jeudi 29 octobre 2020

29 Octobre 1789 : Le clause du marc d’argent, symbole d’une révolution de propriétaires.

Un droit, pas vraiment égal pour tous, celui d'être éligible...

Source BNF Gallica

    Aujourd’hui, une discussion très animée a eu lieu à l’Assemblée nationale autour de la clause concernant le marc d’argent, qui figurera dans le décret sur la loi électorale. Le marc d’argent sera le montant d’impôt dont devra s’acquitter un citoyen pour être éligible.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5255_t1_0598_0000_3

    Rappelons que c’est le projet porté par l’abbé Sieyès qui a fini par être validé par les députés. Les simples "machines de travail", appellation sous laquelle Sieyès désignait ceux qui n’étaient pas assez riches pour payer un impôt, ne seront pas autorisées à voter. Sur les sept millions trois cent mille citoyens de sexe masculin, âgés de plus de 25 ans (âge retenu pour la majorité civile), qui ont été dénombrés, ces "machines" vont constituer la catégorie des trois millions de citoyens dits "passifs". 

    Concernant la situation des femmes, je vous renvoie à mon article sur Olympe de Gouge (qui va vous surprendre) ainsi qu’à celui du 22 octobre 1789.

    Les citoyens français ont donc été divisés en deux parties : les citoyens passifs et les citoyens actifs ; cette dernière catégorie étant elle-même divisée en trois parties !


Les citoyens passifs.

    Les citoyens passifs ne jouissent que de leurs droits civils, les droits politiques étant réservés aux citoyens actifs.


Les citoyens actifs, à trois degrés.

    Les citoyens actifs sont ceux qui acquittent aux impôts une contribution directe au moins égale à la valeur de trois journées de travail. Seuls 4.298.360 citoyens actifs seront donc autorisés à voter lors des élections de 1791, mais leur vote sera indirect ! En effet, ces citoyens actifs devront se contenter de désigner des électeurs dits, du second degré.

    Les citoyens actifs du second degré sont ceux qui paient des impôts d’une valeur au moins égale à dix journées de travail, mais en aucun cas ils ne pourront être éligibles.

    Les citoyens actifs ayant le droit d’être éligibles, devront justifier d’une imposition directe d’au moins un marc d’argent, soit cinquante livres (c'est beaucoup) et posséder une propriété foncière !

    Raison pour laquelle on appelle "décret du marc d’argent", ce texte de loi qui réduit le corps des gouvernants aux grands propriétaires terriens, nobles ou roturiers, selon le modèle anglais si cher aux députés.


Le marc d'argent ?

  Le marc était une unité de poids de l’ancien régime, correspondant à environ 244,75 grammes.


Etonnant ?

    Il n’y a en effet rien d’étonnant à ce que cette assemblée de notables ait choisi ce système censitaire, entérinant ainsi une différenciation des citoyens par l’argent. On peut se dire que c’était déjà un grand pas en avant et que le suffrage universel était peut-être un système beaucoup trop progressif, voire anachronique, dans cette société d’ancien régime si inégalitaire. 

    Les défenseurs de ce suffrage censitaire affirmeront d’ailleurs que celui-ci n'est pas injuste, car rien n’empêche qu’un citoyen passif, à force de travail (bien sûr), ne s’enrichisse suffisamment pour pouvoir devenir un jour un citoyen actif.

    N’oublions pas cependant, que quelques députés luttent contre ce seuil élitiste, et que certains vont jusqu'à défendre l'idée du suffrage universel durant les débats, comme Robespierre, cet incorrigible défenseur des pauvres. Dans la lettre qu'il adressera bientôt à son ami Buissart, Robespierre expliquera : "Ces dispositions sont l’ouvrage du parti aristocratique de l’Assemblée qui n’a pas même permis aux autres de défendre les droits du peuple et a constamment étouffé leurs voix par des clameurs ; de manière que la plus importante de toutes nos délibérations a été arrêtée sans discussion, dans le tumulte et emportée comme par violence." Plus vous découvrirez les idées de Robespierre, plus vous comprendrez les vraies raisons pour lesquelles il fut autant détesté...

    Remarquons également que les citoyens passifs, ces exclus, sont en nombre inférieur (3 millions), par rapport à celui des citoyens actifs (4.3 millions). Le danger potentiel qu’ils représentent pour les propriétaires, aurait pu être sans trop de difficulté circonscrit, comme ce sera d’ailleurs le cas plus tard. Car le respect des notables et un certain clientélisme, étaient bien ancrés dans les esprits. Lors des premiers suffrages universels, beaucoup de ces anciens citoyens passifs voteront comme le curé ou le seigneur le leur diront.


Le combat contre le marc d'argent.

A l'Assemblée

    Les principaux députés à s’opposer à ce projet durant les débats auront été l’abbé Grégoire (bien sûr), Duport, Robespierre (évidemment), ainsi que Pétion et Prieur de la Marne.

    Dans son discours du 11 août 1791, défendant le principe du suffrage universel, Robespierre rappellera que le suffrage censitaire aurait interdit à Jean-Jacques Rousseau de pouvoir voter :

« Quelle serait la garantie de Rousseau ? Il ne lui eut pas été possible de trouver accès dans une assemblée électorale. Cependant, il a éclairé l’humanité et son génie puissant et vertueux a préparé vos travaux. D’après les principes du Comité, nous devrions rougir d’avoir élevé des statues à un homme qui ne payait pas un marc d’argent. »

Sources :
http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/robespierre-11-aout-1791
http://lettre-gallica.bnf.fr/le-projet-de-constitution-de-1791

    Cette clause du marc d'argent, continuera de faire l’objet de débats pour le moins houleux. Elle sera également attaquée dans la presse et moquée dans des caricatures vendues sous formes d’estampes.

Dans la presse.

Dans le numéro 2 de son journal des « Révolutions de France et de Brabant » Camille Desmoulins écrira à propos du Marc d’Argent (page 46)

« Je reviendrai quelque jour sur ce décret du marc d’argent, je l’ai toujours regardé comme un attentat révoltant aux droits de l’homme. Si j’avais eu l’honneur d’être à l’Assemblée nationale, je sens que j’aurais fait tant d’efforts pour empêcher ce décret de passer et pour opposer du moins à l’inégalité réelle des fortunes, l’égalité fictive des droits ; j’aurais parlé avec tant de véhémence que peut-être mon zèle m’eut-il coûté la vie, et j’aurais cru ne pouvoir mourir en plaidant une plus belle cause. Mais me voilà journaliste, et c’est un assez beau rôle. »


Abolition de la clause...

    C'est au lendemain de l'insurrection du 10 Août 1792, que les décrets des 11 et 12 août 1792 modifieront les règles et le corps électoral. "La distinction des Français entre citoyens actifs et non-actifs sera supprimée, et pour y être admis, il suffira d’être Français, âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu et du produit de son travail, et n’étant pas en état de domesticité."


Les estampes !

    Je suis particulièrement content de pouvoir vous présenter ces estampes, illustrant de façon très critique, la réaction populaire à ce décret du marc d’argent.

Source BNF Gallica

Source Paris Musées

Source BNF Gallica

Source BNF Gallica




mercredi 28 octobre 2020

28 Octobre 1789 : Suspension des vœux monastiques. « La religieuse » de Diderot a marqué les esprits…

Anna Karina dans "La religieuse" de Jacques Rivette
en 1966, d'après le livre de Jacques Diderot

    Si l’on ne s’en tient qu’à la simple lecture des procès-verbaux des séances de l’Assemblée, certains des débats qui l’animent peuvent nous sembler parfois un peu décalés, par rapport à la situation quelque peu anarchique du royaume. 

  L’intervention de M. Rousselet ce jour à la tribune, pourrait constituer un exemple. Il va rendre compte à l’Assemblée, au nom du comité des rapports, de lettres écrites par deux religieux et une religieuse, pour demander que l'Assemblée s'explique sur l'émission des vœux, et il va proposer de défendre (interdire) les vœux monastiques perpétuels. N'est-il pas quelque peu étonnant que l'Assemblée nationale constituante soit interpellée à ce propos  ?

    Concernant les vœux monastiques, il faut savoir qu'une fois les vœux perpétuels prononcés, le profès, c’est-à-dire l’homme ou la femme qui les avait prononcés, était contraint de rester à vie dans l’institution religieuse à laquelle il s’était voué et ne pouvait plus remettre en question son appartenance à la communauté.

La nature aliénante de ces vœux était déjà contestée depuis longtemps.

Martin Luther

Sur les vœux monastiques

    En 1521, Martin Luther, le fondateur de la réforme protestante et lui-même moine catholique à l’époque, avait publié un ouvrage très critique sur les vœux monastiques (De votis monasticis) dans lequel il considérait ces vœux comme invalides. Le protestantisme qui naitra de la doctrine de Luther, de par l’obligation qu’il fera à ses fidèles de lire la bible, contribuera à former de nouvelles générations de familles alphabétisées et surtout éduquées à l’étude critique des textes.

Fil rouge

    Il existe comme un fil rouge (une continuité) entre La Réforme protestante, la Renaissance, les Lumières puis la Révolution. Et les adversaires de la Révolution ne s’y sont jamais trompé, en mettant dans le même sac à jeter, les idées de ces étapes précédant la Révolution.

Jacques Diderot

    Plus récemment, celui qui avait vraiment marqué les esprits de l’époque sur ce sujet, c’était Diderot, l’un des philosophes des Lumières, l’initiateur de la grande encyclopédie. Comme tous les philosophes des Lumières, il était très critique vis-à-vis de la religion ; la religion en générale au demeurant, pas seulement le Catholicisme. Il prônait l’usage de la raison.

Je vous ai trouvé cette petite vidéo de 7 minutes qui le présente plutôt bien.

Video sur Diderot, l'encyclopédiste.


Les lumières

    Je vous propose cette vidéo de 30 minutes qui traite des Lumières. On y évoque Diderot à 5:24. Je la trouve bien faite et assez complète.


La religieuse

    Parmi les œuvres de Diderot, l’une d’entre-elles s’intitule « La religieuse ». Elle fut inspirée d’une histoire vraie, celle d’une religieuse de l'abbaye royale de Longchamp, nommée Marguerite Delamarre, qui avait écrit à la justice en 1752 pour demander à être libérée du cloître où ses parents l’avaient enfermée. La pauvre jeune femme était une enfant illégitime de sa mère avec un autre homme que son père. Par crainte de l'enfer, mais aussi par peur des jugements de son entourage, sa mère l’avait convaincue de se faire religieuse et de disparaitre à jamais dans un couvent. Margueritte était allée en justice mais elle avait perdu son procès et un arrêté du 17 mars 1758 l’avait obligée à réintégrer la prison de son cloître.

Se débarrasser des enfants illégitimes de cette façon, était chose courante à cette époque dans la noblesse. Chacun le savait. Mais l’Eglise était très puissante et il était vain et même dangereux de s’opposer à elle.

Blasphème ?

    Si cette histoire vous étonne, peut-être serez-vous encore plus étonnés d’apprendre que l’adaptation cinématographique du roman de Diderot réalisée par le cinéaste Jacques Rivette, fut totalement interdite de sortie sur les écrans de cinéma en avril 1966, par le ministre de la Culture de l’époque Yvon Bourge, sous la pression de l’Eglise qui en demandait la censure ! A l'époque, l'Eglise Catholique disait que c'était un blasphème. Ça vous parle ? Il fut ensuite interdit aux moins de 18 ans et ce ne sera qu’en 1988, que cette interdiction tombera finalement.

Regardez cet extrait du journal télévisé de 1988 qui traite de l’événement :



La suspension

    La suspension ordonnée ce jour par l’Assemblée durera jusqu’au 13 février 1790, date à laquelle elle publiera un décret interdisant les vœux monastiques et supprimera les ordres religieux contemplatifs. Ceux chargés de l’éducation publique, ainsi que les maisons de charité seront conservées provisoirement (jusqu’au décret du 18 août 1792 de la Convention, qui les supprimera).

    La Constitution qui sera publiée le 3 Septembre 1791 précisera que : « La loi ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution ».

L’esprit du temps

    L’esprit du temps, c’était l’esprit des Lumières. Tous les gens éduqués avaient lu les philosophes des Lumières, et ce, pas seulement en France, mais dans toute l’Europe. Raison pour laquelle, le propre frère de la reine Marie Antoinette, Joseph II, l’empereur d’Autrice Hongrie, avait ordonné lui aussi la vente des biens de l’Eglise dans son Etat et fait fermer les monastères, et ce, bien avant la Révolution française ! Les députés de l’Assemblée nationale ne faisaient que marcher dans les pas de Joseph ii, le despote éclairé !

Les couvents ne choquaient pas seulement pour ces cas d’enfermements, mais aussi et surtout pour la vie fort agréable que beaucoup de religieux y menaient. Je publierai prochainement une série d’estampes de l’époques, caricaturant durement ces opulents religieux dont la richesse choquait de plus en plus le peuple.

En voici juste deux, pour vous donner une idée :

"La vie très incroyable des moines"

"Réjouissance d'un monastère"

Le décret promulguant la suspension des vœux.

    Lors de cette séance du 28 octobre, M. Rousselet rend compte, au nom du comité des rapports, de lettres écrites par deux religieux et une religieuse, pour demander que l'Assemblée s'explique sur l'émission des vœux ; il propose de défendre les vœux monastiques perpétuels.

M. Target demande l'ajournement du fond, et présente le décret suivant :

« Ouï le rapport (dans le sens de « entendu » du verbe ouïr) …. L’Assemblée ajourne la question sur l'émission des vœux, et cependant, et par provision, décrète que l'émission des vœux sera suspendue dans les monastères de l'un et de l'autre sexe. »

Plusieurs ecclésiastiques représentent que la suspension provisoire juge la question, et réclament l'exécution du règlement qui exige trois jours de discussion pour les matières importantes.

Le décret proposé par M-Target est adopté.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5252_t1_0597_0000_8 

Une réclamation le 29 octobre

    Le lendemain 29 octobre, un Monsieur de Bonnal montera à la tribune pour préciser que le clergé aurait dû faire quelques protestations, et il demandera que l'on y insère les siennes sous le titre observations.

    M. Target observera que jamais on n'avait fait mention, dans le procès-verbal, des réclamations faites par quelques membres contre les décrets de l'Assemblée. Et, dit le PV, cette légère contestation se terminera par la question préalable.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5254_t1_0598_0000_1

Un long débat va s'en suivre. 

    La discussion sur l’avenir du clergé va se poursuivre durant des semaines. Nombre de représentants du clergé étaient favorables aux réformes, mais ils ne constituaient pas la majorité et surtout ils ne représentaient pas l’avis de l’autorité ecclésiastique suprême, celle du Pape. Celui-ci, qui avait déjà fort mal reçu les réformes de Joseph II, refusera bientôt en bloc celle des députés constituants.

Antoine Christophe Gerle

    Lors de la séance du 12 décembre, Dom Gerle, prieur de la Chartreuse du Port Sainte-Marie, député de Riom, visiteur de son ordre, prononcera un discours dans lequel il fera état de l’inquiétude régnant dans les monastères suite à cette suspension, et des troubles provoqués par les religieux désirant au plus vite être libérés. Il proposera une motion de 3 articles se voulant conciliante, que le présidant, suite à la proposition M. de Bonnal, l’évêque de Clermont, transmettra au comité ecclésiastique « prêt à faire un rapport ».

Sources :


De la justice...

Journal de Paris

    Le Journal de Paris dans son numéro 349 du 15 décembre, relatant l’intervention de ce Chartreux qu’il nomme Dom Gerlet, conclura son article ainsi :

« Une approbation presque universelle a répondu à cette motion d’un Chartreux, qui concilie si bien ensemble & les vœux de la Religion & les vœux de la Philosophie : la véritable justice est un traité de paix entre tous les intérêts & toutes les opinions, & les avis extrêmes, au contraire, divisent tout parce qu’ils offensent tout. »


Source : https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1633&f=false






mardi 27 octobre 2020

27 Octobre 1789 : Necker invite à dîner Morris pour lui suggérer que les Etats-Unis remboursent leur dette à la France

La dette en 1789...

    J'évoque régulièrement dans mes articles le problème de la dette de la France en 1789, et les mesures prises pour son remboursement : par les députés de l'Assemblée nationale qui pâlissent d'horreur à l'idée d'une banqueroute, par le roi (qui donne à fondre sa vaisselle d’argent), et même par des Françaises qui viennent faire dons de leurs bijoux !

Dette française

    La dette est bien sûr l'un des principaux problèmes de l'ancien régime, celui-là même qui a causé sa perte, en mettant progressivement en place toutes les conditions favorables à la Révolution. Le 16 août 1788, la monarchie en était arrivée à devoir suspendre ses paiements et le roi avait dû se résoudre à convoquer les états généraux, puisqu’aucune réforme n’avait pu aboutir lors des Assemblées des Notables de 1787 et 1788. À cette date, le déficit budgétaire était évalué à 2 milliards.

    En douze années de règne, la dette s’était accrue de 1140 millions et le service de la dette absorbait à lui seul la moitié des recettes !

    Souvenez-vous de la panique qui avait saisi les agents de change à Paris le 12 juillet 1789, quand ils avaient appris le renvoi de Necker. A l’idée d’une banqueroute ils avaient même fermé la Bourse et l’agitation révolutionnaire à Paris avait monté d’un cran, le dernier avant l’explosion.

Dette américaine !

    Mais il ne faudrait pas pour autant oublier la dette américaine envers la France ! C’est ce que fait Necker lorsque ce jour il invite à dîner chez lui, Gouverneur Morris, un homme d’affaire américain, ami de George Washington.

    Il souhaite négocier avec lui le remboursement des 24 millions que l’Amérique doit à la France. Rappelons que la principale cause de la situation dramatique des finances du royaume est due à la dette colossale creusée par la France auprès des banques pour financer son aide en argent, en bateaux, en armes, et en hommes, à la guerre d’indépendance américaine (les fameux emprunts lancés par Necker lui-même, déjà ministre à l’époque).

Gouverneur Morris

Gouverneur Morris

    Comme me l'a précisé l'historienne Annie Jourdan, qui me fait l'honneur de lire mes articles, Gouverneur est le prénom du quidam et non pas son titre.    

    Gouverneur Morris est présent en Europe pour ses affaires et il a même eu l’occasion d’assister à la cérémonie d’ouverture des Etats Généraux à Versailles le 5 mai 1789. Il a quitté Paris le 30 juillet pour un voyage en Angleterre et en est revenu le 13 septembre. 

  De 1792 à 1794, il officiera à Paris en tant que ministre plénipotentiaire (ambassadeur) représentant les États-Unis. Morris est connu pour le journal qu’il a tenu à cette époque et aussi pour les jugements peu amènes (et donc guère reconnaissants) envers la France et les Français. Il semble que seules les Françaises aient retenu son attention, puisqu’il parle souvent dans son journal de sa maitresse Adèle de Flahaut qu’il a rencontrée en juin 1789.

    Gouverneur Morris est également connu pour ses convictions extrêmement conservatrices concernant la société, dont il fit état dans ses "Political enquiries" publiées en 1776.

    Necker, le ministre français des finances et son collègue des affaires étrangères, Montmorin, ont tenu à mener ces pourparlers en secret. Car les banquiers étrangers, dont dépend l’acquittement de la dette, s’inquiètent déjà assez de la situation politique de la France. Ils ne désirent pas les effrayer plus encore par de nouveaux débats houleux à l’Assemblée. Comme vous le savez, pour prêter, les banquiers, ou les marchés financiers comme on les appelle de nos jours, ont besoin d’avoir confiance. Il existe même à présent des agences de notations financières qui attribuent aux pays des notes en fonction de la confiance qu’ils inspirent.

    Mais le sieur Gouverneur Morris se refuse à engager sa parole sur un remboursement de dix millions chaque année sur trois ans. Peut-être parviendra-t-il à obtenir 300.000 francs par mois à partir de janvier. Mais cela de suffira de toute façon pas à résoudre le problème du déficit du Trésor de la France, car les deux emprunts lancés en août (à l’instigation de Necker) n’ont pas été couverts, et les députés, qui ont donné en juin la garantie de la nation aux créanciers de l’état, ne sauraient en aucun cas décréter la banqueroute.

La "quasi-guerre" franco-américaine.

    Les relations entre la France et les Etats-Unis sont donc loin d’être cordiales comme vous le voyez. Je pense que je vais en étonner quelques-uns si j’évoque la « quasi-guerre » qui aura lieu bientôt entre les deux pays de 1798 à 1800 !

    Concernant leur dette à la France, les Américains refusaient de la rembourser, sous prétexte qu'ils n'étaient tenus de la rembourser qu'à l'Ancien régime de France, qui avait été remplacé depuis par la République. Les Américains voyaient également d'un très mauvais oeil, l'abolition de l'esclavage qui avait été promulguée par la Convention républicaine le 4 février 1794.

    Je vous invite à lire cet article aussi étonnant que passionnant sur cette « Quasi-guerre entre la France et les Etats-Unis » :

    Je suis presque certain que beaucoup parmi vous n’avaient jamais entendu parler de cette guerre franco-américaine !

    Voici pour l’illustrer, un tableau représentant le combat naval qui a eu lieu le 9 février 1799, entre la frégate américaine USS Constellation (28 canons de 24 livres et 20 caronades de 32 livres (soit une bordée de 656 livres)), commandée par Thomas Truxtun, et la frégate française l’Insurgente (26 canons de 12 livres et 6 canons de 6 livres (soit une bordée de 174 livres)), commandée par Pierre-Michel Barreault. La frégate française fut capturée par les Américains...

Combat naval entre l'USS Constellation et l'Insurgente

    Et dire que le traité d’alliance signé entre la France et les Etats Unis d’Amérique la 6 Février 1778 prévoyait une paix perpétuelle entre les deux pays !

Un pays toujours en guerre (Digression)

    Si comme à Rome, les Américains avaient hébergé en leur capitale un temple de Janus dont les portes étaient fermées en temps de paix, celles-ci eurent été la plus grande partie du temps ouvertes. 

    En effet, les USA sont en guerre quasi permanente depuis leur création et beaucoup de leurs guerres ont été des guerres d'agression, des guerres de conquêtes ! En 1812, les USA firent une nouvelle fois la guerre au Royaume Unis dans la volonté d'annexer le Canada ! En 1848, les USA annexèrent presque les deux tiers du Mexique, par les armes, dont la Californie où l'on allait découvrir les mines d'or en 1849 et le Texas ou l'on découvrirait plus tard les gisements de pétrole ! Vous imaginez quelle Histoire alternative il y aurait eu si le Mexique avait gardé la totalité de son territoire ? Ils firent même la guerre à la Tunisie en 1801 et en 1815 !!!

Reconstitution du temple de Janus, à Rome

Un dernier mot sur le refus américain de payer impôts, taxes ou dettes

    Après avoir arraché leur indépendance à la Grande-Bretagne en 1783, les Etats américains refusaient en effet de rembourser leurs dettes de la guerre d'indépendance. Certains Etats n'en avaient pas les moyens, tandis que d'autres le voulaient bien, mais se refusaient à lever des impôts pour cela. L’état du Massachusetts avait bien tenté de créer une taxe, mais les citoyens avaient refusé de la payer, les percepteurs avaient été attaqués. Ce fut notamment la cause de la révolte de Shay dans cet état du Massachusetts. Les Etats-Unis fonctionnaient comme une vague confédération qui manquait d'une autorité fiscale ainsi que d'une autorité centrale, ce qui les empêchait de résoudre leurs problèmes financiers.

George III

    Une occasion de rappeler que le désir d’indépendance des treize colonies américaines était né également d’un refus de payer des impôts à l’Angleterre. En 1763, par suite de la Proclamation du roi George III, Londres avait prévu la construction de forts le long de la limite de colonisation et les Britanniques estimaient que le financement de ces avant-postes qui assuraient la défense des treize colonies, revenait aux colons. Cette fameuse Proclamation du roi George III interdisait de plus aux habitants des treize colonies de s’installer et d’acheter des terres à l’ouest des Appalaches. La Couronne se réservait une partie du bois américain ainsi que le monopole dans l’acquisition des terres indiennes ; elle garantissait également la protection des peuples indiens et prévoyait de favoriser le commerce des fourrures avec ceux-ci.

    Cette Proclamation royale souleva le mécontentement des colons américains qui s’étaient déjà implantés dans les territoires indiens. Non seulement ils devaient rendre les terres et revenir dans les treize colonies, mais en plus ils devaient payer le financement des forts destinés à les protéger, et pire encore, arrêter la colonisation vers l’Ouest !

    Je vous conseille la lecture de cet article : "4 juillet 1776, les 13 colonies font sécession".

    L’histoire de la révolution américaine, elle aussi, est bien intéressante et pleine de surprises. A noter qu'elle aussi, fut fort sanglante...

Etonnant, non ?



Post Scriptum :

    Rendez-vous compte à quel point l'Histoire est cent fois plus compliquée qu'elle ne paraît souvent. Dès que l'on veut être honnête et ne pas se contenter de raconter de jolies histoires illustrées pour distraire ou manipuler les gens, on doit faire face à des problèmes inattendus.

    Je pourrais me contenter de vous fabriquer des vidéos avec des effets spéciaux et des bruits qui font peur (il y en a des bonnes) et vous raconter ce que vous savez plus ou moins déjà, mais je préfère mériter mes lecteurs. Alors merci de me lire !

    Et si vous n'avez peur de rien, je ne peux que vous inviter à lire mon article traitant du travail sur l'histoire, intitulé "L'Histoire, la vérité, le bien, le mal et toutes ces sortes de choses très relatives".



lundi 26 octobre 2020

26 Octobre 1789 : Le Dauphiné provoque l'inquiétude de l’Assemblée, et Mounier écrit pour expliquer sa fuite...


Mounier en fuite vers son Dauphiné

    Le 10 octobre dernier, je vous avais fait part de l’arrivée à Grenoble de Mounier, l’ancien président de l’Assemblée, qui faisait suite à son départ précipité de Paris.

    Officiellement, cet apparent abandon de sa fonction, résultait de son prétendu renoncement à la vie politique. Mais une gravure le représentant poursuivi par une lanterne, nous avait suggéré que c’était probablement plus compliqué que ça.

    Mounier redoutait l’hostilité croissante que certains milieux développaient à son égard. De nombreuses gazettes publiaient des articles virulents contre lui. C’était Mounier, par exemple, qui le 31 août avait proposé « d’annoncer un prix de cinq cent mille Livres & leurs grâces aux coupables qui voudraient lui révéler le complot & les premiers auteurs », suite à une rumeur concernant « quinze mille hommes prêtes à marcher pour « éclairer » les châteaux, & pour faire subir aux députés qui trahiraient la patrie le sort des Foulons & des Berthier », rapportée dans une lettre signée du Marquis de Saint-Huruge (1) & quelques autres noms ! Curieusement, cette somme faramineuse n’avait tenté aucun de ces 15.000 séditieux ! (2). Les journées tumultueuses des 5 et 6 octobre, suivies du retour du roi manu militari à Paris, avaient achevé de convaincre cet homme si sensible aux rumeurs qu’un grand danger le guettait.

(1) A en croire le document que vous pourrez consulter par le lien ci-dessous, le Marquis de Saint-Huruge était à la solde du Duc D’Orléans. Dans son histoire des Girondins (t. XVI, p. 367) Lamartine dit que « c’était une sédition à lui tout seul). En tout cas, probablement suite à cette lettre lue devant l’Assemblée le 31 août, il fut arrêté le 2 septembre, enfermé au Chatelet, et seulement relâché le 5 novembre, après avoir été défendu par Camille Desmoulins et le district des Cordeliers.

Source : https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2743_1908_num_11_1_4891_t1_0063_0000_1

(2) Version du N°245 du Journal de Paris, pages 1103 et 1104 :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1104&f=false

A noter que le PV de l’Assemblée nationale ne donne pas exactement le même version, mais nous ne nous étonnerons plus de cela depuis que nous avons déjà remarqué ces anomalies dans notre article du 23 octobre sur l'Affaire Robespierre.

Source PV Assemblée :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_2
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_5


Origine de l'estampe 

    La gravure représentant Mounier s'enfuyant à cheval en costume de jockey a été publié par Camille Desmoulins dans le numéro 2 de son journal des "Révolutions de France et de Brabant". Dans les numéros suivants, Desmoulins surnomera souvent Mounier, le jockey.



Le cas Mounier.

Jean-Joseph Mounier

    Dans les faits, Mounier n’avait pas totalement tort, parce que la révolution prenait effectivement une nouvelle tournure en ce mois d’octobre. Ceux qui comme lui, avaient cru à un mariage d’intérêt, sinon d’amour, entre le roi et l’Assemblée nationale, voyaient leurs espoirs déçus. Le roi, quoi qu’on en dise, n’était pas vraiment revenu de son plein gré à Paris, ce qui pour Mounier, relevait probablement du crime de lèse-majesté. Mounier, tout comme d’autres, était persuadé que le mouvement des femmes venues de Paris réclamer de roi, avait été sinon organisé, du mois encouragé, par des factieux. Difficile de se faire une opinion à ce sujet tant justement il y a d’opinions diverses.

    Fort curieusement, à peine Mounier est-il de retour dans son Dauphiné natal, que des troubles commencent de s’y produire dès le 14 octobre. Au point que le 26 octobre, l’Assemblée nationale reçoit une adresse des officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d'une convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette province ; la municipalité de Saint Marcellin demandant à l’Assemblée qu’elle conduite elle doit tenir "ne désirant que le vœu et les ordres de ladite Assemblée nationale".

    L’annonce de cette convocation extraordinaire des trois ordres du Dauphiné : la noblesse, le clergé et le tiers-état, est un véritable défi lancé à l’Assemblée nationale !

    Comme le fait remarquer Alexandre de Lameth : « Les Etats du Dauphiné sont convoqués par ordre ; première irrégularité. Ils le sont sans le consentement du Roi, tandis que le règlement même de ces Etats exige ce consentement ; seconde irrégularité. »

    De plus, précise M. Le Chapelier : « il ne doit point y avoir d'assemblées provinciales quand l'Assemblée nationale est formée et que chaque province y a des représentants. La proposition contraire tendrait évidemment à détruire ou à bouleverser le royaume. »

    Cette convocation prétend n’avoir d'autre objet que les impôts et la nomination des suppléants. Mais M. La Poule informe ses collègues qu’une lettre venant de Vienne lui a appris que les trois ordres du Dauphiné allaient être rassemblés, pour s’occuper « de la translation de l’Assemblée » (c’est-à-dire son déménagement controversé de Versailles à Paris), et qu'on lui annonce « l'improbation » de quelques décrets. Raison pour laquelle il engage l’Assemblée nationale à user de toute sa puissance et de tout son courage « pour réprimer des entreprises aussi dangereuses. »

Le danger d'une contre-révolution

    Il y a danger, en effet, car, précise M. Lanjuinais, la province du Dauphiné n'est pas la seule qui s'assemble ; la noblesse de Bretagne se réunit à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. « Dans cette dernière ville » dit-il, « quatre-vingt-dix nobles et quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence, à la justice sa force active, au Roi son autorité légitime, osons le dire, sa liberté, et pour s'opposer à l'abolition des droits et franchises de la province et des villes. »

    Messieurs Duport et de Mirabeau font remarquer que ces expressions sont tirées de la déclaration imprimée de la noblesse du Languedoc, et que tous les faits réunis rendent très-instant (urgent) un décret. Souvenez-vous, nous avons parlé le 16 octobre dernier de la sénéchaussée de Toulouse qui après s’être réunie en assemblée, avait publié un arrêté dans lequel elle protestait contre les décrets de l’Assemblée. 

    Si les autres provinces commencent à suivre cet exemple, l’Assemblée nationale a effectivement du souci à se faire. Quelque chose me dit également que le mandement de l’évêque de Tréguier, véritable manifeste contre-révolutionnaire, a dû marquer certains esprits.

L'Assemblée nationale s'inquiète !

La situation est grave et M. Le Chapelier la résume ainsi :

« Tolérer que les provinces s'assemblent ; c'est les autoriser à faire des réunions dont le résultat ne peut être que dangereux avant la Constitution achevée. Quel intérêt pressant peuvent avoir les provinces ? Les impôts peuvent être réparti » par des commissions intermédiaires. C'est aux municipalités à recevoir les déclarations et le produit des contributions patriotiques, et non pas aux provinces à y délibérer. Ce ne sont donc que les mauvais citoyens qui voudraient mettre le trouble dans le royaume qui sont intéressés à protéger ces convocations irrégulières. »

Le Chapelier en tire la conclusion suivante :

« Ainsi, puisque la proposition a été faite, il faut la décider d'après le principe et interdire à toutes les provinces le droit de s'assembler jusqu'à ce que le mode de représentation et de convocation soit établi. »

Sources :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5238_t1_0552_0000_29
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0554_0000_6


Le décret :

A l’issue de cette discussion, l’Assemblée nationale, inquiète, finit par voter ce décret :

"L'Assemblée nationale décrète qu'il soit sursis à toute convocation de provinces et d'États, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait déterminé, avec l'acceptation du Roi, le mode de convocation dont elle s'occupe présentement ; décrète en outre que M. le président se retirera par-devers le Roi, à l'effet de demander à Sa Majesté si c'est avec son consentement qu'aucune commission intermédiaire a convoqué les Etats de sa province ; et dans le cas où ils auraient été convoqués sans la permission du Roi, Sa Majesté sera suppliée de prendre les mesures les plus promptes pour en prévenir e rassemblement (...)"

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0555_0000_2


Le Dauphiné calomnié ?

    J’allais oublier de vous dire que lors de cet échange, un certain M. de Blacons s’est insurgé contre le fait que l’on calomniait la province du Dauphiné. Henri-François de Forest de Blacons, originaire de Grenoble (province du Dauphiné) avait été l’un des premiers nobles à siéger avec le tiers état, dès le 22 juin. Mais très vite il s’était rallié aux royalistes. De Blacons s’indigne donc que l’on calomnie sa province « en lui supposant des projets qui puissent inspirer quelques craintes » alors que celle-ci a « assez prouvé son patriotisme, pour être à l'abri de tout soupçon ». D’ailleurs, ajoute-t-il, « un des membres de cette Assemblée, qui a reçu longtemps des marques flatteuses de votre estime (M. Mounier), est maintenant dans la capitale de cette province ; il rendra incessamment compte des motifs de son départ, et ne tardera pas à revenir parmi vous ».


Revenons à Jean-Joseph Mounier.

Mounier ! Justement, parlons-en, puisque le procès-verbal de cette séance du 26 octobre, se termine par le gros rapport qu’il a adressé à l’Assemblée. Le document s’intitule : « Exposé de la conduite de M. Mounier dans l'Assemblée nationale , et motifs de son retour en Dauphiné ».

Source rapport :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3


N°302 du Journal de Paris

    Curieusement, le numéro du journal de Paris traitant de la séance de l’assemblée au cours de laquelle fut traitée cette affaire relative au Dauphiné, ne parle pas de ce rapport. Je ne suis pas loin de penser que la presse n’en a pas eu connaissance, ce que l’on peut comprendre lorsqu’on entreprend de le lire. D’ailleurs, le procès-verbal de l’Assemblée indique que ledit rapport n’a pas été inséré au Moniteur.

Le Journal de Paris rapporte seulement dans son N°302 du 29octobre dans une rubrique intitulée Variétés, un « Extrait des Affiches du Dauphiné du 22 octobre » mentionnant l’intention de M. Mounier « de donner à sa Patrie des éclaircissements sur les motifs de son retour ».

Lien vers l’article (page 1393) :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1393&f=false

 

Les « explications » de Mounier

Je ne vais pas vous rendre compte de la totalité de cet épais rapport. En voici juste le début :

« Des factieux ont cru devoir, pour le succès de leurs projets, répandre contre moi, dans le peuple, les plus noires calomnies. Les témoignages d'estime et de confiance dont j'ai été honoré par ma province, m'imposent la loi de me justifier publiquement. Je dois faire connaître à mes commettants l'état actuel des grands intérêts dont ils m'ont confié la défense, et les motifs qui ont nécessité mon retour en Dauphiné. »

Le ton est donné…

Plus loin, il explique pourquoi il a écrit ce très long rapport :

« Je n'écris point pour exciter la division des provinces ; et ce n'est pas de celui qui, le premier peut-être en France, a soutenu l'utilité de leur réunion et le danger de leurs privilèges particuliers, qu'on doit craindre une pareille tentative, Il faudrait avoir perdu tout espoir de sauver la monarchie, pour s'exposer à tous les inconvénients qui, dans la situation actuelle de l'Europe, résultent des petits Etats. » Voilà un semblant réponse pour les troubles en Dauphiné.

« Je n'écris point pour contribuer au retour des anciens abus ; je suis incapable de concevoir un projet aussi criminel ; et ce n'est pas celui qui, dans le temps même de la servitude, a donné tant de preuves de son amour pour la liberté, qu'on pourrait soupçonner de vouloir se rendre l'apôtre du despotisme, lorsque la liberté est devenue l'objet du plus ardent désir de tous les citoyens. »

« Je n'écris pas non plus pour censurer les résolutions de l'Assemblée nationale ; je rends hommage aux dispositions bienfaisantes qu'on doit à ses travaux, telles que l'uniformité des peines, l'égalité de tous les hommes devant la loi, l'admission de tous les citoyens à tous les emplois sans distinction de naissance, la responsabilité des ministres, la faculté de racheter les redevances féodales, plusieurs droits importants de la nation consacrés, plusieurs maximes protectrices de la liberté promulguées, et surtout l'abolition de la division des ordres. »

« J'écris, comme je crois l'avoir toujours fait, pour la vérité et pour la liberté. »


La vérité ? Vraiment ?    

    Quelle vérité ? La sienne (C'est humain). Car dans le domaine des idées, il n’y a pas de vérité mais que des opinions (dirait le sophiste Protagoras).

    Quelle liberté ? Plus nous avanceront dans cette chronique de la Révolution, plus nous nous poserons la question de savoir de quelle liberté il est question. Liberté de commercer ? Liberté de penser ? Il est clair que dans ces premiers mois de révolution, la liberté visée ne concerne pas tout le monde.

    Je vous conseille vivement de lire le rapport de Mounier, surtout d’un point de vue historiographique, car il nous fait un récit très détaillé de tous ces premiers mois de la Révolution. Il est très certainement sincère (Mais sincérité n’est pas vérité). Ce qu’il nous raconte, c’est sa vérité, son interprétation de ce qu’il a vécu. Il a vraiment cru à cette histoire des 15.000 hommes qui allaient sortir du Palais Royal pour faire un sort à certains députés de l’Assemblée. Par contre, vous constaterez qu’il ne croit pas aux complots des monarchistes. Il ne croit pas à ce plan d’évasion de la famille royale à Metz. Les seuls complots auxquels il donne crédit, ce sont ceux de ses adversaires politiques.

    Je plains les historiens qui doivent comparer d’énormes quantités de sources différentes pour approcher un semblant de « vérité » qu’un seul nouveau document suffira à faire exploser !


Voici le lien du rapport de Mounier : 

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3

Et ici sa version PDF : 



Démission de Mounier

Mounier finira par envoyer le 15 Novembre sa lettre de démission de l'Assemblée nationale constituante. Il précisera dans celle-ci son intention d’envoyer un suppléant pour le remplacer. Celle-ci sera lue lors de la séance du 21 Novembre 1789 et elle sera acceptée.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4134_t1_0159_0000_6



dimanche 25 octobre 2020

25 Octobre 1789 : Les volontaires brestois débarquent en force à Lannion récupérer leur blé.

Départ de Volontaires
(Image extraite de l'album "La Cantinière")

Lannion

    Vous vous souvenez de l’attaque du convoi de blé à Lannion le 18 octobre dernier ? Aujourd’hui 25 octobre, plus de 2000 volontaires brestois sont arrivés à Lannion en force, pour récupérer le chargement de blé qui leur était destiné.

Le juge Cadiou, inculpé de complicité (voir article du 18 octobre), sera arrêté, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévôté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils seront conduits par étapes. Le 29 les troupes de Brestois quitteront Lannion, mais elles y laisseront une garnison de cent cinquante hommes, dont la solde sera à la charge des Lannionais (qui ne la paieront pas). Les émeutiers incarcérés seront relâchés en avril 1790.

Brest

    Brest était déjà un important port commercial et militaire au 18ème siècle, et elle était aussi la ville la plus grande de l’Ouest de la Bretagne. Elle fut acquise très tôt aux idées de la Révolution, probablement parce que le Tiers Etat y était particulièrement riche et puissant du fait de son commerce. Lors de la journée du 10 août 1792, ce seront même les fédérés brestois qui, avec les fédérés marseillais, prendront les Tuileries. Mais nous reparlerons de tout cela quand le temps sera venu. 😉

Je vous propose pour illustrer ce bref article (une fois n’est pas coutume), ce magnifique tableau représentant le port de Brest en 1795.

    On y remarque deux beaux drapeaux tricolores, des pavillons de beaupré, arborés quand le navire est à quai ou au mouillage ou lors d'une cérémonie officielle. C’est en effet sur les navires de guerre que la disposition verticale des bandes tricolores sera officialisée le 24 octobre 1790. L’ordre des couleurs sera d’abord Rouge, Blanc, Bleu et l’on verra même des drapeaux dont les bandes seront horizontales. La disposition définitive est due au peintre Jacques-Louis David, et c’est la Convention qui, en février 1794, l’adoptera.


Vue du port de Brest en 1795
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Brest


La Bretagne au XVIIIe siècle

Si vous souhaitez en apprendre plus sur la Bretagne au 18ème siècle, je vous propose la lecture de cet article « Chapitre IX. La Bretagne, "province réputée étrangère" », accessible en cliquant sur l’image ci-dessous :