La mort de Mirabeau le 2 avril 1791 fut d’ailleurs l’un des
deux facteurs déclencheurs de la fuite du roi. Le second événement ayant été l’émeute du 18
avril 1791, qui avait empêché le roi de célébrer Pâques à Saint-Cloud. (La
Fayette nous dira, dans ses mémoires, que l'émeute fut fomentée par Danton qui
fut payé par le roi pour fournir à Louis XVI cette preuve manifeste qu'il
n'était plus libre de ses mouvements, mais retenu prisonnier dans son palais.)
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Emeute du 18 avril 1791 |
Mirabeau avait, depuis son installation définitive à Paris,
instauré des relations secrètes avec la Cour. À la suite de la mort de Mirabeau,
le Baron Axel de Fersen « grand "ami" de la Reine » écrira :
« C'est une grande perte car il travaillait pour eux [la famille royale]
et commençait à leur être utile, et leur aurait été d'un secours pour
l'exécution de leur projet. » (ledit projet étant la fuite).
Mirabeau fut d'ailleurs probablement empoisonné par les aristocrates
qu’il avait aidés. Il tomba mystérieusement malade le 1er avril, s'alita, fit son testament et mourut le lendemain. Agonisant, il organisa une rencontre
« fortuite » entre Lafayette et Danton. Il tenta en vain de les
allier, pour sauver la monarchie. Mais Lafayette traita Danton de corrompu et Danton
traita Lafayette de militariste...
Mirabeau apparait dans nombre de mes articles de l’année
1789 et c’est normal car il fut omniprésent. J’en parle également dans le long
article que je consacre à Danton : "Danton, ou l'étrange réhabilitation".
Antoine Barnave, le tigre des propriétaires !
J’aime bien évoquer Barnave, ce brillant avocat de la
Province du Dauphiné, parce qu’il a parfaitement résumé la raison de la
Révolution dans une phrase de son livre écrit en prison en 1793 « De la
Révolution et de la Constitution », qui paraîtra en 1843 sous le
titre Introduction à la Révolution française ; la voici :« Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle
répartition des pouvoirs ».
Une nouvelle classe sociale, riche, travailleuse et
instruite, prenait le pouvoir à une classe sociale obsolète et décadente, la
noblesse.
La Révolution ne fut ne fut donc que cela. Du moins celle que
j’appelle la Révolution en dentelles. (L’autre Révolution, celle des miséreux
et des affamés, n'a guère de place dans les livres d’histoire et curieusement
tous ses défenseurs sont copieusement diffamés.)
Barnave fut un des révolutionnaires parmi les plus
enthousiastes dès les débuts de la Révolution. C'est lui qui lança à
l'Assemblée, pour excuser les meurtres de Foulon et de Bertier, cette
apostrophe fameuse : « Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang
versé hier à Paris. Ce sang était-il donc si pur, qu'on n'osât le
répandre ? », phrase qui passa à la postérité, et à laquelle
quelqu'un, dans l'assemblée, répliqua : « Oh ! le
tigre ! », surnom féroce qui resta au fougueux Barnave, qui se fit
pourtant chaton plus tard devant les beaux yeux de Marie-Antoinette.
Barnave symbolisait à lui seul cette haute bourgeoisie qui venait
de s’emparer enfin du pouvoir. Mais la liberté pour laquelle ces gens
prétendaient se battre, c’était avant tout la liberté de commercer (comme la prétendue liberté de la jeune Amérique). Raison pour laquelle Barnave fut un
partisan du suffrage censitaire, c’est-à-dire le vote réservé aux riches, et qu’il
fut un ardent défenseur du droit sacré de propriété. Il s’opposa donc avec
virulence à ce que l’on donne la citoyenneté aux gens de couleurs des colonies.
Une grande question se posait en effet : « Fallait-il fixer
une limite à la propriété ? ». Le 24 avril 1793, Robespierre (encore lui) avait
présenté un projet de déclaration des droits subordonnant la propriété à
l'utilité sociale. Robespierre pensait que « de même que la limite de la
liberté, c’est la liberté d’autrui, la limite de la propriété, c’est la vie ou
la dignité d’autrui ». Raison pour laquelle Robespierre se moqua de la
prétendue déclaration des droits de l’homme de 1789 qui faisait abstraction des
gens de couleurs réduits en esclavage.
Mais pour ces gens-là, représentés plus tard en grande partie par les
Girondins, la propriété était sacrée. Le Girondin Maximin Isnard déclarera même le 25
mai 1793 à la tribune : « Si la population de Paris se mêle du moindre attentat
à l'égard de la propriété, Paris sera détruit par les forces provinciales. » Les
Girondins souhaitaient d’ailleurs que la devise de la France soit : « Liberté,
égalité, propriété »
Vous aurez donc compris que le peuple n’était pas vraiment le souci de Barnave, De qui l’était-il d’ailleurs vraiment parmi tous ces
révolutionnaires en dentelles ? Barnave lui aussi aimait l’argent !
Apprenez qu’il perdit en une seule journée 30 000 Livres à une table de
jeu ! (Une livre équivalant à 24 sols, soit une journée de travail d’un
artisan (bien payé)).
Concernant la vision du peuple de cette haute bourgeoisie, je dois reconnaitre que celle-ci sut reconnaitre en lui autre chose qu'un instrument facile à manipuler pour prendre le pouvoir. (Relisez mes articles des 11, 12,13 et 14 juillet 1789).
En effet, jusqu'à la Révolution, la misère grandissante avait constitué un énorme problème pour le régime, famines à répétions, émeutes, brigandage, etc. Nous l'avons vu dans mon article consacré à ce sujet, les miséreux étaient pourchassés et enfermés. Mais la bourgeoisie eut l'idée géniale de considérer les pauvres comme une "ressource", tout comme le charbon où le fer, et de mettre ceux-ci au travail, grâce à la révolution industrielle qui commençait également. (il y a du cynisme bien évidemment dans ce que je viens d'écrire là)
Mais revenons à notre "tigre" révolutionnaire. Barnave s'opposa à maintes reprises à La
Fayette et à Mirabeau,
surtout lorsque Mirabeau défendit les prérogatives royales. Barnave était même l’un
des rares orateurs à pouvoir rivaliser avec Mirabeau.
Toutefois, après la fuite manquée du roi et
l'affaire du Champs de Mars (17 juillet 1791), il se rallia à La Fayette et aux monarchistes
constitutionnels du Club
des Feuillants et, se rapprochant de la cour, tenta de jouer le rôle
de conseiller secret.
Hélas pour lui, Barnave, tout comme Mirabeau, fut mis en
cause par les papiers trouvés dans la fameuse armoire de fer. Le malheureux
était tombé sous le charme de Marie-Antoinette, lorsqu’il avait voyagé avec la
famille royale lors du retour de Varenne. Il avait eu ensuite des entrevues
secrètes avec elle et lui avait adressé des lettres. Toutefois, après la fuite manquée du roi et l'affaire du Champs de Mars (17 juillet 1791), Barnave finit par se rallier à
Lafayette et rejoignit alors les monarchistes constitutionnels du club des Feuillants, ce qui lui valut la haine
du peuple parisien à qui le pouvoir en place s’acharnait à expliquer que le roi
et la reine avait été enlevés ! (Dommage que je ne me sente plus le courage de vous raconter tout cela dans le détail sur mon modeste site).
Le livre d'Antoine Barnave est très difficile à trouver sur le WEB, mais je l'ai découvert tout de même, dans la bibliothèque numérique du Fabuleux site THE INTERNET ARCHIVE !
Le voici !
.
Georges Danton, le mastodonte de la Révolution !
Le tonitruant Danton est pour moi un vrai sujet
d’étonnement. Au niveau de la corruption, jusqu’à présent je n’ai pas trouvé
mieux
(ou pire). Le personnage est tellement énorme par ses excès que je lui ai
consacré un article spécial en m’appuyant sur deux historiens qui présentaient
l’avantage d’apporter une multitude de preuves accablantes. L’article
s’intitule «
Danton, ou l'étrange réhabilitation ».
Etrange, en effet, car le quidam est honoré de rues à son nom et même
de statues à son effigie. Une légende dorée a fait de lui une sorte d’Obélix
gouailleur et jouisseur, honorable défenseur de la République ; Danton à
qui l’idée de République faisait horreur !
Je vous renvoie à l’article le concernant : "Georges Danton ou l'étrange réhabilitation".
Jean-Frédéric Perrégaux, le banquier suisse...
Pourquoi parler du banquier suisse
Perrégaux ? Mais
parce qu’il fait partie de ces révolutionnaires un peu
« particuliers » qui reposent dans le Panthéon des grands hommes !
Perrégaux, celui-là même qui faisait distribuer des fusils aux parisiens le
soir du
13 juillet 1789, mais qui s’avéra plus tard être un
espion à la solde des Anglais qui, entre autres,
finança ceux que l’on appelait «
les enragés »
en 1793, afin de créer des conditions de désordre et d'instabilité politique
pour nuire au courant politique d'essence populaire, incarné par un certain
Robespierre
(le monstrueux Robespierre (excusez-moi, j’avais oublié de
préciser)). Mirabeau a quitté le Panthéon,
le banquier Perrégaux y est resté...
Jean-Paul Marat, le colérique.
Marat vivait en-dessous du plafond de verre qui empêchait,
et ce quelques-soient leurs talents, toute ascension sociale aux gens du peuple.
Ce fut le cas également de Babeuf, qui malgré son instruction et son intelligence,
sera toute sa vie condamnée à l’indigence. Marat vivait au milieu du peuple et il le connaissait bien. Un
rapport de police lu par l’historien Henri Guillemin disait
ceci : « La popularité de Marat tient à son intégrité et
l’intégrité, c’est un des dieux du peuple. » Marat vivait à la frontière
de sa classe sociale et de ce poste dangereux, il observait, analysait et
comprenait les agissements et manœuvres diverses de la nouvelle classe
dirigeante.
Marat voyait bien que ces nouveaux riches faisaient très
vite la paix avec les anciens riches et que déjà les affaires reprenaient. De véritables fortunes se sont en effet constituées pendant et grâce à la
révolution. Marat dénonçait les "accapareurs", les affairistes, qui
spéculaient sur le blé. Marat critiquait la politique de Necker, en mettant en
évidence ses méfaits directs et indirects.
Marat était lucide et il comprenait que la Révolution n’allait
pas s’arrêter en octobre 1789, sous le simple effet de la loi martiale et des
emprisonnements. Lisons-le : "La liberté a coûté aux Anglais,
vingt-cinq batailles rangées, et soixante ans de malheurs ; et nous
prétendons la conquérir en un jour, les bras croisés, en bavardant sur les
affaires de la Ville !"
Marat avait déjà vécu lorsque la révolution arriva. Il avait
46 ans en 1789, Antoine Barnave n'en avait que 28, Camille Desmoulins 29, Danton 30 et
Robespierre 31. Marat avait eu une vie bien remplie. Il avait exercé la
médecine, humaine et vétérinaire, à Newcastle de 1770 à 1773, puis à Londres
dans un quartier aristocratique. De retour en France, il avait poursuivi cette
vocation et il était même devenu le médecin du comte d’Artois, le propre frère
du roi ! Marat, ce pourfendeur d'aristocrates, avait même prêté sa plume à ce grand prince du sang, en
faisant parfois office de secrétaire ! Marat avait également été un savant qui
avait effectué des recherches sur le feu, sur la lumière et même sur l’électricité
qu’il avait utilisée pour soigner. Ce Marat savant avait même eu une querelle
avec le physicien Charles en 1783, qui avait failli se terminer par un duel.
Oserai-je vous dire que Marat s’était même inventé des
armoiries dont il timbrait ses lettres ?
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Publié en 1862 dans la Revue nobiliaire, héraldique et biographique (p.84-85) |
Marat avait lui aussi sa part d’ombre
Comment ne pas être agacé en lisant ses articles dans l’ami
du Peuple par son style si violent ? Marat était un exalté, souvent en colère, très
violent et trop violent dans ses écrits.
Robespierre lui en fera le reproche lors de sa première rencontre avec lui en
janvier 1792. Il lui dira que les patriotes, même les plus ardents,
pensaient qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient
produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à
revenir sur des propositions extraordinaires et violentes (telles que celle de
faire tomber cinq à six cents têtes coupables), qui révoltaient les amis de la
liberté autant que les partisans de l'aristocratie". (Source : https://books.openedition.org/irhis/1283?lang=fr#tocfrom1n2 )
Marat était accablé d’une terrible maladie qui le faisait
horriblement souffrir. Peut-on attribuer ses accès de rage à sa propre
souffrance ?
Robespierre…
Que dire de Robespierre qui ne soit pas stupidement agressif,
puisque son histoire a presque totalement été réécrite à charge. Il faut
effectivement se donner beaucoup de peine pour étudier ce qu’il a dit et fait et commencer à y voir un peu plus clair.
Quand j’ai découvert à 30 ans ses discours à la Convention, je les ai trouvés
beaux comme les évangiles ! "Alors pourquoi tant de haine ?",
me suis-je demandé à l'époque !
Pourquoi mépriser un homme politique de son envergure ?
Parce qu’il ne vivait que de ses appointements et qu'il se contenta de vivre dans une
chambre louée par le menuisier Maurice Duplay qui l'accueillit chez lui au 366 rue Saint-Honoré
(actuel 398), après la fusillade du Champs de Mars ? (Voir cet article sur la fusillade du Champs de Mars). Parce qu’il ne s'enrichit pas lors de son mandat et qu’il
ne se consacra qu'à son travail, jusqu’à l’épuisement ? Malade et
dépressif, il ne siégeait même plus au comité de salut publique, lorsque ses
collègues multiplièrent les condamnations à mort pour lui en faire porter la
responsabilité. Des rapports de police le décrivaient alors promenant son chien dénommé Brount
dans la campagne environnante.
Les bonnes âmes s'indignent en disant que le comité de salut publique auquel il participa
fut un gouvernement d’exception ! Oui ! Bien sûr ! Tout autant que le fut
celui de la 3ème République en 1914 ! Rappelons que lors de la séance historique du 4 août 1914 à la Chambre des députés,
le Parlement français s'ajourna sine die laissant au Président du
Sénat et au Président de la Chambre des députés le soin de le convoquer, le cas
échéant.
L’état d’exception de 1793, avec ses 11 armées étrangères qui
envahissaient la France, valait bien celui d’août 1914 !
Il apparait que ce qui lui valut
tant de haine, ce fut principalement son souci obsessionnel du peuple que l’on peut
constater dès ses premières interventions en 1789, avec son désir d’instaurer
le suffrage universel, d’abroger la peine de mort, d'abolir l’esclavage, de limiter le
prix du pain et tant d’autres choses en total décalage avec les motivations de nombre de révolutionnaires.
Robespierre n’était pas un jouisseur. On ne lui connaissait
pas de maitresses, pire, il respectait les femmes comme on put le constater
lorsque le 3 février 1787, il soutint la candidature de Louise Félicité de Keralio à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras. Il ne se saoulait
pas à mort dans les jardins du Palais Royal et ne pelotait pas les fesses des
femmes, ce qui ne pouvait pas le rendre aussi sympathique que Danton. Malgré tout, il avait des amis fidèles.
Robespierre, malade ?
Des historiens ont déjà évoqué son été maladif, sa
dépression, même une possible tuberculose. Mais ce n’est pas à cela que je
pense. J’ai déjà évoqué mon hypothèse farfelue à propos de Robespierre dans mon
article sur Danton. Peu m’importe de me ridiculiser une fois de plus en vous la soumettant de nouveau ici. Qui
me lit ?
Plus je me suis intéressé à Robespierre, plus il m’a fait
penser à une sorte de Greta Thunberg. Je m’explique. Tout comme l'écologiste militante qui veut
sincèrement sauver la planète et croit à tout ce qu'elle dit (ou ce qu'on
lui a dit), Robespierre lui aussi croyait sincèrement tout ce qu'il
disait (comme le fit remarquer Mirabeau).
Il aimait vraiment le peuple et il
voulait à tout point lui apporter le bien-être et la justice. Mais tout comme
Greta qui veut sauver la planète à tout prix, il lui manquait l'empathie...
Je ne suis pas loin de me demander si
tout comme Greta, il n'était pas atteint du syndrome d'Asperger, une forme
d'autisme plus répandue qu'on ne le pense en politique (Thomas Jefferson, Vladimir Poutine, etc). Peut-être
auriez-vous préféré d'ailleurs que je le compare à Poutine ?
Le Syndrome d’Asperger est un handicap que l’on ne peut pas distinguer à l’œil nu.
Sa différence se traduit par une difficulté à prévoir les attitudes et les
intentions des autres. Les autistes Asperger ne perçoivent pas instinctivement
le "langage invisible" (postures, silences, regards,
etc.) qui fait partie des interactions sociales, ce qui provoque en eux
des comportements surprenants et inattendus, qui heurtent les conventions
sociales. Les autistes Asperger sont réputés directs et intègres…
Vous voyez ce que je veux dire ? Un historien sérieux serait-il volontaire pour
étudier cette piste ?
Laissons là l'étude des personnages. Elle n'est pas suffisante pour comprendre. La plupart ne se sont distingués que parce qu'ils ont donné un sens a posteriori au chaos, s'en croyant même les instigateurs.
C'est en effet une lubie bien commode des historiens que de croire que quelques grands hommes font l'histoire. L'histoire est comme un fleuve puissant parcouru de courants terribles qui vont parfois en s'accélérant. Une révolution, c'est un rapide sur ce fleuve, qui arrache tout sur son passage et qui ballotte de frêles esquifs désemparés ainsi que quelques canards qui, palmant à contre-courant, s'imaginent orienter le courant.
Le moment Tolstoï !
Léon Tolstoï explique tout cela magistralement et avec une lucidité étonnante dans ses considérations sur l'histoire que l'on peut lire dans "Guerre et Paix"
Lisez cet extrait du Tome 3 de Guerre et Paix, chapitre 2 –
1.
"Les quinze premières années du dix-neuvième siècle
présentent à l’observateur un mouvement inusité de millions d’hommes. Ils
quittent leurs occupations, se portent d’un côté de l’Europe à l’autre,
pillent, s’entretuent, triomphent, et sont battus tour à tour. Pendant cette période
de temps la vie habituelle change de cours, et tout à coup cette effervescence,
qui semblait devoir aller toujours en croissant, finit par s’affaiblir. Quelle
est la cause de ce phénomène ? Quelles en sont les lois ? se demande l’esprit
humain. Les historiens répondent à ces questions en nous racontant les actions
et les discours de quelques dizaines d’hommes dans un des édifices de la ville
de Paris, et ils donnent à ces actes et à ces discours le nom de Révolution ;
puis ils nous font une biographie détaillée de Napoléon et de quelques
personnages, qui lui sont bienveillants ou hostiles ; ils nous parlent de
l’influence de ces mêmes personnages les uns sur les autres et nous disent : «
Voilà la cause du mouvement ! Voilà ses lois ! » Mais l’esprit humain refuse
d’accepter cette explication et il la déclare erronée, parce qu’évidemment la
cause indiquée est trop faible pour l’effet produit. C’est la somme des
volontés humaines qui a amené la Révolution et Napoléon, de même que c’est
encore elle qui les a supportés et qui les a renversés. « Lorsqu’il y a des
conquêtes, » nous dit l’historien, « il y a des conquérants, et à chaque
bouleversement dans un empire il y a des grands hommes ! » C’est vrai, répond
l’esprit humain, mais il ne m’est pas démontré que les conquérants soient la
cause des guerres, et que l’on puisse prétendre que les lois de ces guerres
résident dans l’action individuelle d’un seul homme. Chaque fois que je vois
l’aiguille de ma montre indiquer le chiffre X, j’entends aussitôt le carillon
de l’église voisine, et cependant je ne saurais conclure de là que la position
de l’aiguille sur le cadran mette les cloches en branle."
Nota : C'est tellement important de lire Tolstoï pour comprendre sa vision géniale de l'histoire que j'ai recueilli toutes ses considérations dans un article sur mon blog-notes : "Léon Tolstoï : Guerre et Paix (et l'histoire)".
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Allégorie de la Révolution peinte en 1796 par Jacque Wilbaut |
Source image : Musée Carnavalet.
Mais alors, comment ne pas céder au désespoir ?
Comment ne pas céder au désespoir devant les errements de
l’espèce humaine, avec ses échecs incessants dans sa marche vers le
progrès ?
De nos jours, on peut contempler l’héritage de 1789, comme
on admire la beauté des ruines du forum de Rome. Les débris de 1789 enjolivent
pauvrement le triste décor d’une république dirigée par des ploutocrates
malades de l’argent. La devise républicaine inventée par Robespierre
« Liberté, égalité, fraternité » n’a pas plus de sens à présent que
le "SPQR" : Senatus PopulusQue Romanus", "(au nom du) sénat et du peuple
romain", célèbre formule gravée sur les ruines romaines.
A présent, la liberté est sous contrôle. L’égalité des droits est redevenue un rêve. Quant à la fraternité…
Les Lumières projetées par le 18ème siècle sont à présent
trop éloignées pour pouvoir encore projeter une quelconque lueur sur notre
époque ; Un peu comme ces étoiles que la dilatation de l’univers a trop
éloigné de nous pour que nos télescopes puissent les apercevoir. Le ciel
s’assombrit peu à peu, l’obscurantisme et la superstition font leur grand
retour. Une population de plus en plus ignorante se détourne du progrès et de
la science. Des maladies oubliées réapparaissent parce que des gens préfèrent
se soigner avec des pierres magiques qu’avec des vaccins ! La nouvelle
aristocratie régnante n’a plus rien à craindre du peuple. Les techniques de
manipulation ont atteint des sommets de sophistication. L’ingénierie sociale sait
fabriquer le consentement du troupeau sans avoir besoin comme autrefois de le
malmener.
Fin de partie ou transition ?
L’humanité a semble-t-il été victime de son succès. Notre
espèce est parvenue en un siècle à peine, à saturer de sa présence son
environnement, ne laissant plus de place pour les autres espèces, aussi bien
animales que végétales. Nous n’avons pas fait cela par désire de nuire comme le
prétendent ceux qui veulent nous manipuler en nous faisant culpabiliser. C’est
plus simple et plus "naturel" que ça !
Imaginez quelques
couples de lapins abandonnés par une épave de navire sur une île déserte sans prédateurs. Au bout de quelques
décennies, leurs descendants auront ravagé leur environnement et se seront même entredévorés
vers la fin. C’est ce qui nous arrive actuellement. Entre 1900 et 2020, la
population mondiale a augmenté de 370%, la consommation d’énergie a augmenté de
1160% et la production mondiale de CO2 a augmenté de 1755%. Nous avons saturé
notre ile planétaire de notre présence.
Alors la partie est-elle terminée, ou bien vivons-nous une période de prise de conscience amenant à une transition ? Sommes-nous le dos au mur, comme je l'évoquais plus haut ?
Marc-Aurèle relativise
Dans son recueil "Pensées pour moi-même", l’empereur philosophe
Marc-Aurèle a écrit cette pensée pleine de sagesse : "N’espère
pas la République de Platon, mais soit content si une petite chose progresse,
et réfléchis au fait que ce qui résulte de cette petite chose n’est précisément
pas une petite chose ! ". Marc Aurèle, empereur du monde romain, était
l’homme le plus sage, le plus instruit et le plus puissant de son époque.
Malgré cela il dû se rendre à cette évidence qu’il ne pourrait jamais créer une
société parfaite et que sa contribution au progrès de l’humanité se résumerait
à bien peu de choses. Il dû en effet passer la plus grande partie de sa vie à
défendre les frontières de son vaste empire. Je pense que ce qu’il a légué de
plus beau à l’humanité, c’est précisément son recueil de pensées « pour
lui-même ».
Kant revient pour expliquer une fois de plus
"L'homme est un "animal", qui, lorsqu'il vit parmi
d'autres membres de son espèce, "a besoin d'un maître". Car il abuse
à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables, et quoique en tant que
créature raisonnable il souhaite une loi qui pose les limites de la liberté de
tous, son inclination animale égoïste l'entraîne cependant à faire exception
pour lui-même quand il le peut. Il lui faut donc un "maître" pour
briser sa volonté particulière, et le forcer à obéir à une volonté
universellement valable; par-là, chacun peut être libre. Mais où prendra-t-il
ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce sera lui aussi
un animal qui et besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne
voit pas comment, pour établir la justice publique, il pourrait se trouver un
chef qui soit lui-même juste, et cela qu'il le cherche dans une personne unique
ou dans un groupe composé d'un certain nombre de personnes choisies à cet
effet. Car chacune d'entre elles abusera toujours de sa liberté si elle n'a
personne, au-dessus d'elle, qui exerce un pouvoir d'après les lois."
"Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue
cosmopolitique"
Pour télécharger le texte :
http://classiques.uqac.ca/classiques/kant_emmanuel/idee_histoire_univ/idee_histoire.html
Merci Emmanuel pour l'explication. Tout à fait d'accord avec toi, j'ai même écrit un article qui parle de cela sur mon autre site : "En transition avec Darwin Nietzsche et Molière".
"Idée d'une histoire universelle" ? Cela me fait
penser à Condorcet !
Condorcet, un message d’espoir ?
Jean de Salisbury, philosophe anglais du 12ème siècle, dans son
ouvrage "le Metalogicon", prêtait la métaphore suivante à son
maître Bernard de Chartres :« Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de
géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à
cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que
nous sommes élevés par eux. »
Le seul moyen de ne pas désespérer de l’humanité, c’est donc
de la voir de plus haut, en montant par exemple sur les épaules de géants.
Raison pour laquelle je vous propose de monter sur les épaules
de Marie Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, plus connu sous le nom
de Condorcet.
Je ne vous ai pas parlé assez de Condorcet et je le regrette.
Il me semble qu’il fut vraiment un des fils des Lumières parmi les plus
illustres et surtout parmi les plus dignes d’estime.
Lisez son dernier chef d'œuvre « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain ».
Lorsqu’il écrivit de 1793 à 1794, ce petit livre magnifique
d’intelligence et d'optimisme, il se savait pourtant condamné par la Révolution
dont il avait été l’un des initiateurs. Vous serez éberlués par sa lucidité et
par sa brillante description du long cheminement de l’humanité sur la
laborieuse voie du progrès.
Il faut se dire qu’à l’échelle de l’histoire d’une espèce,
l’humanité est jeune et que nous sortons à peine des cavernes. Un jour
lointain, je l’espère, nous parviendront à maturité. J’espère que nous perdrons
alors cette capacité horrible de nous haïr nous-même, une tare que n’accable
aucune autre espèce animale. J’espère que l’humanité parviendra, un jour
lointain, à la Liberté, à l’Egalité et à la Fraternité.
Remontez-vous le moral en lisant Condorcet :
Conclusion
J’arrête cet article ici avec Condorcet et son message
d’espoir. Je ne pense pas poursuivre mon travail sur la
Révolution française. Du moins sûrement pas au rythme que j’ai mené depuis 3
ans. Peut-être encore quelques articles de-ci de-là, ne serait-ce que pour
boucler la chronologie de 1789. Mais je ne poursuivrai pas mon projet initial qui
était d’aller jusqu’à 1794.
De toute façon, si on lit la chronologie de 1789 que j’ai déjà réalisée, on comprend que tout est joué ou presque et que cela va mal finir comme je
l’ai expliqué au début de cet article.
Lisez quand même Condorcet, Kant, Marc-Aurèle et Tolstoï ! Sinon comme Papageno dans la flûte enchantée de Mozart, on peut aussi être heureux en se détournant des secrets de l'univers et en se contentant de manger et boire. C'est à vous de voir...
Post Scriptum :
Il y a un autre point important qui constitue un frein à tout progrès social issu d'une révolution. Donnez du pain aux pauvres, instruisez-les, donnez leurs le droit de vote, mais rien n'empêchera qu'en majorité ils votent contre leurs propres intérêts, au profit de la classe sociale dirigeante. Des psychologues américains ont étudié ce curieux phénomène et ils ont publié une étude intéressante que j'évoque et partage sur cet article de mon site Transitio : "Pourquoi les pauvres votent-ils contre leurs intérêts ?".