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mercredi 11 novembre 2020

11 Novembre 1789 : Hubert Robert dit non à la Polignac, ancienne locataire des Tuileries.

 

Hubert Robert, peint par Elisabeth Vigée Lebrun
Le roi emménage.

    L’emménagement du roi aux Tuileries a causé un peu de remue-ménage. Le palais hébergeait en effet nombre d’occupants qui ont dû déménager précipitamment ! Aux Tuileries comme au Louvre, salons et antichambres ont été prestement débarrassés de quelques hôtes importuns, voire abusifs. La Duchesse de Polignac, par exemple, avait du temps de ses séjours aux Tuileries, exigé des réparations et des embellissements pour « son » appartement. Et elle voudrait, à présent qu’elle est réfugiée à Rome, faire décrocher pour elle quelques-uns des tableaux de la collection royale.

    Favorite de la reine, la Polignac avait quitté Paris avec sa famille, deux jours après la prise de la Bastille, à demande des souverains. La reine lui avait offert une bourse de 500 Louis et lui avait écrit ce petit mot, oh combien touchant : « Adieu la plus tendre des amies ; le mot est affreux, mais il le faut ; je n'ai que la force de vous embrasser. »

    Certains français, beaucoup moins chaleureux, lui firent d'autres adieux, dans un pamphlet vertement rédigé, que vous pourrez lire ici, et en bas de cette page.

    Revenons aux tableaux demandés ! Ceux-ci ne quitteront pas la France. Hubert Robert, le garde des Tableaux du roi, si opposera formellement.

    Hubert Robert, (né le 22 mai 1733, à Paris - mort le 15 avril 1808, dans la même ville) était également l’un des principaux artistes français du XVIIIe siècle. A la fois dessinateur, peintre, graveur, professeur de dessin, créateur de jardins, cet homme talentueux et érudit deviendra plus tard le conservateur du Musée central des arts de la République, (le futur musée du Louvre).

    Les deux protagonistes de cette anecdote ont eu le bonheur d’être portraiturés par la grande artiste Elisabeth Vigée Lebrun.

Vous pouvez les admirer, ci-dessous, ainsi que le bel autoportrait d’ Elisabeth Vigée Lebrun


Duchesse de Polignac (1782)


Duchesse de Polignac (1783)


Elisabeth Vigée Lebrun (1790)


    Et voici le fameux pamphlet, qui donne une petite idée de la "popularité" de cette favorite de la Reine en 1789...


samedi 7 novembre 2020

7 Novembre 1789 : Non Mirabeau, tu ne seras pas ministre ! L’Assemblée interdit cette fonction aux députés.




    Une fois de plus, Mirabeau est l'homme de la journée ! 

    Avant de vous raconter la journée du 7 novembre à l'Assemblée, je pense qu'il serait utile de poursuivre la description de ce "grand homme", que j'avais déjà commencée, dans mon article du 3 octobre "Mais que complote Mirabeau au Palais royal ?". Cela nous aidera à le comprendre un peu mieux.

    Mirabeau est indéniablement le "grand homme" de ce début de Révolution, et il le sait ! La Révolution l’a rendu grand et puissant. Mais il veut occuper la place qu’il mérite, et ce, quelques soient les moyens ou même le parti à prendre. Il est omniprésent à l’Assemblée, éclairant et orientant souvent celle-ci au gré de ses discours brillants. Mais hélas pour lui, les députés se méfient de Mirabeau et de sa grande ambition.

    Mirabeau joue sur tous les tableaux pour parvenir à ses fins. Raison pour laquelle il prodigue ses conseils au roi, qui le paye même grassement pour cela. Mais hélas pour lui, le roi, lui aussi, se méfie de Mirabeau et la reine en a même peur !

Conseil de lecture

    Afin de mieux comprendre ce personnage si complexe, je vous conseille de lire le petit livre de Marc Girardin, (homme politique et critique littéraire français du 19ème siècle) « Mirabeau et la cour de Louis XVI ». L’auteur s’appuie en grande partie sur les souvenirs du Comte de La Marck, qui était à la fois un proche du roi et de la reine, et aussi étonnant que cela puisse paraître, un ami de Mirabeau, ou pour le moins quelqu’un qui le connaissait bien et qui l’estimait à sa juste mesure.

Les deux parties de cet ouvrage sont accessibles par les liens ci-dessous :

    Gardez bien à l'esprit si vous le lisez, qu'il ne s'agit que là que de la perception qu'avait le Comte de la Marck de ce sacré Mirabeau, filtration doublement passée au filtre des préjugés de Marc Girardin, qui se faisait appeler De Saint-Girardin ! 

Esquissons le portrait 

A ma façon ?

    Une fois n'est pas coutume, je vais brièvement vous faire part de mon impression. Mirabeau me fait penser à Obélix ou plutôt à Gérard Depardieu. C'est un personnage excessif, une sorte d'ogre politique, brillant mais encombré de lui-même. De plus, le malheureux était, selon l'expression de Victor Hugo, "d'une laideur grandiose et fulgurante". Né dans une famille d'aristocrates proches de Louis XV, il avait grandi à l'ombre de son père, un économiste physiocrate renommé, Victor Riqueti de Mirabeau. Que ceux qui ne le trouvent pas assez révolutionnaire, comprennent bien qu'avec un tel déterminisme familial et social, il ne pouvait l'être plus qu'il ne le fut. Je le trouve parfois un peu fatiguant, mais lui aussi devait se fatiguer de lui-même avec ses revirements incessants et son incapacité à refreiner ses excès ; comme il devait se fatiguer aussi de la médiocrité de nombre de ses alliés et adversaires ! C'est difficile d'éprouver de l'admiration pour Mirabeau. Mais si l'on y réfléchi bien, c'est un révolutionnaire qui n'a fait tuer personne, (ou qui n'en a pas eu le temps ?)

Façon Girardin, à présent. 

    A l’aide de quelques extraits de son petit livre, essayons d’esquisser un portrait rapide de Mirabeau ! (J'ai un peu corrigé l'orthographe d'époque pour les traducteurs du WEB).

Grand et petit.

« il était à la fois, comme le dit M. de La Marck dans une lettre au comte de Mercy-Argenteau, « bien grand et bien petit, souvent au-dessus et quelquefois fort au- dessous des autres, » accessible au plaisir de gagner beaucoup d’argent pour en beaucoup dépenser, accessible aussi à la pitié et à l’émotion, prompt aux bons sentiments comme aux mauvais, d’une admirable sagacité dans les affaires politiques ; capable dans un mouvement de dépit d’oublier toutes ses prévisions et toutes ses convictions, capable de faire le contraire de ce qu’il veut et de ce qu’il pense ; décidé à être important et puissant, soit par la cour, soit par le peuple, selon le moment, »

Intelligent et fier.

« Mirabeau était assurément une grande intelligence ; mais de plus il y avait dans son âme un coin de bonté et de grandeur : la pureté lui manquait, mais non la chaleur. Mirabeau était fier, mais je croix qu’il n’était pas vain, et les gens fiers ont cela de bon, qu’ils peuvent aimer les autres et s’y intéresser ; seulement ils aiment de haut. Ils peuvent aussi être aimés, seulement ils ne peuvent l’être que par les bonnes natures, par celles qui ne sont pas vaines et qui ne répugnent pas à la supériorité d’autrui. »

Amoureux de la Révolution.

« il aime la révolution non pas seulement parce que cette révolution l’a fait grand et puissant, il l’aime parce qu’il la croit bonne et légitime. Et ici entendons-nous bien : ce qu’il aime, ce n’est pas la révolution tumultueuse et violente, ce n’est pas la révolution des journées des 5 et 6 octobre, dans lesquelles on voulut sottement impliquer Mirabeau, qui les détestait et les croyait funestes, puisqu’elles avaient amené le roi et l’assemblée à Paris, c’est à dire au milieu du volcan qui devait les engloutir ; ce qu’il aime, c’est la révolution telle qu’elle est dans la pensée des honnêtes gens et telle qu’elle sera dans l’avenir. Mirabeau voit le mal présent, qui est grande et qu’il veut combattre énergiquement ; mais il prévoit les changements généraux et salutaires que la révolution de 89 doit amener dans la société, et ce sont ces changements qu’il aime. »

N'inspirant confiance ni au roi ni à la reine.

« Le roi et la reine, qui n’avaient qu’une demi-confiance en M. de La Marck lui-même, le plus loyal et le plus judicieux des hommes, se défiaient de Mirabeau ; quoi de plus naturel ? Ils ne suivaient pas ses conseils, souvent même ils en suivaient d’autres. Alors Mirabeau, qui se trouvait inutile et qui pouvait se croire méprisé, se rejetait dans le parti révolutionnaire et se livrait à sa fougue, voulant être important et puissant d’une manière ou de l’autre. Ces saccades qui passaient pour des trahisons faisaient qu’on se défiait encore plus de lui, et que ses conseils devenaient d’autant plus inutiles. »

Trahi par l'immoralité de sa jeunesse.

« Mirabeau sentait cela et s’en irritait d’autant plus qu’il comprenait bien que cette défiance ou cette répugnance, il la méritait par sa vie passée « Ah ! Répétait-il souvent à M. de La Marck, que l’immoralité de ma jeunesse fait de tort à la chose publique ! » Mais ce qu’il faut remarquer, c’est que, pour se venger de cette défiance, il semblait s’appliquer à la mériter davantage en redevenant révolutionnaire par dépit ; »

Sous-estimé.

« La cour, qui avait acheté Mirabeau, voulait qu’il la servît, et Mirabeau, de son côté, qui s’était fait le conseiller de la cour, voulait qui la cour suivit ses conseils et ne suivît que ceux-là. Sa fierté s’indignait qu’on consultât d’autres que lui et des gens surtout qui ne le valaient pas ; mais le discernement des hommes est difficile aux princes, auxquels pourtant il est si nécessaire. Comme ils ne vivent pas au milieu de la société, ils ne savent pas le rang que l’opinion commune fait à chaque homme, et ils sont sans cesse exposés à trop estimer les uns et à ne pas assez estimer les autres. Cette confusion bizarre et involontaire qu’ils font entre les grands et les petits irrite beaucoup ceux qui savent leur taille. »

Le plan de Mirabeau.

J’hésite un peu à vous révéler son plan, car nous n’en avons pas encore fini avec lui. Mais le voici, selon la version donnée par Marc Girardin :

« Un plan et un homme. Le plan, Mirabeau l’avait, et il le développait dans les notes qu’il adressait au roi, et qui sont le fond et le sujet de la correspondance avec M. de La Marck. Nous examinerons plus tard ce plan, qui n’est pas, disons-le dès ce moment, un plan de contre-révolution, mais un plan de gouvernement constitutionnel. Quant à l’homme qui doit exécuter ce plan, c’est Mirabeau lui-même, mais Mirabeau écouté et obéi. Il écrivait à M. de Lafayette dans une de ces tentatives de rapprochement qui furent souvent faites entre M. de Lafayette et Mirabeau, et qui échouèrent toujours, il écrivait : « Je devrais être votre conseil habituel, votre ami abandonné, le dictateur enfin, permettez-moi le mot, du dictateur… Oh ! Monsieur de Lafayette, Richelieu fut Richelieu contre la nation pour la cour, et, quoique Richelieu ait fait beaucoup de mal à la liberté publique, il fit une assez grande masse de bien à la monarchie. Soyez Richelieu sur la cour pour la nation, et vous referez la monarchie en agrandissant et consolidant la liberté publique. Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion, mon impulsion a besoin de vos grandes qualités, et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! — Ah ! Vous forfaites à votre destinée ! »

 

Revenons à l’Assemblée !

    Le 29 septembre dernier, Mirabeau avait demandé à celle-ci qu’elle décide si la qualité de ministre excluait de l'Assemblée, et si tous ceux qui seraient promus au ministère pendant qu'ils seraient députés auraient besoin d'une seconde élection pour rentrer dans l'Assemblée. La motion de M. de Mirabeau avait été applaudie ; mais M. le président avait observé qu'il y en avait déjà deux sur le bureau ; ce qui faisait renvoyer cette motion-ci à l'époque où l'on s'occuperait de la qualité de ceux qui seraient éligibles.

Sources :

    Plus tard, Mirabeau avait même formulé le souhait que le roi soit obligé de choisir ses ministres parmi les députés !

    La veille encore, à la suite d'une motion de Mirabeau, les députés avaient longuement débattu sur la présence éventuelle des ministres et leur éventuelle participation aux débats.

    En résumé, les députés ont bien compris que Mirabeau se verrait bien ministre, et vu comment va se terminer la discussion de ce 7 novembre, nous allons même voir que Mirabeau a compris que les députés avaient compris !

    Probablement vexé, mais fidèle à lui-même, Mirabeau va donc faire un coup d’éclat à sa façon, en s’excluant lui-même de la motion qu’il a proposée ! Lisez plutôt :

« Je dis ensuite : moi-même, parce que des bruits populaires répandus sur mon compte ont donné des craintes à certaines personne ?, et peut-être des espérances à quelques autres ; qu'il est très-possible que l'auteur de la motion ait cru ces bruits, qu'il est très-possible encore qu'il ait de moi l'idée que j'en ai moi-même ; et dès lors je ne suis pas étonné qu'il me croie incapable de remplir une mission que je regarde comme fort au-dessus, non de mon zèle ni de mon courage, mais de mes lumières et de mes talents, surtout si elle devait me priver des leçons et des conseils que je n'ai cessé de recevoir dans cette Assemblée.

Voici donc, Messieurs, l'amendement que je vous propose : c'est de borner l'exclusion demandée à M. de Mirabeau, député des communes de la sénéchaussée d'Aix.

Je me croirai fort heureux si, au prix de mon exclusion, je puis conserver à cette Assemblée l'espérance de voir plusieurs membres, dignes de toute ma confiance et de tout mon respect, devenir les conseillers intimes de la nation et du Roi, que je ne cesserai de regarder comme indivisibles. »

Voilà comment était Mirabeau !

Je vous laisse lire si vous le souhaitez, la totalité de la discussion qui aboutira à ce fameux décret du 7 novembre 1789.

Discussion sur la troisième partie de la motion de M. le comte de Mirabeau relative à l'entrée des ministres dans l'Assemblée, lors de la séance du 7 novembre 1789

M. de Montlosier :

« Messieurs, depuis quelque temps nous voyons se produire des motions imprévues dont les auteurs pressent la décision.

C'est un désordre dangereux et funeste, puisqu'il tend à concentrer toutes les déterminations de l'Assemblée entre un petit nombre de membres qui savent se concerter et se combiner d'avance pour diriger seul tous les mouvements.

J'approuve en principe les deux premiers points de la motion de M. de Mirabeau, à cette exception près que je trouve excessivement dangereuse l'extension qu'on veut donner à la caisse nationale.

Quant à l'admission des ministres, je m'étonne que des amis de la liberté aient appuyé de leurs suffrages un projet aussi vicieux en principe que dangereux dans ses conséquences et pernicieux dans ses effets. Nous n'avons pas le pouvoir d'accorder à des étrangers une influence nationale ; nous ne pouvons créer de notre propre autorité des membres du corps législatif, qui ne peuvent l'être que par l'action du peuple ; qu'on ne veuille point nous en imposer par la distinction de voix délibérative et consultative ; elles forment l'une et l'autre le double caractère que le peuple français nous a transmis. Prétendre en livrer à des étrangers la moindre partie, sans sa participation, c'est un sacrilège constitutionnel, un crime de lèse-patrie.

Accorder à des ministres voix consultative, n'est-ce pas tout leur accorder ? N'est-ce pas accorder à des hommes souvent peu citoyens, à des hommes choisis, excités par le gouvernement même à nous tendre des pièges, la faculté de s'emparer de nos débats, de les éclairer de leur fausse lumière, de les remplir de leur fausse doctrine ; n'est-ce pas enfin mettre dans les mains du gouvernement cette initiative funeste que votre sagesse, que l'Angleterre et que tons vos voisins ont proscrite ? Qu'on cesse donc de nous opposer l'usage de l'Angleterre, où la seule nomination au ministère d'un homme qui a déjà le vœu du peuple est un titre d'exclusion du Corps législatif, puisqu'il faut une réélection expresse pour l'y conserver ; est-ce d'après un pareil exemple qu'on veut nous prouver que le choix du prince seul peut faire siéger parmi nous, contre le vœu du peuple, un homme déjà privé de sa confiance et de ses suffrages ? C'est assurément une dérision.

Quant à l'utilité de cette admission, je n'en vois aucune ; nous avons des comités dans toutes les parties de l'administration ; ces comités peuvent conférer avec les ministres, et leurs instructions ainsi transmises peuvent produire les heureux effets que vous en attendez. Ainsi je pense que nous ne pouvons pas en principe et que nous ne devons pas en politique nous occuper de cette troisième partie de la motion faite hier par M. le comte de Mirabeau. Peut-être, quand nous nous prononcerons définitivement sur l'admission des ministres dans le corps législatif, je dirai, comme en Angleterre, que la confiance du peuple doit être au-dessus de tout, mais alors c'est le citoyen que je veux y voir et non le ministre. M. de Mirabeau, au contraire, veut y voir le ministre plutôt que le citoyen ; il y a sans doute dans cette proposition un sens mystique, sans quoi il est évident qu'une pareille proposition serait le renversement de tout bon principe et de toute bonne politique. »

M. Lanjuinais.

« Mes cahiers me défendent d'opiner devant les ministres, je ne puis donc adopter la proposition de M. de Mirabeau. Nos principes me le défendent encore ; nous avons voulu séparer les pouvoirs, et nous réunirions dans les ministres le pouvoir législatif au pouvoir exécutif, en leur donnant la voix consultative, qui, sans contredit, tient de bien près à la voix délibérative ; nous les exposerions à être le jouet des hommes ambitieux, s'il s'en trouvait dans cette Assemblée. Leur admission ne produirait pas le bien que vous attendez. Elle serait dangereuse, elle serait inutile, toutes les fois que vous vous occuperiez de la Constitution. Quand vous aurez à vous plaindre d'eux, ne pouvez-vous pas les mander ? On a craint les conférences des comités ; mais on conférera toujours, et vous amènerez deux inconvénients, en cherchant à en éviter un.

Je propose de joindre à la question de savoir si les ministres auront voix consultative, celle de la voix délibérative, parce que l'une est l'autre. Je demande l'ajournement de toutes deux.

Mais, dans le cas où la motion de M. de Mirabeau serait adoptée, je présente, pour en balancer l'effet, un article presque entièrement extrait de mon cahier :

« Les représentants de la nation ne pourront obtenir du pouvoir exécutif, pendant la législature dont ils seront membres, et pendant les trois années suivantes, aucune place dans le ministère, aucune grâce, aucun emploi, aucune commission, avancement, pension et émolument, sous peine de nullité et d'être privés des droits de citoyens actifs pendant cinq ans. »

M. Blin.

« La question semble détachée de la Constitution et n'être que provisoire ; mais l'autorité du passé sur l'avenir lie les faits à tous les temps.

M. de Mirabeau appuie son opinion sur trois choses : premièrement la nécessité des éclaircissements ; mais les ministres peuvent, sur le point qui est en débat, communiquer leurs lumières à l'Assemblée, qui ne doit rien rejeter de ce qui tend à l'instruire ; secondement le danger des comités : je demande qu'on m'explique ce danger ; les membres qui les composent, choisis par l'Assemblée, sont dignes de sa confiance…. Dans les conférences avec les ministres, on peut entrer dans des détails plus minutieux ; on peut s'éloigner de cette circonspection que commande une assemblée nombreuse ; la vérité y gagne ; et ces-sera-t-elle d'être la vérité, quand elle passera dans les oreilles de MM. du comité, avant de frapper les vôtres ? Troisièmement, l'exemple de l'Angleterre. Il y a dans le parlement de cette nation une majorité corrompue, et qui ne prend même pas la peine de cacher le trafic de ses voix…. En examinant les notes de cette assemblée, on voit un grand nombre de motions utiles rejetées par la majorité ministérielle ; c'est elle qui a occasionné la perte des colonies ..... Les passions y sont toujours actives, et dans cette lutte continuelle. L'Assemblée, réduite au rôle de spectatrice, n'a d'existence réelle que dans les changements des ministres. L'auteur anglais des Lettres de Junius dit, en parlant du parlement d'Angleterre : « C'est un spectacle bien humiliant aux yeux de l'homme sensible, qu'une assemblée représentant tout un peuple soit dégradée par la présence d'un ministre.... L'ordre essentiel est détruit, le président n'est qu'un être secondaire, et les yeux sont tournés sur le ministre …. »

Ce n'est donc pas chez les Anglais que l'auteur de la motion devait chercher des exemples ….

En admettant les ministres, la responsabilité devient une chimère ; n'ayant pas de commettants, ils n'auraient personne à qui répondre. Il faut, ou que les ministres dirigent l'Assemblée, ou qu'ils cèdent à l'Assemblée : dans le premier cas nulle liberté ; dans le second, avilissement du pouvoir exécutif ...... Ainsi, ni d'après les considérations présentées, ni d'après l'exemple de l'Angleterre, ni d'après nos propres principes, les ministres ne peuvent être admis.

Si cependant cette motion était décrétée, je vous demanderais d'adopter l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer et qui est ainsi conçu :

« Aucun membre de l'Assemblée nationale ne pourra désormais passer au ministère pendant la durée de la session actuelle. »

On applaudit, on crie : Aux voix !

L'Assemblée délibère, et n'adopte pas l'ajournement proposé par M. Lanjuinais.

On lit les articles additionnels, présentés par MM. Lanjuinais et Blin.

Celui du premier est mis à la discussion.

M. Malouet en demande la division, et la réduit à peu près aux mêmes termes que ceux de M. Blin.

M. le comte de Mirabeau.

« La question que l'on vous propose est un problème à résoudre. Il ne s'agit que de faire disparaître l'inconnu, et le problème est résolu.

Je ne puis croire que l'auteur de la motion veuille sérieusement faire décider que l'élite de la nation ne peut pas renfermer un bon ministre ;

Que la confiance accordée par la nation à un citoyen doit être un titre d'exclusion à la confiance du monarque ;

Que le Roi qui, dans ces moments difficiles, est venu demander des conseils aux représentants de la grande famille, ne puisse prendre le conseil de tel de ces représentants qu'il voudra choisir ;

Qu'en déclarant que tous les citoyens ont une égale aptitude à tous les emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents, il faille excepter de cette aptitude et de cette égalité de droits les douze cents députés honorés du suffrage d'un grand peuple ;

Que l'Assemblée nationale et le ministère doivent être tellement divisés, tellement opposés l'un à l'autre, qu'il faille écarter tous les moyens qui pourraient établir plus d'intimité, plus de confiance, plus d'unité dans les desseins et dans les démarches.

Non, Messieurs, je ne crois pas que tel soit l'objet de la motion, parce qu'il ne sera jamais en mon pouvoir de croire une chose absurde.

Je ne puis non plus imaginer qu'un des moyens de salut public chez nos voisins ne puisse être qu'une source de maux parmi nous ;

Que nous ne puissions profiter des mêmes avantages que les Communes anglaises retirent de la présence de leurs ministres ;

Que cette présence ne fût parmi nous qu'un instrument de corruption ou une source de défiance, tandis qu'elle permet au parlement d'Angleterre de connaître à chaque instant les desseins de la cour, de faire rendre compte aux agents de l'autorité, de les surveiller, de les instruire, de comparer les moyens avec les projets, et d'établir cette marche uniforme qui surmonte tous les obstacles.

Je ne puis croire, non plus, que l'on veuille faire cette injure au ministère, de penser que quiconque en fera partie doit être suspect par cela seul à l'Assemblée législative ;

A trois ministres déjà pris dans le sein de cette Assemblée, et presque d'après ses suffrages, que cet exemple a fait sentir qu'une pareille promotion serait dangereuse à l'avenir ;

A chacun des membres de cette Assemblée, que s'il était appelé au ministère pour avoir fait son devoir de citoyen, il cesserait de le remplir par cela seul qu'il serait ministre ;

Enfin à cette Assemblée elle-même qu'elle ferait redouter un mauvais ministre, dans quelque rang qu'il fût placé, et quels que fussent ses pouvoirs, après la responsabilité que vous avez établie.

Je me demande d'ailleurs à moi-même : est-ce un point de constitution que l'on veut fixer ? Le moment n'est point encore venu d'examiner si les fonctions du ministère sont incompatibles avec la qualité de représentant de la nation ; et ce n'est pas sans la discuter avec lenteur qu'une pareille question pourrait être décidée.

Est-ce une simple règle de police que l'on veut établir ? C'est alors une première loi à laquelle il faut peut-être obéir, celle de nos mandats, sans lesquels nul de nous ne saurait ce qu'il est ; et, sous ce rapport, il faudrait peut-être examiner s'il dépend de cette Assemblée d'établir pour cette session une incompatibilité que les mandats n'ont point prévue, et à laquelle aucun député ne s'est soumis.

Voudrait-on défendre à chacun des représentants de donner sa démission ? Notre liberté serait violée.

Voudrait-on empêcher celui qui aurait donné sa démission d'accepter une place dans le ministère ? C'est la liberté du pouvoir exécutif que l'on voudrait limiter.

Voudrait-on priver les mandants du droit de réélire le député que le monarque appellerait dans son conseil ? Ce n'est point alors une simple loi de police qu'il s'agit de faire ; c'est un point de constitution qu'il faut établir.

Je me dis encore à moi-même : il fut un moment où l'Assemblée nationale ne voyait d'autre espoir de salut que dans une promotion de ministres qui, pris dans son sein, désignés en quelque sorte par elle, adopteraient ses mesures et partageraient ses principes.

Je me dis : le ministère sera-t-il toujours assez bien choisi pour que la nation n'ait aucun changement à désirer ? Eût-il-il choisi de cette manière, un tel ministère serait-il éternel ?

Je me dis encore : le choix des bons ministres est-il si facile qu'on ne doive pas craindre de borner le nombre de ceux parmi lesquels un tel choix peut être fait ?

Quel que soit le nombre des hommes d'Etat que renferme une nation aussi éclairée que la nôtre, n'est-ce rien que de rendre inéligibles douze cents citoyens qui sont déjà l'élite de cette nation ?

Je me demande : sont-ce des courtisans ou ceux à qui la nation n'a point donné sa confiance, quoique peut-être ils ne se soient mis sur les rangs que pour la solliciter, que le Roi devra préférer aux députés du peuple ?

Oserait-on dire que le ministre en qui la nation avait mis toute son espérance et qu'elle a rappelé par le suffrage le plus universel et le plus honorable, après l'orage qui l'avait écarté, n'aurait pu devenir ministre, si nous avions eu le bonheur de le voir assis parmi nous ?

Non, Messieurs, je ne puis croire à aucune de ces conséquences, ni par cela même à l'objet apparent de la motion que l'on vient de vous proposer. Je suis donc forcé de penser, pour rendre hommage aux intentions de celui qui l'a faite, que quelque motif secret la justifie, et je vais tâcher de le deviner.

Je crois, Messieurs, qu'il peut être utile d'empêcher que tel membre de l'Assemblée n'entre dans le ministère.

Mais comme, pour obtenir cet avantage particulier, il ne convient pas de sacrifier un grand principe, je propose pour amendement l'exclusion du ministère aux membres de l'Assemblée que l'auteur de la motion paraît redouter, et je me charge de vous les faire connaître.

Il n'y a, Messieurs, que deux personnes dans l'Assemblée qui puissent être l'objet secret de la motion. Les autres ont donné assez de preuve de liberté, de courage et d'esprit public, pour rassurer l'honorable député ; mais il y a deux membres sur lesquels lui et moi pouvons parler avec plus de liberté, qu'il dépend de lui et de moi d'exclure, et certainement sa motion ne peut porter que sur l'un des deux.

Quels sont ces membres ? Vous l'avez déjà deviné, Messieurs ; c'est ou l'auteur de la motion, ou moi.

Je dis d'abord l'auteur de la motion, parce qu'il est impossible que sa modestie embarrassée ou son courage mal affermi ait redouté quelque grande marque de confiance, et qu'il ait voulu se ménager le moyen de la refuser, en faisant admettre une exclusion générale.

Je dis ensuite : moi-même, parce que des bruits populaires répandus sur mon compte ont donné des craintes à certaines personne ?, et peut-être des espérances à quelques autres ; qu'il est très-possible que l'auteur de la motion ait cru ces bruits, qu'il est très-possible encore qu'il ait de moi l'idée que j'en ai moi-même ; et dès lors je ne suis pas étonné qu'il me croie incapable de remplir une mission que je regarde comme fort au-dessus, non de mon zèle ni de mon courage, mais de mes lumières et de mes talents, surtout si elle devait me priver des leçons et des conseils que je n'ai cessé de recevoir dans cette Assemblée.

Voici donc, Messieurs, l'amendement que je vous propose : c'est de borner l'exclusion demandée à M. de Mirabeau, député des communes de la sénéchaussée d'Aix.

Je me croirai fort heureux si, au prix de mon exclusion, je puis conserver à cette Assemblée l'espérance de voir plusieurs membres, dignes de toute ma confiance et de tout mon respect, devenir les conseillers intimes de la nation et du Roi, que je ne cesserai de regarder comme indivisibles.

M. Mougins de Roquefort invoque, dans la même vue que M. Lanjuinais, le cahier de Draguignan.

M. de Castellane. La motion est contraire aux principes ; elle est honorable à l'Assemblée pour le désintéressement qu'elle prouve ; mais il est impossible de l'adopter.

Le plus grand avantage que nous puissions retirer des assemblées législatives permanentes doit consister à connaître les hommes utiles ; et il serait étonnant que ceux qui, par de grands talents et de grandes vertus, auraient mérité la confiance ne pussent en obtenir des témoignages.

Je demande au moins l'ajournement.

L'Assemblée rejette la proposition de M. de Mirabeau.

M. Treilliard demande la division de la proposition de M. Lanjuinais.

M. le comte de Crillon dit que la division est de droit.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5300_t1_0715_0000_7

 

Décret du 7 novembre 1789 stipulant qu'aucun député ne pourra occuper la place de ministre

M. le Président prend les voix et la division est prononcée.

La première partie de la motion de M. Lanjuinais, conforme à celle de M. Blin est décrétée en ces termes :

« Aucun membre de l'Assemblée nationale ne « pourra obtenir aucune place de ministre pendant la session de l'Assemblée actuelle. »

Le surplus de la motion est ajourné à l'époque où l'éligibilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif sera discutée constitutionnellement.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5300_t1_0718_0000_2


                               





mercredi 4 novembre 2020

Novembre 1789 : Robespierre voit dans la nouvelle constitution " des vices essentiels qui peuvent empêcher les bons citoyens de se livrer à la joie".

Article en cours de rédaction 

Maximilien Robespierre dans son costume de député du Tiers état


Lettre de Maximilien Robespierre à son ami Buissart.

    Dans un article rédigé à propos de la journée du 23 octobre1789, j'ai évoqué comment Robespierre avait été empêché de s'exprimer à la tribune de l'Assemblée la veille et je mentionnais cette lettre qui m'avait été signalée par l'une de mes abonnées (que je remercie encore). Cette lettre confirmait les dires du Journal de Paris concernant cet incident, incident que le procès-verbal de l'Assemblée nationale se gardait bien d'évoquer.


Les deux révolutions parallèles.

    Comme je l'ai déjà écrit dans de précédents articles, on ne peut s'empêcher de constater à la lecture chronologique des événements, que dès le début de la Révolution française, il semble y avoir deux révolutions qui se déroulent en parallèle. Je les ai surnommées, la révolution en perruques et la révolution en haillons. Les députés du Tiers Etat, portant perruques, sont même allés jusqu'à armer les citoyens en haillons la veille du 14 juillet, par peur des troupes menaçant Paris bien sûr, mais aussi pour accélérer un peu les choses ! Comme je vous l'ai expliqué, dès que la nouvelle de la prise de la Bastille se fut répandue par tout le royaume, de nombreuses troupes en haillons entreprirent de prendre leurs Bastilles çà et là dans toute la France ! Ce phénomène fera partie de ce que l'on appellera, "la grande peur".

    A partir de cet été 1789, nous n'allons pas cesser d'observer une tension qui va aller en grandissant, entre les députés de l'Assemblée nationale, qui ont obtenu ce qu'ils voulaient - c'est-à-dire une monarchie constitutionnelle ou plutôt un roi à leurs ordres, et cette masse sans voix que l'on appelle selon les circonstances, peuple ou populace ; peuple qui réclame pain et justice…

Tous les députés ? Non.

    Tous les députés de l'Assemblée nationale ? Non, bien sûr ! Aussi curieux que cela puisse paraître, certains parmi eux se préoccupent du peuple. Est-ce par compassion envers ces millions de miséreux ou par lucidité, sachant qu'il est impossible de gouverner un pays peuplé d'affamés ?

    Dans toute la gamme de régimes politiques que l'on connait, l'oppression d'un peuple privé de droits est une option qui fonctionne, mais il faut pour cela une police et une armée forte et si vous avez bien lu les articles, c'était loin d'être le cas en 1789, puisque des troupes allèrent jusqu'à se joindre au peuple ! (Soudoyées par la bourgeoisie du Tiers état ? Peut-être. Certain prétendent même qu'une partie de la noblesse aurait… Bref !).

    J'aime beaucoup la citation de Barnave qui explique si bien la révolution de 1789 :"Une nouvelle distribution de la richesse entraîne une nouvelle distribution du pouvoir ". La prise du pouvoir par le Tiers état en juillet 1789, ne fut en fait que cela. Cette nouvelle classe sociale montante demandait le pouvoir. Elle l'a eu ! Quant au peuple, il lui faudra encore du temps avant qu'il prenne conscience, non pas de sa richesse, mais de sa force. On parlera alors de rapport de forces. Mais ce sera un peu plus tard…

    Maximilien Robespierre fait partie de ces quelques députés agaçants, qui se préoccupent du sort du peuple. Ils sont une minorité au sein de cette Assemblée nationale constituante. Une minorité qui peine à s'exprimer comme nous l'avons vu précédemment. Voilà pourquoi j'ai trouvé intéressant de vous proposer la lecture de cette lettre du député Robespierre, à son ami d'Arras, le dénommé Buissart.


Voici la lettre.

    Cette lettre, non datée ni signée, porte la mention suivante de Buissart : "reçue le 9 novembre 1789".

    On peut imaginer que Robespierre l'a écrite après le 3 novembre 1789, puisqu'il évoque la nationalisation des biens du clergé, la suspension des parlements et le nouveau découpage administratif de la France.

(J. A. Paris, o. c. Appendice CVII – CIX. N°IV. – Mémoire de l'Académie de Metz. 1900-1901. p. 236-239.)

A noter que j'ai choisi d'en actualiser l'orthographe afin que les amis étrangers qui liront cet article aient une traduction correcte.

Robespierre à Buissart

Mon cher ami, je sais que vous boudez contre moi ; et je ne puis vous blâmer. Car malgré toutes les bonnes raisons que je pourrais vous donner pour justifier le long silence que j’ai gardé avec tous mes amis, je suis forcé de convenir que vous méritiez une exception et que je devais faire l’impossible pour trouver le temps de vous écrire. Il ne me reste donc d’autre parti que d’invoquer votre clémence et de réparer ma négligence.

Que pense-t-on ? Que dit-on ? Que fait-on en Artois ? Que faites-vous vous-même ? Etes-vous du Comité permanent ? Quels sont les hommes qui sont maintenant à la tête des affaires ? Je viens de recevoir une lettre d’un patriote qui gémit sur l’opiniâtreté de l'aristocratie et qui se plaint de ce que nos décrets ne sont encore connus en Artois que par les papiers publics. Je vous prie de m’informer au plutôt de ce fait et de me mander si les décrets de l’Assemblée nationale notamment celui qui concerne la réforme provisoire de la procédure criminelle (1) sont enregistrés et observés dans les tribunaux.

La puissance du clergé est abattue par le décret qui vient de déclarer que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation (2). Les parlements ont reçu le lendemain un gage certain de leur ruine, dans la loi qui les condamne à rester en vacances (3). L'aristocratie féodale est à peu près anéantie ; les plus grands abus semblent avoir disparu à la voix des représentants de la Nation ; seront-nous libres ? Je crois qu’il est permis de faire encore cette question. La Constitution nouvelle me parait du moins renfermer des vices essentiels qui peuvent empêcher les bons citoyens de se livrer à la joie (4).

La partie de la Constitution la plus importante-sera incontestablement la plus mauvaise ; je parle de l'organisation des Municipalités, des Assemblées provinciales et des Assemblées nationales. Vous savez sans doute que l'on exige des citoyens une quantité déterminée de revenu pour leur laisser l'exercice des droits de citoyens ; qu’il faut payer une contribution de trois journées d’ouvriers pour assister aux assemblées primaires ; dix journées d’ouvriers pour être membre des assemblées secondaires que l’on appelle départements ; enfin une contribution de 54 livres et en outre une propriété foncière pour être éligible à l’Assemblée nationale. Ces dispositions sont l’ouvrage du parti aristocratique de l’Assemblée qui n’a pas même permis aux autres de défendre les droits du peuple et a constamment étouffé leurs voix par des clameurs ; de manière que la plus importante de toutes nos délibérations a été arrêtée sans discussion, dans le tumulte et emportée comme par violence.

Il est maintenant question de changer l’ancienne division des provinces et de partager le royaume en quatre-vingt-dix départements, sous divisés en assemblées secondaires et en assemblées primaires, sans égard aux limites des provinces (5). Cette opération, qui dans le moment actuel me paraitrait plus favorable à l’aristocratie et au despotisme qu’à la liberté donne lieu à de grands débats ; il me semble qu’une représentation fondée sur les bases que je viens d’indiquer pourrait facilement élever l’aristocratie des riches sur les ruines de l’aristocratie féodale ; et je ne vois pas que le peuple qui doit être le but de toute institution politique gagnât infiniment à cette espèce d’arrangement. D’ailleurs je ne conçois pas comment des représentants qui tiennent leur pouvoir de leurs commettants, c’est-à-dire de tous les citoyens sans distinction de fortune ont le droit de dépouiller la majeure partie de ces mêmes commettants du pouvoir qu’ils leur ont confié. Je vous prierai, mon cher ami, de me dire la sensation que ce projet peut faire en Artois. Je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui ; je m’en console par l’espérance de vous écrire bientôt. Présentez, je vous prie, à Madame Buissart mon attachement respectueux ; sa société et la vôtre seront une des principales raisons qui me rendront le séjour d’Arras agréable, quand j’y retournerai ; comme elle a excité mes plus vifs regrets, lorsque j’ai quitté cette ville. Mais je crois être encore ici pour quelques mois.

Unissez-vous à tous les bons citoyens pour soutenir et pour animer le patriotisme de nos compatriotes et leur inspirer dans ces circonstances les sentiments et les résolutions les plus utiles au bien public et à la liberté.

Je suis le meilleur de vos amis. J’attends de vos nouvelles avec impatience.

Mon adresse : rue Saintonge au Marais, chez M. Humbert, N°30

 

(1) Décret du 8 octobre 1789 rendu sur le rapport de Beaumetz et l'initiative de La Fayette et de la Commune de Paris.

(2) Décret du 2 novembre 1789 rendu sur la proposition de Talleyrand-Périgord.

(3) Décret du 3 novembre 1789 rendu sur la proposition d’Alexandre de Lameth.

(4) Robespierre venait d’intervenir en vain contre le décret exigeant pour être citoyen actif le paiement d’une contribution directe égale à la valeur de trois journées de travail (22 octobre).

(5) Cf. Le rapport de Thouret, au nom du nouveau comité constitutionnel, fait à l'Assemblée nationale le 29 septembre 1789. B. N. Le 29/285-286 et le décret du 26 février 1790 qui divisa la France en 83 départements.


Sources :

Pages cachées sur WIKIPEDIA, parce qu'en cours de rédaction, mais accessibles tout de même 😉 : Page 57Page 58 et Page 59. N'y mettez surtout pas le bazar ! Contentez-vous de regarder 🙏 Merci.


                   




samedi 10 octobre 2020

10 Octobre 1789 : Un évêque diabolique et boiteux nationalise les biens du clergé

 

Talleyrand, la girouette politique

    L’évêque d’Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, propose en séance ce 10 octobre 1789, de mettre les biens du Clergé à la disposition de la Nation, le but étant bien sûr de redresser les finances du pays. En contrepartie de cette nationalisation, ladite Nation prendra en charge les salaires des ecclésiastiques dont elle déterminera le nombre total.

    Les historiens semblent insister beaucoup sur cette proposition de Talleyrand, en date du 10 octobre. Est-ce à cause de la personnalité de Talleyrand, celui que l’on surnomma « Le diable boiteux », à cause de son pied bot et de son esprit retors ? (Lisez sa fiche Wikipédia qui en brosse un portrait assez détaillé). 

    C’est oublier en effet que ce sujet est déjà dans l’air de l’auguste Assemblée nationale depuis un moment. Souvenez-vous de la proposition faites le 24 septembre dernier par Monsieur Dupont de Nemours !

    Monsieur Dupont de Nemours a-t-il été oublié pour quelque obscure raison ? Le fait qu’il soit Protestant ? Ou que son nom ait traversé ces deux derniers siècles en raison de sa bonne fortune en Amérique ? Disons que Talleyrand est un personnage théâtral qui se prête mieux aux imaginations des fans "d'histoire spectacle". Nous aurons d’autres occasions de parler de cet évêque un peu spécial, qui ne l’était d’ailleurs que depuis un an et qui ne le restera pas longtemps.

Vous pourrez lire la très longue présentation de ce projet par le lien suivant :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5157_t1_0398_0000_4

Réforme dans l'air du temps.

    Vous vous doutez bien que cette réforme du clergé va faire grand bruit, et ce, même si elle n’avait rien de très originale.

    Les constituants n’avaient en effet rien inventé. Ils s’inspiraient grandement des réformes réalisées dans son Empire, par Joseph IIle propre frère de la reine Marie Antoinette. Ce despote éclairé dont le mot d’ordre était « Tout pour le peuple ; rien par le peuple », avait soumis totalement l’Eglise à son autorité, fait prêter au évêques un serment qui les soumettaient à l’Etat, ordonné la fermeture de monastères jugés inutiles dont les biens avaient été transférés aux paroisses et tout plein d’autres réformes qui auraient fait défaillir un Chouan ou un de nos contemporains ignare en histoire !

    Vous ne me croyez pas ? Vérifiez, je n’invente rien, on appela le Joséphisme.

Joseph II, le despote éclairé qui mis l'Eglise au pas dans son Empire

    La bourgeoisie au pouvoir était progressiste, mais pas au point d’augmenter les impôts qu’elle devrait payer ensuite. Voilà pourquoi ces esprits éclairés, tous un peu voltairiens, voire théistes ou athées, s'étaient tournés vers le richissime clergé.

    L’Eglise possédait un quart de Paris et un dixième à peu près du territoire national, ce qui représentait 3 à 3,5 milliards de l’époque. Elle percevait de plus, 150 millions de rentes annuelles !

Des débats en prévision !

    Cette proposition de Talleyrand va être âprement débattue trois semaines durant. Elle sera combattue d'un côté par l'abbé Maury, Malouet et Sieyès sur des critères mettant en cause le droit de propriété transgressé par la Nation lorsqu'elle s'approprie les biens d'autrui. Mais elle sera soutenue par Mirabeau ou Thouret qui argueront du fait que ces biens n'appartiennent pas au clergé mais à la masse des fidèles qui leur en ont fait don, donc à la Nation.

    Le clergé va se diviser également. Tout d'abord surpris par la proposition de Talleyrand, les curés se joindront finalement à elle. Probablement en raison du doublement de salaire qui en résultera pour eux. En effet, le salaire versé par la Nation ne pourrait être inférieur à 1200 livres annuel (non compris le logement et le jardin), soit plus du double que ce dont ils disposaient). De plus, la réduction du nombre d'ecclésiastique évoqué dans le projet de Talleyrand n’allait concerner que la catégorie des prélats et des hauts dignitaires, tous nobles, et bien souvent éloignés des soucis de la religion, comme Talleyrand...

    Concernant Talleyrand, j’aurais pu vous renvoyer sur un des nombreux sites évoquant cet étonnant personnage. Mais la fantaisie me prend de vous proposer cette vidéo. Il s’agit d’un extrait de 11 minutes, du film de Sacha Guitry, « Le diable boiteux » réalisé en 1948. C’est du pur Sacha Guitry. Le plus anciens comprendront ce que je veux dire par là. 😉 

    C'était déjà un vieux film quand j'étais jeune, mais je conseille aux jeunes de ne pas se laisser rebuter par le noir et blanc et de regarder cet extrait qui devrait les faire sourire, voire les étonner. Les dialogues sont délicieux. Ils me font penser à du Audiard, mais niveau Académie française.




mardi 6 octobre 2020

6 Octobre 1789 : Hommage à Louise Reine Audu, une révolutionnaire en armes

Article mis à jour le 5 octobre 2023 avec l'accès à sa biographie.
Louise Reine Audu

 Je pense qu'il est utile et nécessaire de consacrer un article spécial à cette femme dont les livres d'histoire ne mentionnent jamais le nom. Il s'agit de Louise Reine Audu (De son vrai nom Louise Renée Leduc). Cette Parisienne née à Château Gontier, dans la Mayenne (Quand les provinciaux comprendront-ils que la plupart des Parisiens viennent de Province ?), fut l'une des principales actrices de cette révolte des femmes qui eut lieu les 5 et 6 octobre 1789.

    Le plus incroyable, c'est qu'elle fut la seule personne accusée formellement et mise en prison à la suite de ces journées d'octobre !

    Cette femme exceptionnelle apparaît sur de nombreuses estampes illustrant l'événement. On la surnommait la reine des Halles, car elle dirigeait la corporation des Dames de la Halle en 1789. C'est elle, nous dit une estampe, qui ameuta plus de 800 femmes pour marcher sur Versailles. 

La voici nommée et représentée sur cette estampe

    Reine Audu fit probablement partie des cinq femmes qui entrèrent dans l'appartement du roi avec Mounier, et qui lui firent sanctionner (enfin) la déclaration des droits de l'homme, que Louis XVI rechignait tant à valider de son sceau. (Preuve s'il en est que les femmes comprenaient bien qu'elles étaient incluses dans ladite déclaration des Droits de l'Homme)

    Elle fut incarcérée dans les immondes cachots du Grand Châtelet de Paris, puis à la Conciergerie, jusqu'au 15 septembre 1791. Elle en sorti avec les secours du Club des Cordeliers et de Louis-Barthélemy Chenaux.

    Louise Renée Audu participa par la suite activement à la prise du Palais des Tuileries par le peuple de Paris le 10 août 1792. La "Biographie moderne, ou galerie historique, civile, militaire, politique et judiciaire" raconte qu'elle y tua alors plusieurs gardes suisses. Elle fut honorée d'une épée par la Commune de Paris, qui l'employa ensuite à l'administration des subsistances.

    L'écrivain Pierre Joseph Alexis Roussel rapporte, dans un ouvrage publié en 1802, que, « sa tête s'étoit perdue pendant sa détention » et que Reine Audu serait « morte folle à l'hôpital en 1793 ».

La même estampe, en couleur


Qu'en pensez-vous ?

    Quand aurons-nous un collège ou un lycée "Louise Renée Audu" ? Ne serait-ce que pour faire pendant à la sympathique monarchiste (constitutionnelle) anti-républicaine Olympe de Gouge, si prisée des "bienpensants" ?


Biographie

 J'ai découvert à la BNF sa biographie publié en 1917 par le Baron Marc De Villiers Du Terrage. Vous pouvez la découvrir ci-dessous :

samedi 3 octobre 2020

3 Octobre 1789 : Mais que complote donc Mirabeau au Palais Royal ?

 

Mirabeau
    Les rumeurs vont bon train dans ce Paris d’octobre 1789. On craint une nouvelle intervention des troupes rappelées par le roi à Paris, comme le régiment de Flandres qui vient de faire scandaleusement parler de lui il y a 2 jours au banquet avec les gardes du corps du roi. Il se murmure également que le roi pourrait s’enfuir, peut-être avec son frère le comte de Provence. 


Comte de la Marck

    Certains répètent à qui veut l’entendre que Mirabeau aurait dîné fin septembre chez le comte de La Marck, avec devinez qui ? Le duc d’Orléans ! Oui, le duc d’Orléans ! Louis-Philippe d’Orléans est un lointain cousin de Louis XVI. Mais son influence est grande. Il est pair de France, et chacun sait que si le roi venait à disparaitre, d’une façon ou d’une autre, la régence du royaume lui reviendrait.

   

Victor Louis
    Le duc d’Orléans règne en propriétaire sur le Palais-Royal, qu’il a fait aménager en quartier de plaisir par l’architecte Victor Louis en 1780. Les cafés, restaurants, salons de jeu et "autres divertissements" (les bordels), constituent le point de ralliement de tous les ennemis de la cour.

    Le roi se méfie avec raison de ce cousin quelque peu sournois, au contraire de la reine (bien sûr) qui a souvent entretenu des relations très cordiales avec le Duc. Nombre d’événements révolutionnaires sont partis du Palais Royal et l’on a retrouvé souvent des hommes de mains du duc d’Orléans à l’origine de certains mauvais coups.

Vue de la cour intérieure du Palais-Royal

L'intriguant Mirabeau "fils"

    Que complote donc Mirabeau avec le Duc d’Orléans, si tant est d’ailleurs qu’il complote quelque-chose ? Imagine-t-il pouvoir manipuler ce duc friand d'intrigues, mais guère de stature à les mener à termes avec succès, tant il manque d’initiative ? Pour le compte de qui Mirabeau agit-il ainsi, si ce n’est pas pour lui ? Pour les révolutionnaires de la paisible Assemblée nationale ? Pour le roi ?

    Pourquoi pas pour le roi en effet ? N’oublions pas que sa famille est depuis longtemps, très proche de celle de Louis XVI.

    J'évoquais hier l'intellectuel Sieyès, personnage omniprésent du début jusqu'à la fin de la Révolution. Mais Sieyès n'est pas un homme d'action. Mirabeau, lui, est un homme d'action, pas de coups de mains, mais d'actions plus subtiles, plus discrètes ; et c'est aussi un grand tribun. Personne ne vaut Mirabeau à la tribune de l'Assemblée nationale constituante. Mirabeau est intelligent également. Il voit tout et comprends tout. Son principal problème, selon mon humble avis, c'est sa culture d'aristocrate. Il est malheureusement corrompu par le goût du luxe et de la luxure. Cela dit sans porter de jugement de valeurs. Mirabeau aurait-il su se contenir un peu, que la Révolution aurait pris un tour différent. Mirabeau comprend tout, mais c'est hélas un homme du passé.

Mirabeau père

Mirabeau père
    Victor Riquetti de Mirabeau, le père de notre tribun révolutionnaire Honoré Gabriel Mirabeau, avait failli être choisi par le Dauphin Louis-Ferdinand (fils de Louis XV), pour l’éducation de Louis XVI et de ses frères. La raison en était que, du fait de sa qualité de physiocrate, Mirabeau père s’était rendu célèbre en publiant à partir de 1765 son ouvrage « L’ami des hommes ou traité sur la population », que l’on avait aussi appelé « le bréviaire des honnêtes gens ». 
    Sur sa terre du Bignon, près de Paris, Mirabeau père aimait à réaliser des expériences d’agronomie. Il défendait l’idée d’une monarchie dans laquelle la noblesse devait avant tout se soucier de servir l’Etat, avant de s’enrichir. Il n’avait pas été retenu pour assurer cette fonction auprès des enfants du Dauphin, mais ses idées physiocrates circulaient dans l’entourage des princes et étaient grandement appréciées.

Physiocrates ?

François Quesnay
    Un mot sur les physiocrates que nous avons déjà plusieurs fois évoqués dans de précédents articles. Il s’agissait d’un nouveau courant de pensée qui s’était développé en France dans les années 1750 et qui préconisait un gouvernement par la nature, « physis » en grec, signifiant « nature ». 
    Un des physiocrates les plus connus, François Quesnay, avait été un proche de la cour de Louis XV. C’était un médecin qui avait été anobli pour avoir guéri de la petite vérole le fils de Louis XV, le Dauphin Louis-Ferdinand, père de Louis XVI. Ceci pouvait expliquer l’intérêt marqué que le père de Louis XVI avait pour cette nouvelle doctrine, à la fois philosophique, économique et politique.

    La physiocratie, qui donna naissance plus tard au libéralisme économique, ne se résumait pas à exiger comme nous l’avons vu, la libre circulation des grains et la fixation de leur prix par le marché ; ni interdire à l’Etat de vouloir réguler l’économie. La priorité donnée à l’agriculture était vraiment au cœur de cette doctrine nouvelle. Raison pour laquelle tous les intellectuels du siècle, ou presque, se préoccupaient d’agriculture. Souvenons-nous du duc de Liancourt, ami du roi, pair de France et même président de l’Assemblée nationale, qui était aussi un agronome passionné.

Le beau-père de Louis XV, Stanislas Leszczynski, lui aussi physiocrate avait écrit :

« Tant que l’agriculture sera protégée en France, ce royaume ne peut manquer d’être florissant ; que d’autres peuples aillent ailleurs chercher l’or au Pérou ; le Français, s’il est sage, trouvera une mine plus précieuse sous le soc de sa charrue ? Toutes les nations voisines doivent devenir tributaires du peuple cultivateur du bon sol. »

Mais revenons à notre Mirabeau révolutionnaire !

    Quel jeu joue-t-il vraiment ? Nous avons vu qu’il occupe souvent la tribune de l’Assemblée nationale et que ses interventions forcent souvent la décision auprès de députés hésitants. Mirabeau est probablement l’un des hommes, qui en ce début de révolution, a le mieux compris ce qui se passait.

    Dans son livre « Mirabeau et la cour de Louis XVI », Saint-Marc Girardin écrit :
« Ce qui désespère Mirabeau dans cette fluctuation perpétuelle du roi, c’est qu’il connaît l’assemblée constituante et qu’il sait fort bien qu’elle n’est ni ennemie du roi ni ennemie de la monarchie. « L’assemblée, dit-il avec un sens profond, était venue pour capituler et non pour vaincre, et elle ne soupçonnait même pas sa destinée (Tome II, p 325). » Oui, 1789 venait plein de confiance en la bonté du roi et dans ses intentions justes et libérales ; il venait pour soutenir Louis XVI contre la cour et pour faire une transaction entre l’ancien et le nouveau régime. D’où vient donc que 1789 a eu la destinée qu’il ne soupçonnait pas et qu’il ne voulait pas, une destinée révolutionnaire ? Le mal est venu en grande partie de la cour, « de sa fausse conduite, de sa faiblesse lorsqu’il fallait résister, de sa résistance lorsqu’il fallait céder, de son inertie lorsqu’il fallait agir, de sa marche ou trop lente ou trop rétrograde, de ce rôle de simple spectateur qu’elle affecte de jouer, de cet ensemble enfin de circonstances qui, persuadant aux esprits faibles que la cour a des projets secrets, font multiplier aux esprits ardens les mesures outrées de résistance. » (Orthographe d'époque)

Les projets secrets de la cour

    Nous voici revenu au début de cet article. Les Parisiens ne redoutent rien tant que les projets secrets de la cour. Peut-être sont-ils plus réalistes que les honorables députés, qui, aveuglés qu’ils sont par leur amour du roi, croient que l’on peut le malmener comme ils l’ont fait, et s’en tirer par une cocarde et un Te deum ?

Vous l’avez compris, ça va de nouveau bouger dans quelques jours…

 

Post Scriptum :

    Nous aurons de nombreuses occasions de reparler de Mirabeau. Il essaiera de conseiller le roi, qui le paiera même pour cela, ce qui vaudra à la dépouille de Mirabeau d’être retirée du Panthéon lorsqu’on découvrira les lettres le prouvant, dans la fameuse armoire de fer de Louis XVI. Mais hélas pour lui, le roi n’écoutera jamais les conseils de Mirabeau.

    Si vous voulez en apprendre plus au sujet des rapports entre Mirabeau et la cour de Louis XVI, je vous conseille la lecture de ce livre de Saint-Marc Girardin « Mirabeau et la cour de Louis XVI ».

    On y découvre quel était en vérité le plan projeté par Mirabeau. Ce n’était ni un plan de révolution, pas même un plan de contre-révolution, mais un plan de gouvernement constitutionnel. Quant à l’homme qui devait exécuter ce plan, ce n’était autre que Mirabeau lui-même, mais un Mirabeau écouté et obéi. Il l'avait écrit à M. de Lafayette dans une de ces tentatives de rapprochement qui furent souvent faites entre M. de Lafayette et Mirabeau, et qui échouèrent toujours :

« Je devrais être votre conseil habituel, votre ami abandonné, le dictateur enfin, permettez-moi le mot, du dictateur… Oh ! Monsieur de Lafayette, Richelieu fut Richelieu contre la nation pour la cour, et, quoique Richelieu ait fait beaucoup de mal à la liberté publique, il fit une assez grande masse de bien à la monarchie. Soyez Richelieu sur la cour pour la nation, et vous referez la monarchie en agrandissant et consolidant la liberté publique. Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez, en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion, mon impulsion a besoin de vos grandes qualités, et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! — Ah ! vous forfaites à votre destinée ! » (Orthographe d'époque)

    De Lafayette, il faudra également que nous reparlions. Nous comprendrons alors combien la méfiance et l’hostilité de Jean-Paul Marat à son égard était justifiée.

 A suivre !

Bertrand Tièche

Pour vous remercier d'avoir tout, voici quelques gravures du Palais Royal ! 😊

Galerie du Palais Royal, par Pierre-Charles Coqueret, 1761


(1787)