jeudi 15 octobre 2020

15 Octobre 1789 : Le plan secret de Mirabeau

 

    À la suite des journées des 5 et 6 octobre, la révolution a pris un nouveau tournant et ses principaux acteurs l’ont bien compris.

    Le roi est à présent à Paris et l’Assemblée nationale va bientôt le rejoindre.

    Les personnages influents au sein de l’Assemblée ont changé. Mounier et ses amis ont été discrédités, au point que celui-ci a choisi de se retirer de la vie politique et de se réfugier dans son Dauphiné natal. C’est à présent au tour de Lafayette, Mirabeau, Barnave, Duport et les frères Lameth de jauger leurs pouvoirs respectifs au sein de l’Assemblée.

    Mirabeau est toujours aussi difficile à cerner. Son attitude n’a pas été claire lors des journées révolutionnaires d’octobre, où il semblait soutenir tantôt l’insurrection et tantôt la couronne. De plus, on le soupçonne toujours de comploter avec le duc d’Orléans dans le but de renverser Louis XVI, ce qui ne manque pas de le faire rire haut et fort.

    Mirabeau est un animal politique. Il a compris au matin du 7 Octobre, que la monarchie était vraiment menacée. Il s’est donc rendu chez son ami La Marck, un grand aristocrate étroitement lié aux cours autrichienne et française, et il lui a proposé d’élaborer un plan pour le roi. La Marck lui aurait répondu : « occupez-vous de bâtir votre plan, je saurai bien le faire parvenir au roi... »

Comte de La Marck

    Le 15 octobre, Mirabeau remet au comte de La Marck son fameux plan dans lequel il expose ses idées avec force détails. La Marck a obtenu un rendez-vous dans la nuit du 15 au 16 avec Provence, le frère du roi, (futur Louis XVIII) dans le but que celui-ci fasse parvenir à Louis XVI le plan de Mirabeau. La Marck expose à Provence les dangers qui menacent Louis XVI et sa famille. Il dresse un tableau très précis de la situation, des difficultés que va éprouver l’Assemblée qui va bientôt siéger à Paris. Provence reconnait que la situation est grave et que le plan de Mirabeau, pour lequel il n’éprouve aucun a priori, est fort bien construit. Mais il est convaincu que Louis XVI n’acceptera jamais de jouer le rôle envisagé pour lui dans ce plan. La Marck insiste, demande que l’on en parle à la reine, mais Provence lui avoue que l’indécision du roi a atteint un tel stade qu’il est devenu incapable de se prononcer, quel que soit le problème posé !

Les grandes lignes de ce plan étaient les suivantes :

1° Le roi a été contraint de résider à Paris : une partie de la nation va donc refuser d’obéir à un souverain qui n’est plus libre.

2° Le roi est inséparable de la Révolution. Il ne peut s’appuyer que sur le peuple et, pour cela, il doit lui garantir ses conquêtes sociales.

3° Le roi doit agir avec énergie ; gagner la Normandie, région fidèle à la couronne, plutôt que l’Est qui est trop proche de l’étranger et de certains émigrés. De là il fera une déclaration solennelle pour rappeler que seul compte pour lui l’amélioration du sort du peuple.

4° Le Roi doit promettre :

  • L'accroissement des droits politiques des citoyens ;
  • Le respect et la garantie de la dette publique ;
  • L'abolition définitive des Parlements ;
  • La sanction définitive de certains décrets (liberté de la presse, rachat des droits féodaux... etc.).

5° Le roi appellera l’Assemblée nationale à lui. Si elle vient, la cause est gagnée ; si elle ne vient pas, le Roi sera alors fondé à faire appel à la force pour dissoudre l'Assemblée et en faire élire une nouvelle qui établisse une Constitution sur les bases précitées.

    Le 16 au matin, très tôt, La Marck rendra compte à son ami Mirabeau de l’échec de son entrevue avec le frère du roi. Plein de ressources, Mirabeau organisera le soir même une réunion avec les hommes forts du moment, La Fayette, Duport, Barnave et les frères Lameth. (Mirabeau se voit ministre et pourquoi pas premier ministre). A l’issue de cette réunion, il sera décidé que La Fayette accompagnera Mirabeau chez Montmorin le lendemain 17 Octobre et, qu’à la suite de cette entrevue, Mirabeau pourrait rencontrer Necker en tête à tête.

Montmorin

    Le matin du 17, l’entrevue avec le ministre Montmorin se passera très mal et l’après-midi la rencontre avec Necker qui durera 5h sera tout aussi infructueuse. Mirabeau sortira de chez Necker fort en colère, son opinion étant définitivement faite sur « …le misérable charlatan qui a mis le trône et la France à deux doigts de leur perte et qui s’obstine à la consommer plutôt que de s’avouer à soi-même son incapacité…»
Souvenons-nous que c'était grâce à Mirabeau que le plan de redressement financier de Necker avait été voté "de confiance", par les députés le 26 septembre 1789...


    Certains documents mentionnent le fait que durant ces mêmes jours, lors d’une entrevue secrète avec Lafayette, Mirabeau aurait refusé l’exil doré d’une ambassade qui lui était proposée, mais qu’il aurait néanmoins accepté l’argent de Lafayette.

    Toutes ces manœuvres évoquées, furent secrètes sur le moment. La plupart de ce que l’on en sait nous vient de la correspondance de La Marck. Gardons néanmoins à l’esprit que des révélations de secrets, peuvent parfois être fausses afin de dissimuler d’autres secrets. Je plains parfois les historiens qui doivent faire le tri dans toutes ces machinations !


mercredi 14 octobre 2020

14 Octobre 1789 : Remontrance du Parlement de Bretagne contre le brûlot de l'évêque de Tréguier

  

Evêque de Tréguier

    Peut-être commenciez-vous à vous étonner de voir des curés rallier la cause du peuple et des évêques désirant remettre à la Nation les richesses de l’Eglise ? Rassurez-vous, car en lisant le mandement de Monsieur Le Mintier, Evêque de Tréguier daté du 14 Septembre 1789, vous allez retrouver une Eglise Catholique plus conforme à son image contre-révolutionnaire.

    Ce mandement circule déjà depuis un mois et commence tellement à agiter les esprits dans certaines paroisses, que ce 14 Octobre 1789 le Parlement de Bretagne publie une remontrance dans laquelle il interdit la publication et la diffusions de ce mandement considéré « captieux et tendant, sous prétexte d’instruction, à favoriser et exciter la fermentation des esprits et le fanatisme, et à troubler la tranquillité publique ».

    Joseph-Marie Brossay Du Perray, doyen des Substituts de Monsieur le Procureur Général du Roi, est l’auteur de cette remontrance dont le ton est plutôt sévère à l’égard de l’auteur du mandement du 14 Septembre. Lui-même utilise régulièrement le terme « auteur », comme pour faire grâce à l’évêque de la possibilité qu’il ne fut pas le rédacteur de ce qui ressemble fortement à un appel à la contre-révolution.

    Vous trouverez dans la fenêtre en bas de l’article, le mandement de l’évêque et la remontrance du Parlement de Bretagne. Je ne peux que vous en conseiller très vivement la lecture.

   J’ai cependant pris la peine de vous retranscrire certains passages du mandement de l’évêque, que je trouve tout particulièrement intéressants. On y trouve en effet tout l’argumentaire réactionnaire et passéiste du discours contre-révolutionnaire, mais pas seulement. Plus que la description apocalyptique qu’il fait d’une France ravagée par la Révolution, mon attention s’est portée sur le fait que l’évêque prétende avoir écrit ce document en réaction à une lettre « touchante » dont le Roi l’aurait honoré ! Il appuie d’ailleurs nombre de ses dires, de références à cette « Lettre de Sa Majesté », que j’ai fait apparaître en rouge dans le texte ci-dessous.

    Le doyen des Substituts de Monsieur le Procureur Général du Roi du Parlement de Bretagne, a d’ailleurs la délicatesse de ne pas relever cette incongruité, (tout comme il réserve la possibilité que l’évêque ne fut pas l’auteur de cet appel à la révolte).

    Ainsi donc notre bon roi Louis se serait plaint de ses mésaventures révolutionnaires auprès du Comte Evêque ?

    J’ai retrouvé cette lettre écrite effectivement par Louis XVI le 3 Septembre 1789. Je vous invite à la lire pour vous forger votre propre opinion. A sa lecture, je pense que l’évêque a été un peu plus loin que ce que le roi attendait de lui…

Cliquez sur l’image ci-dessous pour lire la lettre du roi.

Il y aura des suites !

    Monsieur Alquier membre du comité des rapports interviendra le lendemain 15 octobre, pour traiter de ce scandaleux document !

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5189_t1_0453_0000_12


Voici les extraits du mandement de l’évêque, que j’ai retranscrits pour vous :

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517214

Les deux documents complets sont accessibles dans la fenêtre sur la BNF en bas de l’article.

 

Mandement du 14 Septembre 1789, de l’évêque et Comte de Tréguier qui ordonne des Prières publiques pour le rétablissement de l’Ordre et de la Paix dans l’intérieur du Royaume.

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517214/f6.item

« Augustin René-Louis LE MINTIER, par la miséricorde de Dieu & la grâce du Saint-Siège Apostolique, évêque & Comte de Tréguier, Conseiller du Roi en tous ses Conseils, au Clergé séculier & régulier, & aux Fidèles de notre Eglise, Salut : Que la paix de Dieu, cette paix si désirable qui surpasse toutes nos pensées, règne dans vos cœur & conserve les esprits dans la Foi de Notre-Seigneur Jésus Christ.

Nous ne pouvons, nos très chers Frères, vous peindre les sentiments que nous avons éprouvés à la lecture de la Lettre touchante dont le Roi nous a honoré. » (…)

(Page 4) « Dans la crise générale qui agite le Royaume, que des esprits ennemis de toute domination ont fait naître, que des libellistes fougueux fomentent, non plus en secret & dans les ténèbres, mais dans des écrits incendiaires répandus avec audace, dévorés avec avidité ; dans ces jours mauvais, où le premier, le plus illustre Trône de l’univers est ébranlé jusques dans ses fondements ; lorsque les mouvement convulsifs de la Capitale se font sentir dans les Provinces les plus reculées de l’empire Français, serait-il permis à un Evêque de garder un coupable silence ? »

(Page 5) « Et quel est le Ministre des Saints Autels dont les entrailles de seraient pas déchirées à la vue des combats qu’on livre à l’Eglise ? Quel est le Citoyen patriote qui pourrait envisager sans effroi les suites funestes de la fermentation universelle que des Anonymes effrénés ont excité dans le Royaume ? »

(Page 6) « Hélas ! Nos très chers frères, qu’elle est différente d’elle-même cette Monarchie Française ! Le plus domaine de l’Eglise Catholique, le berceau des héros, l’asyle des Rois, la patrie des sciences et des arts.

Les Princes du sang royal, fugitifs chez des nations étrangères ; la discipline militaire énervée ; le citoyen armé contre le citoyen : un système d’indépendance et d’insurrection présenté avec art, reçu avec enthousiasme, soutenu par la violence ; toutes les sources du crédit national interceptées ou taries ; le commerce languissant ; les lois sans force & sans vigueur ; leurs dépositaires dispersés ou réduits au silence : le nerf de l’autorité entre les mains de la multitude ; toutes les classes de citoyens confondues ; la vengeance avide de sang, aiguisant les poignards, dirigeant ses victimes, exerçant ses fureurs homicides. »

(Page 7)  « Tels sont les succès monstrueux de ces hommes pervers, qui, abusant des talents que la nature leur avait donné pour un meilleur usage, ont, par leurs libelles, soufflé parmi nous l’esprit d’indépendance & d’anarchie. Puissent les plans de régénération qu’elles contiennent, rentrer dans le néant dont elles n’auraient jamais dû sortir !

« Conservons nos Lois antiques, elles sont la sauvegarde de nos propriétés, de nos personnes, de notre gloire. (…)

(Page 9) « Hélas ! Ces jours sereins ne sont plus, ils ont disparu comme un songe. L’autorité du Roi est affaiblie, l’Eglise tombe dans l’avilissement & dans la servitude, ses Ministres sont menacés d’être réduites à la condition de commis appointés, les Tribunaux suprêmes sont méconnus, humiliés : l’Ouvrier & l’Artiste qui n’ont d’autre patrimoine que le temps & le travail de leurs mains, sont arrachés à leurs occupations ; une contrebande soutenue à main armée (Lettre de Sa Majesté), détruit avec un progrès effrayant les revenus de l’état & tarit les ressources destinées au paiement des dettes les plus légitimes ; le service militaire est interrompu, déserté, le Soldat, sourd à la voix des Chefs, abandonne ses drapeaux & répand partout la terreur & l’épouvante : des brigands & des gens sans aveu soulèvent l’esprit des Habitants des Campagnes, (Lettre de Sa Majesté) attaquent les Châteaux, détruisent les Archives ; la populace révoltée, porte le fer & le feu dans les établissements les plus utiles, dans les retraites des Solitaires ; le Peuple se constitue l’arbitre & l’exécuteur de condamnation que les dépositaires des Lois, après s’être livrés au plus mûr examen, ne déterminent jamais sans une secrète émotion. (Lettre de Sa Majesté)

Oui, nos très chers frères, nous vous le répétons, ces maux innombrables qui oppressent l’âme de notre bon Roi ; (Lettre de Sa Majesté) les maux plus cruels encore que nous appréhendons, & qu’il ne nous est pas donné de prévoir, prennent leurs sources dans ce déluge de brochures clandestines inspirées par l’orgueil et la témérité. C’est ainsi qu’un torrent, qui a rompu ses digues, porte partout la désolation, l’effroi, le ravage.

(Page 10) « Un scepticisme pernicieux, un affreux égoïsme, voilà la religion du jour. Par un abus déplorable de la liberté ; riche présent de la nature, on veut que chacun puisse penser, écrire tout ce qui lui plaira ; que les cultes, sans distinction, soient permis ; que le Disciple obstiné de Moïse, que le fanatique sectateur de Mahomet, que l’adorateur insensé des plus méprisables Idoles, que l’artificieux Socinien, que l’aveugle & voluptueux Athée, que les sectes les plus contraires, les plus absurdes, reposent avec le Chrétien Catholique sous l’aile & la protection du gouvernement Français.

Le délire de nos Philosophes modernes, de nos prétendus esprits forts, va plus loin : à la charité Chrétienne, à cette Reine des vertus, qui est le lien essentiel de toute société, & la base de notre religion, ils osent substituer une stoïque & stérile bienfaisance, vertu purement humaine : elle prend sa source dans la compassion naturelle, tandis que la charité tire son origine de Dieu même ; (…)

(Page 11) « N’est-il pas temps, nos très chers Frères, que le Peuple Français se réveille, & que du fond de nos cœurs s’élève un cri général pour réclamer nos anciennes Lois & le rétablissement de l’ordre public. »

(Page 13) « O vous ! nos vénérables frères qui, associés à notre sacerdoce, partagez avec nous les soins du troupeau qui nous est confié ; vous, nos dignes coopérateurs, voici le moment de vous montrer dans ces jours de crise & de fermentation, montez dans la Chaire de vérités ; faites entendre à vos Ouailles des leçons de soumission & d’obéissance aux puissances légitimes que la main de Dieu lui-même a placé au-dessus de nos têtes ; celui qi résiste aux puissances, trouble l’ordre établi par Dieu ; que votre voix chérie retentisse à leurs oreilles, usez de toute l’influence que vous donne la sainteté de votre caractère, pour imprimer profondément dans leurs âmes la fidélité inébranlable que nous devons à Dieu & au Roi.

Dites aux peuples, qu’ils se séduisent eux-mêmes, lorsqu’ils se flattent d’une diminution dans les impôts ; est-ce dans un temps désastreux ou l’état exige les plus grands sacrifices, où chaque citoyen doit être prêt à s’immoler au bien général que l’on peut s’attendre à voir diminuer les subsides & les revenus publics de la patrie notre mère commune ?

Dites-leur qu’on les trompe, lorsqu’on leur représente les chefs du Clergé comme des hommes dévorés d’ambition, vendus à l’intrigue & livrés aux excès d’un luxe révoltant : ces inculpations odieuses déshonorent la bouche qui les prononce encore plus que ceux qui en font l’objet. Nous sommes forcés de convenir que les revenus de l’Eglise ont été quelquefois mal distribués, mal administrés ; mais plus souvent encore les richesses du Sanctuaire sont le patrimoine des pauvres ; des veuves, des orphelins, & la force inépuisable de familles entières.

(Page 14) « Dites-leur que la violence ne peut jouir qu’un moment de ses succès & ses prospérités criminelles ; (Lettre de Sa Majesté) »

(…) L’unité de religion, la sûreté des propriétés, l’exacte observation des Lois, (Lettre de Sa Majesté) voilà la vraie, l’unique source de la stabilité & de la prospérité des empires.

Dites-leur qu’on les trompe dans les infâmes libelles que la philosophie a infecté de ses poisons & de ses paradoxes, lorsqu’on leur représente les membres des deux premiers Ordres de la Monarchie, comme des Aristocrates odieux, conspirés contre le peuple, ne cherchant qu’à l’opprimer sous le joug de la tyrannie et du despotisme »

(Page 16) « Quand bien même les hommes seraient tous égaux dans l’ordre de la nature, ils cesseraient de l’être en entrant dans l’ordre social. Nulle part les conditions, les fortunes se sont égales, et elles ne peuvent l’être. (Lettre de Sa Majesté) (…)

On vous trompe donc sous le nom d’un Prince protecteur né de la Justice, (Lettre de Sa Majesté).


    Alors ? Qu’en pensez-vous ? N'avez-vous pas la légère impression que l'évêque est allé bien au-delà de la pensée du roi ? ...Ou pas ? ...


Voici les documents sur le site de la BNF :


14 Octobre 1789 : L'Assemblée nationale reçoit une délégation de Juifs d'Alsace et de Lorraine

 

L'abbé Grégoire

    Ce 14 octobre 1789, à l’Assemblée nationale, l’abbé Grégoire fait accorder les honneurs de la séance du soir à une députation de Juifs d’Alsace et de Lorraine qui sont venus demander l’égalité des droits pour leur communauté. (L'abbé Grégoire est véritablement l'un des grands hommes de la Révolution française).

    Voilà bien un événement qui chagrinera au plus haut point l’évêque de Tréguier, conseiller du roi, qui déplorait dans son mandement du 14 Septembre (page 10) que : « le Disciple obstiné de Moïse, que le fanatique sectateur de Mahomet, que l’adorateur insensé des plus méprisables Idoles, que l’artificieux Socinien, que l’aveugle & voluptueux Athée, que les sectes les plus contraires, les plus absurdes, reposent avec le Chrétien Catholique sous l’aile & la protection du gouvernement Français. »

    Il aura fallu attendre en effet la Révolution française, pour que la tolérance religieuse s’inscrive peu à peu dans la Loi.

Voici le compte rendu de l’intervention de ces envoyés Juifs :

MM. les députés de la Lorraine demandent que plusieurs envoyés juifs des provinces des Trois-Evêchés, d'Alsace et de Lorraine soient admis à la barre ; l'Assemblée les fait introduire.

M. Besr-lsam-Besr, juif . Messeigneurs ,

C'est au nom de l'Eternel, auteur de toute justice et de toute vérité ; c'est au nom de Dieu qui, en donnant à chacun les mêmes droits, a prescrit à tous les mêmes devoirs ; c'est au nom de l'humanité outragée depuis tant de siècles par les traitements ignominieux qu'ont subis, dans presque toutes les contrées de la terre, les malheureux descendants du plus ancien de tous les peuples, que nous venons aujourd'hui vous conjurer de vouloir bien prendre en considération leur destinée déplorable.

Partout persécutés, partout avilis, et cependant toujours soumis, jamais rebelles ; objet, chez tous les peuples, d'indignation et de mépris, quand ils n'auraient dû l'être que de tolérance et de pitié, ces juifs, que nous représentons à vos pieds, se sont permis d'espérer qu'au milieu des travaux importants auxquels vous vous livrez, vous ne rejetterez pas leurs vœux, vous ne dédaignerez pas leurs plaintes ; vous écouterez avec quelque intérêt les timides réclamations qu'ils osent former au sein de l'humiliation profonde dans laquelle ils sont ensevelis.

Nous n'abuserons pas de vos moments, Messeigneurs, pour vous entretenir de la nature et de la justice de nos demandes ; elles sont consignées dans les mémoires que nous avons eu l'honneur de mettre sous vos yeux.

Puissions-nous vous devoir une existence moins douloureuse que celle à laquelle nous sommes condamnés ! Puisse le voile d'opprobre qui nous couvre depuis si longtemps se déchirer enfin sur nos têtes ! Que les hommes nous regardent comme leurs frères ; que cette charité divine, qui vous est si particulièrement recommandée, s'étende aussi sur nous ; qu'une réforme absolue s'opère dans les institutions ignominieuses auxquelles nous sommes asservis, et que cette réforme, jusqu'ici trop inutilement souhaitée, que nous sollicitons les larmes aux yeux, soit votre bienfait et votre ouvrage.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5177_t1_0444_0000_8

    Le Mémoire rédigé par Isaac Ber-Bing pour la communauté des Juifs établis à Metz, annexé à la séance du jour, est accessible par le lien suivant :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6402_t1_0445_0000_8


14 Octobre 1789 : Marat dérange l'Assemblée nationale, Necker, Bailly et Lafayette (ça fait du monde)

 

Jean-Paul Marat

    Ce mercredi 14 octobre, on lit à l’Assemblée nationale une requête de M. Marat, arrêté comme auteur d'une diatribe indécente contre l'Assemblée nationale et M. Necker, et qui demande la liberté.

M. Gaultier de Biauzat observe que la ville de Paris, qui a fait emprisonner l'auteur, suit cette affaire, et qu'il est inutile de s'occuper de cette requête.

L'Assemblée prononce un renvoi au comité des rapports.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5174_t1_0441_0000_2


    Attendu que Marat ne cesse également de critiquer les actions de la Commune de Paris et plus particulièrement les actes de son maire, Bailly, on se doute bien que les choses ne vont pas s’arranger pour lui…

Le très dérangeant Marat

    Je vous avais déjà parlé du très dérangeant Marat dans ma publication du 28 septembre.

Numéro du 8 octobre 1789
    Le dernier numéro de son journal « L’ami du Peuple » le n°XXVIII, date du 8 Octobre 1789. Il commence par un compte rendu de la séance du 7 octobre à l’Assemblée nationale et se termine par une lettre écrite quelque part dans une campagne inconnue près de Versailles. Je vous invite vraiment à le lire. Vous le trouverez dans une fenêtre sur la BNF, en bas de cet article.

Suite à une dénonciation faite par la commune devant les instances judiciaires, Marat a de nouveau été convoqué à l’Hôtel de Ville le 3 octobre dernier pour répondre de ses accusations dans les numéros 15 à 23 de son journal. Dans ses numéros 20 et 21, Marat a dénoncé ouvertement Bailly, le Maire de Paris et la plainte a suivi son cours. Le 4 octobre, le procureur du roi, Deflandre de Brunville, a écrit au lieutenant criminel du Châtelet, et, les 8 et 9 octobre, des huissiers, envoyés par le Châtelet, se sont rendus domicile de Marat.

Marat dénonce

    Marat dénonce, et ce verbe n’a pas à l’époque la connotation négative qu’il a pour certains aujourd’hui, qui confondent dénonciation et délation. Comme le précise le dictionnaire, une délation est une dénonciation inspirée par des motifs méprisables. Alors qu’une dénonciation a pour objet de faire connaître, comme le dit le même dictionnaire, une chose répréhensible (Dénoncer des abus par exemple). Aujourd’hui, on dirait que c’est un « lanceur d’alerte ». Dénoncer une injustice, fait partie du travail d’un journaliste et Marat, précisément, est un journaliste.

    Marat considère que la dénonciation est totalement liée à la liberté de la presse, et à l’exercice de la justice à l’échelle du citoyen. Il explique cela dans la partie du « Pouvoir judiciaire » de son plan de Constitution : 

« Lorsqu’ils [les citoyens] ne peuvent faire entendre leur voix, il faut que le législateur ménage à l’homme généreux et courageux un moyen sûr et prompt de rendre leurs plaintes publiques. Ainsi, quand la liberté de la presse ne serait pas un droit de tout citoyen, elle devrait être établie par un décret particulier. Seulement, pour prévenir toute licence, toute dénonciation sera signée par son auteur.»

Avertissement contre les dénonciations non signées, figurant dans son journal.

Mirabeau dénonce également

    Nous avons vu le 10 octobre, Mirabeau dénoncer devant l’Assemblée le ministre Saint Priest, pour des propos diffamant les députés qu’on aurait prêtés à celui-ci. Cette dénonciation avait un léger parfum de délation, car lui-même n’avait pas entendu ces propos et le ministre a été bien aise de démontrer qu’il ne les avait jamais tenus. Quand bien même Saint Priest eut-il tenu ces propos, qu’on ne l’aurait guère inquiété plus pour cela. 

    Mais Marat n’est pas Mirabeau. Marat vit en-dessous du plafond de verre qui empêche, et ce quelques-soient leurs talents, toute ascension sociale aux gens du peuple. C’est le cas également de Babeuf, qui malgré son instruction et son intelligence, sera toute sa vie condamnée à l’indigence. Nous reparlerons de Babeuf en juin 1790, lorsqu’il écrira à Marat pour dénoncer ses conditions de rétention en prison (Babeuf sera arrêté avec quelques 500 autres pauvres bougres, accusés de l’incendie des barrières des fermiers généraux la nuit du 13 juillet 1789).

Un homme engagé

    Quand Marat, épris de justice sociale, dénonce les enrichissants arrangements entre les honnêtes gens du Tiers Etat et de l’aristocratie, il risque sa liberté. En quatre ans d’exercice de sa fonction de journaliste, Marat ne sera libre que 397 jours, et sera sous le coup, de décrets pendant 1064 jours. Ce qui signifie qu’il ne bénéficia que de 13 mois de liberté, et fut, 35 mois durant sous la menace d’un décret, ou dans la clandestinité. Ses ennemis n’hésiteront pas non plus à faire détruire ses presses ou à emprisonner son imprimeur.

    Marat a 46 ans en 1789. C’est un homme qui a de la maturité et de l’expérience, plus que bon nombre de révolutionnaires bien plus jeunes que lui. Le bouillonnant Camille Desmoulins qui créera en Novembre prochain son journal « Les Révolutions de France et de Brabant », n’a que 29 ans, Danton en a 30 et Robespierre 31. Marat a décidé de consacrer sa vie à la vérité, comme l’indique la formule latine en tête de son journal : « Vitam impendere vero », « Consacrer sa vie à la vérité ». Cette devise du poète satirique Juvénal avait été également reprise par Rousseau dans sa lettre à d’Alembert.

    Marat vit au milieu du peuple et il le connait bien. Il connait particulièrement bien sa misère et sa détresse. Marat vit à la frontière de sa classe sociale et de ce poste dangereux, il observe, analyse et comprend les agissements et manœuvres diverses de la classe dirigeante. Il a assisté à ce qui ne fut rien d’autre qu’un coup de force de la bourgeoisie pour prendre le pouvoir et il en a compris le mobile. Mobile que l’on pourrait résumer en citant Barnave, avocat du Dauphiné et député à l’Assemblée : « Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des pouvoirs ». Une nouvelle classe sociale, riche, travailleuse et instruite, a pris le pouvoir sur une classe sociale obsolète et décadente, la noblesse.

    Vous aurez cependant remarqué, que devant la lenteur de l’ancien régime à comprendre la situation, ces bourgeois du Tiers Etat n’ont pas hésité à utiliser le peuple pour accélérer un peu le mouvement. Hormis les habituelles émeutes frumentaires causées par le manque de pain, la plupart des événements de juillet 89 ont été plus ou moins organisés par des hommes de mains de certains grands personnages. Le peuple ayant été mis à contribution, on ne peut lui reprocher d’attendre quelques bénéfices de cette révolution, ne serait-ce que de pouvoir manger à sa faim. Hélas, sa situation ne va pas en s’améliorant.

    Marat voit bien que les nouveaux riches font très vite la paix avec les anciens riches et que déjà les « affaires » reprennent. Nous verrons plus tard que de véritables fortunes se sont constituées pendant et grâce à la révolution. Marat dénonce les « accapareurs », les affairistes qui spéculent sur le blé. Marat critique la politique de Necker, en mettant en évidence ses méfaits directs et indirects. Ce numéro du 8 octobre traite précisément de cela !

    Marat irrite donc au plus haut point les élus du Tiers Etat parisien (éligibles parce que riches, rappelons-le), car il voit claire dans leur jeu. De plus, Marat n’apprécie guère Bailly, le maire de Paris, qui a été nommé Maire le 15 juillet 1789 par l'acclamation d'une assemblée hétéroclite d'électeurs des soixante districts parisiens et de quelques députés de l'Assemblée nationale. Ce que l’on ne peut guère qualifier d’élection démocratique, convenons-en.

Un mot sur Bailly

    Jean Sylvain Bailly, né d’une famille d’artistes peintres, d’abord tenté par le théâtre puis initié à l’astronomie par le célèbre astronome, l’abbé Lacaille, n’avait pas véritablement l’âme d’un artiste, les yeux perdus dans les étoiles. Il se consacra à la politique et bénéficia de circonstances on ne peut plus bénéfiques à sa carrière. Il fut par exemple le premier à prononcer le fameux serment du Jeu de Paume le 20 juin 1789 (qui avait eu lieu après que les députés du Tiers Etat, lassés de la tournure que prenaient les Etat Généraux, se soient constitués en Assemblée nationale le 17 juin et que le roi, en représailles, ait fait fermer leur salle de réunion, la salle des Menus Plaisirs à Versailles ; ce qui les avait obligés à se réunir dans le gymnase du jeu de paume).

    Nous verrons plus tard que les soupçons de Marat étaient fondés, car Bailly n’était pas un tendre. C’est lui qui, le 17 juillet 1791, fera hisser le drapeau rouge signifiant l’état d’urgence et qui ordonnera à Lafayette de disperser par la force le peuple venu demander la destitution du roi après la fuite de celui-ci et son arrestation à Varennes. La garde nationale tirera sur la foule et fera des dizaines de morts.

    Marat n’apprécie pas non-plus Lafayette, qui comme par hasard, est très proche de Bailly. Il faut dire que le destin de ces deux hommes était très lié en ce moment de l’histoire. Comme le fait si justement remarquer l’historien Jules Michelet : 

« Un maire de Paris, un commandant de Paris, nommés sans l’aveu du roi par les électeurs, ces places acceptées par des hommes aussi graves que Bailly et La Fayette, les nominations confirmées par l’Assemblée, sans rien demander au roi, ceci n’était plus l’émeute, c’était une révolution, bien et dûment organisée. »

(Livre II, chapitre 1er, page 277)

Nous reparlerons bientôt de Lafayette...

Necker, le "faiseur"

    Marat n’aime pas Necker ! Ce qui relève presque du sacrilège en cette période où Necker est littéralement adulé. Son hostilité, la non-plus, n’est pas infondée. Parce que le grand Necker, tout ministre qu’il est, n’en est pas moins banquier et un banquier qui s’est enrichi grâce à sa politique d’emprunts répétés. En effet, sa propre banque, chaque fois a prêté à l’Etat en récoltant de faramineux intérêts. Il s’est aussi enrichi (encore au détriment de l’Etat) grâce à ce que nous appellerions aujourd’hui, des délits d’initiés. 

Lisez cet article passionnant dans lequel vous trouverez le détail de la première arnaque de Necker au dépend de l’Etat français :

Cliquez sur le lien : La Révolution française expliquée aux enfants

    Ce genre de pratiques étaient coutumières sous l’ancien régime et elles ne choquaient guères le beau monde. Il était normal qu’un ministre s’enrichisse. (Toujours cette croyance étrange relative à l’enrichissement d’un seul profitant à tous.) Marat appelle ironiquement Necker le « grand faiseur » en rappelant que Necker est un ministre des Finances qui ne rend pas de comptes. En rendrait-il d’ailleurs, que probablement peu s’y intéresseraient. Souvenez-vous de son plan de redressement auquel les députés n’ont pas bien compris grand-chose, mais qu’ils ont voté le 26 septembre, « De confiance ».

    Je vous invite donc à lire les quelques pages de ce numéro 28 de l’Ami du Peuple. Vous comprendrez mieux pourquoi Jean Paul Marat dérange tellement.

mardi 13 octobre 2020

13 Octobre 1789 : Théorie du complot, ou ange exterminateur ?

Tableau de Chagall représentant
l'ange exterminateur survolant
la maison d'une famille.

Complots partout, vérité nulle part.

    Je reviens sur un courrier rédigé par notre ami l’avocat Adrien Joseph Colson, que j’avais déjà évoqué à l’occasion de mon article concernant les journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre. Rédigé en date du 13 octobre 1789, il rapporte une folle rumeur de complot circulant dans les rues de Paris.   

    Chaque époque à ses théories du complot et ses légendes urbaines. Les légendes urbaines, comme celle des crocodiles dans les égouts de New-York, relèvent probablement, tout comme les faits merveilleux d’autrefois avec les lutins, les fées ou les fantômes, d’un besoin de merveilleux ancré dans nos esprits, une curiosité pittoresque héritée des débuts de l’histoire humaine. Les théories du complot relèvent plus d’une certaine crainte du pouvoir et surtout de l’incompréhension grandissante des gens vis-à-vis d’un monde de plus en plus compliqué.

    Une théorie de complot présente en effet l’avantage d’apporter une réponse simple mais séduisante voire spectaculaire, à des questions dont les réponses sont multiples et compliquées à penser. Raison pour laquelle, dans notre monde contemporain devenu incroyablement complexe, les théories du complot croissent presque exponentiellement, à mesure que celui-ci devient difficile à penser. Nos contemporaines théorie du complot sont aisément démontables pour qui possède une certaine éducation (une bonne connaissance de l’histoire est fort utile), agrémentée d’un esprit critique affirmé. Mais nos ancêtres du XVIII siècle étaient en grande majorité dépourvus de ces outils d’analyse (hormis l’esprit critique).

    Se moquer des théories du complot est chose facile. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que des complots existent bien ! L’Histoire nous en donne tant d’exemples ! Au fil de cette chronique, nous serons amenés à en découvrir de nombreux, ou tout au moins des faits qui y ressemblent.

Qu’est-ce qu’un complot au demeurant ?

    Le dictionnaire en ligne du CNRS nous en donne la définition suivante : « Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté. »

    Ça ne vous fait penser à rien ? Ne pourrait-t-on imaginer que la Révolution française ne fut rien d’autre qu’un complot, mené par les représentants d’une nouvelle classe sociale pour renverser une ancienne ? Je pense que c’est un peu plus compliqué que ça. Pas besoin d’imaginer un complot pour expliquer la mécanique de cet événement historique. Ne confondons pas les multiples forces issues d’une infinité de frustrations sociales, qui ont concouru à renverser un système obsolète, avec un complot. Ce serait, comme je vous l’ai dit plus haut, donner une explication simple et unique, à quelque chose de bien trop complexe. Nous avons d’ailleurs déjà commencé de l’entrapercevoir, quasiment tout le monde à l’époque voulait que la société change, y compris le roi lui-même ! La grande majorité des Français adorait d’ailleurs ce bon gros Louis, et dans un premier temps, les révolutionnaires ne désiraient rien tant que de le débarrasser de l’oisive aristocratie qui empêchait toute réforme.

    De plus, comme l’a dit un homme politique de notre époque, plutôt réputé pour son intelligence (Michel Rocard) :

« Entre le complot et la bêtise, je donne toujours l’avantage à la bêtise qui admettons-le est très répandue, plutôt qu’au complot qui demande de la constance et de l’intelligence, des qualités qui sont beaucoup plus rares ».

    Imaginez la somme, non seulement d’intelligence, mais également d’organisation et de moyens, qu’il eut fallu pour renverser cette monarchie toute puissante !

    La monarchie est tombée parce que son système de pensée périmé l’avait rendue inefficace, inopérante. Faute de pouvoir changer en s’adaptant aux nouvelles conditions de son milieu, elle était condamnée à se déliter peu à peu et mourir. C’est donc plutôt un manque d’intelligence qui fut cause de son effondrement.

    Ce que nous allons donc appeler par commodité des complots, durant cette longue période prérévolutionnaire et révolutionnaire, relève plus selon moi d’initiatives d’individus ou petits groupes sociaux, pour faire avancer (progresser) une société figée.

    Le mot complot comporte de plus une connotation négative ; un jugement de valeur qui oriente aussitôt la pensée, et bien souvent sur des fausses pistes. L'intention « de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution », dans la définition du dictionnaire, ne signifie pas systématiquement nuire au bien commun de la majorité ! N’est-ce pas plutôt dans les théories du complot qu’un pouvoir malfaisant veut nuire à la majorité ?

Vous l’aurez compris, je suis prudent avec ce terme.

 Les angoisses de Colson.

    Revenons au courrier de notre ami Adrien Joseph Colson. J’ai mentionné l’ange exterminateur dans mon titre, parce que c’est ce à quoi m’a fait penser cette histoire de comploteurs apposant des marques criminelles sur les portes des maisons. L’imaginaire collectif se nourrit de songes et de fables. Faute d’être informés et éduqués, les Parisiens du XVIIIème siècle, n’avait à leur disposition que bien peu d’outils pour penser, et la religion était le principal. 

    Ce marquage des portes m’a fait penser à un passage de l’ancien testament (Exode ch12), la dixième plaie envoyée par l’Éternel contre les Égyptiens pour qu’ils libèrent le peuple Juif de l’esclavage. Dieu envoie son ange exterminateur pour tuer tous les premiers nés de chaque famille égyptienne. Mais afin d’épargner son peuple, il lui fait dire par son prophète Moïse : 

« Prenez un agneau ou un cabri pour vos familles et égorgez-le pour la fête de la Pâque. Vous prendrez une branche d'hysope, vous la tremperez dans le récipient qui contient le sang de l'animal. Puis vous couvrirez de sang les deux montants et la poutre au-dessus de la porte d'entrée. Ensuite, personne ne devra sortir de sa maison avant le matin. Le Seigneur traversera l'Égypte pour punir ses habitants. Mais quand il verra le sang sur les montants et sur la poutre, il passera et il ne laissera pas le Destructeur entrer dans vos maisons. » (Oui, je sais, ce massacre des innocents égyptiens, par ce dieu cruel est horrible).

    Je ne suis pas en mesure de vérifier si ce marquage des portes a bien eu lieu à Paris. Même si cela relève d’une théorie du complot, je la trouve intéressante. A noter que dans ce cas, le marquage des portes avait pour objet de tuer et non pas d’épargner les habitants.

Extrait du courrier du 13 octobre 1789 rédigé par Adrien Joseph Colson.

"Je reprends le détail de notre affligeante situation où je l’ai laissée par ma dernière.

    Les femmes n'ont pas remué depuis quelques jours. Puissent-elles demeurer toujours dans cette tranquillité I La dame de la rue Mazarine qui, comme vous l'avez vu, Monsieur, par l'imprimé que j'ai joint à ma dernière lettre, enrôlait pour le parti qui devait égorger la garde nationale de Paris et beaucoup d'autres citoyens, n'a rien déclaré dans son interrogatoire, mais l'on prétend que ses deux complices en ont déclaré d'autres qui ont été arrêtés l'avant-dernière nuit. Ce parti, désespéré sans doute d'être découvert à moitié, ou peut-être une autre cabale encore indépendante de la première, crayonne ou peint de différentes couleurs différentes marques et quelquefois des chiffres sur différentes maisons, pour les faire connaître à Ia cabale et leur faire sans doute subir le sort auquel les chefs les ont condamnées. Le blanc marque, dit-on, qu'elles sont condamnées à être volées, le noir à être brûlées, le rouge à y tuer ceux qui les occupent, d'autres marques et des chiffres qu'on y ajoute quelquefois indiquent d'autres atrocités. J'ai vu, dimanche dernier, conduire en prison un de ces marqueurs assez bien mis qu'on venait d'arrêter et qui, loin de paraître inquiet, avait un air de satisfaction et presque triomphant, s'assurant peut-être que sa cabale le délivrerait. Quelqu'un m'a dit en avoir vu arrêter hier cinq supérieurement bien mis. Un particulier que je crois en grade dans la garde nationale a dit hier, en ma présence chez Monsieur Ladoubé, qu'il en avait arrêté un, lequel a témoigné que sa misère l'y avait porté pour gagner de l'argent et qu'il déclarerait celui qui l'avait payé à cet effet. Tout Paris sait le nom d'un particulier d'un rang distingué lequel on a trouvé la nuit, déguisé en manouvrier, ayant les doigts blancs d'avoir touché la craie, ayant de cette craie dans la poche, et étant contre une maison vis-à-vis et en face d'une de ces marques blanches. On en veut aux représentants de la commune de n'avoir osé, à cause de son rang sans doute, le faire arrêter.

(...) Cette abominable cabale met tout Paris en alarme. Bien des femmes en sont tombées malades et dans des états terribles de frayeur. On a beaucoup renforcé la garde ces jours-ci, les patrouilles sont en grand nombre, la nuit on éclaire dans la rue au premier des maisons et, malgré ces précautions, personne ne peut s'assurer d'exister encore dans deux fois 24 heures. Je supplie donc Monsieur le Marquis et Monsieur le Comte de ne pas songer encore au retour et d'attendre une quinzaine de jours si l'orage éclatera et à quel point. Il est bien plus à craindre qu'une armée qui viendrait attaquer) étant indubitable que, si l'on entreprenait de mettre le feu à 2 ou 3000 maisons à la fois, quand l’incendie ne réussirait qu'à 5 ou 600 points, il diviserait Paris en une infinité de troupes pour porter secours, que ces pelotons d'hommes et de femmes pêle-mêle ne seraient munis d'aucune arme pour se défendre et qu'il serait aisé à un parti, sans être bien puissant, de les accabler, de les dissiper et d'exercer tous les brigandages qu'il voudrait. Si nous avions des lois criminelles, on ferait bientôt des exemples et cela arrêterait aussitôt le cours de ces désordres, mais il n'y en a encore que 17 articles de bien avancés, et les municipalités qui doivent exercer la justice criminelle, ainsi que la police, ne sont pas encore établies. Ainsi, nous ne pouvons encore y appliquer le remède.

    L'Assemblée nationale va bientôt transférer sa résidence à Paris : elle va venir ces jours-ci tenir ses séances à l'archevêché pendant qu'on préparera le manège aux Tuileries pour les tenir, et elle établira ses bureaux de comités aux Capucins et aux Feuillants.

    J'entends, depuis un quart d'heure au plus, crier une déclaration du roi pour la contribution patriotique. J'imagine que c'est pour payer le quart du revenu dans l'espace de deux ans et demi environ. Attendons et espérons. Quoiqu'il y ait du danger, je ne perds nullement l'espérance, et peut-être se dissipera-t-il en grande partie à ma première lettre. Amen ! (...)

 

Alors ? Qu'en pensez-vous ? 😕

 

lundi 12 octobre 2020

12 Octobre 1789 : Louis XVI et son frère Artois, appellent secrètement à l’aide les cours étrangères

 Louis XVI trahit sa parole.

Charles IV, roi d'Espagne

    Louis XVI confie ce 12 octobre à Monsieur de Fontbrune, un agent secret recommandé par l’ambassadeur d’Espagne Fernàn Nañes, une lettre pour son cousin le roi d’Espagne Charles IV.

Il écrit dans celle-ci :

« Je me dois à moi-même, je dois à mes enfants, je dois à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans ma dynastie…

« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »

Source extrait courrier : https://www.you-books.com/book/M-Gallo/Le-Peuple-et-le-Roi

Son frère s'enfuit...

Le comte d'Artois

    De son côté, le comte d’Artois, frère du roi, (futur Charles X) qui a déjà quitté la France depuis le 16 juillet, écrit une lettre à Joseph II, empereur d’Autriche et beau-frère du roi. La réponse de celui-ci sera négative et même assez dure dans ses termes. Joseph II ira même jusqu’à accuser ce qu’il appelle le parti aristocrate, d’avoir effrayé le peuple. Il terminera sa réponse en écrivant : « Le temps qui éclaircit tout, viendra peu à peu remettre tout en ordre ». Pour sa défense, il faut rappeler que le frère de Marie Antoinette avait alors d’autres soucis puisqu’il était en guerre depuis 2 ans au côté des Russes contre les Turcs de l’empire Ottoman. Il venait même de conquérir la ville de Belgrade le 9 octobre dernier.

 

    Plus tard, le 7 juillet 1791, Louis XVI donnera les pleins pouvoirs à ses frères Provence et Artois pour négocier en son nom auprès des cours d’Europe (source : Klinckowström, Fersen, 1:145). Il fera même savoir (en vain) aux Anglais en mai 1791, par l’intermédiaire du marquis de Bouillé qu’il serait prêt à céder quelques colonies en échange d’une intervention, même limitée à des menaces.

    Concernant Monsieur de Fontbrune, (parfois désigné Abbé Fontbrune), j’ai remarqué dans le journal du Marquis de Bombelles que celui-ci l’avait connu comme étant une âme damnée du Duc d’Orléans ! (Journal du Marquis de Bombelles en date du 5 Mai 1790)


Etonnant, non ?

    Comprenez bien que tous les serments et paroles donnés par Louis XVI depuis juin 1789 n'ont eu de valeur pour lui. Il se joue de l'Assemblée nationale, trame et complote ; et il ne cessera pas jusqu'à son emprisonnement le 10 août 1792.

  Ne dramatisons pas. Louis XVI est intimement persuadé qu'il est dans son droit de monarque de droit divin. Il est déterminé par son éducation et sa foi. Les Français ne sont pour lui que des sujets, et non pas des citoyens. Les Français sont assujettis à sa personne et doivent se plier à sa volonté...

    Pour retrouver son statut de monarque absolu, peut lui importe de devoir mentir ni même de céder des parts du territoire français à l'ennemi juré de la France, c'est-à-dire, le Royaume uni.

    Les rois sont solidaires les uns des autres. Leurs peuples respectifs ne sont que des ressources dont ils usent à leur guise y compris pour régler leurs petites chamailleries (comme les successions par exemple) par des guerres meurtrières.

    Voilà pourquoi la Révolution française a été une étape importante dans l'histoire de l'humanité. Depuis l'invention de la Démocratie à Athènes, c'est l'éternel combat entre la société close, tribale, religieuse et totalitaire et la société ouverte humaniste, si bien expliqué par le philosophe Karl Popper. Il faudra que je vous en parle un jour...





dimanche 11 octobre 2020

11 Octobre 1789 : Le pain est de retour dans Paris avec le roi, mais le dideau n'est pas loin.


    Les Parisiennes avaient raison. Si le roi réside dans Paris, le pain s'y trouvera aussi et c'est effectivement ce qui se passe. Mais, car il y a un "mais", le retour soudain du pain pose questions. Pourquoi a-t-il manqué ces derniers jours, alors que des convois de blé ne cessent d'affluer vers Paris ? L'approvisionnement du pain constitue à lui seul un vrai mystère pendant la Révolution française. Qui ne veut pas tenir compte des rumeurs populaires et des théories de complots, doit malgré tout se poser des questions à la lecture de certains documents et témoignages. J'ai d'ailleurs rédigé un article à ce sujet : "La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés". Article auquel l'historienne Aurore Chery m'a fait l'honneur de répondre par un autre article 

    Notre ami Adrien-Joseph Colson rend compte de la situation telle qu'il la perçoit, à son ami de Province dans son courrier du 11 octobre 1789. Je vous rappelle que Colson est avocat au Parlement de Paris. C'est donc un bourgeois qui fait très certainement partie des électeurs du Tiers état. Son témoignage est toujours intéressant, en raison du fait qu'il côtoie chaque jour le petit peuple et qu'il est ainsi informé de toutes les rumeurs qui circulent dans Paris. A le lire, vous remarquerez cependant son ton plutôt méprisant à l'égard des petites gens.

Lisons cet extrait de son courrier du 11 octobre :

Réapparition miraculeuse du pain.

    Quoique le jour où le roi est arrivé à Paris l'on eût dans la matinée de la peine à avoir du pain, le soir il y en avait en abondance et de reste chez les boulangers. Les jours suivants il en regorgeait, dit-on, et cependant l'on assure que les boulangers en cuisent bien moins que lorsqu'il y avait disette.

    On ajoute qu'on en a beaucoup jeté dans les puits, dans les commodités, et qu'on en a trouvé 500 dans les filets de Saint-Cloud. (1)

Division chez les femmes du peuple.  

    Le mardi 6, le lendemain de l'arrivée du roi, une troupe de femmes s'est emparée à la halle d'environ 300 tonneaux de farines sous prétexte qu'elles étaient gâtées, quoiqu'on dise que dans cette quantité il s'en trouvait au moins cent tonneaux de bonnes, et elle les a jetés à la rivière à la vue des croisées du roi (sous ses fenêtres) d'où il pouvait les voir.

    Le même jour et les jours suivants, elles arrachaient les rubans que les dames portaient sur leurs bonnets sans qu'on sache par quel motif ni à quel dessein. Et elles commençaient à extorquer de l'argent des ecclésiastiques qu'elles rencontraient. Elles allaient vraisemblablement passer à de plus grands excès si ces premiers eussent été soufferts et, par le danger qu'il y avait d'exercer contre elles des contraintes, il était difficile de les réprimer.

    Mais heureusement, les femmes de la halle ont envoyé une députation à l'Hôtel de Ville pour témoigner qu'elles désapprouvaient extrêmement toute cette conduite, et elles se sont engagées à contenir toutes ces femmes dans l'ordre si on voulait leur donner quatre hommes par districts. Cette division survenue dans le parti des femmes a fait qu'hier les turbulentes d'entre elles n'ont rien entrepris. Mais nous n'en sommes pas plus tranquilles. 

Un complot ? 

    Je joins ici une feuille imprimée qui vous instruira d'un complot affreux qui vient de se découvrir et dont les suites nous ont fait craindre que dans la nuit dernière on ne mît le feu à deux ou trois mille endroits dans Paris. Je suis obligé, le temps me manquant, de vous en entretenir au premier courrier. Voilà les suites du soulèvement exécuté par 2 ou 300 barboteuses de la fange de Paris. (...) Je n'ai pas le temps de relire cette lettre. (Le courrier pour la Province doit partir bientôt.)

    Je vous renvoie à l'article de la journée du 13 octobre 1789 pour en apprendre plus sur ce complot.

(1) Les filets de Saint-Cloud ?

    Lorsqu'on cherche à se renseigner à propos de ces filets de Saint-Cloud, on découvre de drôles d'infos. Il semble en effet que ces filets faisaient beaucoup parler les Parisiens.

Vue du Pont de Saint-Cloud (Cherchez les filets)
Source

    Selon certains, ces filets étaient tendus jour et nuit et leur but était de recueillir tous les objets entrainés par le fleuve ainsi que les cadavres de ceux qui se suicidaient dans la Seine, ou qui étaient assassinés avant d'être jetés dans l'eau. C'est pittoresque, mais probablement faux.

    J'ai trouvé un texte ("La Morgue" publié en 1831) dans lequel l'auteur, Léon Gozlan s'irrite de cette fable :

"Mais c'est une erreur qu'il faut absolument détruire ; pardon, pour cette illusion perdue ! Il n'y a pas de filets à Saint-Cloud, et il ne saurait y en avoir. La trame qui arrêterait les voyageurs sous-marins serait, ou assez plongée dans la rivière pour n'être pas déchirée par les bateaux, et dans ce cas elle laisserait passer les noyés, ou elle s'élèverait à fleur d'eau, et alors les bateaux et les trains ne passeraient plus. Ainsi donc, que les amours discrets qui embellissent la Tête noire de leurs soupers voluptueux ne craignent pas d'arrêter leurs regards distraits sous l'arche majestueuse du pont de Saint-Cloud, qu'ils admirent Boulogne, antichambre du séjour royal ; Sèvres, ville de porcelaine ; Saint-Cloud et sa noble avenue ; qu'ils se laissent aller à la mélancolie bleue du soir, quand la Seine double le paysage par la limpidité de ses eaux roses et damassées, ils ne verront pas monter lentement ce prétendu filet, serrant dans ses mailles puissantes, comme un poisson de l'Océan, l'épouvantable objet de leur préoccupation."

    Mais il y avait bien des filets tendus sous le pont reliant Saint-Cloud à Boulogne. Il s'agissait d'un grand dideau, c'est-à-dire un filet suspendu par des potences et des poulies que l'on tendait ou relâchait suivant les occasions. Le but de ce filet était plutôt de pêcher des poissons que des cadavres.

    Une gravure de 1799 représente d'ailleurs l'un des pêcheurs qui devait exercer son métier à Saint-Cloud.

Source : Paris Musées

    Au début du siècle dernier on pêchait encore ainsi les aloses, des poissons migrateurs, sous le pont de Nantes.
    

    J'ai envie d'évoquer également le grand Victor Hugo, qui dans les Misérables souhaite l'installation de filets à Saint-Cloud :

"Quant à la France, nous venons de dire son chiffre. Or, Paris contenant le vingt-cinquième de la population française totale, et le guano parisien étant le plus riche de tous, on reste au-dessous de la vérité en évaluant à vingt-cinq millions la part de perte de Paris dans le demi-milliard que la France refuse annuellement. Ces vingt-cinq millions, employés en assistance et en jouissance, doubleraient la splendeur de Paris. La ville les dépense en cloaques. De sorte qu’on peut dire que la grande prodigalité de Paris, sa fête merveilleuse, sa folie Beaujon, son orgie, son ruissellement d’or à pleines mains, son faste, son luxe, sa magnificence, c’est son égout.

C’est de cette façon que, dans la cécité d’une mauvaise économie politique, on noie et on laisse aller à vau-l’eau et se perdre dans les gouffres le bien-être de tous. Il devrait y avoir des filets de Saint-Cloud pour la fortune publique."


Pêche au dideau sur la Loire en 1936.
Source


Post Scriptum :

    Oui, je sais, je digresse parfois un peu. Mais il y a tant de choses à apprendre. Donc, je vous demande pardon pour le dideau.

    Mais blague à part, le pain fut vraiment l'acteur principal de cette Révolution.