jeudi 5 novembre 2020

5 Novembre 1789 : Depuis sa cachette, Marat réussi à publier de nouveau "l’Ami du Peuple"


Jean-Paul Marat

    Je dois absolument m'efforcer de varier autant que je le peux, mes sources d’informations. 
  Celle de l’Assemblée nationale, est bien commode, car bien classée, bien numérisée et très complète. Même si, comme je vous l’ai fait remarquer le 23 octobre, à propos d’une intervention de Robespierre, certaines de ses infos sont peut-être contestables (réécrites).
  J’essaie donc de trouver d’autres sources dans la presse de l’époque, comme par exemple, "le Moniteur", "Le point du Jour" ou "le Journal de Paris", et bientôt d’autres journaux ! 
    Mais je ne dois surtout pas oublier Marat ! Marat, qui quoi qu’on en dise, est un vrai journaliste. Il est bien informé et il risque gros en publiant certains articles. C’est même la raison pour laquelle il est actuellement en cavale, comme on dit ; parce que recherché par la police, à cause de ses accusations lancées contre la municipalité de Paris et son maire, Bailly.

    Ce numéro clandestin de l’Ami du Peuple, le N°29, n’est pas très long, mais il vaut la peine d’être lu. Vous pouvez y accéder dans la fenêtre en bas de l’article.

Ce que dit Marat est toujours intéressant.

    Il dénonce comme un piège redoutable le choix du Manège des Tuileries comme nouveau lieu de réunion de l’Assemblée nationale. Il explique que : « ce lieu ne pourra contenir que quelques centaines de spectateurs qui n’y entreront que par billets, & que ces billets seront donnés à des Aristocrates qui applaudiront à toutes les motions antipatriotiques. » Nous verrons plus tard que le peuple y entrera malgré tout, et dans des circonstances particulières.

    Il voit avec une extrême douleur : « que quelques membres corrompus de la Municipalité de Paris, de concert avec le ministère et la faction aristocratique de l’Assemblée nationale, viennent de donner le dernier coup de mort au parti patriotique et d’étouffer la liberté dans son berceau, par la Loi Martiale, qu’a sans doute proposé quelque ennemi mortel du bien public. »

    Marat donne une version très différente et très dérangeante des motifs qui ont conduit à l’instauration de la loi martiale : « Comment les Citoyens ne sentent-ils pas que ce sont l’impudence et l’imprévoyance de quelques représentants de la Commune, qui ont provoqué par leur Déclaration du 5 ou 6 octobre de ce mois, les scènes sanglantes qui arrivent, en armant d’un poignard le bras de chaque malheureux affamé, et en le tenant levé sur le sein des Boulangers. »

Promulgation de la loi Martiale le 22 octobre 1789

    Marat explique dans une note en bas page que « C’est sur les Boulangers que la Municipalité a jeté tout le blâme, si on venait à manquer de pain, comme si elle eût voulu amener ces scènes d’horreur ».        

    Cette version éclaire d'un jour nouveau le terrible assassinat du Boulanger François le 21octobre, qui a servi de prétexte à l’instauration de la loi martiale dès le lendemain !

L'assassinat du Boulanger François, le 21 octobre 1789

    Marat s’insurge également contre le nouveau pouvoir attribué au Tribunal du Chatelet. « Les ennemis de l’Etat ont tous échappé », précise-t-il, « un d’Autichand (1), un Estersys (2), un Lambesc (3), n’ont pas été sommé de se présenter en Jugement, tandis que M. De Saint Huruge gémit dans un cachot du Châtelet ; tandis que l’Ami du Peuple, décrété de prise de corps, pour avoir sauvé (4) la Patrie et la vouloir sauver encore, est réduit à se cacher comme un scélérat ! »

  1. Peut-être Jean Thérèse de Beaumont d'Autichamp
  2.  Probablement du régiment de ce nom qui devait attaquer Paris sur ordre du roi dans la nuit du 14 au 15 juillet, avec les régiments de Salis-Samade, Château-Vieux, Diès-Back, Suisses, Berchigny, Hussards et Royal-Dragon ; 
  3. Le Prince de Lambesc qui le 12 Juillet avait reçu l'ordre de disperser avec son régiment Le Royal Allemand, la foule assemblée sur la place Louis XV, devant les Tuileries.
  4. Marat indique dans une note en bas de page, qu’il l’a sauvée le 14 Juillet en faisant avorter le projet de surprendre Paris par la Cavalerie Allemande, ainsi que le 4 octobre en dévoilant à l’avance le noir complot des Aristocrates ; de la ligue odieuse de la faction criminelle des Etats généraux, du Ministère et des membres corrompus de la Municipalité Parisienne, et en préparant l’insurrection qui a eu lieu.

    Marat est lucide et il comprend que la Révolution ne va pas s’arrêter maintenant, sous le simple effet de la loi martiale et des emprisonnements. Lisons-le :

« La liberté a coûté aux Anglais, vingt-cinq batailles rangées, et soixante ans de malheurs ; et nous prétendons la conquérir en un jour, les bras croisés, en bavardant sur les affaires de la Ville !

Quoi ! Dans la matinée du 14 Juillet, la Noblesse, le Clergé, les créatures de la Cour, et la foule innombrable des misérables qui vivent des désordres de l’Etat, des calamités publiques, se montraient nos mortels ennemis, et dans la soirée ils seront devenus nos meilleurs amis ! Et la prise de la Bastille leur aura donné une âme nouvelle ! Et ils renonceront de gaité de cœur à tout ce qui était leur félicité ! Et ils ne travailleraient jamais à revenir contre des concessions commandées par la crainte ! Et ils ne trameront pas sans cesse contre nous ! Pris les armes à la main, ils n’auront qu’à se couvrir d’un masque de patriote, et nous croirons à leur patriotisme ! Et nous les laisserons tranquillement renouer la chaîne de leur perfide trame ! Insensés que nous sommes ! Ils nous traitent comme des imbéciles ; ont-ils tort ? Nous ne sommes à leurs yeux que des animaux féroces, dont il faut éviter le premier coup de boutoir, et que l’on peut ensuite mener avec un fil. »

Voici le précieux exemplaire du numéro XXIX de L'Ami du Peuple.


      



5 Novembre 1789 : Mirabeau évoque les trois fléaux de la Provence. Le 1er est le Parlement.

"Parlamen, Mistraou et Durenço, Souri lés très fleous de la Prouvenço".

(Dicton provençal)

"Le Parlement, le Mistral et la Durance, sont les trois fléaux de la Provence."


    Ce 5 novembre, Mirabeau monte à la tribune de l’Assemblée pour y défendre une motion dénonçant les troubles de Marseille et l'inexécution du décret relatif à la procédure criminelle !

C’est le Parlement de Provence qui est visé par Mirabeau. Ce Parlement si renommé pour sa dureté qu’il a même inspiré le dicton qui fait le titre de cette page, et que va citer Mirabeau.

Ses parlementaires font fi des décrets de l’Assemblée nationale et entendent bien continuer de mener leur justice à eux, une justice d’exception, garante de leurs privilèges.

Cet incident nous donne également un premier aperçu des règlements de comptes qui auront lieu dans les provinces sous la Révolution, et qui bien souvent n’avaient rien à voir avec celle-ci. Ces « haines secrètes », comme les appelle Mirabeau, feront que l’on dénoncera plus tard un voisin gênant au Tribunal révolutionnaire, comme on dénoncera encore plus tard un voisin gênant à la Gestapo allemande…

Ecoutons l’intervention de Mirabeau :

« Messieurs, la réclamation que j'ai l'honneur de vous porter au nom de ma province est relative à l'inexécution de vos décrets, et notamment de celui qui intéresse le plus les hommes sensibles ; je veux parler de la loi provisoire sur la procédure criminelle, ce premier bienfait que vous deviez à la classe la plus malheureuse de l'humanité.

Depuis trois mois, Messieurs, une des plus importantes villes du royaume, Marseille, qui fut le berceau de mes pères, et dont je suis le fils adoptif, Marseille tout entière est sous le joug d'une procédure prévôtale que l'esprit de corps et l'abus du pouvoir ont fait dégénérer en oppression et en tyrannie.

Il était difficile que cette ville ne se ressentît pas de l'agitation du royaume. Plus de sagesse dans son administration municipale aurait prévenu des désordres. C'est pour les punir que la procédure a été prise ; mais des mains cauteleuses ont su la diriger vers un autre but. Les vrais coupables ne sont pas jugés et mille témoins ont été entendus. On a informé, non sur les délits, mais sur des opinions, mais sur des pensées. On a voulu remplacer par cette procédure celle qu'on n'avait pas permis au parlement de commencer, ou qu'on avait arrachée de ses mains ; et des haines secrètes, dont le foyer ne nous est pas inconnu, ont rempli les cachots de citoyens.

Ne croyez point en effet que cette procédure soit dirigée contre cette partie du peuple que, par mépris pour le genre humain, les ennemis de la liberté appellent la canaille, et dont il suffirait de dire qu’elle a peut-être plus besoin de caution que ceux qui ont quelque chose à perdre. Non, Messieurs, c'est contre les citoyens de Marseille les plus honorés de la confiance publique que la justice s'est armée ; et un seul fait vous prouvera si les hommes qu'on a décrétés sont les ennemis du bien. M. d'André, à qui l'Assemblée accorde son estime et le Roi sa confiance, ayant fait assembler les districts de Marseille, pour nommer des députés et former une municipalité provisoire, partout la voix publique s'est manifestée ; elle a nommé ces mêmes décrétés ; et comme des lois, susceptibles sans doute de quelque réformation, s'opposaient à ce qu'ils fussent admis dans le conseil, où le conseil, où le suffrage de leurs concitoyens les appelait, on a choisi pour les remplacer leurs parents, leurs amis, ceux qui partageaient les principes des accusés, ceux qui pouvaient défendre leur innocence.

Le temps viendra bientôt où je dénoncerai les coupables auteurs des maux qui désolent la Provence, et ce parlement qu'un proverbe trivial a rangé parmi les fléaux de ce pays (l), et ces municipalités dévorantes qui, peu jalouses du bonheur du peuple, ne sont occupées depuis des siècles qu'à multiplier ses chaînes, ou à dissiper le fruit de ses sueurs. Je dois me borner à vous entretenir aujourd'hui de l'inexécution de votre décret sur la procédure criminelle.

Ce décret fut sanctionné le 4.

Le 14, il fut enregistré au parlement de Paris.

Le 18, il était connu publiquement à Marseille.

Cependant, le 27, des juges arrivés d'Aix le même jour, et réunis à quelques avocats, ont jugé suivant les anciennes formes une récusation proposée par les accusés. Ce fait est prouvé par plusieurs lettres que je puis mettre sur le bureau.

Par quel étrange événement s'est-il donc fait que le décret de l'Assemblée ne soit parvenu ni au prévôt, ni à la municipalité de Marseille ? Les ministres chercheraient-ils encore des détours ? Voudraient-ils rendre nuls vos décrets en ne s'occupant qu'avec lenteur de leur exécution ? ou bien les corps administratifs, les tribunaux, oseraient-ils mettre des entraves à la publicité de vos lois ? Je ne sais que penser de ces coupables délais. Mais ce que personne de nous ne peut ignorer, c'est qu'il est impossible de relever l'empire écrasé par trois siècles d'abus, si le pouvoir exécutif suit une autre ligne que la nôtre, s'il est l'ennemi du Corps législatif, au lieu d'en être l'auxiliaire ; et si des corps auxquels il faudra bien apprendre qu'ils ne sont rien dans l'Etat osent encore lutter contre la volonté publique dont nous sommes les organes. — Je propose le décret suivant :

«Qu'il sera demandé à M. le garde des sceaux et au secrétaire d'Etat de représenter les certificats, ou accusés de la réception des décrets de l'Assemblée nationale, et notamment de celui de la procédure criminelle qu'ils ont dû recevoir des dépositaires du pouvoir judiciaire, et des commissaires départis, auxquels l'envoi a dû être fait ; et qu'il sera sursis provisoirement à l'exécution de tous jugements en dernier ressort, rendus dans la forme ancienne par tous les tribunaux, antérieurement à l'époque où le décret a dû parvenir à chaque tribunal. » 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5291_t1_0696_0000_2 

Un clic sur l'image ci-dessous vous conduira à un article intéressant sur le Parlement de Provence : 


Un mot sur le vandalisme d'ancien régime...

    Un nouveau clic sur la légende d'une des deux images ci-dessous vous conduira à un article relatant l'histoire du Palais des Comtes de Provence, qui avait été démoli en 1786, en raison de sa vétusté. Peu importait que certaines de ses parties soient d'origine romaine. On ne se souciait guère des vestiges du passé sous l'Ancien régime. On pourrait appeler cela le "vandalisme de l'ancien régime", en référence au prétendu vandalisme révolutionnaire...

Palais des Comtes de Provence et des Cours Souveraines démoli en 1786

Tours et constructions romaines enclavées dans l'édifice démoli en 1786

Source images : http://clap.jac.free.fr/livre/comtes.html


                           



mercredi 4 novembre 2020

4 Novembre 1789 : Boissel, un effacé de l’histoire, scandalise l’Assemblée avec son catéchisme du genre humain

Un catéchisme du genre humain ?

François de Bonnal

    L’Assemblée nationale travaille toujours autant, bien sûr. Mais aujourd’hui, mon attention s’est portée sur un événement très particulier. Il s’agit de l’intervention de Monsieur de Bonnal, évêque de Clermont, qui est venu dénoncer à la tribune un livre intitulé « Catéchisme du genre humain » !

Lisons le procès-verbal :

« M. de Bonnal, évêque de Clermont, dénonce un livre intitulé : Catéchisme du genre humain, qui a été adressé à tous les députés, comme rempli de blasphèmes contre la religion. Le prélat en cite quelques passages : « Qu'entendez-vous par les religions ? J'entends ce qui a été établi par les plus forts et les plus rusés pour commander par la force au nom d'une idole qu'ils se sont créée. — Qu'est-ce que le lien conjugal ? C'est la propriété que l'homme a de la femme. » L'auteur trouve cette propriété aussi injuste que celle des terres, et ne voit d'autre moyen de détruire cette injustice que le partage des terres et la communauté des femmes.

Dans une pièce de vers qui termine le volume, et qui est intitulé : Extrait des minutes du Vatican, l'auteur attaque les trois personnes de la Trinité. Il les introduit sur la scène comme des êtres insensés, et les charge de ridicules.

M. l'évêque de Clermont demande que ce livre soit remis au comité des recherches, qui s'occupera d'en connaître l'auteur et l'imprimeur, et qu'il soit ordonné au procureur du roi du Châtelet de faire sur cet objet ce que son devoir lui prescrit.

M. Le Chapelier répond :

« Ce livre ne nous est pas assez connu pour statuer en ce moment sur la dénonciation. Je propose de le renvoyer au comité des rapports, en se conformant ainsi à ce qui a été fait au sujet de M. l'évêque de Tréguier, qui, sous un autre sens, était plus dangereux encore.

L'Assemblée adopte cette opinion.

    Il semble que ce soit plutôt le brûlot contre-révolutionnaire de l’évêque de Tréguier, qui inquiète plus les députés que ce drôle de petit livre !

    D’ailleurs, si vous voulez vous faire votre idée quant à sa dangerosité, vous pouvez le lire dans la fenêtre située en bas d’article !

 Le terrible inoffensif François Boissel

Fresque de François Boissel
sur le parvis de l'église de
Saint Pierre de Joyeuse.
   L’auteur de ce petit livre est un dénommé François Boissel, né le 27 avril 1728 à Joyeuse (Ardèche) et mort à Paris en 1807. Il était avocat au parlement de Paris et juge de paix. Peut-être a-t-il connu Adrien Joseph Colson dont nous parlons de temps à autre pour les récits des événements qu’il fait dans ses courriers ? Durant la Révolution, il deviendra archiviste puis vice-président du Club des jacobins.

    Cet homme exerçant de très sérieuses fonctions, était également un philosophe et un écrivain. Il écrivit une quinzaine d’ouvrages, dont ce fameux « Catéchisme du genre humain », parut en avril 1789, qui connut un très gros succès. Par ses idées d’avant-garde, on le dit précurseur du communisme (selon Jaurès), précédant de peu Babeuf et Saint-Simon, et aussi pionnier du féminisme et de l’écologie, rien que ça !

    Je vous invite à visiter cette page d’un site ardéchois qui lui rend hommage, accessible par le lien suivant : https://www.medarus.org/Ardeche/07celebr/07celTex/boissel_francois.html

    Il est extrêmement curieux qu’un personnage aussi étonnant ait été oublié. L’hypothèse suivante, avancée sur la page de ce site est fort probable. L’écrivain ardéchois, Pierre-Antoine Courouble, auteur du livre "Citoyen Boissel", suggère que Boissel ne serait pas un oublié "par hasard" de l’histoire, mais un "effacé" de l’histoire. Son œuvre écrite, aurait été victime de la censure napoléonienne et de la chasse aux anciens jacobins.

    Combien l’histoire officielle, qui comme tout le monde le sait est écrite par les vainqueurs, contient-elle de ces malheureux oubliés ou effacés ? Souvenez-vous de Louise de Keralio, évoquée le 13 août dernier, cette véritable féministe républicaine, oubliée au profit d’une Olympe de Gouge monarchiste, totalement réinventée. Je pense néanmoins qu’en histoire, le pire sort réservé aux plus haïs, c’est la calomnie.

Je vous propose également la lecture de cet article : « Pierre-­Antoine Courouble, L’énigmeBoissel. Le phi­­lo­­sophe sans visage »


Oups ! J'allais oublier ! Voici le scandaleux petit catéchisme du genre humain, rêvé par ce philosophe "effacé".

            
      





Novembre 1789 : Robespierre voit dans la nouvelle constitution " des vices essentiels qui peuvent empêcher les bons citoyens de se livrer à la joie".

Article en cours de rédaction 

Maximilien Robespierre dans son costume de député du Tiers état


Lettre de Maximilien Robespierre à son ami Buissart.

    Dans un article rédigé à propos de la journée du 23 octobre1789, j'ai évoqué comment Robespierre avait été empêché de s'exprimer à la tribune de l'Assemblée la veille et je mentionnais cette lettre qui m'avait été signalée par l'une de mes abonnées (que je remercie encore). Cette lettre confirmait les dires du Journal de Paris concernant cet incident, incident que le procès-verbal de l'Assemblée nationale se gardait bien d'évoquer.


Les deux révolutions parallèles.

    Comme je l'ai déjà écrit dans de précédents articles, on ne peut s'empêcher de constater à la lecture chronologique des événements, que dès le début de la Révolution française, il semble y avoir deux révolutions qui se déroulent en parallèle. Je les ai surnommées, la révolution en perruques et la révolution en haillons. Les députés du Tiers Etat, portant perruques, sont même allés jusqu'à armer les citoyens en haillons la veille du 14 juillet, par peur des troupes menaçant Paris bien sûr, mais aussi pour accélérer un peu les choses ! Comme je vous l'ai expliqué, dès que la nouvelle de la prise de la Bastille se fut répandue par tout le royaume, de nombreuses troupes en haillons entreprirent de prendre leurs Bastilles çà et là dans toute la France ! Ce phénomène fera partie de ce que l'on appellera, "la grande peur".

    A partir de cet été 1789, nous n'allons pas cesser d'observer une tension qui va aller en grandissant, entre les députés de l'Assemblée nationale, qui ont obtenu ce qu'ils voulaient - c'est-à-dire une monarchie constitutionnelle ou plutôt un roi à leurs ordres, et cette masse sans voix que l'on appelle selon les circonstances, peuple ou populace ; peuple qui réclame pain et justice…

Tous les députés ? Non.

    Tous les députés de l'Assemblée nationale ? Non, bien sûr ! Aussi curieux que cela puisse paraître, certains parmi eux se préoccupent du peuple. Est-ce par compassion envers ces millions de miséreux ou par lucidité, sachant qu'il est impossible de gouverner un pays peuplé d'affamés ?

    Dans toute la gamme de régimes politiques que l'on connait, l'oppression d'un peuple privé de droits est une option qui fonctionne, mais il faut pour cela une police et une armée forte et si vous avez bien lu les articles, c'était loin d'être le cas en 1789, puisque des troupes allèrent jusqu'à se joindre au peuple ! (Soudoyées par la bourgeoisie du Tiers état ? Peut-être. Certain prétendent même qu'une partie de la noblesse aurait… Bref !).

    J'aime beaucoup la citation de Barnave qui explique si bien la révolution de 1789 :"Une nouvelle distribution de la richesse entraîne une nouvelle distribution du pouvoir ". La prise du pouvoir par le Tiers état en juillet 1789, ne fut en fait que cela. Cette nouvelle classe sociale montante demandait le pouvoir. Elle l'a eu ! Quant au peuple, il lui faudra encore du temps avant qu'il prenne conscience, non pas de sa richesse, mais de sa force. On parlera alors de rapport de forces. Mais ce sera un peu plus tard…

    Maximilien Robespierre fait partie de ces quelques députés agaçants, qui se préoccupent du sort du peuple. Ils sont une minorité au sein de cette Assemblée nationale constituante. Une minorité qui peine à s'exprimer comme nous l'avons vu précédemment. Voilà pourquoi j'ai trouvé intéressant de vous proposer la lecture de cette lettre du député Robespierre, à son ami d'Arras, le dénommé Buissart.


Voici la lettre.

    Cette lettre, non datée ni signée, porte la mention suivante de Buissart : "reçue le 9 novembre 1789".

    On peut imaginer que Robespierre l'a écrite après le 3 novembre 1789, puisqu'il évoque la nationalisation des biens du clergé, la suspension des parlements et le nouveau découpage administratif de la France.

(J. A. Paris, o. c. Appendice CVII – CIX. N°IV. – Mémoire de l'Académie de Metz. 1900-1901. p. 236-239.)

A noter que j'ai choisi d'en actualiser l'orthographe afin que les amis étrangers qui liront cet article aient une traduction correcte.

Robespierre à Buissart

Mon cher ami, je sais que vous boudez contre moi ; et je ne puis vous blâmer. Car malgré toutes les bonnes raisons que je pourrais vous donner pour justifier le long silence que j’ai gardé avec tous mes amis, je suis forcé de convenir que vous méritiez une exception et que je devais faire l’impossible pour trouver le temps de vous écrire. Il ne me reste donc d’autre parti que d’invoquer votre clémence et de réparer ma négligence.

Que pense-t-on ? Que dit-on ? Que fait-on en Artois ? Que faites-vous vous-même ? Etes-vous du Comité permanent ? Quels sont les hommes qui sont maintenant à la tête des affaires ? Je viens de recevoir une lettre d’un patriote qui gémit sur l’opiniâtreté de l'aristocratie et qui se plaint de ce que nos décrets ne sont encore connus en Artois que par les papiers publics. Je vous prie de m’informer au plutôt de ce fait et de me mander si les décrets de l’Assemblée nationale notamment celui qui concerne la réforme provisoire de la procédure criminelle (1) sont enregistrés et observés dans les tribunaux.

La puissance du clergé est abattue par le décret qui vient de déclarer que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation (2). Les parlements ont reçu le lendemain un gage certain de leur ruine, dans la loi qui les condamne à rester en vacances (3). L'aristocratie féodale est à peu près anéantie ; les plus grands abus semblent avoir disparu à la voix des représentants de la Nation ; seront-nous libres ? Je crois qu’il est permis de faire encore cette question. La Constitution nouvelle me parait du moins renfermer des vices essentiels qui peuvent empêcher les bons citoyens de se livrer à la joie (4).

La partie de la Constitution la plus importante-sera incontestablement la plus mauvaise ; je parle de l'organisation des Municipalités, des Assemblées provinciales et des Assemblées nationales. Vous savez sans doute que l'on exige des citoyens une quantité déterminée de revenu pour leur laisser l'exercice des droits de citoyens ; qu’il faut payer une contribution de trois journées d’ouvriers pour assister aux assemblées primaires ; dix journées d’ouvriers pour être membre des assemblées secondaires que l’on appelle départements ; enfin une contribution de 54 livres et en outre une propriété foncière pour être éligible à l’Assemblée nationale. Ces dispositions sont l’ouvrage du parti aristocratique de l’Assemblée qui n’a pas même permis aux autres de défendre les droits du peuple et a constamment étouffé leurs voix par des clameurs ; de manière que la plus importante de toutes nos délibérations a été arrêtée sans discussion, dans le tumulte et emportée comme par violence.

Il est maintenant question de changer l’ancienne division des provinces et de partager le royaume en quatre-vingt-dix départements, sous divisés en assemblées secondaires et en assemblées primaires, sans égard aux limites des provinces (5). Cette opération, qui dans le moment actuel me paraitrait plus favorable à l’aristocratie et au despotisme qu’à la liberté donne lieu à de grands débats ; il me semble qu’une représentation fondée sur les bases que je viens d’indiquer pourrait facilement élever l’aristocratie des riches sur les ruines de l’aristocratie féodale ; et je ne vois pas que le peuple qui doit être le but de toute institution politique gagnât infiniment à cette espèce d’arrangement. D’ailleurs je ne conçois pas comment des représentants qui tiennent leur pouvoir de leurs commettants, c’est-à-dire de tous les citoyens sans distinction de fortune ont le droit de dépouiller la majeure partie de ces mêmes commettants du pouvoir qu’ils leur ont confié. Je vous prierai, mon cher ami, de me dire la sensation que ce projet peut faire en Artois. Je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui ; je m’en console par l’espérance de vous écrire bientôt. Présentez, je vous prie, à Madame Buissart mon attachement respectueux ; sa société et la vôtre seront une des principales raisons qui me rendront le séjour d’Arras agréable, quand j’y retournerai ; comme elle a excité mes plus vifs regrets, lorsque j’ai quitté cette ville. Mais je crois être encore ici pour quelques mois.

Unissez-vous à tous les bons citoyens pour soutenir et pour animer le patriotisme de nos compatriotes et leur inspirer dans ces circonstances les sentiments et les résolutions les plus utiles au bien public et à la liberté.

Je suis le meilleur de vos amis. J’attends de vos nouvelles avec impatience.

Mon adresse : rue Saintonge au Marais, chez M. Humbert, N°30

 

(1) Décret du 8 octobre 1789 rendu sur le rapport de Beaumetz et l'initiative de La Fayette et de la Commune de Paris.

(2) Décret du 2 novembre 1789 rendu sur la proposition de Talleyrand-Périgord.

(3) Décret du 3 novembre 1789 rendu sur la proposition d’Alexandre de Lameth.

(4) Robespierre venait d’intervenir en vain contre le décret exigeant pour être citoyen actif le paiement d’une contribution directe égale à la valeur de trois journées de travail (22 octobre).

(5) Cf. Le rapport de Thouret, au nom du nouveau comité constitutionnel, fait à l'Assemblée nationale le 29 septembre 1789. B. N. Le 29/285-286 et le décret du 26 février 1790 qui divisa la France en 83 départements.


Sources :

Pages cachées sur WIKIPEDIA, parce qu'en cours de rédaction, mais accessibles tout de même 😉 : Page 57Page 58 et Page 59. N'y mettez surtout pas le bazar ! Contentez-vous de regarder 🙏 Merci.


                   




mardi 3 novembre 2020

3 Novembre 1789 : Le redécoupage administratif de la France est en cours

Sieyès à la découpe de Marianne.

Découpage électoral, suite...

    Souvenez-vous, nous en avions parlé le 2 octobre dernierAujourd’hui, parmi tous les nombreux sujet traités, l’Assemblée a poursuivi sa discussion sur la nouvelle division du royaume. 

    Monsieur Thouret a proposé la création de 80 départements d’égales dimensions, délimités arbitrairement. Mirabeau s’y est opposé, en demandant que l’on tienne compte des particularismes historiques et régionaux. Ce découpage est rendu difficile car il est lié la recherche d’une juste répartition des députés en fonctions du nombre d’habitants et à une proximité des lieux administratifs pour la population.

Voici un extrait de l’intervention du 3 novembre de Mirabeau :

« Je voudrais une division matérielle et de fait, propre aux localités, aux circonstances, et non point une division mathématique, presque idéale, et dont l'exécution paraît impraticable.

Je voudrais une division dont l'objet ne fût pas seulement d'établir une représentation proportionnelle, mais de rapprocher l'administration des hommes et des choses, et d'y admettre un plus grand concours de citoyens, ce qui augmenterait sur-le-champ les lumières et les soins, c'est-à-dire la véritable force et la véritable puissance.

Enfin je demande une division qui ne paraisse pas, en quelque sorte, une trop grande nouveauté ; qui, si j'ose le dire, permette de composer avec les préjugés, et môme avec les erreurs, qui soit également désirée par toutes les provinces, et fondée sur des rapports déjà connus ; qui surtout laisse au peuple le droit d'appeler aux affaires publiques tous les citoyens éclairés qu'il jugera dignes de sa confiance. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5274_t1_0654_0000_10

    En cliquant sur la carte ci-dessous, vous pourrez accéder à une page très bien réalisée sur le site l’Histoire Par l’Image du ministère de la Culture. Une vidéo fort bien faite y explique le travail des députés de 1789.

                           




3 Novembre 1789 : Hérault de Séchelles exilé par sa famille

 La honte de la famille...

    Marie-Jean Hérault de Séchelles est la honte de sa famille ! Du moins, les membres de celle-ci en sont-ils convaincus. Rendez-vous compte ! Ce jeune avocat général, le plus jeune avocat général du tribunal du Châtelet, est devenu un exalté qui ne jure plus que par la Révolution et qui fait fi de son rang d'aristocrate !

    Qui plus est, il utilise son éloquence pour répandre les idées nouvelles, et même auprès de ses clients !

    Fort heureusement, la mise en vacance du Parlement se prolonge et le conseil de famille tient là un excellent prétexte : autant profiter de ces congés forcés pour lui faire quitter la ville. Et s'il refuse d'obéir, on lui coupera les vivres ! Mais Marie-Jean s'est montré ravi de la punition. Il a aussitôt pris la direction de Strasbourg, première halte dans son exil vers la Suisse. Mais il en reviendra bientôt.

    Nous retrouverons plus tard Hérault de Séchelles. Il sera l’un des grands hommes de la Révolution. Ce sera lui qui sera l’un des principaux rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793.

    Malheureusement pour lui, il sera victime des faux procès-verbaux du comité de salut public, diffusés par l’agent secret contre-révolutionnaire, le comte d’Antraigues. Croyant à sa trahison, les députés de la Convention le feront arrêter le 17 mars 1794 et le tribunal révolutionnaire le condamnera à mort.

 

                                                 




3 Novembre 1789 : Les parlement sont suspendus jusqu’à la mise en place des assemblées municipales et provinciales

De quels parlements parlons-nous ?

    Afin de mieux comprendre cette décision de l'Assemblée nationale, je pense nécessaire de faire un petit rappel concernant les Parlements sous l'Ancien Régime. Parallèlement à cet article, je vous propose d'ailleurs un bref historique des actions entreprises par les Parlements des Provinces contre le Roi, dans cet article : "Les parlements contre le roi. Trente ans d'une lutte de l'aristocratie contre l'absolutisme royal." 

Origine de l’institution

    « D'inspiration franque, issu de la Curia Regis accompagnant les monarques de France depuis les premiers Capétiens, le Parlement de Paris fut un organe judiciaire puissant qui s'est peu à peu substitué au pouvoir de justice royal. Treize autres Parlements furent d'ailleurs créés en droite ligne du précédent pour la Province mais celui de Paris restera le plus emblématique de tous, lieu d'affrontement et de résistance notables contre le pouvoir absolu du souverain. »

Depuis la fin du XIIIe siècle le Parlement de Paris
siégeait dans le Palais de l'Ile de la Citée

    Le second parlement créé après celui de Paris, fut celui de Toulouse (par le roi Charles VII en 1443). Sa création répondait à une nécessité linguistique : le sud de la France était une terre où l’on parlait la langue d’oc, et non la langue d’oïl comme dans le nord, et surtout il était régi par le droit romain écrit, alors que le nord du pays obéissait au droit coutumier oral des Francs.

Carte des Parlements et Conseils en 1789

Actions menées par les parlements avant la Révolution

    On lit souvent qu’ils ont préparé la Révolution en s’opposant au pouvoir royal. C’est vrai, mais c’est un peu plus compliqué que ça. Si les Parlements se sont effectivement opposés au pouvoir royal, ce fut souvent pour refuser des réformes qui auraient été profitable au royaume. Ces parlements, celui de Paris en tête, avaient des positions très conservatrices. Ils voulaient maintenir la division de la société en trois ordres hiérarchisés disposant de droits différents. Les parlements défendaient les privilèges de la noblesse dont une grande partie de leurs membres faisait partie et Ils voulaient imposer leur tutelle à la monarchie. Mais en s’opposant ainsi frontalement au pouvoir royal, ils se faisaient passer pour des défenseurs du bien commun. Raison pour laquelle, le peuple les soutenait lorsque le roi les sanctionnait par l’exil ou la fermeture.

Le parlement de Paris

    C’est ainsi que le 16 juillet 1787, après l’échec de l’Assemblée des notables, lorsque le Parlement de Paris (en majeure partie composé de nobles) avait déclaré que seule la Nation réunie dans ses Etats Généraux pouvait consentir un impôt perpétuel ; son véritable objectif était de prendre en charge cette fonction (Les Etats Généraux ne formant pas une assemblée régulière ne pouvant l’assumer). Le Tiers-état s’était lui aussi déclaré favorable à cette convocation des États Généraux car il espérait que les réformes iraient dans son sens. Le 7 août 1787, le Parlement de Paris avait même ouvert une information contre Calonne, le ministre du roi, qui avait dû s’enfuir en Angleterre ! Le 14 aout, Louis XVI, par l'intermédiaire de son ministre Brienne, avait alors fait exiler les parlementaires parisiens à Troyes pendant la nuit du 14 au 15. Troyes leur avait fait un accueil triomphal et les Parlements des provinces s’étaient bien sûr solidarisés avec le Parlement de Paris.

    Mais comme je vous l’ai dit, c’est un peu plus compliqué que ça, car au sein même des Parlements, le Tiers Etat allait progressivement peser de son influence. En janvier 1789, lors de la phase préparatoire aux Etats Généraux, les ordres privilégiés de Provence, de Béarn, de Bourgogne, d’Artois et de Franche-Comté, soutenus par les parlements locaux, profiteront de la session des états pour se livrer à des manifestations violentes contre les exigences « subversives » du Tiers Etat. La suite, vous la connaissez…


Les parlements des provinces se réveillent

    Nous avons vu le 16 octobre dernier que la Sénéchaussée de Toulouse avait publié un arrêté qui refusait les décrets de l’Assemblée nationale.

    Le 26 octobre, c’était la province du Dauphiné qui avait suscité l’inquiétude des députés lorsqu’ils avaient appris que celle-ci, de son propre chef, convoquait ses trois ordres.

    Monsieur Lanjuinais avait précisé devant l’Assemblée que la province du Dauphiné n'était pas la seule ; la noblesse de Bretagne se réunissait à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. « Dans cette dernière ville » avait-il précisé, « quatre-vingt-dix nobles et quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence, à la justice sa force active, au Roi son autorité légitime, osons le dire, sa liberté, et pour s'opposer à l'abolition des droits et franchises de la province et des villes. »

Le député Le Chapelier avait ainsi résumé la situation :

« Tolérer que les provinces s'assemblent ; c'est les autoriser à faire des réunions dont le résultat ne peut être que dangereux avant la Constitution achevée. Quel intérêt pressant peuvent avoir les provinces ? Les impôts peuvent être réparti » par des commissions intermédiaires. C'est aux municipalités à recevoir les déclarations et le produit des contributions patriotiques, et non pas aux provinces à y délibérer. Ce ne sont donc que les mauvais citoyens qui voudraient mettre le trouble dans le royaume qui sont intéressés à protéger ces convocations irrégulières. »

Et il en avait tiré la conclusion suivante :

« Ainsi, puisque la proposition a été faite, il faut la décider d'après le principe et interdire à toutes les provinces le droit de s'assembler jusqu'à ce que le mode de représentation et de convocation soit établi. »

Réaction de l’Assemblée nationale

    Toutes ces assemblées, reliquats des structures obsolètes de l’ancien régime, représentent effectivement un véritable danger pour l’Assemblée nationale. Les députés ne veulent pas reproduire l’erreur du roi, qui chaque fois avait fini par céder aux Parlements. Raison pour laquelle, Alexandre de Lameth, présente ce 3 novembre une motion demandant la mise en vacance des Parlements, une suspension qui n’est rien d’autre qu’une suppression.

    Les parlementaires vont mal le prendre, même si comme l’a souligné Monsieur Le Duc De La Rochefoucauld : « vous supprimerez donc véritablement ces grands corps de magistrature, mais en prononçant leur destruction vous rendrez une justice méritée aux membres qui les composent, et sans doute leurs citoyens s'empresseront de les porter par leurs suffrages aux places que le nouvel ordre judiciaire établira. »

    Voici quelques extraits de la discussion entre les députés. La totalité des échanges étant disponible par le lien suivant :

 

Alexandre de Lameth

Motion de M. Alexandre de Lameth, concernant les parlements, lors de la séance du 3 novembre 1789 

M. le chevalier Alexandre de Lameth demande la parole pour faire une motion importante dans les circonstances actuelles, et propose à l'Assemblée de prononcer que tous les parlements du royaume resteront en vacance, et que les chambres des vacations continueront leurs fonctions jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué à cet égard.

(…)

Je pense comme vous, Messieurs, qu'il n'est pas de moyen plus sûr ni plus efficace pour arriver à ce but que d'organiser le plus tôt possible les assemblées municipales et provinciales, et c'est dans cette vue que j'ai cru devoir vous proposer d'écarter tous les obstacles qui pourraient nuire à leur établissement. Vous n'avez pas oublié, Messieurs, quelles difficultés éprouvèrent dès leur naissance ces sages institutions, de la part de plusieurs parlements du royaume.

Vous n'ignorez pas quelles sont en ce moment les dispositions de quelques-unes de ces cours ; de quel œil elles voient l'établissement de la Constitution, quels regrets elles manifestent de voir s'évanouir de si longues jouissances et de si hautes prétentions. De quel danger ne serait-il donc pas de leur laisser reprendre en ce moment une activité qu'elles pourraient opposer à l'établissement des assemblées administratives 1 Il n'est personne parmi vous, Messieurs, qui n'ait senti la nécessité d'établir un nouvel ordre judiciaire, et qui n'ait approuvé, parmi les dispositions qui vous étaient présentées par notre premier comité de Constitution, celles qui substituent à ces grands corps politiques des tribunaux plus près du peuple et bornés à la seule administration de la justice.

(…)

Je n'ai point oublié, Messieurs, les importants services que nous ont rendus les parlements. Je sais que si, dans l'origine, la puissance royale leur a dû son agrandissement, on les a vus depuis, dans plus d'une occasion, lui prescrire des limites, et souvent combattre avec énergie, et presque toujours avec succès, les efforts du despotisme ministériel ; je sais qu'on les a vus, lorsque l'autorité l'emportait, soutenir avec fermeté des persécutions obtenues par leur courage ; je sais que, dans ces derniers temps surtout, ils ont repoussé avec force les coupables projets qui devaient anéantir entièrement notre liberté. Mais la reconnaissance, qui, dans les hommes privés, peut aller jusqu'à sacrifier ses intérêts, ne saurait autoriser les représentants de la nation à compromettre ceux qui leur sont confiés ; et nous ne pouvons-nous le dissimuler, Messieurs, tant que les parlements conserveront leur ancienne existence, les amis de la liberté ne seront pas sans crainte, et ses ennemis sans espérance.

(…)

Non, Messieurs, il n'est pas à craindre que la même Assemblée qui a fixé les droits du trône, qui a prononcé la destruction des ordres, qui ne laissera aux nobles d'autres privilèges que la mémoire des services de leurs ancêtres, et aux ecclésiastiques que la considération attachée à leurs honorables fonctions ; que l'Assemblée qui a fondé la liberté sur l'égalité civile et politique, et sur la destruction des aristocraties de toute espèce, puisse jamais consentir à laisser subsister des corps, jadis utiles, mais aujourd'hui incompatibles avec la Constitution.

Discussion concernant la motion de M. Alexandre de Lameth, concernant les parlements, lors de la séance du 3 novembre 1789 

M. Target :

(…) « Les parlements, il ne faut pas l'oublier, ont déclaré leur incompétence sur les impôts, et ils ont demandé la convocation des Etats généraux ; peut-être n'est-il pas donné aux corps moins éclairés et plus formalistes que les nations, de s'élever au-dessus des préjugés... Ils n'ont pas vu que la puissance législative appartient aux citoyens ; que les ordres sont des intérêts particuliers qui divisent l'empire, et qu'au lieu des Etats généraux de 1614, il fallait ce que nous avons, une Assemblée nationale ; le temps est arrivé, la révolution est faite, la nation a repris ses droits pour toujours. L'Assemblée nationale sera permanente ; il n'y aura plus de lois que celles qu'elle aura faites ; l'obéissance la plus prompte leur est due ; les délais, qui furent une ressource, seraient aujourd'hui des crimes ; il y avait des espèces de tribuns, il n'y a plus que des juges. L'enregistrement ne sera plus qu'une transcription dans des registres ; et garants de leur soumission à la loi, les magistrats, simples exécuteurs, seront responsables à la nation de tout abus d'autorité. »

(…) M. Target fait ressortir ensuite les malheurs attachés à l'étendue immense des ressorts et parle des citoyens pauvres forcés d'aller chercher à 120 lieues de leur maison ou de leur chaumière une justice lente et ruineuse, il termine en disant :

La paix est fille de la justice et la justice ne peut être à 100 lieues de celui qui souffre et qui n'a aucun moyen de les franchir.

Aucun magistrat ne peut s'affliger des pertes que lui causera le bien public. Des magistrats respectables honorent ces compagnies, ils seront l'honneur des tribunaux que vous établirez ; mais il ne faut pas laisser l'intérêt personnel s'animer dans ce foyer de l'esprit de corps qui consume jusqu'aux bonnes intentions. J'appuie la motion de M. Alexandre de Lameth. »

M. Thouret :

(…) « La nation n'a pas concouru à l'élection de leurs membres ; tous sont arrivés à la magistrature par l'hérédité et la vénalité ; tous sont d'anciens privilégiés que je ne crois pas encore parfaitement convertis. Les corps antiques se font une religion de leurs maximes ; ils sont toujours attachés à ce qu'ils appellent leurs droits et leur honneur. »

M. le duc de la Rochefoucauld :

(…) « ce sont eux qui, en 1771 et en 1778 (je puis, Messieurs, vous parler de leurs généreux efforts dans ces époques modernes, où j'avais l'honneur de partager leurs travaux), ce sont eux qui ont opposé au despotisme ministériel une barrière invincible, et que nous leur devons l'impulsion heureuse de la révolution actuelle.

Mais utiles dans un temps où la nation privée du droit de s'assembler n'avait pas ses défenseurs naturels, devez-vous les conserver à présent que de véritables représentants élus par l'universalité des citoyens, qu'une Assemblée nationale permanente vous assurent une bonne législation et une administration fondée sur de bons principes; tout ce qui est superflu en fait de Constitution et d'économie politique devient inutile et dangereux; les parlements n'auront plus de fonctions législatives et sans doute le soin de distribuer plus également la justice et de la rapprocher des justiciables, ne laissera pas subsister ces immenses ressorts contre lesquels tant de réclamations se sont élevées; vous supprimerez donc véritablement ces grands corps de magistrature, mais en prononçant leur destruction vous rendrez une justice méritée aux membres qui les composent, et sans doute leurs citoyens s'empresseront de les porter par leurs suffrages aux places que le nouvel ordre judiciaire établira. »


Décret du 3 novembre 1789 suspendant les parlements

M le Président consulte l'Assemblée qui décide qu'il n'y a lieu à délibérer.

La motion principale est ensuite mise aux voix et décrétée dans les termes suivants :

«L'Assemblée nationale décrète : 1° qu'en attendant l'époque peu éloignée où elle s'occupera de la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire, tous les parlements continueront de rester en vacances et que ceux qui seraient rentrés, reprendront l'état des vacances ; que les chambres des vacations continueront ou reprendront leurs fonctions, et connaîtront de toutes causes, instances et procès, nonobstant tous les règlements à ce contraires, jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué à cet égard ;

«2° Que le président se retirera par devers le Roi pour lui demander sa sanction sur ce décret et le supplier de faire expédier toutes lettres et ordres à ce nécessaire. »

 

Les réactions à ce décret

    Les parlements de Rouen, de Metz (novembre 1789), de Rennes (décembre 1789, janvier 1790), de Bordeaux (mars, avril 1790), refuseront d'accepter la suppression des chambres de vacations. Celui de Rennes s'entêtera à tel point que l'Assemblée rendra le 6 février 1790, un décret par lequel ses membres seront déchus des droits de citoyens actifs.