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jeudi 6 août 2020

6 Août 1789 : Pourquoi des lapins et des pigeons sur ces célèbres estampes ?

 Article mis à jour le 22/08/2021, suite à l'aimable intervention de l'historienne Aurore Chéry.    L'historienne pose en effet une question pertinente : Pourquoi le noble porte-t-il un costume datant de l'époque d'Henri IV et pourquoi le paysan a-t-il le profil bien connu de ce roi sur la seconde estampe ?


Première interprétation de cette estampe

    Pourquoi voit-on, sur cette célèbre estampe montrant les trois corps sociaux de la société de l’ancien régime, des lapins dévorant les choux plantés par le malheureux paysan, ainsi que des pigeons picorant le grain semé ?

    N’est-il pas déjà assez accablé, cet humble représentant du Tiers État, de devoir porter sur son dos les oisifs représentants du Clergé et de la Noblesse ?

    La raison en est que si l’idée venait à ce malheureux, de tuer un des lapins, ou même l’un de ces volatiles échappés du pigeonnier du seigneur local, il serait passible du bagne, voire de la pendaison ! Car le gibier aussi bien que les pigeons, sont la propriété du seigneur !

    C’est lors de la fameuse nuit du 4 au 5 août 1789, que l’Assemblée Nationale vota la proposition du Duc d’Aiguillon d’abolir les droits féodaux, sous condition tout de même que ceux-ci soient rachetés "au denier trente", c’est-à-dire en payant trente années d’annuités ! (Drôle d’abolition !)

    Adrien Joseph Colson, avocat au parlement de Paris, dans une de ses lettres datée du 9 août 1789, apporte la précision suivante : 

« L’Assemblée Nationale a arrêté que le droit de chasse, de garennes, de capitaineries sera également supprimé, mais à condition que chaque particulier ne pourra chasser que sur ses propriétés... Elle a défendu de laisser sortir les pigeons dans de certaines saisons de l’année, sinon permis à tous les particuliers de les tuer quand ils sont sortis, etc.etc.»

Encore un mot sur le droit de chasse. 

    Le droit de chasse pour les paysans fut donc l’un des premiers acquis de la Révolution Française. Raison pour laquelle, dans les semaines qui suivirent, les colporteurs commencèrent à vendre une nouvelle estampe sur laquelle on voyait le paysan à cheval sur le dos du noble, remorqué par le religieux, avec le lapin occis au bout de sa nouvelle épée et les pigeons mis hors d’état de nuire aux semailles...

 C'est aussi l'une des raisons, incompréhensible pour les citadins, pour laquelle on attache encore beaucoup d'importance à la chasse dans les campagnes.

    Le droit de chasse sera probablement supprimé un jour prochain, car c'est dans l'air du temps. 

    Les citadins ont une vision de la nature qui ressemble plus à un film de Disney qu'à la sauvage réalité de celle-ci. On ne peut cependant pas leur reprocher de vouloir sauver cette nature avec laquelle ils ont perdu tout contact. Mais d'après vous, qui régulera le gibier, quand il n'y aura plus de chasseurs ? Probablement des sociétés privées qui auront obtenu leurs contrats par des marchés publics "arrangés" (j'en connais un rayon sur ce sujet).

    Gageons également que, certains privilégiés, entre les hauts murs entourant des forêts privées, jouiront toujours de ce privilège.


Les niveaux de lecture.

    Les érudits qui étudient la Torah depuis des siècles prétendent que la Torah à 70 niveaux de lectures. Mais en vérité, chaque livre a autant d'interprétations qu'il a de lecteurs et de lectrices, car chacun y apporte ce qu'il a vu ou compris du monde. 

    Il en est de même pour les images et les tableaux. Si vous voyez un escargot sur un tableau du Moyen-Âge et que vous ignorez la signification symbolique du petit gastéropode, vous n'aurez pas vraiment vu le tableau. Si ce sujet vous intéresse de lire le passionnant ouvrage de l'historien d'art Daniel Arasse intitulé : "Histoires de peintures", ou d'écouter ses conférences sur France Culture.

    La première lecture des estampes que je vous ai présentées ci-dessus, était celle immédiatement compréhensible pour le Peuple en 1789. Mais certains, mieux au fait des intrigues, pouvaient à l'époque y lire autre choses. A l'époque mais aussi aujourd'hui, si ladite personne est érudite.


Seconde lecture de ces deux estampes par Aurore Chéry.

    Je vous reproduits ci-dessous l'échange que j'ai eu avec l'historienne Aurore Chéry (avec l'aimable autorisation de celle-ci), à propos de ces deux estampes. Lisez, et alors, vous aussi, vous allez vous poser de nouvelles questions sur ces deux estampes.

Aurore Chéry : Je me demandais si vous aviez déjà parlé des costumes sur ces estampes. Pourquoi la noblesse est représentée en costume Henri IV par exemple ? Là, ce qui me frappe dans la deuxième que vous avez postée, c'est que le paysan a lui-même le profil d'Henri IV.

Le Citoyen Basset : C'est une excellente question et vous attisez ma curiosité. Le paysan, semble effectivement avoir la tête d'Henri IV. Nous savons qu'Henri IV était très présent dans le cœur des Français de cette époque, dans leur esprit et pourquoi pas dans leur inconscient ? Vous soulevez un nouveau mystère ! Je vais consulter mes estampes en stock. Concernant les costumes de nobles, ne peut-on concevoir qu'en province, ceux-ci portaient des costumes à l'ancienne et gardaient leurs beaux atours pour aller à Versailles ? Des costumes et même des objets traversent le temps. On a bien vu de vieilles hallebardes volées aux Invalides dans les émeutes de juillet ! (…) 

Le Citoyen Basset : On pourrait alors presque imaginer que ce serait un roi paysan qui porterait la noblesse et le clergé sur son dos !?

Aurore Chéry : Pour le costume, là on est quand même sur du Henri IV, 200 ans avant, c'est de l'antiquité du costume. Même si de rares morceaux tissus ont survécu, ils ont nécessairement été réutilisés pour d'autres choses. Donc les gens qui se promenaient en costume Henri IV, c'est parce qu'ils en avaient l'intention. Moi j'aurais tendance à l'interpréter plutôt comme une volonté de faire attribuer la Révolution au duc d'Orléans. C'était la stratégie adoptée par Louis XVI et il a utilisé plusieurs astuces pour ça. Il me semble que c'en est une.

Déjà quand il avait commandé le pamphlet "L'Avis important à la branche espagnole" (1) (2) au tout début de son règne, il s'y laissait ridiculiser pour qu'on ne le soupçonne pas d'en être le commanditaire et il avait tout fait pour faire accuser d'Aiguillon. Les Orléans et lui revendiquaient à la fois l'héritage d'Henri IV et je vois ici une façon de se moquer de la manière dont Louis XVI se l'appropriait. Le noble n'a que le costume et le paysan a le corps.

En gros, derrière la noblesse qui exploite la paysannerie, il y a aussi l'idée de Louis XVI qui exploite l'image d'Henri IV. Ça peut également être un second niveau de lecture pour les deux lapins sur le même chou : on peut y voir des représentations d'Henri IV et Louis XVI en chauds lapins, manière de dire que c'était la seule chose par laquelle Louis XVI avait réellement réussi à égaler Henri IV.

On se situe là dans la continuité de la découverte de la correspondance amoureuse de Louis XVI par le duc de Chartres et de sa représentation en Valmont dans "Les Liaisons dangereuses".

Bref, je pense que dans ces gravures, il y a le niveau de lecture politique que vous analysez et il y a un second niveau de lecture, destiné à la cour, qui permet à Louis XVI d'exprimer l'idée : "Eh regardez, c'est sûr, moi je ne suis pas derrière ça ! Vous avez vu comme on se moque de moi !"


(1) Si vous cherchez à avoir des informations sérieuses sur ledit pamphlet, je peux vous assurer que vous allez "ramer" sur Internet. Premier conseil, zappez vite les pages affligeantes des "Marientoinettistes". 


Personnellement je vous conseille de lire l'ouvrage d'Aurore Chéry : L'intriguant.


    En attendant ; pourquoi ne pas lire cet épisodes rocambolesque des aventures de Beaumarchais qui était aussi, on le sait moins, un agent secret. Je l'ai trouvé dans un passage de la Revue des Deux Mondes de 1886. Accédez au texte en cliquant sur l'image ci-dessous.

    Mais ne vous réjouissez pas trop, cette version est totalement démentie dans cet autre article dont le lien est le suivant http://www.cosmovisions.com/Beaumarchais.htm
Cette seconde version des aventures de Beaumarchais 007, me dérange quelque peu par ce que le "méchant" y est traité de Juif.


(2) Plus d'infos sur cette fameuse branche espagnole et surtout sur Marie-Thérèse d'Autriche dans cet article passionnant : Marie-Thérèse d'Autriche, une mémoire européenne.



Post Scriptum :

On se sait pas grand chose de ceux qui gravaient ces estampes, car elles n'étaient jamais signées (C'était plus prudent).

Correspondaient-elles à des commandes bien précises ? J'en suis certain pour les centaines d'estampes à la gloire de Necker qui furent diffusées lorsqu'il était ministre.

Mais qu'en était-il des autres ? Peut-on penser qu'elle ne correspondaient qu'à l'inspiration de moment de l'artistes ?

Encore un sujet à creuser !

Qui osera me dire que l'Histoire n'est qu'un roman facile à lire, c'est au contraire une enquête à suspens, pleine de rebondissements !

Vous trouverez une autre représentation des trois corps de la société, datant des Etats Généraux sur une médaille que je présente à l'article en date du 23 Août 2021.


mercredi 1 janvier 2020

Via Futura Sciences : Histoire de l'impôt avant la Révolution.

 Article de l'historienne Isabelle Bernier, provenant du site Futura-science.com


    A quoi bon écrire un article sur ce sujet lorsqu'on en trouve un aussi bien rédigé que celui-ci ? Par expérience, je sais que bien souvent, avec le temps, des articles finissent par disparaître de certains sites. Alors, une fois n'est pas coutume, je reproduits ci-dessous cet excellent article de l'historienne Isabelle Bernier sur le site Futura-science.

Source :


Parmi la multitude d’impôts et de taxes ayant existé sous l’Ancien Régime, la taille est certainement l’impôt direct le plus connu et le plus controversé. Cette taxe levée exclusivement par le roi à partir du XVe siècle, ne prend pas la même forme dans tout le royaume mais concerne tout de même plus de 85 % de la population française.

Quand on évoque l'administration fiscale avant la Révolution, il faut imaginer un découpage territorial du royaume correspondant à différents régimes fiscaux.

La répartition de l’impôt sur le territoire 

La taille est un impôt direct dont le montant global, appelé brevet, est fixé chaque année par le Conseil du roi. C'est également au sein du Conseil que se décide la première répartition sur l'ensemble du territoire, entre les « généralités » et les « pays d'états ».

En 1789, il existe vingt-neuf généralités : ce sont des circonscriptions financières confiées aux intendants, commissaires du roi représentant l'État dans les provinces du royaume. Les généralités sont subdivisées en « élections », entités territoriales chargées à leur tour de répartir l'impôt au niveau des paroisses fiscales. Les « généralités » représentent environ 60 % du territoire du royaume.

Les « pays d'états », quant à eux, disposent d'assemblées provinciales (les « états ») de députés des trois ordres (Tiers-État, noblesse, clergé) qui fixent l'impôt et gèrent sa perception, en le répartissant entre les diocèses fiscaux qui le transmettent aux collectes des paroisses. Au XVIIIe siècle, subsistent les « états » suivants : Bretagne, Bourgogne, Languedoc, Provence (tous quatre, appelés grands pays d'états) puis Flandre, Artois, Bresse, Bugey, Dauphiné, ainsi que les petits pays d'états du Sud-Ouest (Béarn, Bigorre).

Enfin, les « pays de libre imposition » sont directement administrés par les intendants et à l'entière disposition du souverain en matière de fiscalité : leur point commun est d'avoir été conquis depuis le règne de Charles IX (roi de 1560 à 1574). Les régions frontalières concernées se situent autour des villes de Lille, Valenciennes, Metz, Nancy, Strasbourg, Besançon, Perpignan et Bastia.

Découpage du territoire français correspondant aux trois régimes fiscaux de la Taille en 1789.

Comment définir la taille ?

Créée en 1439, la taille pourrait être considérée comme un ancêtre de l'impôt sur le revenu. Elle frappe plus de 85 % de la population française : noblesse, clergé et bourgeoisie des villes en sont dispensés. L'unité perceptrice de base est la paroisse : la perception de la taille produit une somme globale qu'il faut faire remonter à la généralité (via l'élection), puis au Trésor royal, grâce aux receveurs généraux. Des « asséeurs », choisis parmi les paroissiens, sont chargés de dresser la liste des imposables et de répartir l'impôt entre les « feux » (foyers fiscaux). Les habitants d'une même paroisse sont solidaires devant l'impôt : si un foyer fiscal fait défaut, c'est l'ensemble de la communauté qui s'engage à régler le montant exigé.

Il existe deux types de taille :

La taille réelle : l'impôt est réglé sur le bien foncier sans appréciation des circonstances personnelles (nombre d'enfants, âge, métier, revenus...) du propriétaire.

La taille personnelle : l'impôt est appliqué sur les revenus de la personne en tenant compte des circonstances personnelles et de toutes ses activités (artisan, marchand, agriculteur, rentier...). Ceci implique des enquêtes approfondies et régulières effectuées par le collecteur de la paroisse (l'asséeur).

Dès le XIVe siècle, en Languedoc, les « compoix » (ancêtres des matrices cadastrales dans les régions de langue occitane) donnent la nature, la surface et la valeur des biens fonciers, pour le prélèvement fiscal. Ils sont révisés régulièrement afin de tenir compte des changements de propriétaires ou des défrichements. La taille réelle s'applique ainsi à tous les pays disposant de compoix, c'est-à-dire Guyenne, Quercy, Languedoc, Provence, Dauphiné, Bourgogne mais aussi Alsace, Flandre et Artois.

Des déséquilibres importants existent entre pays d'élections et pays d'états : les pays d'élections assujettis à la taille personnelle sont les plus imposés. Au niveau des paroisses, la répartition de la taille subit l'appréciation arbitraire des collecteurs, puisque le calcul de l'impôt s'estime en fonction de la valeur des biens de chacun, d'où de nombreux abus.

Budget simplifié du Royaume de France en 1789.
La taille figure dans la catégorie "impôts directs" des recettes.

À savoir

Vers 1610, la taille représente environ 60 % des revenus de la monarchie, 25 % vers 1715. L'État a multiplié les sources de financement, en élargissant la gamme des impôts directs, indirects et en recourant de plus en plus à l'emprunt. En 1789, la monarchie est incapable de faire face aux dépenses courantes sans emprunter, la taille représente encore 15 % des recettes dans le budget royal. Quant au remboursement de la dette, il correspond à 50 % des dépenses dans le budget de 1789. À titre de comparaison, en 2018, la charge de la dette dans le budget de l'État s'élève à 11,6 % de ses dépenses.

Auteur : Isabelle Bernier.



Post Scriptum : 

    Je vous conseille également cet excellent article de l'historienne Isabelle Bernier, intitulé :"Les Français et le livre sous l'Ancien Régime."

mardi 10 novembre 2020

10 Novembre 1789 : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?

Le pain, est le personnage principal de la Révolution.
Article mis à jour le 17/08/2021

    A n’en point douter, la pénurie de pain fut l’un des principaux éléments déclencheurs de la Révolution de 1789. Il y eu d'une part la pénurie et d'autre part le coût extraordinairement élevé de celui que l'on trouvait.
    Avant 1750 le pain était à 2 sous la livre. La consommation étant en moyenne de 4 livres de pain par personne et par jour, le pain journalier d'une famille coutait donc 8 sous.
    Début 1789, le pain à Paris était à 14 sous. Un ouvrier non qualifié (80 % des ouvriers parisiens) gagnait 20 sous par jour et un journalier à peine 15 sous.

    Cette situation de manque s’était pourtant déjà produite auparavant, sans pourtant provoquer les mêmes conséquences. La "guerre des farines" qui avait eu lieu de 1774 à 1775, suite à la réforme de Turgot (libre circulation des grains), avec ses nombreuses émeutes, dues autant au manque de blé qu’à la peur du manque, avait été matée sans problème par une violente répression, comme il était d’usage à l'époque. 

    Mais en juillet 1789, la situation avait changé. De nouveaux paramètres déterminants intervenaient dans l’équation de la Révolution, de nouvelles forces et de nouvelles faiblesses, qui ont rendu la Révolution inévitable.

Emeutes des subsistances de 1761 à 1789

    Les émeutes révolutionnaires sont-elles toutes spontanées et motivées par la faim ?   Je vous rappelle également, comme nous l'a dit le ministre Saint-Priest en septembre dernier, qu'en 1789, l'organisation d'une émeute coûte 25 Louis...

Comparaison récoltes et prix du pain entre 1778 et 1790

    Cependant, même avec les réformes décidées par ce nouveau pouvoir que constitue l’Assemblée nationale, le problème des subsistances reste encore un problème majeur durant cet automne 1789. Le manque de farines persiste et continue de provoquer partout en France et à Paris de nombreuses émeutes de la faim, des émeutes frumentaires (du latin frumentarius, "qui concerne le blé"). Les émeutes parisiennes sont les plus redoutées du pouvoir, car plus proche de lui, elles peuvent le renverser. Mais quel pouvoir d’ailleurs ? Celui de l’Assemblée ? Celui du roi ? Vous allez voir qu’il y a de bonnes raisons de se poser des questions.

Les origines de ce manque.

    Nous avons déjà listé le 24 octobre dernier, toutes les causes possibles pouvant expliquer ce manque de blé : le volcan de 1783, l’orage du 13 juillet 1788, l’agriculture sous-développée et même le libéralisme économique des physiocrates (libre circulation des grains, spéculation, etc.). Mais cela suffit-il à expliquer la situation ? Je n’en suis pas certain.

Même problème dans les pays voisins.

    Souvenez-vous que le même 24 octobre, lorsque nous avions vu les ministres du roi refuser devant l’Assemblée nationale la responsabilité d’un désordre qu’ils n’avaient plus pouvoir de contrôler ; ceux-ci avaient expliqué que les pays avoisinants se trouvaient confrontés au même problème d’insuffisance des subsistances (alors qu’ils n'avaient pas à l'époque une population aussi importante que la France).

Mesures prises par le roi et ses ministres :

  • Primes et avances d’argent faites aux boulangers ;
  • Différence (considérable) entre les prix d'achat et les prix de vente, supportée par le roi ;
  • Cinq cent deux vaisseaux ont approvisionné les deux seules villes du Havre et de Rouen depuis la fin 1788 (pour plus de 23 millions) ; probablement du blé venant des Etats-Unis ;
  • Nombreux convois de blé venant d’Algérie, acheminés depuis Marseille jusqu’à Paris sous garde armée pour prévenir des pillages sur le parcours !

Mesures prises par l’Assemble :

  • Promulgation de deux décrets autorisant la libre circulation des blés, ce qui selon la doctrine physiocrate (ou libérale) devrait permettre d’approvisionner tout le royaume ;
  • Promulgation de la loi martiale le 55 octobre pour empêcher et réprimer les émeutes ;

Un mot sur la libre circulation des blés ?

Je ne voudrais pas être médisant vis-à-vis des députés de l'Assemblée nationale, mais tout recommence comme en 74-75 sous Turgot. Le Roussillon refuse au Languedoc les secours dont il a besoin ; le Haut-Languedoc prend de l'ombrage des secours que le reste de la province lui demande. Le Lyonnais n'obtient qu'avec des peines infinies de légers secours de la Bourgogne ; le Dauphiné se cerne en conséquence. D'autres provinces suivent le même exemple ; et le Havre, Caudebec et Rouen ont retenu et retiennent encore une partie des approvisionnements achetés par le Roi, pour le secours de la ville de Paris. Du plus petit village à la plus grosse municipalité tout le monde s’oppose à cette libre circulation par crainte de manquer.

Mesures prises par la municipalité de Paris :

A Paris, c’est la police, entièrement aux ordres du roi qui contrôle l’approvisionnement en blé. Les commissaires tiennent à jour pour chaque boulanger parisien un registre faisant état de leur consommation quotidienne de farine, de leurs stocks, du marché où ils se fournissent, ou de leurs achats faits directement auprès des marchands ou laboureurs. Ce document leur permet de suivre l’approvisionnement de chaque boulangerie et de déterminer si celle-ci va pouvoir continuer sa production journalière de pain. De cette façon, la police peut répartir les achats de farine ou les faciliter, l’essentiel étant d’assurer que les boulangeries soient garnies coûte que coûte. 

Une thèse "intrigante"

 L’historienne Aurore Chéry a partagé récemment sur un blog, un article, dans lequel elle partage une photo qu’elle a prise de l’un de ces documents, rédigé le 5 juillet 1789, par un certain commissaire Dupuy, pour les boulangeries du quartier Saint-Benoît. Le voici reproduit ci-dessous. Cliquez sur l'image et vous accéderez à son article.

Accédez à l'article

    Elle précise que le document est accompagné d’une notice expliquant que « Le document permet de suivre l’approvisionnement de chaque boulangerie et de déterminer si elle va pouvoir continuer sa production habituelle de pain. De cette façon, la police peut répartir les achats de farine ou les faciliter, l’essentiel étant d’assurer que les boulangeries soient garnies coûte que coûte. »

    Aurore Chéry fait remarquer que malgré ce « coûte que coûte » cela n’a pas empêché « que le pain a manqué aussi bien en juillet 1789 que, de manière encore plus incompréhensible, en octobre. »

    L’historienne s’étonne donc que le roi informé par sa police n’ait pas agit pour empêcher le pain de manquer, et elle s’appuie sur cette observation pour conforter la thèse qu’elle soutient dans son livre "L’intriguant", soutenant que ce serait Louis XVI qui aurait provoqué ces émeutes frumentaires au nom d’une politique révolutionnaire que celui-ci aurait secrètement mené.

Partie mise à jour le 17/08/2021.

    Je me suis étonné en lisant l'explication de cette historienne, en me disant que sa thèse ne semblait pas concorder avec ce que les ministres de Louis XVI avaient affirmé plusieurs fois devant l’assemblée :

Qu’en était-il de la lettre lue par le Duc de Liancourt le 23 juillet devant l’Assemblée ?

« M. le Président fait lecture d'un avis qui lui a été envoyé par le ministre, et qui lui annonce que des grains venus de Barbarie par les soins de M. Necker, pour l'approvisionnement de Paris, sont arrivés jusqu'à Montlhéry, toujours escortés par des troupes ; il demande qu'attendu que les troupes ont été retirées depuis Montlhéry jusqu'à Paris, ou prenne des moyens pour faire arriver ces grains de ce poste jusqu'à Paris, en les faisant escorter par des milices nationales. M. le président ajoute qu'il a fait passer cet avis du ministre à M. le marquis de Lafayette. »

Quid du discours de Necker le 7 août ? 

« Les secours immenses en blés, que le Roi a été obligé de procurer à son royaume, ont donné lieu, non-seulement à des avances considérables, mais ont encore occasionné une perte d'une grande importance, parce que le Roi n'aurait pu revendre ces blés au prix coûtant, sans excéder les facultés du peuple, et sans occasionner le plus grand trouble dans son royaume. Il y a eu de plus, et il y a journellement des pillages que la force publique ne peut arrêter. Enfin, la misère générale et le défaut de travail ont obligé Sa Majesté à répandre des secours considérables. »

Quid de la lettre en date du 14 août 1789 de Monsieur Salomon de la Saugerie, membre de l’Assemblée, destinée à Mr Robert de Massy Président du Comité Permanent ?

 "Les six cent muids de bleds venant d'Afrique sont pour la capitale. Les électeurs en ont la note, ils attendent cette provision. Mr Necker ne peut donc autoriser personne à retenir ces grains soit en totalité soit en partie sans se compromettre lui-même vis-à-vis des parisiens."

Quid de l’intervention des ministres le 24 octobre, que j’ai déjà évoquée plus haut ? 

  • Primes et avances d’argent faites aux boulangers ;
  • Différence (considérable) entre les prix d'achat et les prix de vente, supportée par le roi ;
  • Cinq cent deux vaisseaux ont approvisionné les deux seules villes du Havre et de Rouen depuis la fin 1788 ;
  • Etc.

    Si la thèse de l’historienne était vraie, nous étions alors en droit de nous demander à quel niveau le roi intervenait, ou pas, dans cette rupture de l’approvisionnement ! Intriguant, non ?

    Aurore Chéry m'a fait l'honneur de lire le présent article et elle a même pris la peine de rédiger un billet pour ce modeste blog, que vous trouverez en cliquant sur le lien ci-dessous :

L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789
 et le pourquoi de son origine, l'Algérie.

Fin de la mise à jour du 17/08/21

Les explications officieuses ?

    Jusqu’à présent, nous nous en sommes tenus aux versions officielles. N’oublions pas les officieuses !

Que disait Marat ?

Bailly-Lafayette

    Marat, dans son journal, n’a pas cessé de dénoncer les petits arrangements et disons-le, la corruption, au niveau de la Commune de Paris, c’est-à-dire la municipalité dirigée par Bailly.     Marat déteste le duo Bailly-Lafayette, dont le pouvoir ne cesse de grandir. Rappelons-nous que dans son numéro 29 de l’Ami du Peuple, du 5 novembre, il écrivait : « C’est sur les Boulangers que la Municipalité a jeté tout le blâme, si on venait à manquer de pain, comme si elle eût voulu amener ces scènes d’horreur »
    Il sous-entendait par-là que tout avait été fait pour qu’il y ait de nouvelles émeutes, afin que le pouvoir trouve un prétexte pour instaurer la loi martiale. Je vous renvoie aux différentes versions de l’assassinat du boulanger François, qui, à y bien regarder, posent de nombreuses questions.

(Robespierre attribuera plus tard (en 1793) la préparation de ce crime à Lafayette).



Que dit notre ami Colson ?

    Je fais souvent appel à lui, où plutôt aux courriers qu’il écrivait à l’époque à son ami de province, pour avoir des infos différentes, disons plus proches du peuple. Adrien Joseph Colson ne fait pas vraiment partie du peuple, puisqu’il est avocat au tribunal de Paris et qu’il est même probablement un électeur du Tiers Etat. Mais il vit au milieu du peuple de Paris et il rapporte assez fidèlement dans ses courriers toutes les rumeurs qui circulent. Souvenez-vous de l’article du 13 octobre sur une terrible et folle rumeur !

Concluons avec Colson.

    Pour conclure cet article qui ne pose que des questions, je vous propose de lire les courriers des 8 et 10 novembre rédigés par Colson. Il parle du manque de pain, des gens qui ont faim, d’une femme affamée qui perd connaissance. Il évoque également des rumeurs de boulangers qui auraient été payés pour ne pas pétrir de pain ; mais sont-ce bien des rumeurs ? Il mentionne également un avis que le comité de police de l'Hôtel de Ville a fait afficher, pour dire que « le pain ne manque que par des manœuvres secrètes » et rendant « compte à ce sujet que, dans le mois d'octobre, il est arrivé 81 000 sacs de farine, du poids de 325 litrons chacun, qu'on n'en avait consommé que 40 000 (...) et qu'il en venait d'arriver 2 400. »

Extrait du courrier de Joseph Colson, daté du 8 Novembre :

Le pain nous a manqué ces jours-ci plus que depuis bien du temps. Il a fallu, pour en avoir, s’y prendre dès trois heures du matin et se trouver des premiers à la porte des boulangers.

Par la foule et la presse qui s'y sont formées il y a eu, a-t-on dit, des bras cassés. Plusieurs personnes et leurs enfants ont passé des jours entiers sans en avoir et quelques-uns même, entre autres une femme à ce que j'ai ouï raconter, en sont morts de faim. Des malheureux ont cherché encore à augmenter cette disette : les uns, avec des flambeaux, ont entrepris d'enlever la nuit le pain chez plusieurs boulangers afin qu'ils n'en eussent pas le matin pour le public. D'autres ont tenté d'enlever des farines qu'on commençait à amasser dans un couvent afin de les répandre et de les perdre. Un sieur chevalier de Rütli, et ceci a l'air certain, a donné, dit-on, de l'argent à un boulanger pour l’engager à ne pas cuire ; celui-ci, qui s'est trouvé bon patriote, a accepté l'argent pour servir de preuve et, à l'instant même, a fait arrêter le séducteur. Le sieur de Rütli, à ce qu'on rapporte, n'a pu dire autre chose pour se justifier sinon qu'il avait donné l'argent pour s'amuser et pour voir si le boulanger l'accepterait. On dit qu'on a aussi arrêté plusieurs de ceux qui voulaient enlever le pain et les farines.

Dans ces extrémités fâcheuses, un bruit se répandait sourdement il y a quelques jours, qu'un grand nombre de ceux qui manquaient d'argent songeaient à aller dans les maisons en faire donner de force. Jugez de là, Monsieur, combien de crimes, de désordres, d'assassinats et peut-être d'incendies ! On jugeait impossible qu'il se passât trois jours sans qu'il y eût un soulèvement des plus violents et cela exposait l'existence des citoyens à un grand hasard. Comme le principal prétexte était la disette de pain, le comité de police de l'Hôtel de Ville a fait afficher que le pain ne manquait que par des manœuvres secrètes et il a rendu compte à ce sujet que, dans le mois d'octobre, il était arrivé 81 000 sacs de farine, du poids de 325 litrons chacun, qu'on n'en avait consommé que 40 000 (...) et qu'il en venait d'arriver 2 400. [Mais vous savez que la populace] n'endure jamais rien si inévitable qu'il soit, qu'elle est dure, insensée et emportée au-delà de tout excès dans ses fougues, que surtout, lorsque sa frénésie s'échauffe, elle n'éclate jamais tant et ne montre tant de satisfaction que dans le désordre et les meurtres. Je crains que notre crise ne soit pas différée bien du temps !

Où en serions-nous (...) si l'émigration ne nous emmenait 120 ou 150 000 âmes de Paris, l'affiche dont je viens de parler ayant évalué à un 7ème ou un 6ème de la population ce qui en est sorti depuis la seule époque du mois d'août et en étant, outre cela, sorties tous les jours des foules nombreuses pendant le mois de juillet à compter du 12 ? Tant que les municipalités et les Assemblées nationales ne seront pas établies et organisées et que, par-là, elles ne seront pas en état de former un lien entre elles et de s'entendre toutes ensembles pour s'opposer aux manœuvres, aux trames secrètes et aux entreprises de ceux qui auront l'audace de se montrer à découvert, notre tranquillité sera toujours fort chancelante et comme en équilibre, prête à être renversée par les manœuvres, ou même les bruits artificieux et le souffle infernal de la cabale.

On annonce le retour prochain de monsieur le duc d'Orléans dont l'absence sert de prétexte à répandre contre lui mille infamies, mais il n'est pas encore de retour. (...)

Extrait du courrier de Joseph Colson, daté du 10 Novembre :

(...) Nous sommes toujours dans une grande détresse pour le pain au point que de temps à autres on rencontre des personnes qui ont passé des temps considérables sans en avoir. Hier, étant dans la maison de Monsieur le Marquis pour parier au sieur Drot, j'ai vu une femme qui se trouvait mal, au pied de l'escalier, et qu'on a eu une peine infinie à faire revenir. Lorsqu'elle a eu repris ses esprits, elle s'est mise à fondre en larmes et à étouffer des pleurs de manière à fendre le cœur et sans presque apercevoir qu'on fût autour d'elle. L'on entend parler ailleurs d'autres personnes qui ont également beaucoup souffert de la faim. (...)

Nota : En tout cas, pour cette fois, on n’accusera pas le Duc d’Orléans, car il n’est pas encore rentré de son voyage "diplomatique" en Grande Bretagne !

Mon sentiment sur le sujet 😉

    Je l’ai déjà sous-entendu dans mon article du 13 octobre sur les complots, je suis assez sceptique vis-à-vis des explications par des complots. Je ne nie pas que bien souvent il y ait des mauvaises volontés, voire des volontés de nuire. Mais un complot demande trop d’intelligence et de constance, et ce sont des qualités qui sont rares, très rares, même chez les « grands de ce monde ». De par mon expérience professionnelle, j’ai pu constater qu’il ne fallait surtout pas sous-estimer les effets destructeurs de l’incompétence, de l'avidité financière, ou de la simple mauvaise volonté, et ce, à tous les niveaux.

    En 1789, à tous les niveaux justement, tout le monde en avait plus qu'assez et les gens, à tous les niveaux de la société, avait envie, consciemment ou non, que cela change. Qui plus est, plus rien ne fonctionnait correctement, du fait que les structures de l’ancien régime n’étaient plus adaptées aux nouvelles conditions économiques et sociales, et que les hommes en places, eux-aussi, étaient devenus inefficaces, pour les mêmes raisons.

    Un bateau construit pour naviguer sur une rivière, est voué au naufrage s’il s’aventure en mer. Pas besoin de le torpiller, le bateau de l’ancien régime était condamné à sombrer dans l’océan de la nouvelle ère qui s’annonçait.

    Peut-être y avait-il, par-ci par-là, des petits complots. Mais je pense que les facteurs les plus nuisibles devaient plus ressembler à de sordides magouilles d’opportunistes voulant « faire de l’argent » grâce à la crise, (spéculation sur le prix du blé, stocks planqués, etc.) qu’à des machinations machiavéliques ourdies par des esprits supérieurs.

    Je ne pense pas que louis XVI avait vraiment imaginé que l’évêque de Tréguier soulèverait les campagnes par son mandement incendiaire du 14 septembre, lorsqu’il avait demandé à celui-ci en pleurnichant dans son courrier du 3 septembre, de prier pour lui !

    Quant au Duc d’Orléans, on ne cesse de murmurer depuis le mois de juillet qu’il est à l’origine de tous les désordres, mais tout le monde s’accorde à dire que c’est un faible, écoutant le dernier qui a parlé ! Peut-être n’a-t-il fait que s’accorder quelque fois le plaisir décadent de pousser un peu au crime ?

    J'ai le sentiment que peu de gens comprenaient ce qui se passaient vraiment, pas plus à l’Assemblée qu’à la cour. Nous avons déjà eu un aperçu : les députés ôtent tout pouvoir au roi et le "bousculent" quelque peu, mais ils l’adorent ! Quant à la Cour, j’ai l’impression que les seuls qui ont peut-être compris quelque chose, ce sont ceux qui ont pris la fuite dès le mois de juillet !

    Mais ne vous arrêtez pas à mon impression du moment. Faites-vous votre propre opinion et continuons de naviguer ensemble au milieu de cet océan de la Révolution.

Complément d'enquête !

    Ne manquez pas de lire la thèse de l'historienne Aurore Chéry, dont je vous ai parlé plus haut ! Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :


A suivre !

Merci pour votre lecture. 😊

                


samedi 15 août 2020

15 Août 1789 : Le journal du mystérieux Louis XVI, les ravages du copier-coller en histoire, et la fête de l'Assomption

 Article mis à jour le 15 août 2023


    Nous avons vu ces derniers jours (de 1789), combien les députés de l’Assemblée nationale travaillaient dur pour remettre la France sur pieds, France qu’ils avaient tout de même contribué à chahuter un peu depuis quelques semaines.

    L’idée m’est donc venu de savoir ce que le roi Louis XVI avait fait ce samedi 15 août 1789, alors que les députés étaient en repos.

    Ayant trouvé sur le « Blog de Louis XVI » (ça ne s’invente pas), un extrait du journal intime de Louis XVI, j’ai entrepris de trouver l’intégralité dudit journal. Quelques secondes plus tard, je découvrais, émerveillé, le précieux document scanné par notre ami Google à la librairie de l’université du Michigan.

Cliquez sur l'image pour accéder au journal

Un journal ? Vraiment ?

    Comment dire ? J’ai éprouvé une certaine déception ? Mêlée de gêne. Je vous explique.

    Louis XVI, ce n’était tout de même pas n’importe qui, non ? Qui ne se délecterait d’avance à l’idée des informations étonnantes, traits d’esprit brillants et autres aphorismes fulgurants, auxquels on devrait s’attendre de la part d’un homme sensé être au sommet de l’élite de son époque, le 18ème siècle, siècle de l’érudition s’il en est.

Voici donc ce que l’on peut lire à la date du 15 août 1789 :

« Bain 

La grand'messe

Vêpres

La procession et le salut »

    La lecture de ce journal est fort décevante. Il semble en le lisant, qu’à part la chasse et les cérémonies religieuses, rien ne semblait vraiment intéresser ce grand monarque. On peut comprendre pourquoi certains historiens ont dit que le malheureux n’était pas à la hauteur des problèmes de son époque et qu’il avait été dépassé par les événements.

    Comme on peut le lire en page 21 de l'introduction de l'édition de 1873 publiée par Louis Nicolardot :

"Ce qu'il y a de singulier, c'est que, des milliers de pages qu'on va analyser, il sera impossible de déterrer une pensée."

    Mais il ne faut bien évidemment pas s'arrêter à ce journal, pour tenter de mieux comprendre le roi. Louis XVI n'allait bien évidemment pas confier ses pensées les plus intimes dans un journal comme celui-ci, qui d'ailleurs était accessible à tout son entourage. L'a-t-il fait ? En aurait-il été capable ? Questions sans réponses.

    Peut-être nous faudra-t-il lire les journaux d'autres personnages, pour en apprendre un peu plus sur Louis XVI ? Le journal de l'abbé Véri constitue une source intéressante.

Mise à jour du 09/10/20 :

    Grâce à l'historienne Aurore Chéry, qui a rédigé le texte de la vidéo ci-dessous, de la chaîne "L'histoire vous le dira", vous allez mieux comprendre le mystère de cet étrange journal de Louis XVI. Le livre écrit par cetet historienne dévoile un tout autre visage de Louis XVI que celui auquel nous sommes habitués : "L'intriguant, Nouvelles révélations sur Louis XVI".


Les ravages du "copier-coller" en histoire

    Il semble en effet qu'en histoire, le "copier-coller" sévisse depuis bien plus longtemps que l'apparition des traitements de textes, les historiens se contentant très souvent de reprendre des informations communément admises, sans chercher ailleurs. Il est donc devenu communément admis que Louis XVI était un benêt, qui plus est un "mauvais coup" ayant mis des années avant d'honorer son épouse, ce qui relève du sacrilège pour un roi de France très catholique, qui se doit d'avoir de nombreuses et coûteuses maitresses. Tapez "Louis XVI maitresse" sur Wikipedia, et vous ne trouverez rien, pour le moment...

    Il vous faudra attendre encore un peu avant d'apprendre que Louis XVI était follement amoureux de Françoise Boze (proche des Protestants), qu'il avait envisagé d'abolir l'esclavage dès 1775 et qu'il avait même rêvé d'une république ! Oups ! Je l'ai dit ! Oubliez ! On en reparlera plus tard. 😉

Assomption
Michel Sittow, vers 1500

    Ce problème de reproduction d'une version convenue, ne concerne bien évidemment pas que Louis XVI. L'esprit humain à tendance à chérir une version ou une explication qui suffit à satisfaire sa curiosité, et ce, d'autant plus si elle va dans le sens de ses préjugés ou a priori.

    Les historiens n'échappent pas à ce biais cognitif, aussi sincères puissent-ils être, parce que cela relève en partie de leur inconscient. Il est difficile d'apprendre à penser contre soi-même, ce qui constitue parfois le seul moyen de pouvoir faire de nouvelles découvertes. J'aurais l'occasion de vous reparler de cela en d'autres occasions...


Un petit mot sur la fête religieuse du 15 août ?

    Comme le dit si bien, avec beaucoup de tact, un site officiel de l’église catholique : "Malgré la discrétion des Évangiles" concernant la mère de Jésus (effectivement, celle-ci brille la plupart du temps par son absence), "les premiers chrétiens n’ont pas mis longtemps à réfléchir à la place de Marie dans leur foi. Ils ont rapidement voulu célébrer ses derniers moments, comme ils le faisaient pour honorer leurs saints. À cause du caractère unique de sa coopération, une croyance se répand : son "endormissement" – sa Dormition – consiste en réalité en son élévation, corps et âme, au ciel par Dieu."

    Cette fête de la dormition fut instaurée en Orient au VIème siècle par l'empereur byzantin Maurice. La date du 15 août aurait été retenue parce qu’elle correspondait à la date d’inauguration par Juvénal (421-458) alors évêque de Jérusalem, d’une église dédiée à la Vierge montée au ciel.

    Elle arriva probablement dans l’église romaine d’occident par le Pape Serge 1er (687 – 701), qui venait d’Orient (il était d’origine syriaque). D’autres disent que ce fut par le Pape Théodore. Toujours est-il que cette fête fut citée sous le nom d’Assomption en 813 par le Concile de Mayence.

    Cette fête de l’Assomption fut longtemps accompagnée d’une procession nocturne qui fut supprimée par le Pape Pie V (en 1566), à cause des nombreux abus qui l’entouraient...

    Il faut dire que la période de cette fête correspondait à l’antique et païenne fête des moissons. Pour mémoire, les Romains fêtaient leur dieu agraire lors des jeux « consuales » le 21 août et ils fêtaient les moissons le 23 août lors de la fête de Vulcain. L’église catholique a toujours eu la sage habitude de célébrer ses principales fêtes aux mêmes dates que les religions précédentes. Le 25 décembre était par exemple chez les Romains le Jour de renaissance du Soleil Invaincu (Dies Natalis Invicti Solis).

Fête nationale autrefois sous l'Ancien régime et de nos jours en Acadie !

    En France, le 15 août a été la fête patronale religieuse la plus importante de 1638 à 1880. Louis XIII ayant alors décidé de consacrer la France à la Sainte vierge (Voir paragraphe suivant). Cette fête était célébrée dans tout le pays et elle fit longtemps office de fête nationale

    Le 15 août n’est plus la fête nationale chez nous mais elle l’est toujours en Acadie canadienne. L'Acadie, peuplée d'environ 300.000 habitants parlant le Français, comprend grosso modo le nord et l'est de la province canadienne du Nouveau-Brunswick, des localités et des régions plus isolées au Québec, sur l'Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse, ainsi que le nord-ouest du Maine aux États-Unis.

    Les Français ont définitivement abandonné la fête du 15 août pour le 14 juillet en 1880, alors que les Acadiens ont adopté officiellement le 15 août comme fête nationale l’année suivante, en 1881. Cela s'explique facilement, nos amis d'outre-Atlantique ont longtemps été en effet sous l'emprise de la religion Catholique. Il faut dire aussi qu'après la victoire anglaise, l'épiscopat canadien français, préféra collaborer avec l'ennemi vainqueur afin de garder le pouvoir sur ses ouailles. L'Eglise catholique a également participé à sa manière à l'assimilation forcée des Amérindiens, dits "autochtones".


Mais revenons à notre histoire de France !

    C’est le roi Louis XIII qui a donné de l’importance à cette fête religieuse. En effet, comme il attendait un héritier depuis 22 ans d’un mariage infécond, il aurait décidé en 1638 de consacrer sa personne et la France à la Vierge Marie sous le titre de son Assomption et de demander à ses sujets de faire tous les 15 août une procession dans chaque paroisse afin d'avoir un fils.

Louis XIII

    Son épouse Anne d’Autriche tomba enceinte "miraculeusement" après une apparition de Marie (Si si !) et Louis XIII fit aussitôt publier l’édit officiel consacrant solennellement la France à Marie.

    On peut comprendre pourquoi Louis XIV, l’enfant de ce miracle, fit plus tard la guerre aux Protestants qui considéraient le culte de la vierge comme une forme d’idolâtrie ! Le règne du grand Louis XIV fut aussi celui de l’absolutisme religieux. La révocation de l’édit de Nantes (édit de tolérance) et les persécutions qui s’en suivirent furent cause de l’exil hors de France de plus de 200 000 huguenots (Protestants).

    C’est à dessein que j’ai évoqué l’origine de cette fête religieuse du 15 août. En effet, Louis XVI, tout comme ses ancêtres, était un roi très pieux et très croyant. On peut le vérifier en parcourant son très modeste journal intime. Lorsqu’il était souffrant, par exemple, la messe étaient officiée dans sa chambre. En cela rien d’étonnant, il était Roi par la grâce de Dieu. Sa foi était sincère, n’en doutons pas et son peuple, en très grande majorité partageait cette foi.

    Foi partagée en grande majorité, mais pas complètement, nous le verrons bientôt. 

    Même si les Protestants n’étaient plus persécutés (au point que l’un d’eux, Necker, fut nommé ministre), les guerres de religions avaient laissées de profondes traces dans le royaume. 

    Certains philosophes des Lumières, comme le célébrissime Voltaire ou le moins connu Baron d’Holbach, avaient grandement contribué à démystifier la religion avec leurs ouvrages très critiques et parfois très moqueurs. Du fait de leur influence, la religion était même considérée dans certains milieux privilégiés (disons "éclairés"), comme une fable utile pour tenir le peuple en respect. Certains, nous le verrons également, commençaient à se dire athées.

    C’étaient justement de nombreux représentants de ces nouvelles élites peu soucieuses de la religion, qui siégeaient à l’Assemblée nationale et qui allaient bientôt poser un gros problème de morale religieuse à ce roi très croyant…


A suivre, et bonne fête à nos amis catholiques !


Le journal de Louis XVI est consultable ici :

Le journal de l'Abbé Véri est consultable ici :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119184g