuyés de cette prétendue inspiration, qui, SUIVANT EUX, a mis leurs Commettants dans le cas d'effectuer, à deux mille lieuses, ce qui se projetait, ce qui même n'était pas encore arrêté dans la Capitale ; ET ILS ONT RÉUSSI.
Les Colons de la Martinique ont été plus modestes ; ET ILS ONT RÉUSSI.

Les Colons de la Guadeloupe ont été beaucoup plus vrais, ET ILS ONT ÉGALEMENT RÉUSSI.
Ils ont dit naturellement, « qu'ils n'avaient reçu aucun Pouvoir de leur Colonie ; qu'ils ne s'étaient déterminés à faire des démarches, que parce que Saint Domingue avait réussi.

Pour éviter les lenteurs, que nous avons le même intérêt à prévoir, ils ont fait, à Paris, une Assemblée COMPOSÉE DE TRENTE-SIX PERSONNES, qui ne sont pas toutes résidentes à la Guadeloupe, & dont plusieurs n'y ont point de Propriétés. Ils ont imprimé quelques Discours. Ils ont arrêté des Députations. Ils ont écrit au Roi, au Ministre de la Marine, au premier Ministre des Finances ; ils ont reçu, le 8 Août 1789, une Lettre du Ministre de la Marine, qui leur annonce, que les Députés de Saint Domingue ayant été admis dans l'Assemblée-Nationale, il est très-juste qu'ils s'y adressent, pour obtenir être représentés (1).

(1)    Voyez le Rapport adressé à l'Assemblée Coloniale de la Guadeloupe, par M. de Curt.

Enfin ils ont remis une Adresse à l'Assemblée-Nationale, ils sont parvenus à faire admettre deux Députés.

Ce serait, Messieurs, abuser de vos moments, que d'insister sur l'identité, sur l'analogie de toutes ces démarches, avec celles des Citoyens de Couleur, & plus encore sur les conséquences d'un pareil Jugement.

1° Saint Domingue ayant été admise, il était très-juste que les autres Colonies fussent également représentées ; le Ministre de la Marine l'avait annoncé.

Mais, si cela était très-juste, par rapport aux Blancs, il l'est au moins autant pour les Citoyens de Couleur : ils doivent obtenir une Représentation quelconque. Ils y ont d'autant plus de droits, que leurs Adversaires ont été reçus ; &, qu'abstraction, faite du Principe qui les appelle à la jouissance des mêmes avantages, à l'exercice des mêmes Droits, il est de toute justice qu'ils se trouvent continuellement en mesure de les attaquer, de les combattre ; de donner sur la Constitution qui les intéresse, les éclaircissements qu'on ne peut attendre que des Naturels du Pays.

2° Si l'Assemblée-Nationale a pensé que quelques Citoyens de Saint Domingue & de la Martinique avaient pu élire leurs Députés à Paris ;

Si elle a jugé tout récemment, sur le rapport de Mr Barrere de Vieuzac, « que trente-six personnes, qui ont déclaré être originaires ou Propriétaires de la Guadeloupe, avoient pu élire à Paris, & faire admettre deux Députés à l'Assemblée Nationale » ;

A plus forte raison doit-elle décider que les Citoyens de Couleur, qui sont trois fois plus nombreux ; qui ne pouvaient ni se rapprocher dans les Colonies, ni se réunir, sans s'exposer aux peines les plus sévères, ont pu se rapprocher, s'assembler & nommer, à Paris, les Représentants qui demandent aujourd'hui leur admission.

Indépendamment de leur titre primitif, de leur droit au fonds, de l'infaillibilité des Décrets, dont ils ne cesseront de s'étayer, les citoyens de Couleur ont encore l'avantage d'avoir rempli toutes les formalités que l'on pouvait exiger d'eux.
Leurs Assemblées ont été précédées de l'avis qu'ils en ont fait donner aux Chefs de la Commune (1) ; leurs délibérations n'ont été décidément commencées que lorsque les Blancs ont refusé de s'unir à eux ; les Ministres du Roi ont été prévenus; l'Assemblée Nationale les a déjà reçus, elle a décrété en leur faveur la liberté d'assister à la Séance, dans laquelle ils ont été admis ; Leurs Majestés ont bien voulu recevoir , agréer leurs hommages ; le 22 Octobre 1789 , les Citoyens de Couleur ont eu l'honneur de leur être présentés ; MONSIEUR a également consenti à les recevoir ; en un mot, ils ont fait tout ce qui, était en leur pouvoirs ils ont fait autant & plus que les commissaires, les Députés des Colons Blancs, ils se présentent avec les mêmes titres, les mêmes droits, le même zèle, & certainement avec plus d'intérêt & de nécessité. Pourquoi donc y aurait-il, dans la décision, une différence qui ne se trouve ni dans les principes, ni dans les faits ?
Recevez, Messieurs, l'hommage respectueux que nous devons à vos lumières, & surtout au patriotisme qui vous soutient au milieu des fonctions honorables & pénibles, que nous ambitionnons de partager.
(1) M. le Maire & M. le Commandant Générale en ont été informés.

Nous sommes avec la plus profonde vénération.
MESSIEURS,

Vos très-humbles & très-obéissants serviteurs.

DE JOLY ; RAIMOND, ainé ; OGÉ, jeune ; DU SOUCHET DE SAINT-RÉAL ; HONORÉ DE
SAINT-ALBERT, Habitant de la Martinique ; FLEURY.

Commissaires & Députés des Citoyens de Couleur des Isles & Colonies Françaises,

Paris, ce 23 Novembre 1789.

De l'Imprimerie de LOTTIN l'aîné & LOTTIN de S.-Germain, Imprimeurs-Libraires Ordinaires de la
Ville, rue S.-André-des-Arcs. (N° 27) Nov. 1789.


Cette lettre, avec l'orthographe d'époque est consultable sur le site de la BNF dans la fenêtre ci-dessous :

Lettre des citoyens de couleur des îles et colonies françaises à MM. Les membres du comité de vérification de l'Assemblée nationale. (23 novembre 1789.)
Date de l'édition originale : 1789
Sujet de l'ouvrage : France -- Colonies -- Histoire

dimanche 22 novembre 2020

22 Novembre 1789 : La Manufacture royale d'Aubusson ouvre un entrepôt rue Saint-Martin

Tapisserie de la Manufacture d'Aubusson
Carton J.B. Huet, vers 1786

Page de publicité.

Oyez, oyez braves gens !

    "Les sieurs Chassaigne, père & fils, ont établi à Paris, rue Saint-Martin, n°107, en face de celle aux Ours, un Entrepôt de tous les objets qu'ils font fabriquer dans la Manufacture royale d'Aubusson, comme tapis veloutés & ras, dans toutes sortes de proportions, tapisseries, garnitures de fauteuils de diverses couleurs & quantités, cantonnières, carapaçons, &c, &c. Ils font exécuter avec soin toutes les commissions dont on les charge, sur les mesures & dessins que l'on désire, à prix de fabrique."

Lisez cet encart dans le Journal de Paris :

Source : Supplément au N°326 du Journal de Paris

La mystérieuse rue aux Ours.

    Comment ? Vous ne savez pas où se trouve la rue Saint-Martin ? Vous êtes seulement de passage à Paris ? Peu importe, je vous explique. Depuis le Pont Notre-Dame, prenez tout droit jusqu'à l'église Saint Merri, la rue Saint-Martin commence ici et continue tout droit jusqu'à la Porte Saint-Martin. Regardez ci-dessous l'extrait du plan de Bretez. J'ai même entouré en rouge l'emplacement de l'entrepôt des sieurs Chassaigne, père & fils !


Vous ne connaissez pas ce magnifique plan de Paris ? Alors, cliquez ici : Plan de Bretez dit de Turbot.

    Tant que vous y serez, vous pourrez faire vos courses dans la rue aux Ours, juste en face. Cette rue est célèbre pour ses rôtisseries de volailles. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle s'appelle ainsi, car "ours" est une altération de l'ancien mot "oues", c'est-à-dire "oies".

    Pourquoi ai-je titré ce paragraphe la mystérieuse rue aux Ours ? Eh bien apprenez braves gens, qu'il y a eu un miracle dans cette rue ! Sur l'une des maisons de cette rue volaillère, avait été placée derrière une grille de fer, une statue de la Vierge Marie, "Notre Dame de la Carole". 

Celle-ci se trouve à Aix-en-Provence.
Voir cet article sur les Saintes Vierges.

    Durant l'été de 1418 (cela ne nous rajeunit pas), plus exactement le 3 juillet 1418, un garde suisse, probablement ivre (des cabarets étaient proches), aurait frappé la statue de la vierge d'un coup de son sabre, et là, miracle, la statue se serait mise à saigner ! Cet Helvète alcoolique fut aussitôt arrêté, "jugé", et bien sûr condamné à mort.

Garde suisse du roi en 1481
J'attire votre attention sur son drapeau
qui pourrait être l'un des drapeaux
 de la garde nationale de 1789 !

    L’affaire marqua le quartier et l'on représenta la scène sur un des vitraux de l’église de Saint Martin des Champs qui est devenue notre actuel Conservatoire National des Arts et Métiers, fondé durant la Révolution par l'Abbé Grégoire !

L'Abbé Grégoire peint par le grapheur C215,
à l'entrée du CNAM

    À la suite de cet extraordinaire miracle, durant de nombreuses années, les habitants vinrent allumer un feu d’artifice devant la statue tous les 3 juillets. Lors de cette célébration, ils s'amusaient à brûler une effigie du garde suisse alcoolique et impie. Sous Louis XV, les gardes suisses firent pression pour que le mannequin brûlé ne porta plus les couleurs de leur uniforme. Cette pratique prit fin pendant la Révolution...

La manufacture d'Aubusson.

    Il existe toujours à Aubusson une manufacture, héritière des manufactures élevées au rang de Manufactures Royales par Colbert en 1664. Vous pouvez la découvrir en cliquant sur l'image ci-dessous :





samedi 21 novembre 2020

21 Novembre 1789 : Le comité des recherches affirme que Malouet est informé d'un projet d'enlèvement du roi.


Pierre-Victor Malouët

Se poser des questions...

    On est en droit de se poser des questions quant à la lucidité des gens de l'époque concernant la situation en cet automne 1789. Je ne parle pas du peuple, en majorité illettré, informé que de rumeurs, souvent tenaillé par la faim, ballotté au gré des évènements quand il n'est pas manipulé. Je pense plutôt à ceux qui ont profité de ces journées chaotiques de juillet pour prendre le pouvoir et qui siègent dorénavant à l'Assemblée nationale. Qu'ils expliquent certains désordres par des complots, c'est compréhensible, mais ce que je ne comprends pas, c'est leur aveuglement vis-à-vis du roi.

    On dit que l'amour rend aveugle. C'est peut-être, la seule véritable explication. Les députés se félicitent d'avoir abattu la tyrannie et pas un instant ils ne réfléchissent au fait que celui qui en étaient le maître est toujours sur son trône.

    Je me demande parfois ce que devait penser Louis XVI quand il se devait de partager cette joie générale que suscitait ladite chute de la tyrannie. Plus d'une fois, il a dû penser qu'il était entouré de fous ou d'aveugles.

    Nous l'avons vu le 3 Septembre, demander de l'aide à son conseiller l'évêque de Tréguier, puis le 12 Octobre écrire à son cousin le roi d'Espagne pour lui dire :« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »

Source de la citation : "Le Peuple et le Roi" de l'historien Max Gallo.
Lien https://www.you-books.com/book/M-Gallo/Le-Peuple-et-le-Roi (Fin de la 3ème partie)

    Mais les Français aiment leur roi, laissons-les pour le moment tout à leur joie et découvrons le compte-rendu fait ce jour par le comité des recherches concernant ses investigations concernant les complots...


Le comité des recherches.

    Le comité des recherches a été créé le 28 juillet 1789. Il s'agit d'une sorte de police politique destinée à déjouer les intrigues du « complot aristocratique » et à prévenir les crimes de lèse-nation. Souvenez-vous que le 24 Octobre dernier, le roi Louis XVI a autorisé "provisoirement" le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation", qui annulent et remplacent les crimes de "lèse-majesté".

    Le terme de police politique vous choque ? Vous pensiez que seuls les "sanguinaires révolutionnaires de 1793" avaient créé un tel office. Mais voyons ! Tous les gouvernements ont une semblable police !

Estampe satirique de 1790.
Membre du Comité des recherches :
"qui fait bien son métier ne craint point les injures,
il est bon quelquefois d'accrocher des ordures"

    C'est le doyen, Guillaume Goupil de Préfelne qui présente le rapport devant les députés de l'Assemblée. Il commence par présenter les affaires en cours. Parmi celles-ci figurent principalement celle concernant Augeard, suspecté d'avoir projeté d'enlever le roi pour le conduire à Metz et contre Besenval, détesté des Parisiens pour sa violente répression de l'émeute Réveillon le 28 Avril 1789. Besenval est aussi inquiété pour sa participation à l'incident des Tuileries le 12 Juillet 1789, tout comme le Prince de Lambesc d'ailleurs qui commandait le régiment du Royal Allemand, impliqué dans l'altercation des Tuileries.

Drôles de comploteurs !

    Vous allez mieux comprendre la question que je me posais en introduction de cet article. Tous les personnages inquiétés ici, n'ont fait qu'obéir aux ordres, demandes ou prières du roi et de la reine...

  • Jacques Mathieu Augeard était le secrétaire de commandement de la reine et c'était Marie-Antoinette qui lui avait demandé d'étudier les modalités d'une fuite de la famille royale.
  • Le baron suisse Pierre Victor de Besenval de Brünstatt, favori de la reine, obéissant aux ordres du roi, avait déjà été sauvé une fois de la vindicte populaire suite à son arrestation par les zélés miliciens de Villenauxe-la-Grande le 30 juillet dernier, puis sauvé par les bourgeois de la Commune de Paris, les députés de l'Assemblée nationale, le grand Necker et même par sa majesté Louis XVI qui l'avait autorisé à s'exiler ! Mais hélas, malgré toute cette clémence haut placée, Besenval avait de nouveau été arrêté par de mauvaises gens le 10 Août 1789 et envoyé dans la prison du Grand-Chatelet.
  • Le Prince de Lambesc avait été appelé avec son régiment le 5 Juillet 1789 par Louis XVI, afin d'assurer "la sécurité" à Paris (et à Versailles). Certains disent même qu'il avait eu pour mission de réprimer les Parisiens en révolte, voire chasser les débutés rebelles de la jeune assemblée nationale. Dans tous les cas, il obéissait aux ordres du roi...
    Vous allez lire également que le comité des recherches ne s'est pas occupé du Mandement de l'évêque de Tréguier, car il n'a pas été chargé de cette affaire ! C'est heureux pour certains car ce vénérable ecclésiastique, conseiller du roi, n'avait fait que répondre à une prière du roi en rédigeant son fameux mandement, un véritable brûlot contre-révolutionnaire !

Vous voyez ce que je veux dire ?

Variante de l'estampe précédente.

Venons-en à l'affaire du jour !

    Au cours des échanges de ce jours, le député Jacques-Marie Glezen va disons-le, "commettre une bourde". Probablement mal renseigné, il va sous-entendre que l'un des députés présents, aurait été informé par une lettre d'un complot d'enlèvement contre le roi. Je vous laisse découvrir l'échange. Sachez néanmoins que le texte ne rend pas compte des insultes qui ont été échangées lors de l'incident.


Rapport du comité des recherches

 Guillaume Goupil de Préfeln

    M. Goupil de Préfeln, doyen du comité, prend la parole pour dire que le comité s'est constamment occupé, d'après l'esprit de son institution, de tout ce qui peut procurer la sûreté et la liberté publique, de tout ce qui peut faire découvrir les ennemis de la patrie. Il parle avec des réticences qui excitent les plus grands murmures. Sans vouloir entrer dans aucun détail, il passe en revue sommairement toutes les affaires qui sont venues à la connaissance du comité, et d'abord de celle de M. Augeard, fermier général.

 Cette affaire, de peu d'importance au premier aspect, dit le rapporteur,  a paru au comité des recherches mériter la plus sérieuse attention. Le comité a reçu les documents les plus positifs qui le déterminent à croire que le plan de M. Augeard, combiné pour enlever le Roi à Metz, n'est point le fruit de l'imagination en délire de M. Augeard (Lire l'article du 19 Octobre 1789). Il s'est appuyé sur les circonstances, sur les temps, sur la confirmation de ce plan répété par tous les échos de la capitale, et le comité a pensé que les apparences étaient contre M. Augeard. Il fait mention de M. de Bezenval, (Lire l'article du 10 Août 1789) des trois individus arrêtés et détenus dans les prisons du Châtelet pour avoir tenu des registres antipatriotiques, et du prince de Lambesc, contre lequel un décret de prise de corps a été lancé pour s'être porté à des voies de fait dans les Tuileries (Lire l'article du 12 Juillet 1789).

    Un particulier de la Brie, dont le nom n'a pas été prononcé, mais aujourd'hui constitué prisonnier, a fait tout son possible pour traverser l'approvisionnement des marchés. Il est essentiel et possible de connaître ses mandats et ses mandants. Ce particulier s'est porté avec audace contre ceux qui voulaient vendre des grains dans son canton. Il a poussé le crime jusqu'à menacer d'incendier ceux qui, se prêtant aux circonstances, vendraient comme à l'ordinaire.

    Si nous ne nous sommes pas occupés du mandement de l'évêque de Tréguier, (Lire les articles des 3 Septembre et 14 Octobre 1789) continue le rapporteur, c'est que nous n'en avons pas été chargés par l'Assemblée nationale. Il a fait mention de l'affaire de la fille de Douai. Cette fille, qui a failli être assassinée, a dénoncé le complot formé contre le Roi et les amis de la Constitution. Le comité des recherches n'a pas encore des preuves complètes de toutes les trames et de tous les complots des ennemis de la patrie ; mais il a le fil qui peut le conduire à une parfaite connaissance. Nous mettrons, ajoute le rapporteur, sous les yeux de l'Assemblée toutes les connaissances, notions, documents qui nous sont parvenus.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3873_t1_0168_0000_7


Discussion sur la continuation des pouvoirs des députés membres du comité des recherches

M. La Ville-Leroux propose qu'il soit décrété de continuer dans leurs fonctions les membres du comité des recherches.

M. Couppé appuie la motion sur la nécessité de conserver des connaissances acquises sur plusieurs affaires importantes, dont de nouveaux commissaires ne pourraient s'occuper qu'avec lenteur, suite nécessaire du changement. (On rit dans une partie de la salle .)

Vous riez, Messieurs, a dit l'orateur, mais on répond difficilement quand on a peur : Qui male agit, odit lucem (Quiconque fait le mal hait la lumière).

M. le marquis de Foucauld-Lardimalie : Parlez français, cela vaudra mieux.

Un membre a proposé de reprendre la motion faite dans une séance antérieure pour adjoindre quatre commissaires au comité des recherches et les charger de surveiller les poursuites qui doi¬vent se faire au Châtelet.

M. Dufraisse-Duchey : Je m'oppose à la continuation des pouvoirs du comité. On nous parle sans cesse de conspiration sans nous donner la moindre preuve. Ce mot vague semble n'être qu'un moyen pour maintenir en fonctions ceux qui veulent égarer le peuple. Le rapporteur nous a entretenus de bruits populaires qui ne méritent aucune créance, mais il n'a rien dit d'une descente qu'il a faite dans le couvent de l'Annonciade de Paris.

M. Malouet : Il est bien fâcheux d'être obligé d'emprunter les formes du despotisme pour en anéantir les traces. — Après cet exorde, M. Malouet parle de la descente nocturne faite dans le couvent de l'Annonciade par quelques membres du comité. Il ne croit pas que les membres du Corps législatif puissent descendre à ces fonctions subalternes sans compromettre leur caractère ; il ajoute qu'il aurait mieux valu s'occuper des moyens de porter remède aux émeutes populaires et il demande que le comité soit tenu de rendre compte à l'Assemblée des motifs de la descente dans le couvent, ainsi que des suites qu'elle a eues et des indices qu'elle a fournis.

M. Goupil de Préfeln : Vous venez d'entendre un ami généreux de la liberté faire des questions à votre comité. Je dois, comme en étant membre, satisfaire à sa sollicitude. Le comité de police de Paris a cru devoir ordonner des recherches dans ce couvent, parce qu'on disait qu'un personnage très-connu y était caché ; c'était sans doute une erreur, mais ce qu'il y a de certain c'est que cette descente s'est faite avec toutes les règles de la prudence et de la circonspection. Pour ce qui regarde les émeutes populaires, le comité remettra aux nouveaux commissaires les pièces qui pourront les instruire, et surtout celles de l'affaire du Cambrésis, dont le foyer n'est pas éloigné de la capitale. On voudrait nous forcer à faire connaître les canaux par lesquels certains faits nous sont parvenus, mais ce serait donner aux coupables les moyens d'arrêter le complément des preuves.

M. Glezen : membre du comité. Vous connaissez les propos sinistres pour transférer le Roi à Metz. M. Augeard, à la confrontation d'un plan tracé de sa main, s'est justifié en disant que c'était le produit d'une imagination exaltée ; dans la correspondance d'un personnage important il existe une lettre écrite par un généreux ami de la liberté. Je ne veux inculper personne, mais l'esprit dans lequel cette lettre est écrite et la personne à qui elle est adressée semblent désigner quelque chose : il y est parlé des membres de l'Assemblée qui sont de mauvais citoyens et qu'on accuse d'être les auteurs des malheurs publics.

Incident de séance suite à l'accusation contre M. Malouet proférée par M. Glezen

(A ces mots, M. Malouet s'élance à la tribune. - Un grand tumulte se fait dans l'assemblée. - Le désordre est indescriptible. - Pendant ce temps M. Malouet va se placer à la barre pour se justifier ; cette démarche est fort applaudie, mais M. le président lui dit de remonter à la tribune.)

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3873_t1_0169_0000_3


Discussion suite à l'accusation contre M. Malouet proférée par M. Glezen, lors de la séance du 21 novembre 1789

M. Malouet. J'offre de me constituer sur-le-champ prisonnier si je suis reconnu coupable ; mais je croyais que 30 ans d'une vie sans reproche me mettaient à l'abri de toute espèce d'accusation -, si ce n'est pas par méchanceté, c'est au moins par erreur que M. Glezen a rapproché une de mes lettres de l'affaire de M. Augeard, qui lui est étrangère. On m'accusa de même, il y a vingt ans, sur une lettre interceptée. J'ai été pleinement justifié. J'attends pour la lettre actuelle le même jugement et je réclame votre justice à raison de la grave inculpation que l'on me fait aujourd'hui.

M. Glezen explique cette inculpation en disant que son récit ne portait aucune accusation contre M. Malouet, mais que sa lettre parlait de scélérats qui veulent répandre le feu dans le royaume, et que son contexte annonçait clairement que l'auteur avait voulu désigner des membres de l'Assemblée nationale.

M. Malouet demande acte d'enquis sur le fait articulé contre lui que sa lettre contenait des indices de conspiration.

M. Glezen prétend alors n'avoir dit autre chose, si ce n'est que la lettre avait été remise au comité à la suite des faits de conspiration qu'on prétend découvrir dans l'affaire de M. Augeard.

Plusieurs membres réclament avec instance l'apport de la lettre de M. Malouet.

L'Assemblée décide que la lettre sera produite et lue.

Pendant qu'un des membres du comité va chercher la lettre, on met aux voix la continuation des pouvoirs du comité des recherches.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette proposition, attendu que, dans la séance du matin, l'Assemblée a ordonné le renouvellement du comité et que plusieurs bureaux ont même fait leur élection.

On apporte enfin la lettre de M. Malouet. Elle est écrite de Versailles, le 26 septembre dernier, et adressée à M. le comte d'Estaing.

M. Goutte fait la lecture de cette lettre, qui est ainsi conçue :

"Monsieur le comte, j'ai l'honneur de vous prévenir que le sieur Mascelin, marchand parfumeur, a dit hier à mon domestique que le premier usage que les bourgeois de Versailles devaient faire des dix mille fusils qu'ils allaient recevoir était de s'en servir contre les mauvais citoyens qui se trouvaient à l'Assemblée nationale. M. Maury doit être la première victime. Comme je suis aussi une des victimes désignées, j'ai cru devoir, monsieur le comte, vous dénoncer ce particulier pour arrêter les suites de cette fermentation, si elle existe… Il n'est que trop vrai qu'il existe parmi nous de mauvais citoyens, et je crains bien qu'ils ne viennent à bout de tout perdre… Votre vigilance et votre patriotisme peuvent nous garantir des attentats d'un complot qui nous préservera de la banqueroute, de la disette et de la famine. »

(La lecture de cette lettre est suivie de vifs applaudissements.)

M. Malouet a parlé encore pour sa justification en demandant que la lettre fût insérée dans le procès-verbal comme une réparation authentique. — Il n'y a, dit-il !, qu'esclavage et tyrannie où l'honneur n'accompagne pas la liberté.

M. Duquesnoy appuie la demande de M. Malouet et fait la motion de supprimer le comité des recherches aussitôt que les affaires actuellement subsistantes seront terminées.

M. Glezen, qui avait parlé de la lettre, a répondu aux inculpations de M. Malouet. Il s'est défendu par la discrétion que le comité a mise dans son premier rapport, par les instances qui lui ont été faites de s'expliquer davantage, par l'opinion que le comité s'en était formée.

L'ajournement a été demandé.

M. Malouet s'y est opposé ; puis il a déclaré consentir que l'affaire finît là, pourvu que son innocence fût reconnue.

Un membre de l'Assemblée a fait la motion de prononcer que, ouï la lecture de la lettre, M. Malouet est honorablement déchargé de toute accusation.

Un autre membre a proposé, par amendement, que le décret portât qu'il n'y a lieu à inculpation. La motion, ainsi amendée, a été mise aux voix ; avant de les recueillir, la question préalable a été demandée.

Un membre, qui l'avait d'abord appuyée, l'a abandonnée ensuite. Les voix ont été prises sur le fond, et l'Assemblée a porté le décret suivant :

« L'Assemblée nationale, après avoir ouï la lecture de la lettre de M. Malouet, en date du 26 septembre dernier, déclare qu'il n'y a lieu à aucune inculpation. »

L'Assemblée a été levée à près de minuit.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3873_t1_0169_0000_4


Après cet incident, le malheureux Glezen se fera de plus en plus discret, jusqu'à se retirer progressivement de la vie politique.

Quant à Monsieur Malouet, homme d'honneur, si le cœur vous en dit vous pouvez consulter ci-dessous ses mémoires, publiées en 1874 par son petit-fils.


Voici le tome 1 de ses mémoires :


Voici le tome 2 de ses mémoires :