mardi 6 juin 2023

La Révolution a échoué, Kant explique pourquoi, Condorcet réconforte, Marc-Aurèle relativise et Tolstoï...



Avertissement : 😒

    L'historien Jean-Clément Martin, grand spécialiste de la Révolution française, a publié l'an dernier un ouvrage intitulé : "Penser les échecs de la Révolution française". Je trouve le titre optimiste car il sous-entend qu'il y a eu des succès. Je vous en recommande donc la lecture.

    Je vais bien sûr aborder le thème de l'échec un peu différemment, puisque je trouve absolument normal que la Révolution ait échoué. Ah bon ? Vous ne saviez pas qu'elle avait échoué ? Je spoile ou je "divulgâche" ? (Comme on dit sur Radio France). Que cela ne vous empêche pas de lire tous les autres articles de mon site, ni celui-ci d'ailleurs ! Je suis sûr que vous y apprendrez deux ou trois trucs. 😊


Hélas oui, nous devons le reconnaitre, la Révolution française a échoué...

    Soyons réalistes, l'aristocratie de l'ancien régime a été remplacée par une nouvelle, qui est encore plus riche et plus puissante que ne l'avait jamais été l'ancienne. La Loi n'est plus la même pour tous et les impots non-plus. On rétablit les péages ou les octrois sur les routes et bientôt à l'entrée des villes. Afin de mieux diviser pour régnier, on valorise les moindres différences et l'on fait fi des points communs qui cimentaient le contrat social. Toutes les minorités les plus diverses et variées se méprisent les unes les autres avec fierté. Le peuple abêti par une école qui ne remplit plus sa mission républicaine est muselé grâce à l'ingénierie sociale et tremble en attendant l'apocalypse climatique qu'on lui promet à chaque journal d'informations. Les services publics sont sabordés avant d'être bradés à de nouveaux fermiers généraux. Quant aux droits sociaux durement acquis par plusieurs révolutions, ils disparaissent peu à peu sous prétexte d'une dette impossible à rembourser, compte tenu du fait que, faute de ressources illimitées dans un monde limité, la croissance ne reviendra plus.

Le peuple écrasé par une dette impossible à rembourser.
Ça vous dit quelque chose ?
On en était là en 1789, jusqu'à ce que l'on
 se rende compte, quelques mois plus tard
 que l'argent était bien là...

    Il n'y a pas d'alternative, comme le clamait Margaret Thatcher ! Quand bien-même un président voudrait-il rétablir la justice sociale en France, que les agences de cotations réduiraient la note de la France, ce qui augmenterait les taux d'emprunts sur les marchés financiers et ne ferait qu'aggraver la dette nationale. Quel pouvoir avons-nous ?

    Nous pouvons bien disserter, gloser, sur la chose publique, rien ne changera. C’est ce qu’affirmait cyniquement Karl Rove, le sinistre conseiller de Bush, au journaliste américain Ron Suskind durant l’été 2002, lorsqu’il lui disait ceci :

"Nous sommes désormais un empire, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudierez cette réalité – de manière judicieuse, sans aucun doute – nous agirons à nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pouvez étudier également, et c’est comme ça que les choses se régleront. Nous sommes les acteurs de l’Histoire… et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à tout simplement étudier ce que nous faisons."


Mais pourquoi la Révolution française a-t-elle bien sûr échoué ?

    Oui, il faut bien l'avouer, la Révolution française a échoué, et ce, tout simplement parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. Aucun changement de société d’une telle ampleur ne peut se réaliser en si peu d’années, pas même en une génération. 

Marianne en pleurs
Dessin de Benjamin Régnier réalisé après les attentats de 2015

Le temps de la transition.

    Nous le voyons bien actuellement avec la transition énergétique et la lutte contre le CO2. (Visitez mon site Transitio qui traite depuis plus de 20 ans ces sujets). Cela fait déjà plusieurs années que les scientifiques tirent la sonnette d'alarme à propos du réchauffement de l'atmosphère et l'épuisement des matières premières, et les politiques n'ont pour seul souci que de préserver les intérêts des compagnies énergétiques au nom de la sacrosainte croissance et de faire croire aux gens que rien ne va changer vraiment. Il faudra que nous soyons le dos au mur et que notre société soit au bord de l'effondrement pour qu'enfin les choses changent...

Le temps des changements civilisationnels n'est pas celui des vies humaines. Il faut du temps au temps.


Trop grand, trop beau...

    Les hommes et les femmes de 1789 voyaient trop grand, trop beau. Ils avaient trop de projets, trop d’idées ; Bien plus que n’en pouvaient accepter les enfants malades de l’Ancien régime qu’ils étaient. Car n’oublions pas que tous, ils étaient les enfants de l’ancien régime. Ils en portaient donc tous les défauts et les tares, l’avidité chez les uns, l’ignorance chez les autres et la violence en commun.

    Les révolutionnaires de 1789 ne pouvaient qu’ouvrir avec colère ou espoir, et ce au péril de leurs vies, la lourde porte d’airain de la nouvelle ère qui s’annonçait ; Rien de plus, sinon darder çà et là quelques phares dans la nuit de l’avenir pour entrevoir quelques pistes et lancer quelques graines qui peut-être germeraient à l'aube d'un jour éloigné.

Allégorie révolutionnaire :
La Liberté, l'Egalité et la Civilisation repoussant le despotisme.


La lucidité de Kant

Emmanuel Kant
Gravure de J.Chapman

    Emmanuel Kant, le philosophe des Lumières, celui de la raison, de l'universel et de la liberté, avait compris totalement l’événement, aussi bien l’importance civilisationnelle de la Révolution française que sa fragilité, lorsqu’il écrivit ceci : 

"Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop important, trop mêlé aux intérêts de l’humanité, et d’une influence trop vaste sur toutes les parties du monde pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l’occasion de certaines circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre. " (…) "Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français."

(Emmanuel Kant - Le Conflit des Facultés et autres textes sur la révolution)

    Kant, le solitaire de Königsberg, (petite enclave prussienne rebaptisé Kaliningrad par les Russes en 1946), avait hélas vu juste. Oui, la Révolution allait échouer. Oui, tout allait retomber dans l’ornière précédente. Et oui, la Révolution française reviendrait plusieurs fois en mémoire, « à l’occasion de certaines circonstances favorables », çà et là dans le futur, aussi bien en France que dans le monde.


Comment bâtir l’avenir lorsque l’on est fait du passé ?

    Les révolutionnaires ont lancé quelques graines vers l’avenir, quelques idées : l’école gratuite pour tous, l’assistance aux démunis (au lieu de la charité ou de l'emprisonnement), la liberté de la presse comme celle des théâtres, l’abolition de l’esclavage, l’abolition de la torture, la même justice pour tous, le même système d’impôts partout, et les mêmes unités de poids et mesures partout, jusqu’à Robespierre qui voulut abroger la peine de mort ! (Discours de Robespierre du 30 mai 1791). Autant d’idées qui, si elles finissaient par être appliquées, changeraient incroyablement la société. 

Abolition de l'esclavage par la Convention, le 4 février 1794 (16 pluviôse an II)
Rétablissement en 1801, après la Révolution, par Bonaparte.

    Les partisans du suffrage universel, par exemple, n’étaient pas tous naïfs. Ces démocrates savaient bien que la plupart des citoyens voteraient encore longtemps comme le leur ordonneraient, leurs curés, leurs seigneurs ou leurs patrons. Il faut du temps pour devenir un vrai citoyen, du temps et surtout de l’instruction. Ce fut même l’une des raisons pour lesquelles le droit de vote fut longtemps refusées aux femmes, suspectées d'être trop sous l’influence de l’Eglise, une institution en lutte perpétuelle contre la République. Robespierre pensait que d’années en années, tout de même, il finirait par y avoir de moins en moins d'analphabètes, et qu’avec le suffrage universel, les gens ouvriraient leurs yeux sur leur condition, puis comprenant les causes de leur misère, arriveraient peut‐être à faire une république d'équité (Lire son discours de Robespierre du 11 août 1791).

    La lutte était donc perdue d’avance. Les révolutionnaires combattaient ce qu’ils étaient eux-mêmes en grande partie, et la plupart se comportaient comme ceux qu’ils combattaient ! Il allait falloir encore beaucoup de révolutions, de républiques, d’écoles et de pain pour que les hommes et les femmes commencent à changer et qu’ils se contentent de brûler des pneus sur des ronds-points plutôt que de pendre des banquiers aux réverbères. Et il faudra encore beaucoup plus de temps pour qu’ils cessent d’élire des banquiers…

 

Ces enfants, malades de l'Ancien régime...

    Je dois vous avouer que ma sympathie envers certains grands noms de la Révolution a commencé de faiblir lorsque j’ai commencé à les étudier de plus près. Mais n'est-ce pas là le lot de beaucoup de grands hommes lorsque l'on s'intéresse de plus près à leurs vies ? De grand, il n'y a souvent chez eux que leurs actes ou leurs idées. Mais il n'y a rien à redire à cela, c'est humain.

    Je ne vais d'ailleurs pas les passer tous en revue ici car j'ai déjà parlé de certains dans quelques articles. Je vais juste évoquer ici quelques cas que je trouve "révélateurs".

Illustration de la fable de Jean de la Fontaine :
"Les animaux malades de la peste"
Celle-ci se termine par les vers suivants :
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

 

Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau, le lion !

    Celui qui comprenait tout et plus vite que les autres à l’Assemblée nationale ! Comment ne pas s’attrister de voir un homme aussi brillant, essayer sans cesse de se vendre au plus offrant pour payer les dettes de sa vie de débauché ? Je vous ai déjà parler de lui au sujet de son plan secret qu’il avait voulu exposer au roi le 15 octobre 1789.
    Premier des grands hommes accueillis sous les voutes du Panthéon le 5 avril 1791, il sera le premier à en sortir le 21 septembre 1794, après que l'on eut découvert l'étendue de sa corruption dans les carnets secrets de l’armoire de fer que Louis XVI avait laissée derrière lui lors de sa fuite le 20 juin 1791. (L’existence de cette armoire sera dénoncée par le serrurier François Gamain qui l’avait réalisée pour Louis XVI, et révélée publiquement le 20 novembre 1792).

    La mort de Mirabeau le 2 avril 1791 fut d’ailleurs l’un des deux facteurs déclencheurs de la fuite du roi. Le second événement ayant été l’émeute du 18 avril 1791, qui avait empêché le roi de célébrer Pâques à Saint-Cloud. (La Fayette nous dira, dans ses mémoires, que l'émeute fut fomentée par Danton qui fut payé par le roi pour fournir à Louis XVI cette preuve manifeste qu'il n'était plus libre de ses mouvements, mais retenu prisonnier dans son palais.)

Emeute du 18 avril 1791

    Mirabeau avait, depuis son installation définitive à Paris, instauré des relations secrètes avec la Cour. À la suite de la mort de Mirabeau, le Baron Axel de Fersen « grand "ami" de la Reine » écrira : « C'est une grande perte car il travaillait pour eux [la famille royale] et commençait à leur être utile, et leur aurait été d'un secours pour l'exécution de leur projet. » (ledit projet étant la fuite).

    Mirabeau fut d'ailleurs probablement empoisonné par les aristocrates qu’il avait aidés. Il tomba mystérieusement malade le 1er avril, s'alita, fit son testament et mourut le lendemain.  Agonisant, il organisa une rencontre « fortuite » entre Lafayette et Danton. Il tenta en vain de les allier, pour sauver la monarchie. Mais Lafayette traita Danton de corrompu et Danton traita Lafayette de militariste...

    Mirabeau apparait dans nombre de mes articles de l’année 1789 et c’est normal car il fut omniprésent. J’en parle également dans le long article que je consacre à Danton : "Danton, ou l'étrange réhabilitation".


Antoine Barnave, le tigre des propriétaires !


    J’aime bien évoquer Barnave, ce brillant avocat de la Province du Dauphiné, parce qu’il a parfaitement résumé la raison de la Révolution dans une phrase de son livre écrit en prison en 1793 « De la Révolution et de la Constitution », qui paraîtra en 1843 sous le titre Introduction à la Révolution française ; la voici :« Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des pouvoirs ». 
    Une nouvelle classe sociale, riche, travailleuse et instruite, prenait le pouvoir à une classe sociale obsolète et décadente, la noblesse. 
    La Révolution ne fut ne fut donc que cela. Du moins celle que j’appelle la Révolution en dentelles. (L’autre Révolution, celle des miséreux et des affamés, n'a guère de place dans les livres d’histoire et curieusement tous ses défenseurs sont copieusement diffamés.)

    Barnave fut un des révolutionnaires parmi les plus enthousiastes dès les débuts de la Révolution. C'est lui qui lança à l'Assemblée, pour excuser les meurtres de Foulon et de Bertier, cette apostrophe fameuse : « Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang versé hier à Paris. Ce sang était-il donc si pur, qu'on n'osât le répandre ? », phrase qui passa à la postérité, et à laquelle quelqu'un, dans l'assemblée, répliqua : « Oh ! le tigre ! », surnom féroce qui resta au fougueux Barnave, qui se fit pourtant chaton plus tard devant les beaux yeux de Marie-Antoinette.

    Barnave symbolisait à lui seul cette haute bourgeoisie qui venait de s’emparer enfin du pouvoir. Mais la liberté pour laquelle ces gens prétendaient se battre, c’était avant tout la liberté de commercer (comme la prétendue liberté de la jeune Amérique). Raison pour laquelle Barnave fut un partisan du suffrage censitaire, c’est-à-dire le vote réservé aux riches, et qu’il fut un ardent défenseur du droit sacré de propriété. Il s’opposa donc avec virulence à ce que l’on donne la citoyenneté aux gens de couleurs des colonies.

    Une grande question se posait en effet : « Fallait-il fixer une limite à la propriété ? ». Le 24 avril 1793, Robespierre (encore lui) avait présenté un projet de déclaration des droits subordonnant la propriété à l'utilité sociale. Robespierre pensait que « de même que la limite de la liberté, c’est la liberté d’autrui, la limite de la propriété, c’est la vie ou la dignité d’autrui ». Raison pour laquelle Robespierre se moqua de la prétendue déclaration des droits de l’homme de 1789 qui faisait abstraction des gens de couleurs réduits en esclavage.

    Mais pour ces gens-là, représentés plus tard en grande partie par les Girondins, la propriété était sacrée. Le Girondin Maximin Isnard déclarera même le 25 mai 1793 à la tribune : « Si la population de Paris se mêle du moindre attentat à l'égard de la propriété, Paris sera détruit par les forces provinciales. » Les Girondins souhaitaient d’ailleurs que la devise de la France soit : « Liberté, égalité, propriété »

    Vous aurez donc compris que le peuple n’était pas vraiment le souci de Barnave, De qui l’était-il d’ailleurs vraiment parmi tous ces révolutionnaires en dentelles ? Barnave lui aussi aimait l’argent ! Apprenez qu’il perdit en une seule journée 30 000 Livres à une table de jeu ! (Une livre équivalant à 24 sols, soit une journée de travail d’un artisan (bien payé)). 

    Concernant la vision du peuple de cette haute bourgeoisie, je dois reconnaitre que celle-ci sut reconnaitre en lui autre chose qu'un instrument facile à manipuler pour prendre le pouvoir. (Relisez mes articles des 11, 12,13 et 14 juillet 1789)

    En effet, jusqu'à la Révolution, la misère grandissante avait constitué un énorme problème pour le régime, famines à répétions, émeutes, brigandage, etc. Nous l'avons vu dans mon article consacré à ce sujet, les miséreux étaient pourchassés et enfermés. Mais la bourgeoisie eut l'idée géniale de considérer les pauvres comme une "ressource", tout comme le charbon où le fer, et de mettre ceux-ci au travail, grâce à la révolution industrielle qui commençait également. (il y a du cynisme bien évidemment dans ce que je viens d'écrire là)

    Mais revenons à notre "tigre" révolutionnaire. Barnave s'opposa à maintes reprises à La Fayette et à Mirabeau, surtout lorsque Mirabeau défendit les prérogatives royales. Barnave était même l’un des rares orateurs à pouvoir rivaliser avec Mirabeau.

    Toutefois, après la fuite manquée du roi et l'affaire du Champs de Mars (17 juillet 1791), il se rallia à La Fayette et aux monarchistes constitutionnels du Club des Feuillants et, se rapprochant de la cour, tenta de jouer le rôle de conseiller secret.

    Hélas pour lui, Barnave, tout comme Mirabeau, fut mis en cause par les papiers trouvés dans la fameuse armoire de fer. Le malheureux était tombé sous le charme de Marie-Antoinette, lorsqu’il avait voyagé avec la famille royale lors du retour de Varenne. Il avait eu ensuite des entrevues secrètes avec elle et lui avait adressé des lettres. Toutefois, après la fuite manquée du roi et l'affaire du Champs de Mars (17 juillet 1791), Barnave finit par se rallier à Lafayette et rejoignit alors les monarchistes constitutionnels du club des Feuillants, ce qui lui valut la haine du peuple parisien à qui le pouvoir en place s’acharnait à expliquer que le roi et la reine avait été enlevés ! (Dommage que je ne me sente plus le courage de vous raconter tout cela dans le détail sur mon modeste site).

Le livre d'Antoine Barnave est très difficile à trouver sur le WEB, mais je l'ai découvert tout de même, dans la bibliothèque numérique du Fabuleux site THE INTERNET ARCHIVE !

Le voici !

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Georges Danton, le mastodonte de la Révolution !


    Le tonitruant Danton est pour moi un vrai sujet d’étonnement. Au niveau de la corruption, jusqu’à présent je n’ai pas trouvé mieux (ou pire). Le personnage est tellement énorme par ses excès que je lui ai consacré un article spécial en m’appuyant sur deux historiens qui présentaient l’avantage d’apporter une multitude de preuves accablantes. L’article s’intitule « Danton, ou l'étrange réhabilitation ». Etrange, en effet, car le quidam est honoré de rues à son nom et même de statues à son effigie. Une légende dorée a fait de lui une sorte d’Obélix gouailleur et jouisseur, honorable défenseur de la République ; Danton à qui l’idée de République faisait horreur !

Je vous renvoie à l’article le concernant : "Georges Danton ou l'étrange réhabilitation".

 

Jean-Frédéric Perrégaux, le banquier suisse...


    Pourquoi parler du banquier suisse Perrégaux ? Mais parce qu’il fait partie de ces révolutionnaires un peu « particuliers » qui reposent dans le Panthéon des grands hommes ! Perrégaux, celui-là même qui faisait distribuer des fusils aux parisiens le soir du 13 juillet 1789, mais qui s’avéra plus tard être un espion à la solde des Anglais qui, entre autres, finança ceux que l’on appelait « les enragés » en 1793, afin de créer des conditions de désordre et d'instabilité politique pour nuire au courant politique d'essence populaire, incarné par un certain Robespierre (le monstrueux Robespierre (excusez-moi, j’avais oublié de préciser)). Mirabeau a quitté le Panthéon, le banquier Perrégaux y est resté...

 

Jean-Paul Marat, le colérique.


    
Marat vivait en-dessous du plafond de verre qui empêchait, et ce quelques-soient leurs talents, toute ascension sociale aux gens du peuple. Ce fut le cas également de Babeuf, qui malgré son instruction et son intelligence, sera toute sa vie condamnée à l’indigence.

    Marat vivait au milieu du peuple et il le connaissait bien. Un rapport de police lu par l’historien Henri Guillemin disait ceci : « La popularité de Marat tient à son intégrité et l’intégrité, c’est un des dieux du peuple. » Marat vivait à la frontière de sa classe sociale et de ce poste dangereux, il observait, analysait et comprenait les agissements et manœuvres diverses de la nouvelle classe dirigeante.

    Marat voyait bien que ces nouveaux riches faisaient très vite la paix avec les anciens riches et que déjà les affaires reprenaient. De véritables fortunes se sont en effet constituées pendant et grâce à la révolution. Marat dénonçait les "accapareurs", les affairistes, qui spéculaient sur le blé. Marat critiquait la politique de Necker, en mettant en évidence ses méfaits directs et indirects.

    Marat était lucide et il comprenait que la Révolution n’allait pas s’arrêter en octobre 1789, sous le simple effet de la loi martiale et des emprisonnements. Lisons-le : "La liberté a coûté aux Anglais, vingt-cinq batailles rangées, et soixante ans de malheurs ; et nous prétendons la conquérir en un jour, les bras croisés, en bavardant sur les affaires de la Ville !"

    Marat avait déjà vécu lorsque la révolution arriva. Il avait 46 ans en 1789, Antoine Barnave n'en avait que 28, Camille Desmoulins 29, Danton 30 et Robespierre 31. Marat avait eu une vie bien remplie. Il avait exercé la médecine, humaine et vétérinaire, à Newcastle de 1770 à 1773, puis à Londres dans un quartier aristocratique. De retour en France, il avait poursuivi cette vocation et il était même devenu le médecin du comte d’Artois, le propre frère du roi ! Marat, ce pourfendeur d'aristocrates, avait même prêté sa plume à ce grand prince du sang, en faisant parfois office de secrétaire ! Marat avait également été un savant qui avait effectué des recherches sur le feu, sur la lumière et même sur l’électricité qu’il avait utilisée pour soigner. Ce Marat savant avait même eu une querelle avec le physicien Charles en 1783, qui avait failli se terminer par un duel.

Oserai-je vous dire que Marat s’était même inventé des armoiries dont il timbrait ses lettres ?

Publié en 1862 dans la Revue nobiliaire, héraldique et biographique (p.84-85)

Marat avait lui aussi sa part d’ombre

    Comment ne pas être agacé en lisant ses articles dans l’ami du Peuple par son style si violent ? Marat était un exalté, souvent en colère, très violent et trop violent dans ses écrits. Robespierre lui en fera le reproche lors de sa première rencontre avec lui en janvier 1792. Il lui dira que les patriotes, même les plus ardents, pensaient qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à revenir sur des propositions extraordinaires et violentes (telles que celle de faire tomber cinq à six cents têtes coupables), qui révoltaient les amis de la liberté autant que les partisans de l'aristocratie". (Source : https://books.openedition.org/irhis/1283?lang=fr#tocfrom1n2 )

    Marat était accablé d’une terrible maladie qui le faisait horriblement souffrir. Peut-on attribuer ses accès de rage à sa propre souffrance ?

 

Robespierre…


    Que dire de Robespierre qui ne soit pas stupidement agressif, puisque son histoire a presque totalement été réécrite à charge. Il faut effectivement se donner beaucoup de peine pour étudier ce qu’il a dit et fait et commencer à y voir un peu plus clair. Quand j’ai découvert à 30 ans ses discours à la Convention, je les ai trouvés beaux comme les évangiles ! "Alors pourquoi tant de haine ?", me suis-je demandé à l'époque !

    Pourquoi mépriser un homme politique de son envergure ? Parce qu’il ne vivait que de ses appointements et qu'il se contenta de vivre dans une chambre louée par le menuisier Maurice Duplay qui l'accueillit chez lui au 366 rue Saint-Honoré (actuel 398), après la fusillade du Champs de Mars ? (Voir cet article sur la fusillade du Champs de Mars). Parce qu’il ne s'enrichit pas lors de son mandat et qu’il ne se consacra qu'à son travail, jusqu’à l’épuisement ? Malade et dépressif, il ne siégeait même plus au comité de salut publique, lorsque ses collègues multiplièrent les condamnations à mort pour lui en faire porter la responsabilité. Des rapports de police le décrivaient alors promenant son chien dénommé Brount dans la campagne environnante.

    Les bonnes âmes s'indignent en disant que le comité de salut publique auquel il participa fut un gouvernement d’exception ! Oui ! Bien sûr ! Tout autant que le fut celui de la 3ème République en 1914 ! Rappelons que lors de la séance historique du 4 août 1914 à la Chambre des députés, le Parlement français s'ajourna sine die laissant au Président du Sénat et au Président de la Chambre des députés le soin de le convoquer, le cas échéant.

    L’état d’exception de 1793, avec ses 11 armées étrangères qui envahissaient la France, valait bien celui d’août 1914 !

    Il apparait que ce qui lui valut tant de haine, ce fut principalement son souci obsessionnel du peuple que l’on peut constater dès ses premières interventions en 1789, avec son désir d’instaurer le suffrage universel, d’abroger la peine de mort, d'abolir l’esclavage, de limiter le prix du pain et tant d’autres choses en total décalage avec les motivations de nombre de révolutionnaires.

    Robespierre n’était pas un jouisseur. On ne lui connaissait pas de maitresses, pire, il respectait les femmes comme on put le constater lorsque le 3 février 1787, il soutint la candidature de Louise Félicité de Keralio à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras. Il ne se saoulait pas à mort dans les jardins du Palais Royal et ne pelotait pas les fesses des femmes, ce qui ne pouvait pas le rendre aussi sympathique que Danton. Malgré tout, il avait des amis fidèles.

Robespierre, malade ?

    Des historiens ont déjà évoqué son été maladif, sa dépression, même une possible tuberculose. Mais ce n’est pas à cela que je pense. J’ai déjà évoqué mon hypothèse farfelue à propos de Robespierre dans mon article sur Danton. Peu m’importe de me ridiculiser une fois de plus en vous la soumettant de nouveau ici. Qui me lit ?

    Plus je me suis intéressé à Robespierre, plus il m’a fait penser à une sorte de Greta Thunberg. Je m’explique. Tout comme l'écologiste militante qui veut sincèrement sauver la planète et croit à tout ce qu'elle dit (ou ce qu'on lui a dit), Robespierre lui aussi croyait sincèrement tout ce qu'il disait (comme le fit remarquer Mirabeau).

    Il aimait vraiment le peuple et il voulait à tout point lui apporter le bien-être et la justice. Mais tout comme Greta qui veut sauver la planète à tout prix, il lui manquait l'empathie...

    Je ne suis pas loin de me demander si tout comme Greta, il n'était pas atteint du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme plus répandue qu'on ne le pense en politique (Thomas Jefferson, Vladimir Poutineetc). Peut-être auriez-vous préféré d'ailleurs que je le compare à Poutine ?

Le Syndrome d’Asperger est un handicap que l’on ne peut pas distinguer à l’œil nu. Sa différence se traduit par une difficulté à prévoir les attitudes et les intentions des autres. Les autistes Asperger ne perçoivent pas instinctivement le "langage invisible" (postures, silences, regards, etc.) qui fait partie des interactions sociales, ce qui provoque en eux des comportements surprenants et inattendus, qui heurtent les conventions sociales. Les autistes Asperger sont réputés directs et intègres… Vous voyez ce que je veux dire ? Un historien sérieux serait-il volontaire pour étudier cette piste ?


Laissons là l'étude des personnages. Elle n'est pas suffisante pour comprendre. La plupart ne se sont distingués que parce qu'ils ont donné un sens a posteriori au chaos, s'en croyant même les instigateurs.

    C'est en effet une lubie bien commode des historiens que de croire que quelques grands hommes font l'histoire. L'histoire est comme un fleuve puissant parcouru de courants terribles qui vont parfois en s'accélérant. Une révolution, c'est un rapide sur ce fleuve, qui arrache tout sur son passage et qui ballotte de frêles esquifs désemparés ainsi que quelques canards qui, palmant à contre-courant, s'imaginent orienter le courant.

Le moment Tolstoï !

    Léon Tolstoï explique tout cela magistralement et avec une lucidité étonnante dans ses considérations sur l'histoire que l'on peut lire dans "Guerre et Paix"

Lisez cet extrait du Tome 3 de Guerre et Paix, chapitre 2 – 1.

"Les quinze premières années du dix-neuvième siècle présentent à l’observateur un mouvement inusité de millions d’hommes. Ils quittent leurs occupations, se portent d’un côté de l’Europe à l’autre, pillent, s’entretuent, triomphent, et sont battus tour à tour. Pendant cette période de temps la vie habituelle change de cours, et tout à coup cette effervescence, qui semblait devoir aller toujours en croissant, finit par s’affaiblir. Quelle est la cause de ce phénomène ? Quelles en sont les lois ? se demande l’esprit humain. Les historiens répondent à ces questions en nous racontant les actions et les discours de quelques dizaines d’hommes dans un des édifices de la ville de Paris, et ils donnent à ces actes et à ces discours le nom de Révolution ; puis ils nous font une biographie détaillée de Napoléon et de quelques personnages, qui lui sont bienveillants ou hostiles ; ils nous parlent de l’influence de ces mêmes personnages les uns sur les autres et nous disent : « Voilà la cause du mouvement ! Voilà ses lois ! » Mais l’esprit humain refuse d’accepter cette explication et il la déclare erronée, parce qu’évidemment la cause indiquée est trop faible pour l’effet produit. C’est la somme des volontés humaines qui a amené la Révolution et Napoléon, de même que c’est encore elle qui les a supportés et qui les a renversés. « Lorsqu’il y a des conquêtes, » nous dit l’historien, « il y a des conquérants, et à chaque bouleversement dans un empire il y a des grands hommes ! » C’est vrai, répond l’esprit humain, mais il ne m’est pas démontré que les conquérants soient la cause des guerres, et que l’on puisse prétendre que les lois de ces guerres résident dans l’action individuelle d’un seul homme. Chaque fois que je vois l’aiguille de ma montre indiquer le chiffre X, j’entends aussitôt le carillon de l’église voisine, et cependant je ne saurais conclure de là que la position de l’aiguille sur le cadran mette les cloches en branle."

Nota : C'est tellement important de lire Tolstoï pour comprendre sa vision géniale de l'histoire que j'ai recueilli toutes ses considérations dans un article sur mon blog-notes : "Léon  Tolstoï : Guerre et Paix (et l'histoire)". 


Allégorie de la Révolution peinte en 1796 par Jacque Wilbaut

Source image : Musée Carnavalet.


Mais alors, comment ne pas céder au désespoir ?

    Comment ne pas céder au désespoir devant les errements de l’espèce humaine, avec ses échecs incessants dans sa marche vers le progrès ?

    De nos jours, on peut contempler l’héritage de 1789, comme on admire la beauté des ruines du forum de Rome. Les débris de 1789 enjolivent pauvrement le triste décor d’une république dirigée par des ploutocrates malades de l’argent. La devise républicaine inventée par Robespierre « Liberté, égalité, fraternité » n’a pas plus de sens à présent que le "SPQR" : Senatus PopulusQue Romanus", "(au nom du) sénat et du peuple romain", célèbre formule gravée sur les ruines romaines. 


    A présent, la liberté est sous contrôle. L’égalité des droits est redevenue un rêve. Quant à la fraternité…



    Les Lumières projetées par le 18ème siècle sont à présent trop éloignées pour pouvoir encore projeter une quelconque lueur sur notre époque ; Un peu comme ces étoiles que la dilatation de l’univers a trop éloigné de nous pour que nos télescopes puissent les apercevoir. Le ciel s’assombrit peu à peu, l’obscurantisme et la superstition font leur grand retour. Une population de plus en plus ignorante se détourne du progrès et de la science. Des maladies oubliées réapparaissent parce que des gens préfèrent se soigner avec des pierres magiques qu’avec des vaccins ! La nouvelle aristocratie régnante n’a plus rien à craindre du peuple. Les techniques de manipulation ont atteint des sommets de sophistication. L’ingénierie sociale sait fabriquer le consentement du troupeau sans avoir besoin comme autrefois de le malmener.


Fin de partie ou transition ?

    L’humanité a semble-t-il été victime de son succès. Notre espèce est parvenue en un siècle à peine, à saturer de sa présence son environnement, ne laissant plus de place pour les autres espèces, aussi bien animales que végétales. Nous n’avons pas fait cela par désire de nuire comme le prétendent ceux qui veulent nous manipuler en nous faisant culpabiliser. C’est plus simple et plus "naturel" que ça ! 

    Imaginez quelques couples de lapins abandonnés par une épave de navire sur une île déserte sans prédateurs. Au bout de quelques décennies, leurs descendants auront ravagé leur environnement et se seront même entredévorés vers la fin. C’est ce qui nous arrive actuellement. Entre 1900 et 2020, la population mondiale a augmenté de 370%, la consommation d’énergie a augmenté de 1160% et la production mondiale de CO2 a augmenté de 1755%. Nous avons saturé notre ile planétaire de notre présence.

    Alors la partie est-elle terminée, ou bien vivons-nous une période de prise de conscience amenant à une transition ? Sommes-nous le dos au mur, comme je l'évoquais plus haut ?

Source : Transitio


Marc-Aurèle relativise

    Dans son recueil "Pensées pour moi-même", l’empereur philosophe Marc-Aurèle a écrit cette pensée pleine de sagesse : "N’espère pas la République de Platon, mais soit content si une petite chose progresse, et réfléchis au fait que ce qui résulte de cette petite chose n’est précisément pas une petite chose ! ". Marc Aurèle, empereur du monde romain, était l’homme le plus sage, le plus instruit et le plus puissant de son époque. Malgré cela il dû se rendre à cette évidence qu’il ne pourrait jamais créer une société parfaite et que sa contribution au progrès de l’humanité se résumerait à bien peu de choses. Il dû en effet passer la plus grande partie de sa vie à défendre les frontières de son vaste empire. Je pense que ce qu’il a légué de plus beau à l’humanité, c’est précisément son recueil de pensées « pour lui-même ».



Kant revient pour expliquer une fois de plus

    "L'homme est un "animal", qui, lorsqu'il vit parmi d'autres membres de son espèce, "a besoin d'un maître". Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables, et quoique en tant que créature raisonnable il souhaite une loi qui pose les limites de la liberté de tous, son inclination animale égoïste l'entraîne cependant à faire exception pour lui-même quand il le peut. Il lui faut donc un "maître" pour briser sa volonté particulière, et le forcer à obéir à une volonté universellement valable; par-là, chacun peut être libre. Mais où prendra-t-il ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce sera lui aussi un animal qui et besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne voit pas comment, pour établir la justice publique, il pourrait se trouver un chef qui soit lui-même juste, et cela qu'il le cherche dans une personne unique ou dans un groupe composé d'un certain nombre de personnes choisies à cet effet. Car chacune d'entre elles abusera toujours de sa liberté si elle n'a personne, au-dessus d'elle, qui exerce un pouvoir d'après les lois."

"Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique"

Pour télécharger le texte :
http://classiques.uqac.ca/classiques/kant_emmanuel/idee_histoire_univ/idee_histoire.html

    Merci Emmanuel pour l'explication. Tout à fait d'accord avec toi, j'ai même écrit un article qui parle de cela sur mon autre site : "En transition avec Darwin Nietzsche et Molière".

"Idée d'une histoire universelle" ? Cela me fait penser à Condorcet !

 

Condorcet, un message d’espoir ?


    
Jean de Salisbury
philosophe anglais du 12ème siècle, dans son ouvrage "le Metalogicon", prêtait la métaphore suivante à son maître Bernard de Chartres :

« Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. »

    Le seul moyen de ne pas désespérer de l’humanité, c’est donc de la voir de plus haut, en montant par exemple sur les épaules de géants. Raison pour laquelle je vous propose de monter sur les épaules de Marie Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, plus connu sous le nom de Condorcet

    Je ne vous ai pas parlé assez de Condorcet et je le regrette. Il me semble qu’il fut vraiment un des fils des Lumières parmi les plus illustres et surtout parmi les plus dignes d’estime.

    Lisez son dernier chef d'œuvre « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain ». 

    Lorsqu’il écrivit de 1793 à 1794, ce petit livre magnifique d’intelligence et d'optimisme, il se savait pourtant condamné par la Révolution dont il avait été l’un des initiateurs. Vous serez éberlués par sa lucidité et par sa brillante description du long cheminement de l’humanité sur la laborieuse voie du progrès.

    Il faut se dire qu’à l’échelle de l’histoire d’une espèce, l’humanité est jeune et que nous sortons à peine des cavernes. Un jour lointain, je l’espère, nous parviendront à maturité. J’espère que nous perdrons alors cette capacité horrible de nous haïr nous-même, une tare que n’accable aucune autre espèce animale. J’espère que l’humanité parviendra, un jour lointain, à la Liberté, à l’Egalité et à la Fraternité.

Remontez-vous le moral en lisant Condorcet :

 

Conclusion

    J’arrête cet article ici avec Condorcet et son message d’espoir. Je ne pense pas poursuivre mon travail sur la Révolution française. Du moins sûrement pas au rythme que j’ai mené depuis 3 ans. Peut-être encore quelques articles de-ci de-là, ne serait-ce que pour boucler la chronologie de 1789. Mais je ne poursuivrai pas mon projet initial qui était d’aller jusqu’à 1794.

    De toute façon, si on lit la chronologie de 1789 que j’ai déjà réalisée, on comprend que tout est joué ou presque et que cela va mal finir comme je l’ai expliqué au début de cet article.

    Lisez quand même Condorcet, Kant, Marc-Aurèle et Tolstoï ! Sinon comme Papageno dans la flûte enchantée de Mozart, on peut aussi être heureux en se détournant des secrets de l'univers et en se contentant de manger et boire. C'est à vous de voir...


Post Scriptum :

    Il y a un autre point important qui constitue un frein à tout progrès social issu d'une révolution. Donnez du pain aux pauvres, instruisez-les, donnez leurs le droit de vote, mais rien n'empêchera qu'en majorité ils votent contre leurs propres intérêts, au profit de la classe sociale dirigeante. Des psychologues américains ont étudié ce curieux phénomène et ils ont publié une étude intéressante que j'évoque et partage sur cet article de mon site Transitio : "Pourquoi les pauvres votent-ils contre leurs intérêts ?".


dimanche 6 novembre 2022

Marie-Antoinette, reine de la mode, plus que reine des Français ?

Si Marie-Antoinette existait de nos jours...

    Bon ! Je me lance ! Voici un article sur Marie-Antoinette. Exercice périlleux s'il en est, car Marie-Antoinette est devenue un monument historique. Elle est même pour certains l'objet d'un culte. Mais je gage que vous apprendrez tout de même deux ou trois choses étonnantes dans cet article un peu spécial.

Premier avertissement :

    Bien sûr, mon article est quelque peu orienté, et j’en suis sincèrement désolé. Mais au moins, à la différence de la plupart des historiens, j’en suis conscient. Comme disait Spinoza :

"Nous nous croyons libres parce que nous ignorons ce qui nous détermine. Je sais ce qui me détermine".

C'est pour cela que je relativise ce que je comprends du monde et des gens.

    Si l’on veut bien connaître un personnage du passé, il faut non seulement lire des milliers de pages (si c’est possible). Mais il faut aussi s’imprégner de l’esprit de l’époque (Codes visuels et langagiers, allusions, intonation, etc.), ce qui bien évidemment, nous est absolument impossible. Voilà pourquoi nous ne reconnaissons dans ces étrangers du passé que ce que nous reconnaissons de nos propres vies.

Deuxième avertissement :

    Vous allez voir passer de très gros chiffres. Sachez qu'en 1789, une livre (soit 20 sous) correspondait au salaire d'une journée de travail d'un ouvrier agricole bien payé (En Bretagne ce n'était que 12 sous), et que le 14 juillet 1789, un pain pour nourrir une famille de 4 personnes coûtait 14 sous, soit 70% du salaire de la journée.

Résumé, en 1789 : 1 livre = 1 journée de travail d'un ouvrier.

(De nos jour le smic horaire net est de 8.76 €, soit 70.08€ pour une journée de 8h00, et une baguette de pain coûte 1.20 €, soit 1.7% du salaire de la journée)

Troisième et dernier avertissement (Il en fallait bien 3 !)

    Marie-Antoinette, quoi qu'elle ait dit ou fait, ne méritait pas la mort ignominieuse qui lui fût infligée.
    Mais rappelez-vous que la violence de la Révolution, c'est la violence de l'ancien régime. Il faudra encore beaucoup de révolutions, de républiques, de justice, d'écoles et de pain pour que la peine de mort soit enfin abolie. Même si déjà, le 30 mai 1791 Robespierre demandait son abolition...


Maintenant, allons-y !


Par quel côté attraper Marie-Antoinette ?

    Je ne savais pas vraiment par quel côté aborder le sujet et je vous avoue que j'ai longuement tourné autour. En effet, lorsque je suis devant quelqu'un de qui me pose un problème, je pense toujours à cette formule du philosophe Epictète, extraite de son fameux manuel (Dont je recommande la lecture à tout bon humaniste) :

"Toute chose a deux poignées : l'une permet de la porter, l'autre non. Si ton frère te fait du tort, ne prends pas cela en te disant qu'il te fait du tort (c'est le côté impossible à porter), dis-toi plutôt que c'est ton frère, ton compagnon, tu prendras ainsi la chose du côté où l'on peut la porter."

    Voilà pourquoi, confronté au personnage de Marie-Antoinette, j'ai essayé de trouver la bonne "poignée". Je pensais y être arrivé pour le mystérieux Louis XVI, pourquoi n'y serais-je pas parvenu avec Marie-Antoinette ?

    Il me fallait faire un choix dans mes relectures et dans mes recherches. Je ne suis pas revenu sur la biographie rédigée par le talentueux écrivain autrichien Stefan Sweig, car je sais que celui-ci y a mis toute sa sensibilité et le meilleur de lui-même ; magnifiant ainsi le personnage. On pourrait dire de lui, comme pour Flaubert avec Madame Bovary, que Marie-Antoinette, c'est lui ! (Certains pourraient d'ailleurs me rétorque que lorsque l'on parle des autres, on parle encore de soi-même).

   Il faut également prendre en considération que tout comme d'autres personnages historiques célèbres, Marie-Antoinette est devenue un personnage conceptuel utilisé pour véhiculer certaines "valeurs" ; personnage qui a complètement échappé à la personne d'origine (Savez-vous que le mot persona en Latin désignait le masque porté par les acteurs ?).

    Dans le cas d'Olympe de Gouge, que j'évoque dans un autre article, c'est pour une bonne cause, celle de la libération des femmes. Mais dans le cas de Marie-Antoinette, quelles sont les valeurs défendues ?

    Voilà pourquoi, je trouve très difficile de se faire une idée à peu près juste de la personne que fut réellement Marie-Antoinette (Si tant est que ce genre d'approche soit possible). Mais essayons tout de même ensemble.


Idées reçus sur Marie-Antoinette, vraiment ?


   Attiré par son titre, j'ai porté mon choix sur le livre d'une historienne contemporaine, Cécile Berly. Son ouvrage s'intitule "Idées reçues sur Marie-Antoinette". Ce faisant, je m'attendais à ce que tombent tous les clichés dont cette reine était accablée.
    Malheureusement, est-ce une maladresse de l'historienne ou une forme d'aveuglement de sa part (ou de la mienne ?), si son objectif était vraiment de réhabiliter la reine, c'est raté ! Son livre n'a fait que renforcer hélas, l'image quelque peu négative que j'avais de cette reine atypique.
    Même si l'historienne nous dit que la reine n'a jamais sorti la formule "qu'ils mangent des brioches s'il manquent de pain", (ce que tous les historiens un peu honnêtes savaient déjà), tout ce qu'elle nous explique ensuite, ne fait que renforcer l'image trop connue d'une reine sans esprit et sans instruction (son frère l'empereur d'Autriche Joseph II disait d'elle qu'elle avait une "tête à vent"), une reine aux mœurs légères, s'étourdissant de fêtes somptueuses et de jeux d'argent ou elle perdait des sommes colossales, une reine dépensant sans compter pour des bijoux et des tenues aussi somptueuses qu'extravagantes.


Passons en revue quelques-unes de ces soi-disant "idées reçues".

Mère aimante (Mais pour "pour suivre la mode").

    J'avais relevé un point positif en faveur de Marie-Antoinette, et pas des moindres ! Marie-Antoinette avait été une mère aimante qui s'était occupée de ses enfants bien plus qu'il n'était courant dans son milieu à son époque.

    Mais voici que l'historienne nous explique que ça aurait été à cause du mouvement philosophique des Lumières qui aurait instauré à la fin du 18ème siècle, je cite, "le mythe, féminin et familiale de l'amour maternel". Le grand responsable de cette lubie de philosophes (le mot patriarcat n'est pas mentionné), aurait été selon elle, le malheureux Jean-Jacques Rousseau qui aurait forgé de nouveaux principes éducatifs dans son "L'Emile, ou de l'éducation".

    Cécile Berly nous explique que "(Re) devenue femelle, la femme n'est plus que mère, dévolue aux tâches domestiques, donc à l'espace privé." Raison pour laquelle Marie-Antoinette serait devenue une mère aimante pour suivre "cette mode de la mère aimante"

           Moi qui croyais que c'était par bonté d'âme et qui était prêt à tout lui pardonner pour cela, me voici bien déçu !

Mère chimpanzé ayant lu Jean-Jacques Rousseau
et cédant au dictat du patriarcat bourgeois. 😉
 
Nota : Dédramatisons ce qui précède. Dans le cadre de l'évolution des espèces (très peu étudiée en France) les rôles dévolus à chacun des sexes, résultent d'une adaptation à l'environnement en fonction des caractéristiques de chacun. Dans une société policée comme la nôtre, la force physique des mâles n'est plus vitale pour l'espèce. Raison pour laquelle une nouvelle répartition des rôles entre les sexes s'opère actuellement, tout naturellement, par-delà bien et mal.



La Reine et le comte suédois, Axel de Fersen.

    Concernant les "amours" de Marie-Antoinette, l'historienne évoque bien les fêtes et les bals coquins auxquels la reine participait avec sa petite cour d'amis libertins, mais elle ne s'y attarde pas. Que dire de toute façon sur la légèreté de mœurs qui était de mise au sein de la noblesse de cette fin de 18ème siècle ?

    Cécile Berly note au passage que Louis XVI n'avait pas de maitresse. Cela correspond à l'idée du benêt introverti que l'on se fait de lui, mais c'est malgré tout complètement faux, puisque celui-ci eut une longue relation amoureuse avec Françoise Boze, l'épouse du portraitiste Joseph Boze.

    L'historienne évoque bien sûr la relation de la reine avec le Comte de Fersen, mais en respectant pieusement la légende de l'amour platonique. Elle dit un mot sur leur correspondance secrète, mais rien de plus. C'est peut-être parce qu'elle a écrit son livre avant que ladite correspondance ne soit partiellement déchiffrée aux rayons X (https://www.mnhn.fr/fr/actualites/la-correspondance-de-marie-antoinette-aux-rayons-x).

Axel von Fersen en 1793

    Qu'importe d'ailleurs si la reine a vécu une histoire d'amour avec le Baron Axel de Fersen. C'était sa liberté de femme. Pourquoi tout le monde veut-il nier ce qui semble une évidence ? Si vraiment il ne fut pas son amant, il fut pour le moins son aimant. Le ministre Saint-Priest écrivit tout de même dans ses mémoires : 

"Elle avait trouvé le moyen de lui faire agréer (le roi) sa liaison avec le comte de Fersen... En attendant, Fersen se rendait dans le parc, du côté du Trianon, trois ou quatre fois la semaine ; la Reine, seule, en faisait autant de son côté, et ces rendez-vous causaient un scandale public, malgré la modestie et la retenue du favori, qui ne marqua jamais rien à l'extérieur et a été, de tous les amis de la Reine, le plus discret." 

    Il faut savoir malgré tout que le beau Fersen eut de nombreuses maitresses, y compris l'épouse du ministre Saint-Priest ! De plus, Saint Priest détestait la reine, car il savait que c'était elle et son entourage qui avait poussé le roi à renvoyer Necker le 11 juillet 1789, avec toutes les conséquences qui s'en suivirent. Saint-Priest allait jusqu'à imputer à la reine la responsabilité de la Révolution !

    De toute façon, je n'aime pas juger des mœurs du passé. En parcourant à l'occasion de mes recherches, le livre de Charles Kunstler "Fersen et son secret", j'ai relevé cette phrase à laquelle je souscris totalement :

"Il ne s'agit pas de moraliser les morts. Il serait absurde d'éclairer un passé, déjà lointain, à la lueur de nos croyances, de nos goûts, de nos convictions politiques. On commettrait une erreur analogue à celles de ces architectes qui, sous prétexte de dégager nos cathédrales gothiques, ont abattu les vieilles maisons qui les enserraient et détruit ainsi pour toujours l'atmosphère qui déterminait, en partie, leur grandeur et leur majesté".

    La relation amoureuse de la reine et de Fersen ne me passionne donc guère. Ce qui m'intéresse en revanche, c'est le fait que la reine ait pu trahir la France en communiquant des informations à l'ennemi par l'intermédiaire de Fersen !


Une reine trahissant la France ?

    L'historienne Cécile Berly n'évoque pas les trahisons de Marie-Antoinette à l'égard de la France. Ce disant je ne pense pas à la fuite de la famille royale en juin 1791, organisée à la demande de la Reine. Je pense plutôt aux messages qu'elle faisait passer à l'ennemi en 1792, concernant les intentions et positions des armées françaises.

    Le 14 décembre 1791 Marie-Antoinette envoyait un billet à son amant Fersen dans lequel elle écrivait : "L'armée de Luckner va faire mouvement, avertissez qui de droit."

    Le 26 mars 1792, la reine écrivait à Mercy-Argenteau : « M. Dumouriez (…) a le projet de commencer ici le premier par une attaque de la Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée de La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du Conseil d’hier. » Le 20 avril, Louis XVI déclarait la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, (c’est-à-dire au neveu de sa femme).

    Le 27 juin 1792, elle écrivait à Fersen : « Dumouriez part demain pour l’armée de Luckner ; il a promis d’insurger le Brabant. » (Source : Baron de Klinckowström, le petit neveu de Fersen op. cit., T. II, p. 308.)

    La connaissance de ces deux courriers aurait largement suffi à la faire condamner par le tribunal révolutionnaire...


Un procès vraiment inique.

    Ironie du sort, si j'ose dire, le Tribunal révolutionnaire se déshonorera, en donnant crédit aux rumeurs d'inceste colportées par le "journaliste" enragé Hébert, qui se faisait appeler le Père Duchêne (nom de son journal).  Pourquoi avoir ajouté un chef d'accusation aussi abjecte qu'infondé ? Pourquoi tant de haine ? Marie-Antoinette a donc été condamnée pour ce crime qu'elle n'avait pas commis. Mais était-elle innocente pour autant ?

Le jugement infâme de Marie-Antoinette

    Pardonnez-moi la comparaison, maladroite j'en conviens, mais d'une certaine façon le roi et la reine ont subi la même justice qu'Al Capone, qui fut très lourdement condamné pour fraude fiscale, faute que le FBI puisse prouver ses autres crimes. De nombreuses preuves des culpabilités de Louis Capet et de son épouse furent d'ailleurs découvertes après leurs morts. 

    La reine et le roi méritaient-ils la mort pour autant ? Bien sûr que non dans une société policée comme la nôtre. Mais dans la société violente de l'Ancien Régime, il en allait autrement. Je rappelle à cette occasion que la violence révolutionnaire n'est rien d'autre que celle de l'ancien régime. Il faudra encore beaucoup de révolutions, de républiques, d'écoles et de pains dans les ventres, pour que la peine de mort soit enfin abolie.


Pourquoi tant de haine ?

"Les deux ne font qu'un"
Estampe représentant le roi et la reine, 1791

Le roi.

    Dans le cas du bienaimé Louis XVI, la colère fut longue à monter contre lui. Le peuple aima autant qu'il le pu le bon gros Louis, arguant comme le font souvent les petites gens en pareilles circonstances, qu'il était entouré de mauvais conseillers (à commencer par la reine.)

    Il faut dire aussi que les "révolutionnaires" de la Constituante firent preuve d'une immense mansuétude à son égard, allant même jusqu'à prétendre que le roi avait été enlevé, alors que celui-ci s'était enfui avec sa famille le 20 juin 1791, en suivant un plan d'évasion organisé sous les ordres de Marie-Antoinette !

Arrestation du roi à Varennes le 22 juin 1791

    Les constituants allèrent même jusqu'à augmenter la pension du roi à son retour et à décréter l'inviolabilité de celui-ci le 15 juillet 1791. Pour compléter la farce, François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé (organisateur de la fuite) fut déféré le même jour par contumace devant la Haute-Cour pour le prétendu enlèvement du roi ! Sans parler de Barnave, révolutionnaire de la première heure, qui tomba bêtement sous le charme de la reine durant le voyage de retour et qui rejoignit ensuite le club monarchiste des Feuillants...

Retour de la famille royale à Paris le 25 juin 1791

    Quant aux Parisiens en colère à cause de cette fuite honteuse, Lafayette fit tirer sa Garde nationale sur ceux des sections des clubs des Cordeliers et des Jacobins, venus déposer une pétition pour la déchéance du roi le 17 juillet 1791 ! (50 morts !). Dire que c'est cette monarchie constitutionnelle d'opérette que la pauvre Olympe de Gouge défendra jusqu'à la mort. Passons...

"Malheureuse" journée du 17 juillet 1791.

La reine.

    En ce qui concerne la reine Marie-Antoinette, la haine remontait à plus loin. Et surtout, cette haine avait commencé au sein de la noblesse française qui avait vu d'un très mauvais œil cette alliance contre-nature avec la cour d'Autriche, qui jusque-là avait été l'ennemie de la France.

Marie-Antoinette représenté en "Poule d'Autruche"
"Je digère l'argent avec facilité mais la constitution je ne puis l'avaler"

    C'est d'abord la noblesse qui a colporté ragots et rumeurs sur la pauvre Marie-Antoinette. Et c'est la personnalité de la malheureuse qui n'a fait qu'aggraver les choses quand ses frasques ont fini par venir aux oreilles du peuple. La connaissance de ses dépenses extraordinaires était du plus mauvais effet sur une population que la misère et la faim préoccupaient.

    Parfois caricaturée sous forme d'une autruche (jeu de mot avec Autriche), la reine fut souvent caricaturée sous forme d'une panthère, comme ci-dessous.


    On peut constater avec l'estampe suivante, gravée en 1792 par Villeneuve, que la haine envers la reine avait alors atteint un sommet : "La Panthère autrichienne / voué au mépris et à l'exécration de la Nation française dans sa postérité la plus reculée".


    La fuite de la famille royale en juin 1791 constitua vraiment un moment de bascule. A partir de là, une haine du couple royal commença de grandir au sein du peuple, haine que les homme politiques de l'assemblée constituante puis de l'assemblée législative, peinèrent de plus en plus à contenir.

La famille royale de retour à Paris.
Après leur fuite, le roi et sa famille seront
de plus en plus souvent représenté comme des cochons...
.
Que dire ?

    Comme je suis un gentil garçon, je pourrais arguer que les malheureux souverains du royaume de France étaient conditionnés par leur environnement "socio-culturel" et qu'ils ne faisaient que défendre les "intérêts de leur classe". Mais n'était-ce pas cela le cœur du problème en vérité ?


Trêve de polémiques politiciennes, soyons "glamour"

Humour...
La reine de la mode.

    En résumé, l'historienne Cécile Berly se donne donc beaucoup de mal dans son livre pour apporter un nouvel éclairage sur Marie-Antoinette. Et je gage que certains s'émerveilleront de la nouvelle image que l'on découvre alors, celle d'une reine de la mode et du luxe !...

    L'historienne se fait en effet un plaisir de nous expliquer que dès le moment où Marie-Antoinette monta sur le trône en 1774, celle-ci eut à cœur de devenir la reine de la mode !

  Pour partager cet enthousiasme envers quelque chose d'aussi frivole, je gage que Cécile Berly n'a pas dû lire les écrits du Baron d'Holbach sur les effets délétères que produit sur une société, le goût du luxe et de la mode. D'Holbach écrivit ceci dans son ouvrage "Éthocratie ou Le gouvernement fondé sur la morale" :

"Le luxe est une forme d'imposture, par laquelle les hommes sont convenus de se tromper les uns les autres, et parviennent souvent à se tromper eux-mêmes"

    L'historienne nous répète donc cette vieille antienne qui court toujours de nos jours, à savoir que "la mode fait du luxe un commerce très lucratif et qui répand le savoir-faire français dans toutes les cours européennes et jusqu'un Amérique". Commerce très lucratif assurément, mais certainement pas indispensable dans la France de 1789 qui ne cultivait pas assez de blé pour nourrir son peuple, pas plus d'ailleurs pour la France de 2021, qui doit acheter ses masques sanitaires en Chine quand survient une pandémie mondiale.


La ministre des modes.

Rose Bertin

    Marie-Antoinette devenue reine de la mode eut sa ministre des modes, la couturière Marie-Jeanne Bertin, connue à l'époque sous le nom de Mademoiselle Bertin, une fille de paysans picards qui avait conquis le "tout-Paris" par ses créations.

     Mademoiselle Bertin avait ouvert en 1770, son propre magasin de modes à l'enseigne "Le Grand Mogol", dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré où elle employait une trentaine de personnes.

    Mademoiselle Bertin bénéficiait d'un accès privilégié à la reine, honneur que n'avaient pas la plupart des dames de la cour, ce qui ne faisait qu'attiser la jalousie et la colère de celles-ci. Marie-Antoinette et sa "ministre" s'enfermaient de longues heures dans les appartements privés de la reine, afin de partager leur passion commune pour les robes, les chapeaux, les coiffures et toutes sortes d'accessoire de mode très coûteux. (Je ne vous cache pas que des rumeurs coururent à propos de cette "proximité".)

    En janvier 1774, à la demande de Marie-Antoinette, Marie-Jeanne Bertin et le coiffeur de la reine, Léonard-Alexis Autié (l'inventeur du pouf), relancèrent la parution du magazine de mode intitulé le Journal des Dames. La Dauphine régla tous les frais de l'opération, et la Baronne de Princen, dans une situation financière délicate, accepta de prêter son nom en tant que rédactrice en chef.

    Un point positif tout de même pour Mademoiselle Bertin. On apprendra en effet qu'elle libéra les corps féminins en allégeant les silhouettes, avec des paniers plus légers et moins encombrants et qu'elle lança les robes de grossesse. Elle inventa également des robes légères, façon bergère, à porter dans le petit monde champêtre merveilleux, aménagé à grand frais par Marie-Antoinette au petit Trianon (Lire ce chapitre édifiant dans le livre de Cécile Berly).

    Ajoutons à cela que cette entrepreneuse méritante s'était fait une place royale dans le milieu de la couture jusque-là dominé par les hommes, et vous verrez qu'un beau jour on fera d'elle une icône féministe. La ville de Bellancourt, village natal de cette héroïne du monde entrepreneurial, a donné son nom à une école : "Rose Bertin". A noter que le nom de Rose Bertin lui aurait été donné postérieurement à sa mort.


Le coiffeur Léonard au travail.

Léonard le (les) coiffeur (s) de la reine.

    Plutôt que de vous brosser le portrait de Léonard (et de ses frères), je vais vous proposer de regarder la vidéo ci-dessous retraçant la vie de ce "Géniaaaale coiffeur". Elle est extraite d'une émission du sympathique Stephane Bern. Vous aurez même la chance de voir notre jolie historienne, Cécile Berly, vous faire visiter la salle de bain de la reine à Versailles !

  Attention âmes sensibles ! C'est difficile de faire plus kitsch et plus dégoulinant d'émerveillement béat devant des pratiques que certains pourront trouver choquantes.



Retour à la triste réalité


Madame déficit.

    Les dépense de Marie-Antoinette pour la mode furent "abyssales". Louis XVI dû doubler sa cassette en 1774. Mais cela ne suffit pas, car elle ne cessa d'accumuler les dettes que le bon roi paya toujours. Sa propre mère, L'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, sermonna sa fille dans ses courriers pour ses dépenses excessives. Marie-Antoinette achetait des bijoux de manière presque compulsive. Dans une lettre datée du 2 septembre 1776, Marie Thérèse réprouva l'achat de bracelets d'une valeur de 250.000 livres ! Et quand Louis XVI ne pouvait plus payer sur sa cassette, il sollicitait le contrôleur général des finances, qui bien sûr payait avec l'argent des Français accablés d'impôts.

    En 1785, Marie-Antoinette dépensa 258 002 livres pour sa garde-robe, dont 87 597 livres de biens et de services auprès de Bertin. En 1787, le montant total était de 217 188 livres, dues à soixante et une personnes, dont 28 % pour Bertin ; en 1788, le total se montait à 190 721 livres, dues à cinquante-quatre personnes, dont 32 % pour Bertin. Étant donné que le budget de la reine pour sa garde-robe était de 120 000 livres, ses dépenses en vêtements et accessoires représentaient chaque année un dépassement important.

    Il faut savoir que la reine était très mauvaise payeuse ! En janvier 1787, le bruit se répandit dans Paris que la célèbre marchande de modes Mademoiselle Bertin avait déposé son bilan et que ses dettes se montaient à deux ou trois millions de livres. Mais la rumeur qui se propageait dans Paris comportait une précision supplémentaire : Bertin aurait inventé de toutes pièces l’histoire de sa faillite. Son but, en agissant ainsi, aurait été de plonger la couronne dans l’embarras et d’obtenir le paiement des sommes énormes que lui devait depuis longtemps la reine, Marie-Antoinette. Celle-ci, qui était à la fois la cliente la plus prestigieuse de Bertin et celle qui lui passait les plus grandes commandes, avait l’habitude d’acheter sans compter à crédit et de ne payer que sous une contrainte extrême. Selon le journal du marchand de livres Hardy, Bertin avait communément recours à de tels stratagèmes et, dans ce cas précis, elle reçut aussitôt un billet de 400 000 livres sur le trésor royal (Langlade, 1911, pp. 192-193 ; Burkard, 1989, p. 187).

    Les comptes de Bertin attestent que la reine ne payait pas ses factures. Lors du terme d’octobre 1791, Bertin ajouta 3 390 livres, correspondant à trois ans d’intérêts au taux de 5 %, sur les 22 600 livres dues cette année-là. Elle ajouta aussi 4 600 livres aux plus de 46 000 livres de dettes pour l’année 1789. Une note au bas de la page indique que la maison de la reine n’avait accepté de payer que 4 000 livres d’intérêt.

Dépensière et joueuse !

    En plus de ses dépenses pour la mode et les fêtes somptueuses qu'elle organisait, Marie-Antoinette jouait de très fortes sommes d'argent avec des banquiers joueurs dans des parties de pharaon qui duraient parfois 2 journées entières ! Le propre frère de Marie-Antoinette, Joseph II, comparait les appartements de sa sœur à un tripot. En janvier 1777, Marie-Antoinette présenta au roi une dette de 487.272 livres !

Partie de Pharaon au 18ème siècle

    Les dépenses de la maison de la reine ne cessèrent jamais d'augmenter tout au long du règne. Le budget passa de 1.600.000 livres à 2.200.000 livres après le couronnement et il atteint la somme faramineuse de 4.700.000 livres en 1788.

    Ajoutez à ce problème que toutes les dames de la cour se devaient de prendre modèle sur la reine dans cette course folle à toujours plus de luxe ! Mais pas seulement les dames de la noblesse, car celles de la haute bourgeoisie suivaient le pas avec joie !

    Certes Marie-Antoinette ne fut pas l'unique cause du déficit abyssal du budget de la France à la veille de la Révolution. Je vous ai parlé ailleurs du coût énorme de la participation financière de la France à la guerre d'indépendance américaine. Mais Marie-Antoinette, par ses excès, devint le symbole du déficit. Raison pour laquelle aussi bien les nobles qui la détestaient pour son origine autrichienne, son comportement provocateur et ses mauvaises fréquentations, que le peuple qui avait vent de toutes ses folies, la surnommèrent "Madame Déficit".

Le monstre du déficit

Retour au meilleur des mondes, celui de la mode !


La mode selon Marie-Antoinette

    Afin d'illustrer cet article sur la "reine de la mode", je vous devais de l'illustrer de jolies gravures de modes. Vous en trouverez quelques-unes ci-dessous, mais je vous renvoie à l'article que j'ai déjà consacré à ce sujet et aux galeries qu'il comporte :"La mode au XVIIIe siècle".

    Certaines tenues étaient si extravagantes (coiffures de 1 mètre de haut, amples paniers de 5 mètres de diamètre recouverts de plusieurs jupes décorées de rubans, nœuds, glands, fleurs et pierreries) que les dames de la cour qui les portaient ne pouvaient plus voyager assises mais à genoux dans leurs carrosses ! 

Gravure anglaise de Mary Darly

    Les robes coûtaient des fortunes et les perruques créées par Léonard pouvaient coûter jusqu'à 50 000 livres pièce selon les volumes et artifices employés et la reine et les dames fortunées de la cour en changeaient quasiment tous les jours ! Je vous rappelle qu'une livre correspondait au salaire journalier d'un ouvrier agricole, soit 20 sous.

    Vous avez bien compris, une perruque valait l'équivalent de 50.000 jours de travail d'un ouvrier agricole.

 

Ci-dessous, la Princesse de Lamballe en 1776 et la reine Marie-Antoinette en 1789.

Princesse de Lamballe Marie-Antoinette


Admirez ci-dessous ces bonnets et poufs !


 

 


    Rose Bertin expliquait ainsi le magnifique "pouf aux sentiments" que vous pouvez admirer ci-dessous : "J’appelle cette coiffure un pouf à cause de la confusion d’objets qu’elle peut contenir, et je le nomme « au sentiment » parce que ces objets doivent être relatifs à ce que l’on aime le plus".

    
    C’est ainsi qu’elle créa pour la Duchesse de Chartres le pouf le plus étrange : "on y voyait le perroquet préféré de la Duchesse, le bébé de la duchesse dans les bras de sa nourrice et des cheveux appartenant au Duc De Chartres, au Duc de Penthièvre et au Duc d’Orléans"...

    Et n'oublions surtout pas la célèbre coiffure dite "La Belle Poule", nom d'un navire qui avait remporté une victoire contre les Anglais (et dont vous avez entendu parler dans la vidéo plus haut).

 



Vous avez le droit de rire ou sourire...


Des estampes inattendues et une question

    Recherchant des images dans mes bases de données habituelles, j'ai découvert des estampes fort intéressantes au British Museum. Il s'agit de celles de la marchande d'estampes et caricaturiste londonienne Mary Darly, épouse de Matthew Darly créateur de meubles et graveur. En 1756, le couple avait des imprimeries à Fleet Street et au Strand. Mary était l'unique directrice de la succursale de "The Acorn, Ryders Court (Cranbourne Alley)Leicester Fields". Elle faisait de la publicité dans les quotidiens sous son propre nom, en tant que "graveur et éditeur". 

    Mary Darly fut l'une des premières caricaturistes professionnelles en Angleterre. Les boutiques Darly, parmi les premières à se spécialiser dans la caricature, se spécialisèrent sur des thèmes politiques dans les années 1750, une époque de crises politiques, mais elles se concentrèrent par la suite sur le monde de la mode.


    Dans leur boutique du West End, ils publièrent entre 1771 et 1773 six séries d'estampes satiriques intitulées « macaronis », chaque série contenant 24 portraits. Un macaroni (ou anciennement maccaroni) au milieu du XVIIIe siècle en l'Angleterre, était un homme à la mode qui s'habillait et parlait même de manière efféminée. La nouvelle boutique des Darly fut connue sous le nom de "The Macaroni Print-Shop". Matthew et Mary Darly produisirent nombre de caricatures de la vie sociale londonienne par le biais de leurs « macaronis ».



Une question.

    Les estampes des Darly concernant la mode, ont été publiée entre 1771 et 1773. Rose Bertin a été présenté à la reine par Marie-Adélaïde de Bourbon, duchesse de Chartres, le 11 mai 1774, à Marly. Le coiffeur Léonard commença à coiffer la reine en 1772, mais il a inventé le "pouf" en avril 1774 et il ne devient le coiffeur officiel de la reine qu'au début des années 80, lorsque Larseneur le coiffeur officiel, eut pris sa retraite.

    Question : Qui a copié qui ? Qui était le coiffeur anglais qui, au début des années 1770, échafaudait les monumentales coiffures caricaturées par Mary Darly ?

    On pense souvent en France que nous avons tout inventé. Mais ne peut-on imaginer que la mode anglaise ait été copiée par la mode française, tout comme les idée politiques et philosophiques anglaises ont inspiré les révolutionnaires français ?

    Ou alors,... Peut-être que nos amis Anglais se moquaient-ils tout simplement de la noblesse française ? Avouez qu'il y avait de quoi, non ?

    Il est temps de mettre fin à ce long article. Terminons-le avec le sourire, en regardant les caricatures de l'anglaise Mary Darly !

1771














Concluons sur une note positive...

    J’ai trouvé ces deux extraits de lettres écrites par Marie Antoinette en 1774, l’année de son mariage. Une concerne Louis XVI et l’autre concerne la France :

 « Je suis convaincue que, si j’avais à choisir un mari entre les trois frères, je préférerais encore celui que le ciel m’a donné. » (page 149 de la correspondance de Vienne)

    Dans la lettre à sa mère du 14 mai 1774 : « Quoique Dieu m’a fait naître dans le rang que j’occupe aujourd’hui, je ne puis m’empêcher d’admirer l’arrangement de la Providence, qui m’a choisie, moi la dernière de vos enfants, pour le plus beau royaume de l’Europe. Je sens plus que jamais ce que je dois à la tendresse de mon auguste mère, qui s’est donné tant de soin et de travail pour me procurer un bel établissement. Je n’ai jamais tant désiré de pouvoir me mettre à ses pieds, l’embrasser, lui montrer mon âme tout entière, et lui faire voir comme elle est pénétrée de respect, de tendresse et de reconnaissance. »


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