mercredi 21 octobre 2020

21 Octobre 1789 : L’assassinat du boulanger François, donne prétexte à l’application de la loi martiale.

Article mis à jour le 11/11/2020

L'estampe porte la date du 22,
mais le drame eu lieu le 21.
Source Musée Carnavalet

    Mon titre peut paraître un peu réducteur, voire de parti pris. Mais vous comprendrez mieux pourquoi, en lisant cette recension détaillée des événements de cette journée du 21 octobre 1789, qui s’appuie sur de nombreuses sources.

    Je ne souhaite pas vous proposer quelque chose que vous lirez ailleurs et mon but n’est pas non-plus de faire du sensationnel. 

    Je ne vais donc pas m’attarder sur les détails sordides de cette énième émeute de la faim, dans ce Paris où continuent de courir les plus folles rumeurs de complots. Néanmoins, pour vous en donner une idée, vous trouverez dans l’article, le témoignage de notre ami Colson, cet avocat au barreau de Paris qui chaque semaine écrit plusieurs lettres décrivant les événements de 1789 à un ami de Province, ainsi que l’extrait du registre du Comité de District de Notre Dame que notre ami Google a scanné pour nous (fenêtre en bas de l’article).

    Avant de vous donner à lire ces témoignages d’époque, je préfèrerais que nous nous posions quelques questions sur la nature de cet événement tragique.

    J’ai en remarqué que parmi toutes les émeutes populaires dont il est fait mention durant cette année 1789, toutes ne sont pas meurtrières. Assez souvent cela se passe comme lors de l’attaque du convoi de blé à Lannion,le 18 octobre ; le peuple pille mais ne tue pas. A Lannion, les femmes ont extrait de l’échauffourée les commissaires brestois chargés du convoi. En revanche lorsqu’il y a un crime atroce, fort curieusement, on trouve souvent un ou plusieurs agitateurs. Ce fut par exemple le cas le 22 juillet, quand Mathieu Jouve Jourdan, dit Jordan Coupe Tête, décapita le malheureux Conseiller d’Etat Foullon. Le même Jordan Coupe Tête à qui était également attribuée la décapitation du Gouverneur de Launay, lors de la prise de la Bastille. A savoir que ce cabaretier parisien quelque peu psychopathe est désigné par certains historiens comme un sbire recruté par le Duc d’Orléans ! Sachant cela, peut-être lirez-vous autrement la relation du meurtre du boulanger François, avec l’histoire de cette femme qui venant régler ses comptes avec le boulanger, tombe à point nommé sur un providentiel attroupement en colère devant la boutique du malheureux.

    En effet, à peine la nouvelle du drame sera-t-elle connue, que la commune de Paris adressera dans la journée deux députations à l’Assemblée nationale pour demander une loi sur les attroupements. Sitôt dit sitôt fait, l’Assemblée nationale publiera le jour même un décret qui mettra en application la loi martiale !

Députation N°1 : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5211_t1_0472_0000_3

Députation N°2 : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5211_t1_0472_0000_7

Décret du 21 Octobre : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5213_t1_0475_0000_3

    On peut donc comprendre pourquoi certains attribueront l’organisation de cet événement à des intrigants bien étrangers au peuple.

    Marat, dans son numéro N°29 du 5 novembre 1789 de l'Ami du Peuple, explique que c’est la Municipalité de Paris qui avant l’assassinat du boulanger François, avait "jeté tout le blâme sur les boulangers, si on venait à manquer de pain" ; "comme si" précise-t-il "elle eût voulu amener ces scènes d’horreur". (N’oublions pas que Marat était en général bien informé).

    Robespierre en 1793, l’attribuera à Lafayette, qui en ce mois d’octobre 1789 ne désirait rien tant, avec son comparse Bailly, maire de Paris, que rétablir la loi et l’ordre. Lafayette appliquera d’ailleurs cette fameuse loi martiale en répondant à l’ordre de Bailly de réprimer le 17 juillet 1791 les pétitionnaires venus demander la destitution du roi. Lafayette fera tirer sur la foule par sa garde nationale et des dizaines de malheureux seront tués.

    Voilà pourquoi j’évite de céder à la facilité qui consiste à condamner trop vite la violence populaire. Vous pouvez, sur le même sujet, lire mon article "Peuple ou populace". 😉


Une thèse de doctorat.

    Me posant ces questions, j’ai eu la chance de découvrir une thèse de Doctorat de l’historienne Riho Hayakawa Nagashima, publiée en 2013, traitant précisément de la violence populaire durant la période révolutionnaire s’étalant entre 1788 et 1792.

Voici la présentation de sa thèse :

« Le caractère essentiel de la Révolution française, c'est la présence de révoltes populaires. En même temps, l'image principale que l'on garde du mouvement populaire spontané́ est celle de la violence. Cependant, pendant la période de l'élection censitaire, l'action directe a été le seul moyen politique dont disposaient les citoyens passifs. Nous retraçons ici l'évolution du peuple de Paris vers sa politisation, à la veille de la Révolution, en observant les émeutes causées par le problème de subsistances, et la justice populaire contenue dans les actes de violence, depuis 1788 jusqu'au 10 août 1792. Pour cela, nous présentons deux exemples des mouvements populaires parisiens : l'affaire de RÉVEILLON en avril 1789, l'assassinat du boulanger FRANÇOIS en octobre 1789 ; ainsi que deux exemples des réactions des Parisiens aux mouvements populaires hors de Paris : l'affaire de Nancy en août 1791 et l'émeute d'Etampes en mars 1792. »

Source : http://www.theses.fr/2013PA010511

Poursuivant mes recherches, j’ai trouvé le document qu’elle avait rédigée en 2003, à propos de l’assassinat du boulanger François.

En voici l’introduction :

« Un boulanger fut pendu et décapité par le peuple sur la place de Grève à Paris, le 21 Octobre 1789. Aussitôt après, l’Assemblée nationale constituante institua la loi martiale. A première vue, cette action nous apparaît comme un lynchage cruel de la part d’émeutiers, mais il s’agissait d’une sanction sociale contre eux. Les députés de la Constituante décidèrent de traiter la violence du peuple par la force, c’est-à-dire la loi martiale. Le peuple et les députés suspectèrent un complot caché derrière cet assassinat du boulanger. Cependant il y eut entre les deux une divergence de vue sur ce « complot », quant à ses instigateurs. »

Source : https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_2003_num_333_1_2672

    Je vous conseille vivement la lecture de son texte. Vous comprendrez alors que cette énième émeute de la faim servit fort probablement de prétexte à la mise en application de cette loi sur les attroupements qui était à l’ordre du jour depuis les événements du début du mois (journées des femmes des 5 et 6 octobre). Le 10 octobre, Custine avait proposé d'instituer une loi martiale pour éviter les rassemblements. Le 14, le comte de Mirabeau avait proposé un «projet de loi concernant les attroupements ». Il s'était référé au riot-act de l’Angleterre (Toujours cette manie anglophile de prendre des idées chez nos amis anglais, comme pour le fameux véto). Le 15, Target avait également proposé un projet de loi en ce sens, réalisé par le Comité de Constitution.

    Ce projet avait néanmoins posé deux questions de taille aux députés. La première était relative à la liberté individuelle, instituée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (surtout l'article II, la liberté de l'association politique) ; et la seconde concernait la justification de l'utilisation de la force en cas de problème d'approvisionnements alimentaires. En réponse à la première, on avait distingué la liberté de la licence, et on avait conclu que cette loi n'était pas contre la liberté. Cependant Robespierre s’était opposé à la loi martiale, car c'était selon lui « immoler » la liberté. Pour la seconde question, Barnave avait considéré que la crise ne provenait pas d'une disette effective, mais de complots. C'est pourquoi il s’était montré favorable à la loi martiale.

Cliquez sur l’image ci-dessous pour lire cette étude passionnante :


Source : https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_2003_num_333_1_2672


Extrait du débat entre les députés :

    Je vous propose de lire cet échange entre les députés, avant que le décret ne soit voté. Il est révélateur des dissentions qui apparaitrons par la suite au sein de l'Assemblée :

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5213_t1_0474_0000_3

M. Target, membre du comité de Constitution, fait lecture du projet de loi contre les attroupements, tel qu'il vient d'être rédigé par le comité.

M. de la Galissonnière propose de mander tous les ministres pour leur ordonner d'empêcher, par les mesures les plus efficaces, les accaparements dans les provinces, les exportations, et de favoriser la circulation intérieure. Il pense qu'il faut aussi mander MM. Bailly et de Lafayette, et leur enjoindre de se servir de tous leurs moyens pour réprimer les désordres de la capitale.

M. Ricard de Séalt. La loi martiale demandée ne sera pas suffisante ; les gens puissants trouveront moyeu d'y échapper. Saisissez ce moment pour créer un tribunal qui jugera les crimes de lèse-nation ; mais il faut qu'il soit nouveau pour inspirer le respect nécessaire à la tranquillité de ses fonctions, qu'il soit pris dans votre sein, et composé d'un membre de chaque généralité ; il aura un président, deux procureurs généraux ; jugera en dernier ressort, et ses arrêts seront signés par le Roi.

M. Glescen. La motion de M. Barnave est susceptible d'un amendement. Il faut dire qu'il est enjoint au comité de police de se concerter avec le comité des recherches, et non au comité des recherches de se concerter avec le comité de police.

M. Pétion de Villeneuve. Quelque affligés que nous soyons de l'état de la capitale, nous devons l'être aussi de notre position. On nous engage à veiller aux subsistances de Paris ; nos seuls moyens consistent à rendre les décrets nécessaires. On a rendu le comité de subsistances inutile ; nos décrets n'ont pas été exécutés. Il serait dangereux que le peuple crût que nous pouvons exercer une surveillance qui est hors de nos fonctions ; bientôt il nous rendrait responsables des événements. Faisons-lui connaître que nous avons rendu les décrets qui dépendaient de nous, et que c'est au pouvoir exécutif de veillera leur exécution. J'adopte la motion de M. Barnave amendée par M. Glezen.

M. Buzot. Il ne suffit pas d'effrayer le peuple par des lois sévères, il faut encore le calmer. Créons le tribunal demandé ; annonçons qu'ainsi que ses ennemis, des citoyens seront punis. Des promesses vaines aigrissent le peuple ; la loi martiale seule pourrait exciter une sédition. Ce tribunal augmentera nos forces et le zèle des bons Français à nous offrir les renseignements nécessaires à leur vengeance. Je demande que le comité de Constitution présente lundi un projet sur la formation de ce tribunal.

M. Duport propose, afin d'allier la tranquillité avec la liberté, et de prévenir la nécessité de ces mesures terribles, d'ajouter un autre article qu'il rédige ainsi :

«Au premier attroupement apparent il sera, par les officiers municipaux, demandé aux personnes attroupées la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement ; elles seront autorisées à nommer six personnes pour exposer leur réclamation et présenter leur pétition. Après cette nomination, les personnes attroupées seront tenues de se séparer sur-le-champ, et de se retirer paisiblement. »

M. Robespierre. Ne serait-il donc question dans cette discussion que d'un fait isolé, que d'une seule loi ?.... Si nous n'embrassons pas à la fois toutes les mesures, c'en est fait de la liberté ; les députés de la commune vous ont fait un récit affligeant ; ils ont demandé du pain et des soldats. Ceux qui ont suivi la Révolution ont prévu le point où vous êtes : ils ont prévu que les subsistances manqueraient ; qu'on vous montrerait au peuple comme sa seule ressource : ils ont prévu que des situations terribles engageraient à vous demander des mesures violentes, afin d'immoler à la fois, et vous et la liberté. On demande du pain et des soldats, c'est dire : le peuple attroupé veut du pain ; donnez-nous des soldats pour immoler le peuple. On vous dit que les soldats refusent de marcher... eh ! Peuvent-ils se jeter sur un peuple malheureux dont ils partagent le malheur ? Ce ne sont donc pas des mesures violentes qu'il faut prendre, mais des décrets sages, pour découvrir la source de nos maux, pour déconcerter la conspiration qui peut-être dans le moment où je parle ne nous laisse plus d'autres ressources qu'un dévouement illustre. Il faut nommer un tribunal vraiment national.

Nous sommes tombés dans une grande erreur, en croyant que les représentants de la nation ne peuvent juger les crimes commis envers la nation. Ces crimes, au contraire, ne peuvent être jugés que par la nation, ou par ses représentants, ou par des membres pris dans votre sein. Qu'on ne parle pas de Constitution quand tout se réunit pour l'écraser dans son berceau. Des mandements incendiaires sont publiés, les provinces s'agitent, les gouverneurs favorisent l'exportation sur les frontières... Il faut entendre le comité des rapports ; il faut entendre le comité des recherches, découvrir la conspiration, étouffer la conspiration. . . Alors nous ferons une Constitution digne de nous et de la nation qui l'attend.

M. de Cazalès. Je demande que le préopinant donne les notions qu'il a sur la Constitution ; sinon il est criminel envers le public et l'Assemblée.

M. le comte de Mirabeau. On demande une loi martiale et un tribunal. Ces deux choses sont nécessaires ; mais sont-elles les premières déterminations à prendre ?

Je ne sais rien de plus effrayant que des motions occasionnées par la disette ; tout se tait et tout doit se taire, tout succombe et doit succomber contre un peuple qui a faim ; que serait alors une loi martiale, si le peuple attroupé s'écrie : Il n'y a pas de pain chez le boulanger ? Quel monstre lui répondra par des coups de fusil ? Un tribunal national connaîtrait sans doute de l'état du moment et des délits qui l'ont occasionné ; mais il n'existe pas ; mais il faut du temps pour l'établir ; mais le glaive irrésistible de la nécessité est prêt à fondre sur vos têtes. La première mesure n'est donc, ni une loi martiale, ni un tribunal. J'en connais une. Le pouvoir exécutif se prévaut de sa propre annihilation ; demandons-lui qu'il dise de la manière la plus déterminée quels moyens, quelles ressources il lui faut pour assurer les subsistances de la capitale ; donnons-lui ces moyens, et qu'à l'instant il en soit responsable.

M. Duport. Le tribunal ne peut être composé de membres de cette Assemblée ; vous l'avez décidé, vous ne pouvez le former à demeure que quand vous aurez créé tous les tribunaux. Chargez provisoirement le Chatelet de juger les crimes de lèse-nation, avec les adjoints qui lui ont été donnés. Ce tribunal a déjà toute la dignité de la vertu, toute la force que donne la confiance du peuple. La loi martiale, publiée dans les provinces, influera sur les subsistances. Faites sanctionner ce soir et celte loi et l'attribution au Châtelet.

M. le duc de la Rochefoucauld. J'adopte la loi martiale et la proposition de M. de Mirabeau. Je ne pense pas que les crimes de lèse-nation puissent être jugés par le Châtelet, à raison de son organisation. Le comité de Constitution rendra compte incessamment de son travail sur le tribunal demandé.

M. Milscent. Avant de venger le peuple, il faut le faire subsister. Mandez tous les ministres pour qu'ils rendent compte de ce qu'ils ont fait pour prévenir la détresse de la capitale.

M. le Président. Voici, Messieurs, un fait relatif à l'opinion de M. Milscent. Informé des inquiétudes de tous les citoyens, je me suis rendu chez M. Necker, et j'ai appris que le comité de police des représentants de la commune avait cessé toute communication avec le ministère.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5213_t1_0474_0000_3


Texte du décret

Après mise aux voix par le Président, le texte adopté sera le suivant :

«L'Assemblée nationale, considérant que la liberté affermit les empires, mais que la licence les détruit ; que, loin d'être le droit de tout faire, la liberté n'existe que par l'obéissance aux lois ; que si, dans les temps calmes cette obéissance est suffisamment assurée par l'autorité publique ordinaire, il peut survenir des époques difficiles, où les peuples, agités par des causes souvent criminelles, deviennent l'instrument d'intrigues qu'ils ignorent ; que ces temps de crise nécessitent momentanément des moyens extraordinaires pour maintenir la tranquillité publique et conserver les droits de tous, a décrété la présente loi martiale.

«Art. 1er. Dans le cas où la tranquillité publique sera en péril, les officiers municipaux des lieux seront tenus, en vertu du pouvoir qu'ils ont reçu de la commune, de déclarer que la force militaire doit être déployée à l'instant, pour rétablir l'ordre public, à peine d'en répondre personnellement.

«Art. 2. Cette déclaration se fera en exposant à la principale fenêtre de la Maison-de-Ville, et en portant dans toutes les rues et carrefours un drapeau rouge ; et en même temps les officiers municipaux requerront les chefs des gardes nationales, des troupes réglées et des maréchaussées, de prêter main-forte.

«Art. 3. Au signal seul du drapeau, tous attroupements, avec ou sans armes, deviendront criminels, et devront être dissipés par la force.

«Art. 4. Les gardes nationales, troupes réglées et maréchaussées requises par les officiers municipaux, seront tenues de marcher sur-le-champ, commandées par leurs officiers, précédées d'un drapeau rouge, et accompagnées d'un officier municipal au moins.

«Art. 5. 11 sera demandé par un des officiers municipaux aux personnes attroupées, quelle est la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement ; elles seront autorisées à nommer six d'entre elles pour exposer leur réclamation et présenter leur pétition, et tenues de se séparer sur-le-champ et de se retirer paisiblement.

«Art. 6. Faute par les personnes attroupées de se retirer en ce moment, il leur sera fait, à haute voix, par les officiers municipaux, ou l'Un d'eux, trois sommations de se retirer tranquillement dans leurs domiciles. La première sommation sera exprimée en ces termes : Avis est donné que la loi martiale est proclamée, que tous attroupements sont criminels ; on va faire feu : que les bons citoyens se retirent. A la deuxième et troisième sommation, il suffira de répéter ces mots : On va faire feu : que les bons citoyens se retirent. L'officier municipal annoncera à chaque sommation que c'est la première, la seconde ou la dernière.

«Art. 7. Dans le cas où, soit avant, soit pendant le prononcé des sommations, l'attroupement commettrait quelques violences ; et pareillement, dans le cas où, après les sommations faites, les personnes ne se retireraient pas paisiblement, la force des armes sera à l'instant déployée contre les séditieux, sans que personne soit responsable des événements qui pourront en résulter.

«Art. 8. Dans le cas où le peuple attroupé, n'ayant fait aucune violence, se retirerait paisiblement, soit avant, soit immédiatement après la dernière sommation, les moteurs et instigateurs de la sédition, s'ils sont connus, pourront seuls être poursuivis extraordinairement, et condamnés, savoir : à une prison de trois ans, si l'attroupement n'était pas armé, et à la peine de mort, si l'attroupement était en armes. Il ne sera fait aucune poursuite contre les autres.

«Art. 9. Dans le cas où le peuple attroupé ferait quelques violences, et ne se retirerait pas après la dernière sommation, ceux qui échapperont aux coups de la force militaire, et qui pourront être arrêtés, seront punis d'un emprisonnement d'un an s'ils étaient sans armes, de trois ans s'ils étaient armés, et de la peine de mort s'ils étaient convaincus d'avoir commis des violences. Dans le cas du présent article, les moteurs et instigateurs de la sédition seront de même condamnés à mort.

«Art. 10. Tous chefs, officiers et soldats de la garde nationale, des troupes et des maréchaussées, qui exciteront ou fomenteront des attroupements, émeutes et séditions, seront déclarés rebelles à la nation, au Roi et à la loi, et punis de mort ; et ceux qui refuseront le service à la réquisition des officiers municipaux seront dégradés et punis de trois ans de prison.

& Art. 11. Il sera dressé, par les officiers municipaux, procès-verbal, qui contiendra le récit des faits.

«Art. 12. Lorsque le calme sera rétabli, les officiers municipaux rendront un décret qui fera cesser la loi martiale , et le drapeau rouge sera retiré et remplacé, pendant huit jours, par un drapeau blanc. »

L'Assemblée charge M. le Président de présenter incessamment et dans le jour le présent décret à la sanction royale.


La promulgation du décret de cette loi martiale aura lieu dès le lendemain 22 octobre 1789 sur les places publiques de la capitale.



La loi martial n'est pas bien accueillie partout.

    Le 28 Octobre, l’Assemblée nationale refusera de recevoir la délégation du district parisien de Saint-Germain-se-Champs qui souhaitait faire « connaître l'arrêté relatif à la loi martiale, et dénoncé dans une des précédentes séances. »

Le décret par lequel il a été statué qu'on ne recevrait que les députations de la commune (dirigée par le maire Bailly) a été rappelé, et l'Assemblée a décidé qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur une dérogation à ce décret.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5251_t1_0597_0000_2


Les émeutes de la faim continuent malgré la loi martiale.

Le 28 Octobre également, le maire de Paris, Bailly, sera introduit au sein de l’Assemblée pour rendre compte d’un événement arrivé le matin à Versailles.

"Le sieur Planter, habitant de cette ville, chargé des approvisionnements de Paris, a été saisi par le peuple, qui a voulu le pendre. La corde a cassé deux fois ; ce citoyen n'est pas mort, et l'on s'efforce en ce moment à le soustraire aux fureurs de la populace. Des troupes vont être envoyées à son secours ; mais elles ne peuvent arriver qu'à cinq heures. Une lettre de l'Assemblée pourrait rétablir le calme et sauver le sieur Planter. Il ne s'agit pas seulement de garantir la vie de ce citoyen, il faut encore ordonner une punition exemplaire pour réprimer des fureurs qui s'étendent sur tous les approvisionneurs."

L'Assemblée autorisera le juge de Vernon à informer, et décrètera que le président écrira à cette ville sur-le-champ, et qu'il se concertera avec le pouvoir exécutif pour l'exécution des lois.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5252_t1_0597_0000_9



Le témoignage de Colson.

    Voici le témoignage de notre ami Adrien Joseph Colson, dans son courrier du 25 Octobre, que j’ai retranscrit pour vous. On retrouve certains détails évoqués ailleurs. Mais il vaut surtout pour les considérations personnelles de cet aimable bourgeois :

(...) Plusieurs prisonniers, de la faction qui s'est formée pour égorger la garde nationale et brûler Paris, ont révélé des complices qui ont été arrêtés. Mais cela n'a nullement ralenti l'esprit de la sédition et cet esprit est au point que, le 20 ou le 21, une seule femme a mis Paris dans une émotion presque aussi forte que les plus fortes que nous ayons eu jusqu'ici.

Cette femme en voulait à un boulanger voisin du pont Notre-Dame, dont on voit presque la maison de mes croisées, auquel elle devait de l'argent. Elle fit esclandre chez lui le 19 ou le 20 et elle lui promit que le lendemain il lui paierait. Le lendemain, pour lui tenir parole, elle vint à 8 heures du matin à sa porte avec quelques femmes qu'elle avait ameutées et, comme il s'y trouvait une foule qui attendait du pain parce que le parti de la conspiration avait occasionné une nouvelle disette, elle dit à cette foule que le boulanger, de qui elle attendait du pain, en avait abondamment et plein sa maison mais que, par méchanceté et comme un coquin, il voulait contribuer à affamer Paris. Sur ce simple propos qui était très faux et d'autant plus faux que le boulanger était un très honnête homme qui, par un zèle en quelque sorte héroïque, ne gagnant rien et perdant même souvent sur la vente, ne laissait de pousser et engageait ses garçons à pousser avec lui le travail le plus qu'ils pouvaient pour fournir davantage aux besoins du public quoique ce jour-là en particulier il eut déjà vendu pour 50 écus de pain à 8 heures du matin, la foule enfonça la porte de sa boutique et, quoiqu'en visitant jusqu'à sa cave on n'y trouvât que trois pains, on se saisit de lui. Les femmes, pour l'empêcher de se justifier, lui fermèrent la bouche. À 9 heures du matin ce malheureux jeune homme, car il n'avait qu'environ 30 ans, était déjà expiré à la lanterne et ce fut, à ce que l'on dit, la femme qui avait ameuté contre lui qui lui passa la corde au cou. Le crime consommé, la barbarie ne fut pas satisfaite, ni même encore à son degré. On lui coupa la tête qu'on porta d'abord à sa femme laquelle on a d'abord dit en être morte de douleur, mais qui n'en a été qu'extrêmement mal et qui finira peut-être par en recevoir réellement le trait de la mort, puis on porta sa tête dans Paris au bout d'une pique et l'on traîna son corps nu dans les ruisseaux des rues.

On fut après cela chercher un autre boulanger, plus voisin encore de moi, rue Saint Jacques de la Boucherie, pour faire une pareille exécution, et ce ne fut pas sans beaucoup de bonheur qu'une fuite presque trop tardive le sauva. La fuite sauva également avec peine plusieurs voisins du premier boulanger qu'on voulait pendre comme lui pour avoir osé hasarder quelques remontrances à cette foule effrénée. La nouvelle de cette exécution cruelle fut portée en une demi-heure partout Paris. Elle fut fort applaudie et répandit beaucoup de joie parmi la populace qui se répandit jusqu'au soir dans les rues en presque aussi grand nombre que dans un soulèvement général. La populace du faubourg Saint-Marceau envoya avant midi un homme avec une simple note sur une carte pour avertir le faubourg Saint-Antoine qu'on n'attendait qu'un mot de sa part pour se mettre en mouvement, qu'on l’invitait à venir faire la réunion aux Filles Sainte Marie et que, s'il se réunissait, on était assuré d'avoir le pain à...  et la viande à 8 sols. Il est certain que, si la carte eût été rendue, les deux faubourgs, qui étaient déjà dans une grande fermentation et qui faisaient déjà grand bruit chez eux, se soulevaient et entraînaient un mouvement aussi général que le jour de la révolution. Heureusement que celui qui la portait, étant arrivé au faubourg Saint-Antoine et l'ayant donné à lire à un patriote, celui-ci l'arrêta.

Dès la matinée où le malheureux boulanger fut pendu, les représentants de la commune envoyèrent coup sur coup deux députations à l'Assemblée nationale pour représenter le danger imminent où l'on était des plus grandes séditions et pour supplier l'Assemblée de chercher les moyens de parer sur-le-champ au danger, proposant à cet effet la loi martiale qui jusque-là n'était encore connue en France que par d'anciens exemples d'Angleterre. L'Assemblée adopta cette idée : elle décréta le même jour cette loi. Elle ordonna que, demain lundi, le comité de constitution lui présenterait un plan pour l'érection d'un tribunal qui jugera les crimes de lèse-nation. En même temps, elle donna le pouvoir au Châtelet de juger en dernier ressort jusqu'à ce que ce tribunal fût érigé. Le même jour encore, le soir, les représentants de la commune donnèrent ordre d'illuminer toutes les nuits, jusqu'à nouvel ordre, le premier des maisons et l'on tient la main à l'exécution de cet ordre.

Le Châtelet, en vertu du pouvoir qui venait de lui être attribué, a, le lendemain du crime commis en la personne du boulanger, condamné celui qui l'avait pendu à être pendu lui-même, il a condamné à la même peine celui qui avait porté la carte au faubourg Saint-Antoine pour le soulever et ce jugement a été exécuté le même jour. On compte qu'il va aussi faire pendre demain la femme qui a occasionné l'émeute et la mort cruelle de l'infortuné boulanger et celui qui lui a coupé la tête. On dit que le roi et Ia reine ont fait une pension à la veuve de cet infortuné. Le roi a sanctionné et le parlement a enregistré en vacation la loi martiale qui, en conséquence, a d'abord été publiée dans tous les quartiers de Paris par des hérauts d'armes vêtus en noir, et les imprimés en ont été criés hier dans les rues. Ainsi, Monsieur, l'on va suspendre, à ce qu'il paraît, le drapeau rouge à une croisée de l'Hôtel de Ville, dans toutes les villes du royaume et, outre cela, plusieurs officiers municipaux ou au moins un d'entre eux, à la tête d'un corps de troupe, promènera le drapeau rouge dans toutes les rues et publiera la loi martiale. Et si après cela il vient à se former des attroupements, les officiers municipaux iront en force à la tête d'un pareil corps de troupe et de la maréchaussée s'ils la requièrent, sommer par trois fois ceux qui seront attroupés de se séparer, leur permettant de nommer entre eux, s'ils le jugent à propos, avant de se séparer, six commissaires pour exposer leurs griefs s'ils prétendent en avoir. Et si, à la troisième sommation, ils n'obéissent pas, on fera feu sur eux, et ceux qui échapperont seront punis de mort ou de la prison suivant les circonstances plus ou moins aggravantes de leurs attroupements ou de la part qu'ils auront prise.

Ceci n'est, comme vous voyez, que pour remédier à ces attroupements. Mais pour en extirper la cause et celle de la disette, lesquelles résident uniquement dans les conspirations, l'Assemblée nationale a formé un comité de recherches, et les représentants de la commune en ont formé un de leur côté pour correspondre ensemble, se réunir quand il en sera besoin et s’occuper de concert à découvrir les factions et leurs trames secrètes. En même temps, les représentants de la commune ont fait publier une proclamation par laquelle ils ont promis depuis cent écus jusqu’à mille louis de récompense, à proportion de l’importance de la dénonciation que l’on fera au sujet des trames et des factieux et le Roi, à la sollicitation des représentants de la commune, a accordé la grâce à ceux qui auraient trempé dans les complots lorsqu'ils viendront les dénoncer eux-mêmes, quand même ils en auraient été les auteurs. Il est à présumer qu'avec de pareilles mesures, bientôt, et peut-être avant 15 jours, on parviendra à connaitre le fond et les détails des mystères, d'horreurs et atrocités, des différentes conspirations. En tout cas, au point où en sont les choses, il n'y a guère que ce moyen et la loi martiale pour ramener la tranquillité. (…)


La version "officielle"

Et voici pour finir l’extrait du registre du Comité de District de Notre Dame, relatant « l'assassinat commis en la personne du Sieur François, Maître Boulanger ».


mardi 20 octobre 2020

20 Octobre 1789 : L'Assemblée nationale vient rendre hommage à son roi adoré au palais des Tuileries

Vous comprendrez mieux en lisant cet article, le ton légèrement moqueur du titre...

L’Assemblée nationale a décidé qu’à l’issue de la séance de ce mardi 19 octobre qui se tient encore provisoirement à l’Archevêché de Paris, elle se rendra en délégation au palais des Tuileries pour rendre hommage à Louis XVI.

Monsieur Fréteau
A six heures et demie de l’après-midi, la délégation conduite par le président de l’Assemblée, Monsieur Emmanuel-Marie-Michel-Philippe Fréteau de Saint-Just, se présente dans le salon de l’œil de bœuf, qui comme à Versailles sert d’antichambre au roi. (Un chroniqueur fait remarquer qu’ils font une entorse à l’Etiquette du fait qu’ils ne sont pas en habits de cour comme cela doit être pour une audience royale). Les huissiers ouvrent les deux portes par lesquelles les députés pénètrent dans la chambre du Lit. Les officiers des cérémonies marchent à droite et à gauche du président de l’Assemblée.

N’ayant pas été prévenu de cette visite, (ce qui semble quelque peu étonnant), Louis XVI les reçoit assis dans un fauteuil. Il ôte, son chapeau, à l’entrée et pendant les révérences du président de l’Assemblée nationale.

M. le Président Fréteau s’avance et dit :

« Sire,

« L'Assemblée nationale a promis de s'unir inséparablement à Votre Majesté. Appelée près de vous par son amour, elle vient vous offrir l'hommage de son respect et de son immuable affection.

« L'affection du peuple français pour son monarque semblait ne pouvoir s'accroître depuis ce jour mémorable, où sa voix vous proclama le restaurateur de la liberté : il lui restait, Sire, un titre plus touchant à vous donner, celui du meilleur ami de la nation.

« Henri IV l'obtint des habitants d'une ville fameuse dans laquelle il avait passé une partie de sa jeunesse ; et les monuments de l'histoire nous apprennent qu'il signait de ces mots, votre meilleur ami, les lettres qu'il leur écrivait avec une affabilité incomparable. (Lettres de Henri IV aux Rochelois.)

« Ce titre, Sire, c'est la France entière qui vous le doit. On a vu Votre Majesté, ferme et tranquille au milieu des orages, prendre pour elle seule la chance de tous les hasards, essayer d'y soustraire, par sa présence et ses soins, ses peuples attendris. On vous a vu, Sire, renoncer à vos plaisirs, à vos délassements, à vos goûts, pour venir, au milieu d'une multitude inquiète, annoncer le retour des jours de la paix, pour faire renaître l'espoir du calme, resserrer les nœuds de la concorde et rallier les forces éparses de ce grand empire.

« Qu'il nous est doux, Sire, de recueillir les bénédictions dont vous environne un peuple immense pour vous en offrir l'honorable tribut ! Nous y joignons l'assurance d'un zèle toujours plus actif pour le maintien des lois et la défense de votre autorité tutélaire.

« Ces sentiments sont une dette de notre reconnaissance envers Votre Majesté ; ils peuvent seuls nous acquitter vis-à-vis de nos commettants, répondre à l'attente de l'Europe étonnée, et nous assurer les suffrages de la postérité. »

Sa Majesté lui répond :

« Je suis satisfait de l'attachement que vous m'exprimez ; j'y comptais, et j'en reçois les témoignages avec une grande sensibilité. »

Des acclamations répétées de : Vive le Roi ! Vive la Reine ! Ont confirmé l'expression des sentiments dont l'Assemblée venait, par l'organe de son président, d'offrir l'hommage à Sa Majesté ;

Suite à ce grand moment, la délégation de l’Assemblée nationale fait part au roi de son désir de présenter ses hommages à la Reine. Le roi le permet, et autorise les députés à traverser son grand cabinet, pour se rendre chez la Reine, par la galerie de Diane. Les huissiers ouvrent les deux battants qui conduisent de la Chambre du Lit au grand cabinet. Les députés passent, devant le Roi qui s’était placé près de cette porte, en faisant une profonde révérence.

A l’extrémité de la galerie de Diane se trouve l’appartement de la Reine qui était l’ancien appartement de la Reine Marie Thérèse. Il est adossé à la galerie de Diane, donne sur le jardin et se compose de cinq pièces.

Marie Antoinette n’a pas été avertie non-plus de cette visite et est à sa toilette. Ne souhaitant pas faire attendre les députés, elle leur accorde audience sans délai et elle s’assoit dans un fauteuil de son grand cabinet. Les députés sont alors introduits chez la reine par les officiers des cérémonies. Pour leur marquer une attention particulière, celle-ci se lève à leur entrée, alors qu’elle reste assise ordinairement.

M. le Président Fréteau dit :

« Madame,

« Le premier désir de l'Assemblée nationale, à son arrivée dans la capitale, a été de présenter au Roi le tribut de son respect et de son amour. Elle n'a pu se défendre de céder à une occasion si naturelle de vous offrir ses sentiments et ses vœux. Recevez-les, Madame ; permettez-moi de vous les exprimer tels que nous les formons, vifs, empressés et sincères. Ce serait, Madame, avec une véritable satisfaction, que l'Assemblée nationale contemplerait un moment dans vos bras cet illustre enfant, que les habitants de la capitale vont désormais regarder comme leur citoyen, le rejeton de tant de princes tendrement chéris de leurs peuples, l'héritier de Louis IX, de Henri IV, de celui dont les vertus font la gloire de la France. Il ne jouira jamais, non plus que les auteurs de ses jours, d'autant de gloire et de prospérité que nous leur en souhaitons. »

La reine ordonne alors au comte de Nantouillet, maître des cérémonies, d’aller chercher M. le Dauphin et elle répond au président :

« Je suis touchée au-delà de toute expression des sentiments de l'Assemblée nationale. Si j'eusse été prévenue de son intention, je l'aurais reçue d'une manière plus digne d'elle. Voici mon fils. »

La Reine prend M. le Dauphin dans ses bras, et le porte dans les diverses parties du salon de jeu où était l'Assemblée.

La réponse de la Reine a été suivie d'acclamations réitérées de Vive la Reine ! vive M. le Dauphin !

À son arrivée et à sa sortie, l'Assemblée nationale a été conduite et reconduite avec les honneurs accoutumés (dit le PV de l’Assemblée).




"Débriefing"...

Vous aurez remarqué, j’en suis sûr, que nos députés révolutionnaires sont toujours aussi épris de leur roi et de leur reine. Sont-ils naïfs à ce point, ou venons-nous d’assister à une parade bien calculée ? Je ne sais qu’en penser pour le moment. Peut-être en apprendrons-nous plus, plus tard ?

Rappelons en effet que ce roi compréhensif et avenant, est le même qui a adressé le 3 septembre une lettre à l’évêque de Tréguier pour se plaindre de ses malheurs et de prier pour lui ? le même qui le 12 octobre a envoyé une lettre à son cousin roi d’Espagne pour lui affirmer que tout ce qu’il disait et faisait depuis le 15 juillet, l’était contre son gré ?

Quant à la reine Marie-Antoinette, elle vient de prier Jacques-Mathieu Augeard, son secrétaire des commandements de la reine, d’examiner les modalités d’une fuite de la famille royale !


La famille royale se promenant dans le jardin des Tuileries
(en bonne compagnie)


Un des derniers portraits de la famille royale,
puisqu'il date de 1793.



lundi 19 octobre 2020

19 Octobre 1789 : Le Club Breton quitte Versailles pour le couvent des Jacobins à Paris

    Le club Breton, lui aussi quitte Versailles à la suite du Roi et de l'Assemblée, pour venir s’installer à Paris tout près des Tuileries, où se trouvent à présent le roi dans son palais et bientôt l’Assemblée nationale dans la salle de l’ancien  Manège. Le club tiendra dorénavant ses séances au convent des Jacobins de la rue Saint Honoré. Il changera également bientôt de nom pour devenir la « Société des Amis de la Constitution ».

    Le club Breton avait été fondé à Versailles le 30 avril 1789 par des députés bretons aux états généraux, notamment Isaak Le Chapelier qui en fut le premier président, Jean-Denis Lanjuinais et Jacques-Marie Glezen, avocats au barreau de Rennes. Son objet était d’y débattre entre députés du Tiers Etat sur les sujets traités à l’Assemblée, afin que les députés du Tiers puissent constituer un courant plus homogène au sein de l’Assemblée et voter tous dans le même sens.

    Le tableau ci-contre représente l’entrée du club Breton qui se situait dans l’arrière-salle du café Amaury. On voit devant l’entrée un sans-culotte vêtu de la carmagnole (veste courte), portant des sabots, coiffé d’un bicorne orné d’une cocarde révolutionnaire et armé d'une pique, prenant la main de Théroigne de Méricourt, (dite Lambertine). Vous remarquerez au passage le bonnet phrygien et la cocarde révolutionnaire qui ont été collés au-dessus du tableau. 

    Surtout notez bien que le bonnet phrygien ne comporte pas ces ridicules oreilles pendantes que des artistes ont ajouté plus tard en faisant l’amalgame avec les casques antiques et leurs paragnathides (protège joues).

    Composé d’environ 200 adhérents à sa création, le club en comptera plus d’un millier en décembre 1789. Réservé initialement aux députés, il s’ouvrira progressivement aux citoyens non-parlementaires. Mais il faudra néanmoins pouvoir s’acquitter d’une cotisation plutôt onéreuse de 24 Livres et être parrainé par cinq membres.

    La Société des Amis de la Constitution regroupera à ses débuts des députés de tendances diverses. En ce mois d’octobre 1789, on pouvait y remarquer Antoine Barnave, Adrien Duport et Alexandre de Lameth, le trio puissant du moment, que l’on surnomme le triumvirat ; mais aussi Mirabeau, Lafayette, Jérôme Pétion de Villeneuve et aussi un certain Maximilien Robespierre, qui en deviendra la président en 1792 lorsque le club deviendra la « Société des amis de la Liberté et de l’Égalité ».

    Le club ouvrira bientôt en province des filiales (près de 150, fin 1790). Un comité de correspondance contrôlé par Barnave et ses amis veillera aux relations entre la société-mère et les filiales. Le club des Jacobins éditera également le Journal des Sociétés des amis de la constitution, fondé par le militaire et écrivain Choderlos de Laclos.

Bien sûr, nous serons amenés à reparler de ce fameux club des Jacobins, le temps venu !

Voici néanmoins quelques estampes illustrant son histoire. Cliquez sur les dates figurant sous chacune, pour accéder à une analyse de l'image.

28 Février 1791

Janvier 1792

28 Juillet 1794 (mort de Robespierre)



19 Octobre 1789 : Marie-Antoinette complote déjà pour fuir

Marie-Antoinette

    Marie-Antoinette demande à Jacques-Mathieu Augeard, son "secrétaire des commandements de la reine", d’examiner les modalités d’une fuite de la famille royale. Celui-ci lui aurait proposé de fuir avec le roi pour Metz, en passant par sa terre de Buzancy.

Jacques-Marie Augeard

    Augeard sera arrêté le 29 octobre, sur dénonciation du comité des recherches de la Commune. On trouvera parait-il sur lui, un plan d'enlèvement du roi. Il sera emprisonné puis traduit devant le tribunal du Châtelet, inculpé de crime de lèse-nation, après que le roi ait autorisé ce Tribunal le 24 octobre à juger ce nouveau crime...

    Malgré la gravité de cette accusation, le tribunal de la Commune de Paris sera plus clément envers ce comploteur en dentelles, qu’envers le dérangeant Marat régulièrement envoyé en prison, car Augeard sera finalement acquitté le .


    Il est intéressant de prendre connaissance de l'avis de Mounier, sur ce prétendu complot, dans son rapport lu à l'Assemblée le 26 octobre ; rapport rédigé depuis sa province du Dauphiné où il est parti se réfugier après les événements des 5 et 6 octobre.

Voici le lien : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3

version en PDF : https://www.persee.fr/docAsPDF/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3.pdf

Des années à comploter...

    Durant les années à venir, la reine et le roi ne cesseront pas d’intriguer, comploter, voire trahir, (comme lorsque la reine indiquera en 1792 les mouvements de l’armée française à son amant Fersen pour qu’il informe « qui de droit »(1) ). Mais il faut admettre aussi qu'on leur a probablement attribué la responsabilité de complots dont ils ignoraient tout. Je vous en parlerai en temps voulu.

(1) Le 26 mars 1792, la reine écrivait à Mercy : « M. Dumouriez […] a le projet de commencer ici le premier par une attaque de la Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée de La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du Conseil d’hier. » Le 27 juin 1792, elle écrivait à Fersen : « Dumouriez part demain pour l’armée de Luckner ; il a promis d’insurger le Brabant. » (Source : Baron de KLINCKOWSTRÖM, op. cit., T. II, p. 308.)

    En attendant, si vous le souhaitez, vous pouvez lire ci-dessous, les mémoires secrets de cet honorable gentilhomme, plus dévoué à la reine qu’à son pays. (Mais, bon, que ne ferait-on pas pour une femme ?)

Mémoires secrets du sieur Augeard : 





19 Octobre 1789 : 1ère séance de l’Assemblée nationale à Paris, Bailly fait un sage discours.

Salle du Manège des Tuileries, (d'après Chenavar)
Source : Paris Musées

Petit rappel des faits…

    Suite aux journées des 5 et 6 Octobre, le roi étant revenu bon gré mal gré vivre à Paris dans le palais des Tuileries, l’Assemblée nationale a répondu à son invitation de le rejoindre à Paris. Une commission de six membres a été désignée dans la séance du matin du 9 octobre 1789, afin de trouver un local pouvant recevoir les 1318 députés des États Généraux. Il fallait que ce local fut suffisamment grand, que les voix y portent et que l’on puisse le chauffer sans trop de mal. Etaient membres de cette commission  : Guillotin, député du Tiers-État de Paris et ses faubourgs, en tant que médecin et hygiéniste, Vignerot du Plessis, duc d'Aiguillon, député de la noblesse d'Agen, Colbert de Seigneley, évêque et député de Rodez, La Poule, député de Besançon, Gouy d'Arsy, député de Saint-Domingue, et Lepeletier de Saint-Fargeau, député de la noblesse de Paris.


Le choix de la salle du Manège des Tuileries

    Après avoir visité une vingtaine d’établissements, la commission a fixé son choix sur la salle du Manège des Tuileries, située à proximité immédiate de la nouvelle résidence du roi. Elle a désigné l'architecte Pierre-Adrien Pâris afin de procéder aux modifications et aménagements pour permettre l'installation des parlementaires. Les travaux seront conduits par Pierre-François Lardant pour la maçonnerie, Pierre Francastel pour la menuiserie et Jacques Marqueré pour la serrurerie, tous issus des Menus-plaisirs. Évaluées initialement à environ 150 000 livres, les dépenses relatives à l'aménagement de la salle du manège s'élèveront à 168 152 livres.

Plan de l'architecte pour les travaux du Manège


    Construit en 1720 pour les leçons d’équitation du jeune Louis XV, 
le Manège longeait sur 120 mètres la terrasse des Feuillants. Il fut démoli en 1802 lors du percement de la rue de Rivoli. La porte d’entrée au Manège donnait sur le passage des Feuillants (actuelle rue de Castiglione) reliant la terrasse des Feuillants et la rue Saint-Honoré. Une plaque commémorative sur la grille du jardin des Tuileries, face au n° 230 rue de Rivoli, rappelle la présence des différentes Assemblées au Manège et la proclamation de la République dans ses murs ; à ce niveau, on est à mi-longueur de la salle, à l’emplacement de la tribune, le fauteuil du Président se situant donc au côté opposé.
    
     De 1789 à 1798, toutes les assemblées parlementaires de la Révolution siégeront dans cette Salle des Manèges (la Constituante, la Législative, la Convention, les Cinq-Cents). La royauté y sera abolie et la République y sera proclamée en 1792, l’esclavage y sera aboli le 4 février 1794.

    Cet article sur Wikiwand décrit bien l'histoire de ce haut lieu de la Révolution : Salle du Manège.

La salle du Manège des Tuileries
(entourée d'un cercle rouge, au milieu en bas)


Archevêché de Paris

Lieu provisoire, la grande chapelle de l’Archevêché

    En attendant la fin des travaux d’aménagement de la salle du manège, les députés se sont installés provisoirement dans la grande chapelle de l'ordination du palais de l'Archevêché de Paris. Mais celle-ci est inadapté à la réception d’autant de députés et le 26 octobre, une des tribunes installées à l'archevêché s'écroulera même en blessant quatre députés.



La Commune de Paris présente ses hommages à l’Assemblée

    Aujourd’hui 19 octobre 1789, à 10h du matin, l'Assemblée nationale constituante se réunit pour la première fois à Paris.

    En l’honneur de ce grand événement, une députation de la Commune de Paris conduite par le maire de Paris, Bailly, accompagné de Lafayette vient apporter ses hommages à l’Assemblée.

Veuillez trouver, ci-dessous l’adresse lue par Bailly :

 Source :  https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5194_t1_0458_0000_10


Jean-Sylvain Bailly

"Messieurs, nous apportons à l'Assemblée nationale les hommages de la commune de Paris ; nous venons renouveler à cette auguste Assemblée et l'expression d'un respect profond et l'assurance d'une soumission entière. Nous avons toujours désiré l'honneur que nous recevons aujourd'hui, celui de voir les représentants de la nation réunis dans le sein de la capitale, et y délibérant sur les grands intérêts de l'Etat.

Nous osons dire, Messieurs, que nous sommes dignes de cet honneur ; nous le sommes par le respect et la soumission dont nous venons vous offrir l'assurance, mais nous le serons surtout par notre fidélité à maintenir la liberté de vos grandes et importantes délibérations. La ville de Paris n'a point d intérêt particulier ; tout Français ne connaît dans ce moment que celui de la patrie. Nous demandons, comme toutes les provinces, que vous donniez à cet empire une Constitution durable qui maintienne sa prospérité, et qui fasse le bonheur de tous. Voilà notre intérêt, ce sont nos vœux.

S'il nous est permis de le rappeler ici, la ville de Paris s'est armée la première contre les ennemis de l'Etat, et en faisant ce premier acte de liberté, elle a fait disparaître les soldats dont l'Assemblée nationale et la capitale étaient environnées ; elle a assuré sa liberté en assurant la vôtre. Sa gloire sera que la félicité de la France ait été opérée dans son sein. La Révolution qui a été commencée par le courage doit être achevée par la sagesse.

Votre sagesse, Messieurs, est de peser et de fixer la destinée de l'empire. Notre devoir, à nous, est de veiller pour vous, de vous entourer du repos et de la tranquillité. Tout citoyen sera soldat pour composer votre garde nationale ; et la commune que vous voyez devant vous, tous les habitants de celte capitale sont prêts à répandre jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour votre sûreté, pour l'inviolabilité de vos personnes et pour la liberté de vos délibérations. Si la capitale n'a pas encore joui de tout le calme que les bons citoyens désirent, c'est que les grandes agitations d'où la liberté doit éclore ne peuvent s'apaiser tout à coup. Le mouvement une fois imprimé ne cesse que par degrés, mais il est des circonstances heureuses qui accélèrent un repos nécessaire.

Nous pouvons dire à cette auguste Assemblée que le retour du Roi à Paris y a répandu le bonheur, que sa présence chérie y établit une paix durable. Il n'y a plus de mouvement que pour se porter autour de lui, et cette paix si désirable est aujourd'hui assurée par votre présence. La paix est le fruit de la sagesse ; si la paix n'existait point encore, elle naîtrait du respect que vous inspirez. Qu'apportez-vous ici ? La durée de cet empire par les lois, sa prospérité par les lois, et le bonheur de tous par les lois.

En considérant le Sénat imposant et vénérable auquel j'ai l'honneur de porter la parole, je crois voir les lois personnifiées et vivantes, ces lois simples et éternelles qui vont s'étendre dans toute la France et dans tout l'avenir, pour le bonheur universel. La paix sera dans tous les temps l'ouvrage de ces lois, la paix sera le fruit du respect et de l'amour. La loi et le Roi, voilà tout ce que nous devons respecter ; la loi et le Roi, voilà tout ce que nous devons aimer."

 

Un mot sur la « Commune » de Paris.

    Ne confondons pas la sage Commune bourgeoise de 1789 avec la turbulente Commune populaire de 1871 ! Nos députés révolutionnaires de 1789 sont anglophiles, raison pour laquelle ils ont choisi de remplacer l’expression "Tiers Etat", par "Commune", en référence à la chambre des communes des Anglais (House of Commons). N’oublions pas que nos amis Anglais avaient déjà deux révolutions d’avance sur nous. La dernière datant de 1689.



dimanche 18 octobre 2020

18 Octobre 1789 : Colson donne des nouvelles de Paris : Beaucoup de bruits et de rumeurs...


Notre Dame de Paris, vue depuis le quai des Tournelles

    Parallèlement aux ouvrages des historiens, j'aime bien lire les témoignages de contemporains. Non-pas qu'ils soient plus véridiques. C'est ce qu'ils ressentent qui est intéressant.

    Voici donc comment Joseph Adrien Colson, avocat au barreau de Paris, décrit la situation dans son courrier du 18 Octobre adressé à son ami en Province.

"À la seule inspection de cette lettre et avant de l'ouvrir vous avez vu que j'existais encore. Tout Paris existe de même : il n'a heureusement coulé de sang que dans les veines et les maisons se portent à peu près comme elles se portaient au départ du dernier courrier. On ne prend plus même la précaution d'éclairer la nuit le premier des maisons et l'on ne fait presque plus de patrouilles le jour. Cependant il s'en faut bien que nous soyons parfaitement rassurés et que nous regardions notre sécurité comme établie sur des fondements inébranlables.

    Le parti de la conspiration, suivant les indices qu'on en a, est très répandu et très dangereux et ce que les complices en ont révélé est si terrible (on ne dit pas si c'est par la qualité des complices ou par la noirceur de leurs trames, ni la force des moyens qu'ils étaient prêts à employer), que ceux qui sont dépositaires de ce secret en ont paru saisis et qu'ils n'ont osé en faire part au public de peur de l’effrayer.

Monsieur Marat

    Nous avons d'indignes papiers publics qui contribuent beaucoup à grossir cette conspiration en imputant à tous ceux qui, dans les districts et à l‘Hôtel de Ville, sont à la tête des bureaux et des affaires publiques, de conspirer eux-mêmes contre le bien et la liberté publique, et en excitant presque) sous prétexte de la liberté de Ia presse, à leur plonger le poignard dans le sein. Monsieur Marat entre autres, auteur de L'ami du peuple, a eu la plus grande part aux troubles du 5 et du 6 qui ont décidé la translation de la résidence du roi et de l'Assemblée nationale à Paris, et il a eu le front de s'en vanter dans deux feuilles. On a supprimé son grand « ennemi du peuple » et on l'a arrêté lui-même pendant quelques jours. Mais je crois qu'il continue son écrit incendiaire et qu'il le fait débiter secrètement. Les aristocrates qui, sans doute, soudoient les auteurs de ces papiers atroces, les soutiennent en même temps par une infinité de bruits analogues.


    Aujourd'hui, pendant que Paris est au dépourvu de la denrée pour le pain, les représentants de la commune refusent du pain tout fabriqué que lui offrent les municipalités voisines. Hier, ils refusaient 40 000 fusils que le Forez lui offrait en pur don, en reconnaissance de ce que lui seul, pour ainsi dire, a opéré Ia révolution qui rend à la France sa liberté opprimée ou anéantie depuis tant de siècles. Un autre jour, les officiers qu'on envoie en détachement chercher les farines s'entendent secrètement avec les représentants de la commune pour n'en pas amener et pour affamer exprès Paris, ou bien les uns s'amusent à la chasse au lieu de chercher des grains chez les fermiers et de les faire battre ; d'autres forcent les marchands de leur donner les farines à un quart au-dessous du prix courant puis, le lendemain ils les revendent à leur véritable prix pour s'en approprier le bénéfice. Et l'on veut que les représentants de la commune souffrent et voient avec une joie secrète, dont ils triomphent intérieurement, ces abus intolérables.

Duc d'Orléans

    Chaque jour il y a de nouveaux bruits qui supposent de nouveaux dangers ou de nouveaux obstacles très difficiles à surmonter. Hier, pour un seul jour, on disait que l'Artois et le Languedoc désavouaient tout ce qu'a fait l'Assemblée nationale et voulaient la nullité de tout ce qu'elle a décrété jusqu'ici, que monsieur le duc d'Orléans, qui est allé à Londres pour une négociation dont on ignore encore l'objet, y était allé pour trahir, que les grenadiers des gardes françaises s'étaient emparés de tous les postes d'honneur de la garde du roi et qu'ils en excluaient la bourgeoisie qui probablement, si cela était vrai, ne le souffrirait pas, qu'on avait arrêté la nuit précédente trois abbés déguisés en dragons pour trahir, et il y avait peut-être encore d'autres bruits qui ne me sont pas parvenus. L'effet de ces bruits est que beaucoup de personnes se laissent déconcerter, que beaucoup d'autres, enflammées de courroux, demandent hautement des coups de vengeance et d'éclat et, pendant ce temps-là, le parti secret use de toutes sortes d'artifices pour exciter et accroître ces sentiments, et il ne cesse d'attiser continuellement le feu.

    La seule lueur d'espérance que nous ayons jusqu'ici dans une position aussi critique, c'est que l'Assemblée nationale a décrété, et le roi vient de sanctionner, 28 articles de loi pour la procédure criminelle, que demain l'Assemblée nationale va ouvrir sa première séance à l'archevêché pour établir des municipalités qui jugeront les matières criminelles, et que les districts s'occupent d'avance depuis hier à élire ceux qui concourront au jugement de ces matières. Si une fois le tribunal, quand il sera établi, se met en activité et fait des exemples, il n'est pas douteux qu'en peu de jours le calme."

Archevêché de Paris

18 Octobre : Attaque d’un convoi de blé à Lannion.

Emeute frumentaire

    Pendant que les députés de l'Assemblée nationale continuent de discuter des meilleurs solutions économiques et administratives pour améliorer l'état du pays, de nouvelles émeutes de la faim continuent d'éclater ici et là dans le royaume.

    Hier c'était à Rouen, aujourd'hui c'est à Lannion, en Bretagne, une ville pourtant située au cœur d'une région fertile en blé !

    Ce 18 octobre 1789, des commissaires envoyés de Brest pour assurer le service des subsistances de cette ville, sont malmenés à Lannion, point central de leurs achats dans la région. Un convoi de blé vient d’arriver, expédié de Pontrieu et une rumeur persuade aussitôt la population pauvre, que les enlèvements de grains ont pour but de causer la famine. Ni la faible escorte qui accompagne le convoi, ni les protestations des commissaires, ni l’assistance de la municipalité, ne peuvent empêcher la foule en colère d’arrêter les voitures. L’officier municipal Rivoalan, manque d’être victime de l’émeute ; mais les femmes qui en faisaient partie l’arrachent des mains des plus furieux. Les commissaires brestois en sont réduits à signer l’abandon des grains !

    Quant à Paris, la situation y est devenue si alarmante, que la Commune va demander aux villes de Provinces de retenir les chômeurs et les mendiants que la misère fait affluer sur la capitale !


Maison XVI-XVIIe à Lannion

    J’ai trouvé sur le Web, un article détaillant l’événement, que je vous conseille de lire.

En voici le lien (non sécurisé) : http://infobretagne.com/lannion-revolution-emeute-1789.htm

Le même site évoque également le fameux « Mandement » de l’évêque de Tréguier, dont je vous ai parlé le 14 octobre. Voici le lien : http://www.infobretagne.com/lannion1789.htm

Je vous ai retranscrit ci-dessous un extrait de l’article relatant l’émeute frumentaire du 18 Octobre 1789 :

« La récolte de 1789, gâtée par des pluies continuelles, a été pire que la précédente. Le blé dont la pluie a empêché le battage se révèle d'un faible rendement et atteint le prix de dix à douze livres le boisseau, au lieu de six à sept au maximum en temps ordinaire (Pommeret, op. cit., p. 80). Pour calmer l'agitation populaire, le Bureau, le 4 septembre, propose la création d'un grenier public. Ce projet indispose encore davantage les gens de la cinquième compagnie, qui y voient une tentative d'accaparement et s'élèvent en menaces contre le Bureau qui charge l'un de ses membres, le deuxième juge Cadiou, de réunir le peuple et de lui donner tous les apaisements.

Au cours d'une réunion tumultueuse, l'Assemblée des communes repousse le projet, proteste contre les accapareurs de grains, attaque la municipalité, demande à être représentée dans le bureau par les juges, c'est-à-dire par Cadiou, qui a gagné sa confiance, et enfin arrête d'interdire provisoirement l'embarquement des grains au port de Lannion. Hantés par la crainte de la disette, les faubourgs, quelques semaines après, passent à l'action directe et mettent l'embargo sur le blé et le beurre vendus au marché, que l'alloué a le plus grand mal à les faire restituer. Pour leur complaire, la municipalité, malgré son respect religieux des moindres décisions de l'Assemblée constituante, élève une protestation contre la libre circulation des grains décrétée le 20 août. Dans celle atmosphère chargée d'électricité, l'apparition, le 17 octobre, d'étrangers accompagnant un imposant convoi de treize charrettes de blé ne pourra manquer de faire éclater l'orage [Note : Sur cette affaire Cf. A. C. Lannion, B B, 17 ff. 68 et suiv. A. C. Guingamp, B B 15 f. 125. Arch. de M. du Cleuziou. Lettres adressées à Couppé. A. N. DIII, 56. Procédure contre Cadiou, B. N. L. b. 39/2.500. Adresse des pauvres ouvriers et artisans de Lannion, Tréguier, etc... Saint-Brieuc, 1789. Archives du Cleuziou. Cadiou. Le juge jugé sans être entendu, s. d., Saint-Brieuc in-8° de 18 p. Voir aussi Duchâtellier. Histoire de la Révolution dans les départements de l'Ancienne Bretagne, Paris, 1836, 6 v., T. I, p. 184 et suivantes].

La ville de Brest, dépourvue d'approvisionnements, avait envoyé des commissaires dans l'évêché de Tréguier, et même au-delà, pour acheter du blé, notamment à Morlaix, Tréguier, Lannion, La Roche-Derrien, Guingamp, Pontrieux, etc... Prévenus, le Bureau patriotique et la municipalité, réunis le 16, accordent aux Brestois l'autorisation d'achat et de passage qu'ils demandent. Un convoi venant de Pontrieux passera le lendemain sous l'escorte d'un détachement de la milice de cette ville, commandé par son chef le major Chrétien.

Le convoi annoncé arriva à Lannion le 17, entre neuf et dix heures du soir, et grâce à l'heure tardive les treize charrettes traversèrent la ville sans encombre. Elles avaient déjà franchi le pont Sainte-Anne et les chevaux prenaient haleine au pied de la terrible côte qui en ligne droite conduit au sommet du plateau dominant la rive gauche du Léguer, quand les habitants de Kérampont, sans doute aux aguets, lui barrent la route et interdisent aux conducteurs de pousser plus avant. Devant leur nombre et leur attitude résolue, les gardes nationaux de Pontrieux n'osent pas recourir à la force.

Pendant qu'on parlemente et qu'on discute à la lueur discrète des lanternes, les avocats Le Bricquir du Meshir, premier lieutenant du maire, remplaçant le premier magistrat absent, et l'avocat Rivoallan, tous deux membres du Bureau, accourus en toute hâte, invoquent la loi et essaient de raisonner leurs compatriotes. Peine perdue : l'heure tardive, la présence parmi les commissaires brestois d'un marchand de grains connu dans le pays ont éveillé la méfiance du peuple qui se montre irréductible et tout prêt à la révolte. « Le convoi ne partira pas, nous ne laisserons pas les accapareurs nous réduire a la famine ». Rivoallan est insulté le major Chrétien qui s'est interposé est bouscule, frappé et menacé de la pendaison par quelques-uns des plus excités. En désespoir de cause. Le Bricquir ordonne à la milice lannionaise alertée et conduite sur les lieux de garder le blé et d'empêcher son pillage. Le deuxième juge Cadiou, président du peuple, tente aussi de calmer les esprits, il n'est pas plus heureux malgré sa popularité.

Les gars de Kérampont, que des malveillants, paraît-il, auraient fait boire, ne veulent rien démordre, ils tiennent le convoi et s'opposent de toutes leurs forces à son départ.

Tout ce que ses efforts, joints à ceux des membres présents de la municipalité et du Bureau, obtiennent est la remise de l'examen de l'affaire au jugement des Communes le lendemain.

L'Assemblée qui se tint le dimanche 18 à l'auditoire, plein au craquer, fut des plus agitées. Cadiou, du perron des Ursulines et ensuite dans le cloître des Capucins, avait auparavant exhorté le peuple à obéir aux lois, il n'eut pas plus de succès que la veille. A l'auditoire, il plaça sur le bureau la loi du 20 août sur la libre circulation des grains et s'apprêtait à en donner la lecture quand l'arrivée imprévue des commissaires brestois déchaîna un tumulte tel qu'il ne put se faire entendre.

Pour apaiser l'assistance, les Brestois déclarent abandonner gratuitement leur blé au peuple et renoncer à tout achat à Lannion, et demandent à passer dans la chambre du conseil pour rédiger l'acte de cession. L'alloué les suit et tentant de concilier la légalité avec l'opportunité y fait inscrire la cession du convoi à la municipalité, à charge pour elle de tenir compte du prix à la ville de Brest. La lecture de cette clause soulève une tempête de protestations, les communes exigent l'abandon gratuit et tournent leur fureur contre les commissaires. Traités de gueux, de coquins, de fraudeurs, menacés de la corde, ils durent signer tout ce qu'on leur demandait et n'eurent la vie sauve que grâce à l'intervention courageuse du lieutenant du maire Le Bricquir et de l'avocat Deminiac qui protégèrent leur fuite.

A la nouvelle du traitement subi par les envoyés brestois, l'indignation fut grande dans toutes les villes patriotes de Bretagne. Brest, menacée de la famine, lésée dans ses intérêts, insultée dans la personne de ses représentants, ressentit vivement l'injure et décida de reprendre de force son blé et de châtier l'insolence des Lannionais. Sans perdre un instant, elle mobilisait une petite armée de quinze cents volontaires nationaux ; avec plusieurs pièces d'artillerie, et la faisait marcher sur Lannion. Un certain nombre de villes se solidarisaient avec elle ; Rennes, Morlaix, Pontivy, Paimpol, Moncontour, Guingamp, Landerneau, Landivisiau, Quimperlé, Quimper, Carhaix, Lorient, etc... leur proposaient des renforts ou même lui en envoyaient, sans attendre son assentiment. Grossie par ces détachements, l'armée brestoise, à son passage à Morlaix, comptait déjà plus de deux mille hommes, et son chef le major général Daniel de Colloé, pour arrêter cet afflux de renforts dont il n'avait que faire, envoyait des courriers dans toutes les directions pour inviter les gardes-nationaux déjà en marche pour le rejoindre à faire demi-tour [Note : Le 24 octobre, le Comité permanent de Guingamp arrête que le détachement de cent hommes annoncé ne partira pas, invite Pontrieux à imiter son exemple et envoie des commissaires sur la route de Lorient, jusqu'à Corlay, pour arrêter les troupes venant du sud de la Bretagne. A. C. Guingamp, B B 15, f. 125].

Entrés le 25 à Lannion, au milieu d'un déploiement imposant de forces, les commissaires de Brest ne parlaient rien moins que de tirer une vengeance éclatante de la ville rebelle et ils commencèrent par obliger la municipalité à inscrire sur son registre de délibération un récit des événements rédigé par eux, qui accusait formellement la garde nationale et la municipalité, à l'exception de Le Bricquir et de Deminiac qui leur avaient sauvé la vie, de connivence avec les émeutiers. Ils parlèrent et agirent en maîtres, ils avaient le nombre et la force, car le lieutenant-gouverneur de la province, ne disposant d'aucune troupe dans les environs se trouvait dans l'impossibilité matérielle d'intervenir.

Les représentants des villes de Morlaix, Guingamp, Lorient, Pontrieux, Paimpol, Quimper, Moncontour, Tréguier, Pontivy qui les accompagnaient, ou les avaient rejoints le lendemain, s'interposèrent en conciliateurs. Se faisant les avocats des autorités lannionaises ils parvinrent à apaiser les Brestois et à les ramener à une appréciation plus exacte des événements. Grâce à leur médiation la paix fut signée et la municipalité ainsi que la milice déchargée de toute accusation. La réconciliation fut scellée par un pacte d'union entre les représentants des villes présentes. Comprenant tous combien le succès des idées patriotes, dont ils étaient les propagateurs et les défenseurs, dépendait étroitement de leur entente, ils prirent l'engagement « de travailler à resserrer les liens qui les unissaient et se promirent en même temps un attachement et une fidélité toujours inviolable ».

A la demande des Brestois, le deuxième juge Cadiou, inculpé de complicité, était décrété le prix de corps, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévôté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils étaient conduits par étapes. Le 29 les troupes quittaient enfin Lannion, mais elles y laissaient une garnison de cent cinquante hommes. Il restait à payer les frais de leur entretien pendant cinq jours et qui se montait à la somme assez coquette pour l'époque de 12.195 livres 3 sols 11 deniers. Il ne semble pas que le gouvernement, à qui la municipalité en demanda le remboursement, pétition que Brest appuya, y ait jamais répondu (A. N. H. 573, Reg. des pièces concernant l'administration de la Bretagne. Lettres patentes du 6 juin 1790). Quant aux émeutiers, après quelques mois de séjour dans les geôles briochines, ils furent relâchés en avril 1790. Cadiou, contre qui on ne put relever aucun fait précis, fut acquitté. Il semble avoir été dans la circonstance victime de l'hostilité de la bourgeoisie lannionaise qui lui reprochait de l'avoir trahie pour se mettre à la tête du peuple. Son emprisonnement ne nuira pas à sa popularité et il gardera la confiance de ses concitoyens. Malchanceux, il sera pendant la Terreur destitué, sous de futiles prétextes, de la présidence du district et condamné par le tribunal révolutionnaire de Brest à dix ans de fer ; le conventionnel Palasne de Champeaux, après le 9 thermidor, le fera sortir du bagne, mais il survivra peu à cette dernière épreuve. Le major Chrétien ne sera pas découragé par les mauvais traitements subis à Lannion, il fera une honnête carrière dans la gendarmerie où il verra bien d'autres bagarres, dont il se tirera avec autant de bonheur. Lieutenant au moment de la prise de Saint-Brieuc par les chouans, le 27 octobre 1799, il n'y perdra que sa tabatière et sauvera sa vie.

Quant aux robins lannionais, ils gardèrent un amer souvenir de la journée du 17 octobre et de ses suites : le retour menaçant des Brestois, la note à payer, l'humiliation de leur tribunal déshonoré par l'arrestation de l'alloué et par-dessus tout, la crainte que les villes voisines ne profitent de la circonstance pour obtenir une justice royale à leur détriment. S'ils avaient pu prévoir l'avenir, un certain orgueil les aurait consolés, au moins partiellement, de ces pénibles moments, car le grand mouvement qui devait aboutir, le 14 juillet 1790, à la célébration dans un enthousiasme délirant de la Fédération nationale du Champ-de-Mars, fête éphémère de la réconciliation des Français, tel un mince filet d'eau source d'un grand fleuve, venait de surgir dans leur ville natale.

Le pacte d'union contracté le 26 octobre entre Lannion et les villes bretonnes représentées par leurs délégués, sera imité dans toutes les provinces du royaume. En Bretagne où l'idée était, dans l'air depuis longtemps, il fut le point de départ de congrès patriotiques entre les cités que le voisinage ou la communauté d'intérêt rapprochaient particulièrement. Cherchant toutes les occasions de resserrer leur entente contre les adversaires du nouveau régime qui s'élabore, les patriotes bretons prennent l'habitude de compléter leur échange assidu de correspondance par des réunions de commissaires ou députés. C'est ainsi que le Comité permanent de Guingamp propose à celui de Lannion, le 30 novembre, d'inviter les principales villes des évêchés de Saint-Brieuc, Tréguier et Saint-Pol-de-Léon à une assemblée pour étudier les moyens de développer la culture du lin et de la filature, questions intéressant à titre divers une bonne partie de leurs populations : importateurs de graine de lin, cultivateurs du littoral, marchands et exportateurs de toile, tisserands et filandières du pays de la manufacture (sud de l'évêché de St-Brieuc), qui demandent au filage ou au tissage un salaire d'appoint compensant la pauvreté du sol dans leurs cantons [Note : Déjà, le 10 août, 6 paroisses du Cap Sizun s'étaient fédérées afin « de prévenir et d'arrêter toute personne suspecte, de prendre des résolutions uniformes... ». Dans le courant de novembre, la milice de Quimper demande aux volontaires nationaux de la Bretagne et de l'Anjou de se réunir pour renouveler le pacte d'union et d'alliance, rédigé à Rennes au début de l'année par les étudiants en droit et les députés, que plusieurs villes de la Province y avaient envoyés, à l'occasion des rixes entre nobles et étudiants qui avaient marqué la dernière réunion des Etats de Bretagne. E. Corgne. Pontivy et son district pendant la Révolution, de 1789 à germinal V. 1938, Rennes, in-8°. Thèse de doctorat, p. 55].