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jeudi 1 octobre 2020

1er Octobre 1789 : L'écrivain Louis-Sébastien Mercier fonde un journal, mais lisez ses livres

 

    L’écrivain Louis-Sébastien Mercier s’associe au journaliste Jean-Louis Carra pour fonder ce 1er Octobre 1789, un journal destiné à propager les idées de la révolution : "Les annales patriotiques et littéraires."

    Louis-Sébastien Mercier est plus connu à présent pour ses œuvres littéraires que pour sa carrière politique. Il écrivit en effet beaucoup. 

    Son livre décrivant la vie à Paris avant la révolution, "le Tableau de Paris", publié en 1781, se lit toujours avec intérêt si l’on veut apprendre nombre de détails de la vie quotidienne. Vous pourrez le lire dans la première fenêtre ci-dessous.

    Il écrivit également un étonnant roman d’anticipation, "l’An 2440", publié en 1771, que vous pourrez également découvrir dans la seconde fenêtre ci-dessous. Je vous conseille la lecture de cet article traitant de ce livre étonnant sur le site de l'Université de Poitier : "Une uchronie, l'An 2440 de Louis-Sébastien Mercier"

    Politiquement Louis-Sébastien Mercier changea souvent d’opinion. Alors qu’il avait écrit contre le rétablissement de la loterie, il ne répugna pas d’y accepter une place de contrôleur. Il s’en excusa en répondant à ceux qui lui en faisaient le reproche : « Depuis quand, dit-il, n’est-il plus permis de vivre aux dépens de l’ennemi ? »

    Je vous conseille également d'écouter à son propos ce podcast sur France Culture de 29 minutesLouis-Sébastien Mercier : les écrits et les cris du ventre de Paris


"Le Tableau de Paris" et "L'An 2440"


L'An 2440 :

mercredi 30 septembre 2020

30 Septembre 1789 : Babeuf publie son Cadastre Perpétuel et le dédie à l’Assemblée

 

    Fin septembre, début octobre 1789, est publié à Paris un curieux ouvrage dédié à L’Assemblée nationale, portant un nom étrange. Il s’agit du « Cadastre Perpétuel » de François Noël Babeuf, que celui-ci cosigne avec un mathématicien du nom d’Audiffred. 

Le projet déclaré de ce livre figure en introduction :

Cadastre Perpétuel, ou Démonstration des procédés convenables à la formation de cet important Ouvrage, pour assurer les principes de l’Assiette & de la Répartition justes & permanentes, & de la Perception facile d'une Contribution Unique, tant sur les Possessions Territoriales, que sur les Revenus Personnels.

Avec l’exposé de la Méthode d'Arpentage de M. Audiffred par son nouvel instrument, dit Graphomètre Trigonométrique : méthode infiniment plus accélérative & plus sûre que toutes celles qui ont paru jusqu’à présent, & laquelle, par cette considération serait plus propre à être suivie dans la grande opération du Cadastre.

Apparaît également en première page, cette citation de Necker, extraite de son discours lors de l’ouverture des Etats Généraux :

« On doit mettre au premier rang, parmi les améliorations qui intéressent tous les habitants du Royaume, l’établissement des principes qui doivent assurer une égale répartition des impôts »

Et page suivante, on peut lire cette dédicace adressée aux députés :

A l’Honorable Assemblée des Représentants de la Nation Française

Nosseigneurs

C’est à votre tribunal auguste que sans doute il convient de soumettre l’examen des Plans d’Administration qui peuvent intéresser tous les Citoyens de l’Etat. Sous ce point de vue, nous osons vous faire hommage du Cadastre Perpétuel. C’est l’offrande qu’il est en notre pouvoir de présenter à la Patrie : puissiez-vous la juger digne d’elle, & l’agréer au nom de tous les Français. C’est être ambitieux que d’avoir prétendu donner une production tendant à leur bonheur à tous ; mais nous nous attendons que ce motif sera trouvé louable ; et si notre haute entreprise était d’heureuse témérité, les seuls vœux que nous eussions conçus seraient à leur comble.

Nous sommes bien respectueusement,

Vos très humble & très obéissants Serviteurs,

F. N. Babeuf, Archiviste-Feudiste

J.P. Audiffred, Mathématicien

Citoyens Français

    Babeuf est arrivé à Paris à la fin du mois de juillet pour faire éditer son Cadastre Perpétuel. Au vu des événements, il y a ajouté ce « Discours préliminaire » dédié à l’Assemblée nationale. 

    Vous en conviendrez avec moi, au premier abord, l’objet de cet ouvrage correspond à merveille aux préoccupations des députés, et plus particulièrement à celles de Monsieur Thouret et de son comité qui ont présenté hier, 29 septembre, leur projet de redécoupe du territoire.

Au premier abord, oui…

Quelques mots sur Babeuf ?

    Babeuf avait ouvert en 1785, à Roye, en Picardie, un cabinet d’arpenteur-géomètre et de commissaire à terrier ou feudiste. C’est-à-dire qu’il était chargé d’établir pour les nobles, les listes des droits seigneuriaux sur leurs terres. Cela signifiait également que les nobles fondaient leurs exigences d’argent à payer par les paysans, sur la base de son travail. Ce fut en exerçant cette fonction ingrate que sa conscience politique s’éveilla progressivement. Il écrira plus tard : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble »

    Sa conscience politique sera de tendance utopiste. Cela dit sans aucun jugement de valeur. Certaines utopies sont très belles. Néanmoins, un utopiste a tendance à ne pas trop s’embarrasser de la réalité des choses, et par ce fait il a tendance à élaborer des systèmes pour des hommes tels qu’ils devraient être (dans son idée), plutôt que tels qu’ils sont, ou éventuellement, pourraient être. Raison pour laquelle les solutions imaginées par Babeuf pour réformer la société seront assez radicales. Babeuf rêvait de ce que nous appellerions une réforme agraire, mais assez extrême. Celle-ci aurait consisté en un partage des terres strictement équitable entre tous les citoyens, qui serait revenu à créer « 6 millions de manoirs de 11 arpents » et qui aurait abouti à terme à une suppression de la propriété.

    Babeuf était néanmoins prudent (et intelligent). Raison pour laquelle, dans son ouvrage, il met plutôt en valeur la simplicité et la modération de son projet, évoquant les nombreux avantages qui en résulterait aussi bien pour les pauvres (justice sociale) que les riches (sécurité et paix). De plus, son discours s’appuie sur une démarche d’apparence scientifique puisqu’il met en avant l’utilisation d’une nouvelle invention, le graphomètre trigonométrique, qui permettra d’optimiser la réalisation du castre ; le cadastre étant la clé d’un calcul équitable des impôts fonciers. Ne doutons pas cependant que dans son idée, cet arpentage de l’ensemble du territoire permettra également plus tard le repartage de la grande propriété foncière. Sans vouloir tomber dans des généralités, on voit souvent des utopistes s’appuyer sur des discours scientifiques pour justifier les systèmes qu’ils imaginent.

Sur l'utopie et Babeuf, je vous conseille la lecture de cet article très intéressant :
"Comment la révolution a transformé l’utopie : le cas de Gracchus Babeuf"

    La propriété étant l'obsession de la grande majorité des députés, qui songent même à la sacraliser, on se doute bien que Babeuf se prépare beaucoup de soucis.

    Mais Babeuf est un vrai révolutionnaire et sa parole vaut tout aussi bien d'être écoutée que celle des révolutionnaires qui occupent le devant de la scène, depuis les Etats Généraux.

    Babeuf deviendra un acteur important du mouvement des sans-culottes. Toute sa vie il aura été pauvre et il se sera battu du côté des pauvres. Il perdra même sa fille qu’il adorait, morte de privations, pendant un de ses nombreux séjours en prison.

Babeuf mérite donc le respect.

 

Voici donc le fameux « Cadastre perpétuel » :


30 Septembre 1789 : Un solitaire invente le pouvoir modérateur, c’est Bernardin de Saint-Pierre

 

Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre

    C’est à la fin de ce mois de septembre 1789 que Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre publie son ouvrage « Vœux d’un solitaire ». Moins connu que son célèbre roman « Paul et Virginie » publié en 1788, ce livre à l’avantage de coller parfaitement à notre actualité de 1789.

    Je vous invite à lire ci-dessous son préambule. Il décrit les événements qui ont eu lieu à Paris depuis le mois de juillet, ainsi que la façon, assez étonnantes, dont il les a vécus. 

    L’extrait que je vous propose se termine sur la proposition d’un nouveau concept en politique, l’invention d’un troisième pouvoir, le pouvoir modérateur. Je trouve que c'est une idée géniale.

    Si vous le souhaitez, vous pourrez en apprendre plus en lisant l’exemplaire mis à notre disposition par notre ami Google, dans la fenêtre située en bas de page.

    Quant à Bernardin de Saint Pierre, cet aventurier, ingénieur, écrivain, etc., je vous conseille de lire sa biographie plutôt bien faite sur sa page Wikipédia. Vous y apprendre, entre autres, que ce solitaire s’était lié d’amitié avec un autre solitaire, célèbre celui-là pour ses promenades rêveuses dans la nature et surtout pour ses écrits philosophiques ; Je veux parler de Jean-Jacques Rousseau. Bernardin de Saint Pierre faillit se marier en 1773 avec Louise Félicité de Keralio, une femme étonnante et trop méconnue, à laquelle j’ai consacré un article sur ce site.

    Je vous propose également de lire cette étude sur lui, rédigée par le Professeur Jean-Michel Racault, spécialiste des littératures de voyage au XVIIIe siècle, que vous trouverez en cliquant sur l’image ci-contre.




Voici les premières pages du préambule du livre.

Je me suis permis d’actualiser l’orthographe, afin que les « f » remplaçant les « s », comme il était d’usage au 18ème siècle, ne vous perturbent pas trop. J’ai juste laissé les « & » remplaçant nos « et », pour conserver un peu de pittoresque.

"Dans mes Etudes de la Nature, imprimées pour la première fois en décembre 1784, j’ai formé la plupart des vœux que je publie aujourd’hui, en Septembre 1789. J’y serai tombé sans doute dans quelques redites : mais les objets de ces vœux, qui, depuis la convocation des Etats -généraux, intéressent toute la nation, sont si importants, qu’on ne saurait trop les répéter, & su étendus, qu’on peut toujours y ajouter quelque chose de nouveau.

Je sais que les membres illustres de notre assemblée nationale s’en occupent avec le plus grand succès. Je n’ai pas leurs talents, mais, comme eux, j’aime ma patrie. Malgré mon insuffisance, si ma santé l’eût permis, j’aurais ambitionné la gloire de défendre avec eux la liberté publique : mais j’ai un sentiment si exquis & si malheureux de la mienne, qu’il m’est impossible de rester dans une assemblée, si les portes en sont fermées, & si les avenues n’en sont pas si libres que je puisse sortir au moment où je le désire.

Ce désir d’user de ma liberté ne manque jamais de me prendre au moment où je crois l’avoir perdue, & il devient si vif, qu’il me cause un mal physique & moral, auquel je ne peux résister. Il s’étend plus loin que l’enceinte d’un appartement. Pendant les émeutes de Paris (qui commencèrent après le départ de M. Necker, le 13 juillet, au même jour que l’année passée le royaume fut désolé par la grêle), lorsqu’on brûlait les bâtiments des barrières autour de la ville, qu’au-dedans l’air retentissait du bruit alarmant des tocsins que fonctionnaient tous les clochers à la fois, & des clameurs du peuple qui criait que les hussards entraient dans les faux-bourgs pour y mettre tout à feux et à sang, Dieu, en qui j’avais mis ma confiance, me fit grâce d’être tranquille. Je me résignai à tout événement, quoique seul dans une maison isolée & dans une rue solitaire, à l’extrémité d’un faux-bourg.

Mais quand le lendemain, après la prise de la Bastille, l’éloignement de troupes étrangères dont le voisinage avait causé tant d’alarmes, & l’établissement des patrouilles bourgeoises, j’appris qu’on avait fermé les portes de Paris, & qu’on n’en laissait sortir personne, il me prit alors la plus grande envie d’en sortit moi-même.

Pendant que les habitants se félicitaient d’avoir recouvré leur liberté, je comptais avoir perdu la mienne : je me tenais pour prisonnier dans les murs de cette vaste capitale ; je m’y sentais à l’étroit. Je ne rendis le calme à mon imagination, que lorsque j’eus trouvé, en me promenant sur le boulevard de l’hôpital, une porte grillée, dont la ferrure & les barreaux avaient été rompus, & qui n’était pas gardée : alors j’en m’en fus dans la campagne, ou je fis une centaine de pas, pour m’assurer que je n’avais pas perdu mes droits naturels, et qu’il m’était permis d’aller par toute terre. Après cet essai de ma liberté, je me sentis tout à fait tranquille, & je m’en revins dans mon quartier tumultueux, sans me soucier depuis d’en ressortir.

Lorsque, quelques jours après, des têtes coupées à la Grève, sans formalité de justice, & des listes affichées qui en prescrivaient beaucoup d’autres, firent craindre à tout le monde que des méchants ne se servissent de la vengeance du peuple, pour satisfaire leurs haines particulières, & que Paris, livré à l’anarchie, ne devint un théâtre de carnage & d’horreur, quelques amis m’offrirent des campagnes paisibles & agréables, tant au-dedans qu’au dehors du royaume, où je pourrais goûter le repos si nécessaire à mes études ; je les ai remerciés. J’ai préféré de rester dans ce grand vaisseau de la capitale, battu de tous côté de la tempête, quoique je sois inutile à la manœuvre, mais dans l’espérance de contribuer à sa tranquillité. J’ai donc tâché de calmer des esprits exaltés, ou de ranimer ceux qui étaient abattus, quand j’en ai eu l’occasion ; de contribuer de ma personne et de ma bourse aux gardes si nécessaires à la police ; d’assister, de temps à autre, à quelque comité de mon district, un des plus petit & des plus sages de Paris, pour y dire mon mot, quand je le peux ; et surtout de mettre en ordre ces Vœux pour la félicité publique, dont je m’occupe depuis six mois. J’ai abandonné, pour cet unique objet, des travaux plus faciles, plus agréables, & plus utiles à ma fortune ; je n’ai eu en vue que celle de l’Etat.

Dans une entreprise si stupéfiante à mes forces j’ai marché souvent sur les pas de l’Assemblée nationale, & quelquefois je m’en suis écarté : mais si j’avais toujours eu ses idées, il serait fort inutile que je publiasse les miennes. Elle se dirige vers le bien public, par de grandes routes, en corps d’armée, dont les colonnes s’entraident, & quelquefois malheureusement se choquent ; et moi, loin de la foule, sans secours, mais sans obstacles, par des sentiers qui m’ont mené vers le même but. Elle moissonne, & moi je glane. Je rapporte donc à la masse commune quelques épis cueillis sur ses pas, & même au-delà, dans l’espérance qu’elle daignera les recueillir dans ses gerbes.

Cependant j’ai à me justifier de m’être écarté quelque fois de sa marche, & même de ses expressions. Par exemple, l’assemblée n’admet que deux pouvoirs primitifs dans la monarchie, le pouvoir législatif & le pouvoir exécutif. Elle attribue le premier à la nation, & le second au roi. Mais je conçois dans la monarchie, ainsi que dans toute puissance, un troisième pouvoir nécessaire au maintien de son harmonie, que j’appelle modérateur."

Et voici le livre complet !


vendredi 25 septembre 2020

25 Septembre 1789 : Lisez les nouvelles dans la Gazette nationale, ou le Moniteur universel.


    Grâce à l'université de Floride des Etats-Unis d'Amérique, vous pouvez avoir accès gratuitement à tous les exemplaires de la Gazette nationale, connue aussi sous le nom du Moniteur universel.

    Lorsque j'ai publié cet article pour la première fois en 2020, l'accès au site Retronews de la BNF était payant et on ne pouvait accéder à ces documents gratuitement qu'en passant par la Floride. Curieusement il ne l'est plus ce 25 septembre 2021. Nous n'allons pas nous en plaindre ! (Est-ce parce que j'avais râlé sur la page Facebook de Retronews ?) 😉

    Je vous propose donc aujourd'hui de lire les nouvelles du 23 au 25 septembre 1789, en cliquant sur les images ci-dessous.

Soit par l'université de Floride :


Soit par la BNF !





mercredi 23 septembre 2020

Comprendre comment s'est construite la France, avec Graham Robb

Une histoire buissonnière de la France


    Pour inaugurer cette rubrique bibliographie de mon site, j’aurais pu choisir de vous présenter un vieux livre oublié contenant des informations étonnantes, ce que je ne manquerai pas de faire plus tard.

    Mais j’ai choisi au contraire de vous proposer ce livre récent, qui de plus a été écrit par un anglais ! :

"Une histoire buissonnière de la France" de Graham Robb.


    C’est, et je pèse mes mots, le meilleur livre que j’ai jamais lu sur la géographie de la France et même sur son histoire. J’y ai appris tant de choses étonnantes qu’il m’est souvent arrivé de le poser un instant pour prendre le temps d’assimiler une info, et même de la savourer.

    On réalise en le lisant, comment se construit un pays. Ce qui ne fût pas une mince affaire pour l’étonnante mosaïque que constituait l’espace géographique correspondant à ce que l’on a fini par appeler la France. 

    L’assemblage de toutes ces précieuses tesselles multicolores, de populations si variées, parlant des milliers de langages, aux coutumes si différentes, fut la tâche des rois de France durant des siècles, tâche reprise par la Révolution française.

    Il recèle tant d'informations précieuses sur la France de l'ancien régime, que cela aide à comprendre plus clairement nombre d'événements survenus au cours de la Révolution.

    Vous pourrez parcourir quelques-unes de ses pages en cliquant ci-dessous. Mais le mieux est vraiment de l’acheter au plus vite et de le dévorer ! Vous en parler m'a donné envie de le relire, c'est vous dire !

 

Petite digression très personnelle :

    Je pense que ce fut finalement la langue française qui réussit à unifier ce pays si contrasté et à en faire une nation aux idées universelles. A ceux, qui, sous l’influence des nostalgiques de l’ancien régime, sont convaincus que la langue française a été un outil d’oppression, je réponds que celle-ci fut un outil d’émancipation et surtout d’accès au savoir. Imaginez, s’il avait fallu traduire dans des milliers de patois, dialectes et langues différentes, le moindre manuel d’agriculture ou recueil de poésie !

    Un pays ne se voit pas sur une vue satellite. Un pays est une idée, un concept, une réalité imaginaire comme disent certains. On peut voir cela comme une manière commode de parquer des moutons entre des frontières virtuelles. Mais on peut aussi voir cela comme une façon pacifique de réaliser un contrat social entre des gens différents, mais partageant le vœu de vivre ensemble en paix, sous les mêmes lois.

    Lorsque tout le monde aura compris qu’une nation ou un pays, ce n’est que cela, une idée, une convention, une réalité imaginaire, on deviendra peut-être capable de repousser à l’infini toutes les frontières imaginaires et à nous penser, toute l’espèce humaine, comme une seule et unique nation. Mais bon, il y a encore du chemin à faire pour une civilisation mondiale. Nos cerveaux de primates, incapables structurellement de penser un groupe au-delà d’une centaine d’individus, doivent encore évoluer un peu…


Merci pour votre lecture

lundi 31 août 2020

31 Août 1789 : Expulsion des fainéants selon les uns, ou malheureux selon les autres, des ateliers de charité de Montmartre.

 

Vue de Montmartre en 1804

    "Expulsion des fainéants, selon les uns, ou des malheureux selon les autres, des ateliers de charité de Montmartre."

    Nous parlons des 12.000 indigents évoqués par Necker dans son discours du 7 août, auxquels le roi, dans sa grande générosité (je suis sérieux, vous aurez plus de détail à la fin de l’article), avait procuré un travail payé 20 sous la journée, mais que les bourgeois de Paris voyaient d’un mauvais œil.

    Dans sa lettre du 25 Août, notre ami l’avocat Adrien Joseph Colson avait en effet évoqué durement ces vagabonds, appelés selon lui à devenir des brigands. Outre un éventuel problème de sécurité, cette main d’œuvre payée par le roi, faisait une concurrence déloyale aux honnêtes entrepreneurs de travaux publics de la ville.

    Occuper les sans-abris à travailler, reste toujours pour certains une bonne idée. Néanmoins, dans une économie de marché, cela constitue toujours un problème de concurrence déloyale. La concurrence comme chacun le sait devant être libre et non-faussée (Sans commentaire, je ne parlerai pas de mon expérience professionnelle).

    J’ai trouvé, pour vous donner une idée de la situation, ce passage intéressant extrait d’un recueil de conférences de l’historien Henri Guillemin. Tombé dans l’oubli, ce sympathique bonhomme est devenu populaire grâce aux vidéos de ces conférences dans les années 70, stockées sur le site internet de la télévision suisse. Soyons honnête, Guillemin est "un peu" de parti-pris. Disons qu’il a la dent dure contre la bourgeoisie (Ce qui nous change un peu, des versions classiques). Mais indépendamment de cela, il donne des informations que l’on ne retrouve pas souvent chez les historiens connus.

Lisez plutôt : (page 63) : 

« Maintenant que la bourgeoisie est tranquille, maintenant que le roi s’est rallié, maintenant qu’il a parlé de son amour pour le peuple, on va se débarrasser de ces 10.000 hommes que la bourgeoisie appelle volontiers des brigands, les brigands de Montmartre. On va leur envoyer du canon, pour les faire partir de Montmartre et c’est Hulin, l’homme de main du banquier suisse Perrégaux qui va se charger de conduire les canonniers pour déloger ces 10,000 malheureux prolétaires. On va leur remettre à chacun 24 sous (un pain nourrissant une famille pour une journée coûtait 14 sous) et un passeport pour qu’ils aillent se faire pendre ailleurs. »

Voilà, c’est dit, à la façon Guillemin.

    Mais j’ai voulu en savoir plus sur ces ateliers de charité et j’ai déniché un livre bien intéressant dont je vous donne le lien si vous voulez compléter les quelques informations que je vous donne. Il s’agit du rapport de Monsieur Plaisant sur l’administration des ateliers de charité de 1789 à 1799. Il est stocké dans la bibliothèque numérique de notre ami Google.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder

Rapport de M. Plaisant
sur l'administration des
Ateliers de Charité
1789-1790

En voici un extrait :

« Monsieur Plaisant qui prit possession de ses fonctions d’administrateur du département des Travaux Publics de la ville de Paris le 19 octobre 1789, évoque l’existence de ces ateliers « établis sans règles, sans principes et presque sans destination, puisque le seul travail auquel furent employés les ouvriers consista dans la construction d’un nouveau chemin de la barrière blanche au sommet de Montmartre ».

L’ouvrage précise en page XII, que : « L’Assemblée des électeurs, ayant reconnu l’immoralité de ces ateliers, dont les frais étaient immenses et le travail presque nul, eut l’énergie d’en ordonner la suppression totale à partir de la fin août et le renvoi des ouvriers dans leurs pays d’origine. ».

    Ces ouvriers mal payés, aussi appelés des brigands par les bourgeois de Paris, étaient estimés à environ 12.000 au début de la révolution et avaient atteint le nombre de 32.000.

    De nouveaux ateliers furent créés ensuite à destination d’ouvriers parisiens "choisis dans les districts" qui ouvrirent le 22 septembre 1789, dont le sieur Plaisant reçut la surveillance. Ils comptaient 3237 ouvriers le 19 octobre, et 4922 au 1er décembre.

« En janvier 1790, la misère extrême régnant à Paris, par suite du manque de travail, au point qu’une quarantaine d’ouvriers était réduits au désespoir, obligea d’admettre dans les ateliers 2000 ouvriers supplémentaires, dont 600 pris dans le Faubourg Saint-Antoine, 500 dans celui de Saint Marceau et les 900 autres dans les districts les plus pauvres, pour arriver à occuper 8000 ouvriers, chiffre maximum indiqué par Monsieur Bailly. A la même époque, la suppression des moulins à bras de l’Ecole militaire mit sur le pavé 1800 ouvriers. »


Petit résumé :

    Vous avez compris que les ateliers de charité furent réouverts à la seule destination des ouvriers parisiens, après que les étrangers, c’est-à-dire les Français ayant fui leurs provinces pour échapper à la misère, eurent-été chassés manu-militari, hors de Paris.

    Vous aurez également remarqué que le dénommé Augustin Hulin était encore de la partie pour chasser les « fainéants ». Souvenez-vous, c’est bien celui qui déjà commandait la petite troupe de militaires qui attaqua la Bastille le 14 Juillet, "en renfort du peuple". C’était également un homme de main du banquier suisse Perrégaux, celui qui contribua à armer le peuple de Paris lors des journées des 12 et 13 juillet. (A vous de tenter des rapprochements).

Pourquoi tant de misère ?

    Peut-être vous demandez-vous comment un pays aussi prétendument riche comme la France du 18ème siècle, pouvait avoir autant de miséreux parcourant ainsi ses chemins, ou comment ses terres aussi riches ne suffisaient-elles pas à produire le blé, au point qu’il fallait en importer d’Algérie pour nourrir Paris ? (Voir discours de Necker du 7 août).

    Certains vous parleront de la croissance démographique, d’autres de la disparité des productions entre les régions qui nécessitait que soit imposée la libre circulation des blés, chère aux économistes physiocrates.

    Fidèle à mon habitude, je vous vous suggérer une autre explication, qui n’invalide d’ailleurs pas les deux précédentes. Je l’ai trouvée en lisant les voyages en France d’Arthur Young, cet agronome anglais dont je vous ai déjà parlé et qui a visité notre beau pays de long en large et en détail durant ces années-là.

    Plusieurs fois, au cours de ses pérégrinations, cet agronome anglais, amis du Duc de Liancourt (lui aussi agronome et entre autres meilleur ami du roi), se lamente de voir les vastes forêts inexploitées entourant les châteaux. Les nobles ne se préoccupant que de chasse, peu leur importait de cultiver ou plutôt faire cultiver ces vastes terres en friches.

Lisez cet extrait du journal de notre ami anglais (traduction et commentaire de l'époque) :

« — Barbezieux, au milieu d’une belle campagne variée d’aspect et boisée ; le marquisat, ainsi que le château, appartient au duc de La Rochefoucauld, que nous y avons rencontré ; il le tient du fameux Louvois, le ministre de Louis XIV. Dans les trente-sept milles compris entre la Garonne, la Dordogne et la Charente, par conséquent ait milieu des marchés les plus importants de la France, il est incroyable que l’on rencontre autant de terres incultes ; c’est ce qui m’a frappé le plus dans cette excursion. Beaucoup de ces terrains appartenaient au prince de Soubise, qui n’en voulait rien céder. Il en est de même chaque fois que vous tombez sur un grand seigneur ; eût-il des millions de revenus, vous êtes sûr de trouver sa propriété déserte. Celles du prince et celles du duc de Bouillon sont des plus grandes de France, et tous les signes que j’ai aperçus de leur grandeur sont des bruyères, des landes, des déserts, des fougeraies. Visitez leur résidence où qu’elle soit, et vous les verrez probablement au milieu des forêts très peuplées de cerfs, de sangliers et de loups. Ah ! Si pour un jour j’étais le législateur de la France, comme je ferais sauter les grands seigneurs ! [Je puis assurer le lecteur que tels étaient alors mes sentiments. ] »

La misère, la grande oubliée de l’histoire de la Révolution.

    J’ai déjà évoqué la misère en France au 18ème siècle, dans un article publié le 17 Août. Je vous parlerai une prochaine fois de Louis Pierre Dufourny de Villiers, architecte né à Paris, qui publiera entre autres le 25 avril 1789, au moment des États généraux de la France, les " Cahiers du quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre les Infortunés, les Hommes sensibles, et les Etats-généraux : pour suppléer au droit de députer directement aux Etats, qui appartient à tout français, mais dont cet Ordre ne jouit pas encore ".

    J’ai trouvé il y a peu un livre intitulé : « Paris capitale des pauvres : quelques réflexions sur le paupérisme parisien entre XVIIe et XVIIIe siècle. »

En voici un premier extrait, il s’agit du témoignage d’un étranger :

« L'auteur anonyme des "Letters on the French nation by a Sicilian gentleman residing at Paris17", éditées à Londres en 1749 remarque :  « Je doute qu'il puisse exister sur terre un enfer plus terrible que d'être pauvre à Paris, que de se voir continuellement au centre de tous les plaisirs sans jamais pouvoir en goûter aucun. Parmi cette profusion d'abondance, on peut voir un nombre infini de pauvres hères qui mendient sur un ton de mélopée comme s'ils chantonnaient ; ils semblent en hiver figés par le froid, et au printemps ils vous proposent des fleurs pour solliciter votre compassion »

Source : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934

    Je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage librement accessible dans lequel vous trouverez des informations qui je le pense, vous étonneront.

Voici le lien y accédant : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934

    Je vous propose, pour conclure, de lire ce paragraphe décrivant la situation de la ville en 1789 :

« La crise de 1788-1789, le chômage généralisé, les difficultés de tous ordres frappant alors l'économie parisienne arrivent au terme d'une période de difficultés et de précarité. Ernest Labrousse en a démontré les effets sociaux. On parle de 200.000 ouvriers sans travail, et déjà la géographie d'une misère à la fois structurelle et conjoncturelle est installée, il faut le souligner, au centre, dans les vieux quartiers, et à la périphérie dans les faubourgs. En dépit de la difficulté certaine pour évaluer les masses parisiennes paupérisables et paupérisées, en dépit de la sagesse des Parisiens qui ne s'émotionnent guère aux moments difficiles par suite de la politique royale résolument protectionniste en matière de subsistances, on peut être assuré de l'importance relative et absolue du paupérisme : Paris est la capitale des pauvres. »

    Vous y aurez reconnu au passage la mention relative à la politique protectionniste de Louis XVI en matière de subsistances.

Lisez sur ce sujet relatif à la politique des subsistances les articles suivants : 

"La pénurie de pain et le manque de farine sont-ils organisés".

"L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et le pourquoi de son origine, l'Algérie."


Post Scriptum : 

    C'est toujours aussi difficile de trouver des images d'époque pour illustrer de tels sujets. Raison pour laquelle j'ai illustré cet article de quelques images de Montmartre, célèbre à l'époque pour ses carrières.


Carrières à l'Est de Montmartre

Plan de Montmartre au 18ème siècle



mardi 4 août 2020

Les voyages en France d'Arthur Young, 1787, 1788 et 1789, à lire absolument !

 Article mis à jour le 6 août 2023


    Je vous ai déjà parlé plusieurs fois d’Arthur Young, cet agronome anglais, ami du Duc de La Rochefoucauld Liancourt, qui voyagea plusieurs fois en France, avant et pendant la Révolution, puis qui publia le récit de ces pérégrinations à travers notre pays.

    Son livre est agréable à lire et sa lecture est même indispensable à qui veut découvrir la France du XVIIIème siècle.

    Je gage que vous serez parfois surpris, en découvrant cette France dont on ne parle guère souvent dans les livres d'histoire. Vous comprendrez alors à quel point la Révolution était inévitable.

    Pour vous donner un aperçu, je vous invite à lire cet extrait dans lequel il parle de sa rencontre avec une malheureuse paysanne, sur une route de Champagne, le 12 juillet 1789 :

"En montant une côte à pied pour ma jument, je fus rejoint par une pauvre femme, qui se plaignit du pays et du temps ; je lui en demandai les raisons. Elle me dit que son mari n’avait qu’un coin de terre, une vache et un pauvre petit cheval : cependant il devait comme serf à un seigneur un franchard (42 Livres.) * de froment et trois poulets, à un autre quatre franchards d’avoine, un poulet et un sou, puis venaient de lourdes tailles et autres impôts. Elle avait sept enfants, et le lait de la vache était tout employé à la soupe. — Mais pourquoi, au lieu d’un cheval, ne pas nourrir une seconde vache ? — Oh ! Son mari ne pourrait pas rentrer si bien ses récoltes sans un cheval, et les ânes ne sont pas d’un usage commun dans le pays. On disait, à présent, qu’il y avait des riches qui voulaient faire quelque chose pour les malheureux de sa classe ; mais elle ne savait ni qui ni comment. Dieu nous vienne en aide, ajouta-t-elle, car les tailles et les droits nous écrasent… — Même d’assez près on lui eût donné de 60 à 70 ans, tant elle était courbée et tant sa figure était ridée et endurcie par le travail ; elle me dit n’en avoir que 28. Un Anglais qui n’a pas quitté son pays ne peut se figurer l’apparence de la majeure partie des paysannes en France : elle annonce, à première vue, un travail dur et pénible ; je les crois plus laborieuses que les hommes, et la fatigue plus douloureuse encore de donner au monde une nouvelle génération d’esclaves venant s’y joindre, elles perdent, toute régularité de traits et tout caractère féminin. A quoi attribuerons-nous cette différence entre la basse classe des deux royaumes ? Au gouvernement. 

Source : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Young_-_Voyages_en_France_en_1787,_1788_et_1789.djvu/298 

    Comment ne pas penser à cette estampe de l'époque en lisant ce témoignage poignant d'Arthur Young ?


Quelques explications sur le Franchard.

    Le système de poids et de mesures en usage en France à la fin du XVIIIème siècle étaient, selon les propos de Talleyrand, évêque-député d’Autun, "d’une variété dont la seule étude épouvante" ; s’y ajoutait une grande complexité. On comptait alors 800 noms pour désigner les mesures et chaque dénomination se déclinait en un nombre infini de valeurs. Au nom "livre", par exemple, correspondaient 500 valeurs différentes allant de 366 g à 519. Il en était de même pour les mesures linéaires et pour les mesures à grains qui faisaient l’objet de ce propos de Talleyrand.

    Le franchard était une des unités de mesure pour le grain sous l'ancien régime. Les unités en usage étaient le boisseau, le bichet, le minot, le franchard, le quartel ou le résal . De plus, leur valeur changeait selon que la mesure était râclée, roiselée, sciée ou comble. Dans la région où Arthur Young rencontre cette femme, le Franchard de Verdun valait 25,56 litres en mesure raclée et 31,95 litres en mesure comble.

    La mesure raclée était obtenue en passant la racloire sur une mesure, pour faire tomber le grain qui s'élève au-dessus des bords

    La mesure "comble et chauchée" est la plus avantageuse ; dans ce cas la différence entre une « mesure rase » et une « mesure comble et chauchée » est dans le rapport de 1 à 1,4.

    L’importance du comble variait selon le diamètre de la mesure : le comble était plus important sur une mesure large et basse que sur une mesure équivalente étroite et haute.

Mesure à grain

Source info sur les mesures : Les mesures à grain du XVIIIe siècle.

Cartes de France

    L'édition en 3 volumes in-8, publiée à Paris par Buisson en 1794 (accessible à la fin de l'article), comprenait les deux belles cartes ci-dessous :

Carte du sol de France

Carte de Navigation et Climat de France

Comment lire Arthur Young ?

    On le trouve facilement en version papier (pas en librairie vous vous en doutez). Mais vous pouvez également le lire dans son intégralité sur le lien suivant :

https://fr.wikisource.org/wiki/Voyages_en_France_en_1787,_1788_et_1789

    Ou tout simplement via ma modeste page qui vous ouvre la fenêtre ci-dessous sur deux exemplaires scannés par la BNF !

L'édition de 1931 préfacée par l'historien Albert Mathiez :

L'édition de 1794 !

dimanche 26 juillet 2020

26 Juillet 1789 : Arthur Young pris à partie, explique comment on paye les impôts en Angleterre.

L'Isle sur Doubs (en 1872)
Dessin de Yves Ducourtioux

Les dangereuses aventures d'un Anglais en France.

    Ce 26 juillet 1789, nous retrouvons Arthur Young, notre ami anglais voyageur, cheminant le long du Doubs, en route vers Besançon. La halte qu'il va faire dans une petite ville va bien faillir lui coûter la vie. En effet, depuis que la nouvelle de la prise de la Bastille est arrivée dans ces contrées, la population est survoltée et cherche à assouvir sa colère sur quelques nobles.

Découvrons son témoignage :

Abbaye de Baume
    "Le 26 (Juillet). Pendant l’espace de sept lieues, jusqu’à l’Isle-sur-Doubs, le pays est à peu près comme celui que je viens de passer ; mais après cela, jusqu’à Baume-les-Dames, il est montueux, plein de rochers et bien boisé ; il s’y trouve plusieurs belles scènes de rivières qui coulent au bas des montagnes. Tout le pays est dans la plus grande fermentation ; dans une des petites villes on m’interpella parce que je n’avais pas de cocarde : on me dit que c’était l’ordre du tiers-état, et que si je n’étais pas un seigneur, je devais obéir ; mais supposons que je fusse un seigneur, qu’en arriverait-il, mes amis ? – Qu’en arriverait-il, me répliquèrent-ils d’un air sévère, vous seriez pendu ; car il est probable que vous le méritez. Il était évident que ce n’était pas le moment de badiner ; les garçons et les filles commencèrent à s’assembler, et ces rassemblements avaient partout été les avant-coureurs des crimes ; de sorte que si je n’avais pas déclaré que j’étais Anglais, et que j’ignorais l’ordre, j’aurais eu de la peine à m’en tirer. J’achetai sur le champ une cocarde, mais la coquine qui me la vendit l’attacha si mal qu’avant d’arriver à l’Isle, le vent l’emporta dans la rivière, et je me trouvai dans le même danger. J’eus beau dire que j’étais Anglais, on me répondit que j’étais peut-être un seigneur déguisé, et sans doute un grand coquin. Dans ce moment un prêtre vint dans la rue, une lettre à la main : le peuple s’attroupa sur le champ autour de lui ; il lut alors à haute voix le détail de ce qui s’était passé à Belfort, avec une relation du passage de M. Necker, et des nouvelles générales de Paris, en donnant des assurances que l’on améliorerait le sort du peuple ; quand il eut fini, il les exhorta à s’abstenir de toute violence, et leur dit de ne point se flatter que tous les impôts allaient être abolis, leur parlant comme s’ils eussent eu de pareilles idées.

Le Saut du Doubs
    Lorsqu’il fut retiré, ils m’entourèrent de nouveau, car j’étais resté comme les autres pour entendre la lecture de la lettre, firent des gestes menaçants et témoignèrent beaucoup de soupçons. Je n’étais pas du tout satisfait de ma situation, surtout quand j’entendis l’un d’entre eux dire qu’il fallait m’arrêter jusqu’à ce que quelqu’un pût rendre compte de moi. J’étais sur le seuil de l’auberge, et les priai de m’accorder un moment la parole ; je les assurai que j’étais un voyageur anglais, et pour le prouver, je demandai à leur expliquer une circonstance de la manière d’asseoir les impôts en Angleterre, qui serait un commentaire satisfaisant sur ce que M. L’abbé leur avait dit, car je n’étais pas d’accord avec lui. Il avait assuré que les impôts seraient et devaient être payés comme autrefois ; il était certain qu’il fallait lever des impôts, mais non pas comme autrefois, puisqu’on pouvait mettre des taxes comme en Angleterre. Messieurs, ajoutai-je, nous avons en Angleterre un grand nombre d’impôts dont vous n’avez pas d’idée en France ; mais le tiers-état, les pauvres ne les paient pas : ils sont mis sur les riches chaque fenêtre d’une maison paie, mais si un homme n’a pas plus de six fenêtres, il ne paie rien : un seigneur qui a de grands biens paie les vingtièmes et la taille, mais le petit propriétaire d’un jardin ne paie rien : les riches paient pour leurs chevaux, leurs voitures, leurs domestiques, et même pour avoir la liberté de tuer leurs propres perdrix, mais le pauvre fermier ne paie rien de cela ; et ce qui est encore plus, les riches, en Angleterre, paient une taxe pour les pauvres ; donc l’assertion de M. L’abbé ; qui voulait que, parce qu’il y avait autrefois des impôts, il fallait que ces mêmes impôts fussent toujours perçus, n’était pas juste, parce qu’on pouvait les lever d’une autre manière, et la méthode anglaise paraissait beaucoup meilleure. Il n’y eut pas un mot de ce discours qui ne fût à leur gré ; Ils commencèrent à croire que je pouvais être un honnête homme, ce que je confirmai en criant, vive le tiers, sans impositions. Ils me régalèrent alors d’une acclamation, et, et ne m’interrompirent plus davantage. Mon mauvais français allait de pair avec leur patois. J’achetai néanmoins une autre cocarde que j’eus soin de faire attacher de manière à ne plus la perdre. Je n’aime pas beaucoup à voyager dans ces temps de fermentation ; on n’est pas un moment de sûreté."

    Etonnant, non ? Quelle idée étrange que celle de faire payer aux gens leurs impôts gens en fonction de leurs moyens ! 

 Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102002g/f471.item






samedi 18 juillet 2020

18 Juillet 1789 : La chasse à la grosse bête, ou l'hydre aristocratique !

 N'oublions pas que le citoyen Basset, était un marchand d'estampe !

    Raison pour laquelle je vous présente cette estampe qui raconte à sa façon, les événements qui se sont déroulés du 12 au 14 juillet à Paris. Celle qui suit est une variante, (ou une copie) de la première, signe qu'elle devait bien se vendre !

Je vous ai retranscrit la légende juste en-dessous de la gravure.


Chasse patriotique à la grosse bête

"La postérité apprendra qu’en 1789, le 12 juillet vers les 4h du soir plusieurs personnes assurèrent avoir vu aux environs de Paris sur le chemin de Versailles, une bête d’une grandeur énorme et d’une forme si extraordinaire qu’on n’avait jamais vu sa pareille. Cette nouvelle répandit l’alarme universelle dans la Ville et mis les habitants dans une violente agitation, on cria de toutes parts Aux Armes ? Aux Armes sans pouvoir en trouver : il semblait que la bête les eut toutes avalées avec les munitions. Aussitôt on en forgea d’aussi extraordinaires que l’animal que l’on avait à combattre. Le 13 on continua de s’agiter de s’armer et de courir après la bête sans pouvoir la rencontrer. Le 14 suivant, jour à jamais mémorable pour la France qui gémit, cent-mille personnes coururent à l’Hôtel des Invalides en emportèrent les canons et soixante milles fusils, de manière qu’il se trouva plus de deux cent mille hommes armés qui cherchèrent la Bête de toutes parts. Comme l’on soupçonna qu’elles s’étaient retirées à la Bastille, on s’y porte avec un courage héroïque, et cet antre du despotisme malgré cent bouches d’Airain qui vomissaient du feu, fut emporté d’assaut en deux heures de temps. Sitôt cette victoire, parut le monstre à cent têtes, sa forme hideuse fit voir qu’elle était d’espèce Aristocratique. Soudain nos plus braves chasseurs la saisirent de toutes parts et c’est à qui lui coupera plus de têtes. Ce monstre qui trainait à sa suite la désolation la famine et la mort disparut aussitôt sous cent formes différentes et s’enfuit languissant chez l’étranger, emportant avec lui le désespoir et la honte de sa défaite."




    Les explications allégoriques données par cette estampe répondent-elles aux questions que vous vous posez ? Il semble que les gens aient voulu combattre l'aristocratie, cette élite qu'il jugeait être leur ennemie, comme celle de leur bon roi Louis. Nous verrons dans les années à venir, fleurir nombre de caricatures violemment antiaristocratiques.

  





vendredi 19 juin 2020

19 Juin 1789 : Fondation du journal « Le Point du Jour » par Bertrand Barère

 

    Je partage avec vous cette nouvelle source d’information numérique. Il s’agit du journal fondé par Bertrand Barère, dit Barère de Vieuzac « Le Point du Jour, ou Résultat de ce qui s’est passé la veille à l’Assemblée Nationale ». Son objet était de rendre compte des discussions et décrets de l’Assemblée et donner son avis sur les réformes à mettre en place. Ce journal connu un grand succès. Bertrand Barère publia son journal jusqu’au 31 septembre 1791.

Vous vous doutez bien que j’y jette un œil de temps en temps pour alimenter ma chronique. Mais comme je suis partageur, je vous ouvre une fenêtre sur ledit document, en bas de cet article !

Voici tout de même un court extrait de la fiche Wikipédia de Bertrand Barère, pour lequel j’éprouve une certaine sympathie.

"Bertrand Barère dit Barère de Vieuzac, né le 10 septembre 1755 à Tarbes, où il est mort le 13 janvier 1841, est un homme politique de la Révolution française et juriste français.

Bertrand Barère

Avocat méridional, élu à la Constituante, puis à la Convention où il est une des têtes politiques de la Plaine (la majorité des députés) avant de se rallier comme elle et jusqu’au 9 thermidor à la Montagne, menée par Robespierre, Bertrand Barère est l'un des orateurs les plus importants de la Révolution : l’énoncé de ses motions et de ses rapports occupe plus de douze colonnes du Moniteur, contre huit pour Robespierre et deux pour Danton.

Rapporteur attitré du Comité de salut public (où il détient le record de longévité : dix-sept mois), ses discours lui valent un succès prodigieux à la Convention : il est l’aède des soldats de l’an II avec ses carmagnoles et donne un visage avenant, par sa verve, aux mesures d’exceptions du gouvernement révolutionnaire (Wikipédia qui est de parti pris, qualifie les mesures de « terroristes »).

Proscrit sous le Directoire, amnistié sous le Consulat et l’Empire, exilé sous la Restauration, rentré en France sous Louis-Philippe, il meurt à 85 ans, conseiller général à Tarbes. Pendant cette dernière période, il sera élu à trois reprises député par les électeurs des Hautes-Pyrénées : 1797, 1815, 1834, ces élections, sauf celle des Cent-Jours, étant à chaque fois annulées par les pouvoirs en place."