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mercredi 25 novembre 2020

25 Novembre 1789 : L'Assemblée nationale pardonne au parlement de Metz

Le parlement de Metz


Un parlement qui "suppose"...

    Souvenons-nous, le 3 novembre 1789, l’Assemblée nationale avait pris la décision de mettre en vacance les parlements, jusqu’à la mise en place des assemblées municipales et provinciales. (Voir l’article du 3 novembre 1789).

    Mais le 12 Novembre 1789, le parlement de Metz s’était permis de supposer que « le décret de l’Assemblée nationale du 3 Novembre, et la sanction de Sa Majesté, étaient dépourvus du caractère de liberté nécessaire pour rendre les lois obligatoires et n’avait pas craint de protester tant contre ledit décret que contre ladite sanction. »

Sourcehttps://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3837_t1_0070_0000_2

    L’Assemblée nationale, vivement choquée par cette protestation du parlement de Metz, avait décrété lors de sa séance du 17 novembre que les signataires de cette protestation devraient comparaitre dans la huitaine.

Un vieux projet.

M. De Volney

    
Ce projet de création d’assemblées municipales et provinciales avait été l’un des premiers sur lesquels avait travaillé l’Assemblée, dès le mois d’août 1789 (Voir l'article du 14 août 1789). Monsieur de Volney, député du Tiers Etat, avait précisé à la tribune que c’était le seul moyen d’apaiser « la fermentation du peuple » :

« L'amendement que je propose, c'est de former des assemblées de divers grades avant de s'occuper de la Constitution. Mais je regarde comme nécessaire de s'occuper avant tout des assemblées secondaires, et de rétablir en quelque sorte le pouvoir exécutif de l'Assemblée. Il faut donc former les assemblées paroissiales, former les assemblées municipales, les assemblées provinciales, et enfin l'Assemblée nationale. Tel est l’ordre des choses, tel est celui que je propose. »

    Le projet n’était pourtant pas nouveau ! Le 20 août 1786, Charles Alexandre de Calonne, contrôleur général des finances (et de fait premier ministre), avait remis à Louis XVI un mémoire sur le déficit financier du royaume dans lequel il avait préconisé la création d'assemblées municipales (élues par tous les propriétaires ayant au moins 600 livres de revenu), qui éliraient des assemblées de district, lesquelles éliraient à leur tour des assemblées provinciales (toutes ces assemblés demeurants d'ailleurs purement consultatives). Hélas pour lui, au lieu de soutenir Calonne et d'imposer son plan de réformes, Louis XVI, comme à son habitude avait tergiversé et cherché, pour vaincre la résistance prévisible des parlements, à obtenir le soutien de la Noblesse, en vain, bien évidemment.

    Les choses auraient peut-être pu se passer mieux, si les tous parlementaires avaient eu connaissance la "petite précision" que le Duc De La Rochefoucauld avait apportée le 3 novembre devant l’Assemblée :

« Vous supprimerez donc véritablement ces grands corps de magistrature, mais en prononçant leur destruction vous rendrez une justice méritée aux membres qui les composent, et sans doute leurs citoyens s'empresseront de les porter par leurs suffrages aux places que le nouvel ordre judiciaire établira. »

    "Sans doute" que les citoyens allaient s'empresser de porter par leurs suffrages aux nouvelles places, les anciens parlementaires ! On pourrait dire que cette phrase résume à elle seule l’état d’esprit de la majorité des hommes politiques de ce début de Révolution :
"On garde les mêmes et on recommence !" 😉

    Mais les parlements de province ne l’avaient pas entendu de cette oreille et la plupart avaient vu là une atteinte à leurs privilèges ! A peine la nouvelle fut elle connue en novembre, que les parlements de Rouen et de Metz refusèrent d'accepter la suppression des chambres de vacations. En décembre, ce sera celui de Rennes, puis en mars celui de Bordeaux. Celui de Rennes s'entêtera à tel point que l'Assemblée rendra le 6 février 1790, un décret par lequel ses membres seront déchus des droits de citoyens actifs !

    Outre le désir d’apaiser la "fermentation populaire" du mois d’août, les députés souhaitaient ardemment mettre en place cette réforme qui avait déjà trop tardée (et qui aurait peut-être pu empêcher la Révolution). Ils ne comptaient donc pas reproduire l’erreur du roi, qui, à chaque tentative de réforme, s’était vu confronté à l’hostilité des parlements.

Lire cet article sur les Parlements : "Les parlements contre le roi".

    De plus, les parlementaires, qui se faisaient appeler "les pères du peuple", et qui avant la Révolution, avaient bien su instrumentaliser ledit peuple, n’étaient plus partout dans les bonnes grâces de celui-ci ! Dans bon nombre de provinces, l’opinion publique s’était retournée contre eux et les "pères du peuple" y étaient devenus des boucs émissaires, contres lesquels la colère populaire se concentrait. A Rouen par exemple, le 25 juillet 1789, des placards avaient même été affichés aux quatre coins de la ville, qui réclamaient des têtes en ces termes ! :

« Nation, vous avez ici quatre têtes à abattre, celle de Pontcarré, premier président, de Massion, intendant, de Belbeuf, procureur général, et celle de Durand, procureur du roi de la Ville. »


Un gouverneur très particulier

François Claude de Bouillé
    La situation à Metz était un peu différente. Les Messins semblaient attachés à leur parlement, une institution vieille de cent cinquante-six ans, dont ils avaient demandé la conservation dans leurs cahiers de doléances. Depuis juin 89, le nouveau gouverneur de la ville était le marquis de Bouillé et la présence de défenseur de la monarchie, qui plus est, très attaché à Louis XVI devait inspirer une certaine assurance aux membres du parlement. Bouillé avait pris le poste de gouverneur des Trois-Évêchés (ToulMetz et Verdun), en remplacement du maréchal de Broglie qui avait été appelé par le roi pour prendre le commandement des troupes qu’on rassemblait alors secrètement autour de Versailles. Lieutenant général des armées du roi, Bouillé s’était illustré, entre autres, en ayant combattu aux Antilles pendant la guerre d'indépendance des États-Unis, au cours de laquelle il avait pris plusieurs îles aux Britanniques. En 1781, il avait notamment obtenu le commandement de la flotte française du comte de Grasse, lors de la prise de Tobago. Avez-vous lu l'article du 23 octobre sur cette île de Robinson Crusoé ? Non ? Alors cliquez sur l'image ci-dessous !


    Bouillé avait acquis une popularité de courte durée durant l’été 89, pour avoir mis une partie des vivres de son armée à la disposition des Messins en manque de blé et menacés de famine. Mais ce grand militaire fidèle au roi, était hostile au mouvement révolutionnaire. Il avait été un ardent défenseur des privilèges lors des Assemblées des notables de 1787 et 1788, raison pour laquelle il voyait d’un mauvais œil les nouvelles structures que mettait en place cette Assemblée nationale qui avait aboli les privilèges lors de la nuit du 4 août (Lire l'article)Bouillé ne portait donc pas les patriotes messins dans son cœur et il s'efforçait de protéger les anciens édiles de la ville. Ces derniers se trouvaient confrontés au nouveau comité patriotique, devenu le 27 août le seul comité municipal légitime, comité protégé par la nouvelle garde nationale. Lors de la prise de serment des troupes de la garnison qui avait eu lieu le 18 septembre, Bouillé s’était d'ailleurs fait remarquer par son absence.

Cet extrait de ses mémoires nous montre quels étaient en vérité ses intentions :

« J'étais resté constamment à Metz, haï du peuple, mais assuré de la confiance de mon armée, ou j'avais entretenu la jalousie contre les bourgeois et le mépris pour la populace... Isolé au milieu de la Révolution, regardé comme ennemi de ce qu'on appelait la Constitution à laquelle je n'avais pas voulu faire le serment ordonné, serment que j'avais seulement fait prêter aux troupes par ordre du Roi... Désirant me réunir à ceux qui auraient la volonté, la force, le courage et le talent de rétablir une monarchie sur des bases convenables aux circonstances, ou résolu à quitter la France et à aller chercher une autre patrie ; telle était alors ma position. Mon seul objet était de servir le Roi et de soutenir la Monarchie qui s'écroulait. Je ne voulais entrer dans aucun parti... mais je devais ménager celui qui régnait alors et qui était le moins scélérat de tous. Mon rôle était de conserver mon armée et les places fortes, de me maintenir à Metz, d'y attendre les événements et de profiter du moment favorable qui devait naturellement se présenter dans le cours de la Révolution ; je suivis exactement ce plan qui fut dérangé par l'imprudence du Roi ou plutôt par celle de ses conseils... »

    Nous serons amenés à reparler de ce bouillant Bouillé, quand la famille royale le chargera d’organiser sa fuite de Paris en juin 1791.

Bouillé dit Sacrogorgon, général de l'armée noire
faisant faire l'exercice à un ex-conseiller au parlement

Je vous conseille la lecture de ce document très intéressant sur Metz durant la Révolution : http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/53145/LCL2008_3-4_44.pdf?sequence=1


Mais revenons à l'Assemblée nationale en ce 25 novembre 1789 et prenons connaissance, si vous le voulez bien, des documents qui y furent lus !
(Vous allez constater que les parlementaires "rebelles" de Metz se feront juste un tout petit peu gronder et seront vite pardonnés.)

M. le Président. Un de MM. les secrétaires va donner lecture d'un mémoire envoyé par la commune de Metz et de pièces concernant le parlement de cette ville :

A Monsieur le président de l’Assemblée nationale.

Monsieur le président,

Je suis chargé de la part de la chambre des vacations de vous adresser son arrêté de ce jour, qui est l'expression du respect que le parlement de Metz ne cessera d'avoir pour les décrets de l'Assemblée nationale.

Je vous prie de vouloir bien le présenter à l'auguste Assemblée que vous présidez.

Je suis avec respect, monsieur le président, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Signé : De Chazelles, conseiller.

A Metz, le 21 novembre 1789.

Extrait des registres du parlement de Metz.

Ce jour, la chambre des vacations continuant sa délibération sur l'arrêt du Conseil d'Etat du Roi, du 15 du courant, qui casse l'arrêté du parlement du 12 du même mois, elle aurait reconnu avec douleur qu'une démarche dictée par le zèle le plus pur aurait pu faire soupçonner le parlement de manquer au respect qu'il doit à son Roi, et dont il est également pénétré pour les décrets de l'Assemblée nationale ;

Qu'effrayée des bruits fâcheux qui se sont répandus dans les provinces, son zèle ne lui a pas permis de les apprécier ; qu'elle reconnaît avec satisfaction la liberté et l'union qui règnent autour du trône et dans l'Assemblée nationale ;

En conséquence, a arrêté que l'expression de ses sentiments serait mise sous les yeux de Sa Majesté et de l'Assemblée nationale, et que le présent arrêté serait envoyé à M. le garde des sceaux pour être mis sous les yeux du Roi, et à M. le président de l'Assemblée nationale, pour lui en être fait part.

Fait en parlement, à Metz, chambre des vacations, le 21 novembre 1789.

Collationné. Signé : Guinet.

A Nosseigneurs de l’Assemblée nationale.

Le comité municipal, à lui joints les députés des corps, compagnies, communautés, corporations et paroisses représentant la commune de Metz, pénétré du plus profond respect pour les décrets de l'Assemblée nationale, désapprouvant les principes qui ont égaré un moment le parlement, mais vivement touché de son empressement à réparer son erreur, a été saisi d'une douleur profonde en apprenant les dispositions rigoureuses de votre décret du 17 envers ce tribunal.

Cette cour donna souvent des preuves de son zèle pour le peuple ; elle consacra la première les principes de la répartition proportionnée des impôts, et son courage à les soutenir attira sur ses membres les coups du despotisme. Elle a rendu la justice avec équité et bonté ; elle a respecté les droits des citoyens, elle leur a été chère et respectable. Peu avant l'arrêté du parlement du 12 novembre, des bruits alarmants circulaient dans la cité ; ils émanaient de la capitale, ils étaient dans des écrits publics.

L'erreur du parlement de Metz est d'avoir pu les accréditer, tandis qu'il devait les détruire ; mais il n'a point résisté à l'autorité de l'Assemblée nationale et du Roi ; sa conduite doit dissiper le soupçon qu'il ait eu l'intention de préparer l'occasion d'y résister.

L'arrêté du 12 n'a point été envoyé dans les bailliages ; il n'a pas été publié ni affiché ; il n'a pas été répandu ; la commune de Metz n'en a eu des notions précises que par l'arrêt du Conseil qui l'a cassé.

Dès le 17 novembre, la chambre des vacations a enregistré sans réserve tous les décrets sanctionnés qui lui ont été adressés : la loi martiale, les lois touchant la justice criminelle et le rétablissement des impôts ; elle les a fait afficher et adresser sur-le-champ au comité municipal ; elle a enregistré de même l'arrêt du Conseil du 15, qui casse l'arrêté du parlement : son arrêté du 21, et la délibération du parlement de ce jour, dont la copie est ci-jointe, ne laisseront aucun doute sur la soumission de cette compagnie à l'Assemblée nationale et au Roi.

Le parlement a donc prévenu les suites fâcheuses que pouvait avoir son imprudence : cependant, Nosseigneurs, il est l'objet de votre sévérité ; ce transport d'un parlement en corps à quatre-vingts lieues l'exposerait aux insultes, aux huées des peuples, peut-être à de plus grands dangers ; cette humiliation désespérante, comparée à l'antique respect dont jouissait cette compagnie est ; comme l'a dit un de ses membres dans votre auguste Assemblée, un arrêt de mort.

Cette mort frapperait des citoyens, dont les uns ont protesté, dont les autres n'ont suspendu leurs protestations contre l'arrêté du 12 que dans la persuasion qu'ils devaient un secret inviolable aux délibérations de leur compagnie.

Cette mort en frapperait plusieurs qui sont membres du comité municipal de Metz, dont le patriotisme a été hautement professé, unis de cœur et de sentiment avec la commune qui garantit leur loyauté.

Les événements postérieurs à l'arrêté écartent les motifs qui ont pu déterminer l'Assemblée nationale à décréter une nouvelle chambre des vacations, la chambre actuelle ayant enregistré toutes les lois sans refus ni retard.

La commune de Metz vous supplie, Nosseigneurs, d'épargner une peine rigoureuse à un tribunal qui doit conserver de la dignité, et qui est nécessaire au maintien de l'ordre public, et d'accepter comme une satisfaction de cette compagnie le dévouement absolu que ses députés admis dans l'assemblée de la commune viennent de professer à l'Assemblée nationale, au Roi et la loi.

Fait à Metz, le 23 novembre 1789.

Singé : L'Huillier, etc. Collationné.

Signé : Fenouil, Secrétaire.

Metz, le 23 novembre 1789.

Monsieur le président,

Le comité municipal de la commune de Metz a l'honneur de vous adresser un mémoire en faveur du parlement de Metz, qu'il vous prie de soumettre à la décision de l'Assemblée nationale. Il se permet de vous observer que l'envoi de ce mémoire ; ayant été unanimement délibéré le 22, le parlement, qui en a été instruit, a envoyé le 23 deux députés de l'assemblée générale de la commune ; ils y ont déposé dans un discours touchant et convenable aux circonstances, les témoignages les plus marqués de la soumission du parlement à l'Assemblée nationale, et de sa réunion de cœur et d'opinion à la commune. Nous joignons à ce mémoire l'arrêté de la chambre des vacations du 21, la délibération en date du 23 des autres membres du parlement qui ont été présents à l'arrêté du 12. Ces membres se sont expliqués en cette forme, croyant ne devoir pas s'assembler en corps. Nous supplions l'Assemblée nationale d'accepter ces satisfactions. Si l'ordre du jour ne permettait pas l'examen prompt de notre mémoire, nous prions l'Assemblée nationale d'accorder une surséance au départ des magistrats, que nous ne verrons pas, sans un vif regret, exposés aux humiliations qui peuvent les menacer.

Nous sommes, avec un profond respect, monsieur le président, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs,

Les représentants de la commune du comité municipal de Metz,

Signé : Vaultiné, président, Fenouil, secrétaire.

La lecture de ces pièces est accueillie avec satisfaction par l'Assemblée nationale.

En cliquant sur ce lien, vous pourrez lire : l'Extrait des registres du Parlement de Metz, daté du 12 novembre 1789.

Nouveau décret du 25 novembre 1789 sur le parlement de Metz 

M. Le Chapelier propose un arrêté qui est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :

«L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture de l'adresse de la municipalité et des communes de Metz, ensemble le nouvel arrêté pris par la chambre des vacations du parlement de Metz ;

«Décrète que déférant au vœu des citoyens de Metz, elle dispense de se rendre à la barre de l'Assemblée, les membres du parlement de Metz qui avaient pris l'arrêté du 12 novembre ;

«Ordonne que l'adresse de la municipalité et des communes de Metz, et l'arrêté du parlement, seront imprimées à la suite du procès-verbal ;

«Ordonne, en outre, que le président se retirera par devers Sa Majesté pour lui présenter le présent décret et la prier de lui accorder sa sanction. »

Adresse de M. de Pont, au nom de la municipalité de Metz, lors de la séance du 26 novembre 1789

M. de Pont, ancien conseiller au parlement de Metz, actuellement conseiller au parlement de Paris, fils de M. l'intendant de Metz, et député exprès de la commune de Metz, ayant fait demander la permission d'être entendu à la barre, l'Assemblée décrète son admission. Il y paraît accompagné de tous les députés de Metz à l'Assemblée nationale, et prononce le discours suivant :

Messeigneurs, lorsque j'ai osé solliciter la grâce d'être entendu au nom de la commune de Metz, je ne me flattais pas qu'après l'avoir obtenue, je n'aurais plus que des remercîments à vous présenter de sa part.

Chargé de réclamer votre indulgence en faveur de mes anciens confrères, je me fusse acquitté de ce devoir en homme sensible aux bontés qu'ils m'ont marquées, mais en citoyen qui se fait gloire de désavouer de faux et dangereux principes.

Votre sagesse, Messeigneurs, devait s'armer d'une juste sévérité pour prévenir les suites d'un écart qu'on pouvait croire réfléchi ; dès que vous avez connu que les magistrats du parlement de Metz n'avaient été qu'égarés, qu'ils s'étaient empressés d'abjurer leur erreur, qu'elle n'avait aucune influence sur l'opinion publique, qu'elle ne pouvait suspendre les heureux effets d'une révolution à laquelle tout Français rougira bientôt d'avoir voulu opposer quelques vains obstacles, alors, Messeigneurs, vous n'avez plus écouté que votre clémence.

Les décrets que vous avez rendus dans cette affaire honoreront, dans toute l'Europe, votre justice et votre modération.

Qu'il me soit permis d'ajouter qu'en cédant aux vœux de citoyens recommandâmes par leur patriotisme et par leur courage, vous assurez imperturbablement la tranquillité d'une ville importante, au sort de laquelle est lié celui de la frontière, et peut-être du royaume entier. Cette ville reconnaissante sera désormais plus glorieuse de l'intérêt qu'elle a eu le bonheur de vous inspirer, que de tous les monuments et les souvenirs de son antique splendeur.

Depuis plusieurs mois, Messeigneurs, vous avez fait naître dans nos cœurs des sentiments nouveaux, qu'il nous est impossible d'exprimer ; permettez qu'ils se manifestent par notre profond respect pour cette auguste Assemblée, notre soumission à ses décrets, et noire zèle pour en procurer l'entière et parfaite exécution.

M. le Président répond :

L'Assemblée nationale a ressenti la satisfaction d'accorder aux demandes des communes de Metz, fondées sur les principes inaltérables de leur confiance et de leur soumission pour ses décrets, une grâce qui doit contribuer au maintien de la concorde et de la tranquillité publique.

Il ajoute que l'Assemblée approuve que M. de Pont assiste à sa séance.


 

mercredi 11 novembre 2020

1789 : L’année où les grenouilles montrèrent les dents !

 

Que disent les grenouilles ?

    C’était ainsi que les Princes s’enquéraient de l’opinion publique parisienne, à la cour de Louis XVI. C’est ce que nous rapporte Louis Sébastien Mercier dans son ouvrage « Le tableau de Paris ». Je vous ai déjà parlé de lui le 1er octobre dernier, lorsqu’il a fondé un journal avec le journaliste Jean-Louis Carra.

    Je vous recommande vraiment la lecture de son livre, le tableau de Paris. Il y décrit le Paris populaire avec une particulière acuité. C’est un bon complément à la lecture des « Nuits de Paris » de Restif de la Bretonne dont je vous ai raconté l’arrestation par le police, le 29 octobre dernier.

    Louis Sébastien Mercier, lui aussi, eut des ennuis avec la police. A peine ses deux premiers volumes furent-ils publiés en 1781, que bien sûr, ils furent interdits. Mercier décrivait avec un peu trop de précision les inégalités sociales et il ne se privait pas de critiquer l’injustice du système fiscal. Il continua néanmoins à publier depuis la Suisse jusqu’en 1788.

Découvrez son œuvre sur cette page du site Gallica 
                                    


    🐸Je vous propose de lire ce court extrait évoquant les grenouilles parisiennes, vues par les "grands".

« La cour est très attentive aux discours des Parisiens : elle les appelle, les grenouilles : que disent les grenouilles, se demandent souvent les Princes entre eux ? Et quand les grenouilles frappent des mains à leur apparition, ou au spectacle, ou sur le chemin de Sainte Geneviève, ils sont très contents. On les punit quelques fois par le silence : en effet, ils peuvent lire dans le maintien du peuple les idées qu’on a sur leur compte : l’allégresse ou l’indifférence publique ont un caractère bien marqué. On prétend qu’ils sont sensibles à la réception de la capitale, parce qu’ils sentent confusément que dans cette multitude, il y a du bon sens, de l’esprit, & des hommes en état de les apprécier, eux & leurs actions : or ces hommes, on ne sait pas trop comment, déterminent le jugement de la populace.

La police a soin dans certaines circonstances de payer de fortes gueules, qui se répandent dans différents quartiers, afin de mettre les autres en train, ainsi qu’elle soudoie des chianlis pendant les jours gras : mais les vrais témoignages de l’allégresse publique, ainsi que du consentement du peuple, ont un caractère que rien n’imite, »

 

    Ne vous y trompez pas, la comparaison avec les grenouilles est bien méprisante. Cette image peu flatteuse du peuple remonte à la plus haute antiquité, puisque Esope, l’écrivain Grec du 6ème siècle avant notre ère, l’utilisait déjà dans une fable destinée à se moquer du peuple d’Athènes.

    On a également attribué à Homère, un poème narrant une guerre des grenouilles contre les rats, la "Batrachomyomachie" !


Voici, inspirée de celle d’Esope, la fable de Jean de la Fontaine, intitulée :

"Les grenouilles qui demandent un roi". 🐸

"Les Grenouilles, se lassant

De l'état Démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.

Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :

Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant

Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,

S'alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

Sans oser de longtemps regarder au visage

Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;

Or c'était un Soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première

Qui de le voir s'aventurant

Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant,

Il en vint une fourmilière ;

Et leur troupe à la fin se rendit familière

Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.

Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.

Jupin en a bientôt la cervelle rompue.

Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.

Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,

Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir,

Et Grenouilles de se plaindre ;

Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir

A ses lois croit-il nous astreindre ?

Vous avez dû premièrement

Garder votre Gouvernement ;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire

Que votre premier roi fût débonnaire et doux :

De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire."


    Ne sommes-nous donc pour nos maîtres, que des grenouilles coassant dans notre marécage, dont l’opinion est facile à manipuler, grâce à quelques agitateurs, payés autrefois par la police, et maintenant… ?


    Néanmoins, il arrive encore parfois, que les grenouilles montrent les dents, comme en 1789. Est-ce un hasard ou un clin d'œil de Clio, la muse de l'histoire, si une grenouille dénommée "Pepe la grenouille" est devenue la mascotte des manifestants du mouvement prodémocratie à Hong Kong en 2019 ?

Pepe la grenouille, Hong Kong 2019



mardi 10 novembre 2020

10 Novembre 1789 : Marat rappelle qu’il n’y a pas de révolutions sans émeutes populaires.

Combien de révolutions en même temps ?

Promulgation de la loi martiale, le 22 octobre 1789
(Collection personnelle )
    En ce mois de novembre 1789, plusieurs révolutions se déroulent en même temps. Combien de révolutions ? Au moins deux, peut-être même trois.

    Il y a la révolution de la bourgeoisie, que celle-ci pense avoir gagnée et même terminée ; à présent qu’elle a son assemblée et qu’elle rédige la constitution de la monarchie constitutionnelle dont elle rêvait.

    Il y a celle du peuple. C’est cette révolution-là qui a vraiment renversé le pouvoir en place. Mais elle n’est pas près de se terminer. Le peuple commence seulement à prendre conscience de son pouvoir.

    Et puis il y a "peut-être" celle de Louis XVI. Un roi "peut-être" moins stupide qu’il n’y paraît. Mais j’insiste bien sur le "peut-être". (Nous en reparlerons)


L’affaire n’est pas conclue.

    Nous avons beaucoup parlé ces dernières semaines de la première révolution, celle de la bourgeoisie. Ne sous-estimons pas ses efforts, ses représentants à l’assemblée sont à l’origine de nombreuses réformes qui vont faire progresser le pays. Mais ne soyons pas aussi naïfs que ces braves députés, l’affaire n’est pas conclue ! Les Parlements commencent à se rebeller. Ils refusent les décrets de l'Assemblé nationale, comme ils refusaient déjà auparavant les tentatives de réformes du roi. Le clergé commence à réagir à la nationalisation de ses biens. Une contre-révolution s’organise bel et bien.

    Les députés ont déjà oublié que ce sont les émeutes populaires qui les ont portés à ce qu’il faut bien appeler un nouveau pouvoir, le pouvoir législatif (celui de faire des lois). Ce sont aussi des émeutes populaires qui les ont protégés de la répression militaire qui se préparait à la veille du 14 juillet, et peut-être aussi de celle qui semblait bien se préparer fin septembre, avec ces nouvelles troupes que le roi rappelait à lui.

    Leur peur de la populace les a fait promulguer le 22 octobre la loi martiale, défendant au peuple tout rassemblement et le menaçant de répression militaire en cas de désobéissance. La peur du danger que leur inspire le peuple les fait oublier le réel danger de la contre-révolution et cet aveuglement durera longtemps encore.


Malgré les poursuites du tribunal de Paris, Marat s'exprime de nouveau !

Jean-Paul Marat

    Dans ce numéro 34 du mardi 10 novembre 1789, de l’Ami du Peuple, Marat s’insurge encore et encore contre ce funeste décret de la loi martiale. Il rappelle dans quelle précipitation il a été promulgué le 22, le lendemain de l’émeute qui avait donné lieu à l’horrible assassinat du boulanger François. Souvenons-nous à ce sujet, que dans son numéro du 5 novembre, Marat avait expliqué que c’était la municipalité de Paris qui avait désigné les boulangers comme responsables du manque de pain ! Marat proteste également contre le fait que la commune de Paris soit venue demander à l’assemblée de suspendre l’exécution de la réforme de la procédure criminelle, et de conserver à la juridiction prévôtale, c’est-à-dire le tribunal du Châtelet, ses anciennes attributions. En effet, nous en avions parlé, dans la foulée de la loi martiale, le 24 Octobre, le roi Louis XVI a autorisé le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation".

 

Marat craint les suites funestes de ce décret.

« Non, il n’est point de malheurs qu’on n’ait sujet d’attendre de ce funeste décret ; point d’attentats dont il ne soit la source.

En ordonnant aux troupes de marcher contre les citoyens assemblés, il a anéanti la nation, qui n’existe que par la réunion des individus. En sévissant contre les officiers et les soldats qui refuseront d’opprimer leurs frères, il divise les citoyens ; il les oppose les uns aux autres, et les mets aux prises pour s’entr’égorger. »

Marat rappelle comment ce décret a été si hâtivement préparé.

« Mû par des motifs que j’espère pouvoir dévoiler un jour, le comte Mirabeau avait proposé une loi martiale contre les attroupements. On a profité de l’émeute de la veille pour faire sentir la nécessité de reprendre la discussion de cette motion. Les députés de la commune de Paris s’étaient présentés deux fois dans le même jour, pour en presser le décret, lorsque le comité de constitution en a soumis le projet à l’Assemblée, qui l’a adopté, après un léger amendement, et l’a immédiatement envoyé à la sanction. Peu après les députés de la commune de Paris se sont présentés une troisième fois, pour demander à l’assemblée de suspendre l’exécution de la procédure criminelle, et de conserver à la juridiction prévôtale ses anciennes attributions (1). Plusieurs membres se sont élevés contre cette demande qui portait atteinte aux décrets passés. Le Président leur a répondu que l’assemblée examinerait leur proposition, la séance a été levée. »

Marat précise dans une note en bas de page :

« C’est là un réchauffé de la tentative que le ministre a faite, il y a près de deux mois, pour attribuer à la prévôté la connaissance des émeutes et attroupements. Le plan du cabinet est constant ; mais il passe par différentes mains, comme une pièce de fausse monnaie, que des fripons cherchent à couler. »

Marat rappelle que la révolution doit tout aux émeutes populaires !

« D’abord, le peuple ne se soulève que lorsqu’il est poussé au désespoir par la tyrannie. Que de maux ne souffre-t-il pas avant de se venger ! Et sa vengeance est toujours juste dans son principe, quoiqu’elle ne soit pas toujours éclairée dans ses effets ; au lieu que l’oppression qu’il endure n’a sa source que dans les passions criminelles de ses tyrans.

Et puis, est-il quelque comparaison à faire entre un petit nombre de victimes que le peuple immole à la justice, dans une insurrection, et la foule innombrable de sujets qu’un despote réduit à la misère, ou qu’il sacrifie à sa fureur, à sa cupidité, à sa gloire, à ses caprices ? Que sont quelques gouttes de sang que la populace a fait couler, dans la révolution actuelle, pour recouvrer sa liberté, auprès des torrents qu’en ont versé un Tibère, un Néron, un Caligula, un Caracalla, un Commode ; auprès des torrents que la frénésie mystique d’un Charles IX en a fait répandre ; auprès des torrents qu’en a fait répandre l’ambition d’un Louis XIV ? Que sont quelques maisons pillées un seul jour par la populace, auprès des concussions que la nation entière a éprouvées pendant quinze siècles sous les trois races des rois ? Que sont quelques individus ruinés, auprès d’un milliard d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les dilapideurs publics ?

Mettons de côté tout préjugé, et voyons.

La philosophie a préparé, commencé et favorisé la révolution actuelle, cela est incontestable ; mais des écrits ne suffisent pas ; il faut des actions : or, à quoi devons-nous la liberté, qu’aux émeutes populaires !

C’est une émeute populaire, formée au Palais royal, qui a commencé la défection de l’armée, et transformé en citoyens deux cent mille hommes dont l’autorité avait fait des satellites, et dont elle voulait faire des assassins. C’est une émeute populaire, formée aux Champs Elysées, qui a causé l’insurrection de la nation entière ; c’est elle qui a fait tomber la Bastille, conservé l’Assemblée nationale, fait avorter la conjuration, prévenu le sac de Paris, empêché que le feu ne l’ait réduit en cendres, et que ses habitants n’aient été noyés dans leur sang.

C’est une émeute populaire, formée à la Halle, qui a fait avorter la seconde conjuration, qui a empêché la fuite de la maison royale, et prévenu les guerres civiles qui en auraient été les suites trop certaines. »

 

Voici le numéro XXXIV de l'Ami du Peuple :

10 Novembre 1789 : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?

Le pain, est le personnage principal de la Révolution.
Article mis à jour le 17/08/2021

    A n’en point douter, la pénurie de pain fut l’un des principaux éléments déclencheurs de la Révolution de 1789. Il y eu d'une part la pénurie et d'autre part le coût extraordinairement élevé de celui que l'on trouvait.
    Avant 1750 le pain était à 2 sous la livre. La consommation étant en moyenne de 4 livres de pain par personne et par jour, le pain journalier d'une famille coutait donc 8 sous.
    Début 1789, le pain à Paris était à 14 sous. Un ouvrier non qualifié (80 % des ouvriers parisiens) gagnait 20 sous par jour et un journalier à peine 15 sous.

    Cette situation de manque s’était pourtant déjà produite auparavant, sans pourtant provoquer les mêmes conséquences. La "guerre des farines" qui avait eu lieu de 1774 à 1775, suite à la réforme de Turgot (libre circulation des grains), avec ses nombreuses émeutes, dues autant au manque de blé qu’à la peur du manque, avait été matée sans problème par une violente répression, comme il était d’usage à l'époque. 

    Mais en juillet 1789, la situation avait changé. De nouveaux paramètres déterminants intervenaient dans l’équation de la Révolution, de nouvelles forces et de nouvelles faiblesses, qui ont rendu la Révolution inévitable.

Emeutes des subsistances de 1761 à 1789

    Les émeutes révolutionnaires sont-elles toutes spontanées et motivées par la faim ?   Je vous rappelle également, comme nous l'a dit le ministre Saint-Priest en septembre dernier, qu'en 1789, l'organisation d'une émeute coûte 25 Louis...

Comparaison récoltes et prix du pain entre 1778 et 1790

    Cependant, même avec les réformes décidées par ce nouveau pouvoir que constitue l’Assemblée nationale, le problème des subsistances reste encore un problème majeur durant cet automne 1789. Le manque de farines persiste et continue de provoquer partout en France et à Paris de nombreuses émeutes de la faim, des émeutes frumentaires (du latin frumentarius, "qui concerne le blé"). Les émeutes parisiennes sont les plus redoutées du pouvoir, car plus proche de lui, elles peuvent le renverser. Mais quel pouvoir d’ailleurs ? Celui de l’Assemblée ? Celui du roi ? Vous allez voir qu’il y a de bonnes raisons de se poser des questions.

Les origines de ce manque.

    Nous avons déjà listé le 24 octobre dernier, toutes les causes possibles pouvant expliquer ce manque de blé : le volcan de 1783, l’orage du 13 juillet 1788, l’agriculture sous-développée et même le libéralisme économique des physiocrates (libre circulation des grains, spéculation, etc.). Mais cela suffit-il à expliquer la situation ? Je n’en suis pas certain.

Même problème dans les pays voisins.

    Souvenez-vous que le même 24 octobre, lorsque nous avions vu les ministres du roi refuser devant l’Assemblée nationale la responsabilité d’un désordre qu’ils n’avaient plus pouvoir de contrôler ; ceux-ci avaient expliqué que les pays avoisinants se trouvaient confrontés au même problème d’insuffisance des subsistances (alors qu’ils n'avaient pas à l'époque une population aussi importante que la France).

Mesures prises par le roi et ses ministres :

  • Primes et avances d’argent faites aux boulangers ;
  • Différence (considérable) entre les prix d'achat et les prix de vente, supportée par le roi ;
  • Cinq cent deux vaisseaux ont approvisionné les deux seules villes du Havre et de Rouen depuis la fin 1788 (pour plus de 23 millions) ; probablement du blé venant des Etats-Unis ;
  • Nombreux convois de blé venant d’Algérie, acheminés depuis Marseille jusqu’à Paris sous garde armée pour prévenir des pillages sur le parcours !

Mesures prises par l’Assemble :

  • Promulgation de deux décrets autorisant la libre circulation des blés, ce qui selon la doctrine physiocrate (ou libérale) devrait permettre d’approvisionner tout le royaume ;
  • Promulgation de la loi martiale le 55 octobre pour empêcher et réprimer les émeutes ;

Un mot sur la libre circulation des blés ?

Je ne voudrais pas être médisant vis-à-vis des députés de l'Assemblée nationale, mais tout recommence comme en 74-75 sous Turgot. Le Roussillon refuse au Languedoc les secours dont il a besoin ; le Haut-Languedoc prend de l'ombrage des secours que le reste de la province lui demande. Le Lyonnais n'obtient qu'avec des peines infinies de légers secours de la Bourgogne ; le Dauphiné se cerne en conséquence. D'autres provinces suivent le même exemple ; et le Havre, Caudebec et Rouen ont retenu et retiennent encore une partie des approvisionnements achetés par le Roi, pour le secours de la ville de Paris. Du plus petit village à la plus grosse municipalité tout le monde s’oppose à cette libre circulation par crainte de manquer.

Mesures prises par la municipalité de Paris :

A Paris, c’est la police, entièrement aux ordres du roi qui contrôle l’approvisionnement en blé. Les commissaires tiennent à jour pour chaque boulanger parisien un registre faisant état de leur consommation quotidienne de farine, de leurs stocks, du marché où ils se fournissent, ou de leurs achats faits directement auprès des marchands ou laboureurs. Ce document leur permet de suivre l’approvisionnement de chaque boulangerie et de déterminer si celle-ci va pouvoir continuer sa production journalière de pain. De cette façon, la police peut répartir les achats de farine ou les faciliter, l’essentiel étant d’assurer que les boulangeries soient garnies coûte que coûte. 

Une thèse "intrigante"

 L’historienne Aurore Chéry a partagé récemment sur un blog, un article, dans lequel elle partage une photo qu’elle a prise de l’un de ces documents, rédigé le 5 juillet 1789, par un certain commissaire Dupuy, pour les boulangeries du quartier Saint-Benoît. Le voici reproduit ci-dessous. Cliquez sur l'image et vous accéderez à son article.

Accédez à l'article

    Elle précise que le document est accompagné d’une notice expliquant que « Le document permet de suivre l’approvisionnement de chaque boulangerie et de déterminer si elle va pouvoir continuer sa production habituelle de pain. De cette façon, la police peut répartir les achats de farine ou les faciliter, l’essentiel étant d’assurer que les boulangeries soient garnies coûte que coûte. »

    Aurore Chéry fait remarquer que malgré ce « coûte que coûte » cela n’a pas empêché « que le pain a manqué aussi bien en juillet 1789 que, de manière encore plus incompréhensible, en octobre. »

    L’historienne s’étonne donc que le roi informé par sa police n’ait pas agit pour empêcher le pain de manquer, et elle s’appuie sur cette observation pour conforter la thèse qu’elle soutient dans son livre "L’intriguant", soutenant que ce serait Louis XVI qui aurait provoqué ces émeutes frumentaires au nom d’une politique révolutionnaire que celui-ci aurait secrètement mené.

Partie mise à jour le 17/08/2021.

    Je me suis étonné en lisant l'explication de cette historienne, en me disant que sa thèse ne semblait pas concorder avec ce que les ministres de Louis XVI avaient affirmé plusieurs fois devant l’assemblée :

Qu’en était-il de la lettre lue par le Duc de Liancourt le 23 juillet devant l’Assemblée ?

« M. le Président fait lecture d'un avis qui lui a été envoyé par le ministre, et qui lui annonce que des grains venus de Barbarie par les soins de M. Necker, pour l'approvisionnement de Paris, sont arrivés jusqu'à Montlhéry, toujours escortés par des troupes ; il demande qu'attendu que les troupes ont été retirées depuis Montlhéry jusqu'à Paris, ou prenne des moyens pour faire arriver ces grains de ce poste jusqu'à Paris, en les faisant escorter par des milices nationales. M. le président ajoute qu'il a fait passer cet avis du ministre à M. le marquis de Lafayette. »

Quid du discours de Necker le 7 août ? 

« Les secours immenses en blés, que le Roi a été obligé de procurer à son royaume, ont donné lieu, non-seulement à des avances considérables, mais ont encore occasionné une perte d'une grande importance, parce que le Roi n'aurait pu revendre ces blés au prix coûtant, sans excéder les facultés du peuple, et sans occasionner le plus grand trouble dans son royaume. Il y a eu de plus, et il y a journellement des pillages que la force publique ne peut arrêter. Enfin, la misère générale et le défaut de travail ont obligé Sa Majesté à répandre des secours considérables. »

Quid de la lettre en date du 14 août 1789 de Monsieur Salomon de la Saugerie, membre de l’Assemblée, destinée à Mr Robert de Massy Président du Comité Permanent ?

 "Les six cent muids de bleds venant d'Afrique sont pour la capitale. Les électeurs en ont la note, ils attendent cette provision. Mr Necker ne peut donc autoriser personne à retenir ces grains soit en totalité soit en partie sans se compromettre lui-même vis-à-vis des parisiens."

Quid de l’intervention des ministres le 24 octobre, que j’ai déjà évoquée plus haut ? 

  • Primes et avances d’argent faites aux boulangers ;
  • Différence (considérable) entre les prix d'achat et les prix de vente, supportée par le roi ;
  • Cinq cent deux vaisseaux ont approvisionné les deux seules villes du Havre et de Rouen depuis la fin 1788 ;
  • Etc.

    Si la thèse de l’historienne était vraie, nous étions alors en droit de nous demander à quel niveau le roi intervenait, ou pas, dans cette rupture de l’approvisionnement ! Intriguant, non ?

    Aurore Chéry m'a fait l'honneur de lire le présent article et elle a même pris la peine de rédiger un billet pour ce modeste blog, que vous trouverez en cliquant sur le lien ci-dessous :

L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789
 et le pourquoi de son origine, l'Algérie.

Fin de la mise à jour du 17/08/21

Les explications officieuses ?

    Jusqu’à présent, nous nous en sommes tenus aux versions officielles. N’oublions pas les officieuses !

Que disait Marat ?

Bailly-Lafayette

    Marat, dans son journal, n’a pas cessé de dénoncer les petits arrangements et disons-le, la corruption, au niveau de la Commune de Paris, c’est-à-dire la municipalité dirigée par Bailly.     Marat déteste le duo Bailly-Lafayette, dont le pouvoir ne cesse de grandir. Rappelons-nous que dans son numéro 29 de l’Ami du Peuple, du 5 novembre, il écrivait : « C’est sur les Boulangers que la Municipalité a jeté tout le blâme, si on venait à manquer de pain, comme si elle eût voulu amener ces scènes d’horreur »
    Il sous-entendait par-là que tout avait été fait pour qu’il y ait de nouvelles émeutes, afin que le pouvoir trouve un prétexte pour instaurer la loi martiale. Je vous renvoie aux différentes versions de l’assassinat du boulanger François, qui, à y bien regarder, posent de nombreuses questions.

(Robespierre attribuera plus tard (en 1793) la préparation de ce crime à Lafayette).



Que dit notre ami Colson ?

    Je fais souvent appel à lui, où plutôt aux courriers qu’il écrivait à l’époque à son ami de province, pour avoir des infos différentes, disons plus proches du peuple. Adrien Joseph Colson ne fait pas vraiment partie du peuple, puisqu’il est avocat au tribunal de Paris et qu’il est même probablement un électeur du Tiers Etat. Mais il vit au milieu du peuple de Paris et il rapporte assez fidèlement dans ses courriers toutes les rumeurs qui circulent. Souvenez-vous de l’article du 13 octobre sur une terrible et folle rumeur !

Concluons avec Colson.

    Pour conclure cet article qui ne pose que des questions, je vous propose de lire les courriers des 8 et 10 novembre rédigés par Colson. Il parle du manque de pain, des gens qui ont faim, d’une femme affamée qui perd connaissance. Il évoque également des rumeurs de boulangers qui auraient été payés pour ne pas pétrir de pain ; mais sont-ce bien des rumeurs ? Il mentionne également un avis que le comité de police de l'Hôtel de Ville a fait afficher, pour dire que « le pain ne manque que par des manœuvres secrètes » et rendant « compte à ce sujet que, dans le mois d'octobre, il est arrivé 81 000 sacs de farine, du poids de 325 litrons chacun, qu'on n'en avait consommé que 40 000 (...) et qu'il en venait d'arriver 2 400. »

Extrait du courrier de Joseph Colson, daté du 8 Novembre :

Le pain nous a manqué ces jours-ci plus que depuis bien du temps. Il a fallu, pour en avoir, s’y prendre dès trois heures du matin et se trouver des premiers à la porte des boulangers.

Par la foule et la presse qui s'y sont formées il y a eu, a-t-on dit, des bras cassés. Plusieurs personnes et leurs enfants ont passé des jours entiers sans en avoir et quelques-uns même, entre autres une femme à ce que j'ai ouï raconter, en sont morts de faim. Des malheureux ont cherché encore à augmenter cette disette : les uns, avec des flambeaux, ont entrepris d'enlever la nuit le pain chez plusieurs boulangers afin qu'ils n'en eussent pas le matin pour le public. D'autres ont tenté d'enlever des farines qu'on commençait à amasser dans un couvent afin de les répandre et de les perdre. Un sieur chevalier de Rütli, et ceci a l'air certain, a donné, dit-on, de l'argent à un boulanger pour l’engager à ne pas cuire ; celui-ci, qui s'est trouvé bon patriote, a accepté l'argent pour servir de preuve et, à l'instant même, a fait arrêter le séducteur. Le sieur de Rütli, à ce qu'on rapporte, n'a pu dire autre chose pour se justifier sinon qu'il avait donné l'argent pour s'amuser et pour voir si le boulanger l'accepterait. On dit qu'on a aussi arrêté plusieurs de ceux qui voulaient enlever le pain et les farines.

Dans ces extrémités fâcheuses, un bruit se répandait sourdement il y a quelques jours, qu'un grand nombre de ceux qui manquaient d'argent songeaient à aller dans les maisons en faire donner de force. Jugez de là, Monsieur, combien de crimes, de désordres, d'assassinats et peut-être d'incendies ! On jugeait impossible qu'il se passât trois jours sans qu'il y eût un soulèvement des plus violents et cela exposait l'existence des citoyens à un grand hasard. Comme le principal prétexte était la disette de pain, le comité de police de l'Hôtel de Ville a fait afficher que le pain ne manquait que par des manœuvres secrètes et il a rendu compte à ce sujet que, dans le mois d'octobre, il était arrivé 81 000 sacs de farine, du poids de 325 litrons chacun, qu'on n'en avait consommé que 40 000 (...) et qu'il en venait d'arriver 2 400. [Mais vous savez que la populace] n'endure jamais rien si inévitable qu'il soit, qu'elle est dure, insensée et emportée au-delà de tout excès dans ses fougues, que surtout, lorsque sa frénésie s'échauffe, elle n'éclate jamais tant et ne montre tant de satisfaction que dans le désordre et les meurtres. Je crains que notre crise ne soit pas différée bien du temps !

Où en serions-nous (...) si l'émigration ne nous emmenait 120 ou 150 000 âmes de Paris, l'affiche dont je viens de parler ayant évalué à un 7ème ou un 6ème de la population ce qui en est sorti depuis la seule époque du mois d'août et en étant, outre cela, sorties tous les jours des foules nombreuses pendant le mois de juillet à compter du 12 ? Tant que les municipalités et les Assemblées nationales ne seront pas établies et organisées et que, par-là, elles ne seront pas en état de former un lien entre elles et de s'entendre toutes ensembles pour s'opposer aux manœuvres, aux trames secrètes et aux entreprises de ceux qui auront l'audace de se montrer à découvert, notre tranquillité sera toujours fort chancelante et comme en équilibre, prête à être renversée par les manœuvres, ou même les bruits artificieux et le souffle infernal de la cabale.

On annonce le retour prochain de monsieur le duc d'Orléans dont l'absence sert de prétexte à répandre contre lui mille infamies, mais il n'est pas encore de retour. (...)

Extrait du courrier de Joseph Colson, daté du 10 Novembre :

(...) Nous sommes toujours dans une grande détresse pour le pain au point que de temps à autres on rencontre des personnes qui ont passé des temps considérables sans en avoir. Hier, étant dans la maison de Monsieur le Marquis pour parier au sieur Drot, j'ai vu une femme qui se trouvait mal, au pied de l'escalier, et qu'on a eu une peine infinie à faire revenir. Lorsqu'elle a eu repris ses esprits, elle s'est mise à fondre en larmes et à étouffer des pleurs de manière à fendre le cœur et sans presque apercevoir qu'on fût autour d'elle. L'on entend parler ailleurs d'autres personnes qui ont également beaucoup souffert de la faim. (...)

Nota : En tout cas, pour cette fois, on n’accusera pas le Duc d’Orléans, car il n’est pas encore rentré de son voyage "diplomatique" en Grande Bretagne !

Mon sentiment sur le sujet 😉

    Je l’ai déjà sous-entendu dans mon article du 13 octobre sur les complots, je suis assez sceptique vis-à-vis des explications par des complots. Je ne nie pas que bien souvent il y ait des mauvaises volontés, voire des volontés de nuire. Mais un complot demande trop d’intelligence et de constance, et ce sont des qualités qui sont rares, très rares, même chez les « grands de ce monde ». De par mon expérience professionnelle, j’ai pu constater qu’il ne fallait surtout pas sous-estimer les effets destructeurs de l’incompétence, de l'avidité financière, ou de la simple mauvaise volonté, et ce, à tous les niveaux.

    En 1789, à tous les niveaux justement, tout le monde en avait plus qu'assez et les gens, à tous les niveaux de la société, avait envie, consciemment ou non, que cela change. Qui plus est, plus rien ne fonctionnait correctement, du fait que les structures de l’ancien régime n’étaient plus adaptées aux nouvelles conditions économiques et sociales, et que les hommes en places, eux-aussi, étaient devenus inefficaces, pour les mêmes raisons.

    Un bateau construit pour naviguer sur une rivière, est voué au naufrage s’il s’aventure en mer. Pas besoin de le torpiller, le bateau de l’ancien régime était condamné à sombrer dans l’océan de la nouvelle ère qui s’annonçait.

    Peut-être y avait-il, par-ci par-là, des petits complots. Mais je pense que les facteurs les plus nuisibles devaient plus ressembler à de sordides magouilles d’opportunistes voulant « faire de l’argent » grâce à la crise, (spéculation sur le prix du blé, stocks planqués, etc.) qu’à des machinations machiavéliques ourdies par des esprits supérieurs.

    Je ne pense pas que louis XVI avait vraiment imaginé que l’évêque de Tréguier soulèverait les campagnes par son mandement incendiaire du 14 septembre, lorsqu’il avait demandé à celui-ci en pleurnichant dans son courrier du 3 septembre, de prier pour lui !

    Quant au Duc d’Orléans, on ne cesse de murmurer depuis le mois de juillet qu’il est à l’origine de tous les désordres, mais tout le monde s’accorde à dire que c’est un faible, écoutant le dernier qui a parlé ! Peut-être n’a-t-il fait que s’accorder quelque fois le plaisir décadent de pousser un peu au crime ?

    J'ai le sentiment que peu de gens comprenaient ce qui se passaient vraiment, pas plus à l’Assemblée qu’à la cour. Nous avons déjà eu un aperçu : les députés ôtent tout pouvoir au roi et le "bousculent" quelque peu, mais ils l’adorent ! Quant à la Cour, j’ai l’impression que les seuls qui ont peut-être compris quelque chose, ce sont ceux qui ont pris la fuite dès le mois de juillet !

    Mais ne vous arrêtez pas à mon impression du moment. Faites-vous votre propre opinion et continuons de naviguer ensemble au milieu de cet océan de la Révolution.

Complément d'enquête !

    Ne manquez pas de lire la thèse de l'historienne Aurore Chéry, dont je vous ai parlé plus haut ! Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :


A suivre !

Merci pour votre lecture. 😊