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jeudi 31 décembre 2020

31 Décembre 1789 - Un réveillon chez Ramponneau ?

 


    Je souhaite vous présenter ce soir un autre aspect de Paris au XVIIIe siècle et de ses habitants. Je ne vous parlerai donc pas du Paris des palais, Tuileries, Louvres ou Luxembourg ; ni du Paris des beaux Hôtels particuliers, pas plus que de celui des ruelles sombres et puantes. De plus, je vais prendre pour guide un homme différent de ceux évoqués habituellement. Il ne s’agira pas d’un personnage rendu célèbre par de beaux discours à l’Assemblée nationale, ou par de sanglantes batailles remportées sur l’ennemi. Pourtant, 218 ans après sa mort en 1802, une rue de Paris porte toujours son nom. Il s’agit du cabaretier Jean Ramponneau. Mais bien sûr, comme j’aime à le faire, vous n’échapperez pas à quelques digressions, avant que nous n’arrivions ensemble dans sa taverne, ou plutôt sa guinguette.


L’Esprit français

Le facétieux Voltaire
    Voltaire écrivit un jour, le 2 août 1761 pour être précis :

« Je m’imagine toujours, quand il arrive quelque grand désastre, que les Français seront sérieux pendant six semaines. Je n’ai pu encore me corriger de cette idée. »

    Le grand homme avait raison, mais lui-même était empreint de cet esprit léger si français, et malgré le sérieux de ses engagements, on sourit souvent en le lisant et on rit même parfois aux éclats. 

    Dans de nombreux écrits du XVIIIe siècle, on retrouve cette légèreté de caractère et cette bonne humeur propre aux français de l’époque. 

    Je vous conseille la lecture du merveilleux livre de l'Irlandais Laurence Sterne, intitulé "Voyage sentimental en France". Découvrir la France et surtout les français au travers de ses yeux est un véritable enchantement. Ce qui est étonnant également dans cet ouvrage, c'est de voir un sujet Britannique se promener librement en France, en pleine guerre de sept ans entre nos deux pays. En ce temps là les guerres se faisaient encore prioritairement entre militaires.

Les Français vus par Laurence Sterne
Page 297 du tirage de 1841 du Voyage sentimental en France


    Les temps étaient pourtant rudes, nous en avons déjà parlé. Le pain manquait souvent, la misère était omniprésente, les hivers étaient terribles, mais malgré cela, à tous les niveaux de la société, les Français gardaient le goût des chansons, des poèmes et des farces. Ils étaient également très friands de toutes les formes de fêtes et spectacles, foires, théâtres, etc.

    Je vous recommande au passage la lecture de cet ouvrage traitant de la gaieté française au XVIIIe siècle (Cliquez sur l'image ci-dessous).

Un mot sur le théâtre.

    Au XVIIIe siècle, les gens adoraient le théâtre. Mais la censure royale voyait cet engouement d'un très mauvais œil, et ce, à un tel point, qu'en 1719 les pièces dialoguées données dans les foires furent interdites ! Les forains usèrent alors de ruses pour continuer à faire vivre ce théâtre populaire ; en jouant des pantomimes, ou des saynètes avec les dialogues écrits sur des pancartes ! Ils donnaient également des spectacles de marionnettes.     N'oublions pas non-plus que l'Eglise interdisait aux acteurs de communier, d’être parrains ou marraines d’un enfant, parfois même de se marier, mais aussi et surtout, ce qui était pire que tout à une époque où tout le monde était croyant, de recevoir des funérailles et une sépulture chrétienne à leur mort !

1786 - Théâtre de la Foire Saint-Laurent

    La loi du 19 Janvier 1791 mis fin au privilège royal attribué exclusivement à l’Opéra et à la Comédie française. La Révolution permit ainsi l’ouverture de nombreuses nouvelles salles à Paris. On pouvait enfin jouer "tout et partout", comme l’avaient demandé les signataires de la pétition déposée à l’Assemblée nationale le 24 Août 1790, parmi lesquels figurait Beaumarchais. Plus de 20 théâtres ne suffisaient pas à satisfaire la curiosité du public. La période révolutionnaire sera également la grande époque du Vaudeville. En 1793, au "plus fort" de la Révolution, pas moins de 40 pièces de ce genre nouveau seront représentées ! Cette grande liberté du théâtre prendra fin peu de temps après la révolution par décret, le 8 juin 1806 (Pas de commentaire, j’ai des amis fans de « qui vous savez »). 😉

(Vous comprendrez plus loin dans l'article pourquoi je me suis attardé sur le Théâtre.)


La Révolution n'a pas révolutionné le quotidien.

    Ne voyez pas la période révolutionnaire comme un chaos permanent d’émeutes diverses et variées ! La plupart des événements furent menés bien souvent par des minorités, des minorités bruyantes et souvent violentes, mais des minorités quand même. Une foule n’est pas un peuple ! De tous les partis présents pendant la Révolution, ne sous-estimons pas le parti des indifférents, le plus important en nombre, et ce, à toutes les époques, y compris la nôtre.


Le guinguet et les guinguettes.

    Je viens de vous parler du succès des théâtres. Mais bien sûr, tout le monde n’avait pas les moyens de fréquenter ces salles parisiennes. Il y avait fort heureusement des plaisirs plus simples et surtout peu couteux. En effet, se distraire ne nécessite pas forcément de grands moyens, si l’on a vraiment le goût de la fête et surtout s’il n’est pas dénaturé par celui du luxe. Nul besoin de tables surchargées de victuailles ni de spectacles sophistiqués et onéreux ! 

    Regardez ci-dessous cette gouache de Lesueur représentant une famille « allant à la guinguêtte » (Oui, désolé, il y a un accent circonflexe en vadrouille). Ils n’emportent avec eux que du pain et quelques légumes. La fête naitra naturellement de la bonne compagnie, des chansons, des danses et d’un peu de vin.

 


    On boira bien sûr du vin de Paris, ou plutôt du vin de Belleville, puisque c’est précisément le vin provenant des vignes de Belleville, un vin jeune et légèrement pétillant, appelé le « Guinguet », qui avait donné son nom aux guinguettes, (Un nom qu’il tenait peut-être des gigues, ces instruments de musique de la famille des vièles, qui servaient depuis le moyen-âge à faire danser le peuple et qui a aussi donné son nom à la dance appelée la gigue). 

Un vin fait pour danser !

Les vignes de Belleville


    Pour accéder à la colline de Belleville, il fallait sortir de Paris par la porte du Temple, traverser le Faubourg du Temple, puis celui de la Courtille. (J’ai habité dans ma jeunesse, tout en haut de la rue de Belleville, près de la station de métro « Télégraphe », nom qui lui a été attribué en mémoire du télégraphe de Chappes installé sous la Révolution à cet endroit visible de tout Paris).

    Reportez-vous aux plans reproduits un peu plus loin dans l’article et regardez tous ces jardins au Nord de Paris. Il s’agit des faubourgs. D’Est en Ouest, voici Saint-Antoine, Pincourt, Courtille, Temple, Saint-Martin, Saint-Denis, Nouvelle France, Mont-Martre, Porcheron, Petite et grande Pologne, Roule, etc.

Regardez également le beau plan de Bretez.

Lien vers le plan zoomable et complet : Plan de Bretez, dit de Turgot

Les faubourgs de Paris

    Le voici cet autre Paris dont je souhaitais vous parler. Il s’agit du Paris des Faubourgs et d’au-delà des barrières !  Regardez les plans de Paris au XVIIIe siècle et vous découvrirez une vaste étendue de jardins, vergers et vignes recouvrant l’étendue de ces faubourgs. 

    On nous répète sans cesse que les rues de Paris au XVIIIe siècle étaient puantes. Mais c’est oublier d’une part le vent océanique balayant régulièrement la ville et d’autre part l’immédiate proximité de tous ces jardins des faubourgs et de la campagne environnante ! Jardins d'ailleurs fertilisés par les "boues" collectées à Paris, par les éboueurs.

    Ces barrières étaient les 54 octrois (péages) percés dans les 24 km du mur encerclant Paris. A chacune de ces portes, les fermiers généraux percevaient une taxe sur toute marchandise pénétrant dans Paris. Souvenons-nous que durant la nuit précédant la prise de la Bastille, 40 de ces octrois détestés par les Parisiens avaient été incendiés. (Lire l’article relatif à la nuit du 13 au 14 juillet 1789). Au-delà de ces barrières, les produits, pas encore taxés par les Fermiers généraux, coûtaient donc moins cher. Raison pour laquelle, certains eurent la judicieuse idée d’y installer des petits commerces, et surtout des cabarets, gargotes et guinguettes !

 

Mépris de classe.

    Un petit mot au passage sur les gargotes. J’ai eu la surprise de découvrir dans leur définition sur le dictionnaire en ligne du CNRS, deux citations les concernant, de Balzac et de Zola. Voici celle de Balzac, (celle de Zola est du même acabit) :

« La forte et nauséabonde odeur de vin et de mangeaille qui vous saisit à Paris, en passant devant les gargotes de faubourgs. »
(Balzac, Paysans,1844, p. 45)

    C’est un fait bien connu depuis longtemps, les pauvres ont pour habitude de manger de la nourriture de mauvaise qualité, de même, ils s’enivrent de mauvaise vinasse. Je vous rédigerai bientôt un article sur les regrattiers ou vendeurs d’arlequins, qui vous éclairera sur ce sujet (et qui par la même vous fera enfin comprendre la théorie économique dite, du ruissellement). A savoir également, que les pauvres s’habillent très mal. Certains prétendent néanmoins que cela résulterait plutôt de critères économiques que de choix gustatifs. Passons et revenons aux guinguettes et à Ramponneau !

 

Allons chez Ramponneau !

    Imaginons cette promenade ensemble ! Nous sommes le 31 Décembre 1789. L’hiver est un peu moins rude que l’an dernier (la Seine avait été prise par les glaces). Nous décidons d’aller nous promener entre amis. 

    Quittons Paris et cheminons ensemble vers la colline de Belleville que nous apercevons au loin, au sommet de laquelle trônent fièrement deux moulins. Nous sortons de la capitale par la Porte du Temple, nous traversons le Faubourg du Temple en empruntant la rue du même nom, qui nous mène au quartier de la Courtille. Il se dit depuis quelques jours, que Bailly, le Maire de Paris, voudrait faire interdire la traditionnelle « Descente de la Courtille » qui a lieu chaque année durant le Carnaval. Le petit peuple de Paris va être déçu, lui qui n’a déjà pas apprécié la promulgation de la loi martiale le 22 octobre dernier. Sacrés bourgeois que le peuple effraie tant ! (Bailly interdira effectivement le Carnaval le 31 Janvier 1790).

    Nous voici arrivés au niveau du numéro 36 de la rue du Faubourg du Temple, à l’angle du Chemin de Saint-Denis, appelé également rue de Saint-Maur. Nous tournons à droite et après encore quelques pas, nous arrivons enfin, un peu essoufflés (ça montait bien !) à l’angle de la rue de l’Orillon, devant l’entrée du cabaret dénommé le « Tambour royal », tenu par le célèbre Jean Ramponneau !

    Si nous avions continué de remonter la rue de l’Orillon, (appelée aussi selon les époques et les plans rue de l’Oreillon, rue de Riom, ruelle d'Arion, rue des Moulins et de rue des Cavées), nous serions arrivés à la Barrière d’Arion qui deviendra plus tard la Barrière Ramponneau (avant de disparaître). Cette ultime barrière d’Arion se situe en face des carrières de plâtre, en dessous des deux moulins que nous apercevions tout à l’heure en quittant Paris. On les appelait à l’époque les moulins de Savy. Ils avaient été construits un siècle plus tôt, l'un entre 1683 et 1684, l'autre entre 1684 et 1698.

    La vue ci-dessous vous montre le chemin que nous avons suivi, vu depuis l’arrière de ces deux moulins.

Vue panoramique de Paris depuis Belleville en 1736, dessinée par Philippe-Nicolas Milcent


    Voici un détail de cette gravure sur lequel on devine des gens attablés sous les arbres et d'autres qui dansent sur le chemin.



Paris et ses faubourgs, au fil du temps.

    Je sais que vous aimez bien cela, alors une fois de plus, j'ai étudié pour vous les plans de Paris à travers les âges, afin de vous permettre de mieux imaginer la colline de Belleville et le quartier de la Courtille. L'emplacement de la guinguette de Ramponneau, est signalé par une bouteille rouge !
    Cliquez sur les images pour les agrandir. Des liens sous celles-ci vous donne accès aux cartes complètes.

Voici le Paris de 1760.

 


Lien vers le plan complet : Paris en 1760.


Voici le Paris de 1797.

 


Lien vers le plan complet : Paris en 1797.


Et voici le Paris de 2020 !

 





Entrons chez Ramponneau ! (Enfin ! 😉)

    Nous avons suffisamment marché et de toute façon, nous sommes arrivés à destination. Nous franchissons donc gaiement le seuil du fameux « Tambour royal ». Nous jetons un œil sur la grande salle remplie de joyeux clients et nous remarquons au passage les amusantes peintures murales. Sur l’une d’elles, Ramponneau s’est fait représenter en Bacchus (le dieu romain du vin), chevauchant un tonneau, avec cette devise éloquente « Monoye fait tout » (l’argent fait tout) et ces vers :

"Voyez la France accourir au tonneau

Qui sert de trône à Monsieur Ramponneau"

    Jean Ramponneau nous a aperçus. Il vient nous accueillir en personne et il nous offre une tournée de son vin blanc qui l’a rendu célèbre. Mais plutôt que le vin, c’est le prix auquel il le vend qui a fait son succès. En effet, Ramponneau a décidé de le vendre toujours 1 sou en-dessous du prix de ses concurrents.

    Louis-Sébastien Mercier, dans son "Tableau de Paris", en témoigne ainsi : 

« Tel est le fameux nom de Ramponeau, plus connu mille fois de la multitude que celui de Voltaire et de Buffon. Il a mérité de devenir célèbre aux yeux du peuple, et le peuple n'est jamais ingrat. Il abreuvait la populace altérée de tous les faubourgs, à trois sous et demi la pinte : modération étonnante dans un cabaretier, et qu'on n'avait point encore vue jusqu'alors ! »

    Trois sous et demi la pinte, ce n’est pas trop cher en effet, surtout qu’une peinte faisait 93 centilitres, presqu’un litre ! Je vous rappelle que le 14 juillet dernier, le prix d’un pain permettant de nourrir une petite famille avait atteint le prix de 14 sous et demi, alors que le salaire d’un journalier parisien n’était que de 15 à 20 sous ! 

    Nous remarquons cependant sur le tonneau derrière lequel se tient Ramponneau, qu’il est écrit "quatre sous". Nous allons devoir lui en parler ! Voir l’estampe ci-dessous (imprimée chez Basset, bien sûr).



Les richesses du Nivernais

    Les tonneaux et le vin, Ramponneau, ça le connait ! Avant de venir tenter sa chance à Paris vers 1740, le bonhomme né en 1724 vivait dans une région vinicole, le Nivernais, et son père était même un fabriquant de tonneaux. La province du Nivernais, située à environ 160 km à vol d’oiseau au sud de Paris, est devenue par la suite le département de la Nièvre. C’est dans le Nivernais, à Decize, que naitra Saint-Just en 1767 dont nous parlerons en temps voulu.

    Vivant aujourd’hui juste à côté de Pouilly sur Loire, je peux vous assurer, preuves à l’appui, si vous venez me rendre visite, que la Nièvre produit toujours d’excellents vins ! La Nièvre, outre son vin, était également riche de belles forêts, dont celle du Morvan. Elle envoyait depuis Clamecy vers Paris de grandes quantités de bois via la rivière Yonne qui se jette dans la Seine à Montereau-Fault-Yonne. Gageons que Ramponneau devait parfois vendre du vin de son pays natal, transporté peut-être dans les tonneaux de son papa, jusqu’à Paris !

 

Le département de la Nièvre, carte de 1852

Ramponneau, un homme heureux ?

    Le Tambour royal de Ramponneau pouvait accueillir jusqu’à 600 personnes et il ne désemplissait pas ! Il n’était pas fréquenté uniquement par des gens du peuples, toutes les classes sociales de Paris venaient s’y amuser. De grandes dames déguisées en soubrettes venaient dit-on s’y encanailler. Ramponneau fera fortune, puisqu’en 1772, il rachètera le "Cabaret de la Grande Pinte", qu’il rebaptisera "Les Porcherons". On a "malheureusement" construit en 1861 à la place de ce cabaret situé au milieu du Faubourg des Porcherons, l’église de la Sainte Trinité. Il laissera le Tambour royal à son fils et s’occupera dorénavant de ce nouveau cabaret.

    Il n’est cependant pas certain, que Ramponneau ait goûté tant que ça des plaisirs de la vie. Ramponneau était un homme pieux, comme tout le monde à l'époque (du moins dans le peuple) et son confesseur était un très austère janséniste. En 1760, ce dernier avait dissuadé Ramponneau d’honorer le contrat qu’il avait signé avec un montreur de marionnettes qui devait se produire dans son cabaret. La raison en était que pour les religieux, tout ce qui était lié au monde du théâtre était voué à l’enfer. Il en résulta un long procès qui passionna le Tout-Paris. Voltaire écrivit même un plaidoyer pour Ramponneau, devenu à cette occasion Genest de Ramponneau.

Le texte se trouve ici : Plaidoyer de Ramponeau

(Vous comprenez mieux à présent mon aparté sur le théâtre en début de l'article)

    Ramponneau eu quand même le bonheur de convoler trois fois en justes noces. Son dernier mariage eu lieu l’année de ses 70 ans...

 

Conclusion

    Cette année 1789 a été bien agitée. Tout le monde ne parle que de cela, ce soir chez Ramponneau.

    Au fond de la salle, des citoyennes s’esclaffent haut et fort autour d’une grande tablée. Il s'agit de quelques-unes des Dames de la Halle qui sont venues ce matin, en milieu de séance à l’Assemblée nationale, "présenter, au renouvellement de l’année, les témoignages de leurs respects et de leur reconnaissance, aux représentants de la Nation". « Vos noms », leurs ont-elles dits, « sont à jamais immortels par les bienfaits que nous avons reçus de vous : en apprenant à nos enfants à les prononcer avec amour, nous leur dirons, ce sont les noms de vos pères. »

Extrait du Journal de Paris,
en date du 1er Janvier 1790


    A la table à côté de nous, un citoyen plutôt bien mis de sa personne, parle avec émotion d’une pièce qui sera joué à partir de demain 1er Janvier 1790, au théâtre de la Nation. Il s’agit d’une comédie en un acte, intitulée « Réveil d’Epiménide », ou « Les Etrennes de la Nation ». Il semble être un ami de l’auteur, un certain Monsieur de Flins. Il explique à ses compagnons de table, un verre à la main, que cette pièce se termine par des couplets qui l’ont ému. Ils contiennent, précise-t-il les yeux embués de larmes, « une idée qu’il serait grand temps d’adopter enfin pour jouir du bonheur que nous avons conquis cette année et mérité ». Il les cite de mémoire :

J’aime la vertu guerrière

De nos braves Défenseurs ;

Mais d’un Peuple sanguinaire,

Je déteste les fureurs ;

A l’Europe, redoutables,

Soyons libres à jamais ;

Mais soyons toujours aimables,

Et gardons l’esprit Français.

 
Extrait du Journal de Paris,
en date du 2 Janvier 1790

    Ne vous y trompez pas. Lorsque j'évoque l'esprit français, il ne s'agit pas d'une forme de chauvinisme. Ce n'est pas un esprit supérieur aux autres, c'est un esprit plus léger, qui doit cette légèreté au plaisir de vivre. 
    Tout est fait de nos jour pour nous faire perdre cette insouciance de vivre. Mais si, comme Jacques le Fataliste, vous prenez le temps de réfléchir un peu, en vous étendant par exemple un instant dans un pré et en regardant les nuages passer (attendez qu'il fasse beau), vous réaliserez que la plupart des problèmes dont on vous rebat les oreilles, ne sont pas les vôtres ! Alors écoutez de la musique, chantez, souriez, et le bonheur reviendra de lui-même.

    Je vous souhaite d'avoir cet esprit français et de le conserver longtemps encore, et ce, quel que soit votre pays d'origine (Puisque, comme on disait en 1793, pour être Français, il suffit d'aimer la liberté).

Je vous souhaite également un bon réveillon une belle année nouvelle !






mercredi 14 octobre 2020

14 Octobre 1789 : Remontrance du Parlement de Bretagne contre le brûlot de l'évêque de Tréguier

  

Evêque de Tréguier

    Peut-être commenciez-vous à vous étonner de voir des curés rallier la cause du peuple et des évêques désirant remettre à la Nation les richesses de l’Eglise ? Rassurez-vous, car en lisant le mandement de Monsieur Le Mintier, Evêque de Tréguier daté du 14 Septembre 1789, vous allez retrouver une Eglise Catholique plus conforme à son image contre-révolutionnaire.

    Ce mandement circule déjà depuis un mois et commence tellement à agiter les esprits dans certaines paroisses, que ce 14 Octobre 1789 le Parlement de Bretagne publie une remontrance dans laquelle il interdit la publication et la diffusions de ce mandement considéré « captieux et tendant, sous prétexte d’instruction, à favoriser et exciter la fermentation des esprits et le fanatisme, et à troubler la tranquillité publique ».

    Joseph-Marie Brossay Du Perray, doyen des Substituts de Monsieur le Procureur Général du Roi, est l’auteur de cette remontrance dont le ton est plutôt sévère à l’égard de l’auteur du mandement du 14 Septembre. Lui-même utilise régulièrement le terme « auteur », comme pour faire grâce à l’évêque de la possibilité qu’il ne fut pas le rédacteur de ce qui ressemble fortement à un appel à la contre-révolution.

    Vous trouverez dans la fenêtre en bas de l’article, le mandement de l’évêque et la remontrance du Parlement de Bretagne. Je ne peux que vous en conseiller très vivement la lecture.

   J’ai cependant pris la peine de vous retranscrire certains passages du mandement de l’évêque, que je trouve tout particulièrement intéressants. On y trouve en effet tout l’argumentaire réactionnaire et passéiste du discours contre-révolutionnaire, mais pas seulement. Plus que la description apocalyptique qu’il fait d’une France ravagée par la Révolution, mon attention s’est portée sur le fait que l’évêque prétende avoir écrit ce document en réaction à une lettre « touchante » dont le Roi l’aurait honoré ! Il appuie d’ailleurs nombre de ses dires, de références à cette « Lettre de Sa Majesté », que j’ai fait apparaître en rouge dans le texte ci-dessous.

    Le doyen des Substituts de Monsieur le Procureur Général du Roi du Parlement de Bretagne, a d’ailleurs la délicatesse de ne pas relever cette incongruité, (tout comme il réserve la possibilité que l’évêque ne fut pas l’auteur de cet appel à la révolte).

    Ainsi donc notre bon roi Louis se serait plaint de ses mésaventures révolutionnaires auprès du Comte Evêque ?

    J’ai retrouvé cette lettre écrite effectivement par Louis XVI le 3 Septembre 1789. Je vous invite à la lire pour vous forger votre propre opinion. A sa lecture, je pense que l’évêque a été un peu plus loin que ce que le roi attendait de lui…

Cliquez sur l’image ci-dessous pour lire la lettre du roi.

Il y aura des suites !

    Monsieur Alquier membre du comité des rapports interviendra le lendemain 15 octobre, pour traiter de ce scandaleux document !

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5189_t1_0453_0000_12


Voici les extraits du mandement de l’évêque, que j’ai retranscrits pour vous :

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517214

Les deux documents complets sont accessibles dans la fenêtre sur la BNF en bas de l’article.

 

Mandement du 14 Septembre 1789, de l’évêque et Comte de Tréguier qui ordonne des Prières publiques pour le rétablissement de l’Ordre et de la Paix dans l’intérieur du Royaume.

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517214/f6.item

« Augustin René-Louis LE MINTIER, par la miséricorde de Dieu & la grâce du Saint-Siège Apostolique, évêque & Comte de Tréguier, Conseiller du Roi en tous ses Conseils, au Clergé séculier & régulier, & aux Fidèles de notre Eglise, Salut : Que la paix de Dieu, cette paix si désirable qui surpasse toutes nos pensées, règne dans vos cœur & conserve les esprits dans la Foi de Notre-Seigneur Jésus Christ.

Nous ne pouvons, nos très chers Frères, vous peindre les sentiments que nous avons éprouvés à la lecture de la Lettre touchante dont le Roi nous a honoré. » (…)

(Page 4) « Dans la crise générale qui agite le Royaume, que des esprits ennemis de toute domination ont fait naître, que des libellistes fougueux fomentent, non plus en secret & dans les ténèbres, mais dans des écrits incendiaires répandus avec audace, dévorés avec avidité ; dans ces jours mauvais, où le premier, le plus illustre Trône de l’univers est ébranlé jusques dans ses fondements ; lorsque les mouvement convulsifs de la Capitale se font sentir dans les Provinces les plus reculées de l’empire Français, serait-il permis à un Evêque de garder un coupable silence ? »

(Page 5) « Et quel est le Ministre des Saints Autels dont les entrailles de seraient pas déchirées à la vue des combats qu’on livre à l’Eglise ? Quel est le Citoyen patriote qui pourrait envisager sans effroi les suites funestes de la fermentation universelle que des Anonymes effrénés ont excité dans le Royaume ? »

(Page 6) « Hélas ! Nos très chers frères, qu’elle est différente d’elle-même cette Monarchie Française ! Le plus domaine de l’Eglise Catholique, le berceau des héros, l’asyle des Rois, la patrie des sciences et des arts.

Les Princes du sang royal, fugitifs chez des nations étrangères ; la discipline militaire énervée ; le citoyen armé contre le citoyen : un système d’indépendance et d’insurrection présenté avec art, reçu avec enthousiasme, soutenu par la violence ; toutes les sources du crédit national interceptées ou taries ; le commerce languissant ; les lois sans force & sans vigueur ; leurs dépositaires dispersés ou réduits au silence : le nerf de l’autorité entre les mains de la multitude ; toutes les classes de citoyens confondues ; la vengeance avide de sang, aiguisant les poignards, dirigeant ses victimes, exerçant ses fureurs homicides. »

(Page 7)  « Tels sont les succès monstrueux de ces hommes pervers, qui, abusant des talents que la nature leur avait donné pour un meilleur usage, ont, par leurs libelles, soufflé parmi nous l’esprit d’indépendance & d’anarchie. Puissent les plans de régénération qu’elles contiennent, rentrer dans le néant dont elles n’auraient jamais dû sortir !

« Conservons nos Lois antiques, elles sont la sauvegarde de nos propriétés, de nos personnes, de notre gloire. (…)

(Page 9) « Hélas ! Ces jours sereins ne sont plus, ils ont disparu comme un songe. L’autorité du Roi est affaiblie, l’Eglise tombe dans l’avilissement & dans la servitude, ses Ministres sont menacés d’être réduites à la condition de commis appointés, les Tribunaux suprêmes sont méconnus, humiliés : l’Ouvrier & l’Artiste qui n’ont d’autre patrimoine que le temps & le travail de leurs mains, sont arrachés à leurs occupations ; une contrebande soutenue à main armée (Lettre de Sa Majesté), détruit avec un progrès effrayant les revenus de l’état & tarit les ressources destinées au paiement des dettes les plus légitimes ; le service militaire est interrompu, déserté, le Soldat, sourd à la voix des Chefs, abandonne ses drapeaux & répand partout la terreur & l’épouvante : des brigands & des gens sans aveu soulèvent l’esprit des Habitants des Campagnes, (Lettre de Sa Majesté) attaquent les Châteaux, détruisent les Archives ; la populace révoltée, porte le fer & le feu dans les établissements les plus utiles, dans les retraites des Solitaires ; le Peuple se constitue l’arbitre & l’exécuteur de condamnation que les dépositaires des Lois, après s’être livrés au plus mûr examen, ne déterminent jamais sans une secrète émotion. (Lettre de Sa Majesté)

Oui, nos très chers frères, nous vous le répétons, ces maux innombrables qui oppressent l’âme de notre bon Roi ; (Lettre de Sa Majesté) les maux plus cruels encore que nous appréhendons, & qu’il ne nous est pas donné de prévoir, prennent leurs sources dans ce déluge de brochures clandestines inspirées par l’orgueil et la témérité. C’est ainsi qu’un torrent, qui a rompu ses digues, porte partout la désolation, l’effroi, le ravage.

(Page 10) « Un scepticisme pernicieux, un affreux égoïsme, voilà la religion du jour. Par un abus déplorable de la liberté ; riche présent de la nature, on veut que chacun puisse penser, écrire tout ce qui lui plaira ; que les cultes, sans distinction, soient permis ; que le Disciple obstiné de Moïse, que le fanatique sectateur de Mahomet, que l’adorateur insensé des plus méprisables Idoles, que l’artificieux Socinien, que l’aveugle & voluptueux Athée, que les sectes les plus contraires, les plus absurdes, reposent avec le Chrétien Catholique sous l’aile & la protection du gouvernement Français.

Le délire de nos Philosophes modernes, de nos prétendus esprits forts, va plus loin : à la charité Chrétienne, à cette Reine des vertus, qui est le lien essentiel de toute société, & la base de notre religion, ils osent substituer une stoïque & stérile bienfaisance, vertu purement humaine : elle prend sa source dans la compassion naturelle, tandis que la charité tire son origine de Dieu même ; (…)

(Page 11) « N’est-il pas temps, nos très chers Frères, que le Peuple Français se réveille, & que du fond de nos cœurs s’élève un cri général pour réclamer nos anciennes Lois & le rétablissement de l’ordre public. »

(Page 13) « O vous ! nos vénérables frères qui, associés à notre sacerdoce, partagez avec nous les soins du troupeau qui nous est confié ; vous, nos dignes coopérateurs, voici le moment de vous montrer dans ces jours de crise & de fermentation, montez dans la Chaire de vérités ; faites entendre à vos Ouailles des leçons de soumission & d’obéissance aux puissances légitimes que la main de Dieu lui-même a placé au-dessus de nos têtes ; celui qi résiste aux puissances, trouble l’ordre établi par Dieu ; que votre voix chérie retentisse à leurs oreilles, usez de toute l’influence que vous donne la sainteté de votre caractère, pour imprimer profondément dans leurs âmes la fidélité inébranlable que nous devons à Dieu & au Roi.

Dites aux peuples, qu’ils se séduisent eux-mêmes, lorsqu’ils se flattent d’une diminution dans les impôts ; est-ce dans un temps désastreux ou l’état exige les plus grands sacrifices, où chaque citoyen doit être prêt à s’immoler au bien général que l’on peut s’attendre à voir diminuer les subsides & les revenus publics de la patrie notre mère commune ?

Dites-leur qu’on les trompe, lorsqu’on leur représente les chefs du Clergé comme des hommes dévorés d’ambition, vendus à l’intrigue & livrés aux excès d’un luxe révoltant : ces inculpations odieuses déshonorent la bouche qui les prononce encore plus que ceux qui en font l’objet. Nous sommes forcés de convenir que les revenus de l’Eglise ont été quelquefois mal distribués, mal administrés ; mais plus souvent encore les richesses du Sanctuaire sont le patrimoine des pauvres ; des veuves, des orphelins, & la force inépuisable de familles entières.

(Page 14) « Dites-leur que la violence ne peut jouir qu’un moment de ses succès & ses prospérités criminelles ; (Lettre de Sa Majesté) »

(…) L’unité de religion, la sûreté des propriétés, l’exacte observation des Lois, (Lettre de Sa Majesté) voilà la vraie, l’unique source de la stabilité & de la prospérité des empires.

Dites-leur qu’on les trompe dans les infâmes libelles que la philosophie a infecté de ses poisons & de ses paradoxes, lorsqu’on leur représente les membres des deux premiers Ordres de la Monarchie, comme des Aristocrates odieux, conspirés contre le peuple, ne cherchant qu’à l’opprimer sous le joug de la tyrannie et du despotisme »

(Page 16) « Quand bien même les hommes seraient tous égaux dans l’ordre de la nature, ils cesseraient de l’être en entrant dans l’ordre social. Nulle part les conditions, les fortunes se sont égales, et elles ne peuvent l’être. (Lettre de Sa Majesté) (…)

On vous trompe donc sous le nom d’un Prince protecteur né de la Justice, (Lettre de Sa Majesté).


    Alors ? Qu’en pensez-vous ? N'avez-vous pas la légère impression que l'évêque est allé bien au-delà de la pensée du roi ? ...Ou pas ? ...


Voici les documents sur le site de la BNF :


mercredi 11 novembre 2020

1789 : L’année où les grenouilles montrèrent les dents !

 

Que disent les grenouilles ?

    C’était ainsi que les Princes s’enquéraient de l’opinion publique parisienne, à la cour de Louis XVI. C’est ce que nous rapporte Louis Sébastien Mercier dans son ouvrage « Le tableau de Paris ». Je vous ai déjà parlé de lui le 1er octobre dernier, lorsqu’il a fondé un journal avec le journaliste Jean-Louis Carra.

    Je vous recommande vraiment la lecture de son livre, le tableau de Paris. Il y décrit le Paris populaire avec une particulière acuité. C’est un bon complément à la lecture des « Nuits de Paris » de Restif de la Bretonne dont je vous ai raconté l’arrestation par le police, le 29 octobre dernier.

    Louis Sébastien Mercier, lui aussi, eut des ennuis avec la police. A peine ses deux premiers volumes furent-ils publiés en 1781, que bien sûr, ils furent interdits. Mercier décrivait avec un peu trop de précision les inégalités sociales et il ne se privait pas de critiquer l’injustice du système fiscal. Il continua néanmoins à publier depuis la Suisse jusqu’en 1788.

Découvrez son œuvre sur cette page du site Gallica 
                                    


    🐸Je vous propose de lire ce court extrait évoquant les grenouilles parisiennes, vues par les "grands".

« La cour est très attentive aux discours des Parisiens : elle les appelle, les grenouilles : que disent les grenouilles, se demandent souvent les Princes entre eux ? Et quand les grenouilles frappent des mains à leur apparition, ou au spectacle, ou sur le chemin de Sainte Geneviève, ils sont très contents. On les punit quelques fois par le silence : en effet, ils peuvent lire dans le maintien du peuple les idées qu’on a sur leur compte : l’allégresse ou l’indifférence publique ont un caractère bien marqué. On prétend qu’ils sont sensibles à la réception de la capitale, parce qu’ils sentent confusément que dans cette multitude, il y a du bon sens, de l’esprit, & des hommes en état de les apprécier, eux & leurs actions : or ces hommes, on ne sait pas trop comment, déterminent le jugement de la populace.

La police a soin dans certaines circonstances de payer de fortes gueules, qui se répandent dans différents quartiers, afin de mettre les autres en train, ainsi qu’elle soudoie des chianlis pendant les jours gras : mais les vrais témoignages de l’allégresse publique, ainsi que du consentement du peuple, ont un caractère que rien n’imite, »

 

    Ne vous y trompez pas, la comparaison avec les grenouilles est bien méprisante. Cette image peu flatteuse du peuple remonte à la plus haute antiquité, puisque Esope, l’écrivain Grec du 6ème siècle avant notre ère, l’utilisait déjà dans une fable destinée à se moquer du peuple d’Athènes.

    On a également attribué à Homère, un poème narrant une guerre des grenouilles contre les rats, la "Batrachomyomachie" !


Voici, inspirée de celle d’Esope, la fable de Jean de la Fontaine, intitulée :

"Les grenouilles qui demandent un roi". 🐸

"Les Grenouilles, se lassant

De l'état Démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.

Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :

Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant

Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,

S'alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

Sans oser de longtemps regarder au visage

Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;

Or c'était un Soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première

Qui de le voir s'aventurant

Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant,

Il en vint une fourmilière ;

Et leur troupe à la fin se rendit familière

Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.

Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.

Jupin en a bientôt la cervelle rompue.

Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.

Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,

Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir,

Et Grenouilles de se plaindre ;

Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir

A ses lois croit-il nous astreindre ?

Vous avez dû premièrement

Garder votre Gouvernement ;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire

Que votre premier roi fût débonnaire et doux :

De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire."


    Ne sommes-nous donc pour nos maîtres, que des grenouilles coassant dans notre marécage, dont l’opinion est facile à manipuler, grâce à quelques agitateurs, payés autrefois par la police, et maintenant… ?


    Néanmoins, il arrive encore parfois, que les grenouilles montrent les dents, comme en 1789. Est-ce un hasard ou un clin d'œil de Clio, la muse de l'histoire, si une grenouille dénommée "Pepe la grenouille" est devenue la mascotte des manifestants du mouvement prodémocratie à Hong Kong en 2019 ?

Pepe la grenouille, Hong Kong 2019



mercredi 29 avril 2020

26 au 29 Avril 1789 : Emeute Réveillon, quelle histoire ?

Mise à sac de la fabrique de papiers peints de Réveillon

L'émeute "Réveillon"

    Ce soir du 29 Avril 1789, les corps de Jean-Claude Gilbert, couverturier, et Antoine Pourrat, gagne-denier, pendent à un gibet érigé place de la porte Saint-Antoine. Ils ont été condamnés ce jour-même par la chambre criminelle du Châtelet, pour attroupement, émeute et sédition. Ainsi se termine l'émeute "Réveillon" commencée le 26 Avril au soir.

Dessin de Le Guerchin vers 1580-1600

    Cette singulière émeute parisienne qui a eu lieu autour de la fabrique de papiers-peints du sieur Jean-Baptiste Réveillon dans le Faubourg Saint-Antoine, est évoquée dans tous les ouvrages concernant la Révolution française. Chacun y voit en effet un signe précurseur des événements révolutionnaires de juillet et plus particulièrement de la prise de la Bastille. Mais vous allez constater en lisant cet article, que chacun y va, comme il est d'usage, de son interprétation personnelle, au gré de ses sources bien sûr, mais aussi et surtout au gré de ses a priori ou préjugés, et ce, du simple témoin contemporain de l'affaire, jusqu'à l'historien. C'est presque un cas d'école, car vous retrouverez cette même confusion, dans la relation de nombre d'événements révolutionnaires. Bien naïfs ou bien présomptueux en effet, sont ceux qui, relatant certains événements historiques, affirment doctement "cela s'est passé exactement ainsi, pour telles et telles raisons précises" ! J'aurai d'autres occasions d'évoquer ce sujet polémique avec vous.

28 Avril 1789. Attroupement devant les établissements Réveillon (Claude Niquet)

Une singulière émeute

    Des émeutes, Il y en avait déjà un peu partout en France depuis plusieurs mois, principalement des émeutes frumentaires, c'est-à-dire portant sur le prix du pain ou le manque de celui-ci. Neuf-cents émeutes ont été dénombrées par les historiens en France, entre 1786 et 1789 ! Mais cette émeute dite "Réveillon" est singulière. Le mot émeute vient du mot émotion. Une émeute a donc quelque chose d'irrationnel. Une simple rumeur suffit à emporter les esprits et à les entrainer dans la colère et la violence. Mais lorsque l'on se penche avec attention sur le déroulement de celle-ci, en lisant différents récits, on ne peut manquer de trouver quelque peu curieux certains détails. Vous verrez plus tard que l'on retirera cette même impression lorsque nous nous intéresserons à la prise de la Bastille.

    Un mot au passage sur la Bastille. Le gouvernement craignait tellement que de telles émeutes éclatent, qu'il venait de faire mettre en sureté à la Bastille, le dépôt d'armes qui se trouvait à l'Arsenal…

La Bastille attendant son heure (estampe de 1749)

Un climat propice à l'effervescence populaire

    En ce printemps de 1789, la tension sociale était très forte en raison de plusieurs facteurs.

  • Un traité mal conçu.

 La crise économique résultant du traité Eden-Rayneval de libre-échange avec l'Angleterre causait une vague de licenciements.

Affiche anglaise illustrant le traité.
Notez à droite les Français mangeant des grenouilles...

Gravure anglaise "Anticipation, ou la mort prochaine du Traité de commerce français."

  • La rareté des grains

Le prix du pain ne cessait d'augmenter, du fait du manque de grains résultants du formidable orage qui avait balayé la France le 13 Juillet 1788 et du petit refroidissement climatique en cours.

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

En 1783 eu lieu en Islande la plus grande éruption des temps historiques
qui eu des conséquences terribles en France.

  • Une nouvelle politique économique

    Notons également les effets de la nouvelle politique économique très libérale initiée par le courant des physiocrates, celle-ci favorisant (entre autres) la spéculation sur les blés. 

Je traite de ces problèmes très complexes plus en détail dans les 2 articles suivants :

24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales.

10 Novembre 1789 : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?

    Pour toutes ces raisons une grande vague de misère envahissait le pays et des milliers de miséreux affluaient sur Paris.

Lire cet article : A propos de la terrible misère au 18ème siècle

"La pauvre famille"
Dessin (pinceau, encre et lavis)
de Jean-Baptiste Greuze (1763)

    A tout cela, venait s'ajouter l'effervescence due à la convocation des états généraux, dont la date approchait (5 mai 1789). On ne parlait presque plus que de cela dans les journaux et probablement dans les rues. Dans toutes les grandes villes du royaume les trois ordres, c'est-à-dire, la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat, se réunissaient pour élire les représentants qui se rendraient aux Etats Généraux.

Costumes des députés des trois ordres aux Etats Généraux

    Les élus de Tiers-état étaient censés représenter le peuple, c’est-à-dire à peu près 98% de la population, mais ils ne représentaient de fait que la bourgeoisie, vu qu'à Paris, le petit peuple n'avait pas été autorisé à participer aux élections des représentants du tiers-état. Cette mise à l'écart des petites gens qui s'étaient malgré tout exprimés dans les cahiers de doléances, créait chez beaucoup un fort sentiment d'irritation. A tout cela s'ajoutait bien sûr l'angoisse de la faim résultant du manque de pain et du prix sans cesse en hausse de celui-ci.

    Le pouvoir connaissait et redoutait cette agitation populaire, puisqu'entre "le 13 avril et le 1er mai, 1500 hommes de cavalerie et un régiment suisse, le "Salis-Samade", s'étaient installés à Mantes, Pontoise, Beauvais, Compiègne, Meaux et Etampes. Ces troupes avaient été placées sous les ordres du baron de Besenval, lieutenant-général et commandant de l'intérieur depuis plusieurs années (dont on reparlera le 12 Juillet 1789). Répartie en petits groupes, la cavalerie était employée à prévenir et à réprimer les troubles alors fréquents, par suite de la disette, dans les marchés de l'Ile-de-France et des provinces limitrophes. En juin, les troupes se renforceront de 550 cavaliers stationnant tout autour de Paris.

Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt

    Ce fut ainsi que, peu à peu, tous les acteurs de la Révolution se mirent en place pour le premier acte de Juillet 1789.

Une rumeur,

    C'est le dimanche 26 avril, après la séparation des trois ordres réunis à l'Archevêché de Paris, que le sieur Jean-Baptiste Réveillon, fabriquant de papiers peints et l'un des 42 commissaires élus du tiers-état, est averti qu'une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres veulent le pendre ! Pourquoi cette colère meurtrière ? Une rumeur disait que Réveillon aurait affirmé qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour et que le pain était trop bon pour le peuple (le pain coûtait alors de 13 à 13,5 sous).

L'Archevêché de Paris, lieu des assemblées.

    Nombre de textes nous expliquent que cette rumeur était "infondée" et que le Peuple avait mal compris ce que Réveillon avait dit (le Peuple est stupide). On nous dit que Réveillon se justifiera quelques jours plus tard, en expliquant l'origine des perfidies dont il était victime. C'est-à-dire que durant l'hiver, il avait payé 18 sous par jour, 200 ouvriers qui ne pouvaient plus travailler en raison du fait que les teintures de couleurs avaient gelé. Il aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât de prix. Un quidam mal intentionné avait donc dû entendre cela et mal comprendre. D'autres relations de l'événement nous expliquent que Réveillon avait mis au chômage ses ouvrier à cause de la concurrence anglaise qui mettait à mal ses affaires.

    Compte tenu de la terrible rigueur de l'hiver 1788/1789, la thèse des couleurs gelées est assez crédible. Mais l'hypothèse de la concurrence anglaise est également pertinente. Car l'industrie française souffrait effectivement des conséquences du traité de libre-échange Eden-Rayneval, entre la France et l'Angleterre. L'industrie anglaise était en effet très en avance sur celle de la France. Nombre de patrons d'entreprises françaises prendront d'ailleurs pour cette raison le parti de la Révolution française lorsque celle-ci se produira. Mais pas Réveillon, car lorsque la Révolution éclatera, Jean-Baptiste Réveillon émigrera en Angleterre avec sa fortune intacte.

L'émeute Réveillon

Des propos grossiers

    Si l'on cherche un peu, on apprend que le 23 avril précédant, au cours de l'assemblée électorale du district de Sainte-Marguerite, Jean-Baptiste Réveillon se serait réellement plaint à propos du salaire des ouvriers.

  • Le fond.

    Il aurait proposé de supprimer les taxes prélevées sur les biens de consommation courante entrant dans la capitale, permettant mécaniquement la baisse de leur prix, et offrant alors aux entrepreneurs la possibilité de baisser les salaires, un discours que ne pouvaient entendre tous les travailleurs précaires, vivant au niveau de subsistance, pour qui le moindre sou était une question de survie.

  • La forme

    Hippolyte Adolphe Taine (1828-1893) évoquera le fait que Réveillon "et le commissaire Lerat" y "ont mal parlé" et "Parler mal, c'est mal parler du peuple" (Taine, "Les origines de la France contemporaine, la Révolution. — L'anarchie", Paris, Hachette, 2e vol de 1878, 6 volumes, de 1875 à 1893).  

  • Propos inconsidérés selon la police.

    Nous ne sommes pas sûrs de la teneur exacte des propos (demande d'abaissement des salaires à 15 sous, au lieu d'une vingtaine, regrets du "bon vieux temps où les salaires étaient plus bas") ; le 22 avril, déjà, dans une autre assemblée, dans le district des Enfants-Trouvés, le salpêtrier (fabricant de salpêtre) Henriot n'avait-il pas déjà affirmé que les ouvriers pouvaient bien vivre avez quinze sous par jour ?  (Sagnac, 1910). Dans, tous les cas, des propos de ce genre ont bien été tenus, confirme ce jour-là le lieutenant de police Thiroux de Crosne

"Il y a eu hier sur les dix heures un peu de rumeur dans un canton du faubourg Saint-Antoine ; il n’était que l’effet du mécontentement que quelques ouvriers marquaient contre deux entrepreneurs de manufacture qui, dans l’assemblée de Sainte-Marguerite, avaient fait des observations inconsidérées sur le taux des salaires." (in Rudé, 1982). 

28 Avril 1789. Fusillade au Faubourg Saint-Antoine (Claude Niquet)


Justification et légende patronale

"Pub" de Réveillon

    
En mai 1789, sitôt remis de ses émotions, Jean-Baptiste Réveillon publiera un "Exposé justificatif pour le sieur Réveillon, entrepreneur de la manufacture royale de papiers peints, fauxbourg Saint-Antoine". Ce document est intéressant car on y découvre le personnage se présentant en persécuté et exposant, malgré ses malheurs, sa compassion envers ses ouvriers :

"Un nouvel objet de douleur se joignait à mes maux : trois cent cinquante ouvriers que ma manufacture fait vivre, près de manquer de pain, ainsi que leurs enfants & leurs femmes, me déchiraient le cœur : leurs cris sont parvenus jusqu'à moi ; j'ai oublié un instant mes malheurs, & je n'ai songé qu'à ceux qui les menaçaient…"

Quel meilleur moyen de leur venir en aide que de les faire de nouveau travailler ?

Le texte se poursuit donc ainsi : "J'ai pris, grâces aux secours de mes amis, les précautions nécessaires pour faire continuer les travaux des ateliers."

Fidèle à un argumentaire qui fera ses preuves plus tard, le Sieur Réveillon se présente également comme un entrepreneur parti de rien (Un "self made man" dirait-on de nos jours) :

"Moi qui ai commencé par vivre du travail de mes mains ! Moi qui fais par ma propre expérience, quand mon cœur ne l'apprendrait pas, combien le pauvre a de droits à la bienveillance ! Moi enfin, qui me souviens & qui me suis toujours fait honneur d'avoir été ouvrier & journalier, c'est moi qu'on accuse d'avoir taxé les ouvriers et les journaliers à QUINZE SOUS par jours !"

"Après trois ans d'apprentissage, je me trouvai, pendant plusieurs jours, sans pain, sans asyle, & presque sans vêtement. J'étais dans l'état de désespoir qui est la suite d'une situation si horrible ; je périssais enfin de douleur & d'inanition. Un de mes amis, fils d'un menuisier, me rencontra ; il manquait d'argent, mais il avait sur lui un outil de son métier, qu'il vendit pour m'avoir du pain."

Accédez au texte intégral du "justificatif" par la fenêtre ci-dessous :

     Rangez vos mouchoirs chers amis ! Bien qu'il ait probablement eu quelques difficultés passagères, Réveillon était avant tout fils d'un "bourgeois de Paris" et il connut surtout une vraie réussite entrepreneuriale. En 1753, son apprentissage de trois ans de marchand-papetier à peine achevé, il fut en mesure de racheter l'affaire de son maître à sa veuve, de rembourser les dettes de celui-ci et d'épouser sa fille ! L'outil vendu par son ami menuisier devait être en or massif ! En 1765 Jean-Baptiste Réveillon achètera rue de Montreuil, dans le Faubourg Saint-Antoine, la magnifique propriété de la Folie-Titon pour la convertir en fabrique de papiers peints.

La Folie Titon

    Le mot "folie" ne fait pas référence à l'éventuelle exubérance architecturale du la propriété de Monsieur Titon. On désignait ainsi les maisons de villégiatures ou de réceptions entourées d'un rideau d'arbres, folie étant une altération de feuillée. Cette folie avait été construite en 1673 par Maximilien Titon, directeur des manufactures royales d'armes, comme maison de campagne. Elle recevra en 1784 le nom de « Manufacture royale de papiers peints ».

    Sachez également que c'est à la File Titon, qu'eu lieu le 19 octobre 1783, le premier vol humain, effectué par Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette dans un ballon captif, c'est-à-dire amarré au sol par une corde.


Un faubourg Saint-Antoine pas aussi populaire que ça !

    Attardons-nous un moment sur le faubourg Saint-Antoine, au milieu duquel se situait la fabrique de papiers peints du sieur Réveillon. N'imaginez pas trop vite un faubourg grouillant d'un petit peuple s'affairant au milieu d'échoppes et d'ateliers bruyants. Il y a bien sûr des boutiques et des milliers d'ouvriers travaillent dans ce faubourg. Mais beaucoup viennent d'autres quartiers de Paris, plus populaires et plus éloignés. Regardez ci-dessous l'extrait du fameux plan de Bretez et vous allez découvrir une suite de belles propriétés entourées de hauts murs. La plupart des faubourgs de Paris étaient en fait constitués de belles propriétés et d'édifices religieux, tous entourés de jardins ceinturés de hauts murs.

Le Faubourg Saint-Antoine sur le plan de Bretez

La Folie Titon en 1739

Faubourg Saint-Antoine en 2022.
On reconnait la pointe sur laquelle se situait la Boucherie, et il existe une rue Titon.

Jouez aux historiens et posez-vous des questions

    Je vous propose de lire ci-dessous (si vous le souhaitez) quelques textes qui décrivent et commentent l'événement. Vous ne manquerez pas de découvrir des différences et même quelques points particuliers qui posent questions.

    Qui sont les émeutiers et d'où viennent-ils ?  Un récit nous les décrit descendant de la montagne Sainte-Geneviève par le faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard et les Gobelins. Ils font même un détour par le pont de la Tournelle jusqu'à la place de Grève, afin de pendre et brûler une effigie à une lanterne. Il ne semble pas en tout cas qu'ils s'agissent d'ouvriers de chez Réveillon !

    Que venaient faire là, ces deux Chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, que l'on retrouvera morts parmi les émeutiers ?

    Pourquoi par deux fois le carrosse du Duc d'Orléans traverse-t-il l'émeute ? Dans l'après-midi du 28, le duc d'Orléans, prince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Ce qui lui vaut d'être ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, en route pour assister à des courses de chevaux à Vincennes, permet d'ouvre une brèche et donne l'occasion à la foule de se précipiter dans la manufacture. Vous allez découvrir bientôt le jeu équivoque du Duc d'Orléans, au cours des journées révolutionnaires.

    Pourquoi ni le guet ni la garde n'interviennent-ils pas au début de l'événement ? Vous verrez plus tard que le régiment des gardes françaises se fera remarquer plus tard pour son inaction, voire sa participation lors des événements révolutionnaires… Il faudra finalement que les fougueux cavaliers Croates du Royal Cravate chargent la foule et que les gardes Suisses fassent toner le canon ! (Au fait messieurs, le nom de votre cravate vient précisément de l'écharpe que portait les soldats de ce régiment. C’est le mot Hrvat, forme croate de Croate, qui a donné krvat, puis cravate.)

    Vous constaterez par la suite que ce genre de bizarrerie se reproduira souvent lorsque nous évoquerons d'autres événements révolutionnaires ! Vous comprendrez alors pourquoi certains se posent des questions quant à la nature spontanée de telles émeutes. Des bandes qui surgissent de nulle part, des militaires (souvent les gardes françaises) qui n'interviennent que mollement, le Duc d'Orléans qui passe par là, autant d'ingrédients suffisants pour imaginer un complot. Lorsque nous évoquerons la prise de la Bastille, vous verrez que la confusion sera encore pire ! 

Nota : J'ai conservé l'orthographe de l'époque et je me suis permis de souligner en rouge quelques passages, pour attirer votre attention.

Journal politique ou Gazette des gazettes

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f139.item

La tranquillité de la capitale pendant toutes ces assemblées, avait été parfaite ; mais elle fut cruellement troublée le 27 et le 28. Monsieur Réveillon, propriétaire d'une riche manufacture de papiers peints, établie au faubourg Saint Antoine, s'étant permis quelques propos qui déplurent au Peuple, comme le dire qu'un salaire de 15 sols par jour était suffisant pour la subsistance d'un manouvrier, une quantité de gens armés de bâtons et de pierres tenta, le 27, de détruire la manufacture. Après avoir brisé les vitres de la maison, on voulait en arracher le propriétaire. Un fort détachement de Gardes Françaises vint au secours de ce citoyen qui sut souffrait à la fureur du Peuple. La troupe grossissant à chaque instant, ne pouvant exécuter les violences qu'elle avait projetées, se jette sur la maison du Sieur Henriot, salpêtrier, la pilla, enleva & brûla tous les meubles & effets qui la garnissait. Le 28, l'insurrection devint alarmante : les mutins, au nombre de 4 à 5 mille, ne pouvant être contenus par les Gardes Françaises, ni par les Gardes Suisses, le régiment de Royal-Cravate, cavalerie, s'y joignit, & ce ne fut qu'après bien des efforts qu'on parvint à disperser la multitude animée. Il fallut réprimer son audace à coup de fusil, & il y eut beaucoup de sang répandu de part & d'autre ; mais, grâce au ciel, le calme est enfin rétabli.

Dans ces circonstances, il parut un arrêt du parlement, qui fait défenses à toutes personnes de former aucuns attroupements, d'entrer de force dans les maisons, d'y commettre des excès, &c, à peine d'être poursuivies extraordinairement comme perturbateurs du repos public, & punies suivant la rigueur des ordonnances.

Le 23, le parlement enregistra une déclaration du roi, datée du 28, & par laquelle Sa Majesté attribue à la prévôté la connaissance de ces excès.

Le 29, un jugement prévôtal, rendu à la chambre criminelle du Chatelet, condamne Jean-Claude Gilbert, couverturier, & Antoine Pourrat, gagne-denier, à être pendus à la place de la porte Saint-Antoine, pour attroupement, émeute & sédition.

Journal de Paris

Pas un mot sur l'événement. Etonnant, non ?

Source :


Journal d'un bourgeois de Paris pendant la révolution Hyppolite Monin (à partir de la page 127). Il s'agit d'une version romancée, écrite par un historien spécialiste de la Révolution française.

Source :
https://www.google.fr/books/edition/Journal_d_un_bourgeois_de_Paris_pendant/qikvAAAAYAAJ?hl=fr&gbpv=0

26 avril. Aussitôt réunis à l'Archevêché, les trois ordres se sont séparés, et chacun d'eux a nommé des commissaires pour la rédaction des cahiers définitifs. M. Angran d'Alleray, lieutenant civil au Châtelet, avait été désigné pour présider notre assemblée : il s'est refusé à remplir ses fonctions comme simple citoyen, malgré la disposition où se trouvait l'assemblée de les lui confirmer par élection. Il s'est retiré, mais à portée, avec ses huissiers. Nous avons élu président Me Target, et secrétaire M. Sylvain Bailly. M. le prévôt de Paris, président de la noblesse, est venu nous proposer l’union avec son ordre. Mais chacun pensait à ce mot : Timeo Danaos, et dona ferentes, et tout ce miel ne nous a pas englués. Bien plus, quelques électeurs voulaient obliger à sortir trois anoblis, entre autres un banquier, M. Lecoulteux de la Noraye. La noblesse n'aurait certaine ment pas voulu d'eux et ils seraient demeurés à cheval entre deux selles. Ils se sont excusés sur ce qu'ils avaient obtenu la noblesse par le commerce, et nous les avons gardés, quoiqu'ils eussent dérogé à leur ordre. Mgr de Juigné a été admis comme président du clergé ; mais il a dû congédier sa haute croix qui le précédait partout suivant l'usage. Le clergé a renoncé, ainsi que la noblesse, à tout privilège en fait d'impôt. En rentrant chez moi, je rencontre, rue Saint Séverin, une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres, qui vociféraient, avec des menaces de mort, le nom d'un de nos 42 commissaires élus (Par 103 voix. Le premier était Guillotin, qui eut 239 voix), M. Réveillon, fabricant de papiers peints. J'apprends que, prévenu à temps, M. Réveillon n'est point sorti de l'Archevêché. Je m'informe de ce qu'on lui reproche. Il aurait dit qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour, que le pain était trop bon pour le peuple, etc. Cette accusation est une infâme calomnie : M. Réveillon a été lui- même ouvrier, et s'en est toujours souvenu.

27 avril. Dès avant-hier et durant toute la journée d'hier dimanche, des bandes avinées se portent du côté du faubourg Saint-Antoine, où sont situées, à la Folie-Titon, la maison et la fabrique de M. Réveillon. Le guet et la garde ont laissé faire. Ce matin continue cette singulière émeute contre un particulier jusqu'ici inconnu de la foule, et considéré par ses amis comme la bonté et la bienfaisance mêmes. Une de ces troupes, que j'ai suivie, pouvait bien compter cinq à six cents mutins. Ils ne portaient d'autres armes que des bâtons, avec un papier blanc au bout. Ils s'arrêtaient pour boire, et payaient. De la montagne Sainte - Geneviève, ils sont descendus au faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard, aux Gobelins : le poste des gardes françaises devant lequel ils sont passés, n'a pas bougé. Ils sont revenus par la rue Saint-Victor et celle des Fossés-Saint Bernard, ont volé des bûches au chantier, puis, par le pont de la Tournelle, se sont arrêtés place de Grève. Là, le plus grand de la bande a crié un « Arrêt du tiers état qui condamne les nommés Réveillon et Henriot (Salpêtrier, voisin de Réveillon) à être pendus et brûlés en place publique ». Ils ont accroché à une potence l'effigie d'un homme peinte sur un morceau de carton. Ils ont brûlé un autre mannequin. Pendant cette exécution, une autre troupe avait gagné le faubourg Saint-Antoine. Mais la maison Réveillon était entourée par les gardes françaises, qui avaient élevé de solides barricades. Il n'y a pas eu de sang versé, le duc du Châtelet et le comte d'Affry ayant recommandé aux soldats la plus grande modération. Le soir, les boutiquiers des rues Saint- Denis, Saint-Martin, Saint- Antoine, etc. , qui avaient fermé, rouvrent en partie.

28 avril, MM. Réveillon et Henriot ont été mis en sûreté à la Bastille. Les gardes françaises ont été renforcées des gardes suisses, du guet, de la maréchaussée. Mais une des barricades a été affranchie pour laisser passer Mme la duchesse d'Orléans, qui allait à une course de chevaux à Vincennes. Les soldats ont été aussitôt assaillis de pierres, de tuiles, et même de débris de cheminées. Ils ont fait feu. Après-midi, le Royal-Cravate a chargé la foule. Quant à la maison, elle a été saccagée de fond en comble. Vers 5 heures, le Pont-Neuf, le Pont-au-Change, le boulevard de la Porte-Saint-Antoine, sont remplis d'une foule compacte. Le peuple arrête les voitures, fait descendre hommes ou femmes, et les oblige à crier : Vive le Roi ! Vive M. Necker ! Vive le Tiers État ! Le Parlement a rendu un arrêt contre les rassemblements illicites.

29 avril. - M. Réveillon se justifie, ou plutôt il explique l'origine des perfidies dont il est victime. Il a, cet hiver, payé 18 sous par jour 200 ouvriers à ne rien faire, les couleurs étant gelées, et tout travail impossible. Il aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât de prix. A la Folie - Titon, il n'y a plus que les quatre murs : heureusement, dès avant-hier, Mme Réveillon avait mis en sûreté ses papiers et ses bijoux. — Sept individus ont été trouvés morts ivres ou empoisonnés dans les caves ; plusieurs centaines d'émeutiers ou de curieux ont été tués ou blessés, deux chevaliers de Saint- Louis dans le nombre. Sur les sept heures du soir deux des assaillants, jugés prévôtalement, sont pendus devant la Bastille, et leurs cadavres enlevés une heure après. — Hélas ! Nous avons eu bien pire que le Champ de Mont morin .

30 avril. – La foule va en procession au faubourg Saint-Antoine. On ne sait que penser de cette étrange sédition : on croit qu'elle a été préparée de longue main, mais qu'elle n'a pu mûrir assez tôt pour empêcher nos élections. On a aussi surpris deux meneurs dans un galetas d'une ignoble maison, rue des Prêtres Saint-Séverin : or le curé de Saint- Séverin donne avis que, quelques jours avant l'émeute du 27, on voyait souvent venir des personnes de qualité dans cette maison. La crainte et la défiance sont dans tous les cours, au moment où il n'est question dans la plupart des écrits avoués par leurs auteurs que de la fraternité des ordres, du Roi notre bon père à tous, etc. La haine, envie, l'orgueil, la cruauté font tomber les masques l'un après l'autre.

Adrien Joseph Colson, courrier du 3 mai 1789

    Adrien Joseph Colson, avocat au Parlement de Paris et intendant de la famille de Longaunay, écrivit de 1780 à 1793, au rythme de la poste, soit deux fois par semaine, à Roch Lemaigre, régisseur des terres du Berry de cette famille. Il raconte, de son point de vue, les événements révolutionnaires. A noter qu'il rapporte plus qu'il ne témoigne.

(…) Au moment encore où j'écrivais ma dernière lettre (28 avril), il se passait au faubourg Saint-Antoine une scène sérieuse de désordres qui ensanglantaient les rues et jusqu'aux toits des maisons de ce Faubourg. Quelques jours avant cet événement, la crapule de ce faubourg, prétendant qu'un sieur Réveillon avait dit qu'il ne trouvait pas le pain trop cher et qu'il était à un taux raisonnable, s'en est tellement offensée qu'elle s'est mise à le chercher tous les jours pour le tuer. Ne le trouvant pas, et le nombre de cette crapule augmentant tous les jours, elle s'est enhardie et animée au point de brûler tous ses effets et, le lendemain ou deux jours après, elle a incendié sa maison. Déjà une partie se portait en foule dans les rues de Paris et une autre s'y répandait par pelotons : et ceux-ci faisaient les premiers essais du brigandage en arrêtant les voitures et quelque fois les gens de pied bien mis pour en extorquer de l'argent. Tous ces excès réunis ont obligé, au moment où j'écrivais ma lettre, à faire marcher au faubourg saint Antoine où était le centre de ces brigands un corps considérable de troupes formé de différends détachements des gardes françaises, un des gardes suisses, le régiment entier de royal cravate cavalerie et d'autres corps qui se trouvaient autour de Paris. Les gardes suisses avaient conduit avec eux leurs canons. La crapule du faubourg a eu le front et la témérité de monter sur le toit des maisons et dans les chambres et de lancer des pierres qu'elle avait amassée, des tuiles et tout ce qu'elle avait, sur les troupes. Elle a tué quelques soldats du régiment du royal cravate et en a blessé quelques-uns des gardes françaises. Mais on lui a tué et blessé bien du monde. Un grenadier des gardes françaises a dit à quelqu'un de qui je le tiens qu'à sa part il en avait tué cinq sur les toits au moment où il les voyait mesurer leur coup sur les toits avec des tuiles sur ses camarades. Le lendemain de cette scène on a pendu deux de ces brigands : cela a rétabli le calme un jour ou deux. Mais on dit que l'avant dernière nuit cette canaille a été ouvrir les prisons et les salles de force de Bicêtre, ce qui annonce qu'elle n'en restera pas là et qu'il faudra de nouveaux coups de vigueur contre elle. (…) Vous savez sans doute qu'à Orléans il s'est passé des scènes aussi terribles qu'ici au faubourg Saint-Antoine. (…)


1762 à 1789 journal anecdotique de Paris et Versailles (Pages 377 et 378)

Source : https://www.google.fr/books/edition/Paris_et_Versailles/9O9AAQAAMAAJ?hl=fr&gbpv=0

Voici les nouvelles de Paris, du 29 avril : Notre tour est venu, la révolte a éclaté avant-hier 27, mais pour toute autre cause que celle des grains. Les ouvriers du faubourg Saint-Antoine avaient été ameutés contre un sieur Réveillon, propriétaire d'une grosse manufacture de papier peint. On l'accusait d'avoir soutenu dans l'assemblée de son district qu'un ouvrier pouvait vivre avec 15 sols par jour et qu'il fallait diminuer les salaires ; ce qui était faux. Les ouvriers promenèrent lundi un mannequin, le représentant, qu'ils brûlèrent. Ils ne purent forcer sa maison, qu'un détachement des gardes défendaient ; ils s'en vengèrent sur celle d'un salpêtrier, son ami, en brûlant tous les meubles et effets au milieu de la rue. Le guet, les gardes françaises, soutenus par cent chevaux des Cravates, dissipèrent les mutins vers minuit. Il aurait fallu en pendre de bon matin deux ou trois qui avaient été arrêtés. Point du tout, on ne fit rien. Les ouvriers se réunirent hier de bonne heure, ils repoussèrent les troupes, et cette fois ils par vinrent à forcer la maison de Réveillon. Les tuiles, les cheminées pleuvaient sur les soldats. L'ordre vint de tirer, les Cravates chargent, il y a un carnage affreux. Les ouvriers, ivres de vin et de liqueurs, trouvés dans les caves se défendent en désespérés. A 8 heures, les gardes suisses arrivent avec du canon. Ce n'est qu'à minuit qu'on est maître du champ de bataille. On compte deux cents hommes au moins de tués. Les troupes en ont plusieurs de blessés et trois ou quatre tués. A la première décharge des troupes, quinze jeteurs de tuiles et briques ont déniché de dessus les toits. Vous voyez que ce n'est pas la même cause que pour les grains.

Godechot : La prise de la Bastille, 1965 (via Guillemin page 29).

Source : https://echosdeslumieres.home.blog/2019/04/11/merci-patron-1789-laffaire-reveillon/ 

Le bruit se répand dans Paris, que Réveillon, un marchand de papier peint du faubourg Saint-Antoine, aurait déclaré que ses ouvriers pouvaient bien vivre avec 15 sous par jours. On le traite d’affameur (le pain coûte de 13 à 13,5 sous). En vérité Réveillon n’avait pas dit cela. C’était un brave homme qui devant mettre au chômage une partie de son personnel, à cause de la concurrence anglaise, les avait payés quand même et avait déclaré qu’il faudrait une réduction des prix des denrées de bases, pour qu’un ouvrier puisse vivre avec 15 sous par jours.

La troupe ouvre le feu (12 soldats et près de 300 manifestants tués).

Herodote.net

Source : https://www.herodote.net/27_28_avril_1789-evenement-17890427.php

Jean-Baptiste Réveillon dirige une grande manufacture de papiers peints dans la rue de Montreuil, la Folie-Titon. Il fournit ainsi de l'emploi à trois cents ouvriers.

Obligé de réduire ses effectifs en raison de la concurrence anglaise induite par le Traité Franco-britannique ‘Eden-Rayneval’ (1786), il a octroyé une allocation chômage à ceux dont il a dû se séparer. Cette initiative originale témoigne de ses idées progressistes...

Autre témoignage de son ouverture d'esprit : le 23 avril 1789, il suggère au gouvernement du roi Louis XVI de supprimer les octrois, taxes prélevées sur les marchandises à l’entrée dans la capitale. Cette mesure devrait faire baisser les prix des biens de consommation courante. Et si les prix baissent, il deviendra loisible aux employeurs de baisser aussi les salaires de leurs ouvriers. CQFD. La proposition est reprise par un fabricant de salpêtre, Henriot.

Mais cet argumentaire libéral d’avant-garde, diffusé dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, où travaillent une quarantaine de milliers d'ouvriers, artisans et compagnons, n’a pas l’heur de plaire à la population laborieuse qui n'en retient que la menace d'une baisse de salaire.

Ce petit peuple est irrité par ailleurs de n'avoir pas été autorisé à participer aux élections aux états généraux, qui doivent se réunir à Versailles au début mai.

Des manifestations spontanées se forment çà et là. Les effigies de Réveillon et Henriot sont brûlées dans la nuit du 26 au 27 avril en place de Grève, devant l'Hôtel de ville, aux cris de « Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! ». La maison de Réveillon est pillée.

Le lendemain, plusieurs milliers de personnes investissent la manufacture Réveillon, sous la surveillance de quelques troupes, gardes françaises, gendarmes à cheval, cavaliers du Royal Cravates. En soirée, comme les troupes doivent s'écarter pour faire de la place au carrosse du duc d'Orléans, la foule en profite pour entrer dans la manufacture et la mettre au pillage. Tout est saccagé et brûlé.

Là-dessus intervient la troupe. C’est l’affrontement. Avec douze morts parmi les forces de l’ordre et au moins une centaine parmi les émeutiers, la journée s’avère plus meurtrière que toutes celles qui suivront.

Histoire de la Révolution française par l'historien Jules Michelet

Les électeurs, sous un président de leur choix, siégeaient à l’Archevêché ; ils allaient procéder à la fusion des cahiers de districts et à la rédaction du cahier commun ; ils s’accordaient déjà sur une chose, que Sieyès avait conseillée, l’utilité de placer en tête une déclaration des droits de l’homme. Au milieu de cette délicate et difficile besogne métaphysique, un bruit terrible les interrompit. C’était la foule en guenilles qui venait demander la tête d’un de leurs collègues, d’un électeur, Réveillon, fabricant de papier au faubourg Saint-Antoine. Réveillon était caché ; mais le mouvement n’en était pas moins dangereux. On était déjà au 28 avril ; les États généraux promis pour le 27, puis remis encore au 4 mai, risquaient fort, si le mouvement durait, d’être ajournés de nouveau.

Il avait commencé précisément le 27, et il n’était que trop facile de le propager, le continuer, l’agrandir, dans une population affamée. On avait répandu dans le faubourg Saint-Antoine que le papetier Réveillon, ex-ouvrier enrichi, avait dit durement qu’il fallait abaisser les journées à quinze sols ; on ajoutait qu’il devait être décoré du cordon noir. Sur ce bruit, grand mouvement. Voilà d’abord une bande qui, devant la porte de Réveillon, pend son effigie décorée du cordon, la promène, la porte à la Grève, la brûle en cérémonie sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville, sous les yeux de l’autorité municipale, qui ne s’émeut pas. Cette autorité et les autres, si éveillées tout à l’heure, semblent endormies. Le lieutenant de police, le prévôt des marchands Flesselles, l’intendant Berthier, tous ces agents de la cour, qui naguère entouraient les élections de soldats, ont perdu leur activité.

La bande a dit tout haut qu’elle irait le lendemain faire justice chez Réveillon. Elle tient parole. La police, si bien avertie, ne prend nulle précaution. C’est le colonel des gardes françaises qui de lui-même envoie trente hommes, secours ridicule ; dans une foule compacte de mille ou de deux mille pillards et cent mille curieux, les soldats ne veulent, ne peuvent rien faire. La maison est forcée, on brise, on casse, on brûle tout. Rien ne fut emporté, sauf cinq cents louis en or. Beaucoup s’établirent aux caves, burent le vin et les couleurs de la fabrique, qu’ils prirent pour du vin.

Chose incroyable, cette vilaine scène dura tout le jour. Remarquez qu’elle se passait à l’entrée même du faubourg, sous le canon de la Bastille, à la porte du fort. Réveillon, qui y était caché, voyait tout des tours. On envoyait de temps à autre des compagnies de gardes françaises qui tiraient, à poudre d’abord, puis à balles. Les pillards n’en tenaient compte, quoiqu’ils n’eussent que des pierres à jeter. Tard, bien tard, le commandant Besenval envoya des Suisses, les pillards résistèrent encore, tuèrent quelques hommes ; les soldats répondirent par des décharges meurtrières qui laissèrent sur le carreau nombre de blessés et de morts. Beaucoup de ces morts, en guenilles, avaient de l’argent dans leurs poches.

Si, pendant ces deux longs jours où les magistrats dormirent, où Besenval s’abstint d’envoyer des troupes, le faubourg Saint-Antoine s’était laissé aller à suivre la bande qui saccageait Réveillon, si cinquante mille ouvriers, sans travail, sans pain, s’étaient mis, sur cet exemple, à piller les maisons riches, tout changeait de face ; la cour avait un excellent motif pour concentrer une armée sur Paris et sur Versailles, un prétexte spécieux pour ajourner les États. Mais la grande masse du faubourg resta honnête et s’abstint ; elle regarda, sans bouger. L’émeute, ainsi réduite à quelques centaines de gens ivres et de voleurs, devenait honteuse pour l’autorité qui la permettait. Besenval trouva, à la fin, son rôle trop ridicule, il agit et finit tout brusquement. La cour lui en sut mauvais gré ; elle n’osa le blâmer, mais ne lui dit pas un mot.

Le Parlement ne put se dispenser, pour son honneur, d’ouvrir une enquête, et l’enquête resta là. On a dit, sans preuve suffisante, qu’il lui fut fait défense, au nom du roi, de passer outre.

Quels furent les instigateurs ? Peut-être personne. Le feu, dans ces moments d’orage, prend bien de lui-même. On ne manqua pas d’accuser « le parti révolutionnaire ». Qu’était-ce que ce parti ? Il n’y avait encore nulle association active.

On prétendit que le duc d’Orléans avait donné de l’argent. Pourquoi ? Qu’y gagnait-il alors ? Le grand mouvement qui commençait offrait à son ambition trop de chances légales pour qu’à cette époque il eût besoin de recourir à l’émeute. Il était mené, il est vrai, par des intrigants prêts à tout ; mais leur plan, à cette époque, était entièrement dirigé vers les États généraux ; seul populaire entre les princes, leur duc, ils s’en croyaient sûrs, allait y jouer le premier rôle. Tout événement qui pouvait retarder les États leur paraissait un malheur.

Qui désirait les retarder ? Qui trouvait son compte à terrifier les électeurs ? Qui profitait à l’émeute ?

La cour seule, il faut l’avouer. L’affaire venait tellement à point pour elle qu’on pourrait l’en croire auteur. Il est néanmoins plus probable qu’elle ne la commença point, mais la vit avec plaisir, ne fit rien pour l’empêcher et regretta qu’elle finît. Le faubourg Saint-Antoine n’avait pas alors sa terrible réputation ; l’émeute sous le canon même de la Bastille ne semblait pas dangereuse.

Histoire de la Révolution française par Adolphe Thiers, homme politique et historien.

Source :
https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_la_R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise_(Thiers)/1

La cour ne voulut point influencer les élections ; elle n’était point fâchée d’y voir un grand nombre de curés ; elle comptait sur leur opposition aux grands dignitaires ecclésiastiques, et en même temps sur leur respect pour le trône. D’ailleurs elle ne prévoyait pas tout, et dans les députés du tiers elle apercevait encore plutôt des adversaires pour la noblesse que pour elle-même. Le duc d’Orléans fut accusé d’agir vivement pour faire élire ses partisans, et pour être lui-même nommé. Déjà signalé parmi les adversaires de la cour, allié des parlements, invoqué pour chef, de son gré ou non, par le parti populaire, on lui imputa diverses menées. Une scène déplorable eut lieu au faubourg Saint-Antoine ; et comme on veut donner un auteur à tous les évènements, on l’en rendit responsable. Un fabricant de papiers peints, Réveillon, qui par son habileté entretenait de vastes ateliers, perfectionnait notre industrie et fournissait la subsistance à trois cents ouvriers, fut accusé d’avoir voulu réduire les salaires à moitié prix. La populace menaça de brûler sa maison. On parvint à la disperser, mais elle y retourna le lendemain ; la maison fut envahie, incendiée, détruite. Malgré les menaces faites la veille par les assaillants, malgré le rendez-vous donné, l’autorité n’agit que fort tard, et agit alors avec une vigueur excessive. On attendit que le peuple fût maître de la maison ; on l’y attaqua avec furie, et on fut obligé d’égorger un grand nombre de ces hommes féroces et intrépides, qui depuis se montrèrent dans toutes les occasions, et qui reçurent le nom de brigands.

Tous les partis qui étaient déjà formés s’accusèrent : on reprocha à la cour son action tardive d’abord, et cruelle ensuite ; on supposa qu’elle avait voulu laisser le peuple s’engager, pour faire un exemple et exercer ses troupes. L’argent trouvé sur les dévastateurs de la maison de Réveillon, les mots échappés à quelques-uns d’entre eux, firent soupçonner qu’ils étaient suscités et conduits par une main cachée ; et les ennemis du parti populaire accusèrent le duc d’Orléans d’avoir voulu essayer ces bandes révolutionnaires.

Ce prince était né avec des qualités heureuses ; il avait hérité de richesses immenses ; mais, livré aux mauvaises mœurs, il avait abusé de tous ces dons de la nature et de la fortune. Sans aucune suite dans le caractère, tour à tour insouciant de l’opinion on avide de popularité, il était hardi et ambitieux un jour, docile et distrait le lendemain. Brouillé avec la reine, il s’était fait ennemi de la cour. Les partis commençant à se former, il avait laissé prendre son nom, et même, dit-on, jusqu’à ses richesses. Flatté d’un avenir confus, il agissait assez pour se faire accuser, pas assez pour réussir, et il devait, si ses partisans avaient réellement des projets, les désespérer de son inconstante ambition.

Wikipedia !

Nota : Je trouve intéressant de donner la version de WIKIPEDIA au 21 mai 2022, non seulement parce qu'elle est bien renseignée, mais aussi parce que je me suis rendu compte que les articles de Wikipedia changeaient parfois très fortement au fil du temps.

Le déclenchement de la révolte

Jean-Baptiste Réveillon est un entrepreneur à la tête de la Manufacture royale de papiers peints employant 300 travailleurs et installée à la Folie Titon, dans les jardins de laquelle s'élève la première montgolfière, le 19 octobre 1783. Ce lieu, aujourd'hui disparu, se situait sur l'actuelle rue de Montreuil, près de la station de métro Faidherbe-Chaligny, à Paris, une plaque en témoigne.

Depuis la signature du traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre, en l'an 1786, les importations textiles anglaises à bas prix inondent le marché français. Les entreprises françaises du textile ont de plus en plus de mal à écouler leurs marchandises. En l'espace de quatre ans, les exportations anglaises ont quintuplé en valeur.

Après un hiver particulièrement rigoureux, le prix du pain augmente fortement dans les premiers mois de 1789. La tension est augmentée par l'ouverture prochaine des États généraux qui doivent se tenir à Versailles, mais qui est finalement reportée au 5 mai. Les élections des députés du Tiers-État ne sont pas encore terminées à Paris et les ouvriers et les apprentis compagnons n'ont pas le droit de vote, plus restrictif qu'ailleurs dans le royaume. La menace de la disette et du chômage, l'exclusion des assemblées électorales du tiers état mécontentent les habitants des populaires faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel.

Le 23 avril, au cours d'une assemblée d'électeurs du tiers état, Réveillon aurait tenu des propos inquiétants sur les salaires des ouvriers. Il aurait regretté le bon vieux temps où les ouvriers étaient payés 15 sous par jour au lieu de 25 alors. Selon une deuxième interprétation, ce patron nourri d'idées libérales aurait suggéré de supprimer l'octroi afin de diminuer le prix d'importation de la farine et donc le prix du pain, l'autorisant ainsi à baisser les salaires. Un autre patron, Henriot (ou Hanriot), fabricant de salpêtre, partage son opinion. Quoi qu'il en soit, parmi le peuple, le bruit se répand que Réveillon veut baisser les salaires. Dès le soir, son nom est conspué. La rumeur est répétée et commentée dans les cabarets et les ateliers, si bien que le mécontentement finit par exploser.

Le déroulement

Le lundi 27 avril, des milliers de chômeurs, d'ouvriers, d'artisans, de petits patrons, de débardeurs s'ameutent près de la Bastille, puis se dirigent vers l'hôtel de ville, aux cris de « Mort aux riches ! Mort aux aristocrates ! Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! À bas la calotte ! À l'eau les foutus prêtres ! » Place de Grève, sont brûlées les effigies de Réveillon et d'Henriot. Devant l'hôtel de ville, une délégation de bourgeois envoyée par l'assemblée électorale convainc les manifestants de se disperser. Mais la colonne se dirige vers la manufacture et l'hôtel de Réveillon. Un détachement d'une cinquantaine de gardes-françaises leur en interdisant l'accès, les manifestants se rabattent sur la maison d'Henriot, laquelle n'est pas protégée. Le salpêtrier et sa famille ont juste le temps de s'enfuir au donjon de Vincennes avant que leur maison ne soit saccagée et pillée.

Le lendemain, 28 avril, un nouveau rassemblement se tient devant l'hôtel et la manufacture de Réveillon, mais les forces de l'ordre, renforcées depuis la veille et retranchées derrière des barricades, tiennent à distance la foule houleuse et désarmée. Dans l'après-midi, le duc d'Orléansprince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Il est ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, ouvre une brèche temporaire dans les barricades. Les émeutiers en profitent pour forcer l'entrée de l'hôtel et tout saccager. Des fenêtres et du haut des toits, ils lancent des tuiles et des meubles sur la troupe. Exaspérés, les gardes tirent. Cette riposte tue un nombre indéterminé d'émeutiers, selon le commissaire du Châtelet, 900 selon le marquis de Sillery, un soulèvement particulièrement meurtrier en considérant la fourchette haute. Du côté des soldats, le bilan s'établit plus sûrement à 12 tués et 80 blessés. Jusqu'à dix heures du soir, le lieutenant de police Thiroux de Crosne quadrille le faubourg Saint-Antoine et fait pourchasser les séditieux jusqu'au faubourg Saint-Michel.

Le 29 avril, il en fait pendre deux.

Analyses et interprétations

Selon l'historienne Raymonde Monnier, qui note l'absence des salariés de Réveillon dans l'émeute du 28 avril, cette affaire Réveillon n'est pas un « affrontement entre patrons et ouvriers ». Motivée par l'augmentation du prix du pain et donc par la faim et la misère, elle se rattache aux émeutes de subsistance, typiques de l'Ancien Régime. En même temps, se dessinent les caractères d'une journée révolutionnaire : le peuple se réclame du tiers état et lance des slogans nouveaux tels que « Liberté ». À dix jours de l’ouverture des États généraux, les Parisiens les plus pauvres, exclus du scrutin, s'impatientent et entendent exprimer, par la force, leurs revendications. De ce point de vue, ces journées peuvent être vues comme le premier soulèvement populaire de la Révolution.

Les événements du faubourg Saint-Antoine sont certainement spontanés, mais des contemporains ont pensé à une action commanditée et alimenté la thèse du complot. Certains y ont vu la main de l'Angleterre ou des aristocrates. Rétif de la Bretonne, dans Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, accuse « Aristocratie » d'avoir acheté des bons à rien pour aller attaquer Réveillon. Plus précisément, la rumeur pointa du doigt le duc d’Orléans. Le baron de Besenval et Jean-François Marmontel le rapportent dans leurs mémoires respectifs. L'historienne Évelyne Lever estime qu'aucune preuve ne désigne Louis-Philippe d'Orléans. De même, Jean-Christian Petitfils disculpe le prince, « agitateur inconséquent » mais trop dilettante pour mener une conspiration. Par contre, la faction Orléans, qu'animait notamment Choderlos de Laclos, a pu agir pour son compte. On comprendrait alors mieux pourquoi, pris dans l'émeute, ni le carrosse du duc, ni celui de la duchesse ne furent pris à partie par la foule excitée.

Conclusion

Il y a bien sûr énormément d'autres versions. Je complèterai d'ailleurs ultérieurement cet article avec de nouvelles, afin que nous prenions mieux la mesure des variantes, en pesant même le poids de certains mots...

A propos, avez-vous remarqué la version "libérale" du site Hérodote.net ? Pour faire contrepoids, je vous suggère de lire la version très complète, très renseignée et très politisée du site "Ploutocratie.com" 😉

Merci pour votre lecture. Surtout si vous êtes arrivés à la fin de cet article !

A suivre !


Plaques commémoratives au numéro 31 bis de la rue de Montreuil à Paris.