Affichage des articles dont le libellé est Octobre. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Octobre. Afficher tous les articles

mardi 27 octobre 2020

27 Octobre 1789 : Necker invite à dîner Morris pour lui suggérer que les Etats-Unis remboursent leur dette à la France

La dette en 1789...

    J'évoque régulièrement dans mes articles le problème de la dette de la France en 1789, et les mesures prises pour son remboursement : par les députés de l'Assemblée nationale qui pâlissent d'horreur à l'idée d'une banqueroute, par le roi (qui donne à fondre sa vaisselle d’argent), et même par des Françaises qui viennent faire dons de leurs bijoux !

Dette française

    La dette est bien sûr l'un des principaux problèmes de l'ancien régime, celui-là même qui a causé sa perte, en mettant progressivement en place toutes les conditions favorables à la Révolution. Le 16 août 1788, la monarchie en était arrivée à devoir suspendre ses paiements et le roi avait dû se résoudre à convoquer les états généraux, puisqu’aucune réforme n’avait pu aboutir lors des Assemblées des Notables de 1787 et 1788. À cette date, le déficit budgétaire était évalué à 2 milliards.

    En douze années de règne, la dette s’était accrue de 1140 millions et le service de la dette absorbait à lui seul la moitié des recettes !

    Souvenez-vous de la panique qui avait saisi les agents de change à Paris le 12 juillet 1789, quand ils avaient appris le renvoi de Necker. A l’idée d’une banqueroute ils avaient même fermé la Bourse et l’agitation révolutionnaire à Paris avait monté d’un cran, le dernier avant l’explosion.

Dette américaine !

    Mais il ne faudrait pas pour autant oublier la dette américaine envers la France ! C’est ce que fait Necker lorsque ce jour il invite à dîner chez lui, Gouverneur Morris, un homme d’affaire américain, ami de George Washington.

    Il souhaite négocier avec lui le remboursement des 24 millions que l’Amérique doit à la France. Rappelons que la principale cause de la situation dramatique des finances du royaume est due à la dette colossale creusée par la France auprès des banques pour financer son aide en argent, en bateaux, en armes, et en hommes, à la guerre d’indépendance américaine (les fameux emprunts lancés par Necker lui-même, déjà ministre à l’époque).

Gouverneur Morris

Gouverneur Morris

    Comme me l'a précisé l'historienne Annie Jourdan, qui me fait l'honneur de lire mes articles, Gouverneur est le prénom du quidam et non pas son titre.    

    Gouverneur Morris est présent en Europe pour ses affaires et il a même eu l’occasion d’assister à la cérémonie d’ouverture des Etats Généraux à Versailles le 5 mai 1789. Il a quitté Paris le 30 juillet pour un voyage en Angleterre et en est revenu le 13 septembre. 

  De 1792 à 1794, il officiera à Paris en tant que ministre plénipotentiaire (ambassadeur) représentant les États-Unis. Morris est connu pour le journal qu’il a tenu à cette époque et aussi pour les jugements peu amènes (et donc guère reconnaissants) envers la France et les Français. Il semble que seules les Françaises aient retenu son attention, puisqu’il parle souvent dans son journal de sa maitresse Adèle de Flahaut qu’il a rencontrée en juin 1789.

    Gouverneur Morris est également connu pour ses convictions extrêmement conservatrices concernant la société, dont il fit état dans ses "Political enquiries" publiées en 1776.

    Necker, le ministre français des finances et son collègue des affaires étrangères, Montmorin, ont tenu à mener ces pourparlers en secret. Car les banquiers étrangers, dont dépend l’acquittement de la dette, s’inquiètent déjà assez de la situation politique de la France. Ils ne désirent pas les effrayer plus encore par de nouveaux débats houleux à l’Assemblée. Comme vous le savez, pour prêter, les banquiers, ou les marchés financiers comme on les appelle de nos jours, ont besoin d’avoir confiance. Il existe même à présent des agences de notations financières qui attribuent aux pays des notes en fonction de la confiance qu’ils inspirent.

    Mais le sieur Gouverneur Morris se refuse à engager sa parole sur un remboursement de dix millions chaque année sur trois ans. Peut-être parviendra-t-il à obtenir 300.000 francs par mois à partir de janvier. Mais cela de suffira de toute façon pas à résoudre le problème du déficit du Trésor de la France, car les deux emprunts lancés en août (à l’instigation de Necker) n’ont pas été couverts, et les députés, qui ont donné en juin la garantie de la nation aux créanciers de l’état, ne sauraient en aucun cas décréter la banqueroute.

La "quasi-guerre" franco-américaine.

    Les relations entre la France et les Etats-Unis sont donc loin d’être cordiales comme vous le voyez. Je pense que je vais en étonner quelques-uns si j’évoque la « quasi-guerre » qui aura lieu bientôt entre les deux pays de 1798 à 1800 !

    Concernant leur dette à la France, les Américains refusaient de la rembourser, sous prétexte qu'ils n'étaient tenus de la rembourser qu'à l'Ancien régime de France, qui avait été remplacé depuis par la République. Les Américains voyaient également d'un très mauvais oeil, l'abolition de l'esclavage qui avait été promulguée par la Convention républicaine le 4 février 1794.

    Je vous invite à lire cet article aussi étonnant que passionnant sur cette « Quasi-guerre entre la France et les Etats-Unis » :

    Je suis presque certain que beaucoup parmi vous n’avaient jamais entendu parler de cette guerre franco-américaine !

    Voici pour l’illustrer, un tableau représentant le combat naval qui a eu lieu le 9 février 1799, entre la frégate américaine USS Constellation (28 canons de 24 livres et 20 caronades de 32 livres (soit une bordée de 656 livres)), commandée par Thomas Truxtun, et la frégate française l’Insurgente (26 canons de 12 livres et 6 canons de 6 livres (soit une bordée de 174 livres)), commandée par Pierre-Michel Barreault. La frégate française fut capturée par les Américains...

Combat naval entre l'USS Constellation et l'Insurgente

    Et dire que le traité d’alliance signé entre la France et les Etats Unis d’Amérique la 6 Février 1778 prévoyait une paix perpétuelle entre les deux pays !

Un pays toujours en guerre (Digression)

    Si comme à Rome, les Américains avaient hébergé en leur capitale un temple de Janus dont les portes étaient fermées en temps de paix, celles-ci eurent été la plus grande partie du temps ouvertes. 

    En effet, les USA sont en guerre quasi permanente depuis leur création et beaucoup de leurs guerres ont été des guerres d'agression, des guerres de conquêtes ! En 1812, les USA firent une nouvelle fois la guerre au Royaume Unis dans la volonté d'annexer le Canada ! En 1848, les USA annexèrent presque les deux tiers du Mexique, par les armes, dont la Californie où l'on allait découvrir les mines d'or en 1849 et le Texas ou l'on découvrirait plus tard les gisements de pétrole ! Vous imaginez quelle Histoire alternative il y aurait eu si le Mexique avait gardé la totalité de son territoire ? Ils firent même la guerre à la Tunisie en 1801 et en 1815 !!!

Reconstitution du temple de Janus, à Rome

Un dernier mot sur le refus américain de payer impôts, taxes ou dettes

    Après avoir arraché leur indépendance à la Grande-Bretagne en 1783, les Etats américains refusaient en effet de rembourser leurs dettes de la guerre d'indépendance. Certains Etats n'en avaient pas les moyens, tandis que d'autres le voulaient bien, mais se refusaient à lever des impôts pour cela. L’état du Massachusetts avait bien tenté de créer une taxe, mais les citoyens avaient refusé de la payer, les percepteurs avaient été attaqués. Ce fut notamment la cause de la révolte de Shay dans cet état du Massachusetts. Les Etats-Unis fonctionnaient comme une vague confédération qui manquait d'une autorité fiscale ainsi que d'une autorité centrale, ce qui les empêchait de résoudre leurs problèmes financiers.

George III

    Une occasion de rappeler que le désir d’indépendance des treize colonies américaines était né également d’un refus de payer des impôts à l’Angleterre. En 1763, par suite de la Proclamation du roi George III, Londres avait prévu la construction de forts le long de la limite de colonisation et les Britanniques estimaient que le financement de ces avant-postes qui assuraient la défense des treize colonies, revenait aux colons. Cette fameuse Proclamation du roi George III interdisait de plus aux habitants des treize colonies de s’installer et d’acheter des terres à l’ouest des Appalaches. La Couronne se réservait une partie du bois américain ainsi que le monopole dans l’acquisition des terres indiennes ; elle garantissait également la protection des peuples indiens et prévoyait de favoriser le commerce des fourrures avec ceux-ci.

    Cette Proclamation royale souleva le mécontentement des colons américains qui s’étaient déjà implantés dans les territoires indiens. Non seulement ils devaient rendre les terres et revenir dans les treize colonies, mais en plus ils devaient payer le financement des forts destinés à les protéger, et pire encore, arrêter la colonisation vers l’Ouest !

    Je vous conseille la lecture de cet article : "4 juillet 1776, les 13 colonies font sécession".

    L’histoire de la révolution américaine, elle aussi, est bien intéressante et pleine de surprises. A noter qu'elle aussi, fut fort sanglante...

Etonnant, non ?



Post Scriptum :

    Rendez-vous compte à quel point l'Histoire est cent fois plus compliquée qu'elle ne paraît souvent. Dès que l'on veut être honnête et ne pas se contenter de raconter de jolies histoires illustrées pour distraire ou manipuler les gens, on doit faire face à des problèmes inattendus.

    Je pourrais me contenter de vous fabriquer des vidéos avec des effets spéciaux et des bruits qui font peur (il y en a des bonnes) et vous raconter ce que vous savez plus ou moins déjà, mais je préfère mériter mes lecteurs. Alors merci de me lire !

    Et si vous n'avez peur de rien, je ne peux que vous inviter à lire mon article traitant du travail sur l'histoire, intitulé "L'Histoire, la vérité, le bien, le mal et toutes ces sortes de choses très relatives".



lundi 26 octobre 2020

26 Octobre 1789 : Le Dauphiné provoque l'inquiétude de l’Assemblée, et Mounier écrit pour expliquer sa fuite...


Mounier en fuite vers son Dauphiné

    Le 10 octobre dernier, je vous avais fait part de l’arrivée à Grenoble de Mounier, l’ancien président de l’Assemblée, qui faisait suite à son départ précipité de Paris.

    Officiellement, cet apparent abandon de sa fonction, résultait de son prétendu renoncement à la vie politique. Mais une gravure le représentant poursuivi par une lanterne, nous avait suggéré que c’était probablement plus compliqué que ça.

    Mounier redoutait l’hostilité croissante que certains milieux développaient à son égard. De nombreuses gazettes publiaient des articles virulents contre lui. C’était Mounier, par exemple, qui le 31 août avait proposé « d’annoncer un prix de cinq cent mille Livres & leurs grâces aux coupables qui voudraient lui révéler le complot & les premiers auteurs », suite à une rumeur concernant « quinze mille hommes prêtes à marcher pour « éclairer » les châteaux, & pour faire subir aux députés qui trahiraient la patrie le sort des Foulons & des Berthier », rapportée dans une lettre signée du Marquis de Saint-Huruge (1) & quelques autres noms ! Curieusement, cette somme faramineuse n’avait tenté aucun de ces 15.000 séditieux ! (2). Les journées tumultueuses des 5 et 6 octobre, suivies du retour du roi manu militari à Paris, avaient achevé de convaincre cet homme si sensible aux rumeurs qu’un grand danger le guettait.

(1) A en croire le document que vous pourrez consulter par le lien ci-dessous, le Marquis de Saint-Huruge était à la solde du Duc D’Orléans. Dans son histoire des Girondins (t. XVI, p. 367) Lamartine dit que « c’était une sédition à lui tout seul). En tout cas, probablement suite à cette lettre lue devant l’Assemblée le 31 août, il fut arrêté le 2 septembre, enfermé au Chatelet, et seulement relâché le 5 novembre, après avoir été défendu par Camille Desmoulins et le district des Cordeliers.

Source : https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2743_1908_num_11_1_4891_t1_0063_0000_1

(2) Version du N°245 du Journal de Paris, pages 1103 et 1104 :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1104&f=false

A noter que le PV de l’Assemblée nationale ne donne pas exactement le même version, mais nous ne nous étonnerons plus de cela depuis que nous avons déjà remarqué ces anomalies dans notre article du 23 octobre sur l'Affaire Robespierre.

Source PV Assemblée :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_2
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_5


Origine de l'estampe 

    La gravure représentant Mounier s'enfuyant à cheval en costume de jockey a été publié par Camille Desmoulins dans le numéro 2 de son journal des "Révolutions de France et de Brabant". Dans les numéros suivants, Desmoulins surnomera souvent Mounier, le jockey.



Le cas Mounier.

Jean-Joseph Mounier

    Dans les faits, Mounier n’avait pas totalement tort, parce que la révolution prenait effectivement une nouvelle tournure en ce mois d’octobre. Ceux qui comme lui, avaient cru à un mariage d’intérêt, sinon d’amour, entre le roi et l’Assemblée nationale, voyaient leurs espoirs déçus. Le roi, quoi qu’on en dise, n’était pas vraiment revenu de son plein gré à Paris, ce qui pour Mounier, relevait probablement du crime de lèse-majesté. Mounier, tout comme d’autres, était persuadé que le mouvement des femmes venues de Paris réclamer de roi, avait été sinon organisé, du mois encouragé, par des factieux. Difficile de se faire une opinion à ce sujet tant justement il y a d’opinions diverses.

    Fort curieusement, à peine Mounier est-il de retour dans son Dauphiné natal, que des troubles commencent de s’y produire dès le 14 octobre. Au point que le 26 octobre, l’Assemblée nationale reçoit une adresse des officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d'une convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette province ; la municipalité de Saint Marcellin demandant à l’Assemblée qu’elle conduite elle doit tenir "ne désirant que le vœu et les ordres de ladite Assemblée nationale".

    L’annonce de cette convocation extraordinaire des trois ordres du Dauphiné : la noblesse, le clergé et le tiers-état, est un véritable défi lancé à l’Assemblée nationale !

    Comme le fait remarquer Alexandre de Lameth : « Les Etats du Dauphiné sont convoqués par ordre ; première irrégularité. Ils le sont sans le consentement du Roi, tandis que le règlement même de ces Etats exige ce consentement ; seconde irrégularité. »

    De plus, précise M. Le Chapelier : « il ne doit point y avoir d'assemblées provinciales quand l'Assemblée nationale est formée et que chaque province y a des représentants. La proposition contraire tendrait évidemment à détruire ou à bouleverser le royaume. »

    Cette convocation prétend n’avoir d'autre objet que les impôts et la nomination des suppléants. Mais M. La Poule informe ses collègues qu’une lettre venant de Vienne lui a appris que les trois ordres du Dauphiné allaient être rassemblés, pour s’occuper « de la translation de l’Assemblée » (c’est-à-dire son déménagement controversé de Versailles à Paris), et qu'on lui annonce « l'improbation » de quelques décrets. Raison pour laquelle il engage l’Assemblée nationale à user de toute sa puissance et de tout son courage « pour réprimer des entreprises aussi dangereuses. »

Le danger d'une contre-révolution

    Il y a danger, en effet, car, précise M. Lanjuinais, la province du Dauphiné n'est pas la seule qui s'assemble ; la noblesse de Bretagne se réunit à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. « Dans cette dernière ville » dit-il, « quatre-vingt-dix nobles et quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence, à la justice sa force active, au Roi son autorité légitime, osons le dire, sa liberté, et pour s'opposer à l'abolition des droits et franchises de la province et des villes. »

    Messieurs Duport et de Mirabeau font remarquer que ces expressions sont tirées de la déclaration imprimée de la noblesse du Languedoc, et que tous les faits réunis rendent très-instant (urgent) un décret. Souvenez-vous, nous avons parlé le 16 octobre dernier de la sénéchaussée de Toulouse qui après s’être réunie en assemblée, avait publié un arrêté dans lequel elle protestait contre les décrets de l’Assemblée. 

    Si les autres provinces commencent à suivre cet exemple, l’Assemblée nationale a effectivement du souci à se faire. Quelque chose me dit également que le mandement de l’évêque de Tréguier, véritable manifeste contre-révolutionnaire, a dû marquer certains esprits.

L'Assemblée nationale s'inquiète !

La situation est grave et M. Le Chapelier la résume ainsi :

« Tolérer que les provinces s'assemblent ; c'est les autoriser à faire des réunions dont le résultat ne peut être que dangereux avant la Constitution achevée. Quel intérêt pressant peuvent avoir les provinces ? Les impôts peuvent être réparti » par des commissions intermédiaires. C'est aux municipalités à recevoir les déclarations et le produit des contributions patriotiques, et non pas aux provinces à y délibérer. Ce ne sont donc que les mauvais citoyens qui voudraient mettre le trouble dans le royaume qui sont intéressés à protéger ces convocations irrégulières. »

Le Chapelier en tire la conclusion suivante :

« Ainsi, puisque la proposition a été faite, il faut la décider d'après le principe et interdire à toutes les provinces le droit de s'assembler jusqu'à ce que le mode de représentation et de convocation soit établi. »

Sources :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5238_t1_0552_0000_29
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0554_0000_6


Le décret :

A l’issue de cette discussion, l’Assemblée nationale, inquiète, finit par voter ce décret :

"L'Assemblée nationale décrète qu'il soit sursis à toute convocation de provinces et d'États, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait déterminé, avec l'acceptation du Roi, le mode de convocation dont elle s'occupe présentement ; décrète en outre que M. le président se retirera par-devers le Roi, à l'effet de demander à Sa Majesté si c'est avec son consentement qu'aucune commission intermédiaire a convoqué les Etats de sa province ; et dans le cas où ils auraient été convoqués sans la permission du Roi, Sa Majesté sera suppliée de prendre les mesures les plus promptes pour en prévenir e rassemblement (...)"

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0555_0000_2


Le Dauphiné calomnié ?

    J’allais oublier de vous dire que lors de cet échange, un certain M. de Blacons s’est insurgé contre le fait que l’on calomniait la province du Dauphiné. Henri-François de Forest de Blacons, originaire de Grenoble (province du Dauphiné) avait été l’un des premiers nobles à siéger avec le tiers état, dès le 22 juin. Mais très vite il s’était rallié aux royalistes. De Blacons s’indigne donc que l’on calomnie sa province « en lui supposant des projets qui puissent inspirer quelques craintes » alors que celle-ci a « assez prouvé son patriotisme, pour être à l'abri de tout soupçon ». D’ailleurs, ajoute-t-il, « un des membres de cette Assemblée, qui a reçu longtemps des marques flatteuses de votre estime (M. Mounier), est maintenant dans la capitale de cette province ; il rendra incessamment compte des motifs de son départ, et ne tardera pas à revenir parmi vous ».


Revenons à Jean-Joseph Mounier.

Mounier ! Justement, parlons-en, puisque le procès-verbal de cette séance du 26 octobre, se termine par le gros rapport qu’il a adressé à l’Assemblée. Le document s’intitule : « Exposé de la conduite de M. Mounier dans l'Assemblée nationale , et motifs de son retour en Dauphiné ».

Source rapport :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3


N°302 du Journal de Paris

    Curieusement, le numéro du journal de Paris traitant de la séance de l’assemblée au cours de laquelle fut traitée cette affaire relative au Dauphiné, ne parle pas de ce rapport. Je ne suis pas loin de penser que la presse n’en a pas eu connaissance, ce que l’on peut comprendre lorsqu’on entreprend de le lire. D’ailleurs, le procès-verbal de l’Assemblée indique que ledit rapport n’a pas été inséré au Moniteur.

Le Journal de Paris rapporte seulement dans son N°302 du 29octobre dans une rubrique intitulée Variétés, un « Extrait des Affiches du Dauphiné du 22 octobre » mentionnant l’intention de M. Mounier « de donner à sa Patrie des éclaircissements sur les motifs de son retour ».

Lien vers l’article (page 1393) :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1393&f=false

 

Les « explications » de Mounier

Je ne vais pas vous rendre compte de la totalité de cet épais rapport. En voici juste le début :

« Des factieux ont cru devoir, pour le succès de leurs projets, répandre contre moi, dans le peuple, les plus noires calomnies. Les témoignages d'estime et de confiance dont j'ai été honoré par ma province, m'imposent la loi de me justifier publiquement. Je dois faire connaître à mes commettants l'état actuel des grands intérêts dont ils m'ont confié la défense, et les motifs qui ont nécessité mon retour en Dauphiné. »

Le ton est donné…

Plus loin, il explique pourquoi il a écrit ce très long rapport :

« Je n'écris point pour exciter la division des provinces ; et ce n'est pas de celui qui, le premier peut-être en France, a soutenu l'utilité de leur réunion et le danger de leurs privilèges particuliers, qu'on doit craindre une pareille tentative, Il faudrait avoir perdu tout espoir de sauver la monarchie, pour s'exposer à tous les inconvénients qui, dans la situation actuelle de l'Europe, résultent des petits Etats. » Voilà un semblant réponse pour les troubles en Dauphiné.

« Je n'écris point pour contribuer au retour des anciens abus ; je suis incapable de concevoir un projet aussi criminel ; et ce n'est pas celui qui, dans le temps même de la servitude, a donné tant de preuves de son amour pour la liberté, qu'on pourrait soupçonner de vouloir se rendre l'apôtre du despotisme, lorsque la liberté est devenue l'objet du plus ardent désir de tous les citoyens. »

« Je n'écris pas non plus pour censurer les résolutions de l'Assemblée nationale ; je rends hommage aux dispositions bienfaisantes qu'on doit à ses travaux, telles que l'uniformité des peines, l'égalité de tous les hommes devant la loi, l'admission de tous les citoyens à tous les emplois sans distinction de naissance, la responsabilité des ministres, la faculté de racheter les redevances féodales, plusieurs droits importants de la nation consacrés, plusieurs maximes protectrices de la liberté promulguées, et surtout l'abolition de la division des ordres. »

« J'écris, comme je crois l'avoir toujours fait, pour la vérité et pour la liberté. »


La vérité ? Vraiment ?    

    Quelle vérité ? La sienne (C'est humain). Car dans le domaine des idées, il n’y a pas de vérité mais que des opinions (dirait le sophiste Protagoras).

    Quelle liberté ? Plus nous avanceront dans cette chronique de la Révolution, plus nous nous poserons la question de savoir de quelle liberté il est question. Liberté de commercer ? Liberté de penser ? Il est clair que dans ces premiers mois de révolution, la liberté visée ne concerne pas tout le monde.

    Je vous conseille vivement de lire le rapport de Mounier, surtout d’un point de vue historiographique, car il nous fait un récit très détaillé de tous ces premiers mois de la Révolution. Il est très certainement sincère (Mais sincérité n’est pas vérité). Ce qu’il nous raconte, c’est sa vérité, son interprétation de ce qu’il a vécu. Il a vraiment cru à cette histoire des 15.000 hommes qui allaient sortir du Palais Royal pour faire un sort à certains députés de l’Assemblée. Par contre, vous constaterez qu’il ne croit pas aux complots des monarchistes. Il ne croit pas à ce plan d’évasion de la famille royale à Metz. Les seuls complots auxquels il donne crédit, ce sont ceux de ses adversaires politiques.

    Je plains les historiens qui doivent comparer d’énormes quantités de sources différentes pour approcher un semblant de « vérité » qu’un seul nouveau document suffira à faire exploser !


Voici le lien du rapport de Mounier : 

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3

Et ici sa version PDF : 



Démission de Mounier

Mounier finira par envoyer le 15 Novembre sa lettre de démission de l'Assemblée nationale constituante. Il précisera dans celle-ci son intention d’envoyer un suppléant pour le remplacer. Celle-ci sera lue lors de la séance du 21 Novembre 1789 et elle sera acceptée.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4134_t1_0159_0000_6



dimanche 25 octobre 2020

25 Octobre 1789 : Les volontaires brestois débarquent en force à Lannion récupérer leur blé.

Départ de Volontaires
(Image extraite de l'album "La Cantinière")

Lannion

    Vous vous souvenez de l’attaque du convoi de blé à Lannion le 18 octobre dernier ? Aujourd’hui 25 octobre, plus de 2000 volontaires brestois sont arrivés à Lannion en force, pour récupérer le chargement de blé qui leur était destiné.

Le juge Cadiou, inculpé de complicité (voir article du 18 octobre), sera arrêté, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévôté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils seront conduits par étapes. Le 29 les troupes de Brestois quitteront Lannion, mais elles y laisseront une garnison de cent cinquante hommes, dont la solde sera à la charge des Lannionais (qui ne la paieront pas). Les émeutiers incarcérés seront relâchés en avril 1790.

Brest

    Brest était déjà un important port commercial et militaire au 18ème siècle, et elle était aussi la ville la plus grande de l’Ouest de la Bretagne. Elle fut acquise très tôt aux idées de la Révolution, probablement parce que le Tiers Etat y était particulièrement riche et puissant du fait de son commerce. Lors de la journée du 10 août 1792, ce seront même les fédérés brestois qui, avec les fédérés marseillais, prendront les Tuileries. Mais nous reparlerons de tout cela quand le temps sera venu. 😉

Je vous propose pour illustrer ce bref article (une fois n’est pas coutume), ce magnifique tableau représentant le port de Brest en 1795.

    On y remarque deux beaux drapeaux tricolores, des pavillons de beaupré, arborés quand le navire est à quai ou au mouillage ou lors d'une cérémonie officielle. C’est en effet sur les navires de guerre que la disposition verticale des bandes tricolores sera officialisée le 24 octobre 1790. L’ordre des couleurs sera d’abord Rouge, Blanc, Bleu et l’on verra même des drapeaux dont les bandes seront horizontales. La disposition définitive est due au peintre Jacques-Louis David, et c’est la Convention qui, en février 1794, l’adoptera.


Vue du port de Brest en 1795
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Brest


La Bretagne au XVIIIe siècle

Si vous souhaitez en apprendre plus sur la Bretagne au 18ème siècle, je vous propose la lecture de cet article « Chapitre IX. La Bretagne, "province réputée étrangère" », accessible en cliquant sur l’image ci-dessous :




samedi 24 octobre 2020

24 Octobre 1789 : Le Roi « autorise » le Tribunal du Châtelet à juger les crimes de lèse-nation.

Le grand Châtelet

    Ce 24 Octobre, le roi Louis XVI autorise provisoirement le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation", qui annulent et remplacent les crimes de "lèse-majesté". Par la même, le roi donne sa sanction au décret de la loi martiale, promulguée le 22 octobre, qui sera adressée à tous les tribunaux ainsi qu'à toutes les municipalités.
    Ce faisant, le roi fait un sacré cadeau à la Commune de Paris dirigée par Bailly. Nous allons voir pourquoi.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5231_t1_0517_0000_6

Pour mémoire : Chaque fois que nous apprenons une décisions ou un acte de Louis XVI, gardons à l’esprit la lettre qu’il a adressée le 12 octobre à son cousin le roi d’Espagne, dans laquelle il lui confie sa « protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui lui ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année ».

La forteresse du Châtelet

    Le Chatelet, ou plutôt le Grand Châtelet, était une forteresse édifiée sous Louis VI, située sur la rive droite de la Seine, au débouché de la rue Saint-Denis, en lieu et place de l’actuelle place du Chatelet. Elle abritait le tribunal, la police, des cachots et la première morgue de la capitale. Elle était d’aspect sinistre et de plus, du fait qu’elle servait de morgue et qu’elle était entourée de boucheries et autres triperies, c’était également l’un des endroits les plus puants de la capitale.

Le tribunal de Paris

    Le tribunal du Châtelet relevait de la juridiction royale et il était le siège de la prévôté de la capitale. Il était compétent au premier degré pour tous les cas civils et criminels relevant de son ressort, à l'exception des cas royaux (lèse-majesté, hérésie...).

En accorder ce droit au tribunal du Chatelet, Louis XVI abandonnait donc un grand pouvoir à la Commune de Paris, dirigée par Bailly, et ce dernier ne se retiendra pas d’en faire usage.

On y retrouvera Babeuf en Juin 1790, lorsqu’il sera incarcéré avec quelques 500 autres pauvres bougres, accusé avec eux d’avoir incendié les barrières d’octroi du mur des Fermiers Généraux lors de la fameuse nuit du 13 au 14 juillet 1789. Rappelons que cette insurrection fut pour le moins bénéfique pour les hommes à présent au pouvoir en 1789. A l’époque on avait accusé les émeutiers d’être des fraudeurs, mais certains historiens rappellent que la prise du mur des Fermiers Généraux fut la première action opérée par la milice bourgeoise dès sa première garde de 21h00. (Disons qu’une fois que l’on est au pouvoir, on est toujours libre de réécrire un peu l’histoire).

Après avoir jugé les premiers accusés de crime de lèse-nation (voir plus bas), la cour de justice du Châtelet fut supprimée par la loi votée le 25 août 1790. Ses fonctions cessèrent le 24 janvier 1791, mais la prison subsista.

Plus d'infos sur le site du ministère de la justice en cliquant sur l'image ci-dessous :

Grand sceau du Châtelet
Les geôles de la prison

Les détenus incarcérés au Chatelet avaient la réputation d’être de grands criminels. Damien, qui avait tenté d’assassiner Louis XV, y avait été jugé et condamné. Les prisonniers devaient payer leur emprisonnement et certaines geôles particulièrement horribles. La pire d’entre-elles était la fosse, également appelée Chausse d'hypocras, dans laquelle les prisonniers étaient descendus à l'aide d'une poulie. Les malheureux avaient en permanence les pieds dans l'eau (la Seine était proche) et ne pouvaient se tenir ni debout, ni couché. On y mourait habituellement après quinze jours de détention. Une autre appelée Fin d'aise était remplie d'ordures et de reptiles. Lors des massacres des prisons, le 2 septembre 1792, sur les deux cent soixante-neuf détenus incarcérés au Châtelet, deux cent seize prisonniers furent massacrés.

Le crime de lèse-nation

L’expression « crime de lèse-nation » annulait et remplaçait le « crime de lèse-majesté » qui s’appliquait au roi souverain. Cette nouvelle désignation était apparue le 23 juillet 1789, consacrant ainsi le transfert de souveraineté qui avait eu lieu entre le roi et la nation.

Vous trouverez une intéressante étude sur le crime de lèse-nation dans cet article « Qu'est-ce que la lèse-nation ? A propos du problème de l'infraction politique sous la constituante (1789-1791) ».

Voici son URL : https://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1990_num_14_4_1200


Un seul condamné à mort pour crime contre lèse-nation, le Marquis de Favras.

    Le 30 novembre 1789, on décrétera de crime de lèse-nation : Charles-Eugène de Lorraine, Pierre Joseph Victor de Besenval, Charles Marie Auguste Joseph de Beaumont, comte d'Autichamp, Victor-François de Broglie, Charles Louis François de Paule de Barentin garde des Sceaux, Louis Pierre de Chastenet de Puységur ministre de la Guerre, pour leurs agissements répressifs à l’égard des Parisiens révoltés en juillet 1789.

Marquis de Favras

    Mais ce crime de lèse-nation ne condamnera à la peine capitale qu’un seul homme, le marquis de Favras pendu le 19 février 1790 en place de Grève à Paris. Le Marquis de Favras aurait pu être sauvé s’il avait parlé, attendu que les complots dont on l’accusait avait été ourdis sous l’autorité du frère du roi, le comte de Provence et même de la reine. Mais son confesseur, l’abbé le Duc (fils naturel de Louis XV), lui aurait « conseillé » de se soumettre au sort qui lui est réservé au nom de la famille royale et de sa famille…


Le Grand Chatelet


24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales


    Nous avons vu combien l’insuffisance des subsistances constitue le problème majeur du royaume de France en cette fin du 18ème siècle. Les révoltes frumentaires, dues au manque de blé, éclatent régulièrement depuis le début du siècle. La révolution de Juillet 1789 est probablement la révolte frumentaire de trop (même si elle ne fut pas la dernière).

Vous trouverez dans les livres et sur Internet de nombreuses explications, toutes aussi plausibles et intéressantes les unes que les autres.

On évoque la plupart du temps les trois causes suivantes :

1/ les volcans de la chaîne du Laki en Islande qui envoyèrent dans l’atmosphère entre 1783 et 1785, trois fois plus de particules polluantes que les émissions actuelles de toute l’Europe. Ce qui causa un grand nombre de victimes de maladies respiratoires, une pollution des sols et qui eut surtout des conséquences catastrophiques sur le climat en provoquant son refroidissement, avec des hivers très rudes et des été courts et pluvieux.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder à une vidéo très intéressante sur cette catastrophe.

Panache de l'éruption de 1783
  

2/ Le grand orage du 13 juillet 1788, qui dévasta toutes les récoltes du nord de la France (probablement un effet secondaire des désordres atmosphériques provoqués par les volcans).

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

3/ Les tentatives de libéralisation du commerce des grains, à partir de 1763, inspirées de la nouvelle philosophie économicopolitique des physiocrates (premiers essais de libéralisation de l'économie française).

Physiocratie, constitution naturelle du gouvernement (1768)

    Cet exemplaire est estimé entre 15.000 et 20.000 €, mais vous pouvez le lire gratuitement par le lien ci-dessous :


Mais on oublie une autre cause...

    Toutes ces explications sont vraies. Mais on en oublie toujours une, c’est l’incroyable retard de l’agriculture dans le royaume de France. Les progrès de cette science vitale étaient en grande partie rendus impossibles par ce qu’il faut bien appeler le système féodal.

Je vous avais déjà parlé de l’étonnement de cet agronome anglais, Arthur Young, qui lors de ses voyages en France, s’étonnait de voir tant de terres, inexploitées, recouvertes d’épaisses forêts, de friches ou de marais. Le brave homme maudissait ces seigneurs qui dédaignaient de faire fructifier leurs terres, préférant d’épaisses forêts où ils venaient chasser de temps à autres, lorsqu’ils quittaient brièvement la cour de Versailles.

Rappel : Il faut vraiment lire Les voyages en France, d’Arthur Young !

Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1192719?rk=21459;2

Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119272p?rk=42918;4

Miniature du Tome 7 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Le mémoire !

    Vous retrouverez dans ce long mémoire adressé aux membres de l’Assemblée par l’Académie Royale d’Agriculture, de nombreux exemples de ces coupables archaïsmes. Comme celui de ce seigneur aux environs de Caen, près de Louvigny, qui, entre autres, « a le droit d'envoyer depuis le 20 avril, jusqu'à ce que les foins soient coupés et enlevés, douze vaches et un taureau sur une prairie fertile ; le conducteur, comme dans le Toulois, doit aussi marcher continuellement, et ne pas permettre que les animaux se reposent nulle part, de sorte que les propriétaires ne récoltent que ce que le troupeau féodal a épargné et foulé aux pieds. »

Il faut d’ailleurs noter que nombre des solutions de développement proposées sont inspirées de réformes ayant déjà eu lieu en Angleterre, comme par exemple le partage des communes.

On peut lire par exemple :

« Le parti puissant des protecteurs du régime féodal, pour qui tout était au mieux, n'aurait pas manqué de faire naître des obstacles insurmontables, que les cours étaient toujours disposées à accueillir ; mais enfin la raison, l'intérêt public, ne parlent plus en vain, et c'est avec confiance que la Société propose de mettre en culture de convertir en propriétés, des terrains incultes qui n'appartiennent à personne, parce qu'ils sont à tout le monde. L'intérêt général et l'intérêt particulier sollicitent impérieusement ce partage. La masse des propriétés et le nombre des propriétaires augmentant, celle des cultures de toutes sortes de productions marchera d'un pas égal. Le propriétaire seul est actif et laborieux ; un produit assuré est la récompense de ses travaux et de son industrie : animé par une jouissance exclusive à laquelle il ne croyait pouvoir jamais aspirer, il cultivera avec ardeur sa nouvelle propriété, il se livrera à des essais qui, en devenant pour lui des moyens d'aisance, enrichiront l'agriculture de productions nouvelles ou perfectionnées.

Citons donc des exemples à l'appui de ces vérités. L'Angleterre doit principalement l'état florissant de son agriculture au partage des communes ; comme en France, elles occupaient un espace immense, puisqu'on les évaluait à un tiers du sol ; la révolution qui rendit le peuple anglais libre, fut aussi celle qui le porta à demander le partage des communes. L'habitude, la routine, les derniers efforts de la féodalité, opposèrent, en beaucoup d'endroits, des obstacles ; mais l'exemple de ceux qui avaient partagé le sort heureux d'être devenus propriétaires, l'intérêt évident des seigneurs mêmes, ne tardèrent pas à éclairer la nation britannique, et chaque année le Parlement non-seulement autorisait le partage des communes, mais il permettait encore de clore ses propriétés. Le résultat d'une telle opération est facile à concevoir : le peuple anglais s'est livré tout entier à la culture ; ses champs sont couverts de bestiaux, le peuple y est aisé, et il jouit de son industrie, que le gouvernement protège sans cesse. »

Miniature du Tome 3 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Ses rédacteurs.

Le mémoire présenté ce 24 Octobre 1789 a été fait et arrêté dans une assemblée générale et extraordinaire de la Société Royale d’Agriculture, tenue au Louvre, le 26 septembre 1789.

Il est signé par le marquis de Bullion, directeur ; Parmentier, vice-directeur ; Béthune ; duc de Gharost ; de La Bergerie ; l'abbé Lefebvre, agent général, Broussonnet, secrétaire perpétuel.

Vous pouvez le lire dans sa totalité en y accédant par le lien ci-dessous :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6424_t1_0523_0000_3

Une version d’origine est accessible par une fenêtre sur la BNF en bas de cet article.

Miniature du tome 4 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)



Je vous donne à lire malgré tout le préambule ci-dessous :


Sur les abus qui s'opposent aux progrès de l'agriculture et sur les encouragements qu'il est nécessaire d'accorder à ce premier des arts.

Dans un temps où l'Assemblée nationale s'occupe d'assurer la liberté individuelle, civile et politique, ainsi que la propriété des citoyens ; où l'agriculture, délivrée des droits féodaux, des corvées royales et seigneuriales, laissera aux cultivateurs l'intégrité du temps qu'exigent les travaux des champs, la Société royale d'agriculture, devenue, par la protection d'un Roi citoyen à qui la nation vient de décerner le beau titre de restaurateur de la liberté française, le centre de toutes les connaissances et de tous les encouragements relatifs à l'économie rurale, doit porter à l'Assemblée nationale l'hommage respectueux des cultivateurs ; elle doit être l'organe de leurs vœux.

La législation rurale présente autant de vices que la législation civile et la législation criminelle : réformer ces deux dernières en négligeant la première, serait laisser imparfaite la restauration de la France ; et la régénération du royaume (la Société ose l'avancer, parce qu'elle doit le dire) a pour principale base la régénération de la culture,

La liberté, l'intérêt de la propriété, la facilité d'acquérir, les encouragements propres à accroître la reproduction territoriale, sources premières de la richesse nationale, tel a été le but des travaux de la Société et de ses correspondants de toutes les provinces. C'est sous ce point de vue qu'elle réclame avec confiance de l'Assemblée nationale, un décret contenant les principaux points du code rural et les plus instants à régler. La Société s'en rapporte, au surplus, à la sagesse des représentants de la nation, pour modifier, rectifier et perfectionner les projets qu'elle ne s'est permis de soumettre à l'Assemblée nationale, que par le désir de lui prouver son zèle pour la prospérité publique, que dans la vue de concourir à préparer ses déterminations, et à ménager ses instants précieux pour les objets importants qui lui restent encore à examiner. En conséquence, la Société royale d'agriculture propose, au nom des cultivateurs, de décréter les articles suivants :

Article 1er. Que tout propriétaire aura le droit de cultiver son terrain de la manière qui lui conviendra, et d'employer sa propriété à la culture des objets auxquels il donnera la préférence.

Art. 2. Que le droit de parcours sera aboli dans les cantons et provinces où il existe encore, et que chacun sera libre de clore sa propriété, de quelque étendue qu'elle soit, sans que personne puisse l'en empêcher.

Art. 3. Que personne ne pourra s'opposer au partage des communes, et que les assemblées provinciales seront chargées de le surveiller dans les lieux où il se réalisera, en ayant égard aux droits légitimes de chacun.

Art. 4. Que personne ne pourra s'opposer au dessèchement des marais ou terrains inondés, à la destruction des moulins ou étangs ; que la nature des travaux desdits moulins et étangs pourra seulement donner lieu à une indemnité, laquelle sera déterminée par les assemblées provinciales ou municipales.

Art. 5. Que les terres du domaine, et toutes celles qui seront décidées appartenir à la nation, pourront être vendues et aliénées, soit à prix d'argent, soit en rentes rachetables, après toute fois que la valeur en aura été constatée par les assemblées provinciales.

Art. 6. Que les baux ruraux pourront être, dans tout le royaume, portés à dix-huit ans et au-delà, sans donner lieu à aucun droit fiscal ou autre envers qui que ce soit, et que les baux des bénéfices ne pourront être pour un terme au-dessous de dix-huit ans ; qu'en outre, dans le cas de changement de titulaire, les nouveaux seront tenus de maintenir les baux de leurs prédécesseurs, et qu'en aucun cas lesdits bénéficiers ne pourront faire de baux généraux.

Art. 7. Que, vu l'importance de multiplier les propriétaires cultivateurs, de faciliter la division des propriétés, les droits de franc-fief et d'échange perçus par le fisc, seront entièrement supprimés, et les autres droits d'échange seigneuriaux stipulés rachetables.

Art. 8. Que pour faciliter le commerce des terres et assurer les propriétés, il ne sera fait à l'avenir aucune substitution, ni exercé aucune espèce de retrait.

Art. 9. Que la forme actuelle des saisies réelles, dont l'effet est d'attaquer, de détériorer les propriétés et de les rendre souvent stériles pendant leur durée, sera supprimée et remplacée par toute autre qui n'aura pas le même danger.

Art. 10. Que l'administration et l'inspection des bois et forêts du domaine, du clergé, des communautés et des hôpitaux, seront confiées aux assemblées provinciales et municipales.

Art. 11. Que les entraves apportées jusqu'à présent par la législation, à la formation et à l'extension des prairies artificielles, seront détruites, et les plus grands encouragements donnés à cette branche de culture.

Art. 12. Que vu l'importance d'encourager la multiplication des abeilles, la production des cires indigènes, et de remédier aux importations de cires étrangères, les ruches seront déclarées insaisissables pour cause d'imposition.

Art. 13. Que vu l'importance du produit des vignes, les différents droits d'aides, en ce qu'ils tendent à violer les domiciles, à entraver le commerce des vins, seront entièrement supprimés.

Art. 14. Que la défense de cultiver le tabac et quelques plantes, à huile, étant contraire au principe de la liberté, la culture de ces plantes sera permise dans toutes les provinces du royaume, sauf à faire supporter une imposition particulière aux terres qui y seront employées.

Art. 15. Que le régime de la gabelle sera entièrement supprimé.

Art. 16. Que les assemblées générales s'occuperont des moyens de ramener les divers poids et mesures de toutes les provinces à l'uniformité désirée depuis si longtemps.

Art. 17. Que pour rendre plus facile le transport des denrées et le commerce intérieur du royaume, les assemblées provinciales destineront chaque année une somme pour l'entretien et la confection des chemins vicinaux.

Art. 18. Que le régime actuel des milices, enlevant des bras nécessaires à la culture et troublant les travaux des cultivateurs, sera changé.

Art. 19. Que la célébration de toutes les fêtes sera renvoyée au dimanche.

Art. 20. Que les dépôts de mendicité seront supprimés et remplacés par des ateliers publics, sous l'inspection des assemblées provinciales et municipales.

L'Assemblée nationale est suppliée de prendre, le plus tôt possible en considération les demandes qui lui sont faites par la Société royale d'agriculture ; en promulguant les décrets qu'elle jugera favorables à l’agriculture avant l'hiver prochain, elle mettrait les cultivateurs à même de se livrer l'année prochaine à des travaux qui concourraient à augmenter considérablement les produits territoriaux.

ENCOURAGEMENTS.

Article 1er. De l'utilité d'honorer les laboureurs et les cultivateurs.

Art. 2. D'une caisse de prêt.

Art. 3. De l'utilité d'une Société d'agriculture pratique, et qui s'occuperait principalement :

1° De l'art vétérinaire ;

2° De la panification ;

3° De la manipulation des chanvres et des lins ;

4° De l'art des accouchements ;

5° Du chaulage des grains ;

6° De l'emploi de plantes perdues pour le commerce ;

7° Des plantes potagères ;

8° Du parcage des bêtes à laine, etc., etc., etc.